Roman populaire, roman-feuilleton : l’œuvre d’Alexandre Dumas I. Héros du roman-feuilleton. Les Trois Mousquetaires (1). Dans ce premier chapitre, « Les trois présents de M. d’Artagnan père », d’Artagnan entre en scène du roman. Comment se caractérise-t-il ? En quoi est-il « héroïque » ? Par quel traits cet extrait correspond au ton « léger » qui caractérise le roman-feuilleton ? Un jeune homme... traçons son portrait d’un seul trait de plume : figurez-vous don Quichotte à dix-huit ans, don Quichotte décorcelé, sans haubert et sans cuissards, don Quichotte revêtu d’un pourpoint de laine dont la couleur bleue s’était transformée en une nuance insaisissable de lie de vin et d’azur céleste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible auquel on reconnaît le Gascon, même sans béret, et notre jeune homme portait un béret orné d’une espèce de plume ; l’œil ouvert et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessiné ; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme fait, et qu’un œil peu exercé eût pris pour un fils de fermier en voyage, sans sa longue épée qui, pendue à un baudrier de peau, battait les mollets de son propriétaire quand il était à pied, et le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval. Car notre jeune homme avait une monture, et cette monture était même si remarquable, qu’elle fut remarquée : c’était un bidet du Béarn, âgé de douze ou quatorze ans, jaune de robe, sans crins à la queue, mais non pas sans javarts aux jambes, et qui, tout en marchant la tête plus bas que les genoux, ce qui rendait inutile l’application de la martingale, faisait encore également ses huit lieues par jour. Malheureusement les qualités de ce cheval étaient si bien cachées sous son poil étrange et son allure incongrue que, dans un temps où tout le monde se connaissait en chevaux, l’apparition du susdit bidet à Meung, où il était entré il y avait un quart d’heure à peu près par la porte de Beaugency, produisit une sensation dont la défaveur rejaillit jusqu’à son cavalier. Et cette sensation avait été d’autant plus pénible au jeune d’Artagnan (ainsi s’appelait le don Quichotte de cette autre Rossinante), qu’il ne se cachait pas le côté ridicule que lui donnait, si bon cavalier qu’il fût, une pareille monture ; aussi avait-il fort soupiré en acceptant le don que lui en avait fait M. d’Artagnan père. Il n’ignorait pas qu’une pareille bête valait au moins vingt livres ; il est vrai que les paroles dont le présent avait été accompagné n’avaient pas de prix. – Mon fils, avait dit le gentilhomme gascon – dans ce pur patois de Béarn dont Henri IV n’avait jamais pu parvenir à se défaire – mon fils, ce cheval est né dans la maison de votre père, il y a tantôt treize ans, et y est resté depuis ce temps-là, ce qui doit vous porter à l’aimer. Ne le vendez jamais, laissez-le mourir tranquillement et honorablement de vieillesse, et si vous faites campagne avec lui, ménagez-le comme vous ménageriez un vieux serviteur. À la cour, continua M. d’Artagnan père, si toutefois vous avez l’honneur d’y aller, honneur auquel, du reste, votre vieille noblesse vous donne des droits, soutenez dignement votre nom de gentilhomme, qui a été porté dignement par vos ancêtres depuis plus de cinq cents ans. Pour vous et pour les vôtres – par les vôtres, j’entends vos parents et vos amis – ne supportez jamais rien que de M. le cardinal et du roi. C’est par son courage, entendez-vous bien, par son courage seul, qu’un gentilhomme fait son chemin aujourd’hui. Quiconque tremble une seconde laisse peut-être échapper l’appât que, pendant cette seconde justement, la fortune lui tendait. Vous êtes jeune, vous devez être brave par deux raisons : la première, c’est que vous êtes Gascon, et la seconde, c’est que vous êtes mon fils. Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Je vous ai fait apprendre à manier l’épée ; vous avez un jarret de fer, un poignet d’acier ; battez-vous à tout propos ; battez-vous d’autant plus que les duels sont défendus , et que, par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre. Je n’ai, mon fils, à vous donner que quinze écus, mon cheval et les conseils que vous venez d’entendre. II. Action, aventure, danger : Les Trois Mousquetaires (2). Observez le chapitre qui décrit le combat entre les mousquetaires et les gardes du cardinal Richelieu. Comment vous caractérisez le style de Dumas ? Quelle est rôle de l’action, comment se présentent les protagonistes ? Observez également le motif de l’aventure, du danger, comment est-il employé ? Qu’est-ce qu’on peut déduire sur la poétique du « roman-feuilleton » ? – Les gardes du cardinal ! s’écrièrent à la fois Porthos et Aramis. L’épée au fourreau, messieurs ! l’épée au fourreau ! Mais il était trop tard. Les deux combattants avaient été vus dans une pose qui ne permettait pas de douter de leurs intentions. – Holà ! cria Jussac en s’avançant vers eux et en faisant signe à ses hommes d’en faire autant, holà ! mousquetaires, on se bat donc ici ? Et les édits, qu’en faisons-nous ? – Vous êtes bien généreux, messieurs les gardes, dit Athos plein de rancune, car Jussac était l’un des agresseurs de l’avant-veille. Si nous vous voyions battre, je vous réponds, moi, que nous nous garderions bien de vous en empêcher. Laissez-nous donc faire, et vous allez avoir du plaisir sans prendre aucune peine. – Messieurs, dit Jussac, c’est avec grand regret que je vous déclare que la chose est impossible. Notre devoir avant tout. Rengainez donc, s’il vous plaît, et nous suivez. – Monsieur, dit Aramis parodiant Jussac, ce serait avec un grand plaisir que nous obéirions à votre gracieuse invitation, si cela dépendait de nous ; mais malheureusement la chose est impossible : M. de Tréville nous l’a défendu. Passez donc votre chemin, c’est ce que vous avez de mieux à faire. Cette raillerie exaspéra Jussac. – Nous vous chargeront donc, dit-il, si vous désobéissez. – Ils sont cinq, dit Athos à demi-voix, et nous ne sommes que trois ; nous serons encore battus, et il nous faudra mourir ici, car je le déclare, je ne reparais pas vaincu devant le capitaine. Alors Porthos et Aramis se rapprochèrent à l’instant les uns des autres, pendant que Jussac alignait ses soldats. Ce seul moment suffit à d’Artagnan pour prendre son parti : c’était là un de ces événements qui décident de la vie d’un homme, c’était un choix à faire entre le roi et le cardinal ; ce choix fait, il fallait y persévérer. Se battre, c’est-à-dire désobéir à la loi, c’est-à-dire risquer sa tête, c’est à-dire se faire d’un seul coup l’ennemi d’un ministre plus puissant que le roi lui-même : voilà ce qu’entrevit le jeune homme, et, disons-le à sa louange, il n’hésita point une seconde. Se tournant donc vers Athos et ses amis : – Messieurs, dit-il, je reprendrai, s’il vous plaît, quelque chose à vos paroles. Vous avez dit que vous n’étiez que trois, mais il me semble, à moi, que nous sommes quatre. – Mais vous n’êtes pas des nôtres, dit Porthos. – C’est vrai, répondit d’Artagnan ; je n’ai pas l’habit, mais j’ai l’âme. Mon cœur est mousquetaire, je le sens bien, monsieur, et cela m’entraîne. – Écartez-vous, jeune homme, cria Jussac, qui sans doute à ses gestes et à l’expression de son visage avait deviné le dessein de d’Artagnan. Vous pouvez vous retirer, nous y consentons. Sauvez votre peau ; allez vite.. D’Artagnan ne bougea point. – Décidément vous êtes un joli garçon, dit Athos en serrant la main du jeune homme. – Allons ! allons ! prenons un parti, reprit Jussac. – Voyons, dirent Porthos et Aramis, faisons quelque chose. – Monsieur est plein de générosité, dit Athos. Mais tous trois pensaient à la jeunesse de d’Artagnan et redoutaient son inexpérience. – Nous ne serons que trois, dont un blessé, plus un enfant, reprit Athos, et l’on n’en dira pas moins que nous étions quatre hommes. – Oui, mais reculer ! dit Porthos. – C’est difficile, reprit Athos. D’Artagnan comprit leur irrésolution. – Messieurs, essayez-moi toujours, dit-il, et je vous jure sur l’honneur que je ne veux pas m’en aller d’ici si nous sommes vaincus. – Comment vous appelle-t-on, mon brave ? dit Athos. – D’Artagnan, monsieur. – Eh bien, Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan, en avant ! cria Athos. – Eh bien ! voyons, messieurs, vous décidezvous à vous décider ? cria pour la troisième fois Jussac. – C’est fait, messieurs, dit Athos. – Et quel parti prenez-vous ? demanda Jussac. – Nous allons avoir l’honneur de vous charger, répondit Aramis en levant son chapeau d’une main et tirant son épée de l’autre. – Ah ! vous résistez ! s’écria Jussac. – Sangdieu ! cela vous étonne ? Et les neuf combattants se précipitèrent les uns sur les autres avec une furie qui n’excluait pas une certaine méthode. Athos prit un certain Cahusac, favori du cardinal ; Porthos eut Biscarat et Aramis se vit en face de deux adversaires. Quant à d’Artagnan, il se trouva lancé contre Jussac lui-même1 . Le cœur du jeune Gascon battait à lui briser la poitrine, non pas de peur, Dieu merci ! il n’en avait pas l’ombre, mais d’émulation ; il se battait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour de son adversaire, changeant vingt fois ses gardes et son terrain. Jussac était, comme on le disait alors, friand de la lame, et avait fort pratiqué ; cependant il avait toutes les peines du monde à se défendre contre un adversaire qui, agile et bondissant, s’écartait à tout moment des règles reçues, attaquant de tous côtés à la fois, et tout cela en parant en homme qui a le plus grand respect pour son épiderme. Enfin cette lutte finit par faire perdre patience à Jussac. Furieux d’être tenu en échec par celui qu’il avait regardé comme un enfant, il s’échauffa et commença à faire des fautes. D’Artagnan, qui, à défaut de la pratique, avait une profonde théorie, redoubla d’agilité. Jussac, voulant en finir, porta un coup terrible à son adversaire en se fendant à fond ; mais celui-ci para prime, et tandis que Jussac se relevait, se glissant comme un serpent sous son fer, il lui passa son épée au travers du corps. Jussac tomba comme une masse. D’Artagnan jeta alors un coup d’œil inquiet et rapide sur le champ de bataille. (…) D’Artagnan, selon les lois du duel de cette époque, pouvait secourir quelqu’un ; pendant qu’il cherchait du regard celui de ses compagnons qui avait besoin de son aide, il surprit un coup d’œil d’Athos. Ce coup d’œil était d’une éloquence sublime. Athos serait mort plutôt que d’appeler au secours ; mais il pouvait regarder, et du regard demander un appui. D’Artagnan le devina, fit un bond terrible et tomba sur le flanc de Cahusac en criant : – À moi, monsieur le garde, je vous tue ! Cahusac se retourna ; il était temps. Athos, que son extrême courage soutenait seul, tomba sur un genou. – Sangdieu ! criait-il à d’Artagnan, ne le tuez pas, jeune homme, je vous en prie ; j’ai une vieille affaire à terminer avec lui, quand je serai guéri et bien portant. Désarmez-le seulement, liez-lui l’épée. C’est cela. Bien ! très bien ! Cette exclamation était arrachée à Athos par l’épée de Cahusac qui sautait à vingt pas de lui. D’Artagnan et Cahusac s’élancèrent ensemble, l’un pour la ressaisir, l’autre pour s’en emparer ; mais d’Artagnan, plus leste, arriva le premier et mit le pied dessus. Cahusac courut à celui des gardes qu’avait tué Aramis, s’empara de sa rapière, et voulut revenir à d’Artagnan ; mais sur son chemin il rencontra Athos, qui, pendant cette pause d’un instant que lui avait procurée d’Artagnan, avait repris haleine, et qui, de crainte que d’Artagnan ne lui tuât son ennemi, voulait recommencer le combat. D’Artagnan comprit que ce serait désobliger Athos que de ne pas le laisser faire. En effet, quelques secondes après, Cahusac tomba la gorge traversée d’un coup d’épée. Au même instant, Aramis appuyait son épée contre la poitrine de son adversaire renversé, et le forçait à demander merci. (…) Puis ils sonnèrent la cloche, et, emportant quatre épées sur cinq, ils s’acheminèrent ivres de joie vers l’hôtel de M. de Tréville. On les voyait entrelacés, tenant toute la largeur de la rue, et accostant chaque mousquetaire qu’ils rencontraient, si bien qu’à la fin ce fut une marche triomphale. Le cœur de d’Artagnan nageait dans l’ivresse, il marchait entre Athos et Porthos en les étreignant tendrement. – Si je ne suis pas encore mousquetaire, dit-il à ses nouveaux amis en franchissant la porte de l’hôtel de M. de Tréville, au moins me voilà reçu apprenti, n’est-ce pas ? III. La vie privée des personnages historiques : La reine Margot. Dans le chapitre suivant, identifiez les acteurs de la scène (Charles et Henri) : il s’agit des personnages historiques importants. Comment Dumas traite dans ce roman les personnages historiques ? Son approche, est-elle différente ou similaire par rapport aux autres auteurs du roman historique ? A partir de la lecture de ces deux extrais, pouvez-vous identifier les traits caractéristiques du roman dumasien ? Au milieu de la rue Geoffroy-Lasnier venait aboutir la rue Garnier-sur-l ‘Eau, et au bout de la rue Garnier-sur-l ’Eau s’étendait à droite et à gauche la rue des Barres. Là, en faisant quelques pas vers la rue de la Mortellerie, on trouvait à droite une petite maison isolée au milieu d’un jardin clos de hautes murailles et auquel une porte pleine donnait seule entrée. Charles tira une clef de sa poche, ouvrit la porte, qui céda aussitôt, étant fermée seulement au pêne ; puis ayant fait passer Henri et le laquais qui portait la torche, il referma la porte derrière lui. Une seule petite fenêtre était éclairée. Charles la montra du doigt en souriant à Henri. – Sire, je ne comprends pas, dit celui-ci. – Tu vas comprendre, Henriot. Le roi de Navarre regarda Charles avec étonnement. Sa voix, son visage avaient pris une expression de douceur qui était si loin du caractère habituel de sa physionomie, que Henri ne le reconnaissait pas. – Henriot, lui dit le roi, je t’ai dit que lorsque je sortais du Louvre, je sortais de l’enfer. Quand j’entre ici, j’entre dans le paradis. – Sire, dit Henri, je suis heureux que Votre Majesté m’ait trouvé digne de me faire faire le voyage du ciel avec elle. – Le chemin en est étroit, dit le roi en s’engageant dans un petit escalier, mais c’est pour que rien ne manque à la comparaison. – Et quel est l’ange qui garde l’entrée de votre Éden, Sire ? – Tu vas voir, répondit Charles IX. Et faisant signe à Henri de le suivre sans bruit, il poussa une première porte, puis une seconde, et s’arrêta sur le seuil. – Regarde, dit-il. Henri s’approcha et son regard demeura fixé sur un des plus charmants tableaux qu’il eût vus. C’était une femme de dix-huit à dix-neuf ans à peu près, dormant la tête posée sur le pied du lit d’un enfant endormi dont elle tenait entre ses deux mains les petits pieds rapprochés de ses lèvres, tandis que ses longs cheveux ondoyaient, épandus comme un flot d’or. On eût dit un tableau de l’Albane représentant la Vierge et l’enfant Jésus. – Oh ! Sire, dit le roi de Navarre, quelle est cette charmante créature ? – L’ange de mon paradis, Henriot, le seul qui m’aime pour moi. Henri sourit. – Oui, pour moi, dit Charles, car elle m’a aimé avant de savoir que j’étais roi. – Et depuis qu’elle le sait ? – Eh bien, depuis qu’elle le sait, dit Charles avec un soupir qui prouvait que cette sanglante royauté lui était lourde parfois, depuis qu’elle le sait, elle m’aime encore ; ainsi juge. Le roi s’approcha tout doucement, et sur la joue en fleur de la jeune femme, il posa un baiser aussi léger que celui d’une abeille sur un lis. Et cependant la jeune femme se réveilla. – Charles ! murmura-t-elle en ouvrant les yeux. – Tu vois, dit le roi, elle m’appelle Charles. La reine dit Sire. – Oh ! s’écria la jeune femme, vous n’êtes pas seul, mon roi. – Non, ma bonne Marie. J’ai voulu t’amener un autre roi plus heureux que moi, car il n’a pas de couronne ; plus malheureux que moi, car il n’a pas une Marie Touchet. Dieu fait une compensation à tout. – Sire, c’est le roi de Navarre ? demanda Marie. – Lui-même, mon enfant. Approche, Henriot. Le roi de Navarre s’approcha. Charles lui prit la main droite. – Regarde cette main, Marie, dit-il ; c’est la main d’un bon frère et d’un loyal ami. Sans cette main, vois-tu... – Eh bien, Sire ? – Eh bien, sans cette main, aujourd’hui, Marie, notre enfant n’aurait plus de père. Marie jeta un cri, tomba à genoux, saisit la main de Henri et la baisa. – Bien, Marie, bien, dit Charles. – Et qu’avez-vous fait pour le remercier, Sire ? – Je lui ai rendu la pareille. Henri regarda Charles avec étonnement. – Tu sauras un jour ce que je veux dire, Henriot. En attendant, viens voir. Et il s’approcha du lit où l’enfant dormait toujours. – Eh ! dit-il, si ce gros garçon-là dormait au Louvre au lieu de dormir ici, dans cette petite maison de la rue des Barres, cela changerait bien des choses dans le présent et peut-être dans l’avenir.[1] – Sire, dit Marie, n’en déplaise à Votre Majesté, j’aime mieux qu’il dorme ici, il dort mieux. – Ne troublons donc pas son sommeil, dit le roi ; c’est si bon de dormir quand on ne fait pas de rêves ! – Eh bien, Sire, fit Marie en étendant la main vers une des portes qui donnaient dans cette chambre. – Oui, tu as raison, Marie, dit Charles IX ; soupons. – Mon bien-aimé Charles, dit Marie, vous direz au roi votre frère de m’excuser, n’est-ce pas ? – Et de quoi ? – De ce que j’ai renvoyé nos serviteurs. Sire, continua Marie en s’adressant au roi de Navarre, vous saurez que Charles ne veut être servi que par moi. – Ventre-saint-gris ! dit Henri, je le crois bien. Les deux hommes passèrent dans la salle à manger, tandis que la mère, inquiète et soigneuse, couvrait d’une chaude étoffe le petit Charles, qui, grâce à son bon sommeil d’enfant que lui enviait son père, ne s’était pas réveillé. Marie vint les rejoindre. – Il n’y a que deux couverts, dit le roi. – Permettez, dit Marie, que je serve Vos Majestés. – Allons, dit Charles, voilà que tu me portes malheur, Henriot. – Comment, Sire ? – N’entends-tu pas ? – Pardon, Charles, pardon. – Je te pardonne. Mais place-toi là, près de moi, entre nous deux. – J’obéis, dit Marie. Elle apporta un couvert, s’assit entre les deux rois et les servit. – N’est-ce pas, Henriot, que c’est bon, dit Charles, d’avoir un endroit au monde dans lequel on ose boire et manger sans avoir besoin que personne fasse avant vous l’essai de vos vins et de vos viandes ? – Sire, dit Henri en souriant et en répondant par le sourire à l’appréhension éternelle de son esprit, croyez que j’apprécie votre bonheur plus que personne. – Aussi dis-lui bien, Henriot, que pour que nous demeurions ainsi heureux, il ne faut pas qu’elle se mêle de politique ; il ne faut pas surtout qu’elle fasse connaissance avec ma mère. – La reine Catherine aime en effet Votre Majesté avec tant de passion, qu’elle pourrait être jalouse de tout autre amour, répondit Henri, trouvant, par un subterfuge, le moyen d’échapper à la dangereuse confiance du roi. – Marie, dit le roi, je te présente un des hommes les plus fins et les plus spirituels que je connaisse. À la cour, vois-tu, et ce n’est pas peu dire, il a mis tout le monde dedans ; moi seul ai vu clair peut-être, je ne dis pas dans son cœur, mais dans son esprit. ________________________________ [1] En effet, cet enfant naturel, qui n’était autre que le fameux duc d’Angoulême, qui mourut en 1650, supprimait, s’il eût été légitime, Henri III, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV. Que nous donnait-il à la place? L’esprit se confond et se perd dans les ténèbres d’une pareille question.