Zkouška 1, 25/5/2021, překlad s komentářem Miguel Bonnefoy, Héritage (2020) s. 34-35 Le jour où Lazare Lonsonier accosta au port de Valparaíso, sa mère l’attendait sur le quai. Vieillie, ridée par l’anxiété, plus pâle et plus fragile qu’au moment de son départ, elle avait les yeux gonflés de ceux qui ont longtemps pleuré en silence. Elle se remémora aussitôt l’après-midi où ils étaient trois à partir pour la France et, n’en voyant revenir qu’un seul, elle ne put réellement reconnaître son fils, dont elle confondit le prénom, pendant plusieurs mois, avec celui de ses deux frères. À cinquante-deux ans, Delphine avait perdu l’intensité vermeille de sa chevelure de dahlias. Plus solitaire que jamais, elle était devenue une femme instable comme une statuette de cire, dont la peau translucide, rarement exposée au soleil, laissait découvert un labyrinthe de veines bleues. La nouvelle de la mort de ses deux fils, après la lettre reçue, l’avait bouleversée au point de la rendre obsessionnelle. En prévoyant le retour de Lazare, elle avait donné l’ordre de laver les murs de son salon avec du savon noir, fait d’huile et de ronces, afin de purifier l’âme de la maison et d’éloigner les esprits belliqueux. Elle erra longtemps dans les hauts plateaux de la sénilité, sans se plaindre, seulement obnubilée par des cauchemars muets, dans le désordre de ses espoirs, dans les plis de ses heures vides, jusqu’à ce soir de décembre où elle se convainquit que son malheur familial venait des armes. Apeurée par tout ce qui était métallique, elle se mit en tête de fondre les casseroles, les gonds des portes et les balustrades des escaliers, pour en faire des joailleries scintillantes et transformer ainsi tout ce qui lui rappelait la mort en une orfèvrerie de la vie.