Exposé Psychosociologie Sujet : Les mutations des pratiques alimentaires, Le décalage entre normes et pratiques Introduction Le grand public s’en alarme, les médias s’en font l'écho : les pratiques alimentaires des Français connaissent de profondes mutations. Ces changements sont vécus par le public, et parfois męme par le milieu médical, comme une dégradation d’un ordre alimentaire traditionnel et une transgression de normes et de valeurs sociales. Tout se passe comme si la régulation du comportement alimentaire était mise ŕ mal par les transformations de l’organisation sociale : travail féminin, pratique de la journée continue, mode d’urbanisation, nouvelle répartition des tâches entre les sexes, industrialisation de la sphčre alimentaire ou encore baisse de la part de l’alimentation dans le budget des ménages au proft des activités de loisirs. 1. Les normes alimentaires Les normes relatives aux repas sont trčs précises sur la composition du repas – qui doit comprendre une entrée, un plat garni et un fromage ou un dessert- et érigent le « grignotage » en interdit absolu. • En France, le repas est considéré comme un moment privilégié qui se prend en famille. Il est l’occasion de se retrouver pour discuter. Il est donc a l’inverse d’autres pays ou les repas ne sont pas considérés comme ayant une valeur familiale. Dans un certain sens, le repas familial est devenu une sorte de symbole de la famille, et chaque génération semble avoir regretté l’abandon de cette tradition. Déjŕ dans les années 1920, des inquiétudes ont été formulées quant aux conséquences des activités de loisirs et de la popularité de l’automobile sur l’importance des repas en famille! Ann Murcott a suggéré que l’idéal ŕ cet égard se rapproche le plus du mode de vie des familles de classe moyenne (tout comme au tout début), et que c’est ce groupe qui est le plus préoccupé par l’abandon perçu de cet aspect de la vie familiale. Le repas en famille représente la stabilité en périodes de changements. La tristesse face ŕ l’abandon du repas familial pourrait au fond ętre une réaction au changement non souhaité ou déstabilisant des structures et des confgurations familiales. Le fait de manger ensemble joue une fonction d’intégration sociale. Cela rapproche les gens et tisse un réseau de liens sociaux et d’obligations réciproques entre eux. Moins le repas partagé devient courant, plus cette occasion d’intégration s’estompe. Alors, il n’est pas exagéré de dire que si les familles ne se réunissent pas pour prendre les repas, une importante trame de la vie familiale se défait. • norme diététique : ensemble de prescriptions étayées sur des connaissances scientifques nutritionnelles et diffusées par le milieu médical et ses relais. Elle décrit, en termes quantitatifs et qualitatifs, ce que devrait ętre un « bon repas », un « repas équilibré » et au-delŕ, En effet, la notion d’équilibre alimentaire dans le discours diététique contemporain tend ŕ ne plus s’appliquer seulement au repas mais ŕ l’organisation de la prise alimentaire (combinaison des repas et des prises hors repas) sur 24 heures, voire une semaine pour maintenir le mangeur dans un état de bonne santé. • norme sociale : renvoie ŕ un ensemble de conventions relatives ŕ la composition structurelle des prises alimentaires - repas et hors repas - et aux conditions et contextes de leur consommation. En France, la « norme sociale » de la structure du repas est une unité constituée de quatre catégories : o entrée, o plat garni, o fromage, o dessert. Une version simplifée est admise, qui comprend : entrée, plat garni, dessert. Elle se donne ŕ voir, par exemple, dans les menus des cantines scolaires ou les contrats passés entre une société de restauration collective et une entreprise ou une administration « cliente ». Dans ce type de document les rédacteurs, en défnissant la « prestation » qui doit ętre servie aux convives, précisent ce qui, pour cette collectivité, est considéré comme « le repas normal ». Elle est également lisible dans les plans de menus rédigés par les intendants de lycée, les diététiciennes des institutions de santé, les conseils diétético-culinaires des magazines féminins... Sur le plan individuel, la norme sociale peut ętre repérée ŕ travers la défnition d'un « vrai repas » donnée par un individu. Norme sociale et norme diététique s’infuencent mutuellement. • norme simplifée : repas sans entrée ou sans dessert, voire plat unique • norme traditionnelle : le repas complet 2. Les pratiques alimentaires • pratiques structurées-traditionnelles : application du repas complet Les nouvelles pratiques : • pratiques simplifées : application du repas sans entrée ou sans dessert, voire plat unique => simplifcation du repas de midi : La simplifcation des repas de midi est un phénomčne qui touche des habitants de Paris et des grandes villes de province. Elle concerne surtout les femmes, les employés et des cadres du secteur tertiaire ayant un mode de vie urbain. En revanche ni l’âge, ni le niveau de revenu ne sont corrélés ŕ cette pratique qui s’intensife lorsque la durée du trajet domicile-lieu de travail augmente. • l’augmentation de l’alimentation hors-repas : La “prise alimentaire hors repas” se défnit comme toute ingestion de produits solides ou liquides ayant une charge énergétique. La consommation d’un gâteau, d’un fruit, d’un jus de fruits ou encore d’un café sucré est comptabilisée comme prise alimentaire hors repas. La consommation d’un café ou d’un thé non sucré et ŕ plus forte raison d’eau, ne l’est pas. • la malbouffe : On peut trouver plusieurs explications a cette consommation excessive de Malbouffe par les étudiants : ▪ Elle constitue une façon rapide de s’alimenter, surtout lorsque les étudiants doivent jongler entre cours et repas. ▪ Elle est aussi une façon de s’alimenter ŕ un cout peu onéreux et permet un repas ‘abondant’. Beaucoup de jeune sont livrés a eux męme au moment du repas de midi. Ils s’orientent soit vers les fast food, ou se font eux męme ŕ manger, ce qui débouche sur des repas peu équilibrés. Pourcentage de jeunes qui disent consommer des gâteaux salés ou des boissons gazeuses au moins une fois par jour ou des aliments de type restauration rapide au moins une fois par semaine Primaire Secondaire 4e 6e I III IV Aliments consommés % % % % % Gâteaux Salés (1 fois ou plus par jour) 42 44 40 30 Boissons gazeuses (1 fois ou plus par jour) 34 43 38 33 Aliments de type restauration rapide (1 fois ou plus au cours des 7 derniers jours) 73 65 73 74 72 • manger sur le lieu de travail : la troisičme caractéristique de l’évolution récente des pratiques alimentaires est l’introduction de l’alimentation sur le lieu de travail : il ne s’agit pas ici du restaurant d’entreprise, mais du bureau luimęme. Cette tendance touche aussi bien le repas de midi que les prises alimentaires hors repas. Le repas au bureau se développe de façon plus intense dans le secteur tertiaire. Ces données générales pourraient cependant sous-évaluer le phénomčne, car dans l’analyse des journées précédant l’enquęte, plus de 15% de la population avait, la veille, pris le repas de midi au bureau. Touche avant tout des femmes (cadres et employées). Les raisons de cette nouvelle pratique : logique d’emploi du temps : on “gagne du temps”, on “prolonge une réunion” ou “une séance de travail”, on évite ainsi “de faire la queue” et les “pertes de temps en déplacements”. C’est donc une façon de réguler la charge de travail. En effet, la journée de travail pour une femme ayant des enfants est encadrée par deux impératifs horaires : l’heure d’arrivée et celle de départ, pour amener et récupérer les enfants ŕ l’école ou chez la nourrice. Les variations de la charge de travail se régulent alors sur le temps de repas. Pour les hommes, la durée du repas est plus constante, leur façon de réguler la charge de travail consistant ŕ faire varier les heures d’arrivée et surtout les heures de départ. Les prises alimentaires hors repas, pour 55% d’entre elles, sont consommées sur le lieu de travail. Il s’agit de boissons (café, thé, jus de fruits…), de biscuiterie et de fruits… Ces prises alimentaires, fortement socialisées, s’inscrivent dans les logiques de régulation informelle des relations professionnelles. Pour les populations actives, ce mode de consommation alimentaire hors repas contraste avec l’image du “grignoteur” compulsif. 3. Le décalage entre normes et pratiques Le premier paradoxe de la modernité alimentaire réside dans la contradiction entre les normes sociales intériorisées et les pratiques. o 62 % des personnes interrogées considčrent qu’un vrai repas se compose au moins d’une entrée, d’un plat garni et d’un dessert, o 53 % d’entre eux respectent cette norme ŕ midi o et 39 % la respectent seulement le soir. o 80,8 % des répondants juge que manger entre les repas « peut poser un problčme » o 28,5% que cela « mérite examen » o 52,3% que cela est « nettement mauvais » o 74,6 % d’entre eux reconnaissent qu'ils leur arrivent de manger entre les repas. o 22,8 % seulement se conforment strictement aux trois repas par jour o 41,2 % reconnaissent prendre 5 prises alimentaires quotidiennes et plus. Émerge ici un phénomčne de dissonance entre les normes (sociales et/ou diététiques) intériorisées et les pratiques réelles. Une analyse conduite sur deux repas de midi mis en relation avec la « norme individuelle » fait apparaître différents types comportementaux, qu’il est possible de positionner sur un graphe ŕ deux axes : On distingue des comportements cohérents, pour lesquels les pratiques sont conformes ŕ la norme exprimée. Ils représentent globalement 53 % de l’échantillon, mais cette cohérence se manifeste de deux maničres : une cohérence traditionnelle (32 %) une cohérence « nouvelle » (21 %) les individus expriment une norme traditionnelle (le repas complet) et la respectent dans leurs pratiques quotidiennes. Les variables corrélées sont : o le lieu de résidence (ruraux et villes moyennes), o la catégorie professionnelle (ouvriers et professions intermédiaires) o et le sexe (dominante masculine), Ici, les mangeurs se réfčrent ŕ une norme « simplifée » (repas sans entrée ou sans dessert, voire plat unique) et les repas consommés prennent effectivement cette forme. Ce comportement est ŕ dominante féminine, plus fréquent chez les employés et les cadres et trčs fortement lié ŕ l’urbanisation (sur-représentation des résidents de Paris et de sa région), enfn, elle concerne plus systématiquement des individus jeunes. Le processus de mutation : « Les nouveaux comportements », avec cohérence entre pratiques et normes, sont mis en oeuvre par des groupes sociaux en développement numérique (urbains, employés et cadres du secteur tertiaire), alors que les comportements traditionnels renvoient ŕ des catégories sociales en régression. Cependant, un nombre important d’individus (38 %) atteste d’un décalage entre les pratiques et les normes exprimées. La dissonance, toutes normes confondues, augmente avec l’urbanisation. Deux formes principales peuvent ętre repérées : « norme traditionnelle pratiques simplifées » (17 %) « norme simplifée pratiques traditionnelles » (21 %) La norme est traditionnelle, mais les repas sont incomplets avec plus ou moins de stabilité. Tout en conservant des références traditionnelles, l’individu a opéré, dans ses pratiques, une mutation de type adaptatif. Légčre sur-représentation masculine L’individu a intériorisé l’idée de la simplifcation des repas, mais les pratiques alimentaires conservent des repas complets. Ce comportement est trčs majoritairement féminin. Il atteste de la concurrence entre le rôle de la femme dans la transmission des valeurs qui s’articulent sur le repas et le modčle d’esthétique corporelle de minceur qui impose une limitation de la prise alimentaire. Conclusion La simplifcation des repas des Français se caractérise souvent par la suppression des entrées ou des desserts, le repas se limitant au plat garni. On aboutit ainsi ŕ une réduction des apports en crudités et en fruits, au proft de prises alimentaires hors repas (barres chocolatées ou céréaličres, confseries et viennoiseries). Compte tenu des conséquences qualitatives de ces mutations de la prise alimentaire sur l’apport nutritionnel, certains nutritionnistes ou les médias qui les relayent sont tentés de condamner les “nouvelles pratiques alimentaires”. Le discours sur la nécessité de restaurer les bonnes habitudes (trois repas structurés par jour et pas de prise alimentaire entre les repas) et de rééduquer le consommateur moderne en est la conséquence. L’origine des éventuels déséquilibres qualitatifs de l’alimentation contemporaine des Français réside-t-elle dans le fractionnement de la prise alimentaire ou dans la nature des aliments consommés ?