Review Reviewed Work(s): Ivresse et ivrognerie dans la France moderne by Matthieu Lecoutre Review by: Philippe Meyzie Source: Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-), T. 59e, No. 2 (avril-juin 2012), pp. 194-196 Published by: Societe d'Histoire Moderne et Contemporaine Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23557778 Accessed: 16-04-2018 19:45 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Societe d'Histoire Moderne et Contemporaine is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-) This content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 16 Apr 2018 19:45:54 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 194 REVUE D'HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE Matthieu Lecoutre, Ce bel ouvrage tiré d'une thèse sout Ivresse et ivrognerie dans la France moderne, en 2010 à l'université de Rennes/Tours, Presses universitaires de Rennes/ permet d'aborder un suje Presses universitaires François Rabelais, 2011, longtemps négligé par les h 400 p., ISBN 978 2753517066 la France moderne. Roger Dion des rares à s'être confronté directement à la question de l'ivrognerie dans son Histoire de la vigne et du vin publiée en 1959. Du côté des historiens de l'alimentation, la consommation de boissons alcooliques a finalement peu retenu l'attention. Les principaux travaux dans ce domaine n'ont pas porté sur la France mais sur d'autres espaces européens (par exemple, Beat Kümin, Drinking Matters. Public Houses in Early Modern Europe, 2002). Cette étude originale vient donc remplir un vide historiographique. Son propos est d'étudier l'ivresse et l'ivrognerie - que la langue de l'époque moderne distingue finalement assez peu - tant dans les discours que dans les pratiques du XVIe au XVIIIe siècle. Un corpus très large et ouvert est mobilisé : traités médicaux, manuel de savoir-vivre, œuvres juridiques permettent de décrypter les discours sur l'excès de boisson. Des nombreux extraits viennent nourrir souvent à bon escient la démonstration, même si on peut regretter parfois une accumulation de citations venant rompre l'analyse (par exemple, p. 105-106). Les sources iconographiques prennent aussi place au fil des chapitres et on peut louer au passage la qualité des reproductions dans cette collection « Table des Hommes ». Mais l'auteur s'attache aussi à l'étude des pratiques grâce à un précieux travail de prospection dans les archives, notamment judiciaires, de plusieurs régions (Bourgogne, Bretagne, Bordelais, Auxonnois). Cependant, à la lecture de cet ouvrage ambitieux, il ressort clairement que M. Lecoutre propose avant tout une histoire des représentations et du discours répressif autour de l'ivresse, puisque les pratiques, saisies au travers des archives judiciaires, ne figurent vérita blement que dans le dernier tiers du livre (après la page 245). Dans une première partie, l'auteur s'intéresse à la position des autorités (État, Église, médecins, etc.) avec, comme point de départ l'édit de François Ier du 30 août 1536, qui condamne ceux qui sont accusés d'ivresse à des peines extrêmement lourdes («amputation d'oreilles, infamie et bannissement»). Cet édit sert de fil conducteur tout au long du livre car, malgré sa fermeté affichée, l'édit ne sera jamais appliqué. C'est que la lutte directe des autorités contre l'ivresse s'avère impossible; c'est donc une lutte indirecte contre les débits de boissons ou les troubles publiques engendrés par l'abus de boisson qui est mise en œuvre. L'auteur consacre des pages intéressantes aux points de vue des médecins qui dénoncent avec de plus en plus de force l'ivresse et ses conséquences aux XVIe et XVIIe siècles. La seconde partie montre comment ce discours contre l'ivresse est confronté tout au long de la période à une culture de l'enivrement, expression fort à propos pour désigner à la fois les valeurs culturelles qui entourent l'acte de boire, mais aussi tous les usages liés à l'excès de boissons profondément ancrés dans la société. Au fil des chapitres émergent alors toute une littérature bacchique, des chansons à boire, des portraits de grands buveurs des scènes de cabaret qui montrent que cette culture du boire est largement partagée. L'installation de fontaines de vin lors des réjouissances publiques témoigne même, selon l'auteur, d'une forme d'invitation à l'ivresse par les élites. Les archives judiciaires, notamment les lettres de rémission dont l'intérêt a été bien mis en évidence par Michel Nassiet, montrent que l'ivresse est souvent considérée comme une circonstance atténuante. Étudiant près de 4 589 Matthieu Lecoutre, Ivresse et ivrognerie dans la France moderne, Rennes/Tours, Presses universitaires de Rennes/ Presses universitaires François Rabelais, 2011, 400 p., ISBN 978 2753517066 This content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 16 Apr 2018 19:45:54 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms COMPTES RENDUS, N°59-2,2012 195 affaires judiciaires, M. Lecoutre accrédite l'idée que l'ivresse suscite des autorités judiciaires du moment qu'elle ne trouble pas l'ordre p S'installe alors une forme de compromis entre le discours répressif et l'enivrement. Guidées aussi par l'intérêt fiscal de voir la consommat alcoolisées se maintenir, les autorités s'avèrent peu enclines à appliqu des mesures répressives à l'encontre des buveurs. Si cette démonstration s'avère convaincante, l'utilisation des sou citer quelques remarques. La question des consommations, si délicat reste un peu en suspens. Si certaines quantités sont mentionnées en des témoignages comme ceux de Montaigne, il reste délicat de pouv le seuil de l'ivresse. Lorsque l'auteur présente les fontaines de vin d comme un symbole de cette culture de l'enivrement (p. 300), il rem avec prudence quelques pages plus loin (p. 309) que les quantités par finalement tout à fait modestes. Des indications plus précises sur les c individuelles auraient pu être recherchées à partir de livres de dépens ou de factures de repas faisant état du nombre de convives. Surtout, i tant de rappeler qu'à l'époque moderne, la teneur en alcool du vin, b de l'ivresse, était bien inférieure à celle que nous connaissons aujour La seconde réserve concerne l'utilisation des affaires judiciaires. est en effet très large, les résultats obtenus ne sont pas forcémen efforts consentis, puisque l'ivresse n'y occupe qu'une place très réd affaires étudiées). En outre, si les procédures judiciaires permettent d de manière vivante les pratiques de l'ivresse (notamment dans le au travers l'étude du vocabulaire de l'ivresse présenté dans un table p. 373), les comparaisons de sources issues d'institutions judiciaire (lettre de rémission, archives de la maréchaussée) paraissent parfois d sur la durée, en raison des catégories de populations concernées. Il e plus judicieux d'essayer de conserver le même type de source pour évolutions du XVIe au XVIIIe siècle. Le travail fort intéressant de M. Lecoutre éveille la curiosité du lecteur qui aurait pu attendre que la question de l'originalité de la France soit plus nettement posée. La culture de l'enivrement est-elle une spécificité française ? Des comparaisons ponc tuelles avec d'autres pays auraient pu s'avérer fructueuses (cf. Catherine Ferland, Bacchus en Canada. Boissons, buveurs et ivresse en Nouvelle-France, 2010). Comme l'a souligné Jean-Louis Flandrin à propos de l'ivresse en Pologne ou en Allemagne, l'analyse de ce sujet réclame la prise en compte des regards extérieurs1. On peut à ce titre regretter que l'auteur ne se soit pas plus appuyé sur les récits de voyages, français ou étrangers, pour essayer de comprendre la mise en place de stéréotypes nationaux ou provinciaux (on peut penser ici à la Bretagne évoquée à maintes reprises). Enfin, cette étude laisse un peu dans l'ombre - mais les sources permettent-elles de faire autrement?- l'ivresse individuelle. En effet, c'est avant tout l'ivresse collective des cabarets et des réjouissances publiques, sans doute mieux acceptée, qui surgit de cette étude. L'ivresse solitaire, plus difficile à saisir, reste sans doute aussi celle qui est la plus fermement condamnée sur le plan moral et social. 1. Jean-Louis FLANDRIN, «La diversité des goûts et des pratiques alimentaires en Europe du XVIe au XVIIIe siècles», Revue d'histoire moderne & contemporaine, XXX-1, janvier-mars 1983, p. 66-83. This content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 16 Apr 2018 19:45:54 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 196 REVUE D'HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE Le livre de M. Lecoutre n'en demeure pas moins riche d'enseignements trations sur l'ivresse dans la France moderne. Il propose en effet un vaste discours sur l'ivresse finement analysés (plus de 300 titres utilisés). Il f chronologie nouvelle par rapport à celle proposée en son temps par Roger répression de l'ivresse, en plaçant de manière plus précoce la prise de co dangers de l'ivresse, à partir des années 1530. M. Lecoutre nous délivre un tableau varié, tout en nuances, de cette culture de l'enivrement qui France et l'ensemble de la société du XVIe au XVIIIe siècle, avec des usag peut penser qu'ils perdurent en partie au siècle suivant avant que la dén l'alcoolisme ne vienne y mettre fin. Philippe Meyzie Université Bordeaux III, CEMMC Georges Vigarello, Grand spécialiste des représentati Les métamorphoses du gras. corporelles, G. Vigârello nous r Histoire de l'obésité que le privilège esthétique et médica Paris, Seuil, 2010, 374 p., ISBN 978-2-02-089893-5 maigre est une construction et culturelle. En temps de précarité, le gros fut signe de richesse et de santé : les femmes des pays de cocagne so grasses. Mais à partir du XIIIe siècle, les ordres mendiants commencent à les amateurs des plaisirs du ventre. La minceur devient signe de santé m physique, et chez les femmes critère de beauté. L'invention de la perspect à partir du XVe siècle le gros, devenu balourd, rustique. A la Renaissance, religieux laisse davantage de place au discours moral, psychologique, voire é l'efficacité, le dynamisme, sont impossibles au gros; la fainéantise, désorm stigmatisation. La sveltesse s'impose comme modèle social de la modernité héros rabelaisiens ou les robustes villageois de Bruegel, l'identification d physique à la force disparaît: «le gros n'est plus que le gras». Pourtant l inquiète : elle incarne la faiblesse, la vieillesse et la mort, et la mélancolie fameuse gravure de Dürer, ou trahit chez La Bruyère le dessèchement mo Le vocabulaire des corps s'enrichit dans la littérature, ainsi que dans l'ico plus attentive aux détails de la représentation. La grosseur commence à plus précisément. L'auto-observation s'affirme timidement. Les premières de poids apparaissent, ainsi que les pratiques d'amincissement, et le rec régimes. On purge, on saigne : la tendance lourde est au dessèchement; de citron, de vinaigre jugés astringents. L'exercice, la chasse aident à d excès. Un insensible changement du statut de la femme, élément valorisan renforce l'exigence envers un corps, contraint par le corset à partir du Attentive à l'individu, la culture des Lumières commence à s'intéresser au la taille, avant même celui du poids. Un étalonnage se dessine; l'opposit silhouette corsetée de la femme et celle, plus libre, de l'homme, dont l' atteste le statut social, s'affirme alors. Mais cette liberté a ses pathologies : l'hydropisie, l'insensibilité notammen qui fonde le procès en impuissance de Louis XVI, «gros animal», «cocu la littérature de ruisseau. Le gros est devenu signe de dégénérescence, d'im assimilée à un renoncement de la volonté. Le remède passe par un arsenal d'aphrodisiaques, d'excitants, par l'exercice et les bains froids, voire au Georges Vigarello, Les métamorphoses du gras. Histoire de l'obésité Paris, Seuil, 2010, 374 p., ISBN 978-2-02-089893-5 This content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 16 Apr 2018 19:45:54 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms