Nous voulons que ces deux elements conservent les traits caracteristiques de leur race, leurs traditions, leur languc, leur littérature et toutes leurs aspirations compatibles avec 1'unite morale et politique de la nation canadien ne. Nous voulons que les uns deviennenl plus Canadiens que Francois et les autres plus Canadiens qu'Anglais. Que chacun de ces groupes empruntc a sa patrie d'originc les idées, les progres et 1es développements nécessaires a la conservation de son patrimotne particulier, inlellectucl ou moral, fort bien; mais il faut aussi que chacun de ces groupes ait assez de patriotisme, ď intelligence et de generositě pour subordonner ses goůts ou ses préjugés parti-culiers aux exigences de 1'unite nalionale. En ďaulres termes, nous combattons égalemenl le colonialisms franka is, dans le domaine des idées, et le colomattsme anglais dans le domaine de la politique el des faits; nous voulons que Tun et I'autre fassent place a un nationalisme canadien, a la fois anglais et francais, neltement distinct dans les elements propres aux deux races ct á leur génie particulier, mais harmo-nieusement uni dans la recherche u'un ideal commun, fait des traditions cana-diennes, enraciné dans le sol canadien et n'ayanl ď autre objel que la grandeur morale et matčrielle de la patric canadienne. m EMILE NELLIGAN (18,69-1941) Comment, apres Louis Dnntin qui prefaca ct r£alisa la premiere edition des poemes dc Nelligari en 1903, Gerard Bessette (Les Images en poesie canadienne-francaise, Montreal, Beauchemin, 1960), Paul Wyczynski (£mikNelligan, Montreal, Fides, 1967) et lant d'autres, presenter l'auleur du Vaisseau d'or et de La Romance du vin? Ne l'annee de la mort de Crfimazte, ce « pofitc maud it » ne vecut vraiment que de 1896 a 1899, en ces trois armies de lecture (les pontes symbolistes et decadents), de fratcrnite (il est admis en 1897 au sein de 1'Ecole litteVaire de Montreal) et de creation, aprSs quoi la folic, appel£e par lui, le foudroya. II n'Scrivit gudre plus jusqu'il sa morl, a 1'hSpilal Saint-Jean-de-Dieu. Cel Gph6m£re illumine se consuma h sa propre flamme. Mais void des fragments de sa vraie vie, de sa biographie d'artiste, tires de sea Poesies computes, 1896-1899 (Montreal, Fides, coll. du « Nenuphar », 1952), fiditces avec soin par Luc Lacourci&re et comprenarti vingt-quatre pofcmes poslhumes et trente-cinq pieces retrouv^es qui ne figuraient pas dans 1'edition DantiiL En un jardin sonore, au soupir des fontaines, Ellc a ve"cu dans les soirs doux, dans les odeurs; Ma pensee est couleur de lumieres lointaines, Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs. Ellc court a jamais les blanches prelenlaines, Au pays angelique oil montent ses ardeurs, Et, loin de la matiere et des brutes laideurs, Elle reVe l'essor aux celestes Athenes, Ma pensee est couleur dc lunes d'or lointaines. Mori ame Mon 3me a ia candeur d'une chose eloilce, D'une neigc de fevrier... Ah! retournons au seuil de I'Enfance en allee, Viens-t-cn prier... Ma chere, joins tes doigts et pleure et reve ct prie, Comme tu faisais autrefois Lorsqu'en ma chambre, aux soirs, vers la Vierge fleurie Montait ta voix. Ah! la fatal he1 d'etre une ame candide En ce monde menleur, flfilri, blase, pcrvers, D'avoir une Sme ainsi qu'une neige aux hi vers Que jamais ne souilla la voluplc' sordide! D'avoir Tame parcille S dc la mousseline Que manie une sceur novice de couvent, Ou comme un Juth empli des musiques du vent Qui chante et qui fremit le soir sur la colline! D'avoir une Sme douce et mystiqucmcnl tendre, Et cependant, toujours, dc tons les maux souffrir, Dans le regret de vivre et 1'cffroi de mourir, Et d'esperer, de croire.,. et de toujours attendre! Clair de lune intellectuel Ma pensée est couleur dc lumieres lointaines, Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs. Elle a l'eclal parfois des subtiles verdeurs D'un golfe oú le soleil abaisse ses anlennes. Le Vaisseau d'or Ce fut un grand Vaisseau taille dans For massif: Ses mats touchaienl I'azur, sur des mcrs inconnues, La Cyprinc ďamour, cheveux cpars, chairs nues, S'etalait á sa proue, au soleil excessif. 50 Mais il vtnt une nuil frapper le grand ecueil Dans FOcean trompeur oü chantait la Sirene, Et le naufrage horrible inclina sa carene Aux profondeurs du Goufire, immuable cercueü. Cc ful un Vaisseau d'Or, dont Jes flancs diaphanes Rev61aient des tremors que les marins profanes, Degoül, Haine et Nevrose, entre eux onl dispute's. Que reste-t-il de lui dans la lempete breve? Qu'est devenu mon coeur, navire d6serte7 H61as! II a sombre dans FabTme du ReVe! Le jardin d'antan Rien n'est plus doux aussi que de s'en revenir Comme apres de longs ans d'absence, Que de s'en revenir Par le chemin du souvenir Flcuri de lys d'innocence, Au jardin de l'Erifance. Au jardin clos, scelle, dans le jardin muet D'oii s'enfuirent les gaielcs Tranches, Notre jardin muet Et la danse du menuet Qu'autrefois menaicnt sous branches Nos sccurs en robes blanches. Aux soirs d'Avrils anciens, jetant des cris joyeux Entremeles de rilournelles, Avec des lieds joyeux Elles passaient, la gloire aux yeux, Sous le frisson des tonnelles, Comme en les villanelles Cepcndant que venaicnt, du fond de la villa, Des accords de guitare ancienne, De la vieille villa, Et qui faisaient deviner la Pres d'une obscure persienne, Quelque musicienne. Mais rien n'est plus amer que de penser aussi A tant de choses ruinöes! Ah! de penser aussi, Lorsque nous revenons ainsi Par des sentes de fleurs fanees, Ä nos jcunes annees. Lorsque nous nous sentons nevroses et vieillis, Froisses, mallraites et sans armes, Moroses et vieillis, Et que, surnageant aux oublis, S'eternise avec ses Charmes Notre jcunesse en larmes! Reve d'artiste Parfois j'ai le de"sir d'une seeur bonnc et tendre D'une sceur ang&ique au sourire discret: Soeur qui m'enseignera doucement le secret De prier comme il laut, d'esperer et d'attendre. J'ai ce desir tres pur d'une sceur cternclle, D'une sceur d'amitic dans le regne de FAn, Qui me saura veillani ä ma lampe tres tard Et qui me couvrira des cieux de sa prunelle; Qui me prendra les mains quelquefois dans les siennes Et me chucholera d'immacules conseils, Avec le charme ail^ des voix musiciennes; Et pour qui je ferai, si j'aborde ä la gloire, Fleurir toui un jardin de lys et de soleils Dans Fazur d'un poeme offen ä sa mdmoire. Chapelle de la morte La chapelle ancienne est fermée, El je refoule ä pas diserets Les dalles sonnanl les regrets De toute une ere parfumée. Et je ťévoquc, ô bien-aimée! Epris de mystiques attraits: La chapelle assume les traits De ton áme qu'elle a humée. >2 S3 Ton corps neurit dans I'autcl seul, El la nef triste est le linceul De gloire qui te vet entiere; El dans le vilrail, les grands yeux M'illuminent ce cimeliere Dc doux cierges mysterieux. Soir d'hiver Ah! comme la neige a neige! Ma vitre est un jardin de givre. Ah! comme la neige a neige! Qu'esl-ce que le spasmc de vivre Ä la douleur que j'ai, que j'ai! Tous les dtangs gisenl geles, Mon äme est noire: Oü vis-je? ou vais-je? Tous ses espoirs gisent gelds: Je suis la nouvelle Norvege D'oü les blonds ciels s'en sont alles. Pleurez, oiseaux de fevrier, Au sinistre frisson des choses, Pleurez, oiseaux de fevrier, Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses, Aux branches du genevrier. Ah! comme la neige a ncigd! Ma vitre est un jardin dc givre. Ah! comme la neige a neig6! Qu'est-ce que le spasme de vivre Ä tout 1'ennui que j'ai, que j'ai!.. Le salon La poussiere s'etend sur tout le mobilier, Les miroirs de Venise ont défleuri leur charme; II y röde comme un trěs vicux parfum de Parme, La funěbre douceur d'un sachet familier. Plus jamais ne rčsonnc ä travers le silence Le chant du piano dans des rythmes berceurs, Mendelssohn ct Mozart, marinní leurs douceurs, Ne s'enlcndenl qu'en rdve aux soirs dc somnolence. Mais le poete, errant sous son massif ennui, Ouvrant chaque fenetre aux clangs de la nuit, Et sc crispant les mains, hagard et solitaire, Imagine soudain, hante par des remords, Un grand bal solennel tournant dans le mystere, Oil scs yeux ont cru voir danser les parents morts. Chopin Fais, au blanc frisson de tes doigts, Gemir encore, 6 ma mafiresse! Cette marche dont la caresse Jadis extasia les rois. Sous les lustres aux prismes froids, Donne a ce cceur sa morne ivresse, Aux soirs de funebre paresse Coulds dans ton boudoir hongrois. Que ton piano vibre et pleure, Et que j'oublie avec loi I'heure Dans un Eden, on ne sait ou... Oh! fais un peu que je comprenne Cette ame aux sons noirs qui m'entrafne Et m'a rendu malade et fou! Automne Comme la lande est riche aux heures empourprees, Quand les cadrans du ciel ont sonnd les vesprees! Quels longs effeuillemenls d'angelus par les chenes! Quels suaves appels des chapelles prochaines! La-bas, groupes mcuglants de grands bceufs aux yeux glauques Vont mends par des gars aux bruyants soliloques. La poussiere deferle en avalanches grises Pleines du chaud relent des vignes et des brises. Un silence a plu dans les solitudes proches: Des Sylphes ont cueilli le parfum morl des cloches. Quelle mdlancolie! Octobrc, octobre en voie! Watteau! que je vous aimc, Aulran, Ö Millevoye! 54 55