Le Radeau de la Méduse Maintenant Claire Doutriaux nous plonge une nouvelle fois dans l’histoire d’un des tableaux français les plus célèbres. Regardez cette illustration extraite de la bande dessiné Coke en Stock, l’un des célébrissimes Tintin de Hergé ou celle-ci d’Astérix Légionnaire, une bande dessinée non moins célèbre. Mais regardez aussi ces caricatures politiques de la presse française, que ce soit dans le Canard enchaîné ou bien dans le Figaro, par exemple, ou encore ces œuvres contemporaines comme celle du peintre chinois Hu Jieming ou du photographe américain Joel-Peter Witkin. Bien sûr, vous l’avez reconnu, toutes ces illustrations font allusion à un tableau français Le Radeau de la Méduse, peint en 1818 par Théodore Géricault. Le tableau est à Paris au Musée du Louvre. Racontons en d’abord l’histoire. En 1816, la frégate La Méduse sombre au large des côtes du Sénégal avec deux cents hommes à bord. Contrairement aux règles d’honneur et de devoir de la marine, le commandant – un aristocrate d’une remarquable incompétence –, les officiers et les personnalités prennent place en premier dans les chaloupes. Cent cinquante hommes restent à bord. Sous la direction du chef charpentier, l’équipage construit un grand radeau d’abord attaché à l’une des chaloupes, puis laissé à la dérive. À bord, juste quelques tonneaux de rhum. Douze jours de manque d’eau, de nourriture et d’abus d’alcool conduisent ces hommes à toute sorte d’excès dus à l’exigence de la survie – violence, cannibalisme. Quinze mourants subsistent quand un vaisseau les recueille enfin. Le capitaine sera condamné à trois ans de prison. En 1816, Théodore Géricault est un jeune peintre talentueux. Il a 25 ans. Immédiatement, il se saisit de ce fait divers, se fait raconter la tragédie par les survivants et décrire très exactement le radeau. Ensuite, il loue à l’automne 1819 un vaste atelier pour contenir l’immense toile – près de cinq mètres sur plus de sept – et il s’enferme dans une ascèse totale pour plusieurs mois. Géricault se fait livrer clandestinement des morceaux de cadavres d’un hôpital voisin pour se livrer à des études très précises. Il hésite sur le choix du motif. Une scène de mutinerie sur le radeau ? Une scène de cannibalisme ? Regardez, on voit ici ces hommes rendus à la dernière extrémité par la faim. Le sauvetage des naufragés ? Finalement, d’esquisse en esquisse, Géricault opte pour le moment où au loin la silhouette salvatrice d’un bateau se dessine. Le point noir à l’horizon ? Oui, ce sont les toiles du bateau qui va recueillir les naufragés. Regardons-le, ce tableau qui fit tellement scandale. Vingt personnes de taille un peu plus grande que nature, sur un espace réduit, des hommes en train de mourir, d’un réalisme outrancier aux yeux des contemporains de Géricault. C’est un fait divers qui est ici dramatisé, théâtralisé. La mer est démontée, les bras tendus vers la survie, les couleurs glauques, les corps livides. C’est l’aspect romantique de ce tableau puissant, un tableau qui se situe dans la charnière du romantisme et du réalisme, avec les différentes étapes de la mort qui sont représentées. Le Radeau de la Méduse montre aussi autre chose. Nous sommes en 1818 en pleine Restauration. C’est à dire au retour de la monarchie trente ans après la Révolution française, et le Radeau de la Méduse symbolise l’arrogance d’une France aristocratique sauvant sa peau en laissant le petit peuple à son destin fatal. Mais c’est aussi et surtout un regard provoquant sur le colonialisme. Car, voyez-vous – oh scandale ! – ces chairs blanches et noires entremêlées, cette égalité devant la mort ? Voyez-vous qui au sommet de cette pyramide humaine brandit, tel un drapeau, un haillon vers un vaisseau de sauvetage, vers l’avenir ? Un noir, un nègre – aurait-on dit à l’époque. Non, c’en était trop ! Au Salon de 1819, les Français seront choqués, et par le sujet du tableau, et par sa facture. Il sera vilipendé, mais l’historien Michelet dira de Géricault : « C’est notre société toute entière qu’il embarque sur ce Radeau de la Méduse. Oui, Géricault est un artiste engagé, et c’est la conjugaison de sa force picturale et de la pertinence historique qui rendent Le Radeau de la Méduse définitivement emblématique. Maintenant que nous connaissons mieux le tableau, revenons un instant sur Tintin : « Là-bas ! Un bateau ! Sauvés ! » L’auteur, à la page suivante, tandis qu’à l’accoutumée le capitaine Haddock fait le pitre, fait bien préciser par Tintin : « Vous voulez donc à tout prix que ce soit réellement le Radeau de la Méduse ? » Ces allusions ne sont pas traduites en allemand. Et que dire d’Astérix où, on le concédera, le radeau des pirates est soigneusement copié sur celui de Géricault. Ici, nos amis allemands ratent complétement le magnifique et intraduisible jeu de mot du capitaine des pirates : « Je suis médusé ! » Allez ! On leur explique ? La Méduse c’est le nom de la frégate qui fait naufrage. Une méduse c’est bien sûr aussi cet animal aux multiple tentacules – die Qualle en allemand. Mais l’animal doit son nom à Méduse, la Gorgone mythologique, un monstre dont la tête hérissée de serpents changeait en pierre ceux qui la regardaient. « Être médusé » signifie aujourd’hui en français être pétrifié, être frappé de stupeur. Dieu ! Qu’il faut être cultivé, en France, pour comprendre une simple BD. Quel événement tragique est lié à la création du Radeau de la Méduse ? Quelle critique Géricault voulait-il exprimer à travers son tableau ? Quelle fut la réaction du public quand le tableau a été exposé ? Comment le capitaine de la frégate La Méduse s’est-il comporté ? Qu’est-ce veut dire l’expression « être médusée » ? Comment Géricault procède-t-il pour créer son œuvre ? Connaissez-vous la bande dessinée Tintin ?