Premier quartier GhÖ De ce premier quartier de la Cite, il me reste comme un tariement au fond de la tete, le souvenir d'un long hurle-nent et l'image ä demi effacee d'une serie de maisons rasses au fond d'une grotte, sur le seuil desquelles... Oui! Je me souviens, maintenant! Ghö ! Et ses armes ! Et ces fantastiques creatures, les Khjcens! * * * ^vais enfin reussi ä penetrer dans le premier quartier de '.a Cite. Devant moi s'etendait la rue que j'avais aper9ue du haut des airs. C'etait une avenue tres large, recouverte j"une pesante couche de poussiere qui collait ä mes anelles. Laissant derriere moi la baraque des Warugoth-Shalas, je m'engageai resolument sur la route en regardant autour de moi. L'atmosphere, de jaune qu'elle etait Ans l'espece de vestibule oü m'avait depose l'oiseau-hyene, etait devenue d'un rouge criard mele d'une teinte -•lolente, indefinissable, que je n'avais jamais vue, qui raisait miroiter l'air comme de l'eau en dessinant autour ie moi des ondes qui s'entrecroisaient et se fondaient les jnes aux autres. 87 Au bout de quelques instants, je commencai ä avoir mal aux yeux ä cause de ces rayons lumineux qui dan-saient et ondulaient autour de moi. J'avais nettement l'im-pression d'etre plongé dans un liquide rouge traverse par des rais de lumiěre et j'avais beaucoup de mal ä respirer. De chaque côté de la route s'élevaient des mai-sons lépreuses, abandonnées, d'infects taudis auxquels ľ atmosphere rougeätre prétait une couleur brique qui sou-lignait encore plus leur aspect de pauvreté. J'étais vrai-semblablement dans ce qui avait été le quartier pauvre de la Cite... Mais cette impression fut bientôt détrompée par un incident qui se produisit lorsque je débouchai sur une petite place ceinturée par une série ďédifices bizarres... Je marchais depuis quelques minutes et je commences ä ressentir un sérieux mal de téte lorsque la route s'élargit soudain pour former une minuscule place — une toute petite place publique comme on en trouve encore dans certaines villes européennes, avec, au milieu, une fontaine et juste assez d'espace autour de cette fontaine pour laisser passer une voiture... Mais le centre de cette place-ci n'était pas occupé par une fontaine comme je m'y serais attendu: sur un socle de metal percé de quelques marches s'élevait un petit tróne de pierre tout em-poussiéré et si bizarrement sculpté qu'il piqua tout de suite ma curiosité. Ce n'est que lorsque je fus tout pres que je me rendis compte combien ce tróne était minuscule. Ľétre pour qui il avait été sculpté devait mesurer au plus trois pieds de haut. Je me penchai sur le tróne et me mis ä examiner les singuliers dessins qui l'ornaient. C'étaient pour la plupart des répliques ďétres inconnus de moi, des monstres hideux parmi lesquels je reconnus tou-tefois quelques Warugoth-Shalas. Ces creatures difformes si fidélement reproduites étaient-elles les habitants qui, autrefois, avaient peuplé ce quartier? Je frissonnai. Je :ommencais ä penser qu'au fond j'avais de la chance de ne pas avoir découvert la Cite au temps oil eile était flo-rissante lorsqu'un dessin plus délicat que les autres attira mon attention. II était place au centre du dossier, ä l'en-iroit exact ou la tete devait s'appuyer. Pour mieux examiner ce dessin, je passai doucement mes doigts dessus pour en chasser la poussiere. Aussitôt, une ondée de lumiére tailliLd'entre mes doigts et se perdit dans les vagues de rayons lumineux qui m'entouraient. Je frottai plus vigou-reusement le dossier du tróne et je m'apercus bientôt qu'il n'était pas sculpté dans la pierre mais dans une matiére extraordinairement briliante qui ressemblait ä du cristal. Ce petit tróne qui paraissait si pauvre et si vulgaire lorsque j'avais débouché sur la place resplendissait mainte-nant et ľatmosphére autour de lui avait perdu sa teinte rougeätre pour ne garder que celie, éclatante, des rayons lumineux. Une pensée traversa alors mon esprit: si le Tône avait perdu sa splendeur parce qu'il était recouvert de poussiere, peut-étre que tous les taudis qui entouraient '.a place... Je descendis du socle et me dirigeai vers une maison basse qui ressemblait ä un petit sanctuaire, avec ses sculptures sur la devanture et ses fenétres rondes, et me mis ä frotter le bord de la porte. Une couche de poussiere se détacha et découvrit un montant en cristal qui trilla violemment sous mes yeux. Tout le quartier était-il lone en cristal? Du temps oü la Cité avait été vivante — car je ne doutais nullement qu'elle fút morte — il Jevait resplendir comme un soleil! Ce n'était done pas un . -artier pauvre ! Mais quel était-il ? Quels étres extraordi-naires avaient done pu vivre dans ces maisons brillantes :omme des diamants? Je reculai de quelques pas et regardai avec compas- 88 89 sion ces maisons qui autrefois avaient été luxueuses, étin-celantes et qui ressemblaient maintenant ä des taudis. Je me dirigeai vers le socle qui occupait le centre de la place, grimpai les quelques inarches qui menaient au tröne et m'installai sur le siege royal en contemplant cette place qui jadis avait dü étre splendide et qui maintenant ne lais-sait filtrer dans l'air que quelques vestiges de lumiěre allant se perdre dans le ciel rouge. J'appuyai sans m'en rendre compte la téte sur le petit dessin que je venais de frotter... Une explosion de lumiěre se produisit autour de moi, le quartier entier trembla et du fond de ma téte surgit un hurlement qui résonna de longues secondes en me clouant de douleur. Tout le rouge de 1'atmosphere avait disparu! Les maisons brillaient comme des astres et le ciel était redevenu vert! La petite place était bondée de gens. Des centaines, des milliers ďétranges étres remplis-saient la place en faisant un vacarme ďenfer. Ceux qui étaient le plus pres de moi s'accrochaient au socle pour éviter d'etre empörtes par la foule et criaient comme des damnés. Tous ces étres hurleurs et difformes se pous-saient violemment en se dirigeant vers le sanctuaire aux fenétres rondes et s'engouffraient ä 1'intérieur en se bat-tant. Soudain, une grande clameur s'eleva, toutes les tétes se tourněrent vers 1'entrée de la place. La foule se sépara en deux, ouvrant en son sein un large espace vide qui partait du sanctuaire et débouchait sur la rue. Le silence se fit tout d'un coup. Aprěs une ou deux minutes d'attente pendant lesquelles la foule ne bougea plus, une étrange procession fit son entrée sur la place. j/f&ďrk \Bt\ téte se tenaient trois joueurs de flute, nains gro- J ' tesques qui soufflaient ä s'extenuer dans d'indescriptibles L V instruments qui jetaient des sons discordants et lugubres. 4M Derriere eux venaient douze femmes qui se tenaient trés droites, la bouche grande ouverte, et qui semblaient glis-:t plutôt que marcher. Elles hurlaient toutes le merne son en frappant de temps ä autre sur une sorte de tambourin qu'elles portaient ä bout de bras. Leur chant ressemblait iun sanglot sans cesse répété, ä une_plainle proven ant du fond des temps, éternelle, désespirée. Ensuite venaient des joueurs de tambour vétus ďinimaginables vétements multicQlores, puis des porteurs de drapeaux et une foule de petits étres hauts ä peine d'un pied qui lancaient des :ris joyeux et sautillaient comme des bouffons. Et derriere ox s'avancaient une trentaine de personnages absolument étonnants: des hommes á tétes _énormes, ä cerveaux dé-mesurément développés, vétus de lourdes robes ďapparat somptueuses et flamboyantes et coiffés de splendides tia-res ä cinq étages coulees dans un metal plus jaune et plus briliant que ľ or. Ils portaient tous ujie_^rande^tojle_yerte sur la poitrine et marchaient en s'appuyant sur des crosses serties de pierreries. Ils chantaient un hymne trés lent au rythme bizarre et envoutantj Soudain, la foule se mit ä hurler de peur, la procession s'immobilisa et... Je ne sais plus... je ne sais plus ce qui se passa alors... Je sais que quelqu'un fit son entrée mais je ne sais plus qui... Je me souviens seulement d'un dais somp-tueux, ďune robe de metal vert et... de deux pinces ďor! La place était redevenue deserte et sale. Les maisons avaient repris leur aspect de pauvreté. Je venais de redresser la téte qui ne s'appuyait plus sur le petit dessin du tróne. Quelques rayons de lumiěre ondoyaient ici et lä, se croisant, se fondant. J'avais atrocement mal ä la téte. Je fis en titubant deux ou trois fois le tour de la place ä la recherche du prolongement de ľ avenue. Je voulais sortir 90 91 au plus vite de cette atmosphere rouge. Mais les maisons, accolees les unes aux autres, encerclaient completement la place et ne laissaient un espace libre qu'ä l'endroit d'oü j'etais venu. La route semblait s'arreter dans ce cul-de-sac. Mais je pensai tout de suite qu'il me suffirait de franchir une des maisons qui m'entouraient pour parvenir au deuxieme quartier de la Cite comme je l'avais fait pour m'introduire dans celui-ci. Je m'approchai done du petit sanctuaire dans lequel s'etait engouffree la foule de ma vision et traversal rapidement le vestibule. Alors que je m'attendais ä trouver une sorte d'eglise ou, du moins, une quelconque salle de reunion, je ne vis qu'un long couloir etroit, sombre, bas, eclaire ici et lä par de petites lampes pendues au plafond, qui plongeait ä une profondeur surprenante ä l'interieur du bätiment. Je m'engageai dans ce corridor en observant avec curiosite les murs nus recouverts de poussiere d'oü s'echappaient cependant quelques rayons lumineux qui laissaient deviner la matiere brillante sous la salete. Je marchai de lon-gues minutes dans ce corridor pour le moins etrange avant de me buter ä un mur completement nu. Je crus que le corridor se terminait ä cet endroit et je me preparais ä rebrousser chemin lorsque j'aperc^is une porte sur le mur de gauche du couloir. La salle que je cherchais devait se trouver derriere cette porte... Cette derniere s'ouvrit faci-lement et je sursautai en trouvant derriere non pas une salle mais un autre corridor exactement semblable ä celui que je venais de traverser et qui le prolongeait perpendi-culairement. II etait un peu moins bien eclaire toutefois. Je traversai ce deuxieme couloir en pressant le pas. Au bout, je trouvai un autre mur nu et, ä gauche encore, une deuxieme porte, en tous points semblable ä la premiere. Je la poussai: un autre couloir! Un peu moins bien eclaire que le deuxiěme. Je traversal ce troisieme corridor au pas de course et, au bout, je trouvai un autre mur et une autre porte á gauche que je poussai d'un coup de pied rageur. II y avait évidemment un autre couloir. Moins bien éclairé que le troisieme... Je n'y voyais presque plus et devais :sndre les bras devant moi en marchant. Mais au bout de ce couloir, au lieu d'un mur, je trouvai une énorme porte de metal. «Logiquement, me dis-je, je devrais trouver derriere cette porte le vestibule par oú je suis entré puisque je viens de faire le tour de la bátisse en traversant les quatre couloirs perpendiculaires les uns aux autres. J'ai du mal m'orienter en entrant et passer sans la voir devant la porte qui menait á la salle que je cherche.» Je poussai de :outes mes forces sur la porte de metal qui s'ouvrit silen-:ieusement. Mais, derriere, je ne trouvai ni vestibule ni porte ď entrée! II y avait seulement un corridor comme autres, perpendiculaire au quatriěme et sombre comme ia nuit. Je n'etais pas revenu á mon point de depart et pourtant je n'avais ressenti en parcourant les quatre couloirs aucune impression de monter ou de descendre! La *eule solution qui s'offrait á mon esprit était que les couloirs, chose que je n'avais pas vérifiée mais qui semblait iogique, étaient de plus en plus courts, s'acheminaient -névitablement vers un point central; la fameuse salle. Mais alors, comment faire pour trouver une sortie menant *u deuxiěme quartier? Je n'aurais qu'a revenir sur mes pas... Mais pour le moment il fallait á tout prix que -Ueigne le bout de ces corridors pour voir ce qu'ils :achaient... II faisait completement noir et j'avais beaucoup de iifficulté á avancer. Au bout de quelques instants á peine, portaient tous une grande etoile yerte sur la poitrine et ■Mchaient en s'appuyant sur des crosses serties de pier--^nes. lis chantaient un hymne tres lent au rythme bizarre TMS envoütant|Enfin un magnifique dais sculpte dans le •erre apparut, surcharge d'or, de pierres precieuses et je plumes aux couleurs incroyables. Mais il n'y avait personne sous le dais. Et quelques pleureuses suivaient, ^houettes toutes cassees qui hurlaient en se frappant la :rine et en levant ensuite les bras au ciel. 98 99 Lorsque la procession fut rendue a ma hauteur, les etres etranges qui la composaient firent un detour pour eviter le dessin sur lequel je me tenais et se mirent a tourner lentement autour de moi, chantant, jouant de leurs instruments, sautillant, sans toutefois jeter un regard dans ma direction. Apres plusieurs minutes de ce manege, le silence se fit petit a petit meme si tous continuaient a chanter, a crier, a jouer du tambour et de la flute. Les sons semblaient s'eloigner tout a coup, puis s'eteignaient com-pletement. Quelques etres s'effacerent soudain, des trous se firent dans la procession et enfin tous les personnages disparurent dans l'air en continuant leurs supplications et leurs chants muets. Seul demeura aupres de moi le nain difforme qui m'avait fait signe de rester a l'interieur du medaillon grave dans le sol. II me contemplait d'un air amuse. II se tenait sur l'extreme limite du dessin qui semblait lui etre interdit a lui aussi et souriait largement, ses deux poings poses sur ses hanches. « Je suis arrive a temps, me dit-il soudain. Sans mon aide, la Deuxieme Confrerie de Gau- v • —---• j '- che t'aurait juge et execute. Je t'ai vu entrer dans le sanc- " tuaire et j'ai voulu savoir jusqu'ou irait ton courage. Voila pourquoi je ne suis pas intervenu plus tot. Tu avais encore de 1'espoir, meme apres la Huitieme Porte ! J'aurais pu les multiplier, te faire traverser vingt, cinquante corridors mais j'ai juge que c'etait inutile. Je crois que jusqu'a la limite de tes forces tu aurais espere trouver une issue quelconque, une breche dans un mur ou un trou dans le sol qui t'aurait mene a l'exterieur du batiment... Tu vois que j'ai su lire en toi... Tu peux sortir du medaillon, maintenant. Ils sont partis. Tout danger est ecarte: la Ceremonie est commencee et rien ne saurait l'interrom- pre.» Je sortis done de la zone ornementee, mais non sans 100 BKDtir une certaine apprehension, je dois l'avouer. Aus-»ii le nain s'approcha de moi et me toucha le bras. «Je ■k Ghô, dit-il, le dieu_dgchu, le serviteur des dieux. tanefois, j'étais puissant et mon quartier était le plus iäe et le plus beau de la Cite. Mais je n'aimais pas snondej ma mere, la Déesse-mére, et vois ce que je suis rvenu pour m'etre revolte. Un monštre. Un serviteur. lomme les oiseaux-hyénes. Comme les Warugoth-äfcaJas. Mais je ne me tiens pas pour battu et ma ven--ce sera terrible! Je me prepare depuis des aulénaires, étranger, et ma vengeance est proche ! Parce we j'ai découvert le moyen de détruire les Khjoens! Tu kux m'étre utile, étranger, tu es courageux! Viens avec km, toi qui ťes introduit dans la Cité par mon quartier que par celui de Wolftung, et je te montrerai mes ■Bonniéres ! Et mes armes ! Viens avec moi, étranger, et Ľoute-moi. Je veux tout te confier parce que j'ai besoin ae toi. Reste dans mon royaume. Ne ťavise jamais ďen erur parce qu'ils savent que tu es ici et qu'Ils te tueraíent ;:mme ils ont tué Charles Halsig et tous les autres avant n. Non, ne pose pas de questions, tu ne dois pas parler. ľ j ne dois pas prononcer une seule parole avant ď avoir ís notre langage sacré. Tu me comprends, en ce loment, mais je ne te parle pas dans ta langue. Tout son aanger au langage sacré est une insulte ä la Cité et pour-lit ťétre fatal! Déjä, dans les corridors, tu as viole les les de la Cité comme tu as viole ses yeux en les :uchant avant de pénétrer chez les Warugoth-Shalas. II e faudrait pas recommencer. Viens, je t'en ai assez dit vur le moment. Suis-moi.» Ghô me prit par la main, leva la tete vers le ciel et rononca un étrange mot. Aussitôt la salle de cristal se ut ä fondre comme un bloc de glace; le plafond, les murs, les colonnettes s'embuerent, se brouillerent, coule-rent comme de l'eau en formant de grands trous dans le palais et enfin disparurent. Alors commenca un voyage dans l'espace comme j'en avais connu un dans le premier reve que j'avais fait dans mon enfance: j'avais l'impres-sion que nous nous deplacions a une tres grande vitesse, le nain et moi, dans l'atmosphere rougeatre striee de raies lumineuses. Lorsque nous nous arretames, nous etions sur le bord d'un immense trou creuse dans le sol. «Ici est mon repaire, dit Gho. Aucun des habitants de ta planete qui sont venus avant toi n'y est entre parce que mon quartier est le dernier de la Cite et qu'aucun d'eux n'a pu se rendre jusqu'ici. Tu es le premier humain a penetrer dans ma cachette, mais dis-toi aussi que tu es ici pour m'aider a tuer les autres dieux et que lorsque tu sortiras de chez moi ce sera pour m'emmener avec toi en dehors de la Cite que nous aurons detruite!» J'allais protester mais Gho me tira par la main et nous nous mimes a des-cendre un escalier creuse dans le sol, qui s'enfoncait en suivant les parois du trou. « Oui, quand nous aurons detruit les Khjoens, quand nous aurons detruit le Dieu-pere et la Deesse-mere, quand la Cite n'existera plus, tu m'emmeneras avec toi dans ton monde et nous serons tres puissants. Charles Halsig aurait accepte cette offre, lui, mais ils ne Font pas laisse se rendre jusqu'a moi. Ils l'ont assassine avant! Parce qu'il ne voulait pas devenir un Grand Initie! Quelle farce! II n'y a plus de Grands Inities depuis que la lune s'est emparee de l'CEuf! II n'y a plus de Grands Inities depuis que la Terre de Mu et que PAtlantide ont disparu! lis le savent, pourtant! Alors pourquoi persistent-ils ? » II faisait tres noir et je n'y voyais rien, mais Gho semblait connai-tre l'escalier parfaitement et nous descendions a toute 102 vitesse. Je le suivais en titubant, je manquais parfois une rnarche ou deux et je faillis tomber a plusieurs reprises mais Gho semblait ne se rendre compte de rien et conti-nuait son chemin en me tirant par la main et en monolo-guant. «J'attends ce moment depuis si longtemps, si tu savais ! Je ne puis sortir de l'CEuf, personne ne peut sortir de l'CEuf, hormis les Warugoth-Shalas, sans le consente-ment (Tun humain, voila pourquoi nous sommes confines depuis des milliers d'annees dans cette Cite autrefois im-mensement riche mais que le temps, le maudit temps des Khjoens, a rongee, recouverte de poussiere et reduite en ruines!» Nous descendions depuis tres longtemps et iescalier de pierre semblait ne vouloir jamais finir. «0 etranger, je connais de longue date le moyen de detruire les Khjoens et chaque fois qu'un humain reussissait a penetrer dans la Cite j'esperais qu'il atteignit mon quartier pour mettre mes projets a execution ! Mais chaque fois les autres dieux, prisonniers eux aussi de leurs quartiers decadents, s'emparaient de lui! Lounia chantait, Wolftung revetait sa robe bleue, Anaghwalep et Waptuolep lan-caient leur terrible cri de guerre et Ismonde... 6 etranger, je te souhaite de ne jamais voir Ismonde, de ne jamais rencontrer M'ghara parce qu'ils sont les plus terribles des dieux de la Cite, les plus puissants aussi, et les plus dements. Ils feraient tout pour sauver la Cite, pour la rebatir et reprendre le pouvoir. Mais pour le moment ils ne peuvent rien, prisonniers qu'ils sont dans la salle du trone de leur sombre palais, Ismonde installee sur le trone et M'ghara debout derriere elle, les yeux fixes sur la porte, attendant... que tu arrives!» Nous nous etions brusquement arretes durant ces derniers propos du nain. Je sentais que Gho s'etait retourne et qu'il me regardait droit dans les yeux, mais je ne le voyais pas. II avait pose 103 ses deux mains sur mes bras et parlait precipitamment, comme un fou en delire. «Ne t'avise jamais de sortir d'ici, tu m'entends? Tu m'appartiens parce que tu as commence ton voyage ä l'envers! Tu feras ce que je te dirai de faire tout le temps que tu seras ici, sinon... Mais tu es intelligent et tu comprendras que c'est dans ton in-teret de m'obeir ä la lettre. Je te respecterai parce que j'ai besoin de toi, mais dis-toi qu'ä la moindre desobeissance tu subiras le meme sort que Charles Halsig! Je suis pret ä tout! Les dieux se meurent, etranger, et lutteront pour continuer ä vivre le plus longtemps possible. Mais les Khjoens sont chez moi et les autres dieux n'y peuvent rien. Les Khjoens ont toujours ete chez moi et Ismonde s'est condamnee elle-meme lorsqu'elle m'a repudie ! Seul un humain peut sauver les autres dieux parce qu'il peut voyager d'un quartier ä l'autre et qu'eux ne le peuvent plus depuis que je suis devenu ce que je suis aujourd'hui. Comprends-tu, etranger, comprends-tu ? lis veulent tous s'emparer des Khjcens parce que seul celui qui possede les Khjcens est immortel! Si tu avais commence ton voyage par le quartier de Wolftung, Wolftung t'aurait envoye ici pour me tuer et pour empörter par quelque moyen que ce soit les Khjoens dans son quartier. Comprends-tu? Mais moi qui possede les Khjoens, il ne me suffit pas d'etre immortel! J'ai une haine ä assouvir! Je veux detruire les Khjcens et lorsque les Khjcens mourront, la Cite disparaT-tra! Mais avant que la Cite disparaisse, je veux sortir de l'CEuf et pour ce faire, j'ai besoin de toi!» A cet instant un grand cri nous parvint des trefonds de cet enfer noir, un cri strident, continu, ressemblant vaguement ä une note perc^nte d'orgue. «Ce sont Elles, s'ecria Ghö. Je continuerai mes explications plus tard. Viens.» Et nous reprfmes notre descente. Ghö avait parle d'une facon si decousue que je ais ä peu pres rien compris de ce qu'il avait dit, sauf peut-etre qu'il voulait que je l'emmene avec moi hors de l'CEuf. Mais je ne voulais pas emmener Ghö ä l'exterieur vie l'CEuf! Dejä je formulais l'intention de m'echapper de ce quartier et, si possible, de la Cite et de l'CEuf et de rentrer... Rentrer chez moi ? Pour la premiere fois depuis .e debut de mon voyage, je sentis que je n'etais plus libre de mes actes et que je ne pouvais pas retourner dans mon monde sans le consentement de la Cite! Mais j'allais m'echapper de ce quartier, qa, j'en avais la ferme intention ! Je n'aiderais pas Ghö ä detruire les Khjoens, quoi -u'elles fussent. Du fond du trou, d'ou nous provenait le cri que T.ous entendions depuis quelques instants, monta soudain ne clarte diffuse et rougeätre. Nous enträmes bientöt Jans cette zone de lumiere et Ghö se tourna de nouveau ■ ers moi. «Tu m'as bien compris, n'est-ce-pas? dit-il. Pas un mot! Pas meme un son! II ne faut pas que les sacri-rlcateurs ni le peuple s'aper^oivent que tu es ici!» Nous ;eicendimes encore quelques marches pour aboutir fina-ement dans une immense galerie oü je retrouvai avec grand deplaisir l'atmosphere rouge striee de rayons lumi-neux qui m'avait indispose ä mon arrivee dans le quartier du nain. Je portai la main ä mon front, car mon mal de :ete me reprenait. Mais Ghö me dit: «Tu n'en as pas pour iongtemps ä souffrir ainsi. Nous approchons de la Salle des Sacrifices, le seul endroit qui soit reste intact depuis mon malheur et oü l'atmosphere est restee pure.» En ef-fet, ä mesure que nous avancions dans la galerie, le rouge de l'atmosphere s'attenuait pour faire place ä une brillante clarte et mon mal de tete disparut comme par enchante-ment. 104 105 Le cri, les cris devrais-je dire car ďautres s'etaient joints au premier, prenaient aussi de l'ampleur á mesure que nous avancions. Soudain, la galerie déboucha sur une immense caverne éclatante oú une grande foule, toujours la méme, était rassemblée en silence. Au milieu s'elevait une sorte d'autel sur lequel tronait une énorme statue representant un monstre d'une grandeur colossale, qui me rappelait vaguement les Warugoth-Shalas, mais plus carré et muni d'ailes de metal grandes ouvertes. Devant cet autel se tenait un etre mi-homme mi-insecte au tronc humain mais aux jambes et aux bras démesurés et replies, et á la téte hideuse, allongée par derriere et couverte ďécailles; et un joueur de flute qui tirait de son instrument ďétranges notes chaudes et mélancoliques qui éveillěrent en moi un confus souvenir de réveil et de course á travers le Vert... Le prétre portait sur la téte une sorte de tiare de verre décorée de pierres noires et vertes. II esquissait de temps á autre devant l'autel de singuliers pas de danse qui laissaient voir 1'extraordinaire longueur de ses membres, pour ensuite se pencher vers le sol et tracer á l'aide d'une craie noire des dessins que je ne voyais pas clairement, mais que je devinais semblables á celui que j'avais trouvé sur le petit trone et sur le sol de la salle de cristal. Lorsque le prétre avait fini de dessiner et de danser, la foule se prosternait pendant que les autres joueurs de flute et les joueurs de tambour entonnaient une melodie trěs douce, presque plaintive. Et par-dessus tout cela, comme en contrepoint, les cris lointains continuaient sans jamais s'arreter, comme une plainte éternelle. Soudain, alors que la foule était recueillie, un étre difforme, trěs petit et tout boitillant, se détacha d'un groupe et monta les quelques degrés qui menaient á l'autel. Personne ne bougea. Tous garděrent la téte bais- I I > /_ ■ 106 sée. Méme le prétre. Méme les joueurs de flute et de tambour. Le nain grimpa sur l'autel, se mit ä genoux devant la statue et se prosterna jusqu'ä terre. Alors se produisit une chose horrible ! Je vis la statue s'animer lentement, se pencher, prendre entre ses doigts le nain et refermer sa main d'un coup sec. Un bruit semblable ä celui que fait un insecte qu'on écrase se fit entendre. Personne ne bougea. Les flutes et les tambours continuěrent leur mélopée, mais un peu plus lentement. La statue se redressa soudain et lan?a dans la foule le nain broyé et sanglant. Un remous se fit ä ľendroit oú le corps s'écrasa, mais personne n'osa lever la téte vers l'idole. Les flutes et les tambours s'arréterent un instant ä peine,, puis reprirent leur melodie, plus plaintifs, plus geignards. La statue se figea dans un grand sourire. Le prétre se jeta ä plat ventre. Ghô se tourna vers moi et me dit: «Je n'accepte jamais de si piětréT č&cléaux !» II me fit signe de rester cache oú j'étais et pénétra dans la caverne en faisant claquer ses pieds sur la pierre, la téte droite, le regard hautain. Aussitôt un murmure s'éleva parmi la foule qui se redressa avec un ensemble parfait. Les musiciens s'arréterent. Seul le prétre resta prosterné devant l'autel, les bras en croix. Ghô grimpa les marches qui menaient ä l'autel, passa pres du prétre sans le regarder et s'installa sur un tróne aménagé aux pieds de l'idole, face ä la foule. II fit signe aux musiciens de continuer. La melodie reprit, encore- plus lente qu'aupa-ravant. Ghô semblait attendre quelque chose qui ne se pro-duisait pas et une certaine nervositě percait dans son regard. Appuyé au dossier du tróne, il fixait la foule sans rien dire. Je voyais trembler quelques petits étres qui se 107 tenaient enlaces ou qui essayaient de se cacher derriére les musiciens. Le prétre se leva enfin et se remit ä danser et ä dessiner sur le sol pierreux sans s'occuper de Ghô. Celui-ci, insulté, se leva d'un bond, se précipita sur lui et lui arracha la craie des mains. Un cri de stupefaction jaillit de la foule. Ghô se mit ä injurier le prétre dans une langue que je ne connaissais pas mais ce qu'il lui disait devait étre terrible car la foule reculait, terrorisée. Soudain, le nain se tourna vers la foule, leva le poing au ciel et se mit ä vociférer comme un démon en marchant de long en large sur le bord de ľautel. II semblait étre dans une co-lére épouvantable et il parlait vite et fort en gesticulant. II cria tout ä coup quelque chose aux musiciens qui s'arré-térent pile. II resta silencieux quelques instants puis revint s'asseoir sur son tróne. II sourit de toutes ses dents et pronon§a deux ou trois mots ď une voix trés douce. Tous se prosternérent, sauf le pretre qui ramassa lentement sa craie noire, fit un signe aux musiciens et se remit ä danser au son des flútes et des tambours. La ceremónie semblait recommencer depuis le debut. Ghô souriait toujours, la tete haute, lancant parfois un regard satisfait dans ma direction. Alors, du fond de la grotte s'éleva un chant trés lent, trés étrange, au rythme bizarre, un hymne envoutant qui donnait envie de pleurer. Et un des hommes ä tete énorme et ä tiare d'or que j'avais apergus dans la procession se leva, traversa la foule en chantant ä voix basse et monta sur ľautel. II prit la craie des mains du prétre et se mit ä danser comme lui en continuant son chant, mais beau-coup plus lentement et plus dignement aussi. Le prétre descendit dans la foule et resta debout, le dos tourné ä ľautel. Lorsqu'il eut termine sa danse, l'homme á tiare d'or - approcha de Ghó d'un pas digne et assure et lui langa la craie á la figure. Gho ne bougea pas. II souriait toujours, mais sa -ouche s'etait figée et son regard lancait des eclairs. L'homme enleva sa tiare, l'embrassa, la déposa sur ie sol avec sa crosse et commenca á se dévétir. Mais au bout de quelques secondes á peine, Gho se leva en bran-iissant une arme ressemblant á un poignard et la plongea dans le coeur de l'homme. La foule s'exclama, mais i'homme resta silencieux. II se tint debout encore assez iongtemps, puis, soudain, il hurla un étrange mot en s'ef-fondrant sur l'autel. Le prétre se prit la téte á deux mains et se mit á gémir. Ghó se pencha sur l'homme, retira son arme et se redressa, triomphant. II descendit de l'autel, traversa rapi-dement la foule qui se lamentait. Quand il arriva pres de moi, il jubilait. II tremblait de tous ses membres et son regard était comme fou. «Voila un sacrifice digne de moi! s'ecria-t-il. Tu as vu? Je n'accepte jamais de petits étres boiteux comme moi! Jamais ! Non, ce que j'exige, c'est un Grand Přetře, á chaque ceremonie! Et á chaque ceremonie j'obtiens ce que je veux ! Tu as vu cet homme? C était un Grand Prétre de la Deuxiěme Confrérie de Gauche, un des seuls Grands Initiés qui restent! lis ne sont plus que vjngt^six, maintenant, dans la Cite! Autrefois, lorsqu'ils arrivěrent, que les humains les virent pour la premiére fois et les appelěrent « anges » ou « dieux », ils étaient des milliers ! Beaucoup sont retournés sur la Planete Verte, d'autres sont morts pendant la Grande Guerre et les autres... se sont sacrifiés, comme celui-ci! Tous! Bientót il n'en restera plus un seul et toutes mes inquietudes se seront envolées: plus personne ne m'empechera 108 109 de mettre ma vengeance ä execution! Je suis encore le Maítre, ici, et merne ces Grands Prétres me doivent obéis-sance dans une certaine mesure... Je sais cependant que leur savoir est infiniment plus grand que le mien et qu'ils préparent un complot pour me renverser et prendre ma place! Mais pendant les ceremonies, je suis le Maítre Absolu et j'en profite! Je les élimine un ä un et bientôt la Cité sera ä moi! Tu vois comme je te fais confiance! Je te dis tout! Viens, suis-moi. Le temps est venu de te faire voir mes armes... et les Khjcens.» Je ne puis décrire toutes les idées, toutes les pensées contradictoires qui se heurtaient alors dans ma tete. Je ne voulais pas aider Ghô, mais pouvais-je lutter contre lui ? Comment pouvais-je savoir s'il avait raison ou non de vouloir détruire ľCEuf ? II m'en avait ä la fois trop dit et pas assez. II avait parlé de Grands Initiés, ďanges, de dieux, de l'Atlantide et de la Terre de Mu, de la Planete Verte et de la Grande Guerre... Comment pouvais-je comprendre ce qui se cachait derriěre tout cela ? Je déci-dai ďattendre avant de prendre une decision, avant de tenter quoi que ce soit et je me laissai entrainer par 1'af-freux nain qui ne m'inspirait plus que haine et dégoút depuis que je 1'avais vu assassiner le Grand Přetře. * * Nous pénétrámes bientót dans une caverne et je fus tout á coup submerge par un remous de hurlejnents_et de cli-quetis de tambourins. Je fus oblige de me boucher les oreilles et Ghó partit ďun grand éclat de rire en me don-nant des tapes sur les épaules. Au fond de la caverne, derriere un enchevetrement de stalactites et de stalagmites etaient baties une serie de maisons basses et miserables, veritables taudis, sur le seuil desquelles se tenaient les douze femmes que j'avais vues dans la procession. Elles criaient en jouant du tam-bourin. Les yeux grands ouverts, elles hurlaient toutes le ^ meme son et cela ressemblait a un sanglot ininterrompu, ^ ^ 11 á une plainte éternelle et désespérée. Mais je sentais quand méme que cela était un chant, que ces femmes s'adres-saient par ce chant á quelqu'un de ties particulier, comme si elles demandaient quelque chose... quelque chose d'important... de vital! Elles étaient vétues de longues robes qui semblaient les écraser et leur peau verte luisait comme du metal. Leurs cheveux, trěs longs, pesaient lourdement sur leurs épaules, comme une masse. Elles paraissaient exténuées. Lorsqu'elles levaient le bras pour frapper sur leurs tambourins, cela semblait leur demander un effort considerable. Leurs yeux étaient tellement grands et leur regard tellement suppliant que cela me fit peur. «Les Khjcens! me cria Ghó. N'est-ce pas qu'elles sont magnifiques ? » II me prit par la main et nous nous approchámes des Khjcens en contournant les stalagmites. Et lorsque je fus pres d'elles, je vis avec stupefaction que les Khjcens étaient faites de metal, qu'elles étaient coulees comme des sculptures et que, si elles n'arretaient jamais de hurler, c'est qu'elles ne le pou-vaient pas, leur bouche étant moulée ouverte comme dans nos masques antiques... Elles semblaient ne pas se rendre compte de notre presence et continuaient á crier en frap-pant sur leurs tambourins. Jamais de ma vie je n'ai vu une expression pareille ! Jamais je n'ai lu sur un visage autant de désespoir et de supplication ! 110 111 Les Khjcens sont les etres les plus malheureux de la Creation, plus malheureux encore que les Warugoth-Shalas, parce qu'elles ne connaissent pas de repos et qu'elles ne savent jamais si leur chant sera entendu de [ la-haut! Gho me fit agenouiller, me prit par les epaules et me parla. « Regarde, dit-il, tu as devant toi les etres les plus extraordinaires et les plus importants de la Cite; les Khjoens, les Suppliantes, les deesses qui crient le Temps ! Sans elles, les autres dieux n'existeraient pas. La Cite disparaitrait. L'CEuf exploserait! Elles sont la sauvegarde de la Cite! Vestales eternelles, elles ont pour office de crier le Temps en demandant au fur et a mesure qu'elles le font la permission de perpetuer le Temps! Elles ne savent pas a quel moment elles recevront l'ordre d'arreter de crier, causant ainsi la destruction de la Cite... Mais elles ignorent aussi que l'CEuf n'est plus au pouvoir de la Planete Verte depuis des millenaires et que leur Temps est desormais inutile. Oui, elles sont inutiles, la Cite est inutile, les dieux sont inutiles depuis que la lune s'est empa-ree de l'CEuf! Mais je t'expliquerai tout cela plus tard... Sache seulement que pour detruire la Cite, il suffisait de trouver un moyen de tuer les Khjoens et que ce moyen, je l'ai decouvert il y a des milliers d'annees grace aux ma-nuscrits oublies sur la Terre de Mu! Et que j'attends depuis ce temps le jour de ma vengeance! Nous detruirons la Cite, etranger, et tu m'emmeneras dans ton monde! Je veux retourner sur ta planete car je sais des secrets qui peuvent faire de moi le roi de l'Univers! J'ai besoin de toi, etranger, m'aideras-tu? Veux-tu devenir l'homme le plus riche et le plus puissant de la terre ? » J'allais crier «Non!» de toutes mes forces, mais Gho posa sa main sur ma bouche. « Ne reponds pas! II ne :aut pas que tu paries! Et de toute facon, tu n'as pas le nx, tu dois accepter!» J'etais assis sur mes chevilles et je regardais les Khjoens, epouvante. Oui, j'en etais sur, maintenant, je voulais que l'CEuf soit detruit, je voulais que cet horrible monde disparaisse ! Mais je ne voulais pas emmener Gho ec moi! Les Khjcens continuaient leur supplication, exte-nuees, desesperees, le regard fou. Les Khjoens conti--uaient a crier le Temps, inexorablement. Je me levai d'un bond et me mis a courir dans la grotte, butant contre les piliers de pierre, lancant moi ^jssi des cris de desespoir. Gho se jeta dans mes jambes et je tombai lourde--ient sur le sol, en sanglotant. «Je te croyais plus coura-geux, etranger, me dit Gho. As-tu peur? Mais rien ne . arrivera si tu m'ecoutes, je te l'ai dit! Je t'ai et je te rarde ! Ma vengeance sera assouvie grace a toi et je saurai recompenser... Viens, maintenant, je vais te montrer -.es armes! Non, je n'avais pas peur! Mais Gho semblait igno-rer ce sentiment qu'il m'inspirait et qu'on appelle le de-eout. Lorsque nous sortimes de la grotte, je jetai un dernier regard derriere moi. Les Khjcens n'avaient pas bouge. Elles frappaient toujours sur leurs instruments . -n geste brusque. Et elles chantaient. * * La figure du nain s'etait transformée děs que nous avions mis le pied dans la grotte. «Tu vas voir», m'avait-il dit en souriant, et ses yeux s'etaient soudain agrandis comme ceux d'un illumine. Mais ce que je voyais maintenant dépassait tout ce que j'aurais pu imaginer. Ces armes dont m'avait parle Ghö n'etaient pas des armes comme celles que j'avais vues toute ma vie dans les films ou dans les défilés mili-taires. Ce n'etaient ni fusils, ni canons, ni tanks, ni bom-bes... Je ne me serais méme pas douté que c'etaient lä des armes si Ghö ne me l'avait dit... Deux immenses cages de verre reliées entre elles par une passerelle occupaient le centre de la grotte. Au-dessus de chacune ď elles était suspendu un hemisphere de metal argenté, orné de motifs barbares et illumine de 1'intérieur. Et tout cela bourdonnait doucement comme un moteur bien huilé. J'allais demander ä quoi servaient ces armes lorsque Ghö me rappela qu'il ne fallait pas que je parle. «Je vais faire plus que t'expliquer, me dit-il, je vais te faire une demonstration ! Attends-moi ici.» II sortit de la grotte. Je me dirigeai lentement vers les cages de verre mais je ne pus m'en approcher ä moins de vingt-cinq pieds: une chaleur insupportable se déga-geait des deux hemispheres de metal et je dus reculer. Ghö revint au bout de quelques minutes. Derriěre lui s'avancaient deux Khjoens hurlantes qui semblaient glisser plutöt que marcher. Ghö s'arreta, leur posa une main sur l'epaule et elles se dirigěrent vers les deux cages de verre. Elles pénétrěrent dans la premiere. Au méme moment le silence se fit. Les Khjoens continuaient ä hurler mais nous ne les entendions plus. L'hemisphere de metal descendit doucement et se posa sur la cage. Aussitöt, les deux Suppliantes echapperent leurs tambourins et porte-rent leurs mains a leur bouche. « Elles ne s'entendent plus et croient qu'elles ne crient plus», dit Gho en souriant. Les Khjoens se mirent alors a courir en tous sens dans la cage, se jetant contre les parois de verre et se frappant 1'une contre l'autre... Elles apercurent soudain la passerelle qui conduisait a la seconde cage et s'y precipiterent, croyant sans doute trouver une issue. Des qu'elles furent dans la seconde cage, l'hemisphere de metal au-dessus de celle-ci descendit et une lueur rouge, aveuglante, s'en echappa. La grotte trembla et Gho se mit a rire comme un fou. Les Khjoens s'dtaient figees, les mains posees sur leur bouche, et elles commencaient a fondre! Cela prit de longues minutes pendant lesquelles mon regard resta fixe sur la cage de verre. J'etais hypnotise par les horreurs que je voyais. Je vis les robes de metal chauffees a blanc couler comme un epais liquide incandescent; je vis les bras des Khjoens se detacher et fondre, et leurs corps convulses se :ordre; et je vis leur visage en fusion ruisseler comme de la cire et disparaitre dans un dernier regard fou. Gho semblait jouir comme un demon; il regardait :out cela en tremblant et des sueurs coulaient sur son vi-sjge transfigure par un bonheur infernal. Quand tout fut fini, Gho se tourna vers moi et me ::t: «II n'en reste plus que dix!» II partit d'un grand eclat 3e rire, me prit par la main et m'entraina vers la sortie. 114 115 J. f»-» 7 n =- téte se tenaient trois joueurs de flute, nains grotesques ^uj soufflaient ä s'extenuer dans d'indescriptibles instruments qui jetaient des sons lugubres; derriěre eux venaient iouze femmes qui se tenaient trěs droites, la bouche irande ouverte, et qui semblaient glisser plutöt que markier. Elles hurlaient toutes le méme son en frappant de mps ä autre sur une sorte de tambourin qu'elles portent ä bout de bras. Leur chant ressemblait ä un sanglot uns cesse répété, ä une plainte provenant du fond des emps, éternelle, désespérée. Ensuite venaient des joueurs 3e tambour vétus ďinimaginables vétements multicolores, ru:s des porteurs de drapeaux et une foule de petits étres sauts ä peine d'un pied qui lan£aient des cris joyeux et šajúllaient comme des bouffons. Et derriěre eux s'avan-^iient une trentaine de personnages absolument étonnants: des hommes ä tétes enormes, ä cerveaux démesurément - doppés, vetus de lourdes robes d'apparat somptueuses r. flamboyantes et coiffés de splendides tiares ä cinq éta-£e$ coulees dans un metal plus jaune et plus brillant 4oe Tor. Iis portaient tous une grande étoile verte sur la paitrine et marchaient en s'appuyant sur des crosses series de pierreries. Iis chantaient un hymne trěs lent au -%thme bizarre et envoütant. Enfin un magnifique dais i pté dans le verre apparut, surcharge ďor, de pierres 119 précieuses et de plumes aux couleurs incroyables. Sous ce dais se tenaient la Déesse-měre, Ismonde la magnifique, vétue de sa robe de metal vert, ses deux pinces ďor croi-sées sur sa poitrine, souriante et orgueilleuse; M'ghara, le pere de tous les dieux, le dieu tout-puissant aux six bras supportant des lampes allumées, son oeil unique fixe droit devant lui, la poitrine ornée ďune énorme pierre verte; et Ghó, le dieu de la Beauté, le dieu de la Jeunesse, le plus bel enfant des dieux, le premier enfant de la Grande Race, le bras posé sur 1'épaule ďlsmonde, la téte haute, le regard lointain. La procession fit son entrée dans le sanctuaire. La foule s'etait prosternée. La ceremonie commenca. Les joueurs de flute entonněrent un air joyeux et la foule se mit á chanter en se relevant. Le Grand Prétre fit son apparition, suivi de ses trente-trois diacres recouverts ďor et portant sur leur poitrine de lourds et trěs vieux volumes ouverts. Le Grand Prétre salua sept fois la foule et sept fois les dieux. Puis il prit la craie noire des mains ďlsmonde et se mit á dessiner sur le sol. Les joueurs de tambours se joignirent aux joueurs de flúte, rythmant la melodie trěs lentement, trěs doucement, presque imper-ceptiblement. Quand il eut termine de tracer sur le sol le symbole de la Planete Verte, le Grand Prétre se mit á danser en suivant le rythme de la musique, esquissant des pas arranges autour du médaillon sacré, dépliant ses mem-bres démesurés et frappant dans ses mains calleuses. La foule se tut pendant tout le temps que dura cette danse. Les flutes avaient ralenti leur mélopée qui était devenue triste, langoureuse, sensuelle. Alors une jeune vestale se détacha de la foule, monta sur l'autel, se déshabilla et se coucha sur le dos, les bras croisés sur la poitrine. Aussitót, Ghó s'approcha lui aussi, se laissa dévétir par les diacres et couvrit la jeune fille. La foule se- remit ä chanter et le Grand Prétre ä danser. Une euphorie s'emparait des musiciens qui fai-saient pleurer leurs instruments ďune facon déchirante. Lorsque Ghô lan9a son cri de délivrance, le silence se fit, sauf pour les Khjoens qui continuěrent ä crier et ä řrapper sur leurs tambourins, le regard suppliant. La foule se prosterna sept fois devant l'autel. Ghô se releva lentement. Les diacres le rhabillěrent avec des gestes respec-tueux. La vestale resta couchée sur le sol. Elle resterait la jusqu'ä ce que son enfant, le fruit du premier enfant de la Grande Race, naisse, héritier du tróne des dieux, premier envoyé de la Planete Verte sur la Terre de Mu. 120 121