TABLEAUX PREMIER ACTE Tableau I — Le bureau du Padre, dans un camp militaire, pres de Montreal. Décembre 1942. Tableau II — Le salon des Desilets, dans le village de Saint-Anicet, province de Québec. Deux jours plus tard. Tableau III — Chez le Padre. Cinq jours apres. Tableau IV — Ľentrée de la maison oü habitent Marie-Ange et Germaine, ä Montreal. La semaine suivante. Tableau V — L'appartement des deux jeunes filles. Quatre mois plus tard. DEUXIEME ACTE Tableau I — A bord d'un transport de troupes. Juin 1943. Tableau II — Chez Marie-Ange. Novembre 1944. Tableau III — Dans un hôpital militaire, en Anglcterrc. Le mois suivant. Tableau IV — Chez Marie-Ange. Quelques semaines plus tard. Tableau V — Dans un camp de rapatriement, en Anglctcrre. Six mois aprés. Tableau VI — Dans une taverne des environs. Quelques minutes plus tard. TROISIEME ACTE Tableau I — A la porte, chez Germaine. Septembre 1945. Tableau II — La chambre de Germaine. Le lendemain soir. PREMIER ACTE r l T - C O Q dans : pourquoi changer de local ? Elle peut £tre tran-quille, je lui ferai pas de mal; je la toucherai pas, je l'approcherai meine pas. On va se parier entre quatre-z-yeux, rien de plus. Apres, ni vu ni connu, je fiche le camp de par ici. GERMAINE {Capitulant.) Enfin, je lui ferai le message. TIT-COQ C'est ca. En haut, domain soir, a huit heures. Et je t'averds : que Jean-Paul se mele de scs affaires, ou il y aura du cassage de vitres ! Quant ä toi, tu pourras aller prendre l'air dans le corridor. Pas qu'on ait des gros secrets ä se dire. Mais j'ai l'impression quelle aimera autant etre seule ä m'entendre; eile aura assez hontc comme ca. D'ailleurs va se faire vite. Cinq minutes au plus. Juste le temps qu'il faut pour arracher une dent pourrie. Une dent qui peut agacer longtemps, si on la n6glige... et faire un abecs. T'as compris ? GERMAINE Oui, j'ai compris. TIT-COQ Alors je n'ai plus rien a dire. Bonsoir! (// tourne les talons et sort.) R I D li A U TABLEAU II La ciiamhkk dk (.i-.RMAIN'I-.. Meme da or n (hanger par suite du dejxiit dr marii;,-an< .k ( ('/est le son. < .1 KM V.M.. seule en scene, est an le/e/dione.) (. i .KM a ink (A'nrinu\ a l\if>pmnl.) Ouais Ouais !... Eh ben ! tu sauras, Jean-Paul, que les « pcut-clrc ben » et les « t'aurais de sonnelle.) 161 T I T - C O Q A C T E III GERMAINE Tiens ! ca sonne á la portc. (Elle presse le bouton-déclenchcur.) Ce doit ctrc elle. Attends une scconde... (Elle ouvre la porte et jette un coup ďtvil rapide dans I'escalier. Revenant a I'appareil.) Oui, c'est elle. Excuse-moi... Mon Dieu, mon Dieu !... (Excédée.) Bon, comrae tu voudras ! (Bas.) Mais prends garde a ce que tu vas lui dire, toi ! Elle "doit étre assez á l'envers comme ca ! MAR1E-ANGE (Entre. Elle est pále et s'appuie au chambranle de la porte.) GERMAINE Qu'est-ce qu'il y a ? MARIE-ANGE Je viens de l'entrevoir... GERMAINE Ou ca ? MARIE-ANGE 11 guettait mon arrivce au coin. GERMAINE (La main sur le récepteur.) Eh ben ! tu te pámeras une autre fois : Jean-Paul est au telephone, il a un mot á te dire. 1*? MARIE-ANGE Non... je ne veux pas lui parler. GERMAINE (A I'appareil.) Ecoute, Jean-Paul, le temps des discussions est (mi. D'autant plus cju'il est deja rendu au coin, lui... (llors d'elle-meme.) Mon doux Seigneur! tu devtais comprendre qu'on est assez enervees comme ca toutcs les deux... Ah ! va done au bonhomme, si t'es si bete! (Elle raccrochc violemment.) MARIE-ANGE (S'est laissee tomber sur une chaise.) II a raison : je n'aurais jamais dfi venir. GERMAINE Pauvre petite fille, tu sais bien que tu n'avais pas le choix. MARIE-ANGE J'ai peur... GERMAINE Mais non, rassure-toi ! II l'a dit : il te fera pas de mal. MARIE-ANGE (Pour elle-meme.) C'est pas de lui que j'ai peur. GERMAINE (Eclatant.) Tache de te remontcr un peu, toi! C'est pas le moment des crises de nerfs. (Elle est, a sa maniere, 1m T I T - C O Q ACTE 111 aussi iroublée que marie-ange.) Aprés tout, qu'est-ce qu'il a tant á te reprocher ? Laisse-toi engueuler comme du poisson pourri... Donne-lui raison sur toute la Jigne : avec ces caractěres bétes-lá, c'est la meilleure maniére d'en finir au plus vite. (Sonnerie séche d la porte.) GERMA1NB (Sursautant.) Mon Dieu, s'il me trouve ici, lui, il metripe! {Elle se jette tin gilet de Wine sur les épau-les.) Bon ! je lui ouvre la pone et je monte chez madame Lassonde. Si tu as besoin de moi, frappe deux coups sur le calorifěre : je descendrai tout de suite. (Elle presse le bouton-déclencheur.) Et ťinquiěte pas, hein ? J'ai pro-mis une messe aux ámes du purgatoire si tout s'arrange pour le mieux ! {Elle sort, laissant la porte entrcháilléc.) (TIT-coq par ait, I'ceil fnechaní, et {once jusqu'd I'a-vant-scěne, ou marie-ange est as she a droite. Un temps. II voudrait parler, mats une emotion gran-dissante, contre laquelle il lutte de toutes scs forces, lui paralyse la gorge. lis sont maintenant figés dans un silence de plomb.) marie-ange (Au bout de quelques secondes intcrminables, pres-quc tout bas.) Parle... je ten supplie! 1*4 tit-coq (Essayant de se rcssaisir.) Ce que j'avais á te dire, e'etait clair et net... mats depuis que j'ai mis les pieds ici-dedans... (Comme il ne trouve pas ses'mots, il a un geste indiquant qu'il est perdu. Puis, a travers son trouble:) Oui... Malgré moi, je pense á ce que c'aurait pu étre beau, cettc minute-ci... et a ce que c'est laid... assez laid déja sans que je parle. (Un temps. Puis d'une voix d'ahord mal assurée qui, a me sure qu'il reprendra la maítrise de lui-méme, se dur-cira jusqu'd la cnlčre froidc.) Mais, s'il y a une justice sur la terre, il faut au moins que tu saches que t'es une salopcrie ! (Il s'est tourné vers elle.) Une saloperie... pour ťctre payé ma pauvre gueule de gogo pendant deux ans en me jurant que tu m'aimais. C'etait aussi facile, aussi lache de me faire gober ca que d'assommer un enfant. Avant toi, pas une áme au monde s'etait apercue que j etais en vie ; alors j'ai tombé dans le piége, le cceur par-dessus la téte, teJlcment j'etais heureux 1 T'es une saloperie ! Et je regrette de t'avoir fait l'honneur dans le temps de te respecter comme une sainte vierge, au lieu de te prendre comme la premiere venue ! (Sorlant I'album de sa v arouse.) Je te rapporte ca. Au cas ou tu l'aurais oublié avec le reste, c'est l'album de famille que tu m'as donné quand je suis parti... II y a une semaine encore, j'aurais aimé mieux perdre un ceil que de m'en séparer. Seulement je me rends compte aujourd'hui que c'est rien qu'un paquet de cartons com- 1 A'y r i t C O Q muns, sales et uses. (// le lance sur le divan.) Tu le jetteras ä la poubellc toi-memc ! Maintenant, je n'ai plus rien de toi. A part ton mau-dit souvenir... Mais j'arrivcrai bien ä men décrasser le coeur, ä force de me rentrer dans la tete que des femmes aussi fideles que toi, il en trainc á tous les coins de rue! (// se dirige vers la porte.) MARIE-ANGE {Sans tin geste, eile a tout écouté, la tete basse.) Non!... Va-ťen pas comme (,a. Attends... attends une seconde. TIT-COQ {S'arréte, tourné vers le fond.) MARIE-ANGE (Apres un temps, presquc tout bas.) Je te demande pardon. TIT-COQ (Abasourdi.) Quoi ? MARIE-ANGE Je te demande pardon. TIT-COQ (// est reste un moment décontenancé.) C'cst aisé de demander pardon, quand le mal est fait... et bien fait. A C T E • 1 1 l MARIE-ANGE t^a ne changera rien, je le sais. TIT-COQ Ce qu'il m'csi impossible de ie pardonner, c'est de m'avoir inenti tout ce temps-la, de m'avoir menti la tete collée sur mon épaule. MARIE-ANGE Je ne ťai jamais menti. TIT-COQ (Que la rage a repris.) Si tu m'avais aimé, tu m'an-rais attendu ! MARIE-ANGE (De tout son clrc.) Je ne ťai jamais menti. TIT-COQ Si c'est la peur cjue je ťembéte qui te fait ťhumilicr devant moi, tu peux te redresser. Ton petit bonheur en or, c'est pas moi qui te le casserai : je vais disparaitre des environs comme une roche dans ľeau. Si tu as eu des torts, la vie se chargera bien de te punir pour moi. MARIE-ANGE Je suis déjá punie tant qu'il faut, sois tranquille ! TIT-COQ Punie ? 166 167 T I T ■ C O Q A C T 11 III MARIE-ANGE Je ne suis pas plus heureuse que toi, si ga peut te consoler. TIT-COQ Quoi ? (Un temps, on il essaie dc comprendre.) Pas heureuse ? Comme ga, tu es malheureuse avec lui ? A quoi ga rime, ga ?... II t'aime pas, lui ? II t'aime pas ? MARIE-ANGE II m'aime. TIT-COQ II t'aime ? Alors pourquoi cs-tu malheureuse ? MARIE-ANGE (Qui craint d'avoir dejd trop parle.) C'cst tout ce que j'ai ä te dire. TIT-COQ Quand une femme est malheureuse apres six mois de manage, pas besoin dc se casser la tete pour en trou-ver la raison : s'il t'aime, lui, e'est toi qui ne l'aiincs pas. {Pressant.) II n'y a pas d'autre fagon d'en sortir : e'est toi qui ne 1'aimes pas ! MARIE-ANGE (Se cache la figure dans ses mains.) TIT-COQ Tu ne 1'aimes pas! Ah ! ga me venge de lui. II t'a degue, hein ? Qi me venge de lui. Ben oui! ga ne pouvait pas se faire autreincnt; c etait impossible qu'il te rende heureuse, lui ! (Sc lournant vers eile.) Alors, si tu ne l'aiincs pas — si tu ne pouvais pas 1'aimer — ce serait peut-etrc... que tu en aimes un autre ? MARIE-ANGE Je t'en prie, va-t'en ! TIT-COQ Cc serait peut-etre que tu cn aimes toujours un autre ? Un autre a cjui tu n'aurais jamais menti. II me faut la verite, la verite jusqu'au bout. II me la faut! MARIE-ANGE (llclate cn sanvlots.) TIT-COQ vSi e'est vrai, dis-le... dis-lc, je ten supplie ! MARIE-ANGE (Miliare rile.) Oui, ie t'aime... Jc t'aime ! (Un temps : eile pleurc. I mi reste sidere par cet aveu.) Je suis en train de devenir folic, tcllemcnt je pense ä toi... Je suis en train dc devenir folic ! TIT-COQ Marie-Angc, Maric-Ange !... Pourquoi tu ne m'as pas attendu ? T r T C O Q A C T U III MAK1E-ANGE Je nc sais pas pourquoi... Je tic .sais pas... TlT-COQ Pourquoi ? ' MARIE-ANGE Je voulais t'attendre, t'attendre tarn qu'il faudratt, malgre le vide que j'avais dans la tcte, a iorce d'etre privee de te voir, d'entendrc ra voix, de t'embrasscr... TIT-COQ Moi non plus, je nc pouvais pas te voir, ni t'emhrasscr. MARIE-ANGE Toi, tu avais sculement a te haute cop.tie toi-memc. Tandis que moi, ati lieu de in'aiuer a me jr.-nir debout, tout le monde ici me poussnit, m'aourdissau d'objec-tions, me prouvait que j'avais tort de t'attendre, que j'etais trop jeune pour savoir si je t'aimais... TIT-COQ Les salauds! MARIE-ANGE lis m'ont rendue malade a me repeter que tu m'ou-blierais la-bas, que tu ne me reviendrais pcut-etre jamais. TIT-COQ (Rageur.) lus unph alive.) MAKIK-ANGE je ne veux pas qu'ils montent ! TIT-COQ, Non : il faut les recevoir, sans avoir honte de ce qu'on va fa ire. (// a pwsse lc houlan-deilencheur el ouvrc la porle toule i>rande.) On iTaura pas Pair de se sauver comme des malfaiteui'S. (Jean-Paul parail dans la parte, stain du Padre et du pere de Mane-A iige.) 1IT-COQ Kntrc/, y a pas de gene ! On va se dispenser des bon-soirs j)uis des presentations d'usage, hein ? J KAN-PAUL (Ne repond pas, mats fixe 7 il-C.oq dans les yeux.) 175 T I T - C O Q II I -C( >U_ Lc(|ucl do vous trois va parlor lo premier Vmis avo/ tiró ca an sort avant de montor .-' Jl'.an'-ruh. {/■'tne a Iil-Cotf.) Pcoute, Tit-Coq : un temps, on ótait plus cjue dos amis, on était deux ličres, tu le sais. Puis je me serais 1'endu en quatre pour toi... I'll -< :oq Pas de sentiment, hein ? ji-;an-ru'i. Ma soeur, j'etais sur quelle deviendrait ta femnio. Puis j'en étais bien tier. Mais, aprěs ce qui est arrive, t'as plus affaire á elle. Coinprends-tu ? T'as plus allaire á elle. II l"-C( )(.) Eh ben ! si tu le pronds sur re ton-la, je vais y aller earré ;i inon tour : Marie-Anne, je Panne toujours... JKA\-R\l:l. (,.a, je m'en doutais, figure-toi. III -< :< >q Mais ec quo tu sais peut-etre pas, cost quelle aussi nPaime encore. {Incrédidc.) üuais ? |1. W-l'All i i'-(:()(.) Si jc Pai perdue, cest pas de ma laute. Ya j)uis je vi» ions ACTE III d'apprendre cpi aprés tout, cost pas de la sienne non plus. I.AN-l'Ai;i. i > {)ü est-ce que tu veux en venir, toi I I I-c< )q Ä ca : pour moi, cost tout ce qui compte... ot puis je la reprends. {Estomoíjué.) Quoi ? JKAN-I'AUL I l-C:( )Q je la reprends, oui, je pars avec elle. Cest-y asscz clair pour toi :' JI',AN-R\UL Tu penscs qu'on va tc laisser faire ? I'lT-COQ Vous pouvez toujours essayer de nous barrer la route, si ca vous amuse. JF.AN-PAl'L (A son j>he. el an Padre.) J'avais devine juste, hein ? {A 'Lit-Coi].) Mais tu te rends compte qu'elle est marice, elle ? Ma nee ! Tu sais tout cc qu'il veut dire ce mot-la, par ici ? nt -ex ki II veut rien dire pour moi ! IKAN-l'AUl. Et le mari, lui, qu'est-ce que ten fais ? 17* 177 T I T - C O Q ACTE III TIT-COQ Lc mari ? JKAN-PAUI. Tu profiterais de cc qu'il est loin pour lui prendre sa femme cotnme un voleur ? 11 I'-C( )g_ Que t es bete ! Lui, quand il a voulu me prendre Marie-Ange, est-ce qu'il m'a envoye chercher en taxi ? S'il y a un voleur de femme dans le trio, c'cst lui. Kt le plus drole de l'histoire, cest qu'au moment ou je reviens, il a etc- eloigne de la meme fagon que moi, le voleur. On dirait une [permission du bon Dieu — hein, Padre ? — pour me donner la chance de reprendi e ce qui m'appartient. IT. PADRE Ce qui t'appartient ? (I! a vu I album sur lc sol ou Tit-Coq la lance plus lot, la pns ct, pendant la replique sui-vanle, lc jeuillettcra diserctemcnl pour lc deposcr hicnlol sur un uicuhlc.) IIT-COQ Ce qui m'appartient, oui. S'il y a une benediction de plus de son cote de la balance a lui, de mon bord a moi il y a le droit quej'avais sur ellc avant lui. II y a l'amour qu elle a pour moi et quelle a jamais cu pour lui. Kt puis ca, ca nous marie bicn plus qu'un pacjiiet de faire-part, avec un contrat en trois copies devant notaire. JEAN-PAL'I. Oui, oui ! Settlement, pour partir ensemble, il taut etre deux. l ri-C(JO. ( )ui, il laut etre deux. J KAN-I'AL'L Cest elle cjui a decide de te suivre ou e'est toi qui cherches ä l'entrainer de force ? TIT-COQ (Ihi moment ebranle, il se lourne vers Mane-Ange.) Cest vrai : je t'ai demande de quitter ton mari pour moi. Mais, toi, tu in'as pas encore repondu. Si tu pars avec moi, il faut que ce soit de ton plein gre, ben sür. Tu te rappelles la lettre que je t'avais envoyee de Thopital, en Angleterre... JKAN-I'AUI. (Rude,) Arrete de l'influencer et puis laisse-la... TIT-COQ (Les poings series, ä Jean-Paul.) Ta gueule, toi ! Cest pas ta vie qui se joue la, cest la nötre, la seule qu'on aura jamais. (A Mane-Anne.) Je t'ecrivais ce jour-la f^ue je te laissais libre de rn'attendre ou non, malgre ta pro-rnesse. Mais que si tu decidais de devenir ma femme pour la vie, ca devait etre par amour, pas par charite. Ta reponse ä cette lettre-lä, je l'ai jamais eue. II est encore temps que tu me la donnes aujourd'hui. Decide, Marie-Ange. Decide pour nous deux. Une fois pour toutes. (II se reute vers Ventree du balcon.) jean-paul (Rempla<;ant Tit-Coq aupres de Marie-Ange.) II a menti, hein ? Cest pas vrai que tu veux le suivre ? 178 179 T l T - C O Q ACTE III MARIfc-ANGK Je ľaime... et je ľaiinerai toujours. JEAN-PAUL Mais tu vas pas partir avec lui ? MARIK-ANG K Que je ľaime, ca t'est égal. Ce que tu pourrais pas accepter, c'est qu'en le suivant, je nuise á la ré[Hitation de la famille. JEAN-PAUL A la tienne aussi : une leníme qui lache son rnari pour un autre, tu sais ce que ga vaut pour tout lc moiulc ? MA R1E-ANGE Si je dois avoir honte de quclquc chose, e'est dc pas I'avoir attendu, lui, et d"avoir cpouse un honinie que j'ai jamais eu dans le coeur. JEAN-PAUL Le pere et la mere, tu as pense a la peine (|iie tu leur I era is ? MARIK-ANliK (Ilrsite un instant, puis satis osr.r recorder son pere, ijhi \uil ľactmii dii jond dc la staic.) Oui, p'pa. Je sais que vous a u rez du chagrin. M'man aussi. Je le regrette, bien gros. Mais taut pis ! Je serai pas plus a blánier (|tie vous ľavez été, tons ensemble, quand vous m'ave/ j c t c' c pres-que de force dans les bras ďun autre. JEAN-PAUL lis t'aiment tellement que tout ce qu'ils voulaicnt, c'était... 1B0 MARIE-ANGE (L 'exasperation lui a fait elever la voix.) S'ils m'aiment tant que c,a, ils seront contents de me voir heureusc, de la sculc lag-on que je pourrais ľétre. JEAN-PAUL Mais ga fait pas une heure que tu l'as revu. C'est impossible que... MARIE-ANGE (Exaltée.) Oui, Jean-Paul, je le suivrai ! Je le dis aussi claircment que je peux. (Elle vient vers lit-Coq.) Je te suivrai, Tit-Coq. Je te suivrai aussi longtemps cjue tu vou-dras dc moi. TIT-COQ (Aux antres.) \l\\c. me suivra tant que je voudrai delle. Ave/.-vous jamais rien entendu dc plus beau ľ JEAN-PAUL (Blaue de rage, ti fonce vers Til-Coq.) Si tu pars avec eile, toi, ce sera apres que je ťaurai cassé la gueule ! Ca, c 'est ä faire ! TIT-COQ JEAN-PAUL Oui, cest á iairc... (Us sonl déjá aux prises.) I.I. PADRE (Intervenant.) Jean-Paul, non ! (// les séparé.) C'est pas une solution, ga. TIT-COQ (Désignant le ľadre.) II sait ben, lui, que l'amour, ga se tue pas ä coups de poing. 181 T I T - C O Q ACTE 111 jkan-pauk (An Padre.) Comme c,a, on va les laisser partir... sans essayer de... ? i.k padrk (Le jmussant vers la sortie.) Va... Je tc rejoins en has dans cinq minutes. kk pkkk Attends-moi, Jean-Paul. (// vient vers Tit-C.'oq.) Mod garcon, quand on t'a rec,u a bras ouverts dans la rainille, pour Noel, il y a deux ans passes, on ct ait loin d'imaginer que l'hospitalite qu'on t'olfrait nous portcrait malheur un jour, a moi et a tons les miens. (.1 Manr-Ange.) Marie-Ange, ma chouette, on a pcut-etre eu des torts en voulant pour toi unc sorte de bonhcur que tu dcsirais pas. C'est pour ca qu'on n'aura pas le droit de t'en garder rancune et que tu seras toujours la bienvenue dans la maison, aussi souvent que tu voudras venir nous embrasser. (Se toumant vers Tit-Coq.) Mais toi — tiens-toi le pour dit — jamais tu rcmettras les pieds chez nous. Jamais, moi vivant ! T'as compris La laniille Desilels, c'est fini pour toi ! (// sort avec Jean-Paid.) TIT-COQ (Sawdement, an Padre.) Vous, il y a longtctnps (|vie je vous vois venir du coin de 1'oeil. Vous allez me parler de la Sainte Eglise et de son catechisme, avec des pcches an bout gros comme le bras : vous pouvez y alter, mais je vous previcns que je vous attends avec une brique et un lanal ! i.t. padrk (Calme.) II ne sera pas question de religion. I IT-U )0_ Non. Paice cjue le peche, voyez-vous, il parait qu'on a etc laits lä-dedans, nous autres, les bätards. C'est notre pcrc, le peche, c'est lui qui nous a mis au monde. Ce qui revient ä dire qu'on le connait, et qu'il nous en impose inoins qu'au teste de la chretiente. Le Tout-1'uissant, comme vous l'appelez, je reglerai mes comptes avec lui, en temps et lieu. Et je suis tranquille : il a lesprit large, luu il comprend le bon sens. S'il nous a introduits sur la terrc en cachette par la porte d'en ariicre, il trouvcra bien le moyen de nous laisser entrer au paradis de la mcme fa^on. makik-.\N(;k Moi aussi, Padre, je vous previcns : je me fiche pas du bon I )ieu, mais vous gagnerez pas grand-chose en me fai-sant la morale. kf. padrk Je le i epetc : jc ne vous parlerai pas de religion. TIT-COQ Non ! Vu cjue la religion et le bon Dieu, ca fait deux ! Quant a lui, le crcateur, s'il est infiniment juste, comme vous le chantez, il sera bien force d'admettre que tout ce qu'il m'a donne ä aimer, c'est cette enfant-lä, et que j'ai rien fait pour la perdre... Et cjue j'ai droit ä mon petit bonhcur, autant que n'importe qui... et que je la garde, entendez-vous ? Je la garde ! kk padrk (Afnes un temps.) Prends-la. 1R7 18? T I T - C O Q th-cuq (Qui croit avoir mal compris.) Quoi ? Prends-la, ta Marie-Ange, et pars avcc elle, sans te preoccuper de Tau-dela. Oui, c'cst vrai : Dicu est infini-tnent juste... III C( >u Certain ! j I.El'ADRK ' Quand tu paraitras devant lui, il ne pourra pcut-ctre meme pas t'en vouloir : tu l'auras payee tellemcnt cher, J ta vie avec elle, tcllement cher que tu en auras expie sur i la terre tout ce qu'ellc pourrait avoir eu de condamnable. tit-ooq 1 (Abasourdi.) Qu'est-ce que c'est que cctte histoire-la ? , i LEl'AURE j Alors, Marie-Ange, tu veux quitter ton tnari pour sui- \ vre Tit-Coq ? i MARIK-AN(,K j (Butk.) Oux. | i le 1'ADRli Ce geste-la, tu sais qu'il est ties grave de consequences. Mais tu es dc-cidce a le poser en te disant qu'au moins tu rendras heureux un pauvre diablc qui mcri-terait bien de l'etre. m \ Kii.-.\N(;r. II a rien que moi au monde. A C T E III IK I'AIlKt. (Snm iDiunosilf.) l',h ! bien, tu tr trompes : c'est son inalheur que tu vas (aire, son malheur et le tien. 11 r-t:( h+ Si vous voulc/ nous apprendre qu'on sera malhcurcux vu qu'on n'auia pas Irs lesses bien assises dans le ma-riage. vous vous trompez, parce qu'il est encore possible pour elle de divorcer puis d'etre ma lemme legalement. I. 1. PADRE Vn divorce ':' hi, de nos jours ? C'est extremement difficile a obtenir. Ill-coq (.'a, cVst a voir. II, PADRE Oui. c'est ;i voir, justcment. Sais-tu que le seul grief admissible, c'est le flagrant delit d'adultere, dument prouve par des lemoins oculaires ou par des documents photogi aphiques irrccusables .J [/affaire est tres longue el coutc une lortune. Ks-tu sure, Marie-Ange, de pouvoir ctablir celle pretive-la contre ton mari ':' Pour obtenir, au civil settlement, une dissolution de manage qui, de toute facon, ne changera'it absolument rien a 1 "attitude des Iiens envers I it-( 'oq P I IT-COy Si la loi est contre nous, on s'en passera, du divorce. I.K PADRE hoi cement. 184 '/ i r - c o o A C T E iii marie-ance Qu'on soit maries on non, j'essaierai de tout fair c pour lc rendre hcurcux. L'amour librc, c;a existe, Padre. le padre Evidemment. Et je n'en fais pas lc proces. tit-coq Des menages qui ont pas de jonc au doigt, il y en a des tas, vous saurez; ct ils braillent pas a chaudes larmcs chaque fois qu on les rencontre dans la rue. ee padre D'autres pourraient pcut-etre s'acconunoder de la vie qu'elle t'offre, mais toi, jamais. th'-w)q Pourquoi ? marie-ance (Miserable.) Oui, pourquoi, Padre Pourquoi jc pour-rais pas faire son bonheur, quand je Panne tcllement ':' le padre Parce que lui, Marie-Ange, il est ne a la creche, abandonne par sa mere des ses premiers jours... II a passe sa jeunesse dans un orphelinat, sans affection, sans tcndresse, avec un coeur pour aimer, bien sur... tit-coq Autant que n'importe qui ! lepadre Peut-ctre meine plus. (A Marie-Ange.) Un jour, il t'a 1 rcncontree, et il s'est rendu eompte que, des le moment ou tu l'epouserais, il sortirait de son isolement pour (icvcnir un homme aime, non sculcment de toi, mais de toute ta lamille. la famillc qui deviendrait sa parente, la plus belle du nionde. (// est alte chercher I'album Id ou it Vavail depose pirn lot.) Celle qu'il me montrait fierement dans cet album que tu lui avais donne... tit-coo. Qu'est-ce que vous deterrez la, vous ? lk padre (Ouvrant I'album.) Le jour de son depart, Marie-Ange, il a ecrit la-dedans une page qui m'a profondement touehe. Un beau dimanche soir, il serait l'homme le plus important dc la terrc, il realiserait son reve le plus ambi-ticux : lui, le sans-famillc, il s'en irait tout simplement visiter sa parente, c'est-a-dire la tienne. (Lisant dans I'album.) «... avec mon petit dans les bras, et, accrochee apies inoi, ma Toutc-Neuve... On s'en va veiller chez mon onele Alcide. Mon oncle par alliance, mais mon onelc quand mcmc... Le batard, tout seul dans la vie, ni vu ni connu : dans le tramway, il y aurait un homme comrne tout le monde, en route pour aller voir les siens. Pas plus, mais pas moins. Pour un autre, ce serait peut-etre un bien petit avenir. Mais moi, avec ga, je serai sur le pignon du monde. Grace a Marie-Ange Desilets, qui me donnera en cadeau toute sa famille. C'est pourquoi je pourrai jamais assez l'aimer et la remercier. » (// referme I'album.) (A Marie-Ange.) Peux-tu encore lui apporter ce bonheur-la, irremplacable pour lui ? Peux-tu toujours lui offrir en cadeau l'affection, l'amour des tiens ? 1*7 tit-coq maril-angl (Elle se cache la figure (Jans les mains.) ll i'adrl Tu as vu Jean-Paul, tout a l'hcurc, prct a se battre a poings nus avec celui qui avait etc jusque-la son meillcur ami, parcc qu'il voulait partir avec toi ? Tu as entendu ton pere, aussi. Crois-tu qu'il a pa tic a la legere quand il a jure que la famille Desilets, c'etait tini pour Tit-Coq ? (Decant sun silence.) Reponds -honiie-tement. maril-ancl (La tele dans ses mains, elle jait signe i/ue nnn.) tit-coq S'ils nous refusent, on fichera le cam]) au (liable vert ! ll t'adrl Ca ne reglerait rien : ton ideal etait de ie rapprochcr, pas de t eloigner d'eux. tit-coq D'accord, je le voulais tout ca. Je le voulais comme un maudit toque ! Mais c'est fini niainlenant, c'est perdu. Raison de plus pour la garder : elle est tout ce qui me reste. le i'adrl Oui. Mais aussi tout ce que tu auras jamais. En quit-tant son mari pour te suivre, elle peut t'empccher d'eire seul, oui ; mais elle te condamne par le fait meme a etre toujours seul avec elle, a ne jamais avoir ce que bien i. I a c t e III ; d'aulres femmes peuvent encore te donner. Pout ce que ; tu voulais est encore possible avec une autre. Rien n'est j perdu saul elle. ! tit-coq Pt 1'amour, (ju'est-ce (jue vous en faites ? 1 lk i'adrl ^ L'amour ■! t | rn-coQ i ()ui, 1 'amour ! I .a passion entre un hornme et une fem- \ me. Ca compte pas dans votre monde, mais dans le i node, oui ! Pile m'aime, elle, et ca me consolera de tout * le reste. Pane que 1'amour, c'est fort. Plus fort que tout, ; vous saure/. ll i'adrl , Si (-'ctait si fort, 1'amour, ellet'aurait attendu, elle. | m-coQ {Menacant.) Ou'est-ce cjue vous elites ? i j li', i'adrl : ( )ui, c;i |)cut existei, un grand amour, et pour un < temps compenser bien des epreuves. Mais ce n'est peut- etre pas la le sentiment quelle a eu pour toi, celle qui t'a ' laisse tombcr sans meme avoir le courage de t ecrire sa | decision, qui a jure fidelitc a un autre pour la vie, mais | qui est prete maintenant a te retomber dans les bras, i maril-an(;l. 1 (Du Jond de sa peine.) Tit-Coq... pourquoi tu m'as pas tan ion t I t - c o q acte III épousée, avant de partir ? Pourquoi ? J'étais prčlc, moi : je te désirais tellement ! iiT-CUQ Moi aussi, je te désirais, plus que tout au monde... ee padre Tu veux savoir, Marie-Ange, pourquoi il ne ta |)as épousée il y a deux ans ? J 'avais mes raisons ii t-COQ l e PADRE (Emhafnant, á Marie-Ange.) II tcnait á embrasser děs sa naissance l'enfant qu'il aurait jni avoir de toi. II ne voulait pas le privcr une heuic cľune lendresse que son pere á lui ne lui avait jamais donnée. \:A cette passion-lá était plus forte á elle seule que celie qu'il avait de te posséder. Crois-tu encore, Marie-Ange, qu'il te désirait plus que tout au monde ? tit-u )Q (Les pouigs serrés.) Cest assez. EE PAD R ľ, Vous avez raison : ľainour, c est plus fort que tout. Mais il faudrait s'entendre sur le sens qu'on donne au mot amour. II en a plusieurs. Et certains sont plus foils que les autres. Cest lá toul ton probléme, Tit-Coq. tit-COQ (.■i la fois menacant et pitoyable.) assez ! 190 Ciest assez... C< st ee padre Oui, c est assez. Ce que j'avais á dire pour vous con-vainere, je ľai dit. (.SV préparant a partu.) Je ne peux rien de plus. J'ai essayé de (aire la lumiére : vous étes libres cle voir clair on de lenner les ycux. (// sort.) ni-cou, (Lh instant désemparépar la retraite subile du Padre.) Tu vas pas le croire, Hein ? Tu vas pas te laisser arracher de moi parce qu'il a passe entre nous, lui ? marie-ange (Accable'f.) II a raison, il a raison... Non ! Tľľ-coy, marie-ange Maintenant qu'on est seuls, tu peux bien l'admettre. J'ai tout gaché... tit-coc> Non, Marie-Ange, fallait pas l'ecouter. marie-an(;e ... Tout gaché. Quel dommage, cjuel dornmage ! i it-c(jo_ Cc qu'il voulait, c"était t'humilier, pour que je me tourne contre toi. Mais aie pas hoňte... aie honte de ricn ! Je ťai pardonné, entends-tu ? lout ce que tu as fait, cest efface, cest fini ! In me pardonnes... MARIE-ANGE 191 T I T - C O Q A C T E III tit-coq Qui, parce que la laiblesse humaine, c'est pour les humains. Et a tout peche misericordo. MAKlh-ANCiK On pout tout so fa ire pardonner, nieine d avoir tue. . Mais le pardon ressuscite pas ce qui est moil. Le pardon efface pas les consequences. 11 i-coq Je les accepte, les consequences ! mak1l-ANGI. Maintenant, out, sans trop savoir ce que tu dis... Mais pour combien de temps P n r-cc ki Je te jure, Marie-Ange, que je t'aimerai toute ma vie ' makik-AN(;K II faut tant de raisons pour aimer toute la vie Tu en aurais tellement den venir a me detester ! I i l l ( H.I [Sudani