Introduction 5 «Tetude sur les litteraBUW. qu"U s'agisse de •B^urs europecnnes ou ••es de regions exter an illusoire consensus : de rappeler les fcs choix methodocertains departe'ioniale s'est heurn r d a un soupcon assez 4onialisme etant .1 souvent ete pondre ä l'auto- Po>i-» peut en dire ce qui n'est • ce qui advient. riecolonial4 ». ~ — i * une provisoire ssmtcniralisme {The ) Murphy observe riuta Parry sont en i - deconstruction » K i a n a m francophone et . Voir Neil Lazarus, U P . 1999; Benita K M : Homi K . BhaSfasak In Other Worlds, nt I'appropriation KT bra a nor forme inedite de s Chine des theories ^•r Patrick Corcoran, «il est B a i t que le suppot he de la rcalite : leconstruire les • p n e mutation de par le . Fmncoplione Posto:ion», Studies in the En outre, le transfert des critiques postcoloniales anglophones aux lettres francophones (ainsi qu'hispanophones et lusophones) est malaise. Comme Fa releve A.James Arnold a propos des Garaibes', les theories postcoloniales - a leur debut - rendent compte de la colonisation britannique de l'lnde, de l'Afrique ou du ProcheOrient. Or, les Francais ont pratique une politique d'assimilation culturelle des elites coloniales inconnue des Britanniques. Par ailleurs, les Antilles franchises ou le Canada etaient des colonies d'implantation tres differentes du modele indien britannique ou des colonies francaises en Afrique. L'exemple de la plantation des Antilles, microcosme assez autonome des le XVHle siecle, montrc qu'il vaut parfois mieux developper des modeles regionaux que des modeles globaux pour comprendre les enjeux et les effets de la litterature dans les contextes coloniaux et postcoloniaux. Cette « denationalisation » des textes critiques (Pierre Bourdieu) peut toutcfois s'averer utile. Si elles perclent une partie de leur force politique en quittant leur contexte originel, les «theories voyageuses» (Edward Said) peuvent y gagner une puissance nouvelle, grace a des decalages feconds entre champs d'origine et d'accueil. La francophonie L'une des difficultes majeures tient au fait que la critique postcoloniale rencontre cette institution politique, linguistique et litteraire qu'est la francophonie. Fondamentalement2 , le terme 1. A. J. Arnold, « Francophone postcolonial studies », Francophone Foskolonial Studies, 1-2, Autumn/Winter 2003, p. 7 sq. 2. Lc terme «francophone», adjectif et substantif, est atteste en' 1880, dans l'ouvragc du geographe Onesime Reclus, France, Algerie et colonies. II signifie alors: « qui parle francais» et designe les habitants de langue francaise d'entites naiionales ou regionales ou le francais n'est pas langue unique. Le mot entre dans le dictionnaire en 1930 (Supplement au Larousse du .V.x* siecle), mais demeure peu utilise. II ne devient plus courant qu'apres la Seconde Guerre mondiale. Le substantif «francophonie» en est derive., il est atteste lui aussi en 1880, chez Reclus, et designe un ensemble ou une partic du mondc francophone {par exemple, la francophonie Suisse). II est rarement utilise avant 1962, lorsque la revue Esprit consacre un numero au « Francais langue vivan te » qui s'interessc a la francophonie. Ise de ségrégaraciste» (Palms i de relegation des -.twee, 2-2005, em Paul Aron ct irrcheur de faire une o n du programme dont la : | B mnbolique, et ensuite, «an-je?»>, 2005, p. 66liitéraire a pu W ttmác. Sur les rccherches : . roissanl de la • •>. D. Alexandre, ~ recherche doctorale en 2004, p. 123-142. • de l'lmaginaire: ^JSfrancaise, Paris, • .iuteurs d'exprcsL a separation litterature frangaise/litteratures francophones peut uniquement se justifier au plan de la recherche, oü une analyse serree impose de center les specificites de l'objct d'etude, encore faut-il preciser de quel ensemble francophone Fon traite. II conviendrait d'aboutir ä une conception des lettres francophones qui ne soit ni le bloc des «litteratures francaises hors de France », ni Tunanintite, fallacieuse et politiquement ambigue, d'une « communaute de locuteurs». Cela suppose d'accepter ce fait tres simple que la France est aussi un pays francophone. Des lors, «integrer les etudes francophones dans l'histoire de la litterature francaise, ou "francophoniser" celle-ci, permet de depasser les relents nationalistes de l'histoire litteraire1 ». Les «litteratures francophones» apparaissent ainsi plutot comme un corpus ä construire et analyser, appelant notamment des connaissances sociologiques, ethnologiques et linguistiques frequentmcnt negligees2 . La francophonie peut etre consideree comme un espace virtuel situe ä l'intersection de plusieurs espaces singuliers11 : la perspective postcoloniale dessine l'un d'eux, dont la particularite par rapport ä ses homologues (linguistique, geographique et humain, politiqueeconomique-strategique, culturel, neo-colonial) est qu'il peut pretendre ä une homogeneite associant histoire ct litterature. D n'est pas question de decouvrir une miraculeuse unite entre les ceu\Tes abordees: on n'expliquera pas l'emergence d'ecritures francophones en Haiti de la meme facon qu'au Maghreb. Le critique postcolonial ne confond pas les aspirations precises et durables de la Negritude avec la creation isolee du Vietnamicn Pham V a n K y ou sion francaise comptent aujourd'hui parmi les pins lus dans le mondc, tels Tahar Ben Jelloun, Aime Cesaire, Patrick Chamoiseau, Mohamed Dib, Edouard Glissant, Kateb Yacine ou Amin Maalouf. 1. P. Aron, A. Viala, I.'Emeignenient litteraire. op. at., p. 117. O n pourrait alors parier, a\'ec Roger Little, de « francographie », c'est-ä-dire de lout ce qui s'ecrit en francais, de quelquc origine geographique que ce soit, et auquel la langue francaise donne pourtant acces. 2. Voir Michel Beniamino, Lise Gamin (dir.), Vocabulaire da etudes ßancophones. Ijts concepts de base, Limoges, PUL1M, 2005 ; J . Riesz (dir.), Frankophone Literaturen außerhalb Europas, Bayreuther Beiträge zur Literaturwissenschaft, Francfort/Main, Peter Lang, 1985. Sur l'cnseignemcnt francophone en France, voir Daniel Delas, « Francophone literary studies in France: Analyses and reflections », Tale French Studies, 103, 2003, p. 43-52. 3. Sur une approche theorique des lettres francophones, voir M . Beniamino, La Francophonie litteraire. Essaipour une theorie, Paris, L'Harmattan, 1999. 10 Littératures francophones el théoiie postcohniak celle de la Canaque Dewe Gorode1 . II ne rapporte pas la voix d'un Kateb Yacine ct celle d'un Gaston Miron a des conditions d'enonciation semblables, mats il peut aider a degager des preoccupations similaires d'inspiration et de style en dessinant un espace commun a certaines litteratures francophones, comme, du reste, a d'autres litteratures en langues europeennes. Critique, histoire, théorie postcoloniales Je parlerai de « postcolonial» au sens ou Terry Eagleton écrit que nous sommes des « Post-Romantics»: les produits dc cette epoque plutot que des successeurs nettement séparés d'elle2 . II s'agit moins de presenter un concept historique3 - pas plus arbitraire aprěs tout, que la traditionnelle périodisation par siěcles qui structure les recherches littéraires en France - qu'une perspective sur la littérature renvoyant aux lettres naissant dans un contexte marqué par la colonisation. « Post-colonial» designe done le fait d'etre postérieur á la periodě coloniale, tandis que « postcolonial» se réfěre á des pratiques de lecture et ďécriture intéressées par les phénoměnes de domination, et plus particuliěrement par les strategies de mise en evidence, ďanalyse et ďesquive du foncrionnement binaire des ideologies imperialistes4 . Une situation ďécriture, avec ses presupposes et 1. Pham V a n K y , Celui qui rěgiera, Paris. Grasset, 1954; Dewé Go'rodě, Sous les Cetidres des conques, Noumea, Edipop, 1985. 1: T . Eaglelun, Literáty Theory. An Introduction, Oxford. Basil Blackwell, 1983, p. 18. Le texte original est: « Being products of that epoch rather than confidently posterior to it». 3. Dans lc domaine francophone, Bernard Mouralis l'utilise en ce sens, děs 1984, évoquant la «civilisation post-coloniale » {Utttmture d deneloppemait, Paris, S i l c x / A C C T , 1984, p. 43). 4. Y compris durant la periodě coloniale. Entendre «postcolonial» dans un sens exclusivement chronologique consisterait á prendre pour reference un ensemble dc phénoměnes politiques intemalionaux, sur la base (le plus souvent) d'unc communauté linguistiquc. L'opposition binaire colonial/poslcolonial ferait alors du colonialisme lc marqueur determinant dc fliistoirc. Kile těrait retomber l'analysc dans le schema linéairc occidental, marqué par la ideologic du « progres » et de la « civilisation ». En outre, une acception purement chronologique nc rend pas compte dc certains njeux postcoloniaux cardinaux, pour les femmcs notamment, pour qui la tin de la Introduction 11 ses options formeUes, est envisagee, et non plus seulement une incolore position sur l'axe du temps'. Comme l'ecrivent Bill Ashcrof't, Gareth Griffiths et Helen Tiffin: Ce que ces litteratures out cn commuii au-dela des specificites regionaks, est d'avoir emerge dans leur forme prdsente de ['experience de la colonisation et de s'etrc affirmees en mettant 1'accent sur la tension avec le pouvoir colonial, et en insistant sur leurs differences par rapport aux assertions du centre imperial". Des modes d'ecriture sont consideres qui sont d'abord polemiques a regard de l'ordre colonial avant de se caracteriser par le deplacement, la transgression, le jeu, la deconstruction des codes europeens tels qu'ils ont voulu s'affirmer dans la culture concernee3 . Dans l'ensemble des ecrits postcoloniaux, je distingue critique, histoire et theorie litteraire, selon le decoupage presente par Antoine Compagnon. L a critique est « un discours sur les ceuvres litteraires qui met l'accent sur l'experience de la lecture, qui decrit, intcqarete, evalue le sens et Teffet que les ceuvres ont sur les (bons) lecteurs, mais sur des lecteurs qui ne sont pas necessairement savants ni professionncls ». Elle apprecie, juge, precede par sympathie (ou antipathie) selon une demarche intrinseque visant a evaluer le texte. L'histoire litteraire insiste, elle, «sur des facteurs exterieurs a l'experience de la lecture, par exemple sur la conception ou la transmission des ceuvres, ou sur d'autres elements qui en general n'interessent pas le non-specialiste ». Sa demarche extrinseque vise a expliquer le texte. Quant a la theorie de la litterature, colonisation n'a pas souvent etc 1'avenement de ['emancipation, ou pour les auteurs qui combattaient le eolonialisme et avaient deja rejete ses categories, alors que leur pays etait encore sous la tutelle coloniale. Voir le Scnghor des Chants d'ombre (1945) ou des Ethiopiques (1956). Pour certains critiques enfin, le concept chronologique pourrait masquer dc ses accents optimistes le neocolonialisme de Fepoque actuclle. 1. L a titteraturc hai'uenuc est ainsi post-colonialc des 1804, mais des essayistcs comme Antenor Firmiri ct LoLiis-Joseph Janvier ou un ecrivain comme Coriolan Ardouin adherent au dogme fondateur dc l'expansion coloniale. la supcrioritc de la civilisation curopfenne et les partages symboliques qu'il engage. Ce qui irempechera d'aillcurs pas la critique postcoloniale de s'interesser a eux comme representaiits d'ideologies typiques de leur epoque. 2. B. Ashcroft, G . Griffiths, H . Tiffin, The Empire Utiles Back. Ttieory and Practice m Past-Colonial Literatures, Londres, Routledge, 1989, p. 3. 3. Le postcolonialisme rencontre plus generalement les systemcs de domination et croise ainsi souvent les etudes feminities, voir Elleke Boehmer, Stories of 11 omen. Gender and.Narrative in the Poslcolonial .Nation, Manchester U P , 2005. 12 Littératuresfrancophones et théorie postcohniale elle demande que les presupposes des affirmations de la critique et de Phistoire soient rendus explicites. Protestant contre 1'implicite, elle est « u n point de vue métacritique visant á interroger, questionner les presupposes de toutes les pratiques critiques (au sens large)'». La théorie est l'alpha et 1'oméga du postcolonialisme au sens oú il commence par designer les presupposes ethnocentriques de la critique et de 1'histoire littéraires occidentales, et se développe en réfléchissant sur ses propres pratiques et sur les modalités de production du sens et de la valeur qui les caractérisent. II est aussi mouvement critique puisqu'il s'est agi ďemblée de décrire, interpreter, évaluer les efTets qu'un ensemble inedit ďceuvres en langues européennes pouvait cxercer sur les lecteurs. Puis il a consdtué sa propre histoire littéraire visant á determiner les conditions de production et dc reception des textes. L a genealogie du postcolonialisme remonte á 1'époque des decolonisations et des dynamiques intellectuelles qui en naissent, la periodě de Bandoeng (1955), de Fessor du tricontinentalisme et du ders-mondisme2 . II trouve ses origines sociologiques dans le questionnement des generations de la postindépendance3 , relayé par 1'entrée ďimtnigrants venant de regions naguére colonisées dans les universités et les colleges des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Ceux-ci commencent alors á formuler des interrogations liées á leur histoire. Leur prise de parole et i'emergence ďceuvres littéraires issues de leurs pays vont attirer 1'attention des universitaires sur 1'actualité géopolitique de 1'écriture, sur le fait notamment que la plupart des histoires littéraires en Occident impliquaient « une definition restrictive et done normative de la littérature á partir de 1. A. Compagnon, Le Démon de la théorie. Paris, Seuil, 199ÍÍ, p. 20-24. 2. Voir J . - M . Moura, L'Image du tws-monde dans k romanjřanfais eontemporain, Paris, Puť, 1992 ; Mauricio Segura, La Faucilte et le condor. Le iiseoursfran$aissur VAmériqm latine, Presses de 1'Université de Montreal, 2005. 3. Les «Subaltern Studies» indiennes en sont un exemplc, qui se posent dcux types dc questions: « 1/What was there in our colonial past and our engagement with nationalism to land us in our current predicament - that is, the aggravating and seemingly insoluble difficulties of die nation-state? 2/How arc the unbearable difficulties of our current condition compatible with and explained by what happened during colonial rule and our predeccssors'engagement with the politics and culture of that period ?» (Ranajit Guha (dir.), A Subaltern Sttuties Reader, 1986-1995, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997, p. XI). Introduction 13 de la critique et :ontre l'implii á interroger, critiques (au au sens ou il •riques de la criloppe en refleie production ussi mouvement rpreter, evaluer i europeennes a propre histoire oduction et de oque des d6cocn naissent, la ualisme et du dans le quesi -lave par usees dans les x dr b Grande-Bretagne. es a leur jvres litteraires iversitaires sur i*::ment que la n t « une denture a partir de 19«. p. 20-24. • :- les), celle ; - equel vont se t . miques (theoL r . d*une logique, i nentent ainsi t - ts par M i c h e l c _ _ir dans l'ceuvre, r : par le texte, I en ['occurrence Cette tripartir - orientations de Lnsmes de Lichtenberg f h u i . 1980, p. 14). »de de I'argumentation, Du rire ä Vhitmour Les etudes contemporaines Le x x e siecle a vu se multiplier les tentatives pour comprendre le rire1 , non seulement en tant que phenomenc physiologique remarquable mais comme la clef des codes et des sensibilites des diverses cultures. Les etudes se sont des lors elargies: 1. A u x fonctions sociales du rire, qui inclut et exclut (tel etait le sens du ridicule tie 1'age classique frangais): le rire a le double visage du secret, il rapproche dans l'acte meme par lequel il retranche2 , il eleve et solidarise les rieurs contre celui qui s'ecarte des codes de la bienseance. Il joue ainsi un role important et varie dans la societe contemporaine3 . Smadja, evoquant ses divers roles sociaux - exclusion des etrangers au groupe avec renforcement concomitant de la solidarite collective, exclusion du deviant avec renforcement des conventions sociales, critique sociopolitique, acquisition de prestige - , en fait un instrument au service de l'homeostasie psychique d'une societe4 . 2. A des perspectives anthropologiques, venant combler une absence remarquee par Jean Duvignaud: « Ethnologues, anthropologues ne parlent guere du rire. Sans doute se defient-ils du comique et des aspects hilarants de la vie c o m m u n e 3 ? » Risible, comique, humour, places parmi les futilites de la vie sociale, auraient ete dedaignes des chercheurs travaillant sur les grands (et plus serieux) champs de la parente, de 1'economique ou du politique. E n fait, la plupart des travaux generaux sur le comique et l'humour depuis les annees 1950 integrent une dimension anthropologique6 et meme parfois inter- 1. Gf. John Parkin: Humour Theorists of the Twentieth Century, Lampeter, U K : The Edwin Mellen Press Ltd, 1997. Cf. aussi L'« International Society for H u m o r Studies » (dont la constitution revisee figure dans Humor, vol. 9-3/4, 1996). 2. Vladimir Jankelevitch: L'lronie (1936), Paris: Flammarion, 1964, p. 51 sqq. 3. Cf. Michael M u l k a y : On Humour, Its Nature and its Place in Modern Society, op. cit. 4. E . Smadja, op. cit., pp. 122-123. 5. Jean Duvignaud: Le Propre de l'homme, Paris: Hachette, 1985, p. 19. 6. Cf. E. Smadja, op. cit., p. 83 sqq. 24 Á la recherche de 1'hnmour littéraire culturelle, tel Humor and Laughter. An Anthropological Approach (« H u m o u r et rire. Une approche anthropologique ») de Michael L. Apte, qui s'interesse á la comparaison des cultures de l'humour et aux facteurs sociaux qu'il engage dans diverses regions de la planete1 . A u carrefour de la philosophic et de 1'anthropologie, Helmuth Plessner a étudié conjointement le rire et le pleurer, comme les signes d'une figure fondamentale, « celle de l'existence humaine sous 1'emprise du corps2 ». Pour lui, le rire - comportement social non nécessairement engage dans un jeu esthétique —.relěve de situations limites qui « interdisent [....] á l'homme, parce qu'il ne peut y répondre, d'en devenir le maítre et de les "prendre par un bout" 3 ». II est une reaction primaire au chaos dans lequel est pris 1'humain. L'homme est en soi contradictoire : avoir et étre un corps en font un étre double, qui doit jouer un double role. A la difference de l'animaj, « centre » sur lui-méme, 1'humain vit dans une « position excentrique », instable. Dans certains moments de crise, o ú étre et avoir un corps cessent de s'accorder, l'homme perd son équilibre et ne contróle plus son corps. C e s t ce qui advient dans le rire et le pleurer, oú, sans perdre 1'esprit ni abdiquer en tant que personne, 1'etre humain doit constater qu'il n'aura pas le dernier mot. Ainsi, le rire, mécanisme d'expulsion du corps, n'est pas á considérer comme l'expression d'une moquerie, d'une joie, d'une gene ou de quelque triomphe que ce soit, mais bien comme la reaction de la matérialité corporelle au devenir qui 1'emporte. 3. Á des perspectives éthologiques et cognitives: le rire, comme l'ensemble des expressions faciales émotionnelles, est universel et semble relever d'un « programme moteur central g é n é t i q u e m e n t determine » (comportement instinctif ou adaptation phylogénétique selon I. Eibl-Eibesfeldt) récemment élaboré au cours de 1'évolution des 1. Cf. Michael L. Apte: Humor and Laughter. An Anthropological Approach, Ithaca: Cornell U P , 1985. 2. Helmuth Plessner; Le Rire et le Pleurer. Une etude des limites du comportement humain (1941), Paris: Maison des sciences de l'homme, 1995, p. 212. 3. Ibid., p. 138. 30 D u rire a Vhu m our ML Approach Je Michael e Thumour et ie la planete1 . \ _-. Helmuth -.me les signes umaine sous nt social non de situations qu'il ne peut y f un b o u t " 3 ». II 5 I'humain. -r> en font un -cc de l'animal, n s i t i o n excenjtre et avoir un -re et ne controle :urer, ou, sans . humain doit . mecanisme pression d'une rr.e que ce soit, . au devenir : le rire, comme universel et genetiquement phylogenetique '.-volution des >logical Approach, du comportement espěces1 . II s'agira done de mettre en evidence ce programme et ses effets par des etudes des comportements humains et animaux (notamtnent les primates, proches de l'homme dans 1'évolution). U n théoricien de revolution comme Alastair Clarke considěre la capacité á la plaisanterie ou au jeu2 comme un element determinant du développement intellectuel et perceptif de l'espece humaine. II met en evidence huit motifs (patterns) qui sont á l'origine de tout « humour » et montre que le traitement de Pinformation et les facultés d'analyse et de manipulation des données qu'ils supposent ont permis de développer l'aptitude des hommes á reconnaitre et á évaluer les instruments les mieux adaptés pour la gamme de táches la plus large possible. Les travaux contemporains sur le rire ont pris leurs distances avec les theories des siěcles passes et le faible nombre de données empiriques qu'clles intégraient. Robert Provine, specialisté de la cognition, peut ironiser: « L a philosophic est á la science ce que l'alcool est au sexe: ca stimule l'imagination, ca attise la passion, ca facilite les choses, mais děs qu'il faut passer á facte, ca peut donner un fiasco3 . » Ainsi, la plupart des theories présupposaient l'intentionnalité et la maitrise consciente du rire, alors qu'on rit difficilement sur commande et qu'il est parfois difficile de s'arreter lorsqu'on commence (le fou rire). Le rire nous dépouille en fait de notre vernis de culture et de langage, il met á mal l'hypothese voulant que nous soyons des creatures rationnelles, capables de controler pleinement notre comportement4 . C e s t tine dimension que les théoriciens des siecles passes, concentres sur un rire « cultivé », quand il n'etait pas franchement élitiste, ont peu prise en compte. L ' u n des principaux 1. Irenáus Eibl-Eibesfeldt: L'Hommeprogramme, Paris: Flammarion, 1976. 2. Qu'il nomme « h u m o u r » , mais dans un sens bien plus large que le phenomene i d étudié. Alastair Clarke: The Faculty of Adaptability. Humour as the Assesment and Manipulation of Information, 2e éd., London: Pyrrhic House Academics, 2009. 3. Robert Provine: Le Rire, sa vie, son ceuvre, Paris: R. Laffont, 2003, p. 19. 4. Sur les conceptions prenant en compte la dimension physiologique de 1'humour, cf. E . Smadja, op. cit.; et Claude Schnerb: Du rire. Comique, esprit, humour, Paris: Imago, 2003. 31 Ä la recherche de ľhumour littéraire intéréts de l'elargissement contemporain des travaux sur le rire reside done dans leur capacité á marquer á la fois la diversité des roles sociaux assumes par le comique et á dépasser le presuppose, commun á de multiples theories, faisant du rire l'expression civilisée de la joie. L'humour se distingue du comique en ce qu'il est percu comme une certaine attitude de l'esprit ne se laissant pas résumer á la production de 1'hilarité. Une premiere difference comique/humour se laisse entrevoir dans la difference séparant l'insistance sur les mécanismes élémentaires qui provoquent le rire (sentiment de superioritě, laideur ou bassesse du risible, mécanique comique) de la mise en evidence de processus inconscients o u du vertige par lequel rieur et risible se voient confondus dans une commune inconsistance, qu'on pourra nommer « sidération-lumiěre » (Gerardus Heymans) o u « sens dans le nonsens » (Theodor Lipps). Bien plus, les etudes insistent sur la dimension physiologique du rire, soulignant, implicitement ou pas, la distance séparant 1'hilarité de la textualité. Le rire, ce «langage materiel», exclusivement tonique et sans articulation, situé en decji du sens, de la grammaire et de la syntaxe, se séparé nettement de la dimension textuelle, q u i est loin d'apparaitre comme le lieu le plus propice á sa production. O n comprend alors que les contraintes inhérentes á la textualité entraínent en fait un type particulier ďhilarité, le sourire énigmatique de l'humour. Parallělement á ces travaux, l'histoire du rire est devenue un champ de recherches important. HOMO RIDENS : L'HISTOIRE Á ľinstar de l'histoire de la sexualite, l'histoire du rire s'attache aux normes qui circonscrivent et donnent une forme sociale ä une constante anthropologique: complexe de pratiques, de discours, de rituels lies ä ľhilarité, fréquemment relégués « au-delä de toutes les spheres officielles de ľidéologie et de toutes les formes officielles, 32 Du rire ä l'bumour • rire reside Be Jes roles >ose, commun tre de la joie. r-crcu comme T a la produclour se laisse ^ mecanismes >rire, laideur «n evidence de cable se voient ^rra nommer jans le non.1 dimension ns, la distance zage materiel», :-.2 Ju sens, de la i dimension tex_> propice a sa nherentes a la i-ite, le sourire est devenue un rigoureuses, de la vie et du commerce humain1 ». Ces tentatives de limiter, contröler et civiliser les reactions du corps ont extraordinairement varié: M m e de Sévigné écrivait ä sa fille que « la penderie |pendaison] [lui] parait un rafraichissement», et ies Elisabéthains se rendaient ä Bedlam pour rire des pensionnaires, alors que nous ne tolérons plus le rire concernant les handicapés physiques ou mentaux et encore moins le rire raciste ou misogyne. L'affirmation de l'humour va passer par la reconnaissance de valeurs plus affirmées ä 1'áge moderne. Dans cette histoire du rire, le recours ä la caractérologie nationale est frequent2 . Cazamian (mais on pourrait remonter ä Taine ou ä M m e de Staél) évoquait «le temperament plus leger, plus joyeux des F r a n c i s , leur plus grande sensibilitě á la joie de vivre - cet addiction nationale ä la gaieté qui est d e m e u r é e , jusqu'au xville siěcle, leur trait caractéristique aux yeux du monde, et qui a forme un fort contraste avec les Anglais, ce peuple qui, comme Froissart l'a peut-étre dit et ainsi que le due de Sully a pu le remarquer, se réjouit tristement3 ». Comique et humour apparaissent comme les indicateurs de la mentalitě d'un peuple, leur histoire prend la forme ď u n e mise en evidence des archetypes collectifs du rire: les elements comiques typiques, incarnés dans des figures et des textes notoires, qui se perpétuent dans la memoire d'un groupe, de ('antique Philogelos {« l'ami du rire », ÖF-fv* siěcles) jusqu'ä Pépoque contemporaine. iu rire s'attache :J sociale ä une Je discours, de ilä de toutes les rmes officielles, 1. M i k h a i l Bakhtine: L'CEuvre de Frangois Rabelais et la Culture populaire au Aluyen Age et sous la Renaissance (1965), Paris: Gallimard, «Tel », 1970, p. 89. 2. Par exemple Z i v Avner (ed.): National Styles of Humor, N e w Y o r k : Greenwood Press, 1988. 3. L . Cazamian: The Development of English Humour, op. cit., p. 24. Sur cette caracterologie nationale; cf. aussi Hans Dieter Gelfert: Madam I'm Adam. Eine Kulturgeschichte des Englischens Humors, M ü n c h e n : Beck, 2007. 33 Du rire ä i'humour u. ' rar Thistoire U • :n Äge et la •enjeux, auraient tcr--. confrontis ä ^ avec les guerres tecurite d'un • 'nde sur une lue et militaire que l'Allelancipee, un i_rait permis de R le lubrifiant seraitle signe ditions socio-jer Lensemble ic de Thumour de .omologue briL_:nnte er l'affir- Wmth). 8 de !a culture ir l'affirmation d'oppression on ä Courteline »ragnole, partipicaresque et uvelles exerui- la domination --orance, repan. LI l'humour autrit corame capitale .'humour theätral t der französischen due, de l'humour a l l e m a n d 1 . Toutefois, cette comparaison des cultures du rire est limitee par les generalisations dont eile est tributaire. A quelles conditions peut-on resumer le comique d'une nation ä une dominante pour ensuite interpreter celle-ci en reference ä de grands rraits psychologiques, sociaux ou politiques ? Les anthologies humoristiques nationales sont-elles un indicateur fiable ? Se marquent ici ä la fois la necessite d'une etude comparee er ses difficultes lorsqu'elle sort du domaine des rapports de fait entre les humours nationaux (par exemple, ^influence de Sterne sur Jean Paul). E n outre, ces considerations nationales se voient restreinres ä parrir de la seconde moirie du x x e siecle (et dejä, Charlie Chaplin...), lorsque les comiques deviennent internationaux, voire transculturels. Les F r a n c i s s'amusent ainsi des films et des livres de W o o d y Allen ou du Berbere Fellag, les Italiens des britanniques M o n t y Python ou M r Bean et les Allemands du Franc,ais Louis de Furies ou de Litauen Roberto Benigni. Mondialise, le comique perd une bonne part de ses speeificites nationales. Ii n'en demeure pas moins que l'humour s'affirme dans des configurations sociales speeifiques. L'bistoire sociale Vivre dans un pays ok H n'y a pas d'bumour est insupportable, mats il est encore plus insupportable de vivre dans un pays OU I'on a besom de I'humour. Berthold Brecht Le rire est un puissant revelateur des valeurs sociales. O n peur considerer le comique comme Tun des elements de la straregie collective destinee ä resoudre au mieux la tension entre l'individu et la totalite sociale. Certaines configurations du rire sont ainsi reliees ä de grandes options caracterisant la mediation entre les individus et la 1. Alois que des auteurs et artistes tels Wilhelm Busch, Karl Valentin ou Erich Kästner tneritent d'appartenir au canon europeen du rire. 37 Ä la recherche de 1'humonr littéraire collectivité en Occident (ou ailleurs1 ). Une hypothěse souvent avancée par la critique est que le rire se développe en proportion inverse du degré de hiérarchisation ď u n e société, fonctionnant telle une ligne de faille révélant les anxiétés et les passions propres ä un moment historique d o n n é 2 . Selon les menaces s'exercant sur la stabilitě ď u n regime, son aspect subversif sera plus ou moins toléré. Plus une société est ordonnée verticalement, moins on pourra rire ouvertement (comme en témoignent maintes dictatures3 ). M . Bakhtine remarque ainsi qu'au M o y e n Äge, ä Pexception des liberations rituelles du carnaval, le rire est sévěrement contrólé. E n revanche, il se fait plus facilement entendre la oú la hierarchie sociale tend vers une certaine égalité. L a montée de la bourgeoisie européenne et le développement urbain favoriseraient ainsi l'inspiration comique. Exemple emprunté ä l'histoire de l'art: c'est dans l'une des sociétés bourgeoises précoces, la Hollande, que le rire apparait comme un element digne d'etre peint, avec Frans Hals, qui représente des personnages hilares. Á la difference d'un Rembrandt, peignant pour Paristocratie marchande d'Amsterdam, soucieuse des traditions, Hals avait ä Haarlem une clientele moins préoccupée de son statut. Par la suite, le comique sera Pun des principaux elements de la peinture hollandaise de genre du siěcle d'or4 , particuliérement dans les toiles de Jan Steen, qui évoquent en majoritě des scenes « humoristiques », dans lesquelles le peintre s'est parfois représente avec un visage aux traits un peu grossiers, illumine par un sourire ou une grimace. En Angleterre, ou la bourgeoisie demeure influencée par Pascese puritaine, la peinture 1. Sur le rire africain et la littérature, cf. Cristina Schiavone: La Parole plaisante ml romanzo senegalese postcoiomale. R o m a : Bulzoni, 2001. 2. Dietrich Schwanitz a ainsi pu écrire une histoire sociale de l'Angleterre surdéterminée par des elements ressortissant au comique, mcttant en evidence une série de resolutions de conflits par le comique, qui chez d'autres nations moins chanceuses ou équílibrées, en Allemagne notamment, ont mené ä la tragédie (Englische Kulturgeschichte. 1150-1914, 2 vol., Tübingen: Francké, 1995). 3. Cf. La Plaisanterie (1967) de M i l a n Kundera. 4. Cf. Rudolf Dekker: « Cultures de fhumour ä l'epoque de la République: la vie de bohéme a la Jan Steen et l'univers des juristes selon Van Overbeke (2C partie) », XVIť siede n° 213, 2001/4, pp. 641-653. Í8 Du rire ä l'humour - •• enr. avanmon inverse r une ligne i un moment •-.jbilité ď u n Briete. Plus une . ertement T remarque -.e i les du car] se fait plus certaine ppement - t des sociétés : : comme un r-'.t des persona l pour l'aristoH , Hals avait ä Par la suite, le -. : llandaise de Jan Steen, _ ms lesquelles rraits un peu terre, ou la -.e. la peinture Pirole plaisante net t s ü e t e r r e surdétermiŕ r k de resolutions ěquilibrées, en ::hte. 1150-1914, • rrublique: la vie de y partie) », XVlľ siěde s'interesse peu au rire, jusqu'au xvilie siecle. C'est seulement alors que des artistes comme William Hogarth peignent des personnages rieurs, telle sa fameuse Marchande de crevettes (1745), qui se souvient d'aüleurs de Frans H a l s L L'hypothese d'une correlation entre croissance de l'egalite sociale et developpement du comique se confirme si Ton envisage la societe occidentale contemporaine, egalitaire, ou le comique penetre partout, ä tel point que Gilles Lipovetsky n'hesite pas ä la presenter comme une culture de l'humour (au sens de comique)2 , ou le rire serait desormais « un simple defoulement, un automatisme, un comportement spontane3 ». L'humour, sourire plutot que rire, moins clair, moins franc, aurait des sources plus melees. Deux hypotheses generales sont avancees: - II naTtrait dans une societe liberale, oü son excentricite trouverait ä s'exprimer. O n a ainsi souvent relie l'importance de l'humour en Angleterre ä la constitution politique plus liberale, qui favorisait la diversite, voire l'excentricite individuelle et cultivait la tolerance, quand les constitutions absolutistes du continent renfor<;aient une uniformity et un formalisme hostiles au rire4 . - Ä l'inverse, l'humour naitrait lä oü le rire n'est pas si facile, favorise par les cultures et les epoques oü Ton ne s'y abandonne pas sans mal. L'humour de Shakespeare, dans une Angleterre elisabethaine et jacobeenne dominee par l'aristocratie, celui de Moliere, dans 1. Cf. Mariet Westermann; « H o w was Jan Steen Funny ? Strategies and Functions of Comic Painting in the Seventeenth C e n t u r y » , in Jan Bremmer, Hermann Rodenburg ed.), op. «f., pp. 134-178. 2. G . Lipovetsky: L'Ere du vide, op. cit. 3. Olivier M o n g i n : Eclats de rire. Variations sur le corps comique, Paris: Seuil, 2002, p. 13. 4. Cf. M . Pfister, op. cit. F. M u i r resume les arguments de Sir William Temple: « Son 'pinion etait que 1'huinour de l'Angleterre etait le produit de la fertilite du sol, 1'inegalite _ie notre climat et la liberte. L a liberte, parce qu'une grande part de Phunioiir provenait de .'observation des manieres bizarres et incongrues de certaines personnes, et que les iouvernements despotiques representes un peu partout en Europe entrainaient une iniformite de caractere et un ensemble seulement partage en deux types, les elites et les -ens du commun. » (op. cit., p. xxix). 39 Ä la recherche de Vhumour litteraire une cour aux stricts codes refuses par Alceste, ou celui de Jean Paul, dans une Allemagne fragmentee en petits Etats retrogrades l'atteste- raient1 . Tout comme l'humour des Juifs2 , des citoyens de l'ex-URSS, ou des Afro-Americains3 , ce rire minoritaire4 , qui ne nait pas spontanement parce qu'il est « rire sans pleurer » (Kurt Tucholsky). L e s l situations ou le rire est contrarie seraient propices ä Pambivalence humoristique, tout au moins ä une certaine orientation de celle-ci5 , comme dans la situation coloniale, ou l'humour offre la possibility de negocier avec la violence, tant politique que symbolique, de l'ordre dominant. « Le faible, l'opprime, parvient plus facilement que le fort a l'instant de detente, parce qu'il en a besoin; du moins, l'humour est-il j parfois la seule arme dont il dispose6 . » A cet egard, il faut mentionner le rire au feminin et sa propension ä l'humour, dans la mesure ou l'initiative feminine en matiere de comique a longtemps ete refusee, en raison de la passivite obligee du sexe pretendu faible7 . L'humour perair dam Lois de s'exdo fcumour exce • mac sooete h 1. Exemple de rire « empeche » : lcs premieres annees de la Revolution francaise sont le cadre d'une « guerre du rire », oü raeme les textes prönant la rigueur et le serieux le font parfois au n o m d'un effet comique destabilisateur (Antoine de Baecque: Les £c!ats du rire. La culture des rieurs an xvme siecle, Paris: Calmann-Levy, 2000). 2. Cf. Joseph Klatzmann: L'Humour Juif, Paris: PUF, « Que sais-je ? », 1998. 3. Le « trickster » Sambo des contes du folklore noir amerieain. Cf. Joseph Boskin: Sambo, O x f o r d : Oxford U P , 1986. 4. J. Stora-Sandor: « L e rire minoritaire», op. cit., p. 172. Humoresques. « L'humour juif», 1, 1989. C c rire est defini par Langston Hugues, ä propos des Noirs etatsuniens: « L'humour, c'est rire de ce que tu n'as pas alors que tu devrais l'avoir. Bien stir, tu ris par procuration. T u ris en fait de ce qui manque aux autres types, pas de ce qui te manque. C'est ce qui est amüsant - le fait que tu ne saches pas que tu ris de toi-m£me. L'humour, c'est quand on plaisante Sur toi mais que ca touehe d'abord les autres - avant de te revenir comme un boomerang. L'humour, c'est ce qu'au fond de toi, tu ne voudrais pas trouver drole, mais qui l'est, et dont tu dois rire. L'humour est ta propre therapie inconsciente. » (avec Arna Bontcmps: The Book of Negro Humor, N e w Y o r k : Dodd Mead, 1966). Cf. M e l Watkins (ed.): African American Humour. The Best Black Comedy From Slavery to Today, Chicago: L. H i l l Books, 2002. 5. Sur l'alliance du rire et de la marginalite, cf. Judith Kauffman: « H u m o u r et marginalite(s): un mariage de deraison ? », Humoresques, 19, Janvier 2004. 6. Alfred Sauvy: Humour et politique, Paris: Calmann-Levy, 1979, p. 29. 7. Cf. Dominique Bertrand: « Le rire de Christine de Suede: du denigrement burlesque ä l'assomption heroique», in David Wetsel, Frederic Canovas (ed.): Les Femmes au Grand Siecle, Tübingen: G . Narr Verlag, 2003. Delphine Denis: La Muse 40 t jcticpu de L ci Kjsfman, Man. Bioocnington: In irw-1990. Nat 1. Robert Benayour ar5ie de preference • •sice sociale, lorsqi • E Ne avec Edwai ü a atteint son naissance a unt effrenes et den a^--je>. Gelett Burges : cinema, decot dechainer la folie . De Leuns Car I C.es epoques som de 1830 ä 1860; vr>' iiecle; pour la Fran « r u n e s de 1900; pour I rr. qui suivirent la g --.--re des Duches » (F. 1 = aire Du rire ä ľbiimour : _-. de Jean Paul, trades Patteste-> de l'ex-URSS, I "^it pas spontaTucholsky). Les a l'ambivalence irrnn de celle-ci5 , -i possibilite de :que, de l'ordre — ent que le fort a ".-«., Phumour est-il at mentionner ;r.> la mesure ou -ps ere refusee, en . . L" humour per..non franchise sont - • : c t le serieux le font - r . a u e : Les Eclats du -!e?«, 1998. t f. Joseph Boskin: "2. Humoresques, i propos des Noirs Icvrais I'avoir. Bien types, pas de ce qui ru ris de toi-méme. J les autres - avant toi, tu ne vottdrais ra propre thérapie New Y o r k : Dodd r. The Best Black n a n : « Humour et 2004. 79, p. 29. :: du dénigrement anovas (éd.): Les le Denis: La Muse met de desarmer Pagresseur dont Pattaque satirique est par avance videe de son efficience, il est tine forme de resistance spirituelle. L'hypothese de Phumour en comique socialement entrave donnerait raison ä Baldensperger, qui releve tin trait caracteristique des epoques riches en humoristes: « Une inquietude implicite, un desaccord latent entre les diverses idees directrices de la vie individuelle et s o c i a l e 1 . » L'humour naitrait de Pindependance, spontanee ou affectee, ou se marque « l a personnalite libre malgre tout et soucieuse de temoigner qu'elle n'est point subjuguee ni conquise2 . » Plus represente durant les epoques de discordance aigue entre l'individu et la societe, le sourire humoristique, apanage de Pindividu affranchi (non sans mal) de la pesanteur des discours collectifs, se developperait dans des conditions defavorabies au rire franc. L o i n de s'exclure, les deux hypotheses permettent de distinguer un humour excentrique, lie ä Pindividualisme exacerbe, possible dans une societe liberale, d'un humour des opprimes, produit par la galante, Poétiqite de la conversation chez Madeleine deSaidéry, Paris: Champion, 1995. Gloria Kaufman, M a r y Kay Blakely: Pulling Our Own Strings: Feminist Humor and Satire, Bloomington: Indiana U P , 1980. Margaret D . Stetz: British Women's Comic Fiction, 1890-1990. Not Drowning but Laughing, Aldershot, Hants: Ashgate Publ. Ltd, 2001. 1. Robert Benayoun releve la metne tendance a propos du nonsense: « le nonsense se manifeste de preference en periodě de recession économique, de depression monétaire et d'injustice sociale, lorsque la pesanteur des iniquités vitales liběre les esprits du sens de gravité. N é avec Edward Lear et Lewis Carroll dans les affres de l'industrialisation .inglaise, il a atteint son second palier pendant le grand Crash américain de 1929, pour donner naissance ä une vague littéraire plus ou moins níhiliste ou proliférěrent des auteurs effrénés et dements comme Donald Ogden Stewart, Ring Lardner, Robert Benchley, Gelen Burgess, Chase Taylor, Stephen Leacock, James Thurber. Dans leur sillage, le cinema, découvrant le slapstick (métaphore explosive du total dérěglement), voit se déchatner la folie anarchisté des ťreres M a r x ou de W . C . Fields * [Les Dingues du nonsense. De Lewis Carroll ä Woody Allen (1977), Paris: Seuil, 1986, p. 12). 2. Ces epoques sont: « Pour l'Angleterre, le xville siecle, de 1720 ä 1760 environ, le XIXC de 1830 ä I 8 6 0 ; pour PAHemagne, les decades [sic] initiales et medianes du x i x e siecle; pour la France, la fin de l'Ancien Regime, les alentours de 1830, les années voisines de 1900; pour lltalie, la premiere moitié du Xixe siěcle; pour les États-Unis, les années qui suivirent la guerre de Secession; et pour le Danemark, celles qui suivirent la guerre des Duchés » (F. Baldensperger, op. cit., pp. 221-222). 41 Ä la recherche de l'humour littéraire reaction ď u n e « minorite » ä la situation difficile qui lui est faite, ou des « pessimistes », choisissant de rire malgré une vision désolante du monde1 . L'affirmation de ľ h u m o u r ä ľ é p o q u e moderne s'inscrit dans le cadre du processus de civilisation décrit par Norbert Elias. L'exigence croissante du contrôle de diverses fonctions corporelles jusqu'alors considérées comme involontaires s'impose au rire. Le temperament raffiné va se soucier de le contrôler en supprimant cette marque de grossiéreté ou en la canalisant vers des formes plus subtiles. Presenter ľ h u m o u r comme un « rire empéché », plus individuel - le « rire mélancolique » évoqué par L a u t r é a m o n t - , attire ľattention sur un element capital mais négligé de la critique, le fait qu'il s'exprime de preference par le texte. R I R E E T T E X T U A I ITE L'humour apparait comme une attitude de l'esprit liee ä une hilarite specifique, faite de reserve. Valorise par les jugements sur le rire pour sa subtilite, qui empeche de le limiter au simple divertissement, il peut s'exprimer dans des contextes particuliers, ä Tecart du comique spontane ou mecaniquement provoque. Le texte, litterair ou non, s'accorde particulierement bien ä cette vocation dans 1 mesure o ü il est loin d'etre le medium le mieux adapte au declenche ment du rire. La litterature releve d'une communication differee quand le ri jaillit habituellement au sein d'un groupe de personnes qui 1. Vision assez largcment representee dans le monde allemand, comme en temoignö la frequence des formules associant humour et souffrance: «Humor, ist wenn m trotzdem lacht » (« L'humour, c'est quand on rit quand meme », O . J. Bierbaum), « Sch im Schmerz, das gibt Humor» (« La plaisanterie dans la douleur, ca doune l'humour • M . G . Saphir, Fliegendes Albuin, 1846), « Humor ist, mit einer Träne im Auge lachet dem heben beipflichten » (« L'humour, c'est consentir ä la vie avec une lärme au coin y e u x » , F. Beutelrock). Sur cette question, cf. Nelly Feuerhahn: «Rire malgre to L'empire du rire des Allemands », Humoresques, 18, juillet 2003, pp. 85-105. 42 te r aire Du rire ä l'humour :ai lui est faite, cm sion desolante ~r.< 'derne s'inscrit ' N o r b e r t Elias. crions corporelles • r- ise au rire. Le r en supprimant s des formes plus rche », plus indivixeamont - , attire . itique, le fait •rit liée ä une hila.-cments sur le rire - 7 e divertissement, trs, ä 1'écart du texte, littéraire ocation dans la au déclenche"::ee quand le rire sonnes qui se o. comme en temoigne •iumor, ist wenn man f''ierhaum), « Scherz (a donne l ' h u m o u r » , i im Auge lächelnd t une lärme au coin des - Rire malgre tout! pp. 85-105. connaissent (ou se reconnaissent provisoirement) comme les membres ď u n e c o m m u n a u t é de rieurs1 . Elle passe par des ceuvres ď u n e certaine longueur, voire rrěs longues, alors que le rire est généralement provoqué par des événements ou des actes de parole assez brefs et plutót spontanés. Les niveaux de sens de ces ceuvres ne sont pas nécessairement h o m o g ě n e s quand le rire nait ď u n e source simple et directe2 . Parmí tons les moyens de déclencher le rire, le texte - relation in absentia entre un auteur et un lecteur partageant un intérét - , se présente done comme un médium particulierement improbable. Il est bien plus facile de provoquer 1'hilarité chez un interlocuteur que l'on a en face de soi et par des moyens rudimentaires (voire involontaires) que de faire rire un lecteur que Ton ne connait pas et qui lira dans un contexte qu'on ignore. Les théoriciens du comique ont beau dresser réguliěrement des listes de procédés narratifs récurrents3 et les philosophies nous expliquer les causes du rire á partir ďexemples littéraires, la littérature comique est, ď u n e certaine fa<;on, un tour de force et, en tout cas, un exercice délicat. Dorante ne remarquait-il pas que e'est bien une étrange entreprise que de faire rire les honnétes gens (ne parlons pas des autres!)4 ? L a complexité de la communication littéraire impose en effet un contexte o ú references et normes sont connues et stables, afin de produire un (sou)rire différé particulier5 . Le comique y depend ď u n médium doublement problématique (le texte, moyen peu adéquar de faire rire; Pceuvre littéraire, element relevant ď u n e perspective esthétique et institutionnelle, a priori 1. O n ne rit pas n'importe oú et Ton rit rarement en solitaire - signal social, le rire disparalt presquc, lorsqu'on se retrouve seul, cf. R. Provine, op. cit., p. 221. 2. Sur les elements déclencheurs du rire, cf. ibid. 3. J. Emelina, op. cit., Michael Issacharoff: Lieax comiques ou le Temple de]anus. Essai sur le comique; Paris: J. Corti, 1990, Denise Jardon: Du comique dans le texte littéraire, Bruxelles: De Boeck-Duculot, 1988. Pour une anthologie cle ces textes: Véronique Sternberg-Greiner: Le Comique, Paris: Flammarion, 2007. 4. La Critique de L'Ecole des femmes, 1662. 5. C e s t sans doute pourquoi l'humour passe pour ce qu'il y a de plus difhcilement traduisible. Cf. Ateliers, «Traduire l ' h u m o u r » , 15, Lille, 1998; et « Humour, culture, traduction(s) », 19, Lille, 1999. 43 Ä la recherche de l'humour Uttér air e guěre favorable á Philarité). Cette difficulté (éventuellement renforcée par les circonstaric.es historiques) va étre propice á la singularitě de Phumour. Seul, ne partageant pas forcément toutes les valeurs du texte parcouru, ayant tout loisir de reconnaltre les significations complexes de Pceuvre, le lecteur n'a pas du tout la reaction spontanée qu'il aurait au sein ď u n groupe de rieurs. II s'amuse du texte mais ď u n rire qui ne Penvahit pas tout á fait, auquel il a la liberté de réfléchir et qu'il petit nuancer ad libitum. O r , lá o ú la franche hilarité est empéchée pourra naitre un autre type de rire, aux resonances plus complexes, un sourire en fait, qui est celui de Phumour. O n comprend par lá pourquoi Phumour, á la difference du comique, a été associé á une tournure ďesprit appréciée. Détaché du simple rire de superioritě, plus complexe que la reaction corporelle visible, i l se relie á une certaine attitude personnelle souriante, voire empathique, située entre les póles du rire et du sourire1 : - le rire, pole fort, plus ou moins désinféodable ď u n e expression linguistique: le monde du gag, du corps exhibé, de la farce; - le sourire, póle faible, oú dominent retenue, laconisme, silence, fermeture (oppose á Pouverture du rire) et qui impose une distance (le sourire de Pange de la cathédrale de Reims, de Laure, de M o n a Lisa)2 . L'humour est place de ce cóté par la critique, mais d'une maniěre trěs particuliěre: selon Jules Renard, expert en la matiěre, le mot « sourire » était peu satisfaisant, i l lui aurait préféré « soupleurer »3 . En ce sens, le texte littéraire constitue le m é d i u m privilégié de P h u m o u r 4 . Puisque sa capacité performative est limitée, i l ne peut 1. Cf. P. H a m o n , op. cit., p. 46. 2. L'opposition recoupe partiellement telle du rire « supérieur » et du rire mesuré de Stendhal. 3. Cf. M . Autrand, op. cit., p. 4 1 . 4. Comme I'avait déjá remarqué Cazamian: « C e s t seulement dans les mots que la dualité ďintention, que nous considérons comme caracténstique de l'humour au sens precis du terme, peut s'exprimer de maniěre adequate. >• (« mots » - « ivords » - est á entendre ici au sens de textes littéraires, L . Cazamian, op. cit., p. 1). 44 -rdencher qu'un souri Pégard de son propre fl retenue et la complex humour s'affirme ä Pás nation orale a laissé une j I. La gaieté des Fables de le rire, ľenveloppe et prend du j-.ec mesure et discernement» "hilarité et se manifeste plus < quand bien méme il devrait étr XI devrait en pleurer. » (P. Dar