OPVK_MU_EN_min_1 Petr Kyloušek Théâtre québécois Descriptif du cours Le cours semestriel, structuré en 13 unités de 2 heures, entend présenter un bref aperçu de l’évolution du théâtre de la Nouvelle-France, du Canada français et du Québec sous quatre aspects : 1^o contexte culturel; 2^o contexte institutionnel; 3^o esthétique/dramaturgie; 4^o auteurs. Auteurs étudiés en cours ou proposés pour analyses (liste non exahustive) Victor-Lévy Beaulieu: En attendant Trudot, La Maison cassée, La Nuit de la grande citrouille, La Tête de Monsieur Ferron ou les Chians Jean-Pierre Barbeau: Ben-Ur, Coeur de papa, Émile et une nuit, Joualez-moi d’amour, La Vénus d’Émilio, Le Grand Poucet, Le Chemin de Lacoix, Manon Last Call Denise Boucher: Les Fées ont soif Normand Chaurette: Scènes d’enfant Jean-Marc Dalpé: Le Chien Marcel Dubé: Au retour des oies blanches, Les Beaux dimanches, Florence, Réformiste ou l’homme des hommes, Un simple soldat, Le tempse des lilas René-Daniel Dubois: Panique à Longueil, Et Laura ne répondait rien, 26 bis, impasse du colonel Foisy Réjean Ducharme: Ines Pérée et Inat Tendu, Ha ha!... Jacques Ferron: L’Ogre, Tante Élise ou le prix de l’amour, Cazou ou le prix de la virginité, Le Don Juan chrétien, Les Grands soleils, La Tête du Roi, Le Dodu, La Mort de Monsieur Borduas, Le Permis de dramaturge, L’Impromptu des deux chiens Michel Garneau: Émilie ne sera pas cueillie par une anémone, Abriés Désabriées, Les Neiges. Le Bonhomme de sept-heures, Gilgamesh, Straus et Pesant (et Rosa) Claude Gavreau: La Charge de l’orignal épormyable Gratien Gélinas: Tit-Coq, Bousille et les justes, Hier les enfants dansaient, La Passion de Narcisse Mondoux Robert Gurik: Le Tabernacle à trois étages, Le procès de Jean-Baptiste, Le Champion, La Baie des Jacques, Le Pendu, Hamlet, prince du Québec Anne Hébert: La Cage, L’Île de la Demoiselle, Le Temps sauvage, La Mercière assassinée, Les Invités au procès Roland Lepage: Le temps d’une vie, La pétaudière, La complainte des hivers rouges Françoise Loranger: Double jeu, Encore cinq minutes, Le Chemin du Roy, Un jour... une maison... Antotnine Maillet: La Veuve enragée, Les Crasseux, La Sagouine, Évangéline Deusse Jovette Marchessault: Triptyque lesbien, Le voyage magnifique d’Emily Carr Marco Micone: Addolorata, Déjà l’agonie Wajdi Mouawad: Littoral Jean-Pierre Ronfard: Vie et mort du roi boiteux Michel Tremblay: Les Belles-soeurs, Bonjour là, bonjour, Damnée Manon, sacrée Sandra, Sainte Carmen de la Main, Demain matin Montréal m’attend, Hosanna, La duchesse de Langeais, À toi pour toujours ta Marie Lou, Albertine en cinq temps, Le Vrai monde? L’impromtu d’Outremont, En pièces détachées Bibliografie Ouvrages généraux Kyloušek, Petr. Dějiny francouzsko-kanadské a quebecké literatury. Brno : Host, 2005 Ouvrages spécialisés Belair, Michel. Le Nouveau théâtre québécois. Montréal : Leméac, 1973 Béraud, Jean. 350 ans de théâtre au Canada français. Montréal : Cercle du livre de France 1958 Cotnam, Jacques. Le théâtre québecois, instrument de contestation sociale et politique. Montréal : Fides, 1976 Greffard, Madeleine - Sabourin, Jean-Guy. Le Théâtre québécois. Montréal : Boréal 1997 Lafon, Dominique. Le Théâtre québécois (1975-1995). Montréal : Fides, 2001 Mailhot, Laurent - Godin, Jean-Cléo. Le Théâtre québécois I, II. Montréal : Hurtubise HMH, 1970 et 1980 Pontaut, Alain. Dictionaire critique du théâtre québécois. Montréal : Leméac 1972 Rinfret, Édouard-G.. Le Théâtre canadien d’expression française; répertoire analytique des origines à nos jours I-IV. Montréal : Leméac, 1976-1978 Ouvrages complémentaires Biron, Michel - Dumont, François - Nardout-Lafarge, Élisabeth. Histoire de la littérature québécoise. Montréal: Boréal, 2007 Cahiers francophones d’Europe Centre-Orientale. Y a-t-il un dialogue interculturel dans les pays francophones?, n^o 5-6, Vienne-Pécs 1995 Canadian Literature (UBC Vancouver) n^o 58, automne 1973 Dione, René. Le Québécois et sa littérature. Sherbrooke : Naaman, 1984 Études littéraires, volume 18, n^o 3, hiver 1985 (Théâtre québecois: tendances actuelles), Québec, Université Laval Hamel, Réginal. Panorama de la littérature québécoise contemporaine. Montréal : Guérin, 1997 Legris, Renée - Larrue, Jean-Marc - Bourassa, André-G. - David, Gilbert. Le Théâtre au Québec 1925-1980. Québec : VLB, 1988 Lemire, Maurice et coll. Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec I-VII. Montréal : Fides, 1987-1994 Lemire, Maurice et coll. La Vie littéraire au Québec I-IV. Québec : Presses de l’Université de Laval, 1991-1999 Litteraria Pragensia, vol. 8, n^o 16, 1998 Smith, Donald. L’écrivain devant son oeuvre. Entrevues. Montréal : Québec/Amérique, 1983 Tougas, Gérard. Destin littéraire du Québec. Montréal : Éditions Québec/Amérique, 1982 Notation : analyse comparée de trois textes dramatiques (18.000 signes au minimum) Table des Matières I.- II. Théâtre en Nouvelle-France III.-IV. Théâtre canadien entre la Conquête et la Confédération (1760-1867) V.-VI. Constitution du théâtre canadien français (1867-1930) VII.-VIII. Vers la modernité (1930-1960) IX.-X. La Révolution tranquille et son influence sur le théâtre XI.-XII. Situation du théâtre québécois après 1980 XIII. Conclusion générale I.-II. Théâtre en Nouvelle-France Le théâtre occupe dans la vie du Canada francophone une place privilégiée dans la mesure où il semble avoir partie liée, plus que les autres genres, avec la vie de la société canadienne-française, et cela dès le début. Que l’on songe en effet que le tout premier événement théâtral du Canada a eu lieu à Port-Royal en Acadie le 14 novembre 1606. Le Théâtre de Neptune de Marc Lescarbot est une « gaillardise en rimes », un morceau de circonstance pour fêter un retour d’expédition du sieur de Poutrincourt. L’existence de ce premier événement théâtral du Nouveau Monde a inspiré le titre éloquent du livre de Jean Béraud 350 ans de théâtre au Canada français. Le titre est sans doute exagéré, car une vie théâtrale structurée ne se met en place, définitivement, qu’au tournant du 19^e et du 20^e siècle et il faudra attendre les années 1950 pour voir apparaître une production dramatique originale, digne de ce nom. Il s’agit néanmoins d’un événement significatif. D’abord du point de vue social: le spectacle et le théâtre resteront un lieu d’autoréflexion de la société canadienne et québécoise. Du point de vue temporel: le spectacle précède de deux ans la fondation de Québec et de 36 ans celle de Montréal. Du point de vue littéraire enfin: les autres genres littéraires ne viendront que bien plus tard - le premier roman canadien-français Le Chercheur de trésor de Philippe Aubert de Gaspé fils sera publié en 1837 seulement, précédé de peu, il est vrai, par la poésie. Le théâtre fait partie de la vie sociale et culturelle de la jeune colonie française, appelée Nouvelle-France. Témoin, en 1646, la représentation, dix ans après la première parisienne, du Cid de Corneille, mis en scène au magasin de la compagnie des Cent-Associés à Québec. Plusieurs autres pièces de Corneille sont jouées entre 1646 et 1694. L’importance relative du théâtre, tout au début de la colonisation, tient à plusieurs facteurs. Le premier est sans doute la persistance de l’esthétique baroque, un fait de longue durée de la culture canadienne-française. On sait que l’esthétique baroque a le sens de la théâtralité. L’autre facteur tient à la proximité de la culture autochtone, orale. En Nouvelle-France et au Canada, la coexistence des colons et des ethnies amérindiennes a été conditionnée par le facteur démographique. À la mort de Samuel Champlain, le 25 décembre 1635, Québec ne compte pas plus de 300 colons. En 1660, la population française de la colonie n’atteint pas 3.000 habitants, nombre que les efforts de Colbert portent à près de 10.000 en 1681. Il en résulte que les colons européens ont pendant longtemps été en situation de minorité. Selon les estimations, le territoire du Canada était peuplé d’un million d’autochtones au début de la colonisation. Certaines tribus constituaient des confédérations – comme la huronne ou l’iroquoise – comptant de 20 à 30.000 personnes. Les langues iroquoiennes étaient parlées par près de 100.000 individus.[1] Plusieurs tribus – Micmacs, Innus, Malécites, Abénakis, Cris - se partageaient la vallée du Saint-Laurent, au nombre de 25.000. À la fin du 17^e siècle seulement, les rapports démographiques changent au désavantage des autochtones qui, au moment de la Conquête, ne sont que 7.000 contre 70.000 Canadiens-Français.[2] Les Français se sont appliqués à christianiser et franciser les tribus amérindiennes. Pourtant le rapport des forces et la prépondérance culturelle ne sont pas, au début, à l’avantage de l’élément français. Jusque vers 1660, les colons et les missionnaires devaient s’adapter aux langues amérindiennes. Marie de l’Incarnation a dû apprendre l’innu, l’algonquin, le huron et l’iroquois. En 1640, un an après son arrivée, elle commente la situation : « [...] ce bout du monde où l’on est sauvage toute l’année, sinon lorsque les vaisseaux sont arrivez que nous reprenons notre langue française [...]. »[3] En 1664, elle constate déjà que le nombre d’Amérindiens dans son entourage s’est réduit à un vingtième et que parmi les jeunes filles que le couvent accueille les Françaises désormais l’emportent en nombre. C’est aussi la période où le français commence à s’imposer comme langue de communication avec les premières nations. On estime pourtant que vers 1700 encore, un colon sur deux est passé dans sa jeunesse par l’expérience amérindienne et a eu donc contact avec la culture d’une tribu amérindienne.[4] La situation du Canada, au 17^e siècle, a été décrite en détail par les récollets et les jésuites qui publiaient chaque année, à Paris, leurs rapports collectifs - Relations (1632-1673). Leurs descriptions de la culture amérindienne mêlent le mépris à l’admiration. Le sentiment de supériorité de détenteurs de l’Écriture – au sens propre et religieux - n’empêche pas la haute considération de la civilisation basée sur l’oralité et la culture de la parole. Le jésuite Paul le Jeune apprécie la rhétorique des chefs amérindiens - « une rhétorique aussi fine et déliée qu’il en sçauroit sortir de l’escholle d’Aristote, ou de Cicéron ».[5] Son collègue Barthélémy Vimont a laissé un récit admiratif sur la mise en scène de la performance oratoire d’un messager iroquois.[6] Et c’est sans doute cet art oratoire des Amérindiens, lié à la représentation publique, qui fortifie le sens de la théâtralité de la culture qui s’est développé en Nouvelle-France. Analyse : Barthélémy Vimont, « Relation de la Nouvelle France, en l’Année 1645 », chap. IX « Traitté de la paix entre les François, Iroquois et autres nations ». Commentaire : Étudiez la mise en scène, la distribution de la parole dans la narration du messager iroquois. Relevez et commentez les figures de style et les tropes. Étudiez la vision et le commentaire de l’auteur jésuite. L’Amérindien est présent dans les tout premiers textes littéraires qui se rapportent au Nouveau Monde par leur origine ou leur thématique. Une analyse pertinente de la problématique a été réalisée par Bernard Andrès qui compare Le Théâtre de Neptune (1606) de Marc Lescarbot aux spectacles scolaires du Collège des Jésuites de Québec, organisés comme partie des festivités à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau gouverneur ou d’autres dignitaires.[7] La place accordée à la présence des Amérindiens. y semble très importante. Le Théâtre de Neptune qui, à l’imitation des entrées royales, met en scène l’hommage prêté par Neptune, ses Tritons et les habitants du Nouveau Monde au vice-gouverneur Poutrincourt à son retour d’expédition distribue 78 vers sur 238 entre quatre personnages représentant les sauvages. Le texte contient cinq lexèmes micmacs. La présence « linguistique » est encore plus marquée dans les spectacles jésuites qui comportent de longues répliques et tirades en diverses langues amérindiennes. On constate donc une forte tendance à intégrer l’autre dans son propre contexte culturel comme partie de l’image identitaire de soi-même. L’étude de Bernard Andrès pose la question de la présence effective d’Amérindiens comme acteurs – sujets parlants. La réponse est négative. Dans le cas du Théâtre de Neptune, il est fort improbable que des Micmacs acadiens puissent avoir appris, en si peu de temps, de longs passages en français. Quant aux spectacles des jésuites, il est attesté que les rôles du sauvage huron, du prisonnier huron, de l’Algonquin, du Nez-Percé et de l’étranger du Nord ont été joué par de jeunes écoliers qui ont appris à réciter les répliques en langues autochtones. Il importe d’en tenir compte en examinant l’image de l’Amérindien ou de l’Inuit dans la perspective historique. Ce n’est après 1970 que les premiers auteurs amérindiens prndront la plume pour s’exprimer (voir plus loin). Analyse : Marc Lescarbot, Théâtre de Neptune. Commentaire : Caratérisez l’insertion de l’étranger (Amérindien) dans le sytème de valeurs européen. Quel est le rôle du plurilinguisme? Étudiez les raisons de l’emploi de la mythologie et ses conséquences, entre autres idéologiques. Comparez la rhétorique du messager iroquois (texte de Vimont) et la rhétorique de Lescarbot. S’agit-il, à proprement parler, d’une pièce de théâtre? Pourquoi oui/non? En 1694, un conflit oppose le gouverneur Frontenac à l’évêque de Québec M^gr de Saint-Vallier qui interdit, par un mandement, Le Tartuffe de Molière. L’affaire se termine sur la grand-place de Québec où l’évêque rencontrant le gouverneur le prie d’obéir en lui offrant comme dédommagement 100 pistoles. Même blâmé pour avoir accepté ce pot-de-vin, Frontenac fait annuler le spectacle. Cette victoire de l’Église pèsera néanmoins sur la situation ultérieure, marquée par l’influence de la censure ecclésiatique sur la vie culturelle en général. L’influence de l’Église catholique sur la société et la culture va continuer même après la victoire anglaise et compliquer la vie théâtrale. III.-IV. Théâtre canadien entre la Conquête et la Confédération (1760-1867) Par le Traité de Paris en 1763, la Nouvelle-France devient le Canada anglais. Les liens avec la France sont interrompus, les élites de la vie sociale et culturelle quittent l’Amérique. Seuls restent la bourgeoisie marchande, encore peu développée, et le peuple agricole (les « habitants »), les deux cimentés par l’Église catholique qui deviendra pour longtemps la seule source d’intellectuels et le garant de la francité et de l’identité autochtone. La vie théâtrale reprend sous le nouveau régime de la colonie qui voit dans le théâtre une activité sociale propre à rapprocher la minorité anglaise de la majorité française. Jean Béraud constate: « Si le goût du théâtre s’implanta rapidement et fermement à Montréal, c’est aux soldats de garnison et aux artistes de langue anglaise que nous le devons. »[8] Les officiers et les soldats des garnisons maîtrisent suffisamment le français pour jouer dans les pièces de Molière, de Corneille ou de Racine. Si le 15 avril 1765 déjà le public de Québec assiste à la représentation de Dom Juan de Molière, la vie théâtrale, à Québec et à Montréal, ne se développe véritablement qu’après 1774. Jusqu’en 1786, les auteurs français dominent (Molière, Pierre et Thomas Corneille, Voltaire, Beaumarchais, Destouches), ensuite ils alternent avec les auteurs anglais (Shakespeare, Swift). Une autre impulsion pour le développement du théâtre est l’insertion du Canada dans les circuits saisonniers des troupes théâtrales ambulantes états-uniennes, notamment celles qui se déplacent entre Philadelphia - New York – Boston – Albany et qui remontent, pour l’été, à Montréal, avant de passer l’automne à Québec. Plus tard, la région des Grand Lacs, avec Toronto, y est aussi ipmpliquée. Montréal restera toutefois le centre le plus important. Rappelons les personnalités marquantes : Edward Allen qui dirigeait la troupe newyorkaise The Old American Company, James Ormsby qui était à la tête de l’Albany Theatre, Edmund Kean, un grand acteur britannique qui a joué Gloster dans Richard III (1826) et Othello (1826). La Société des jeunes artistes, française, arrive au Canada en 1815 et fraie le chemin aux tournées de Scévola Victor (1827) et de Firmin Prud’homme (1831-1839), élève de Talma. Les troupes ambulantes sont dirigées par le directeur qui est en même temps l’acteur principal (actor- manager). Ces troupes, souvent incomplètes pour pouvoir jouer tous les rôles de la pièce, comptaient sur les ressources locales en embauchant sur place des amateurs. C’est ainsi que l’actor manager system contribuait au développement du théâtre et des troupes d’amateurs, tels Jeunes Messieurs canadiens (1791) à Québec ou Théâtre de société (1789) et Amateurs typographes (1839) à Montréal. Une autre impulsion pour le développement du théâtre vient des établissements scolaires. La tradition des représentations annuelles, introduite par les jésuites, s’était perpétuée jusqu’en 1780 avant d’être interdite par les autorités de l’Église catholique qui y voyaient une source de corruption des moeurs. Ce n’est qu’à la mort de l’archevêque Joseph-Octave Plessis (1825) que ses successeurs Ignace Bourget (1799-1885, évêque coadjuteur 1837, évêque 1840) et Édouard-Charles Fabre (1827-1896, évêque 1876, archevêque 1886) redécouvrent les vertus pédagogiques des représentations scolaires, réintroduites surtout grâce aux efforts de Jean (John) Holmes (1799-1852). C’est avec ce milieu des collèges qu’est liée la naissance de la première tragédie canadienne-française Le Jeune Latour (1844) d’Antoine Gérin-Lajoie. Une autre ressource du développement du théâtre est le cirque qui représente la composante populaire, démocratique et dont la popularité a toujours su défier, par sa résistance, l’Église catholique. L’avantage dramatique du cirque consistait à inclure, dans les spectacles, plusieurs genres dramatiques - pantomime, farce, sketch comique, air d’opéra. Comme pour les troupes de théâtre, le Canada se trouve sur la toute des cirques états-uniens. Le premier à venir à Montréal fut celui de John Bill Ricketts. Le chapiteau des cirques abrite aussi, occasionnellement, les représentations des troupes d’amateurs, comme dans le cas de l’accord passé entre l’impresario Page et la troupe de Wells. La fondation du Cirque royal (1824) par William West a C.W. Blanchard, à Québec, est une tentative de synthèse du théâtre et du cirque. Le développement de la vie théâtrale nécessite la création des salles de spectacles. Entre 1764-1805 une trentaine de salles, temporaires, apparaissent dont la moitié sert aux spectacles en français. Les premiers théâtres, au sens propre du mot, s’ouvrent à Montréal en 1804, 1806, 1808, mais leur activité n’est souvent que de courte durée. En 1825 enfin, une grande scène est inaugurée, celle du Théâtre Royal (Royal Theatre) avec un millier de places. À Québec, le Cirque Royal est transformé en Théâtre Royal en 1832. Dans ces théâtres modernes, les représentations sont pour la plupart anglaises, mais elles sont fréquentées et appréciées par le public bourgeois francophone. La domination du théâtre anglophone tient avant tout aux raisons économiques, souci majeur des directeurs, qui n’en oublient pas pour autant la présence du public francophone. Des représentations françaises s’organisent: pièces françaises (Molière), mais aussi quelques créations originales, comme celles de Joseph Quesnel (1749-1809), un Français de Saint-Malo naturalisé Canadien grâce à son amitié avec le gouverneur anglais et qui s’installe à Boucheville où il décède en 1809. Joseph Quesnel est l’auteur d’un Traité de l’art dramatique et de cinq pièces dont il faut citer au moins deux: Colas et Colinette, comédie-vaudeville jouée et publiée en 1790, et surtout un court divertisement L’Anglomanie ou le dîner à l’anglaise de 1802 où, sur le mode du Bourgeois gentilhomme, il raille la nouvelle anglomanie des élites françaises fraîches écloses qui veulent s’insérer dans l’administration coloniale anglaise. L’intrigue se joue autour de la visite du gouverneur et de Milady chez M. Primenbourg qui ne sait pas quel menu composer, qui inviter, quelle vaisselle choisir pour honorer ses invités: faut-il rester Français ou bien repecter les coutumes anglaises? Il est partagé entre les conseils de son gendre, fonctionnaire sottement soumis au nouveau régime, et ceux de sa mère qui représente la bonne simplicité familiale, de souche française. Ce tableau d’époque met en scène, sous forme amusante, un problème crucial et qui sera repris, forcément, plusieurs fois par la suite: celui de l’entente et de la vie en commun avec les Anglais dominateurs (cf. Jacques Ferron, La tête du Roi). Analyse : Joseph Quesnel, L’Anglomanie ou le dîner à l’anglaise Commentaire : Caractérisez l’esthétique à laquelle obéit le texte. En quoi tient-elle de ses modèles, en quoi est-elle novatrice? Parmi les comédiographes de cette période, il faut mentionner Hyacinthe-Poirier Leblanc de Marconnay (1794-1868), un Parisien établi, pour un temps, comme journaliste à Montréal. Il est l’auteur d’un opéra comique en un acte L’Hôtel des Princes (1831). Sa comédie en un acte Valentine ou la Nina canadienne (1836) reprend l’intrigue amoureuse de Nina ou La folle par amour (1787) de Marsollier de Vivetières en la canadianisant par le thème et l’insertion des chansons folkloriques canadiennes. L’action est située dans le paysage du Saint-Laurent au moment de la guerre anglo-états-unienne. On mentionne aussi son mélodramme patriotique Le Soldat, intermède en deux parties, mêlé de chants (1835) qui anticipe la « rébellion » des Patriotes de 1837-38. Pierre Petitclair (1813 –1860) est un écrivain polymorphe, lié comme précepteur à la famille du marchand de fourrures Guillaume-Louis Labadie qu’il accompagne dans ses voyages à travers le Canada et le Labrador. La farce, en trois actes Griphon ou la Vengeance d’un valet (1837) combine les principes de la commedia dell’arte et les scènes comiques rappelant les comédies de Molière et Shakespeare. La Donation (1842) est un rappel de l’élégant marivaudage de la comédie française du 18^e siècle, alors que l’intrigue se noue autour d’un conflit d’héritage. Une partie de campagne (jouée 1842, publiée 1865) est sans doute la meilleure oeuvre de Petitclair. L’intrigue est comparable à L’Anglomanie de Quesnel, car le conflit concerne les relations entre les francophones et les anglophones, mais qui cette fois se projettent sur un arrière fond social : la différence entre la ville anglicisante et la campagne demeurée francophone. Louis qui habite la ville rend visite à son frère, resté au village natal. Louis est accompagné par son ami Canadien Anglais Brown et sa soeur Malvina. Le fils de Louis se comporte en dandy anglais, se fait appeler William, méprise le parler français et les villageois, y compris sa cousine Eugénie à qui il avait fait la cour l’année précédente. Les villageois le punissent en l’invitant à une promenade en bateau durant laquelle ils s’arrangent pour mouiller ses vêtements dandy et l’obliger à mettre un habit paysan. À la fête du village, tout le monde fait semblant de ne pas le reconnaître. Il est un étranger, reste à l’écart. Il n’a pas plus de succès en amour. Malvina qu’il courtise est mariée et Eugénie consent au mariage avec Brown. La tragédie, genre élevé, noble, est plus lente à se constituer. Comme la comédie, elle vise la problématique nationale, jugée à l’époque comme noyau des valeurs identitaires. La toute première tragédie canadienne française a été créée pour une représentation scolaire au collège de Nicolet par un jeune étudiant Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) : Le Jeune Latour (1844) est un bon exemple de la tragédie historique. L’intrigue paraît hautement symbolique: défenseur d’un fort isolé, le dernier qui résiste encore aux Anglais, le jeune commandant Latour est sommé par son père, passé à la solde des Anglais, de se rendre et de prêter allégeance au roi d’Angleterre. Le refus du fils est digne des héros cornéliens. Derrière l’intrigue, il y a tout un procès générationnel, celui des fils accusant leurs pères de lâcheté et de trahison. La thématique du rapport entre les fils et les pères connaîtra elle aussi une grande fortune par la suite, liée ou non à la problématique franco-anglaise. Analyse : Antoine Gérin-Lajoie, Le jeune Latour. Commentaire : Caractérisez les points saillants de la rhétorique baroquisante. Comment soutient-elle la théâtralité? Dans quel but? Avec quels effets? En quoi consiste la conflictualité psychologique du protagoniste? La relation entre le fils et le père reflète les événements de la « rébellion » des Patriotes renseignez-vous). L’image du père que Gérin-Lajoie propose deviendra une des composantes de l’imaginaire québécois. Caractérisez cette image et justifiez-en les traits. Comparez le rôle dévolu aux Amérindiens à celui de la pièce de Lescarbot. Y a-t-il un changement? La première moitié du 19^e siècle voit donc se constituer les éléments du théâtre canadien français tant sur le plan institutionnel – troupes d’amateurs, théâtres – que sur le plan de la production dramatique. Certains ouvrages – L’Anglomanie ou Le jeune Latour -deviennent une référence du canon littéraire. V.-VI. Constitution du théâtre canadien français (1867-1930) Le théâtre francophone se développe tout au long du 19^e siècle à l’ombre du théâtre anglophone. Entre 1765 et 1858 on répertorie 225 soirées de théâtre francophone, contre 1450 anglophones. Il ne s’agira pas, pendant longtemps, d’une production très originale. Toujours est-il qu’elle est loin d’être négligeable. En 1933 Georges Bellerive dénombrera dans son répertoire d’auteurs dramatiques anciens et contemporains 95 auteurs dramatiques masculins, 17 féminins et 22 auteurs d’opéras ou d’opérette. Le chiffre ‑ qu’il convient de rapporter à une population de 2-4 millions d’habitants et à la toute dernière cinquantaine d’années au sein de la période écoulée des trois siècles ‑ est assez éloquent. Il montre l’ampleur du phénomène. Or, en 1967, Jean-Guy Sabourin constate déjà: « Vingt-sept compagnies permanentes, une centaine de boîtes à chansons, une cinquantaine de centres d’art répartis à travers le Québec, 300.000 spectateurs, voilà la vie des arts du spectacle au Québec. Plus de quatre-vingt-dix pour cent des spectateurs sur scène sont donnés en langue française. »[9] Avant d’en arriver là, le théâtre canadien français avait connu la belle aventure de sa lente formation institutionnelle. Institution théâtrale Formation des scènes professionnelles 1825-1930 La formation institutionnelle du théâtre canadien français est étroitement liée à celle du théâtre canadien en général, avec comme foyer principal la ville de Montréal, ville commerciale, à la fois francophone par la majorité de sa population (2/3), mais dominée par les élites marchandes anglophones. C’est pour dépiter les Québécois de Québec, qui déniaient aux Montréalais toute sensibilité aux choses de l’esprit, que John Molson, homme d’affaires et homme politique, fonde et inaugure, le 21 novembre 1825 son Théâtre Royal (Royal Theatre, voir ci-dessus) au Marché Bonsecours. Il s’agissait, chronologiquement, de la 6^e salle de spectacles dramatiques créée à Montréal et qui allait enfin avoir, à la différence des précédentes, une longue durée. Le Théâtre Royal est en fait le premier véritable théâtre digne de ce nom. Reconstruit après le grand incendie qui a ravagé Montréal en 1852, il fournira 1.500 places aux spectateurs. La construction des théâtres, on le voit, est au Canada, à cette période, une entreprise privée, sans le financement de la ville ou de l’État. D’autres théâtres suivent qui s’établissent dans la nouvelle zone commerciale le long de la rue Sainte-Catherine: Dominion (1870), Académie de Musique (Academy of Music; 1874, 2000 places, financée par Hugh Allan), Her Majesty’s Theatre (Théâtre de sa Majesté, 1898), Albert Hall (1880), Monument National (scène française, ouverte en 1893), Théâtre des Variétés (français; 1898), Théâtre National (français; 1900), Théâtre Canadien (français; 1911). Parmi les scènes canadiennes françaises le Monument National assume une fonction particulière. Fondé par la Société Saint-Jean-Baptiste comme centre culturel des Canadiens Français, il devient aussi le centre de formation de la nouvelle génération d’acteurs professionnels. En dehors de Montréal, Québec dispose du Théâtre Jacques-Cartier, nouvellement reconstruit (1874) et concurrencé par l’Académie de musique et Victoria Hall. À Ottawa le Grand Opera House (1873) offre des spectacles en français, aussi bien que la salle de l’Institut Canadien-Français avec ses mille places. Gestion Le Théâtre Royal, ainsi que toutes les autres scènes pratiquent dès le début le système de gestion utilisé à l’époque par tous les théâtres permanents nord-américains: celui de l’actor-manager, personnage qui assumait à la fois la fonction de directeur administratif et artistique et de vedette de la troupe locale. Il assumait, également, la fonction du metteur en scène (cette dernière spécalisation ne s’est formée en Europe qu’à la fin du 19^e siècle). Le système de production reposait sur la spécialité des interprètes, chacun devant connaître une cinquantaines de rôles, toujours dans le même registre (jeune premier, jeune première, vilain, coquette, etc.). L’actor-manager choisissait une pièce que chacun étudiait chez lui individuellement et qu’on ne répétait ensemble qu’une fois à la répétition générale avant le spectacle. La personnalité de l’actor-manager était souvent décisive pour le succès du théâtre. La réussite du Théâtre Royal était due en grande partie, justement à la qualité de son actor-manager Frederick Brown. La pratique de l’actor-manager a été progressivement remplacée par les troupes itinérantes. Dès 1860, le développement des chemins de fer aidant, le Canada se voit intégré dans les circuits des grandes compagnies théâtrales états-uniennes, newyorkaises. Le théâtre devient l’objet d’une exploitation commerciale systématique: les grands succès de Broadway, dès que la critique est un peu élogieuse, sont confiées à cinq ou six troupes affublées du même nom et des mêmes épithètes publicitaires que l’originale et envoyées en tournée à travers le continent de sorte que dans les coins les plus reculés de l’Amérique les spectateurs sont maintenus dans l’illusion d’assister au spectacle de la triomphante troupe newyorkaise. Le désavantage pour le Québec est certain: ces troupes ignoraient le français, alors que le public, dans les théâtres anglophones, était en bonne partie francophone. Dès 1890, un autre phénomène de monopole apparaît: le Trust (ou Syndicate; fondé, juridiquement, en 1896 seulement) réunissant de puissants producteurs. Ces derniers veulent avant tout, à l’origine, mieux organiser l’industrie du spectacle, jusque-là pénalisée par la pratique des contracts multiples, utilisés et par les troupes et par les directeurs des théâtres provinciaux, tous les deux craignant le manque de revenus. Ainsi, une troupe s’engageait pour plusieurs scènes pour la même date tout en sachant qu’un seul engagement pourrait être honoré. Les directeurs, de leur côté, faisaient de même. Le Trust a mis fin à cette pratique de stock system en instaurant un système rationalisé de tournées contractées à partir d’un plan central, le soi-disant travelling combination system. À commencer par 1892, les théâtres de l’Ontario et du Québec passent sous le contrôle du Trust newyorkais. La situation présentait des avantages, pour les Québécois, mais surtout pour les Montréalais. Le Trust assurait la régularité des spectacles ‑ un nouveau chaque semaine - tout en mettant Montréal sur la route des grandes tournées. Montréal vivait à l’heure newyorkaise, les théâtres se modernisaient (éclairage électrique). De plus, le Trust, au début, organisait aussi les tournées des vedettes françaises. Le changement intervient au moment de la réorganisation du système des tournées en 1896 qui sont rentabilisées par la division en trois circuits parallèles: un circuit populaire (farces, mélodrammes), un circuit intermédiaire (drames romantiques, comédies, comédies musicales), un circuit supérieur (drames et comédies classiques et romantiques, opéras, tragédies). Pour des raisons strictement financières, le Trust décrète que Montréal ne sera pas inscrit sur la liste du circuit supérieur. Cette insulte grave à la bourgeoisie montréalaise provoque une réaction des Canadiens Anglais qui veulent désormais se détacher des Américains en cherchant le soutien des Anglais d’Europe et de Londres. Avec l’appui des autorités, un nouveau théâtre prestigieux est construit - Her Majesty’s Theater (1898; 2000 places) et le maire Préfontaine salue chaleureusement l’inauguration de ce First Class Theater. Même si la tentative de se détacher de l’influence américaine se solde, à la fin, par un échec, elle a néanmoins stimulé le développement des activités théâtrales au Canada. Elle a aussi tourné l’attention des directeurs de théâtre vers les potentialités d’un public jusqu’ici plutôt négligé, le public francophone, qui représentait, au Québec, et à Montréal, une source de revenus de plus en plus importants. « Nationalisation » et démocratisation du théâtre Il serait faux de croire que les Canadiens Français de Montréal et de Québec ait boudé les scènes anglophones. Néanmoins ils désirent aussi avoir un théâtre à eux. La création d’un théâtre national se confond de plus en plus avec le sentiment national et identitaire. Des appels et des manifestes se multiplient tout au long du 19^e siècle. De temps à autre, une scène s’ouvre, hélas, éphémère. Les directeurs des théâtres locaux, tous anglophones, en étaient conscients: ils ont déployé, souvent, des efforts louables pour satisfaire leur concitoyens francophones en mettant leurs équipements à la disposition des troupes francophones, itinérantes ou amateures, et en cherchant à attirer des acteurs français qui effectuaient des tournées aux États-Unis. Malgré cela, l’activité théâtrale francophone - amateure et professionnelle - demeurait marginale, représentant, jusqu’en 1880, moins de 5% de l’ensemble de l’activité théâtrale locale, et cela au Québec francophone où la plus grande ville anglophone ‑ Montréal ‑ comptait 2/3 de la population francophone. La situation change entre 1880 et 1900 sous l’influence des pressions économiques accrues (voir la naissance du Trust) et de la concurrence qui font du public français, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, l’enjeu de la nouvelle stratégie commerciale. Parallèlement, le théâtre se démocratise ce qui est d’autant plus voyant à Montréal qui voit affluer de nouvelles masses ouvrières, francophones, d’où bientôt une nouvelle classe - celle de la bourgeoisie modeste - se dégage. Trois grands facteurs interviennent au profit du théâtre francophone: les productions nationales de Louis-Honoré Fréchette à l’Académie de Musique de Montréal, la première visite de Sarah Bernhardt et l’avènement du vaudeville américain. La réprésentation du drame patriotique de Louis-Honoré Fréchette Papineau a eu lieu le 11 juin 1880. Le lendemain, en première également, cela a été le tour du Retour de l’exilé. Les deux pièces ont ensuite alterné devant la salle comble de l’Académie de Musique, alors la plus grande du Canada, pendant une semaine entière. Les deux pièces, interprétées par des amateurs de Montréal ont montré la force de la thématique nationale et ont ravivé le sentiment de l’affirmation identitaire en représentant des éléments clés de l’histoire canadienne française: Louis-Joseph Papineau, le héros national de 1837, ainsi que les combats des patriotes à Saint-Denis. La qualité des textes de Fréchette est souvent contestée, mais la mise en scène dramatique et réaliste, dans la meilleure tradition du théâtre de Broadway ‑ avec les patriotes attaquant avec conviction face aux spectateurs dans la salle ‑ coupait le souffle au public enthousiaste. Le mois de décembre de la même année (1880) a été marqué par la première venue, en tournée, de Sarah Bernhardt. Les motifs des tournées américaines de la grande actrice étaient avant tout pécuniaires et un prétendu patriotisme français n’y jouait aucun rôle. Sur la liste des villes à visiter, Montréal se trouvait généralement programmé de façon à boucher les trous entre les étapes aux États-Unis. C’est vrai en particulier pour les tout premiers voyages. Pourtant Sarah Bernhardt a toujours fait salle comble. Ses retours répétés au Québec, avec un séjour ne dépassant jamais une semaine (décembre 1880, avril 1891, février 1896, novembre 1905, janvier 1911, juin 1911, octobre 1916, mars 1917), ont eu des conséquences multiples. C’était tout d’abord un encouragement des sentiments nationalistes du public canadien français. Les multiples témoignages d’affection et de reconnaissance que Sarah Bernhardt a reçus sur scène et dans la rue montrent la dimension hautement symbolique, voire politique, de sa présence. Mais les visites répétées de Sarah Bernhardt ont eu encore le mérite de servir d’exemple à d’autres vedettes parisiennes qui lui ont emboîté le pas: Coquelin l’aîné, Mounet-Sully, Segond-Weber, Jane Hading. Cette présence des acteurs européens et parisiens s’est répercutée sur la qualité des spectacles, mais elle a aussi encouragé la vocation dramatique et théâtrale des futurs grands acteurs québécois comme la Montréalaise Blanche de la Sablonnière (Angéline Lussier). Sarah Bernhardt a eu aussi le mérite de secouer les esprits et de braver les circonstances et conditions de la vie coloniale et nord-américaine. Sa toute première pièce Adrienne Lecouvreur (auteurs : Eugène Scribe et Ernest Legouvé), jouée à Montréal en pleine période de l’Avent (1890), a été jugée immorale par les autorités ecclésiastiques de Montréal et de Québec. Le succès de l’actrice a posé des limites à l’influence de l’Église. La tournée de 1905 a ébranlé une autre institution, à savoir le tout puissant Trust newyorkais, car brouillée avec le Trust qui lui avait fermé tous ses théâtres, l’actrice française a effectué toute sa tournée américaine sous le chapiteau de cirque loué aux frères Ringling. À San Francisco, elle a eu en plus l’excellente idée de verser tous ses profits aux victimes du récent tremblement de terre. C’était suffisant pour déclencher dans la presse américaine une campagne de dénigrement du Trust, tandis qu’on chantait les vertus de la vedette parisienne. Sarah Bernhardt a ainsi contribué à ébranler le pouvoir dominant du Trust, à seconder les efforts des « indépendants » et à diversifier la vie théâtrale nord-américaine. Celle-ci a connu, dès 1881, un phénomène nouveau: l’apparition à New York du vaudeville américain. Son inventeur ‑ Tony Pastor - a compris qu’il y avait tout intérêt à tirer de l’adaptation, pour les conditions nouvelles, des « Variety Shows », répandues à travers les États-Unis au 19^e siècle. Il s’agissait des spectacles donnés dans des salles attenantes aux débits de boissons. Les représentations étaient constituées d’une succession de numéros hétéroclites, d’esprit grossier, chauvin, passablement raciste - à la convenance du public exclusivement masculin, éméché. Pastor a compris qu’il existait désormais un public nombreux, d’origine modeste, composé de jeunes familles avec femmes et enfants et qui ne fréquentait ni les théâtres traditionnels, trop huppés ou trop chers, ni les Variety Shows qui insultaient à la bonne morale. En somme, Pastor garde la structure de la Variety Show en en excluant tout ce qui pouvait froisser la morale, la religion, la femme, la famille. Ce type de théâtre s’installe dès 1883 à Montréal, d’abord sous le chapiteau dressé par le promoteur américain Henry Jacobs: c’était le Royal Museum and Theatorium. Le succès a été foudroyant avec des conséquences multiples: élargissement du public vers les couches moyennes et modestes, dépassement de la barrière linguistique du fait que le public se récrutait dans les deux groupes linguistiques indistinctement. Ainsi, d’un côté le théâtre se démocratise, de l’autre l’existence de la scission linguistique au niveau du public cultivé est contrariée par la présence d’un public populaire indifférencié linguistiquement. Le résultat en a été une accélération de l’évolution et la spécialisation des établissements de spectacles selon les genres et les publics. Mais il y a eu aussi un genre spécifique, importé de France, et qui a été une innovation montréalaise dans le contexte du théâtre nord-américain: le café-concert, destiné au public bourgeois cultivé. Le premier établissement El Dorado est inauguré le 16 mars 1899. La mode se répand vite et la formule est reprise par les Canadiens Anglais. C’est à l’El Dorado qu’a été produite la première revue locale L’Oncle de Klondyke de Alfred Durantel (1899). Formation professionnelle Les performances théâtrales en français dépendaient, toujours encore, de l’existence des troupes d’amateurs, tels Amateurs typographes, Société des amateurs canadiens, Compagnie des jeunes amateurs canadiens ou bien Cercle Jacques-Cartier (1875-1890) qui, sous la direction de Joseph-George McGown, a préfiguré le travail systématique de formation professionnelle d’Elzéar Roy (voir ci-dessous). Ce sont ces troupes d’amateurs qui ont assuré le succès des grandes pièces de Louis-Honoré Fréchette Félix Poutré (1863), Le Retour de l’exilé (1880) a Papineau (1880). La démocratisation de la vie théâtrale, la montée du sentiment national, mais aussi la nécessité de venir en aide à la population canadienne française qui subissait après 1890 une véritable hémorragie démographique du fait de l’exode vers les États-Unis, tout cela a amené l’Église catholique à modifier sa position envers le théâtre. Les interventions des autorités diocésaines de Montréal, Trois-Rivières et Québec contre les agents de théâtre se font plus nuancées. L’Église catholique voit dans le théâtre un moyen de présevation de l’identité française, la seule catholique au Québec (les Irlandais s’installaient généralement dans l’Ontario). Les clercs animent des troupes amateures en province. Lorsque les Canadiens français commencent à entreprendre des carrières théâtrales, désormais, les autorités catholiques les appuient tacitement. L’Église catholique soutient, également le projet des « Soirées de famille », parrainé par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, projet qui avait une forte connotation patriotique. Au départ, il s’agit d’une idée beaucoup plus vaste, celle du centre d’éducation des masses francophones - au Monument National. C’est dans le cadre du Centre que Elzéar Roy a l’idée d’organiser des cours d’élocution, un atelier pratique d’exercices dramatiques: les Soirées de famille débutent le 30 septembre 1898 et se poursuivent jusqu’en 1901. La troupe amateure ainsi formée étonnait par sa stabilité (26 membres réguliers, 30 occasionnels), son dynamisme et son rythme de production (30 à 35 spectacles en saison). Les Soirées de famille ont été une école pour la grande actrice Juliette Béliveau, mais aussi une sorte de réconciliation entre l’Église et le théâtre. Lorsque Julien Daoust crée, le 10 mars 1902 au Monument National, La Passion de Germain Beaulieu, la représentation de la figure du Christ, incarnée par Daoust, attire bien, par cette bravade contre l’un des interdits de l’Église, la condamnation officielle de l’archevêque de Montréal (comme d’ailleurs à New York et à Paris, pour les mêmes raisons), mais une tolérance de fait est appliquée. La Passion attire 40.000 spectateurs en quatre semaines en inaugurant la grande mode des drames religieux (Le Triomphe de la Croix, Pour le Christ, Le Défenseur de la Foi, Le Rédempteur), cette fois déjà sans le Christ représenté directement. Ces grands succès sont repris en province par les troupes amateures. La position de l’Église catholique, malgré les conflits et les réticences, finit par favoriser le développement du théâtre canadien français. La naissance du théâtre professionnel, avec, notamment, la Compagnie franco-canadienne (1887) du Théâtre Français (8 membres permanents dès 1894) est jalonnée par les grands noms d’acteurs: Julien Daoust, Jean-Paul Filion, Joseph‑Serguis Archambault (dit Palmieri), Blanche de la Sablonnière, Juliette Béliveau; de directeurs (actor-manager: Julien Daoust, Paul Cazeneuve; d’auteurs: Louis-Honoré Fréchette, Louis Guyon, Germain Beaulieu, Alfred Durantel, Louvigny de Montigny. Production dramatique Cette période fondatrice a tracé les grandes lignes du développement ultérieur de la vie théâtrale du Québec - dans les genres (drame historique et patriotique, drame bourgeois – réaliste ou psychologique, drame religieux, vaudeville, café-concert, revue [cabaret]), dans les thèmes (famille, religion, relations franco-aglaises et franco-américaines). Le théâtre canadien français autonome, constitué à l’ombre du théâtre canadien anglais et en concurrence avec celui-ci, est désormais un fait acquis. La concurrence du cinéma dans les années 1920 et la grande crise de 1930 représenteront certes un coup sérieux, mais le théâtre canadien français sortira victorieux et renforcé de cette épreuve difficile. La période 1900-1914 a été appelée l’âge d’or du théâtre. L’intensité ne signifie pas toujours qualité. Néanmoins plusieurs auteurs ont marqué l’évolution du théâtre caandien français. La période est dominée par l’esthétique romantique à laquelle sucèdent les tendances réalistes de l’École de Montréal. Le drame historique et patriotique trouve son meilleur auteur en Louis-Honoré Fréchette : Retour de l’exilé (1880), Papineau (1880). On dramatise également les romans historiques d’Aubert de Gaspé père (Les Anciens Canadiens) ou de Joseph Marmette (Intendant Bigot, François de Bienville). Louis Guyon (1853 –1933) alterne le mélodramme d’aventures (Fleur de lys, Le Secret du Rocher Noir, Tony l’Espion, Luigi l’Empoisonneur), le drame patriotique (Denis le Patriote, 1902) et le drame historique (Montcalm, 1907). Félix-Gabriel Marchand (1832–1900) double sa carrière politique (premier ministre de la province de Québec) de celle de comédiographe, Ses oeuvres se rapprochent de la comédie de boulevard : Fatenville (1869), Erreur n’est pas compte (1872), Un bonheur en attire un autre (1883), Les Faux brillants (1884), actualisés en 1977 par Jean-Claude Germain. Les tendances realistes et psychologiques sont liés à l’École de Montréal. Le drame de Carolus-Glatigny-Louvigny de Montigny (1876 –1955) Les Boules de neige (1903) est une fine analyse psychologique et sociale de l’incompréhension et des effets de la médisance. À côté du théâtre « bourgeois », élitiste, le théâtre populaire, à large audience, se développe. Aurore, l’enfant martyr relate un fait divers, assassinat, en 1920, d’une petite-fille par sa marâtre. La pièce, conçue par Léon Petitjean et Henri Rollin, a connu un succès foudroyant : 5000 représentations en 30 ans, avant d’être filmée en 1952 et publiée en livre. Le fait de ne pas publier le texte dramatique, qui ne garde ainsi que sa forme théâtrale, comme dans le cas de la populaire Aurore, est aussi le propre du drame religieux. Témoin La Passion déjà mentionnée, de Germain Beaulieu (1870 -1944). Des 27 pièces de Julien Daoust (1866 –1943) n’ont été guère publiées que la Conscience d’un prêtre, Pour le Christ et Triomphe de la Croix. L’ancrage culturel, populaire, du drame religieux qui renoue avec la tradition populaire des pageants anglais et américains et des mystères du moyen âge français, explique son influence ultérieure, de longue durée, y compris la période de la Révolution tranquille (Tremblay, Arcand). Analyse : Louis-Honoré Fréchette, Papineau. Commentaire : Analysez la distribution des personnages : comment fabrique-t-on un héros dans une pièce historique?Qui est le protagoniste? Quel est le rôle du « sauvage » Michel? Quels sont les éléments qui représentent le fatum? Pourquoi y a-t-il une intrigue amoreuse? VII.-VIII. Vers la modernité (1930-1960) L’organisation théâtrale, constituée au cours du 19^e siècle et fortifiée au cours des années 1900 et 1910, allait connaître une période de crise due à deux facteurs. Le premier a été la concurrence du cinéma qui, discète à l’époque du cinéma muet, est devenue écrasante à partir de 1930, avec le cinéma parlant. Certains théâtres alors se transforment en salles de cinéma qui attirent le public populaire et bourgeois. Ce choc est amplifié par la grande crise économique dont les États-Unis et le Canada ne commenceront à se relever qu’à partir de 1939-1940. Renouveau institutionnel et diversification esthétique de la dramaturgie Pour le théâtre canadien, en particulier francophone, cela signifie la fermeture des salles, le chômage des comédiens ou, dans le meilleur des cas, une situation précaire. Il y a, toutefois, dans ce tableau noir, trois faits positifs: c’est d’abord une concurrence accrue dans le monde du théâtre, concurrence qui jouera dans le sens de la qualité. La fonction du metteur en scène s’impose. Les acteurs, scénographes, dramaturges, qui avaient passé un stage à Paris, à Londres ou à New York, rentrent imbus de conceptions dramatiques nouvelles (Antoinette Giroux, Jacques Auger, Émile Legault). Les contacts avec les meilleurs esprits s’intensifient. Durant la première guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre les grands théoriciens – Jacques Copeau, Lugné-Poe, Pierre-Louis Jouvet, Charles Dullin, mais aussi Constantin Serguéïévitch Stanislavski travaillent à New York qui est pour Montréal un modèle de la vie théâtrale. Montréal même est sur la route des grands acteurs parisiens des scènes progressistes comme Théâtre-Antoine ou Odéon. Les idées de Jacques Copeau, du cartel des quatre (Charles Dullin, Georges Pitoëff, Louis Jouvet, Gaston Baty) et, plus tard, de Jean Vilar font leur entrée au Québec. Pendant la guerre, Georges, fuyant la France à cause des ses origines juives, s’établit à New York où sa femme Ludmila Pitoëff fonde une troupe (dont fait partie un certain Yul Brynner). Les Pitoëff sont en contact avec des acteurs québécois dont ils discernent le talent et qu’ils invitent à Paris après la guerre (Jean-Louis Roux, Jean Gascon), Ludmila est invitée par la Comédie de Montréal pour faire la mise en scène du Vrai procès de Jeanne d’Arc (1942, pièce écrite par son mari), elle dirige une autre mise en scène chez les Compagnons de Saint-Laurent. Dès son séjour au Méxique, la personnalité d’Antonin Artaud devient connue en Amérique du Nord. Louis Jouvet revient en 1948, suivi par la troupe de Jean-Louis Barrault (1952), par le Théâtre National Populaire, avec Jean Vilar et Gérard Philippe (1954), et par la Comédie française (1955). Le modèle du théâtre français influencera un des filons de la dramaturgie canadienne française de la période. Plusieurs scènes de qualité sont fondées: Montreal Repertory Theater (1930, scène bilingue, créée et conduite par la dramaturge Martha Allan), le Théâtre Stella (1930-1935, dirigé par Fred Barry et Albert Duquesne alias Albert Simard). Un autre pôle de qualité se constitue autour du père Émile Legault et du jésuite Paul Bélanger qui ont fondé dirigé une troupe d’amateurs du Collège Saint- Laurent – les Compagnons de Saint-Laurent (1937-1952) qui sera non seulement un centre de formation des futurs grands acteurs, chanteurs (Felix Leclerc), metteurs en scènes et dramaturges professionnels, mais aussi un centre de réflexion théorique et critique grâce à la revue Cahiers des Compagons (1944-1947). Émile Legault, imbu des principes de Jacques Copeau et de son théâtre populaire, dégagé des contraintes commerciales et de la tradition du grand théâtre bourgeois, vise la synthèse canadienne de l’art national, du catholicisme et de la modernité: « Je rêve d’un Molière canadien qui aurait la densité de Claudel […], » dit-il.[10] Ses anciens élèves seront parmi les fondateurs des grandes scènes modernes - Théâtre du Rideau-Vert (1948), Théâtre du Nouveau Monde (1951). Le deuxième effet positif de la grande crise, effet dont le résultat se voit déjà, également, dans certaines aspirations des Compagnons de Saint-Laurent, est la nécessité, pour les comédiens, de reprendre la vie théâtrale nomade. Les troupes itinérantes qui jouent à la campagne dans des conditions souvent précaires, entrent en contact direct avec la réalité du public populaire. C’est la prise de conscience, par les comédiens, du « peuple franco-canadien » et de ses spécificités, mais aussi, de la large diffusion du théâtre lui-même qui se déshabitue des grandes scènes urbaines. Le troisième effet et qui n’est pas sans rapport avec le précédent, c’est la constitution de petites scènes, souvent de courte durée, mais qui fondent une tradition des théâtres d’essai qui deviendront le laboratoire des expériences dramaturgiques nouvelles. La guerre en Europe (1939-1945) et l’évolution de l’après-guerre marquent le retour de la prospérité économique qui se prolongera pendant plus de trois décennies sur le continent nord-américain. Dans ces conditions, le théâtre canadien français connaît une nouvelle étape de son épanouissement. Au niveau de la dramaturgie, d’abord, c’est la diversification et l’enrichissement du répertoire. Le théâtre s’ouvre de façon radicale à la modernité et le Canada rattrappe enfin son retard, et définitivement. Si, avant la guerre, le succès était encore au « grand théâtre », de facture plutôt traditionnelle (Marcel Pagnol, Topaze, joué en 1937 par les Compagnons de Saint-Laurent), plus tard, on applaudit déjà Huis-clos de Jean-Paul Sartre (1946), En attendant Godot de Samuel Beckett (1956), Les Bonnes de Jean Genet (1956), La bonne âme de Se-tchouan (1961), Le Cercle de craie caucasien (en anglais, 1962), Maître Puntilla et son valet Matti (1963) de Bertold Brecht, on joue aussi Alfred Jarry et les pièces dadaïstes, surréalistes et autres: Le Désir attrapé par la queue de Pablo Picasso (1949), Le Roi Pêcheur de Julien Gracq (1948), Los Reyes de Julio Cortázar (1949). Les petites scènes expérimentales, fondées au cours des annnées 1950, continueront sur cette lancée en introduisant avec succès Gatti, Synge, Betti, Ionesco, Ghelderode, Dürrenmatt, Lorca, Vian Arrabal, Weingarten et d’autres. Au niveau de la réflexion théorique, plusieurs conceptions nouvelles font leur apparition. À côté de l’influence d’Émile Legault deux tendances peuvent être discernées. La tendance avant-gardiste cristallise avant tout autour du peintre Paul-Émile Borduas qui organise en 1947 une exposition appelée Refus global et ses environs dans le cadre de laquelle les premiers spectacles-provocations au Québec ont eu lieu. Il s’agit de « pièces automatistes », tout à fait dans la tradition des provocations dadaïstes et surréalistes: Bien-être de Claude Gavreau et Une pièce sans titre de Jean Mercier. En août 1948 le manifeste « surrationnel » de Paul-Émile Borduas Refus global est publié avec, encartés, les textes de Claude Gauvreau: Bien-être, Au coeur des quenouilles et L’Ombre sur le cerceau. De 1950 à 1951 Claude Gauvreau tiendra une chronique « Masques et bergamasques » dans le journal le Haut-parleur et il publie également dans le Canada. Les journaux deviennent la tribune de la modernité et de l’affirmation libertaire du théâtre. Analyse : Claude Gauvreau, extrait de la chronique « Le théâtre dans le concret I: l’enseignement à souhaiter », in le Canada, 4 juin 1952, p. 4; cité d’après Legris, Larrue, Bourassa, David. Le Théâtre au Québec. 1825-1980, Québec, VLB éditeur 1988, p.97-98). Commentaire : Relevez les points saillants de l’apprentissage de l’art dramatique? Quelle est la conception du travail d’acteur? La deuxième tendance va vers la formulation de l’idée du théâtre national, dans le sens de l’affirmation de la « canadianité » des Canadiens Français, distincte des anglophones, mais aussi différente des Français d’Europe. La constitution de cette filière théorique résulte de l’expérience théâtrale des troupes itinérantes des années 1930 et du théâtre populaire. La création d’un héros-type est due à Gratien Gélinas qui avait traversé une longue expérience de comédien de revues (cabaret) et de la radio avant de créer son personnage de Fridolin (1937) d’abord en sketches radiodiffusés, puis montés sur scène du Monument National (1938). Le personnage comique de Fridolin sera le prototype de Tit-Coq, héros à la fois comique et tragique de la pièce éponyme (1948), incarnation du Canadien Français, orphelin marginalisé et révolté, en qui la société canadienne française s’est reconnue. Tit-Coq ouvre la voie à la dramaturgie nationale spécifique. Gratien Gélinas confirme cette tendance par son discours à l’Université de Montréal qui lui décerne, en 1949, un doctorat honorifique. Avec ce héros populaire, la voie s’ouvre vers le « théâtre québécois » et vers l’usage du joual comme nouvelle langue littéraire authentique. Analyse : Gratien Gélinas,: discours du 31 janvier 1949, in Amérique française, n^o 3, 1949, pp. 37-39; cité d’après Legris, Larue, Bourassa, David. Le Théâtre au Québec. 1825-1980. Québec : VLB, 1988, p.100-101). Commentaire : Relevez les points saillants de l’argumentation de Gélinas? Que veut-il? Commet le justifie-t-il? Ainsi, on le voit, la vie théâtrale du Canada francophone s’enrichit, se diversifie, produit ses premières réflexions théoriques et ses premières oeuvres originales authentiques. Ce grand saut qualitatif accompli au cours des annés 1940 et 1950 se répercute en retour dans l’organisation des activités théâtrales. On assiste, en particulier, à la fondation de nouvelles scènes et de nouvelles compagnies. Il s’agit d’une part de « théâtres de poche », petites scènes expérimentales: les Apprentis-Sorciers (1954), les Saltimbanques (1962, fondés par les dissidents des Apprentis-Sorciers), Théâtre de Quat’Sous (1954), Théâtre de Dix-Heures (1956), Égrégore (1959). À Québec ce seront La Fenière, L’Estoc (1957) et Petit Théâtre de la Basoche (1958), à Sherbrooke Atelier (1960). Mais il y a aussi des scènes plus grandes et qui allaient assurer le grand succès du théâtre montréalais dans les années 1960 et 1970: Le Théâtre du Rideau Vert (1948), Jeune-Scène (1950; Marcel Dubé), Théâtre du Nouveau Monde (1951), Comédie-Canadienne (1958, fondée par Gélinas) et Théâtre Populaire de Québec (1963; création qui n’est pas sans rappeler le TNP de Jean Vilar à Paris; la spécificité du TPQ consistait à ne disposer d’aucune scène fixe, mais d’organiser ses représentations en tournée permanente à travers le pays). La stabilité institutionnelle s’affirme avec la professionnalisation progressive. L’exemple en est le Théâtre du Nouveau monde qui ne se présente plus comme une entreprise privée d’un groupe d’individus, mais comme une véritable entreprise dotée d’un conseil d’administration, d’une politique commerciale et d’un lobbing. C’est pour cette raison qu’il se constitue d’abord comme bilingue The New World Theatre-Théâtre du Nouveau monde. Il est évident que désormais l’intervention des institutions d’État sera nécessaire. Au niveau fédéral, le gouvernement libéral de Louis Stephen Saint-Laurent crée le Canada Council for the Arts, Conseil des Arts du Canada qui dès, 1957, subventionne le Théâtre du Nouveau monde, Montreal Repertory Theatre et Comédie-Canadienne. Au niveau provincial, le gouvernement conservateur de Maurice Duplessis qui, lontemps, refuse toute intervention en matière privée qu’est l’art et la culture, finit par contribuer au financement de la vie théâtrale par l’intermédiaire du Centre Sir G.-É. Cartier, créé par la ville de Montréal. En 1960, une autre étappe est franchie. Le gouvernement libéral de Jean Lesage lance le Québec sur la voie de la « Révolution tranquille » qui marque un renouveau profond de la vie culturelle et des mentalités. Un Ministère québécois de la Culture et un Ministère québécois de l’Éducation sont constitués. Ceux-ci confient à Jean Gascon la création, en 1960, de l’École nationale de théâtre/National Theatre School. Le modèle en a été le Old Vic Theatre School of London, dirigé Michel Saint-Denis, neveu et élève de Jacques Copeau. La section française a été confiée à Jean-Pierre Ronfard. En 1963, une nouvelle instance pédagogique est formée, la Nouvelle Compagnie Théâtrale, vouée à la formation du public adolescent. Il y a aussi un Centre canadien d’essai de l’École des beaux-arts qui publie sa revue Cahiers d’essai. Toutefois c’est la fin des années 1960 et surtout la période ultérieure qui recueilleront les fruits de la Révolution tranquille et de l’évolution précédente. Toujours est-il que cet essor serait impensable sans le développement institutionnel et intellectuel de la période 1930-1960. Production dramatique (quelques repères) Elle suit les trois tendances majeures, indiquées ci-dessus. La première s’inspire de la meilleure tradition française, représentée par Jacques Copeau et le cartel des quatre. Elle se manifeste avant tout dans la dramaturgie scénique et dans le choix du répertoire, sans pour autant marquer, directement, la production canadienne française. La seconde est celle du théâtre d’avant-garde. Moins influente au cours des années 1950, elle s’affirme pleinement par la suite comme le montre la gloire tardive de Claude Gauvrau à partir de 1970. La troisième tendance vise la canadianité, autrement dit la recherche d’une spécificité nationale. Sa définition est liée aux activités et à la pensée théorique d’Émile Legault qui valorise la tradition locale, populaire, notamment le folklore et le drame religieux tout en l’insérant dans le projet d’un grand théâtre de qualité. Rappelons que le drame religieux, lancé par Germain et Daoust, atteint un sommet poétique inégalé au cours des années 1940 grâce à la poétesse Rina Lasnier (Féerie indienne, 1939; Les Fiançailles d’Anne de Nouë, 1943; Le Jeu de la voyagère, 1941; Notre-Dame-du-pain, 1947). La jonction du populaire et du grand théâtre sera réalisé et conceptualisé par Gratien Gélinas dont le Tit-Coq (1948) sera salué comme une grande pièce canadienne de portée universelle, mais en même temps ancrée dans la thématique locale, populaire, exprimée par la langue du peuple (voir l’analyse ci-dessus). Gratien Gélinas (1909-1999), d’origine modeste, fait des études à l’École des Hautes Études Commerciales avant de se consacrer au théâtre. Il fonde une troupe d’amateurs (1929), entre au Montreal Repertory Theatre (1933), débute à la radio (1934) pour laquelle il crée le personnage de Fridolin, un anti-héros populaire (1937), dont les monologues, sur des sujets d’actualité, connaissent une grande popularité. Le personnage est ensuite transposé en sketchs de cabaret, plus tard enregistrés pour la télévision. Fridolin, un marginal au bon coeur, dupé par les autres et malmené par la vie, devient le prototype de Tit-Coq (1948). La tragi-comédie connaît un succès foudroyant : 200 reprises qui suivent la première représentation, 542 représentations au Canada et aux États-Unis où toutefois, en dehors du milieu francophone, elle ne touche guère personne. L’échec à Broadway (1951) est symptomatique de la canadianité prononcée de la pièce. Analyse : Gratien Gélinas, Tit-Coq. Centré sur la typologie des personnages et l’analyse de l’intrigue. Commentaire : Étudiez le jeu de l’argumentation et le renversement de la situation qu’il provoque. Quels sont les éléments qui constitue l’effet tragique? Étudiez le mimétisme de la situation d’orphelin et du sentiment ientitaire national. Sur quoi se fonde-t-il? Comment les forces sociales se projettent-elles dans les rapports entre les personnages? Devenu un des classiques du théâtre canadien, Gélinas poursuit sa carrière d’auteur dramatique - Bousille et les justes (1960), Hier les enfants dansaient (1966), La Passion de Narcisse Mondoux (1987) - sans pour autant atteindre le sommet de Tit-Coq. Marcel Dubé (*1930) est sans aucun doute un des plus grands dramaturges de la seconde moitié du 20^e siècle, mais dont la gloire sera obnubilée, dès 1968, par le succès de Michel Tremblay. Pourtant c’est lui qui, au début des années 1950, a introduit la périphérie urbaine et la marginalité sociale, y compris l’usage du joual. À la différence de Gélinas, il est plus critique quant à la thématique sociale, il est aussi un bien meilleur psychologue, notamment dans De l’autre côté du mur (1950), Zone (1956), Un simple soldat (1958). Dès la fin ds années 1950, il quitte progressivement la thématique prolétaire pour aborder les drames de familles : Florence (1958), Médée (1973), La Cellule, 1973), Manuel (1973). Il atteint le sommet du tragique avec Au retour des oies blanches (1969) où la critique sociale et politique rejoint le thème d’Électre et d’Antigone et d’Oedipe Roi dans la protagoniste Geneviève. La condamnation et l’exécution du père qui en forme le fond archétypal non seulement rappelle Le Jeune Latour d’Antoine Gérin-Lajoie, mais renoue avec la même thématique que l’on retrouve dans Un fils à tuer (1950) d’Éloi de Grandmont, dans le Marcheur (1968) d’Yves Thériault, dans Hier les enfants dansaient (1966) de Gélinas ou La Tête du roi (1963) de Jacques Ferron. Jacques Languirand (*1931) a fait ses études secondaires au Collège Saint- Laurent où il a été membre des Compagnons de Saint-Laurent d’Émile Legault. Le séjour à Paris et les études théâtrales sous Charles Dullin, Michel Vitold et Étienne Ducroux (1949-1955) l’ont familiarisé avec la dramaturgie parisienne dont il se fait le meilleur promoteur à son retour à Montréal grâce, notamment, aux scènes qu’il fonde – Théâtre de Dix Heures (1956) et Compagnie de Jacques Languirand (1958). Plus tard il devient secrétaire de la Comédie-Canadienne (1958-1959) et vice-directeur du Théâtre du Nouveau Monde (1964-1966). Il est aussi un des concepteurs l’Exposition universelle de Montréal de 1967. Les pièces de Languirand introduisent les principes du théatre de l’absurde : Les Insolites (1956), Les Grands départs (1958), Le Gibet (1960), Les Violons de l’automne (1962), Les Cloisons (1966). Claude Gauvreau (1925 – 1971) passe son baccalauréat au collège jésuite de Sainte-Marie à Montréal avant d’entreprendre des études de philosophie à l’Université de Montréal. Décisive pour sa carrière sera la rencontre de Paul-Emile Borduas (1942) et son amitié avec les automatistes – Jean-Paul Mousseau, Jean-Paul Riopelle, Thérèse Renaud dont il défendra la peinture dans plusieurs revues - Quartier latin, Notre Temps, Le Canada. Il travaille comme critique dramatique au Haut-Parleur (1951-1952). Il figure parmi les signataires du manifeste Refus global (1948) qui comprend aussi ses trois « objets dramatiques ». Sa conception dramatique et poétique est marquée par la rechrche de la « langue exploréenne » - une variation de la « ligua paradisiaca » qui réaliserait l’unité de la lague, de la pensée, du sentiment, de l’action et de la réalité. C’est ce travail expériemntal qui caractérise ses pièces « surrationnelles » La Charge de l’orignal épormyable (1970) et Les oranges sont vertes (1971). Analyse : Claude Gauvreau, La Charge de l’orignal épormyable. Commentaire : Caractérisez la « langue exploréenne » - aspects phonétique, morphologique, pragmatique. Relevez l’importance des didascalies : quelle est leur fonction? En quoi coincide-t-elle avec la « langue exploréenne »? IX.-X. La Révolution tranquille et son influence sur le théâtre La « Révolution tranquille » apporte au Québec une grande mutation politique, économique, sociale et culturelle. L’oxymore de cette appellation exprime bien la nature du changement. Il ne s’agit pas du renversement du régime au sens politique, car le Québec reste toujours ancré dans la fédération canadienne. D’autre part, ces transformations de la société québécoises sont provoquées, dirigées et soutenues par l’action, justement, des gouvernements provincial et fédéral. L’image que l’on donne généralement de la Révolution tranquille est celle du passage accéléré d’une vie sociale arriérée, cantonnée dans son traditionalisme catholique et son conservatisme provincial vers une société moderne, pluraliste, ouverte, laïque, tournée vers le monde et l’avenir et, en même temps, fière de sa « québécité », réclamée désormais à haute voix. La Révolution tranquille est liée à l’action du gouvernement libéral de Jean Lesage qui succède au premier ministre conservateur Maurice Duplessis, décédé en 1959. Jean Lesage entame une politique active de l’intervention du gouvernement dans toutes les sphères de la vie publique. Inspiré par les élites québécoises, le gouvernement vise entre autres à former systématiquement de nouvelles élites modernes en soutenant l’enseignement et la formation des cadres, mais aussi en fondant des sociétés industrielles (Hydro-Québec) où les nouveaux cadres, formés désormais à l’école québécoise francophone, puissent faire valoir leur nouveau savoir-faire français. Désormais, au Québec, le français arrive à couvrir la totalité des fonctions sociales d’une langue depuis la famille et la sphère privée jusqu’à toutes les instances de la vie sociale, politique et économique. Le tabou psychologique de l’infériorité du Québécois-entrepreneur et Québécois-ingénieur est brisé. Le succès du développement dynamique du Québec est encore souligné par le succès de l’Exposition universelle de 1967. L’image contrastée entre le Québec avant et après la Révolution tranquille ne doit pas occulter les transformations de la société québécoise au cours des années 1940 et 1950. Il est vrai que la période dominée par le gouvernement conservateur de Maurice Duplessis se place, idéologiquement, sous le signe de la tradition. C’est dire, dans le cas du Québec, sous le signe de la communauté: celle de la langue, de la famille, de la religion; une communauté à la fois protectrice et contraignante qui excluait la diversité et un vrai dialogue critique à l’intérieur de la communauté. Si le gouvernement conservateur de Duplessis dans sa politique anti-étatiste s’abstient de se mêler à la sphère « privée », c’est parce que cette sphère privée est sous le contrôle de l’Église catholique: éducation, santé, services sociaux, syndicats. Or, l’essor économique et social de l’après-guerre brise ce carcan traditionnel, la société se diversifie en créant tout un tissu associatif pluraliste en dehors des institutions ecclésiastiques. De son côté, l’Église catholique n’a plus la capacité de contrôler l’ampleur des tâches qui incombent à la société moderne, tâches qu’elle abandonne, par secteurs entiers, à la nouvelle administration civile (enseignement, services médicaux, services sociaux). De l’Église‑providence on passe à l’État-providence. Les années 1950 ont préparé le terrain à l’action rapide et réussie du gouvernement Lesage et à la Révolution tranquille. Fondée sur la québécité et la francité, la Révolution tranquille apporte un soutien majeur à l’enseignement et à la culture. On construit la Place des Arts à Montréal (1961-1967), le Grand Théâtre à Québec (1967-1971), on fonde le National Arts Center / Centre national des Arts, (1969). L’École Nationale de Théâtre/ National Theatre School de Montréal est complétée par le Centre d’essai des auteurs dramatiques (1965). Le théâtre, en tant que moyen de communication spécifique, à la limite de l’art et de la vie publique, jouit d’une position privilégiée. Montréal, qui compte plus d’un million d’habitants en 1965, étrenne, entre 1967 et 1980, plus de 15 nouveaux théâtres. Cette amplification des scènes et de la vie théâtrale est en réalité encore plus importante: en effet, la plupart des universités s’ouvrent au théâtre et il faut également tenir compte des nombreuses compagnies ambulantes. Une trentaine de festivals d’été s’organisent chaque année au Québec. Pour décrire les activités théâtrales de la période, on évoque parfois l’image d’un cyclotron, accélérateur de particules dramatiques et scéniques: 86 compagnies nouvelles sont créées entre 1965 et 1980, la production saisonnière est multipliée par quatre. Les théâtres majeurs, soutenus financièrement par le gouvernement, qui ne sont que quatre en 1960, passent à plus de dix au cours des années 1970. Ces scènes professionnelles, avec des compagnies solidement implantées, sont la garantie de la qualité. À Montréal ce sont les grandes scènes déjà mentionnées ci-dessus - le Théâtre du Rideau Vert, le Théâtre du Nouveau Monde qui fusionne, en 1972, avec la Comédie-Canadienne endettée, et le Théâtre Populaire du Québec. S’y ajoutent la Compagnie Jean Duceppe (1973) et la Nouvelle compagnie Théâtrale (1964) qui remplacera l’Egrégore disparu (1968); à Québec ce sont le Théâtre du Trident (1970) et le Théâtre du Bois de Coulonge qui prennent la relève du Théâtre de l’Estoc et du Théâtre du Vieux-Québec disparus. Raymond Cloutier qui considère l’activité théâtrale comme un service social et communautaire, crée le Grand Cirque Ordinaire (1969-1977), une compagie itinérante qui pratique le texte dramatique comme un prétexte à dialogue avec le public. Plusieurs scènes engagées suivent cette voie : Théâtre Euh! de Clément Cazalis (1970), Théâtre d’la Shop qui joue dans des entreprises, Théâtre en vrac qui se spécialise en représentations dans les écoles. Jean-Pierre Ronfard forme, en 1975, le Théâtre expérimental de Montréal. Deux périodiques de critique et de réflexion théorique paraissent : Canada Drama/Art dramatique canadien (1975) et Cahiers de théâtre Jeu (1976). Le répertoire est large, moderne et mondial où les classiques côtoient les avant-gardes, Claudel fait face à Pirandello, O’Neill à Ionesco, Dario Fo à Ibsen, Jarry à Tchékhov. La base institutionnelle, le soutien des autorités publiques ainsi que les activités civiques liées à la période d’effervescence qu’est la Révolution tranquille favorisent l’essor culturel, à Montréal notamment où se concentrent acteurs, metteurs en scène et dramaturges en grand nombre. Les paroles de Robert Gurik attestent l’assurance des artistes québécois : « Il y a à Montréal présentement vingt-cinq jeunes auteurs dramatiques. Qu’il y ait seulement cinq qui aient du talent, et cette ville devient une des capitales mondiales du théâtre. » [11] La période 1965-1972 marque le haut de la vague : 110 pièces mises en scène et publiées, 50 publiées seulement, 225 mises en scène seulement, 135 pièces jouées à la radio, plus d’une vingtaine à la télévision.[12] Un grand changement des esprits intervient dans les pratiques théâtrales. Celles-ci, depuis l’apparition de l’activité professionnelle francophone dans les années 1890, étaient passées essentiellement par la norme française, pour ne pas dire parisienne. À partir de 1965 un net renversement se dessine en faveur d’une identité théâtrale québécoise. Trois tendances peuvent y être identifiées: 1^o Affirmation de la « québécité »; 2^o Recherche d’anti-modèles; 3^o Inclination pour le théâtre américain lié à la contestation de l’american way of life. Affirmation de la « québécité » Cette nouvelle revendication identitaire renoue, mutatis mutandis, avec les tentatives de Gratien Gélinas qui, à la fin des années 1940, se réclame d’un théâtre canadien national et populaire (voir ci-dessus). Cependant ce néo-nationalisme des années 1960 se distingue du nationalisme canadien-français de la période précédente par son adhésion au programme politique indépendentiste. Sur le plan culturel, les objectifs ont été formulés notamment par les animateurs de la revue Parti pris entre 1963 et 1968 qui prend pour base théorique l’idéologie de la décolonisation formulée par Albert Memmi, Jacques Bercque et Frantz Fanon. La nouvelle identité québécoise devait sortir du processus de « décolonisation culturelle » et cela non seulement vis-à-vis de l’ « occupant anglo-canadien », mais aussi vis-à-vis de la France. Dans cette perspective la libération nationale va de paire avec la lutte des anciennes colonies pour l’émancipation, mais aussi avec l’émancipation sociale et à celle de la femme. La pensée de gauche, souvent révolutionnaire et marxiste n’est pas loin. Quant à l’esprit de la nouvelle action culturelle, elle doit briser certains schèmes mentaux: le masochisme atavique du Canadien français, sublimé religieusement dans « l’esprit du sacrifice », le culte de la famille unie, l’intouchabilité de l’Église catholique, les tabous du sexe et de l’appartenance à une classe sociale. La libération est comprise au sens large: celle de l’individu, celle de la femme, celle de l’homosexuel, celle de la périphérie sociale et humaine, celle de la nation, celle de la langue. Les partipistes non seulement inventent et imposent le terme de littérature québécoise, mais aussi l’usage du joual, argot de la périphérie montréalaise, comme marque linguistique de la décolonisation et de l’émancipation nationale. L’avantage du théâtre est de donner une forme dramatisée à l’ensemble de ces revendications qui, conceptualisées et discutées dans une argumentation rationnelle, se révéleraient trop contradictoires entres elles pour aboutir à des résultats concrets, viables. Or, le théâtre des années 1960 et 1970 permet de faire revivre et de mettre à jour les aspirations profondes, les sentiments jusque-là informulés. Le Québec, après 1965 en particulier, connaît la vague du théâtre amateur, lancé dans l’aventure de la création collective, improvisée, provoquant le dialogue avec la population. Dans toutes les régions du Québec se met en branle un mouvement de prise de parole dramatisée qui se veut égalitaire et populaire. Deux troupes, déjà mentionnées se démarquent par leur diffusion nationale: le Grand Cirque Ordinaire (1969-1977) qui est montréalais, libertaire, indépendantiste et vaguement socialisant, et le Théâtre Euh! (1970-1978), de Québec, nationaliste et prolétarien. Le lien entre la politique au sens large et la création dramatique caractérise des pièces aussi différentes que Hamlet, prince du Québec (1968) de Robert Gurik, le psychodrame Médium saignant de Françoise Loranger (1970) ou le manifeste collectif du mouvement féminsite La Nef des sorcières (1976). Toutefois la « québécité » influence également le « grand théâtre », grâce, en particulier à Jean-Claude Germain, à la fois, critique, auteur, animateur, directeur de compagnie et pédagogue. Deux grandes réalisations font date. C’est, en 1968, la création des Belles-soeurs de Michel Tremblay au Théâtre du Rideau Vert et celle des Grands Soleils de Jacques Ferron au Théâtre du Nouveau Monde (pièce écrite et publiée en 1958). Leurs thèmes - l’image de la périphérie montréalaise et le monde des femmes dans le premier cas et la lutte des patriotes de 1837 dans le second ‑ ont remporté du succès par leur actualité, justement. De plus, la pièce de Tremblay franchit un autre seuil, celui de la langue, en haussant à la dignité de l’expression dramatique la langue de la périphérie - le joual. Par là, sans être un partipriste, Tremblay réalise le rêve décolonisateur de la revue phare de la Révolution tranquille. Ainsi, l’émancipation linguistique (par rapport à la France) s’ajoute à l’émancipation culturelle et politique. Le joual deviendra pour un temps la langue, à la fois populaire et littéraire, résumant l’essence de la « québécité ». Le succès rapide du joual ne s’explique que par la convergence de plusieurs facteurs. D’une part il est considéré comme une marque identitaire de la révolution (tranquille) dans la mesure où il sublime, en la transformant grande littérature, la langue marginale, jusque-là méprisée, du peuple et de la périphérie. D’autre part, il représente le prolongement de la tradition de la culture populaire orale. L’accent mis sur l’oralité est un aspect relevé par les théoriciens du théâtre. Le Français Bernard Dort semble envier aux Québécois la capacité expressive du joual : « En France, le théâtre utilise la langue écrite, non la langue parlée. C’est un des problèmes du théâtre français du XX^e siècle. Je crois qu’ici au Québec, le théâtre est enrichi du fait de l’existence d’une langue parlée, mais en même temps cette virtualité est affaiblie du fait que la langue écrite reste une langue „d’ailleurs“. » [13] La troisième raison est sans doute la subversion des valeurs que les courant contestataires de la contre-culture des années 1960 valorisent. Ainsi Réjean Ducharme joualise la grande pièce de Corneille dans Le Cid maghané (1968) et Raymond Cloutier et Paule Baillargeon acutalisent en joual la pièce de Brecht sur un sujet nationaliste français T’es pas tannée, Jeanne d’Arc? (1969). Le piétinement de la tradition consacrée coincide avec la recherche des anti-modèles.^ Analyse : Antonine Maillet, La Sagouine. Commentaire : Étudiez les procédés de dramatisation du théâtre monologique. Comment se maintient le contactavec le public? Quelle est la fonction esthétique de la langue parlée (du dialecte acadien)? Recherche d’anti-modèles Cette tendance elle aussi peut se réclamer des antécédents historiques, en particuliers du mouvement des Automatistes et du manifeste Refus global de 1948, évoqués ci-dessus avec les noms de Paul-Émile Borduas, Claude Gauvreau et Jean Mercier. Là aussi, il s’agit de l’émancipation, cette fois par rapport à l’avant-garde théâtrale française et, en partie anglaise - Copeau, Dullin, Pitoëff, Baty, Jouvet, Vilar; Old Vic - dont les avant-gardes et les novateurs québécois avaient été tributaires depuis l’entre-deux-guerres. Ces vieux modèles, dont l’influence avait été si bénéfique, deviennent désormais cibles de la critique pour être dépassés. Le théâtre canadien s’ouvre à d’autres praticiens théoriciens : Adolphe Appia, Edward Craig, Vsevolod Emiliévitch Meyerhold, Berthold Brecht, Étienne Decroux, Jerzy Grotowski, Eugenio Barba. Le mot de ralliement de cet art dramatique expérimental est celui du théâtre total dont le meilleur exemple est devenu le spectacle de Pierre Moretti Équation pour un homme actuel (1967) réalisé par le goupe Saltimbanques. Analyse : Réjean Ducharme, Ines Pérée et Inat Tendu. Commentaire : Étudiez les différents aspects de la subversion : langue, caractère, intrigue action. Quels en sont les effets? Inclination pour le théâtre américain liée à la contestation de l’american way of life Le monde anglophone est à la fois l’objet de répulsion et d’attraction, à plus forte raison c’est le cas des États-Unis. La société québécoise d’un côté admire et imite l’american way of life, ses habitudes, mécanismes et valeurs. Mais elle partage aussi ses tensions internes et participe à ses mouvements et problèmes. Le Québec vit ainsi à l’heure de la guerre du Vietnam, de la désobéissance civile, du mouvement hippie, des communautés contre-culturelles, du féminisme. On parle de « l’américanité refoulée » du Québec. Le Québec subit la fascination du Living Theater, du Bread and Puppet, de la San Francisco Mime Troupe, du Performing Garage sans oublier Hair et autres productions américaines. Production dramatique Comme il a été constaté plus haut, la production dramatique culmine entre 1965 et 1972. Or, la quantité n’est pas le seul aspect. Montréal, notamment, se transforme en un important centre de la vie théâtrale du continent américain, devancé seulement par New York. Il jouit, de plus, de la diversité due à la co-présence de la dramaturgie francophone et anglophone et bientôt celle du théâtre des premières nations. Les auteurs de qualité sont une foule: Michel Tremblay, Jacques Ferron, Roch Carrier, Françoise Loranger, Jean Barbeau, Claude Gauvreau, Denise Boucher, Réjean Ducharme et bien d’autres. Présentons-en brièvement quelques-uns. Michel Tremblay (1942) La majeure partie des pièces, romans et contes de Michel Tremblay racontent le quartier populaire du Plateau Mont-Royal et les cafés, les bars, les cabarets et les maisons closes du Boulevard Saint-Laurent, la Main qui relie le Plateau au port de Montréal. C’est un mille carré qui enferme tout un univers de marginalisés par la pauvreté, par l’ostracisme social ou moral: prostituées et prostitués, homosexuels, travestis, dealers, drogués, alcooliques, mais aussi femmes enchaînées aux travaux domestiques, acteurs, chanteurs. Mentionnons quelques titres des se nombreuses pièces : Les Belles-Soeurs (1968), La Duchesse de Langeais (1970), Hosanna (1973), À toi, pour toujours, ta Marie-Lou (1971), Sainte Carmen de la Main (1976), Damnée Manon, Sacrée Sandra (1977), Bonjour, là, bonjour (1974), L’Impromptu d’Outremont (1980), Albertine en cinq temps (1984), Le Vrai Monde? (1987), La Maison suspendue (1990), Encore une fois, si vous permettez (1998). C’est par la tragi-comédie Les Belles-Soeurs (1968), mise en scène au Théâtre du Rideau Vert le 28 août 1968, que Tremblay semble s’être imposé d’emblée. Deux éléments ont alors frappé le public et la critique : la présence exclusive des femmes sur scène et l’usage du joual qui deviendra pour longtemps l’image de marque de l’auteur. Tremblay ne fut pas certes le premier à s’en servir. Mais à la différence de Gélinas et de Dubé, il l’utilise différemment, en fonction d’une poétique spécifique. Alors que dans De l’autre côté du mur, Zone et Un simple soldat Dubé respecte la hiérarchie des niveaux de style en subordonnant la langue parlée à la langue littéraire et en utilisant l’argot en guise d’effet de réel, Tremblay prend la langue du peuple pour base - degré zéro – de sa construction d’une nouvelle langue littéraire : autrement dit, il construit le style élevé et le sublime à partir de l’argot en façonnnant la langue par des procédés rhétoriques et en appliquant au récit le modèle de la tragédie antique et de l’opéra héroïque. Ce faisant non seulement il dépasse la conception habituelle de la mimésis, mais il réutilise, en les transformant, plusieurs éléments de la tradtition populaire – l’oralité et le drame religieux. Il y intègre, de plus, un discours autotélique, autoréférentiel où la représentation de la réalité est en même temps un débat sur la finalité de la représentation, sur la finalité de l’art (voir Damnée Manon, Sacrée Sandra, 1977). Lecture commentée et analyse: Michel Tremblay, Sainte Carmen de la Main. Les personnages des pièces et des proses de Tremblay se mélangent, migrent d’un texte à l’autre, les actions se complètent. Ce terreau dense, mi-(auto)biographique, mi-fictionnel, donne à l’ensemble de l’oeuvre une cohérence qui permet de traiter les pièces de théâtre comme un réseau de textes complémentaires à maints égards. Les thèmes récurrents construisent des trames axiologiques analogues qui traversent plusieurs pièces de Michel Tremblay où alternent les éléments communs à la tragédie antique (hamartia, hybris, anagnorisis, catharsis) et du drame religieux (faute, culpabilité, pardon, compréhension, rachat). Prenons l’exemple de Sainte Carmen de la Main. La communauté des marginaux de la Main, représentés par le choeur des putains et par le choeur des travestis sous la guide des coryphées respectifs Rose Beef et Sandra, constitue l’ecclesia – le corps social humilié que la chanteuse Carmen vient racheter et sauver. Elle apporte sa voix, la bonne nouvelle, une vérité révélatrice qui permet à chacun de se retrouver, d’accéder à la dignité, de se délivrer de sa condition de déclassé. Le chant de Carmen produit un miracle, les auditeurs du bar Rodéo entrevoient la lueur d’un espoir de rachat, d’une dignité. Les valeurs changent : Bec-de-Lièvre cesse de considérer sa relation lesbienne comme un opprobre pour y entrevoir l’amour, les putains et les travestis retrouvent la fierté et le respect de soi des êtres humains. Toutefois c’est un danger pour l’ordre établi – le pouvoir imposé par le boss maffieux Maurice et son aide Tooth Pick. Carmen la Sainte est assassinée et son assassin transforme le récit de sa mort en une sale histoire de jalousie lesbienne. Cependant la réplique de Bec-de-Lièvre reste un témoignage de vérité – un martyrion justement. L’histoire de la martyre Carmen est orchestrée selon le modèle légendaire. C’est une enfant rejetée dès sa naissance par sa mère Marie-Louise qui n’accepte pas que les enfants viennent au monde par « le cul de [l]a mère» (SC 24-25). Plus tard, la considérant laide, hors d’ « état de grâce » et promise à l’enfer, sa mère veut l’empêcher de faire sa première communion. Mais Carmen passe outre, décide de communier « tu-seule, à’messe de six heures, avant tout le monde ! » (SC 52). Pourtant elle est belle, « blanche comme une colombe » (SC 26). Elle est aussi capable de voir le bien là où d’autres se heurtent au mal. Ainsi le jour de la mort de ses parents dans un accident de voiture elle dit à sa soeur : « C’est un signe, Manon, c’est un signe que le ciel nous envoye ! Manon, aujourd’hui est notre jour de délivrance ! » (SC 82). Le mot délivrance revient quatre fois dans ce passage qui précède le récit du martyre de la sainte. Cette orchestration habile, jusque dans les détails, comme on le voit, fait partie d’une action dramatique minutieusement élaborée. La menace de la mort pèse sur Carmen dès le début. On lui rappelle l’assassinat de la duchesse de Langeais (SC 28, 34), un homosexuel travesti, et d’autres morts et disparitions suspectes (SC 32-33). Carmen craint Tooth Pick, pour l’avoir une fois humilié. Elle résiste aux menaces de Maurice (SC 62 sqq.) tout en sachant que si le boss lui retire sa protection, c’est Tooth Pick qui agira. Le drame de la bonne nouvelle est encadré par les choeurs qui scandent les temps et le tempo de l’action dramatique en y impliquant les éléments naturels – l’univers : soleil, ciel, orage, éclair, pluie. Le choeur liminaire salue le lever du soleil qui ne se couchera plus sur la Main (SC 13-21); l’afflux des auditeurs au Rodéo commenté par les choeurs est perçu par Carmen et Bec-de-Lièvre comme un orage menaçant, mais libérateur: « Le nuage a éclaté ! Mon nom pleut ! » (SC 48, c’est Carmen qui parle). La mort de Carmen est annoncée par les choeurs inquiets de voir le temps se couvrir et le soleil disparaître (SC 83). Toutefois, le thème dominant est encore l’art et à travers lui, l’écriture. La bonne nouvelle de Carmen tient à la parole. Chanteuse western, Carmen a appris le grand art à la source, à Nashville, aux États-Unis, mais elle a compris qu’il faut mettre cet art à la portée de la Main, de son public marginalisé. Elle travaille les textes, traduit, adapte, invente (SC 23) afin qu’ils parlent de la réalité qui touche directement son public de la Main. Car elle sait que ce n’est qu’ainsi qu’elle peut sauver sa communauté marginalisée qu’elle aime : « Tu méprises [= Maurice] la Main parce qu’a l’achève pis c’est toé qui va finir par y donner son coup de grâce ! Mais moé... moé j’ai découvert qu’y reste une chance de la sauver... Maurice, avec ma voix j’ai décidé d’essayer d’aider la Main à sortir de son trou. » (SC 71). Le long face-à-face entre Carmen et Maurice porte sur l’éthique de l’art. L’art est un mensonge, mais un mensonge qui peut devenir plus vrai que la vérité, car il peut transformer, transfigurer la réalité. Le mauvais art est celui de la régression et de la conservation du statut quo. Maurice avait envoyé Carmen à Nashville juste pour lui donner l’occasion d’améliorer ses yodles. Il ne lui demande rien que d’en rester à son ancien répertoire. Mais l’art, s’il ne touche pas la réalité, s’il ne transforme pas la réalité, s’il n’incite pas à l’acte, est un mal que Carmen refuse : « J’peux pus leur parler de mes fausses peines d’amour après leur avoir chanté leurs vrais malheurs ! J’ai pas le droit ! » (SC 73). En même temps, Tremblay respecte le canon de la tragédie antique : unité de temps, de lieu, d’action et de ton, présence du choeur qui commente l’action, agencement de l’action selon le schéma faute, culpabilité, pardon, compréhension, rachat, présence de la fatalité, sublimation de la langue au moyen des figures de style répétitives (anaphores, épiphores, épanalepses, etc.). D’un côté Tremblay remplit les attentes des partipristes, car ses pièces répondent à leur appel à l’art social, engagé et populaire, de l’autre il dépasse largement cette détermination limitée. Son théâtre est de portée universelle. Robert Gurik (*1932), né à Paris, est issu d’une famille d’immigrants hongrois. Il quitte la France après son baccalauréat et s’installe à Montréal (1951) où il termine ses études à l’École polytechnique. C’est à travers le théâtre amateur qu’il trouve la voie du théâtre professionnel. Son oeuvre reste proche de la poétique brechtienne, y compris le pathos de l’engagement de l’homme de gauche et de la critique sociale et politique. À preuve son Hamlet, prince du Québec réalisé au théâtre de l’Escale le 17 janvier 1968. Shakespeare s’y prête à une lecture d’actualité : Hamlet représente le Québec qui n’arrive pas à trancher entre l’indépendance et l’allégeance à la Confédération, Ophélie porte le masque du premier ministre du Québec Jean Lesage, Polonius et Laërtes ceux des hommes politiques fédéraux Lester Bowle Pearson et Pierre Elliott Trudeau, Horatio celui du nationaliste René Lévesque, le général de Gaulle étant le spectre qui apparaît sur les remparts. Les événements d’octobre 1970 sont repris dans Allo… police! (1974) et Les Tas de sièges, (1971; jeu de mots : l’état de siège). Le soldat qui finit par y tuer une prostituée montréalaise commente son exploit : « Anyway she was an F.L.Q.: deep down they’re all F.L.Q.’s, those bastards! There are only two solutions with them: either you fuck them or you kill them. » Les autres pièces de Gurik ciblent la critique sociale : Le Procès de Jean-Baptiste M. (1972), La Baie des Jacques (1978), À coeur ouvert (1969), La Palissade (1971), Le Tabernacle à trois étages, 1972). Une thématique analogue à R.U.R. de Karel Čapek est traitée dans API 2967 (1971). Lecture : analyse de la pièce de Robert Gurik, Hamlet, prince du Québec. Commentaire : Quels sont les procédés de politisation du texte shakespearien que l’analyse relève? Françoise Loranger (1913 -1995) excelle dans la thématique psychologique qu’il s’agisse de l’analyse des relations au sein d’une famille (Georges… Oh! Georges, 1965; Encore cinq minutes, 1967; Un cri qui vient de loin, 1967), de la solitude (Une maison… un jour…, 1965; histoire d’un vieux monsieur qui doit quitter sa maison, destinée à la démolition) ou du psychodrame collectif par lequel elle s’implique dans les débats des années 1960 et 1970 en provoquant sciemment les réactions immédiates de la salle. Tel est le Double jeu (1969) où les acteurs rejouent un conflit éthique insoluble (la femme qui doit rejoindre la personne qu’elle aime sur l’autre rive du fleuve ne le peut qu’au prix du viol ou de l’infidélité, à la demande pressante du passeur), tel est Le Chemin du Roy (1969) qui transpose, sous forme d’un match de hockey, l’histoire de la visite du général de Gaulle, tel est aussi Médium saignant (1970) qui reprend les conflits du quartier montréalais de Saint-Léonard concernant la langue d’enseignement à l’école. Roland Lepage (*1928) est un dramaturge de métier, doté d’une solide formation à l’Université Laval (1947), complétée par des études de l’art dramatique à Bordeaux (1949-1951) et Paris (1953-1956). À son retour à Montréal, il travaille à la radio et à télévision, il enseigne à l’École Nationale de Théâtre avant d’accepter le poste de directeur artistique du Théâtre du Trident (1989-1993) à Québec. Il est aussi acteur. S’il n’est pas un auteur prolifique, il est ingénieux quant aux procédés de la mise en scène. La Complainte des hivers rouges (1974) est basée sur la dramatisation des documents historiques – lettres, procès-verbaux – qui relatent les événements de la rébellion des Patriotes de 1837-1839. Il s’agit d’un renouvellement spécifique du drame historique. Le Temps d’une vie (1974) multiplie la protagoniste en plusieurs personnages, à différentes étapes de sa vie, qui dialoguent sur scène pour trouver le sens d’une destinée humaine. Cette technique sera reprise dix ans plus tard par Michel Tremblays dans Albertine en cinq temps. Jean-Claude Germain (*1939) s’est consacré au théâtre dès ses études secondaires et universitaires à l’Université de Montréal où il fonde le Théâtre Antonin Artaud et met en scène Ubu Roi de Jarry. Il travaille ensuite comme comme critique dramatique au Petit Journal (1965-1969) avant d’être engagé comme secrétaire du Centre expérimental des auteurs dramatiques (1968-1971). Il fonde plusieurs théâtres et troupes : Théâtre du même nom (1969), P’tits Enfants Laliberté (1971), Grande Confrérie des Enfants Sans Soucis (1975). Plusieurs de ses textes ne sont que des canevas destinés au théâtre collectif, où le texte ne sert que de prétexte au travail des acteurs qui le parachèvent. L’action de Diguidi, diguidi, ha! ha! ha! (1972) se concentre sur les déboires d’une famille dont les membres sont tiraillés entre la réalité et leurs rêves et désirs que leurs idôles – Batman et père Noël – les aident à réaliser. Si les Sansoucis s’en soucient, ces Sansoucis-ci s’en soucieront-ils? Bien parler, c’est se respecter (1972) développe les conflits politiques historiques et d’actualité entre les Canadiens anlophones et francophones. Le traitement burlesque des traumatismes historiques caractérise les comédies Un pays dont la devise est je m’oublie (1976, publ. 1983) et A Canadian Play/Une plaie canadienne (1979, publ. 1983), alors que Mamours et Conjugat. Scènes de la vie conjugale québécoise (1979) passent en revue les différentes étapes de l’institution du mariage et de la vie conjugale. Les drames monologiques représentent peut-être l’acquis le plus durable de l’oeuvre germainienne. Le Roi des mises à bas prix (1972) est une récapitulation d’une vie ratée, Les Hauts et les Bas d’la vie d’une diva: Sarah Ménard (1974) et Les Nuits de l’Indiva (1983) reviennent sur la problématique de la vie artistique, la vie vécue et la vie jouée. Michel Garneau (*1939) est aussi poète et acteur, sensible à l’ambiance de la scène et à l’émotion produite par le spectacle. Ceci détermine le caractère expérimental de ses oeuvres dramatiques qui travaillent moins avec l’intrigue qu’avec l’orchestration vocale et la disposition et le mouvement des personnages. Les pièces collectives de Michel Garneau ressemblent à des orchestrations polythématiques où des fragments de réalité (allusions historiques, politiques, actualité) s’enchvêtrent, réunis par la parole rythmée, soulignée par la musique : dans Quatre à quatre, (1974) alternent quatre voix de femmes d’âges différents, dans Abriés désabriées (1979) se répondent quatre paires d’acteurs selon le principe compositionnel de la quadrille. Adidou Adidouce (1977) est basé sur la transformation phonétique de l’expression anglaise how do you do. Les neiges (1984) sont une évocation poétique du paysage d’hiver. L’oeuvre de Garneau a aussi un volet plus traditionnel : Gilgamesh (1976) est une dramatisation du mythe sumérien, Émilie ne sera plus jamais cueillie par une anémone (1981) retrace la vie de la poétesse états-unienne Emily Dickinson. Jean Barbeau (*1945) est originaire de la banlieue de Québec, ville qui a vu ses débuts dramatiques au Théâtre de l’Estoc, au Théâtre quotidien de Québec et au Théâtre du Trident pour lesquels il a écrit la majeure partie de ses pièces. Celles-ci sont identifiables à la nature des protagonistes – des anti-héros marginalisés et malmenés par la vie. Les titres sont souvent des jeux de mots. Ben-Ur (1971) a beau rappeler le célèbre héros cinématographique. Dans la pièce de Barbeau il s’agit de Bénoît-Urbain, dit Ben-Hur, gardien de nuit dans une banque qui, pauvre, garde la richesse des autres en rêvant, avec ses héros des bandes dessinées, d’échapper à la platitude de sa vie ratée. Le Chemin de Lacroix (1971) retrace la passion d’un pauvre diable qui, tabassé par la police et hospitalisé, ressuscite au bout de quatre jours pour constater qu’entre temps il s’est retrouvé au chômage et a été abandonné par sa compagne. Émile et une nuit (1979) met en scène un sans abri qui empêche Émile, qui est riche, de se suicider, en le convainquant que la vie vaut d’être vécue. Ce type de tragi-comique doux-amer, teinté d’absurde et plein de fantaisie et parfois de rêverie, imprègne la plupart des pièces de Barbeau : Citrouille (1975), Une marquise de Sade et un lézard nommé King-Kong (1979), Les Gars (1984), Joualez-moi d’amour (1972), Manon Lastcall (1972), Le Grand Poucet (1985). XI.-XII. Situation du théâtre québécois après 1980 Transformation du modèle identitaire Trois facteurs concomitants influencent l’identité québécoise des années 1980 et 1990. L’échec des deux référendums sur la souveraineté du Québec (1980 et 1995), qui auraient dû achever le processus de l’émancipation nationale, entrave l’éthos collectiviste de la Revolution tranquille et oriente l’attention vers la problématique individuelle. D’autre part, la Loi 101 et la Charte de la langue française (1997) transforment les données identitaires sur le plan juridique et redéfinissent non seulement le statut de la langue française, mais aussi le statut identitaire. En effet, une fois assurée, grâce à la Loi 101, la place dominante du français à l’intérieur de la province, l’ancienne identité, longtemps basée sur l’origine ethnique, la langue et la religion, cède à la nouvelle identité définie par le statut civique : désormais est Québécois tout citoyen habitant le territoire de la province, quelles que soient son origine ethnique, sa religion ou sa langue d’origine. La porte est grande ouverte alors au troisième aspect de la période, à savoir l’intégration linguistique, culturelle, mais aussi littéraire des immigrés et des premières nations. Si le processus, initié par la Révolution tranquille, n’a pas abouti à l’entière indépendance, toujours est-il que l’assise institutionnelle du français et de la culture francophone au sein de la Confédération canadienne est assurée au point que la fonction identitaire de la spécificité linguistique et culturelle cesse de jouer le rôle primordial au profit d’une approche individualiste. Assise institutionnelle Les gouvernements provincial et fédéral poursuivent leurs soutiens institutionnels de la culture et notamment au Québec les maisons d’éditions, les bibliothèques et les théâtres jouissent des subventions publiques. Un événemenent significatif ponctue l’importance de la vie théâtrale - la convocation, en 1981, des États généraux du théâtre où les représentants des professions dramatiques, des sociétés et des théâtres s’accordent à créer le Conseil québécois du théâtre (1983) destiné à défendre les intérêts professionnels face au gouvernement provincial et aux autorités publiques. Le Conseil réclame l’augmentation des subventions et l’aide des autorités à la construction non plus des grands théâtres, mais des salles moyennes de 200 à 400 places. Le premier point – les subventions – trahit la période de crise financière que certains théâtres traversent. Ainsi le Théâtre du Nouveau Monde, endetté, a été obligé de fermer pour la saison 1984-1985. Le second point indique les intérêts dramaturgiques des petites et moyennes compagnies qui se constituent durant les années 1970 et 1980: Théâtre Parminou (1973) Carbone 14 (1976), Théâtre Expérimental de Montréal (1975, Jean-Pierre Ronfard), Théâtre Expérimental des Femmes (1978) devenu Espace Go (1991, 1995), Nouveau Théâtre Expérimental (1979), Théâtre Repère (1980), Dynamo Théâtre (1981), Théâtre Ubu (1982), Théâtre de l’Opsis (1986). Ce type de scènes a facilité le transfert des activités culturelles vers des villes moins importantes - Sherbrooke, Chicoutimi, Rivière-du-Loup, Rimouski. Ainsi, le théâtre québécois complète sa structure institutionnelle - École Nationale de Théâtre, Conseil québécois du théâtre, grandes, moyennes et petites scènes, scènes expérimentales, études de théâtrologie aux universités, critique dramatique spécialisée. L’échange générationnel ne semble pas poser problème. Entre 1978 et 1990, l’École nationale de Théâtre forme 17 écrivains dramaturges. Certains auteurs et troupes, tel Normand Chaurette ou Carbone 14, s’imposent à New York, à Londres, Paris, Avignon, Berlin. Altérité néoquébécoise et celle des premièrs nations La nouvelle assise identitaire, codifiée par la Loi 101, était censée promouvoir et faciliter l’intégration des Néoquébécois immigrants et des Premières Nations – Amérindiens et Inuits. Le processus n’est pas toutefois simple, l’altérité est encore souvent conçue comme un obstacle ou du moins une résistance à éliminer ou minimiser. Il y a aussi une différence entre la façon dont les Québécois perçoivent l’autre et le regard que l’autre porte sur soi-même et sur les Québécois. L’évolution est lente, mais elle existe. À preuve la comparaison entre la situation de la Révolution tranquille, marquée par l’exclusion de l’autre, et la période successive qui thématise les problèmes et les conflictualités dans la perspective d’une intégration. Si Médium saignant (1970) de Françoise Loranger identifie encore les alophones comme ennemis de la québécité, Les transporteurs du monde (1984) de Gilbert Dupuis (*1953) envisagent déjà la conflictualité du point de vue des chauffeurs de taxi - immigrants haïtiens. Une décénnie plus tard, les Nomades urbains (1993) de Christian Bédard (*1951) assignent le rôle destructeur à un Québécois de souche qui par jalousie ruine l’amitié entre une jeune fille afro-américaine et un couple d’homosexuel, dont l’un est d’origine latino-américaine. Dans ces deux pièces, la marginalité que les immigrants représentent devient la source des valeurs positives, alors que la position de la société majoritaire est problématisée et critiquée. Avec le temps s’affirment l’influence et l’importance, en nombre et qualité, des auteurs appelés, successivement, « immigrés », « néoquébécois », « migrants » : Sergio Kokis (d’origine brésilienne), Ying Chen (Chinoise), Naïm Kattan (Irakien), Jean Basile (Bezrodnov; Russe), Négovan Rajic (Serbe), Dany Laferrière (Haïtien), Alice Parizeau (Polonaise), Wajdi Mouawad et Abla Farhoud (Libanais), Régine Robin et Elisabeth Vonarburg (Françaises), Miguel Retamal et Alberto Kurapel (Chiliens), Fulvio Caccia et Antonio d’Alfonso (Italiens). Il est vrai que la plupart d’entre eux préfèrent la prose, le roman en particulier, alors que le théâtre n’a attiré que deux noms importants : Marco Micone (Gens du silence, 1982; Addolorata, 1984; Déjà l’agonie, 1988) et Wajdi Mouawad (Littoral, 1999). Les deux dramaturges illustrent également une évolution qui de collectiviste et linguistique chez Micone devient plutôt individualiste et en même temps existentielle chez Mouawad. Analyse : Jérôme Ceccon, « Les écrivains italo-québécois dans leur rapport à la langue et à la culture ou comment se positionner comme écrivain à part entière dans le contexte québécois » (www.interfrancophonies.org/ceccon.pdf) Commentaire : Relevez les points essentiels de la situation linguistique et culturelle des auteurs immigrés. La relation entre la culture majoritaire et celle des Premières Nations copie avec un certain décalage temporel l’évolution de la situation des immigrants. Là aussi on assiste à la réévaluation du rapport à l’autre comme le montre la pièce de Marie-Renée Charest (*1949) Meurtre sur la rivière Moisie (1986), basée sur un fait divers – meurtre de deux adolescents amérindiens. La représentation a frappé l’opinion publique au point de faire relancer l’enquête de la police qui devait éclarcir s’il ne s’était pas agi d’un crime raciste. La matière amérindienne pénètre sur les scènes. Mentionnons le personnage de Sauvageau dans Les Grands Soleils (1958) de Jacques Ferron ou bien la pièce de Jovette Marchessault Le Voyage magnifique d’Emily Carr (1990) où la célèbre femme-peintre trouve le sens de la vie et la source d’inspiration dans le contact avec la culture et la mythologie amérindiennes. La relation du peintre avec son amie amérindienne Sophie est vécue sous le signe mythologique de la déesse-mère amérindienne D’Sonoqua. Dans le syncrétisme des représentations mythologiques amérindiennes, chrétiennes et antiques se projette la personnalité de l’auteure, féministe et consciente son ascendance partiellement amérindienne. Plusieurs auteurs cherchent dans la culture amérindienne une source d’inspiration. Marc Doré (*1938) a mis sur scène le conte amérindien Kamikwahushit (1977) qui par son intrigue rappelle des conte européens : un marchand de la Compagnie de la Baie d’Hudson promet la main de sa fille à celui qui résoudra les devinettes posées. C’est un jeune métis, jusque-là méprisé, qui remporte la victoire. Michel Noël (*1944) a représenté dans La malédiction de Tchékapesh (1985) le mythe du castor qui libère le soleil, prisonnier du géant Tchékapesh. Le théâtre autochtone est lié à la personnalité du Wendat Yves Sioui Durand (*1951), homme de théâtre, acteur, metteur en scène et auteur, directeur de la compagnie Ondinnok, fondée en 1985 qui s’est imposée à l’échelle mondiale grâce aussi à la collaboration d’Yves Sioui Durand avec Jean-Pierre Ronfard, Robert Lepage ou Ariane Mnouchkine. Son oeuvre témoigne d’un syncrétisme intentionnel des éléments du drame amérindien rituel, de la mythologie amérindienne et de la culture européenne : Le Porteur des peines du monde (1985), Aiskenandahate. Le voyage au pays des morts (1988), Iwouskéa et Tawiskaron (1999), La Conquête de Mexico (1991) et Kmùkamch l’Asieindien (2002). À part les faits historiques et les mythologies, Sioui Durand se plaît à contaminer les langues - mohawk, innu, nahuatl, français, anglais, espagnol tout en cherchant à habiller l’héritage amérindien de moyens d’expression dramatiques progressistes, à réinventer le théâtre amérindien moderne.[14] Témoin la version amérindienne de Shakespeare Hamlet - Le Malécite (2004). Mouvement feministe À côté de celui des homosexuels, le mouvement féministe constitue un autre aspect de la transformation identitaire qui marque la culture québécoise des années 1970-1990. Il a ses antécédents historiques, telles la personnalité de Marie Gérin-Lajoie (1890-1971) ou les activités de Thérèse Casgrain (1896-1981), de Joséphine Marchand (mariée Dandurand, 1861-1925) et de Gaétane de Montreuil (1867-1951). Le féminisme a profité, dès les années 1960, de l’ambiance libertaire et libératrice de la Révolution tranquille, et de la force du mouvement féministe états-unien. L’évolution a été rapide : fondation du Front de libération des femmes (1970), manifeste Québécoises deboutte! (1972-1974), lancement des revues Les Têtes de pioche (1976-1979) et La Vie en rose (1980-1987), colloque international « Femme et littérature » (1975) patronné par la revue Liberté, numéro spécial de La Barre du Jour (n^o 50, 1975) consacré à la question féminine et à la littérature et l’écriture féminines. Dans leur Anthologie de la poésie des femmes au Québec des origines à nos jours, Nicole Brossard et Lisette Girouard déclarent : « On prend appui sur le marxisme, sur la psychanalyse, sur le lesbianisme, sur la contre-culture pour débattre des priorités et de l’essence du féminisme. »[15] À la différence de l’émancipation nationale, le mouvement féministe se veut universel, inspiré par la collaboration avec les féministes états-uniennes et autres. Du point de vue culturel, il s’agit d’une position enrichissante qui se manisfeste dans les réalisations majeures, y compris le théâtre. Celles qui ont marqué leur époque sont l’oeuvre collective La Nef des sorcières (1976; Nicole Brossard, Luce Guibeault, Marthe Blackburn, France Théoret, Odette Gagnon, Marie-Claire Blais, Pol Pelletier), Les Fées ont soif (1978) de Denise Boucher (*1935) et le Tryptique lesbien (1980) de Jovette Marchessault. Cette dernière peut être considérée comme la meilleure et la plus féconde des auteures féministes. Production dramatique Si la Révolution tranquille a transformé les scènes et les salles en lieux publics d’échanges d’opinions, d’activisme civique, voire de propagande, lieux où la société projetait ses traumatismes, ses désirs et ses ambitions et où – par imitation ou intercession symbolique – elle traitait, pour les résoudre, ses problèmes et conflicts réels, la Loi 101 et l’échec référendaire de mai 1980 modifient l’atmosphère et les orientations de la société. En conséquence, le théâtre quitte sa mission nationale, collective, il se dépolitise et se désengage progressivement, à l’exception de la thématique féministe et migrante qui, toutefois, vise un horizon non plus national, mais plutôt supranational et par là s’insère dans la tendance commune du dépassement du national. L’effacement de la collectivité et de l’idéologie se fait d’une part au profit de l’intime et de l’individuel, d’autre part il provoque un retour aux grands thèmes universels, intemporels, mais actualisés. En cela, la dramaturgie québécoise suit l’exemple des grands réalisateurs, tels Peter Brook, Ariane Mnouchkine, Patrice Chereau, Antoine Vitez, qui se consacrent à la mise en scène et aux adaptations et réécritures postmodernes des classiques - Euripide, Shakespeare, Molière, Goldoni, Tchékhov. Au Québec, c’est le cas du cycle de Jean-Pierre Ronfard Vie et mort du roi boiteux 1981) qui reprend les grands noeuds du théâtre shakespearien autour du noyau constitué par l’histoire de Richard III, mais où s’intègrent également des mythes antiques et modernes - Oreste, Oedipe, Hamlet ou Jeanne d’Arc, Robespierre, Mata Hari, Marilyn Monroe, ayatollah Khomeïni. Il n’est pas étonnant que dans cette mouvance on voit se renouveler l’intérêt pour les grands classiques québécois : Marcel Dubé, Gratien Gélinas, mais aussi Claude Gauvreau. La dépolitisation et la désidéologisation ont influencé l’aspect linguistique : le joual perd son attrait, l’oralité se détourne du populaire et se rapproche de l’usage commun et de la norme. Le français standard retrouve sa position dominante, mais qui n’est pas exclusive vu le mélange postmoderne des codes linguistiques que l’on trouve, par exemple, dans les pièces de Marco Micone ou d’Yves Sioui Durand. À côté du théâtre basé sur le texte, une autre conception, expérimentale, se développe : le théâtre du mouvement (movement theatre) qui veut lier la parole à la danse, au ballet et à la pantomime. Les promoteurs se récrutent notamment parmi les anciens élèves d’Étienne Decroux et de son École de mime à Paris ou bien parmi ceux qui, comme Jean Asselin qui s’est familiarisé avec le théâtre du mouvement à Londres et à Prague. Gilles Maheu (*1948) a ainsi créé pour le théâtre Carbone 14 plusieurs pièces dont Le Rail (1985), Hamlet-Machine (1987), La Forêt, 1995). Jean Asselin (*1948) a réalisé sur la scène de l’Omnibus le Cycle Shakespeare (1988). Du point de vue thématique quatre grands filons peuvent être considérés comme novateurs : intimiste (Normand Chaurette, Michel-Marc Bouchard, René-Daniel Dubois), féministe (Denise Boucher, Jovette Marchessault), altérité migrante (Marco Micone, Wajdi Mouawad), altérité autochtone (Yvese Sioui Durand). Jean-Pierre Ronfard (1929–2003) accède à l’écriture après une longue carrière de metteur en scène, d’acteur et pédagogue et un long périple qui le conduit de France en Algérie, en Autriche, en Grèce, au Portugal et, finalement, au Canada, où il devient responsable de la section française de l’École Nationale de Théâtre en 1960, puis secrétaire du Théâtre du Nouveau Monde et cofondateur du Théâtre expérimental de Montréal (1975) et du Nouveau théâtre expérimental (1979). Sous sa direction ont été réalisées plusieurs pièces de Ionesco, Brecht, Tchékhov, Ibsen, Miller aussi bien que La Conquête de Mexico d’Yves Soui Durand Charge de l’orignal épormyable de Claude Gauvreau ou Ines Pérée et Inat Tendu de Réjean Ducharme. La spécificité de Ronfard auteur consiste dans la transposition et la réécriture postmoderne des grands classiques et des mythes : Médée (1970), Lear (1977), Vie et mort du roi boiteux (1981), La Mandragore (1982; d’après Machiavel), Don Quichotte (1985), Les mille et une nuit (1985). Le Titanic (1986) offre une vision catastrophique, et ironique, de l’histoire de l’humanité: à bord du transatlantique qui coule se rencontrent et se croisent Adolf Hitler, Isadora Duncan, Sarah Bernhardt, Charlie Chaplin, le Juif errant et bien d’autres. Les travaux de moindre envergure sont réunies sous le titre de Cinq études (1994): Les Objets parlent, Autour de Phèdre, La Voix d’Orphée, Corps à corps, Violoncelle et voix. Normand Chaurette (*1954) est le représentant majeur du tournant intimiste et intellectuel du théâtre des années 1980. Il importe de signaler la formation universitaire de l’auteur, qui est spécialiste de la linguistique transformationnelle, et aussi son intérêt pour la psychologie. Ses pièces, sans être psychologiques au sens traditionnel sont autant de sondes dans le psychisme humain et dans la problématique de la communicabilité de l’expérience vécue. Son premier succès Rêve d’une nuit d’hôpital (1980) reprend le titre d’un poème d’Émile Nelligan. Le protagoniste, nommé Émile, vit le drame de celui dont l’univers se désagrège et perd ses contours spatiaux et temporels. Le nom de famille – Nelligan – n’est pas mentionné de sorte que celui qui ignorerait la biographie du poète perçoit l’histoire comme le récit de la fragilité d’une destinée. Dans Provincetown Playhouse, juillet 1919, j’avais 19 ans (1981) Charles Charles, qui a trente-huit ans, rejoue le drame de ses dix-neuf ans : il monte la pièce où il est obligé, à la fin, de frapper dix-neuf coups de couteau dans un sac contenant un enfant. Fiction ou réalité? Enfant réel ou poupée? Charles Charles rejoue sa folie comme un théâtre dans le théâtre. Les Fêtes d’automne (1982) sont conçues comme un requiem où la protagoniste Joa transorme le confllit « réel » avec sa mère en rêverie érotico-mystique où le Roi Septante figure comme une incarnation du Christ. Joa décide de se suicider et retrouve sa mère dans l’au-delà. Le Passage de l’Indiana (1996) est une reconstruction fictionnelle, par une auteure de romans, du naufrage du navire où ont péri les parents qu’elle n’a jamais connus. La fiction est pour elle une façon de vivre une réalité impossible pour trouver la paix. La Société de Métis (1983) frappe par la particularité de sa construction communicationnelle: les dialogues des quatre personnages actants sont centrés sur deux personnages qui n’y figurent pas et qui pourtant constituent le noyau sémantique de la pièce, car – peintre et pianiste – ils représentent un auteur et un interprète. La pièce offre ainsi une sorte de négatif de la création où les personnages parlants renvoient à l’auteur qui les a inscrits dans le texte. Ce filon de la complexité communicationnelle traverse aussi les Fragments d’une lettre d’adieu lus par les géologues (1986). Chaurette, qui a plusieurs fois frôlé la thématique religieuse dans ses pièces, est aussi l’auteur de Stabat Mater II (1999). Michel-Marc Bouchard (*1958) appartient par ses activités aussi bien à la province de Québec (enseignant à l’Université du Québec à Chicoutimi, metteur en scène à Matane) qu’à celle d’Ontario (études de théâtrologie, activités thâtrales). Plusieurs caractéristiques se rejoignent dans l’oeuvre de Bouchard : la thématique intimiste, comme chez Chaurette et Dubois, la marginalité homosexuelle, comme chez Tremblay, la réécriture et l’actualisation des mythes, comme chez Ronfard. La Contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste (1984) montre bien la complexité de cette interaction. L’intrigue semble superficielle : Louis Tanguay, journaliste, et son partenaire Jean Lapierre engagent Marie, une gouvernante, pour créer l’apparence d’une famille normale, hétérosexuelle, afin que l’agente d’adoption qui doit venir inspecter leur ménage leur permette d’adopter un enfant. Mais Marie est en fait l’agente d’adoption Diane qui n’a accepté le poste que pour mieux inspecter. Son enquête provoque une avalanche de questionnements et met à nu ce que chacun aurait voulu cacher : violences intimes du père et de la mère sur le fils, image idéalisée de la mère, désir d’effacer les violences passées par le recours à l’archétype mythique, en l’occurrence à l’histoire de la passion du roi de Thèbes Laïos pour le jeune prince Chrysippe. La mort de ce dernier a dans les mythes grecs deux versions et que Bouchard indique sans trancher ni pour l’une ni pour l’autre : suicide dû à la violence subie, assassinat perpétré (ou ordonné) par Hippodamie qui voulait éliminer le fils de Pelops de l’héritage. La Poupée de Pélopia (1984) reprend le fil du mythe antique en invoquant les deux assassins de Chrysippe, Atrée et Thyeste qui sont frères, et Pelopia, fille de Thyeste et épouse d’Atrée. L’intrigue se noue autour de la problématique de l’inceste : maître Daniel, fabricant de poupées, est un père qui crée et façonne ses deux filles-poupées à son image au point d’en abuser. La cadette, Estelle, revient, au bout de quinze ans sous le nom de Pelopia, pour se venger. Après avoir provoqué son père, elle veut révéler les relations incestueuses de celui-ci aux journalistes. Toutefois, le scandale de l’inceste ne semble pas le point le plus important du message. Car le jeu des relations est bien plus compliqué, car il cache, sous la douleur, des connivences, des consentements, des fascinations. Les Feluettes ou la Répétition d’un drame romantique (1988) analysent la complexité des relations homosexuelles. La pièce utilise la technique de la mise en abyme, celle du récit dans le récit qui renvoient l’un à l’autre dans un jeu de miroirs. Le sentiment amoureux entre Simon et de Vallier, dit Feluette, surgit durant la répétition du Martyre de saint Sébastien de Gabriele D’Annunzio et c’est cette situation que Simon se rappelle quarante ans plus tard, en prison, au moment où il met en scène la même pièce avec ses codétenus. Rappelons, pour compléter, d’autres titres de Bouchard : Le Voyage de couronnement (1995), Le Chemin des passes dangereuses (1998) Sous le regard des mouches (2000), Les Manuscrits du déluge, (2003), Le Peintre des madones (2004), Des yeux de verre (2007), Tom à la ferme (2011). René-Daniel Dubois (*1955) appartient à ceux qui ont été formés par l’École Nationale de Théâtre (1973-1976). Acteur professionnel, il a le sens de la mise en scène et de l’action dramatique. Sa poétique postmoderne se plaît à mélanger les codes linguistiques et culturels, à jouer avec l’intertextualité. Il a débuté avec la comédie Panique à Longueuil (1980; traduction tchèque Odyssea o sedmi patrech, 1988) : Paul Arsenault, professeur de zoologie, ferme inopinément la porte du balcon au septième étage et pour pouvoir rentrer dans son appartement, il doit entreprendre la descente des balcons, étage par étage, jusqu’à la cave avant de pouvoir remonter par l’escalier. Durant la descente, il rencontre des voisins qui incarnent différents aspects de l’humanité et ses problèmes. Symboliquement, c’est aussi la descente au fond de l’inconscient et la redécouverte de soi et de son identité. 26 bis, impasse du colonel Foisy (1982) porte le sous-titre « texte sournois en un acte (et de nombreuses disgressions) pour un auteur, une princesse russe et un valet ». Le texte est formé par un long monologue de la princesse russe qui attend son amant. Au fur et à mesure on se rend compte que le monologue ne renvoie pas à la réalité, que la princesse est aussi fictive que son amant et qu’il s’agit de deux clichés culturels. Les souvenirs de la princesse fourmillent d’allusions intertextuelles (Freud, Proust, Claudel, Genet, Darwin, Visconti) et d’amalgames linguistiques et culturels (lecture de la bande dessinée Tintin au Congo d’Hergé, en version serbo-croate, avec traduction en russe). En fait, le récit de la princesse est une autobiographie cachée d’un auteur absent. La princesse est son émanation, un personnage interposé qui parle pour lui et de lui. Ne blâmez jamais les Bédouins (1984) se présente comme l’énonciation, mais aussi la subversion d’un mythe postmoderne qui oppose un narrateur aux personnages. Un jeune homme grimpe en haut d’un totem qui symbolise la vérité éternelle aussi bien que la tyranie des chamanes. Il veut annoncer l’arrivée de l’âge nouveau. Sa vision qu’il énonce par l’intermédiaire des personnages a deux pôles - le collectif et l’individuel. L’individuel est représenté par Weulf, mi-Tarzan, mi-personnage d’un opéra de Wagner, et par Michaela, une diva de cinéma muet que l’on a attachée aux rails et qu’une meute de journalistes entoure pour avoir la photo de sa libération attendue. Le fond collectif est celui d’une guerre imminente qu’annoncent des personnages parlant russe, anglais et chinois. Le mélange des langues caractérise aussi les deux protagonistes. Le français de Michaela est hispanisé morphologiquement et italianisé en prononciation, celui de Weulf tient de l’allemand. Les procédés scéniques imitent ceux de l’opéra, de la bande dessinée et du cinéma pour compléter l’imbrication des codes culturels qui finisssent par se fondre dans un bruissement. La confusion aboutit à l’absence du sens. Les bédouins migrant à travers des sables mouvants sont l’image de l’humanité. L’incertitude ontologique et noétique est le thème de la pièce Le troisième fils du professeur Youroulov (1990): Jean-Pierre a Katarina cherchent à découvrir l’identité de Bénoît qui s’est suicidé (a été suicidé?) en sautant du haut du gratte-ciel. Fut-il un agent secret, un génie ou autre chose? Aucune réponse n’est sûre. La recherche de l’identité et de la certitude est aussi le thème d’Adieu, docteur Münch… (1982): le protagoniste s’adresse à une dizaine de voix qui matérialisent sa vision de son propre for intérieur. Étape par étape, c’est aussi une descente en enfer du moi profond. Le drame noétique et psycholoque, lié à la difficulté et au mal d’être dans la socété actuelle caractérisent d’autres pièces de Dubois : Being at home with Claude (1986), Le Printemps, Monsieur Deslauriers (1987), Et Laura ne répondait rien (1991). Jovette Marchessault (*1938) a été peintre et sculpteur avant de se faire romancière et auteure dramatique. En elle l’engagement féministe se conjugue avec la conscience d’incarner, par sa part de sang amérindien, l’éthos des premières nations. Son début dramatique Tryptique lesbien (1980) est original par sa facture d’assemblage générique. La première partie « Chronique lesbienne du moyen âge québécois » peut être caractérisée comme un essai-fiction : une extraterrestre est soumise à la violence d’une éducation imposée par le mâle dominant - à l’école, à l’église, dans la famille. La deuxième partie, monologue dramatique « Les vaches de nuit », est une évocaton lyrique de la relation mère-fille et une exaltation de la féminité symbolisée par la danse sur la Voie lactée, alors que sur la Terre, les femmes sont menées à l’abattoir des chambres nuptiales et de la maternité imposée. Le troisième volet « Les faiseuses d’anges », désigné comme « poésie théâtralisée », est une célébration de celles qui incarnent la révolte et montrent la voie de la liberté en se portant au secours des femmes qui n’ont pas choisi la maternité. La Saga des poules mouillées (1981) illustre les difficultés que les femmes doivent dépasser pour accéder, en secret, à l’insu des hommes, à la liberté individuelle et à la création où elles déposent leurs peurs et leurs désirs, interdits par la société. Les personnages historiques – grandes écrivaines – s’y rencontrent dans un hors-temps et hors-lieu, sous des surnoms symboliques Laure Conan - l'Ancêtre, Germaine Guèvremont - la Paroissienne, Gabrielle Roy - Petite corneille, et Anne Hébert - Tête nuageuse. Un agencement analogue constitue le noyau dramatique d’Alice et Gertrude, Natalie et Renée et ce cher Ernest (1984) situé au Salon littéraire, à Paris, en 1939, au moment où la guerre éclate : quatre écrivaines et artistes lesbiennes - Natalie Clifford Barney, Renée Vivien, Alice B. Toklas, Gertrude Stein – se réunissent en présence de Hemingway pour débattre sur la menace que représente le régime nazi pour la libberté de création, notamment pour les artistes homosexuels. À la fin du débat d’autres femmes se présentent : Colette, Djuna Barnes, Marguerite Yourcenar. La liberté de création et la liberté existentielle et sexuelle sont le thème central d’autres pièces à caractère biographique: La Terre est trop courte, Violette Leduc (1982), Anaïs, dans la queue de la comète (1985), Le Voyage magnifique d’Emily Carr (1990). Cette dernière pièce touche aussi la problématique des première nations (voir ci-dessus). Marco Micone (*1945) représente la culture italo-québécoise. De même que Michel Tremblay, il met en scène la marginalité sociale, dans son cas celle des immigrants italiens. Sa trilogie Gens du silence (1982), Addolorata (1984), Déjà l’agonie (1988) retrace les changements générationnels de la communauté italophone. Les Gens du silence sont ceux de la première génération, dépourvue de la parole et qui travaille dur pour assurer un meilleur avenir aux enfants. En même temps ils forment une société ghettoïsée qui les protège, mais aussi emprisonne. Seuls les fils ont la persmission d’en sortir. C’est pour cela que Mario est inscrit à l’école anglaise, alors Nancy-Annunziata va à l’école française, car, de toute façon, elle n’aura d’autre avenir que celui de mère de famille, dans le ghetto italien. Addolorata est le récit de la deuxième génération. Un conflit oppose Giovanni-Johny, attaché à la tradition, et sa femme Addolorata-Lolita qui, après la mort de ses parents, refuse le rôle de la femme soumise. La pièce confronte, en les alternant, deux situations : celle d’il y a dix ans, avant le mariage – prometteur et plein d’espoirs, et celle qui montre la famille comme une prison que la protagoniste finit par quitter. L’agencement linguistique de Micone sert à caratériser les attitudes des personnages. Alors que le monde masculin veille à la distinction nette de leurs domaines de domination – italien à la maison, anglais dans la société, Addolorata veut se franciser, car le français représente pour elle l’égalité avec son entourage canadien-français. Le troisième volet de la trilogie Déjà l’agonie illustre le comportement de la troisième génération, née au Québec, mais dépaysée, car les attaches avec l’ancienne patrie sont rompues, alors que le nouveau pays continue à considérer les enfants d’immigrants comme des étrangers. Wajdi Mouawad (1968) est né au Liban, d’où sa famille a d’abord émigré en France, au moment de la guerre civile, puis, en 1983, au Canada. Parmi les auteurs immigrés, il représente la nouvelle vague qui ne s’attache plus au destin de la collectivité, mais qui met l’accent sur la problématique individuelle, de portée universelle. Mouawad utilise la transposition symbolique. Le traumatisme de la guerre, l’omniprésence de la mort et de la violence, la destruction des relations humaines forment le terreau de ses pièces : Journée de noces chez les Cromagnons (1992), Alphonse (1993), Willy Protagoras enfermé dans les toilettes (1993), Les Mains d’Edwige au moment de la naissance (1995), Littoral (1999), Rêves (2002). Littoral (traduit en tchèque : Pobřeží, 2001) est centré sur la piété filiale : après la mort du père, Wilfrid cherche l’endroit où l’enterrer. Le pèlerinage à travers le pays dévasté par la guerre est vu aussi comme une matière cinématographique, un film à tourner par une équipe de cinéastes. Ce double miroir du récit reflète aussi la recherche complexe de ses propres racines d’un être déraciné, destiné à un errance perpétuelle. Ce n’est pas la terre qui à la fin peut accueillir le corps mort, mais la mer qui efface les traces sur le sable du littoral. XIII. Conclusion générale Le survol rapide et sommaire des quatre siècles du théâtre canadien-français et québécois n’a pu montrer que quelques éléments qui fondent la vitalité du genre. À la différence de la poésie et de la prose, le théâtre semble davantage lié à la vie publique et aux conditions que la société met à sa disposition. Le théâtre ne se réduit pas aux textes et à la poétique, mais il dépend des agents multiples – auteurs, metteurs en scènes, acteurs, dramaturges, directeurs, public – ainsi que des institutions que la société met à sa disposition – théâtres, écoles, maisons d’édition, structures économiques, etc. Il est aussi plus complexe - à la fois texte et spectacle, abstraction et réalisation, émotion intellectuelle et émotion des cinq sens qui participent au spectacle. En comparaison avec d’autres cultures, le Canada et le Québec ont connu un développement différé, plus lent. Toujours est-il que la seconde moitié du 20^e siècle marque un essor rapide, de portée mondiale. Le théâtre québécois représente de nos jours un volet créateur, progressiste et inventif du théâtre francophone. Analyse : Tableau récapitulatif. Commentaire : Catégorisez les éléments du Tableau, triez-les, transformez-en la forme énumérative en tableau synoptique. ________________________________ [1] Delâge, Denys. Le pays renversé. Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est –1600-1664. Montréal: Boréal, 1991, pp. 55-56. [2] Plourde, Michel (dir.). Le Français au Québec. Québec : Fides, 2003, p. 17; Delâge, Denys. Le pays renversé, p. 248. [3] Cité d’après Plourde, Michel (dir.). Le Français au Québec, p. 17, avec renvoi à Oury, Guy. Marie de l’Incarnation, Correspondances. Solesme : Abbaye de Saint-Pierre, 1971. [4] Plourde, Michel (dir.). Le Français au Québec, p. 12. [5] Relations des Jésuites, tome I. Montréal : Éditions du Jour, 1972, Paul Le Jeune, « Relation de la Nouvelle France, en l’Année 1633 », p. 24. Cf. Valero Peña, Ana Isabel. « Le pouvoir de la parole dans les relations franco-amérindiennes en Nouvelle-France au XVII^e siècle ». Globe 6, 1, 2003, pp. 151-169; Valero Peña, Ana Isabel. « Les langues amérindiennes: un obstacle dans l’évangélisation ». Cahiers francophones d’Europe centre-orientale 12. Pécs, 2002, pp. 75-88. [6] Relations des Jésuites, tome III. Montréal : Éditions du Jour, 1972, Barthélémy Vimont, « Relation de la Nouvelle France, en l’Année 1645 », chap. IX « Traitté de la paix entre les François, Iroquois et autres nations », pp. 23-35. [7] Bernard Andrès. « Jouer le Sauvage: rôle, emploi, représentation et interprétation du „Sauvage“ dans les spectacles dramatiques de Nouvelles-France ». In Bernard Andrès. Écrire le Québec: de la contrainte à la contrariété. Montréal : XYZ, 2001, pp. 59-93. [8] Jean Béraud, 350 ans de théâtre au Canada français, Montréal, Cercle du livre de France 1958, p. 45. [9] Sabourin, Guy. « Le Théâtre », in Culture vivante, n^o 5, 1967, p. 24. [10] Cité par Greffard, Madeleine – Sabourin, Jean-Guy. Le Théâtre québécois. Montréal: Boréal, 1997, p. 42. [11] Cité par Pierre Desrosiers dans Culture vivante, n^o. 5, 1967, p. 76. [12] Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, V, 1970-1975, tome V. Montréal: Fides, 1987, p. XXXIX. [13] Interview de Thérèse Arbic et Robert Chartrand avec Bernard Dort « Sur le travail théâtral », in Chroniques, I, n^o 4, avril 1975, p. 17. [14] Viz www.ondinnok.org. [15] Brossard, Nicole – Girouard, Lisette. Anthologie de la poésie des femmes au Québec des origines à nos jours. Montréal: Les Éditions du remue-ménage, 2003, p. 31.