Dans le bar, aux vilraux orange et pimbina, Un rayon de soleil oblique, qui clignote, Dorc lcs appui-corps nickeled, oü s'aecote, En pleurant, un gaillard que le gin chagrina. Lcs vicux ont le ton haul et le rire sonore, El chantent des refrains grassouillets de folklore; Mais un öouveau, trouvant ce bruit intimidant, S'imagine le camp isolf des Van Dyke, El sirote un dcml-sclwoner en regardant Lcs danseuses sourire aux affiehes de laque. La sortie A courir les auberges Son argent avait lout passe. La saison du floitage est close. Les dravcurs Onl ree^u leurs jetons de payc, el vers la ville, A travers la foret, se dirigent en file, Leurs corps puissants brulcs de farouches fcrveurs. Leurs grands regards naifs prenncnt des airs revcurs, Quand au sorlir du bois la forme se profile Au loin de la taverne oil deja se faufilc Un groupe turbulent d'invdtcrcs buveurs. Mais aprcs qu'ils se sont offerl maintes rasades, Quand vient temps de payer plusieurs semblenl maussades De ceder leur argent peniblemcnt gagnd; Et, des larmcs d'alcool cmbuanl leur paupiere, lis parlenl de la ferme oil durenl s'echincr, Tout I'hiver, les enfanls mal vetus el leur mere. Hymne au Vent du Nord 6 Vent du Nord, veni dc chez nous, vent de feerte, Qui vas surtoul la nuit, pour que la poudrerie, Quand lc soleil, vers d'autrcs cieux, a pris son vol, Allonge sa clartc lailcusc a flour dc sol; 6 monstre de l'azur farouche, dont les rales Nous Imcuvcnt auiant que, dans les calhddrales, Le cri d'unc irompctte aux Elevations; Aiglc etuurdi d'avoir crre sur lcs Hudsons, 44(1 oarmi 'cs grognements baveux des ours polaires; cnblime aventurier des espaces stellaires, Oil tu chasses I'odeur du crime pestilent; £ ioi, dont la clamour effare un continent £t doni lc souffle immense ebranle les etoiles; Toi qui dechircs les forCts comme des toiles; Vandalc et modcleur de sites dblouis Qui donnent des splendours d'astrcs a mon pays, Je chantcrai ton occur que nul ne veut comprendre. C'cst ioi qui dc blancheur cnvcloppcs la cendre, Pour que lc souvenir sinistre du charnier Ne s'avive en notrc fime. A venl calomnid! Ta force immarcessible ignore les tratlriscs: Tu n'as pas la langucur encrvante des brises Qui nous viennent, avec la fievre, d'Orient, Et qui nous voicnt mourir par eJle, en souriant; Tu n'cs pas le cyclone enorme des Tropiques. Qui mele a 1'eati des puits des vagues d'Atlantiques, El dont le souffle rauque est issu des volcans; Comme lc siroco, ce batard d'ouragans, Qui vient on ne sail d'oii, qui so perd dans l'cspacc, Tu n'cnsanglantcs pas les abords dc ta trace; Tu n'as jamais besoin, comme lc vent d'ete, Dc scntir le lonnerre cn laisse a ion cotd, Pour aboyer la foudre, en clamant ta venue. O vent cpique, peinlre inoui de la nue, Lorsquo tu dois venir, tu jcttcs sur les cieux, Au-dcssus des sommets du nord vertigineux, Lc signe avant-coureur de ton ame loyale: Un eblouissemenl d'aurore boreale. Et tu nous viens alors. Malheur au voyageur Qui n'a pas entendu I'appcl averlisseur! Car lot, qui dois passer pour assainir le monde, Tu ne peux ralcntir ta marchc une scconde: Ton bras-cohorte ctreini I'inforlund marchcur; Mais, tandis que lc sang SC figc dans son ceeur, Tu rclrccis pour lui lcs plaincs infinies; Tu rcpcles sans fin pour lui los symphonies Qui montcnt dc I'abimc arctiquc vers les cieux; Tu places le mirage allcgrc dans scs yeux: Ii voit le feu de camp oil le cedre s'embrase Ei la morl vieni sur lui comme vient une extase. Dcmain, sur le verglas scintillant d'un ciel clair, La gloire d'une thoilc envahira sa chair. Non, tu n'es pas, 6 vent du nord, un vent iniame: Tu vis, et comme nous, lu posscdes une áme. Comme un parium dc rose au temps du rosier vert, Tu dispenses l'amour durant les mois d'hiver. Car il vibre en ta voix un tel frisson de peine, Que Tesprit faiblc oublic, en l'ecoutant, sa haine, Et durant ces longs mois ou 1c jour est trop court, Ouand tu chanlcs, ton chant fait s'elargir Pamour. II redit la douleur indistincte des choses Qui souffrent sous des cieux également moroses. Nul micux que toi ne sail Phorrcur de róder seul Ou séparé de ceux qu'on aime; le linccul Étendu par la glace entre lc ciel et l'onde Et le suaire épais des nciges sur le monde, Lcs oris de désespoir dc PArclique, Pappel Pousse par la forét que torture le gel, Po ute la nostalgie éparse de la terre Pour le soleil, pour la chaleur, pour la lumiěrc, Pour Pcau, pour les ébats folátres des troupeaux, Et Ion désir, jamais assouvi dc rcpos, Tout cela dans ton chant soupire et sc lamentc, Avec un tel émoi ďespérancc dčmente, Que nul n'en pcut saisir toute la profondeur Sans que sa vanilé n'en l'remissc d'horrcur. Sans toi, Pamour disparaitrait durant ces heurcs Oil Phiver nous retienl cloitrés dans les demeures. Lc tete-á-téte pěse et devient obsédant S'il ne plane sur lui quelquc čpouvantement. Sans toi. Pamant serait bientót las de Pamante; Mais quand ta grande voix gronde dans la tourmente, La pcur unit lcs corps, I'cft'roi chasse 1'ennui, Le cceur sent la pi tie chaudc descendrc en lui, L'epaule ingénument recherche une autre épaule, La main transie, avee douceur, se (end ct frůle Une autre main, la chair est un ravissemcnt; La mere sur son sein rechauffe son enfant, Et les époux, qu'avaienl endurcis les annčes, Ont reirouvé soudain leurs caresses fanées. Lc lit trislc s'emplil des capileux parfums Que répandaicnl jadis les fleurs des soirs défunts; Le nuage dc Pheure anciennc se dissipc; Et dans Pclreintc ardentc oil Panic participe, Comme le corps, parfois s'increc un rédempteur. Ah! si Pon tc maudit, ó vent libérateur. Qui chasses loin dc nous la minute obsddanle, C'est qu'un ddsir secret dc vengeance nous hante, Et ce qu'on hait en toi, c'est le pardon qui vient. Comme un vase impr£gne des liqueurs qu'il contient, 6 vent, donl j'aspirai souvent la violence, Durant les jours fougueux dc mon adolescence, Jc sens que, dans mon corps tordu dc passions, Tu te meles au sang des generations! Car mes aicux, au cours dc lutles scculaircs, Subirent tant dc fois les coups dc (es lanicres, Que ta rage puissante en penctra leurs sens: Nous sommes devenus frcres depuis longtemps! Car, de lcs voir toujours deboul devant la face, Tu compris qu'ils ctaient des createurs de race, Et par une magic ctrange, tu donnas La vigueur de ton souffle aux muscles dc leurs bras! Le double acharnement se poursuil dans mes vcines, Et quand jc suis courbe" sur quelques laches vaines, 6 vent, qui te pretas tant de fois a mes jeux Que resonnc en mon cteur ton appel orageux, Je liens aulant dc toi que d'eux ma violence, Ma haine de Pobstacle el ma peur du silence, El, malgre tous les ans dont je me sens vieillir, De prefercr encor I'espoir au souvenir! H«31as! la Ville a mis entre nous deux ses briqucs, El je ne comprends plus aussi bien tcs cantiques, Depuis que j'en subis le lachc apaisement. L'effroi de la douleur s'infiltre lcnlement, Chaque jour, dans ma chair dc mollessc envahie, Telle, cnlre les paves, la flcur s'emplil de suie. Jc sens des lachctcs qui me rongent les nerfs, Et ne retrouve plus qu'un charme dc vieux airs A tcls mots gloricux qui m'insufflaient des fievres; Un sourirc sceptiquc a retrcci mes levres, El je crains, quclquefois, qu'en m'eveillant, demain, Je ne scntc mon coeur devenu trop humain! 6 veni, cmporte-moi vers la grande Avcnture. Je veux boire la force flprc dc la Nature, Loin, par dcla Pcnccrclement des hori/ons Que souillc la fumce ctroite des maisons! Je veux aller dormir parmi les cimes blanches, Sur un lit dc frimas, de vcrglas et de branches, 442 Berce par la rumeur de ta voix en courroux, Et par le hurlement famelique des loups! Le froid et le sommeil qui cloront mes paupieres Me donncront 1'aspcct immuable dcs pierres! 0 rodeur immortel qui vas depuis le temps, Je ne subirai plus I'horrcur ni les tourments De Fame enclose au sein d'un moule p£rissable; J'oublierai que ma vie est moins qu'un grain de sable Au sablier des ans chus dans l'Eiernite! Et quand viendront sur moi les vagues de clarte Que l'aubc brusquement roulcra sur mon glte, Je secouerai 1'amas de neige qui m'abrite; Debout, je humerai ['atmosphere des monts, Pour que sa force netie emplisse mes poumons, El, cambrc sur le ciel que l'aurore incendie, Je laisserai ma voix, commc ta poudrerie, Descendre sur la plaine en rauques lourbillons, Envelopper 1'essaim macule" des maisons, Afin que, dominant le bruit de son blaspheme, Je clame au monde veule, 6 mon Vent, que je t'aime! Ma patrie Mon trisaieul, coureur dcs bois, Vit une sauvagesse, un soir. Tous deux 6laicnt d'un sang qui n'aimc qu'une fois; El ceux qui sonl nes d'clle onl jusqu'au desespoir L'horrcur dc la consignc et le mepris des lois. lis ont aussi les muscles plats, L'insouciance du danger, Le gout du ton criard et de fougueux ebats. Leur fils, parmi les Blancs velus et graves, j'ai Lc teint huileux, la barbe rare et le front bas. Et par les soirs silencieux, Quand je parais allcr, rcvant De chimeres, d'aventures sous d'aulrcs cicux, J'ecouic en moi rugir la voix d'un continent Que dans la nuil des temps habitaient mes aieux. * * * 144 I Ah! vous ne savez pas cc qu'est une patrie! Pour vous tous, immigr6s, e'est une allegorie, Un theme a lieux communs facile a mettre en vers; Votre patrie a vous est au del a des mers! Ce n'est pas un sejour de trois siecles a peine, Mfime miraculeux, qui fait qu'une ame humaine S'identifie a l'air et s'incorporc au sol! Vous dites: ma patrie, et songezil Paimpol, Aux pres dc Normandie et de l'ile-de-France, Aux detours sinueux du Rhcine ou de la Ranee, Aux reflets de la mer a Capo di Mele, Au cri des debardeurs de Marseille, mel£ Au bruit que fail le vent dans les oliviers torses; En reve, vous voyez luire au soleil les torses Des portefaix d'Honfleur, de Cette ou de Toulon Votre desir est de marcher, un soir, au long Des champs que voire anedtre ensemen$ait d'epeautre Ou de meteil... Et mon pays scrait le v6tre? Oh non, mille fois non! Voyageurs inconstants, Comprendrez-vous un jour qu'il faut des milliers d'ans De souffrancc, de deuils, d'espfirance et de joie, Subis sous un ciel toujours meme, pour qu'on voie, Dans le premier rayon du soleil matinal, L'eclatante bcaute dc T horizon natal? Que ce n'est trois cents ans de risiblcs brimades Qui font une patrie a des peuples nomades, Mais que, depuis des lemps dont nul ne sc souvient, II faut que des aieux, sous le mal quotidien, Aient blaspheme d'horreur vers des dieux impassibles; Qu'il faut avoir etc tour a tour traits et cibles; Qu'il faut avoir subi la morsure du froid, Avoir dormi, d'un ceil ouvert, avec l'effroi D'un coup de tomahawk ou de griffe au visage; Qu'il faut avoir, comme les miens, connu l'outrage De tous les elements sur l'homme dechaines El les railler, sachanl que nos chairs sonl nees D'autres chelifs humains qui lulteronl encore; Qu'il faut avoir souvenl, sur un tertre sonore, Appuye son orcille inquicle, et pertju, Parmi les bruits crrants a fleur du so] moussu, Le roulcment que fait dans le lointain la harde