Louis-Honore Frechette Le retour de lfexile Louis-Honore Frechette LE RETOUR DE L EXILE - Collection Theatre - ŕJw, A*ni v, púrfíMjpr Retrouvez cette oeuvre et beaucoup ďautres sur http://www.atramenta.net Le retour de l'exile TABLE DES MATIERES Le retour de l'exile,.....................................................................................1 DR AMATTS PER SON AK..................................................................2 ACTE T................................................................................................3 PREMTER TABLEAU - L'ETR ANGER............................................4 SCENE I..............................................................................................5 SCENE TT.............................................................................................6 DEUXTEME TABLEAU - AMOTJR D'ENFANCE.........................12 SCENE TTT.........................................................................................13 SCENE TV.........................................................................................17 ACTE TT.............................................................................................18 TROTSTEME TABLEAU - LE TOTT PATERNEL..........................19 SCENE T............................................................................................20 SCENE TT...........................................................................................23 SCENE TTT.........................................................................................25 SCENE TV.........................................................................................29 SCENE V..........................................................................................32 SCENE VT.........................................................................................33 ACTE TTT...........................................................................................34 OUATRTEME TABLEAU - LES BRTGANDS................................35 SCENE T............................................................................................36 SCENE TT...........................................................................................37 SCENE TTT.........................................................................................38 CTNOUTEME TABLEAU - AU MEURTRE...................................40 SCENE TV.........................................................................................41 SCENE V..........................................................................................43 STXTEME TABLEAU - LR PACTE.................................................45 SCENE VT.........................................................................................46 SCENE VTT........................................................................................48 ACTE TV...........................................................................................50 SEPTTEME TABT.RAU - LR MTLT JONNATRR.............................51 SCENE T............................................................................................52 SCENE TT...........................................................................................54 Le retour de l'exile TABLE DES MATIERES Le retour de l'exile SCENE TTT.........................................................................................55 SCENE TV.........................................................................................57 SCENE V..........................................................................................59 SCENE VT.........................................................................................61 SCENE VTT........................................................................................63 SCENE VTTT......................................................................................65 ACTE V.............................................................................................67 HUTTTEME TABLEAU - LA CONTRE-LETTRE..........................68 SCENE T............................................................................................69 SCENE TT...........................................................................................70 SCENE TTT.........................................................................................72 SCENE TV.........................................................................................77 SCENE V..........................................................................................79 Le retour de I'exile Auteur : Louis-Honore Frechette Categorie : Theatre Drame en cinq actes et huit tableaux Licence : Oeuvre du domaine public. DRAMATIS PERSONAE AUGUSTE, 45 ans. ADRIEN, 22 ans. JOLIN, 60 ans. CAYOU. BERTRAND. THIBEAULT. LECOURS. JULES, 9 ans. Mme SAINT-VALLIER. BLANCHE SAINT-VALLIER, sa fille. JOSEPTE, epouse de Cayou. DRAMATIS PERSONAE 2 ACTE I ACTE I 3 PREMIER TABLEAU - L'ETRANGER (Le theatre represente un interieur d'auberge, a Sillery, pres de Quebec. Au lever du rideau, Adrien est assis pres d'une table, ecrivant. Josepte est occupee a rincer des verres.) PREMIER TABLEAU - L'ETRANGER 4 SCÉNE I ADRIEN, JOSEPTE, CAYOU. CAYOU, entrant—Toujours a ecrire, lui ? JOSEPTE—Oui, a sa blonde probablement; ce pauvre M. Launiere ! CAYOU—Foi de gueux ! il fait plus de pattes de mouches en dix minutes, que j'en fais pendant six mois pour tenir les comptes de l'auberge. JOSEPTE—II en perd le boire et le manger... le pauvre jeune homme ! Oublie pas de marquer les plumes et le papier ; il y en a pour douze sous. Ah ! dame, quand on est amoureux... SCENE I 5 SCÉNE II LES PRECEDENTS, AUGUSTE, en habits tres negliges. AUGUSTE—Au diable ce maudit vent de nord-est, qui ne reconnait pas une ancienne connaissance ! Le gueux m'a bourre les yeux et le nez de gravois... Pouah ! j'ai du sable jusque dans l'estomac. Allons, mes bonnes gens, vous tenez auberge a ce qu'il parait, et a la vieille mode canadienne, hein ! je vois 5a. Eh bien, servez-moi quelque chose, et hurry up, if you please ! Le kamsin d'Afrique et le mistral de Marseille m'ont moins maltraite que votre enrage vent de nord-est... Toujours le meme, Quebec, pour le vent de nord-est! JOSEPTE, bas a Cayou—Cayou ! CAYOU—Hein ? JOSEPTE—Es-tu pour donner a boire a ce queteux-la ? CAYOU—Tais-toi done, la vieille ; y a des queteux qu'ont le goussette ben gree, va ! (A Auguste.) Qu'est-ce que vous allez prendre, l'ami ? AUGUSTE—Que boit-on chez vous, mio amigo ? Partout ou j'ai passe, je me suis impose la loi de suivre la mode du pays. J'ai bu du tafia a la Guiane, de la biere en Hollande, du kirsch en Allemagne, du rhum aux Antilles, du madere a Calcutta, et de l'eau saumatre en Afrique... Mais, j'y pense, si vous aviez ce qu'on appelait autrefois de l'absinthe du pays... CAYOU—De la liqueur de Mme Desjardins ? Je penserais, qu'y en a ! AUGUSTE—Eh bien, ma foi, je renouerai volontiers avec elle d'anciens rapports d'amitie. (Cayou sert a boire.) Mettez deux verres ; je n'ai pas l'habitude de boire seul. (S'adressant a Adrien.) Quelqu'un voudra bien me tenir compagnie, j'espere. CAYOU—Comment done, mille carafes ! mais 5a se refuse pas. (II se verse a boire, et Auguste aussi.) Vous etes voyageur, je suppose ; marin, commercant peut-etre ? AUGUSTE—Un peu. Si apres avoir double trois fois le cap Horn et cinq fois le cap de Bonne-Esperance, on peut se dire marin ; si apres avoir fait SCENE II 6 Le retour de l'exile quatre fois sa fortune dans le commerce maritime, on peut se dire commercant, je suis certainement Tun et l'autre. Mais laissons cela, si vous voulez bien, et causons d'autre chose. Y a-t-il longtemps que vous habitez Sillery ? CAYOU—Ah ! ben, Josepte, comment c'qui y a que j'avons ouvert ici ? JOSEPTE—Arrete ! c'est justement queque temps apres les troubles. Doit ben y avoir ä peu pres une vingtaine d'annees. AUGUSTE—Bien. Alors vous connaissez les environs. L'ancienne residence de M. DesRivieres, quelque part en arriere, ici, sur le cap, existe-t-elle encore ? CAYOU—Le Domaine ? Je crois bien qu'il existe encore. A peu pres un quart de lieue d'ici, sur la cöte, un peu au sorrois. M. Jolin, le proprietaire, passe jamais ä ma porte sans me faire un salut. AUGUSTE—Et ce M. Jolin est sans doute un homme riche... considere... JOSEPTE, bas ä Cayou—Prends garde ä toi, mon homme ; tourne ta langue sept fois, tu sais... CAYOU—Ah ! pour etre riche, vous l'avez dit. Y a pas un plus gros bourgeois que lui dans tous les environs. AUGUSTE—Et cependant il y a vingt-deux ans, il n'etait que simple commis de la maison DesRivieres. Ne s'est-on pas etonne que tous les biens de cette famille aient passe ainsi entre les mains de ce Jolin ? JOSEPTE, bas ä Cayou—Cayou, tourne ta langue sept fois, tu sais... CAYOU, bas ä Josepte—Tais-toi done ; songe done qu'il a fait quatre fois sa fortune. (A Auguste.) Ecoutez-la pas, allez ; c'est toujours comme 5a les femmes. Allons, on prend-y encore un coup ? (Iis vident un autre verre.) Je gagerais qu'y a pas longtemps que vous etes arrive par icitte. AUGUSTE—Quelques heures seulement. J'etais ä bord du Volcan, le navire francais arrive de ce matin. II y a vingt-deux ans que j'ai quitte le Canada. CAYOU—J'ai vu 5a tout de suite, que vous etiez canayen. Et vous r'venez vous etablir dans le pays, je suppose. AUGUSTE—Je ne sais pas ; cela dependra des affaires que j'ai ä regier ce soir avec Jolin. SCENE II 7 Le retour de I'exile CAYOU—Vous allez chez Jolin a soir ? AUGUSTE—Oui; qu'y a-t-il la de si extraordinaire ? JOSEPTE—Cayou, tu sais... tourne... AUGUSTE—Voyons, qu'y a-t-il ? CAYOU—Rien. On prend-y encore une larme ? AUGUSTE—Pas d'objection. A la saluta ! (lis trinquent.) Mais corpo di Baccho ! vous ne m'avez pas dit comment ce vieux coquin de Jolin a fait sa fortune. CAYOU—Comment il a fait sa fortune ? C'est pas aise a dire, 5a. Le vieux DesRivieres etait mort; le fils Auguste, un mauvais sujet qui s'etait mele aux troubles de 37, avait ete exile. Jolin montra des actes prouvant qu'il avait achete et paye comptant toutes les proprietes. £a parut drole ; mais les actes etaient en regie ; la signature etait bonne ; on finit par n'y plus penser. Depuis ce temps la, Jolin s'est toujours enrichi; il a amasse piastre sur piastre, et il s'est retire au Domaine ou il vit comme un ours. AUGUSTE—Et ce jeune homme, ce mauvais sujet, I'exile, en a-t-on jamais entendu parler ? Est-il jamais revenu dans le pays ? CAYOU—Non ; quand les autres exiles sont revenus, j'ai entendu dire comme 5a, a travers les branches qu'il avait peri en voulant s'echapper du batiment qui les emmenait dans les pays chauds, aux Barmules qu'ils appellent ces pays-la, je pense. Mais y avait pas de danger qu'il se remontre par icitte. II avait affronte une jeune demoiselle qu'il avait mariee en cachette, dans les Etats ; epi tue son beau-frere en duel, comme y disent, parce qu'il voulait venger ce qu'ils appellent l'honneur de la famille. Apres 5a, y fut s'fourrer parmi les revokes des paroisses d'en-haut. II fut poigne, condamne a etre pendu, un tas d'affaires ; enfin il fut exile avec les autres. Toujours qu'il est mort, et ma foi, y a pas de mal a 5a : y en a toujours assez de ces vauriens-la dans le monde ! AUGUSTE—Amen ! Mais pour en revenir a Jolin, est-ce qu'il passe pour honnete homme ? CAYOU—Hum ! hum ! Jolin est un peu avaricieux : II parait qu'il shave un peu dur. Et pis, y a la bande de voleurs du Carouge qui ont l'air de pas trop l'hair... AUGUSTE—Une bande de voleurs ? SCENE II 8 Le retour de I'exile CAYOU—Oui, des tueurs, des meurtriers, qui volent le monde, les eglises, tout. Tenez, je vous assure que c'est pas trop hardi de s'aventurer sur la route, le soir, de ce temps-citte. Et puis y en a qu'ont vu Jolin—a ce qui parait—roder la nuit avec des gens qu'avaient une petite mine. Enfin, c'est un homme qui fait jaser, quoi. JOSEPTE—C'est honteux de repeter de pareils bavardages. Parce que M. Jolin est un homme qui sort pas beaucoup, parce qu'il vit un peu seul, les gens de Sillery font des tas d'histoires ; c'est honteux ! AUGUSTE—Vous dites que Jolin vit seul au Domaine ? JOSEPTE—Seul... pas tout a fait. Depuis quelque temps y s'est ennuye ; il a fait venir chez lui une veuve avec sa fille... du beau monde, mais qu'avaient pas la tole. C'est une bonne oeuvre qu'il a faite la. CAYOU—Cre tire-bouchon ! il avait ben ses raisons pour etre aussi charitable. JOSEPTE—Tais-toi, Cayou ! c'est encore les mauvaises langues qui disent 5a. £a va faire un mariage, vous verrez. ADRIEN, se levant brusquement—Jamais !... Pierre Jolin n'epousera Blanche Saint-Vallier qu'en me passant sur le corps ! JOSEPTE, plus bas—Ah ! tiens, je l'avais oublie lui. Le pauvre jeune homme est emmourache de la demoiselle, vous savez ; mais la mere veut pas en entendre parler. C'est pourtant un jeune homme comme il faut, allez, je vous assure. C'est un clerc avocat, de Montreal, a ce qui parait... Y passe presque tout son temps a ecrire des lettres. AUGUSTE—Oui ?... Pauvre garcon, chacun son tour (Se levant.) Allons, bonnes gens, merci de vos renseignements sur maitre Jolin. Decidement 5a ne me parait pas du bois de calvaire. Mais je saurai bientot a quoi m'en tenir, car je mets le cap de ce cote ; et cette nuit meme, Jolin et moi, nous nous reverrons. CAYOU—Vous allez si tard au Domaine ? AUGUSTE—Pourquoi pas ? y aurait-il quelque danger ? JOSEPTE—Y a les brigands, vous savez. AUGUSTE—Ah ! quant a cela... JOSEPTE—Et puis vous pourriez vous ecarter ; il fait si noir ! AUGUSTE—Oh ! je connais le chemin. SCENE II 9 Le retour de 1'exilé CAYOU—Et puis vous entrerez certainement pas chez M. Jolin á cette heure-citte. La porte se ferme au soleil couché, et le diable la ferait pas rouvrir. AUGUSTE—Eh bien, je serai plus fort que le diable, voilá tout. Allons, salám alicum ! c'est-á-dire god nicht! (II va pour sortir.) CAYOU—Eh ben, et voť dépense ? AUGUSTE—Ah ! ah ! c'est juste. J'ai vu des pays barbares oú le voyageur entre dans la premiere case venue, se fait servir ce qu'il y a de meilleur, et s'en va sans autres formalités. Dans nos pays civilises, ce n'est pas la méme chose. (II jette un trente-sous sur la table.) Tenez, voilá tout ce qui me reste. CAYOU, furieux—Tout ce qui vous reste ! mais c'est á peine la moitié. AUGUSTE—Vous avez bu 1'autre moitié : nous sommes quittes. CAYOU—Mais vous m'avez invité, million de carafes ! Comment ? un homme qui a fait sa fortune quatre fois... AUGUSTE—Allons done, my dear, quand je vous disais que j'avais fait quatre fois ma fortune, il vous était facile de comprendre que je l'avais perdue au moins trois fois. A mon equipage, la quatriéme était presumable. JOSEPTE—Je m'en doutais, moi ; c'avait l'air de rien. £a vient boire le butin des pauvres gens, et puis, bonsoir la compagnie ! CAYOU—Allons, c'est pas tout ci tout 5a. Vous avez bu mon absinthe ; il faut qu'a s'paie ! Si y avait de la police au moins pour les vagabonds comme 5a ! Allons, vite, vite ! payez-moi, guerdin, ou je vous fais dévorer par mon chien. Pautaud ! Ici, Pataud !... ADRIEN, s'avancant—Monsieur, me permettrez-vous de vous rendre sans vous connaitre un léger service ? Si vous le voulez bien, l'aubergiste portera le surplus de votre dépense á mon compte personnel. AUGUSTE—Jeune homme... ADRIEN—On concoit qu'un voyageur, en debarquant trop precipitamment peut-etre, ait oublie sa bourse dans ses bagages. AUGUSTE—Je n'ai ni bourse ni bagages, ni feu ni lieu. Je jette l'or par les fenetres quand j'en ai, et j'oublie souvent que je n'en ai pas, comme ce soir, SCENE II 10 Le retour de 1'exilé par exemple. Néanmoins j'accepte votre proposition, jeune homme. Votre figure m'a frappé tout ďabord. Vous avez une étrange ressemblance avec... quelqu'un que j'ai connu... Enfin, j'accepte. Peut-étre cette piece ďargent que vous donnez á un inconnu sera-t-elle á jamais perdue pour vous ; peut-étre aussi... Merci done, et felice notte ! Dieu est grand ! (II sort.) JOSEPTE—Oui, fiche-moi le camp ! Que Dieu nous preserve de pareilles visites ! On serait beutot mort de faim ! SCENE II 11 DEUXIĚME TABLEAU - AMOUR D'ENFANCE (Le theatre représente une route solitaire dans les bois. II fait nuit. Au lever du rideau, Auguste traverse la scene, et Adrien apparait par le fond.) DEUXIĚME TABLEAU - AMOUR D'ENFANCE 12 SCENE III AUGUSTE, ADRIEN. ADRIEN—Monsieur, pardonnez-moi ; je suis monté ici par un raccourci, j'avais besoin de vous parler. AUGUSTE—Tiens, c'est vous, jeune homme ? Tron de Diou, je rťespérais pas vous revoir si tot. ADRIEN—Monsieur, j'ai de vine sous votre modeste costume un homme bien né qui a connu de meilleurs jours, et cela m'a décidé á réclamer de vous un service ďun prix inestimable pour moi. AUGUSTE—Un service ? Vous m'en avez rendu un bien mince pour demander si vite du retour. Ecoutez, mon camarade, dans le cours de ma vie, j'ai donné des milliers de louis, á des hommes que je connaissais moins encore que vous ne me connaissez, sans exiger ďeux méme un remerciement. ADRIEN—Monsieur, je ne mérite pas ces duretés. AUGUSTE—Enfin, que me voulez-vous ? ADRIEN—N'avez-vous pas dit, á l'auberge, que vous alliez chez M. Jolin ? AUGUSTE—Je 1'ai dit. ADRIEN—Vous avez fait entendre, šije ne me trompe, que vous pouviez exercer sur lui quelque influence. AUGUSTE—Aprěs ? ADRIEN—Cest qu'alors, monsieur, j'implorerais votre protection pour une personne bien digne de votre intérét, pour une jeune fille dont la position devient intolerable. AUGUSTE—Eh ! eh !... je commence á voir d'ou vient le vent, mon jeune homme. Vous voulez parler de cette demoiselle que Jolin a recueillie... En effet, on a fait allusion á une petite amourette, je crois... ADRIEN—Une amourette, monsieur ? Dites un amour qui ne finira qu'avec ma vie... AUGUSTE—Eh ! oui, sans doute ! Oh ! j'ai passé par la, moi aussi... SCENE III 13 Le retour de l'exile Mais, mon camarade, il y a done bien longtemps que cet amour-lä dure, pour etre aussi enracine ? ADRIEN—Oh ! il date de l'enfance, monsieur. J'aimais Blanche Saint-Vallier longtemps avant de le savoir moi-meme. J'etais malheureux chez mes parents ; mon pere me detestait, et ma mere... me repoussait souvent en pleurant. Et c'est aupres de Blanche que j'allais me consoler. Je fis presque seul mon education. Ma mere mourut, et cet evenement rompit le dernier lien qui m'attachait ä mon pere. Je restai seul au monde. Une maison m'etait ouverte, cependant; e'etait celle de Blanche. L'enfant etait devenue jeune fille, et je l'aimais ä l'adoration ä la folie. Ah ! monsieur, vous la verrez... et... Mais je vous ennuie, avec ces details puerils... AUGUSTE—Non, non, continuez, continuez ! En vous ecoutant, je me sens rajeunir ; mon coeur bat comme l'aile d'une mouette. Continuez, cospetto ! ADRIEN—M. Saint-Vallier mourut sans laisser de fortune. C'est alors que Jolin vint ä Montreal. II avait connu le defunt; il devait tout naturellement une visite ä sa veuve. La beaute de Blanche le frappa ; le sort de ces dames parut le toucher. Je ne sais pas comment il s'y prit, mais il finit par leur faire accepter un asile dans sa maison. Jolin est riche ; Mme Saint-Vallier ambitieuse ; cela explique tout. Je fis l'impossible pour ouvrir les yeux ä cette mere imprudente ; inutile ! Quant ä Blanche, eile pleura, mais il lui fallait obeir. Trois mois se sont ecoules depuis cette epoque. Or, il y a huit jours, je recus une lettre de Blanche m'annoncant qu'elle etait en proie ä des persecutions odieuses. Sa mere veut lui faire epouser son soi-disant protecteur, et sa resistance l'expose ä d'indignes traitements. Elle n'est ni plus ni moins que prisonniere. Je suis accouru immediatement; mais depuis huit jours que je suis ici, je n'ai pu reussir ä me mettre en communication avec eile... AUGUSTE—Vous me contez-la une jolie histoire ! Allah kerim ! voyons, mon garcon, on m'a dit que vous etiez homme de loi, vous devez savoir par consequent qu'il y a dans les Statuts anglais quelque chose qui s'appelle writ d'habeas corpus ; et veramente ! si, comme vous le dites, cette demoiselle est retenue contre sa volonte... ADRIEN—Vous ne m'avez pas compris, monsieur ; la contrainte ou vit SCENE III 14 Le retour de l'exile Blanche est surtout une contrainte morale. Elle m'aime, je le sais ; mais s'il lui fallait quitter sa mere... AUGUSTE—Alors pourquoi vous a-t-elle appele ? Par il diavolo ! les amoureux ont d'etranges idees ! A votre place, savez-vous ce que je ferais ? J'irais trouver Jolin, et je lui demanderais une explication franche et precise en presence de ces dames. ADRIEN—Je ne l'obtiendrais pas ; et Jolin, prenant l'alarme ä ma vue, redoublerait de rigueur envers cette malheureuse enfant. Et, monsieur, s'il faut vous avouer la verite, quelques mots de la lettre de Blanche me font craindre que Ton n'ait l'intention d'exercer sur eile d'indignes violences... AUGUSTE—Allons done, sa mere n'est-elle pas la ? ADRIEN—Mme Saint-Vallier a un esprit borne et opiniätre... monsieur. Et ce Jolin est si profondement corrompu ! AUGUSTE—Vous semblez ne pas avoir une tres bonne opinion de ce pauvre Jolin. ADRIEN, baissant la voix—Ah ! lä bas, ä l'auberge, on n'a pas ose vous dire la verite, tant il inspire de terreur. Ici tout le monde tremble au nom de Jolin ! AUGUSTE—Diable ! Et sur quoi se base cette belle reputation ? ADRIEN—Sur des bruits vagues, je l'avoue, mais qui ont certainement leur origine dans la realite. D'abord on n'a jamais su d'oü lui venait sa fortune ; et puis ont dit (Baissant la voix.) qu'il est associe avec la bände de malfaiteurs qui desole les environs. Enfin, malgre son age, Jolin passe pour un homme profondement immoral, qui a dü, ä force d'argent, etouffer certaines affaires scandaleuses de la nature la plus grave. Jugez de mon desespoir en sachant la femme que j'aime au pouvoir d'un pareil homme. AUGUSTE, apres avoir fait quelques pas—La lutte sera rude ; n'importe, nous lutterons... Enfin, jeune homme, en deux mots, qu'attendez-vous de moi ? ADRIEN—Oh ! bien peu de chose, monsieur ; consentez seulement ä remettre cette lettre ä Mile Saint-Vallier. AUGUSTE—Mais ä quoi cela vous servira-t-il ? ADRIEN—A l'instruire de mon arrivee d'abord... AUGUSTE—Et en definitive ä tenter quelque demarche imprudente qui SCENE III 15 Le retour de l'exile gäterait encore vos affaires. Cette lettre est inutile, jeune homme. Ecoutez ; mon arrivee va singulierement occuper Jolin, et il ne songera pas de sitöt aux amourettes. Fiez-vous ä moi pour le reste. Vous m'avez raconte vos chagrins ; laissez-moi maintenant vous servir ä ma maniere. Je ne vous le cache pas ; Je suis dans un moment de crise. Demain je puis etre au sommet de la roue de fortune ; peut-etre serai-je aussi miserable qu'aujourd'hui... moins l'esperance. Vous courrez ma chance. En attendant, ne me demandez aucun engagement que je serais peut-etre embarrasse de tenir. J'ai besoin de ma liberte d'action. Bona sera !... ADRIEN—Au moins, permettez-moi... AUGUSTE—Au diable ! (II sort.) SCENE III 16 SCENE IV ADRIEN, seul. ADRIEN—Allons, je l'ai mecontente. Quel homme etrange ! Malgre ses manieres brusques, il y a en lui quelque chose qui m'inspire je ne sais quelle confiance. Mais n'ai-je pas eu tort de lui ouvrir mon coeur ? S'il allait me trahir !... mais non, c'est impossible ; l'interet qu'il m'a temoigne etait sincere. Cependant je m'applaudis de ne pas lui avoir revele mon projet, comme j'en ai eu un moment la pensee. Et ce projet, pourquoi ne l'accomplirais-je pas cette nuit meme ? L'arrivee de ce voyageur va occuper Jolin et ces gens... Allons, oui; prenons ce chemin detourne. Je ne trouverai peut-etre jamais une occasion aussi favorable ! (II sort.) (La toile tombe.) SCENE IV 17 ACTE II ACTE II 18 TROISIEME TABLEAU - LE TOIT PATERNEL (Le theatre represente une piece elegamment meublee. Au lever du rideau, Jolin est assis pres d'une table, occupe ä feuilleter des livres de comptes. Mme Saint-Vallier est assise en face et fait quelque travail de broderie. Blanche est au piano, fredonnant negligemment quelques lambeaux de romance ; et, meme apres que la conversation est commencee, eile continue ä plaquer des accords par-ci par-lä. Une lampe eclaire la piece.) TROISIEME TABLEAU - LE TOIT PATERNEL 19 SCÉNE I JOLIN, Mme SAINT-VALUER, BLANCHE. JOLIN—Quelle jolie voix eile a, cette aimable Blanche ! Vous avez admirablement cultive votre fille, madame Saint-Vallier. Mme SAINT-VALLIER—Elle ne manque pas de talent en effet, eher monsieur Jolin. Mais, vous savez, la jeunesse, 5a n'a pas toujours la tete solide. Blanche, chante done ä M. Jolin la romance qu'il aime, tant Les quatre äges du coeur, tu sais... BLANCHE—Je ne suis pas en voix, maman. JOLIN—J'espere que Blanche sera toujours reconnaissante, raisonnable, et docile ä vos instructions.. Mme SAINT-VALLIER—Certainement eher monsieur ; Blanche ne sera pas une ingrate. Elle a maintenant dix-neuf ans ; e'est l'age ou jamais de prendre la vie au serieux, d'apprecier les positions, les caracteres, de reconnaitre les bienfaits et les affection veritables. JOLIN—Sans doute, sans doute. (A Blanche.) N'est-ce pas, Blanche, que vous vous montrerez toujours digne des soins que Ton a pour vous ? BLANCHE—Je l'espere, monsieur. JOLIN—Charmante enfant !... Mais pourquoi ne pas m'appeler votre ami, ma fille ?... Pourquoi ce titre de monsieur si banal et si froid ? Allons, venez m'embrasser, petite mauvaise. Mme SAINT-VALLIER—Allons, Blanche, n'as-tu pas entendu ? Va dire bonsoir ä notre eher protecteur. JOLIN, apres l'avoir embrassee au front, et la retenant par la main—Adorable enfant! que ne ferait-on pas pour etre aime d'elle ! BLANCHE, faisant des efforts pour s'echapper—Laissez-moi, monsieur !... O mon Dieu ! (Elle detourne la tete et se met ä pleurer.) JOLIN—Encore des larmes ! (La retenant par les deux mains.) Voyons, mon enfant, seriez-vous vraiment malheureuse dans cette maison ? Que vous manque-t-il ? Etes-vous lasse de la solitude ? Voulez-vous voir le SCENE I 20 Le retour de l'exile monde ? J'appellerai ici toute la societe de Quebec. Voulez-vous de belles toilettes, des bijoux ? Parlez ! Dites ! Que desirez-vous ? BLANCHE, sanglotant—Rien, monsieur. (Elle s'echappe des mains de Jolin.) Mme SAINT-VALLIER—Peut-on repondre ainsi ä des procedes si genereux ! Se montrer ingrate ä ce point en vers un bienfaiteur, un ange... JOLIN—Non, non, ma bonne amie, ne parlons point de cela ; ni eile ni vous ne me devez rien. La satisfaction de ma conscience est la seule recompense que je cherche en faisant le bien. BLANCHE—Monsieur Jolin, et vous ma mere, ne m'accusez pas d'ingratitude ; je serai pleine de reconnaissance pour un bienfaiteur, pour un ami, mais je ne puis, je ne dois rien accepter ä un autre titre. JOLIN—Et pourquoi pas, mon enfant ? Dieu m'est temoin de la purete de mes intentions. Je n'ai que votre bonheur en vue. Je suis vieux ; je voudrais avant de mourir vous assurer, ainsi qu'ä votre mere, une fortune acquise au prix de bien des sueurs. Ce projet eüt coupe court ä toute malveillante interpretation ; et j'aurais eu, en mourant, la consolation de vous avoir assure un sort heureux et enviable... Mme SAINT-VALLIER—Y a-t-il un pareil ange de bonte ? Monsieur Jolin, quand vous mourrez, votre place est au ciel. Vous etes un saint ! Et toi, petite sötte, qui restes insensible ä tant de vertus, tu n'as pas de coeur. BLANCHE—Ma mere, je voudrais vous obeir, mais vous le savez, des engagements sacres... Mme SAINT-VALLIER—Oui, un mechant barbouilleur de papier qui n'a pas le sou. BLANCHE—Maman, vous savez que je l'aime ! Mme SAINT-VALLIER—Elle l'aime, eile l'aime ! Tiens, Blanche, ne me parle plus de lui. Ce mariage ne se fera jamais tant que j'existerai !... JOLIN—Allons, calmez-vous, ma chere amie. La jolie Blanche n'est pas encore majeure ; eile ne peut se soustraire ä votre autorite. Je sais bien qu'elle a fait mettre ä la poste une lettre adressee ä un certain M. Adrien Launiere, ä Montreal, et que ce M. Adrien Launiere est venu s'etablir en bas, chez Cayou, et qu'il vient roder souvent dans les environs du Domaine... mais... SCENE I 21 Le retour de l'exile BLANCHE—II est ici ! 6 mon Dieu, merci ! il m'aime toujours ! JOLIN—Oh ! ne remerciez pas Dieu pour si peu. On attrape des coups de fusil au jeu qu'il joue-lä. Mme Saint-Vallier ne se laissera pas prendre aux ruses d'une petite fille, j'espere. Mme SAINT-VALLIER—Moi ! J'aimerais mieux la faire murer dans un cachot, que de la voir echanger une seule parole avec ce freluquet. JOLIN—Et moi, je veillerai de mon cote, et Thibeault avec son fusil veillera de l'autre. Puisque tous les moyens de douceur echouent, nous en essaierons d'autres. Mme SAINT-VALLIER—Je vous aiderai, je vous aiderai, mon ami. BLANCHE—Malheureuse que je suis, je n'aurai done personne pour me proteger. (On sonne.) JOLIN, tressaillant, ä part—Qui peut venir ä pareille heure ? Tout le monde connait les habitudes de la maison... On sait que je ne recois personne le soir... Qui diable ce peut-il etre ?... A moins que ce ne soit... Enfer ! je suis un imbecile, la moindre chose m'epouvante (On sonne de nouveau.) Diable, diable !... On y met de l'impatience ; e'est serieux alors ; prenons garde, prenons garde !... (A Mme Saint-Vallier, avec beaucoup d'agitation.) Ma chere amie, retenez-les un moment, pendant que je vais mettre mes livres en sürete. Dites que je reviens ä l'instant. (II empile ses livres sous un bras pour sortir ; Thibeault entre.) SCENE I 22 SCENE II LES PRECEDENTS, THIBEAULT. JOLIN—Thibeault ! THIBEAULT—De quoi ? JOLIN—Qui est la ? THIBEAULT—Un homme. JOLIN—Rien qu'un ? THIBEAULT—Oui. JOLIN—Tu ne le connais pas ? THIBEAULT—Non. JOLIN—De quoi a-t-il l'air ? THIBEAULT—II a l'air de rien. JOLIN—A-t-il l'air d'un... (Pantomime) THIBEAULT—Je vous dis qu'il a l'air de rien. JOLIN—Qu'est-ce qu'il veut ? THIBEAULT—II veut rentrer. JOLIN—A-t-il dit son nom ? THIBEAULT—Oui, mais j'cre ben qu'il a voulu s'moquer de moue. JOLIN—Comment s'appelle-t-il ? THIBEAULT—Ben, y m'a dit d'vous dire qu'y s'appelait la tempete... non... la bourrasque. JOLIN—Hein !... (il laisse tomber ses registres.) Qu'est-ce que tu dis-la, brute ? (On sonne de nouveau.) THIBEAULT—Le v'la qui s'impatiente... epi il a pas l'air endurant. J'vas-t-y ouvrir ? JOLIN—Attends, attends ! Mon Dieu, que faire ?... (A part.) Si c'etait lui !... Cette nouvelle de sa mort n'a jamais ete certaine... Si c'est lui je suis perdu. THIBEAULT—Eh ben, faut-il y ouvrir a votre tourbillon ? JOLIN—Oui, oui, ouvre-lui... SCENE II 23 Le retour de l'exile Tout retard ne pourrait que l'irriter... Sainte Vierge ! comment parer le coup ? (Thibeault sort.) BLANCHE, ä part—Mon Dieu, qu'est-ce que cela veut dire ? Mme SAINT-VALLIER, ä part—Serait-ce quelque malheur inattendu ? JOLIN, ä part—Allons, il ne faut pas perdre la tete... Du courage ! Du sang froid. Si c'est lui, il va falloir jouer gros jeu. Prends garde ä toi, Jolin ; il y va de ta fortune. SCENE II 24 SCÉNE III AUGUSTE, LES PRECEDENTS, THIBEAULT. AUGUSTE, en dehors—Laisse, laisse, va ! j'ai habite la maison avant toi. Une vieille hirondelle reconnait toujours son nid. JOLIN, a part—Plus de doute... c'est lui ! AUGUSTE, entrant—Comme tout est change ici !... Comme tout est vieux, noir et triste !... L'ancien salon d'apparat, la piece qu'on n'ouvrait qu'aux grands jours ! JOLIN—Je ne vous connais pas, monsieur... et... AUGUSTE, apres avoir regarde Jolin un instant, et eclate de rire—Ah ! ah ! Par la Caabah ! si je juge de moi d'apres toi, mon pauvre Jolin, il n'est pas etonnant que tu ne me reconnaisses pas. Tu parais aussi vieux que le brahmine Abdallah que je rencontrai sur les bords du Gange, pechant des crocodiles a la ligne, et Abdallah avait cent deux ans. JOLIN—Monsieur... AUGUSTE, saisissant le bras de Jolin d'une main, et de l'autre elevant la lampe au niveau de son visage—Tu ne me reconnais pas, et cependant tu trembles. Regarde-moi bien, Antoine-Pierre Jolin, ancien commis de la maison DesRivieres et compagnie, a Quebec ; regarde-moi d'aussi pres que tu voudras ; j'ai ete rudement secoue par la destinee, sur terre et sur mer, mais je suis toujours... JOLIN—Oseriez-vous encore porter votre nom dans ce pays ou il est deshonore, fletri ?... AUGUSTE—Pourquoi pas ? Le temps efface bien des choses. Une seule personne aurait eu le droit de me maudire, mais j'ai appris a mon arrivee que cette personne avait disparu depuis longtemps. Mais laissons cela ; tu me connais, Jolin, et tu sais ce qui m'amene ici. Fais-moi done servir a souper, car je suis las, et l'absinthe que j'ai bue a l'auberge la-bas m'a mis en appetit. (II se jette sur un siege et allonge ses jambes a la facon americaine.) SCENE III 25 Le retour de l'exile JOLIN, apercevant les dames, qu'il avait oubliees—Comment ! mais vous etes encore lä, vous autres ! Pourquoi cela ? Mme SAINT-VALLIER—Mon eher monsieur Jolin, ni ma fille ni moi n'avons eu l'intention... JOLIN—Laissez-nous ! AUGUSTE—Comment cela, vieil egoi'ste ? me prends-tu pour un sauvage ? Tu apprendras que j'ai vu des dames jaunes en Chine, des dames vertes ä Java, des noires en Afrique, des rouges dans les plaines de l'Ouest, des blanches partout, et Ton ne m'a jamais reproche d'avoir manque d'egards envers le sexe, quelle ne füt sa couleur. Permets done ä ces dames de m'honorer de leur compagnie... JOLIN, ä part—Pour parier avec cette assurance, il faut qu'il soit bien sür de ses droits. Allons, je ne puis tarder d'avantage ä le reconnaitre. Resignons-nous. (S'adressant aux dames.) Mes cheres amies, ce qui se passe doit vous paraitre extraordinaire ; mais vous vous expliquerez mon trouble et ma brusquerie involontaire lorsque vous saurez que la personne qui nous arrive n'est autre que M. Auguste DesRivieres, mon ancien maitre, qui a quitte le Canada, il y a vingt-deux ans. Mme SAINT-VALLIER—M. DesRivieres ! Oh ! mais e'est une histoire dont j'ai beaucoup entendu parier ; eile fit grand bruit ä l'epoque de mon mariage. M. DesRivieres eut, je crois, le malheur de tuer... AUGUSTE—Le frere de celle qu'il aimait ; oui, madame ; regret et malheur de toute ma vie. Mme SAINT-VALLIER—La pauvre jeune femme n'y a pas survecu, parait-il. ___ V AUGUSTE—Helas !... (A Jolin.) Mais je t'avais demande ä souper ce me semble, Jolin ! JOLIN, ä Thibeault—Eh bien, grand imbecile, qu'est-ce que tu fais-lä ? N'as-tu pas entendu que M. DesRivieres voulait souper ? Va chercher ce qu'il y a de meilleur ä la cuisine. Mme Saint-Vallier voudra bien t'aider un peu dans cette besogne, n'est-ce pas, chere amie ? Mme SAINT-VALLIER—Sans doute, monsieur Jolin, je ne suis pas rancuniere ; et du reste je connais la cause premiere de votre mauvaise SCENE III 26 Le retour de 1'exilé humeur. (Elle jette un regard de colěre ä sa fille.) (Jolin va donner quelques ordres ä voix basse ä Thibeault qui sort ; Auguste s'est approché de Blanche.) AUGUSTE, bas ä Blanche—Mademoiselle, ayez bon courage ; je suis l'ami ďAdrien... nous veillerons sur vous. BLANCHE—Ah ! merci ! merci, monsieur !... Vous l'avez vu ? Vous lui avez parle ? AUGUSTE—Chut ! (Revenant s'asseoir.) Eh bien, oui, ma foi ! Voilä comme va le monde !... Etrange chose que la destinée. Cest aujourďhui le 25 juin. II y a un an, jour pour jour, j'engloutissais dans un naufrage une fortune colossale, et j'etais jeté, seul, mine, presque nu, tout sanglant et ä demi-mort sur l'une des iles de la Sonde, dans la mer australe. J'etais loin de m'attendre ä célébrer cet anniversaire en ta compagnie, mon vieux Jolin. (Thibeault entre avec un plateau sur lequel il y a quelques mets que Mme Saint-Vallier s'empresse de disposer sur la table, pendant qu'Auguste s'approche, et se met ä manger.) Mme SAINT-VALLIER—Vous avez eu bien des aventures, M. DesRiviěres ? AUGUSTE—Ah ! madame, on ne passe pas vingt-deux ans de sa vie ä parcourir les mers les plus inconnues, les pays les plus inexplorés, sans amasser un certain recueil de ce que vous appelez des aventures. Mme SAINT-VALLIER—Vous avez méme couru de grands dangers, probablement ? AUGUSTE—La mort est une coquette, madame ; eile ne veut pas de ceux qui la cherchent. Et aprěs tout ce qui m'est arrive sur terre et sur mer, quand je me retrouve aujourďhui soupant tranquillement sous le toit de mes ancétres, je me demande si je n'ai pas été l'objet d'une protection toute particuliěre de la part de la providence. BLANCHE, ä part—II a dit qu'il l'avait vu, qu'il était son ami... Cest sans doute un protecteur que le ciel m'envoie... O Adrien !... AUGUSTE—Du reste, si la chose vous amuse, vous ne me trouverez pas chiche de mes histoires, Madame ; soyez tranquille. Mme SAINT-VALLIER—Vous étes bien aimable il me tarde de vous entendre nous raconter tout cela. Mais il commence ä se faire tard, et pour SCENE III 27 Le retour de l'exile ne pas vous gener plus longtemps, vous me permettrez de me retirer avec ma fille... n'est-ce pas ? AUGUSTE—Je suis votre serviteur, madame. (II reconduit les dames, jusqu'ä la porte, et revient se mettre ä table.) SCENE III 28 SCENE IV AUGUSTE, JOLIN. JOLIN, a part—Tenons-nous bien. AUGUSTE—Eh bien, mon vieux Jolin, a nous deux maintenant ! Veux-tu ? JOLIN—D'apres ce que je vois, vous revenez vous etablir dans le pays ? AUGUSTE—Oui ! JOLIN—Le retour de l'enfant prodigue. AUGUSTE—L'enfant prodigue ? Mais tu sais bien, vieux Jolin, que je n'ai pu comme lui dissiper mon heritage. JOLIN—Sans doute, car vous n'aviez pu l'emporter. AUGUSTE—Tu feins de ne pas me comprendre... Tu dois bien penser cependant que mon intention, en remettant les pieds ici, est de revendiquer le depot que je t'ai confie en partant. C'est l'heritage de mon pere, et apres tant de revers, je ne serai pas fache d'en jouir en paix. JOLIN—Mais, au moment de votre depart, vous m'avez cede vos biens, par actes reguliers. AUGUSTE—Ah ! tres bien ; mais tu oublies que cette vente etait purement fictive, maitre Jolin ; car tu m'avais signe toi-meme a l'avance une declaration qui l'annulait. Cette declaration, cette contre-lettre, comme on appelle les actes de ce genre, te constituait seulement depositaire de ma fortune ; tu etais oblige de tout me restituer a ma premiere demande. JOLIN—Mais... cette... contre-lettre... n'existe plus... sans doute... AUGUSTE—Eh bien, quand cela serait, la perte de cet acte serait-elle une raison pour un ancien serviteur de ma famille de retenir ce qui m'appartient legitimement ? JOLIN, se levant brusquement—La contre-lettre est perdue ! Ah ! je le savais bien, moi; il ne faut jamais s'abandonner au desespoir ! AUGUSTE, se levant de table—Jolin, je ne veux pas croire encore aux soupcons que tes paroles tendraient a m'inspirer. II m'en couterait trop de te SCENE IV 29 Le retour de l'exile regarder comme un fripon. JOLIN—Ah ! ah ! ah !... La bonne histoire, ce pauvre garcon revient tel qu'il est parti... ah ! ah ah ! C'est toujours le meme ecervele que son pere lui-meme avait surnomme La Bourrasque. Ah ! oui, La Bourrasque ; pas de tete ! pas de tete ! II vient reclamer cette fortune sans laquelle je ne pourrais plus vivre, et il n'a pas le precieux papier pour m'obliger ä cette restitution. II l'a perdu, le pauvre enfant... le pauvre niais... le pauvre fou !... II l'a perdu... ah ! ah ! ah ! il l'a perdu ! AUGUSTE—Comme tu vas vite en besogne, vieux Jolin ! Tai-je dit que cet acte etait perdu ? Est-il si difficile de conserver une feuille de papier ? JOLIN—Hein ! c'etait done une epreuve ? AUGUSTE—Peut-etre. Dans tous les cas, cette epreuve ne t'a pas ete favorable ; aussi je me montrerai severe envers un deloyal fonde de pouvoir ; tu peux t'y attendre. JOLIN—Non, non, c'est impossible, ce papier n'a pu echapper ä la destruction, ä tous les naufrages dont vous parliez tout ä l'heure. Vous avez imagine quelque ruse pour me tromper. Mais j'ai l'oeil ouvert... AUGUSTE—Jolin ! Tu sens que l'äge a modifie mon temperament; car tu sais bien qu'autrefois, vieux coquin, je n'aurais pas souffert ces insolences sans te rompre les os... Mais causons tranquillement. Me croyais-tu assez imprudent, malgre ma legerete, pour ne pas laisser cette contre-lettre au Canada ? JOLIN—Ce n'est pas probable, car j'ai pris les informations les plus minutieuses... AUGUSTE—Dans mon interet, sans doute, vertueux Jolin. Eh bien, tiens, ecoute ; je vais te reveler certaines circonstances que tu me parais ignorer. En quittant Quebec, apres la mort de mon beau-frere, pour aller prendre part aux malheureuses echauffourees de 1838, je devais assurer le sort de celle qui m'avait tout sacrifie. Le jour done oü je conclus avec toi cette vente simulee de mes proprietes, je signai secretement chez un autre notaire, un nouvel acte par lequel j'abandonnais ä Berthe de Blaviere, le revenu de tous les biens dont tu etais le depositaire. A cette piece je joignis la contre-lettre avec un testament. Je mis le tout sous cachet, et je le remis au notaire Dumont, en le chargeant de les faire SCENE IV 30 Le retour de l'exile parvenir ä Berthe. JOLIN—Iis ne lui sont pas parvenus, car personne n'a jamais rien reclame de moi en vertu de ces papiers. AUGUSTE—Je le sais, et c'est ce qui me fait croire, comme on me l'a assure, que la malheureuse enfant, ne pouvant survivre ä son chagrin, est allee mourir obscurement quelque part aux Etats-Unis. JOLIN—Ainsi done ces papiers sont restes entre les mains de Dumont ? II n'a pourtant jamais voulu convenir qu'il eüt un depot venant de vous. AUGUSTE—C'etait son devoir de notaire. JOLIN—Mais Dumont est mort, et son successeur... AUGUSTE—A quoi bon ces explications ? Les papiers existent, cela doit te suffire. lis te seront montres quand il sera temps. JOLIN—Mais... mais... on vous les a done rendus ? AUGUSTE—Pouvait-on refuser de me les restituer ? JOLIN—Mais alors, vous les avez sur vous, vous pouvez... AUGUSTE—Curieux ! mais en voilä assez pour ce soir. J'eprouve le besoin de prendre un peu de repos... Fais tes reflexions, Jolin ; on dit que la nuit porte conseil. Emploie-la bien, caro mio ; agis loyalement avec moi, et je ne te chicanerai pas trop sur tes comptes. A tort ou ä raison, tu es riche, tres riche, je le sais ; meme en me restituant ce qui m'est dü, tu pourrais vivre dans l'opulence... Crois-moi done ; la loyaute et la bonne foi te serviront mieux que la ruse ou la violence. JOLIN—Certainement, mon eher monsieur Auguste, nous nous entendrons aisement... Seulement si vous pouviez me laisser voir cette contre-lettre. AUGUSTE—Tu la verras, mais pas ce soir ; le sommeil me gagne ; dans quelle chambre as-tu fait preparer mon lit ? JOLIN—Dans la chambre jaune ; Thibeault va vous y conduire. (II sonne et Thibeault entre avec un bougeoir qu'il remet ä Auguste.) AUGUSTE—La chambre jaune ! eile est bien triste et bien solitaire. C'est lä que mourut ma vieille gouvernante, il y a pres de quarante ans... Enfin, soit, je ne crains rien ni des vivants ni des morts... Bonsoir, Jolin ; Dieu te donne des idees de paix ! (Tout en parlant il s'empare furtivement d'un couteau de table, dont il examine la pointe, et sort.) SCENE IV 31 SCENE V JOLIN, THIBEAULT. JOLIN, seul—Allons, je ľaurai échappé belle ! Heureusement que La Bourrasque est toujours La Bourrasque... II a la contre-lettre dans sa poche, je ľai devine. Avant deux heures je me moquerai de ses menaces. Thibeault, oü est Bertrand ? THIBEAULT—Y a un bout de temps qu'il doit étre dans le pare, comme tous, les soirs, ä attendre vos ordres. JOLIN—Dis-lui que j'ai affaire ä lui. (Pantomime.) Tu comprends ? THIBEAULT—Cest pas difficile. JOLIN—Dépéche-toi. THIBEAULT—ga y est. (II sort.) SCENE V 32 SCENE VI JOLIN, seul. JOLIN—Jolin, voici le moment de mettre la derniere main a ta fortune... ou de perdre tout ce que tu possedes. Question de vie ou de mort, Jolin ! Oui, il faut lui enlever ce maudit papier, il le faut... a tout prix !... Ah ! ma fortune ! II veut m'arracher ma fortune... mon bien, mon argent, ma vie !... Tout ce que j'ai passe la premiere partie de mon existence a desirer, et dont je n'ai pu prof iter encore dans la seconde ! Cette fortune pour laquelle je risque tous les jours la prison et l'echafaud... Ah ! nous allons voir !... Non, monsieur Auguste DesRivieres, vous ne m'arracherez pas ainsi le coeur. Auriez-vous tous les demons de l'enfer a votre service, vous ne reussirez pas. Plutot vous etrangler de mes propres mains... Oui, oui, un meurtre, s'il le faut... la potence plutot que la mine... Oh ! que je sois damne, mais que je sois riche !... riche !... riche !... (La toile tombe.) SCENE VI 33 ACTE III ACTE III 34 QUATRIĚME TABLEAU - LES BRIGANDS (Le theatre représente 1'intérieur ďun pare. Au fond, un mur qu'au lever rideau, Adrien est en train ďescalader. II fait nuit.) QUATRIĚME TABLEAU - LES BRIGANDS SCÉNE I ADRIEN, seul. ADRIEN, dont on ne voit que la téte—On n'a pas 1'habitude de veiller si tard au Domaine. II faut que ce singulier personnage soit un homme ďimportance aux yeux de Jolin... Se souviendra-t-il de moi ?... cherchera-t-il ä protéger Blanche ?... Mais qu'importe aprěs tout ? Maintenant je suis decide ä agir seul... Agissons done ! (II passe une jambe sur le mur.) Que vais-je faire ? Ce voyageur n'avait-il pas raison de m'engager ä prendre garde aux demarches imprudentes ? Mon projet ne pourrait-il pas avoir pour résultat de compromettre Blanche sans utilitě ? Que gagnerai-je ä me trouver seul, la nuit, dans ce jardin solitaire ?... Ah bah ! qui peut répondre du hasard ? La pauvre enfant dort peu sans doute. Si eile avait l'heureuse pensée de se mettre ä sa fenétre pour respirer l'air frais de la nuit ! Je pourrais me montrer ä eile, lui adresser quelques mots ä voix basse... Dans le cas contraire, je grimperai dans les peupliers jusqu'ä sa fenétre, et je déposerai ma lettre dans les pots de fleurs qu'elle arrose chaque matin... oui; d'ailleurs je serai plus pres de ma chěre, Blanche, je respirerai l'air qu'elle respire... Oui, oui, Dieu m'aidera ! (II entend du bruit ; il retire sa jambe, et ne laisse que sa téte dépasser le mur.) Quelqu'un !... silence ! SCENE I 36 SCÉNE II BERTRAND, THIBEAULT. BERTRAND, entrant avec Thibeault—Cre nom d'un nom ! j'aime pas 5a, moi, qu'on me laisse lä, plante comme un pieu, pendant des deux ou trois heures de la nuit, quand y a des bons coups ä faire partout. THIBEAULT—Vous avez pas besoin de vous plaindre, 5a arrive toujours pas si souvent. BERTRAND—Une fois c'est de reste. THIBEAULT—Je voudrais ben vous voir rebeller... Quoi c'que vous pourriez faire avec vot' gang sans lui ? BERTRAND—Enfin de quoi s'agit-il ? THIBEAULT—II va vous le dire lui-meme. Y a un grand jack qu'est arrive ä soir qui y a pas fait plaisir. BERTRAND—Ah ! y s'agit de... (Pantomime.) THIBEAULT—J'cre qu'oui. BERTRAND—Un de ses anciens amis, je gagerais. THIBEAULT—£a m'en a tout l'air. BERTRAND—C'est comme 5a ; les meilleurs amis finissent toujours par en venir au couteau. Moi, j'avais un camarade d'ecole que j'aimais comme mes yeux. Un jour, ä propos de rien, y m'plante son canif dans les cotes et se sauve. Six mois apres, j'lui envoya dans la tete une balle qu'il vit pas venir. C'est de valeur, parce qu'on etait comme les deux doigt de la main. SCENE II 37 SCÉNE III LES PRECEDENTS, JOLIN. JOLIN, entrant—Eh bien, qu'est-ce que vous faite done ? II n'y a pas de temps ä perdre : il est une heure du matin. BERTRAND—Bon ! chacun son tour. C'est-y amüsant d'attendre ? JOLIN—Thibeault vous a-t-il fait... comprendre... BERTRAND—Ben... ä peu pres. II parait qu'y a un citoyen de trop dans ce monde. JOLIN—Chut!... Comprenez bien mes volontes. II ne s'agit pas de faire un mauvais coup ; je suis trop honnete homme pour rien exiger de pareil. D'ailleurs on sait que l'individu se trouve chez moi, et je serais bien embarrasse de rendre compte de sa disparition... s'il disparaissait. II faut etre prudent. II ne s'agit que de s'emparer de quelques paperasses qu'il a sur lui. Seulement, s'il s'eveille trop tot, vous pouvez compter sur une resistance energique... et alors... BERTRAND—Tant mieux ! THIBEAULT—Tant pis ! JOLIN—II faut l'empecher de s'eveiller trop tot et je puis vous donner ä ce sujet des renseignements utiles. Pendant qu'il se couchait, je l'ai examine par une fente de la cloison. II se defie de quelque chose car il a commence par entasser tous les meubles de la chambre derriere la porte, et puis s'est couche tout habille. Mais il est bien fatigue, et il dort dejä profondement. II s'agit d'abord d'ouvrir avec assez de precaution pour ne pas faire de bruit, e'est le principal. Apres cela vous irez droit au lit qui est ä gauche, et vous pourrez vous emparer de l'individu avant qu'il soit eveille ; alors j'entrerai avec de la lumiere, et le reste ira tout seul. BERTRAND—Mais, tonnerre d'un nom ! e'est bien des ceremonies, 5a ! Laissez-moi done faire ; 5a mettra pas grand temps, vous verrez ! JOLIN—Non, non !... SCENE III 38 Le retour de l'exile II y a des personnes endormies dans la maison : tout doit se faire dans le plus grand silence. THIBEAULT—Tenez, vous me laisserez arranger 5a moi. Je me charge d'ouvrir la porte sans faire plus de bruit qu'une souris qui trotte... JOLIN—C'est cela ; eh bien, allons ! BERTRAND, ä part—C'est correct ; encore un ! mais y va te coüter le prix, celui-lä, mon vieux grippe-sou d'hypocrite !... (Iis sortent.) ADRIEN, seul—Oh ! infamie des infamies !... Cette fois, c'est l'humanite qui parle ; je ne puis reculer. (II saute dans le pare.) II s'agit d'empecher un crime : c'en serait un d'hesiter !... (II suit Jolin.) SCENE III 39 CINQUIEME TABLEAU - AU MEURTRE (Le theatre represente un corridor.) CINQUIEME TABLEAU - AU MEURTRE 40 SCENE IV Mme SAINT-VALUER, BLANCHE. Mme SAINT-VALLIER, debout un bougeoir ä la main—Je te dis, ingrate enfant, que ton ridicule entetement va nous faire chasser de cette maison. M. Jolin nous a rudoyees ce soir, comme il ne l'a encore jamais fait. Si tu le pousses ä bout, qu'arrivera-t-il de nous, je te le demande ? Nous faudra-t-il recommencer notre vie d'autrefois ? Pour moi je suis lasse de cette pauvrete deshonorante. BLANCHE—Maman, la pauvrete ne peut deshonorer quand on la Supporte noblement et avec courage. Cette vie d'humiliation me repugne ; j'aimerais mieux mille fois travailler pour vous et pour moi. Je puis broder, donner des lecons de musique... Mme SAINT-VALLIER—De la broderie ! des lecons de musique ! Voilä bien de quoi faire vivre une personne de ma condition ! Travailler pour vivre, quand on a vecu dans la meilleure societe, quand on a tenu le haut du pave !... Tiens, tiens, il faut que tout cela finisse, je ne puis souffrir que tu fasses ainsi ton malheur et le mien ! BLANCHE—Votre malheur ! mais vous savez bien que je donnerais ma vie pour vous savoir heureuse ! Mme SAINT-VALLIER—Ce sont des phrases de roman, cela ; quand on aime sa mere, on ne lui refuse pas un leger sacrifice... BLANCHE—Je suis prete ä faire tous les sacrifices possibles, ma mere ; oui, tous, excepte celui d'epouser cet homme. II m'inspire trop d'horreur et de degoüt! Mme SAINT-VALLIER—Tu l'epouseras cependant, et le mariage va se faire dans le plus court delai. Nous verrons bien si tu oseras desobeir ä ta mere. BLANCHE—Puisse Dieu me pardonner, maman ; mais j'aurai la force de l'oser ! Mme SAINT-VALLIER—Indigne creature ! enfant denaturee ! Je parviendrai bien ä te reduire va ; et ce n'est pas ton Adrien Launiere qui SCENE IV 41 Le retour de l'exile m'en empechera. Un dröle qui n'a rien, et que tu preferes comme une sötte ä l'homme le plus riche de Quebec. BLANCHE—Le souvenir d'Adrien me soutiendra, ma mere, s'il ne peut venir lui-meme ä mon secours. Mais peut-etre le ciel m'a-t-il dejä envoye un autre protecteur. Mme SAINT-VALLIER—Un protecteur ! qu'est-ce ä dire ? Serait-ce par hasard ce M. DesRivieres qui est arrive ce soir ? En effet, j'ai cru m'apercevoir qu'il t'avait parle ä voix basse. II t'a apporte quelque message, quelque lettre sans doute ? BLANCHE, pleurant—Non, maman, pas de lettre, pas de message ; mais un mot de pitie est si precieux quand on est abandonne de tous... SCENE IV 42 SCENE V LES PRECEDENTS, ADRIEN. ADRIEN, entrant précipitamment par la fenétre—Pas de tous, pas de tous, Blanche ! BLANCHE—Adrien ! Mme SAINT-VALLIER—Comment ?... Qu'est-ce que cela veut dire ? ADRIEN—Blanche ! Mme Saint-Vallier ! silence, de grace ! II y va de ma vie. Mme SAINT-VALLIER—Entrer par la fenétre !... Une escalade !... Sainte Vierge ! a-t-on jamais rien vu de semblable ? BLANCHE—O Adrien, Adrien ! Mme SAINT-VALLIER—Que venez-vous faire ici ? Répondez ! ADRIEN—Je suis ici pour empécher un meurtre. Mme SAINT-VALLIER et BLANCHE—Un meurtre !... ADRIEN—Oui... ce voyageur, cet étranger, arrive ici ce soir ; on veut se défaire de lui. Mme SAINT-VALLIER—Qui done, monsieur ? ADRIEN—Le maitre de cette maison, ce miserable Jolin que vous voulez donner pour mari ä votre fille. Mme SAINT-VALLIER—Cest une calomnie ! e'est impossible !... M. Jolin... un homme... ADRIEN—Oh ! il est trop lache pour exécuter lui-méme son abominable projet; mais les assassins sont déja dans la maison. Dites-moi vite oů est la chambre de cet étranger. Je le préviendrai, je le mettrai sur ses gardes, je le défendrai, s'il le faut! Mme SAINT-VALLIER—Non, non !... Cest une imposture !... Jolin, un homme riche... BLANCHE—Maman, ce soir il avait un regard infernal en regardant M. DesRiviéres. SCENE V 43 Le retour de 1'exilé ADRIEN—M. DesRiviěres ! 1'ancien maitre de Jolin... plus de doute... Blanche, au nom de Dieu dites-moi oů se trouve la chambre de ce pauvre voyageur... BLANCHE—La, au bout du corridor ; mais je vous en supplie, Adrien, n'allez pas vous exposer ä un danger inutile. ADRIEN—Blanche, M. DesRiviěres est notre ami ! (On entend un grand bruit.) Ah ! mon Dieu, il est trop tard, on l'egorge. Laissez-moi, laissez-moi ! (II s'elance hors de la piece.) BLANCHE—Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! lis vont le tuer lui aussi. Mme SAINT-VALLIER—Blanche, Blanche !... Fuyons, fuyons !... (Elle entraine Blanche du coté oppose, et le decor s'ouvre par le fond.) SCENE V 44 SIXIEME TABLEAU - LE PACTE (Le theatre représente la chambre á coucher ďAuguste. Jolin est debout dans un coin, une bougie á la main. Thibeault est étendu par terre, á moitié assommé. Auguste, les pieds embarrasses dans une chaise, est renversé, et Bertrand a le couteau levé sur lui. Les meubles sont disperses ca et la dans la chambre oú tout est dans le plus grand désordre.) SIXIĚME TABLEAU - LE PACTE 45 SCENE VI AUGUSTE, BERTRAND, JOLIN, THIBEAULT, ADRIEN. AUGUSTE—Ale !... la satanee chaise ! ADRIEN, entrant et saisissant le bras de Bertrand—Arretez, malheureux ! AUGUSTE, se degageant et se mettant en garde son couteau ä la main—Bon !... Merci !... Lächez-le, lächez-le maintenant. Je lui fais son compte. ADRIEN, lächant Bertrand qui remet tranquillement son couteau dans sa poche—Monsieur Jolin, votre maison est done une caverne de brigands, un coupe-gorge ! Vous n'etes done qu'un assassin !... JOLIN—Par l'enfer ! c'est l'amoureux ! Comment s'est-il introduit ici ? AUGUSTE—Eh ! mais, par la barbe du prophete ! c'est mon petit ami de l'auberge. Du diable si je m'attendais ä le revoir cette nuit ! Eh bien, mon matelot, vous pouvez vous vanter de m'avoir rendu un service ! car cet enrage brigand etait en train de me faire une vilaine boutonniere au moule de ma veste... Merci !... Je ne sais pourquoi, mais j'aime ä vous devoir ce service lä, ä vous ! JOLIN, bas ä Bertrand qui s'est rapproche de la porte—Bertrand, il faut mettre ä tout prix ces hommes hors d'etat de nous nuire !... ___ V BERTRAND—A tous les diables vous et vos affaires ! La tete me bouille comme une marmite au feu... J'en ai assez ! C'est un demon ce pendard-lä... Et cet autre qui m'arrive sur les bras... Et vous qui me laisseriez etriper sans grouiller une patte... Merci !... Des compliments chez vous ! (II s'eloigne.) JOLIN—Comment ! vous m'abandonnez ! Demain ils porteront plainte contre vous, et... BERTRAND—De quoi m'accuseront-ils ? D'avoir recu une grele de coups pour assommer un boeuf ! S'ils me poursuivent pour cela, ils pourront venir me chercher dans le bois du Carouge ; ils trouveront ä qui parier ! SCENE VI 46 Le retour de l'exile JOLIN, donnant des coups de pieds ä Thibeault—Allons, te leveras-tu, toi, maudit cancre ! THIBEAULT—Ai'e ! aie !... Je suis ä moitie mort... grace !... AUGUSTE—Attendez, camarade ; (II lui tend la main.) les ennemis ne sont pas des Turcs. C'est moi qui vous ai mis dans cet etat, c'est ä moi de vous aider maintenant que la bataille est finie !... (II le releve.) Allons, mon brave, cette petite bourrasque ne doit pas vous decourager ; quand vous voudrez, je vous donnerai votre revanche. THIBEAULT—Non, non ! pas de revanche, pas de revanche ! J'en ai assez moi aussi. (II se dirige vers la porte.) AUGUSTE, ä Bertrand—Et vous, mon vaillant picador, sans rancune aussi, n'est-ce pas ?... Quand il vous plaira de recommencer notre passe ä la navaja, je serai ä vos ordres. II n'y aura pas alors de chaises eparses sur le plancher pour me faire tomber ! Au revoir done, mes amis, et felice sera ! (Bertrand et Thibeault sortent.) SCENE VI 47 SCÉNE VII AUGUSTE, ADRIEN, JOLIN. ADRIEN—Vous les laissez s'echapper ainsi ? AUGUSTE—Pourquoi pas ? Tel va chercher de la laine qui s'en revient tondu ! Et maintenant, mon bon Jolin, mon respectable ami, nous allons causer un instant, si tu veux bien. JOLIN—J'espere, mon cher monsieur Auguste, que vous ne prendrez pas au serieux une mauvaise plaisanterie. J'avais expressement recommande qu'on ne vous fit aucun mal. Je voulais seulement voir ce papier, vous savez, qu'il m'est si important de connaitre. Ces pauvres diables que vous avez si mal menes etaient seulement charges de s'assurer si reellement vous aviez cette piece sur vous... JOLIN—Mais vous me demandez d'etre absolument le maitre dans ma... dans notre maison. Au moins justifiez de vos droits, en me montrant ce papier... qui... AUGUSTE—Tron de Diou ! mon bon ami, tu deviens assommant a rabacher toujours la meme chose ! Tu verras ce papier le jour ou nous reglerons definitivement nos comptes ; tu le verras en presence d'un notaire et de deux temoins, a travers une glace assez epaisse pour que tu ne puisses le lacerer furtivement. Voila quand et comment tu verras cette contre-lettre, et non auparavant ni autrement. En attendant je vais la mettre en lieu star, afin que tu ne sois plus tente de recommencer l'experience de cette nuit. Crois-moi, ne te montre pas trop difficile, et nous pourrons faire ensemble un arrangement a l'amiable ou tu trouveras ton profit. JOLIN—Et ni vous ni ce jeune homme ne conterez jamais a personne ce qui est arrive cette nuit ? AUGUSTE—Nous le promettons. JOLIN—Et vous vous engagez a soutenir demain matin la fable que je conterai aux dames Saint-Vallier pour detourner leurs soupcons ? SCENE VII 48 Le retour de 1'exilé AUGUSTE—Tu pourras conter toutes les fables de Lafontaine si tu veux, personne ne te contredira. JOLIN—Marché conclu ! AUGUSTE—A merveille ! Maintenant, récapitulons. J'aurai mes cinq cents louis ; je pourrai recevoir tout le pays ici s'il m'en prend fantaisie... ADRIEN—Et j'epouserai Blanche ? JOLIN—Oui, oui... AUGUSTE—Chien qui s'en dédit ! Tiens bien toutes ces conditions, mon vieux, car je te surveillerai. Tu dois savoir qu'il n'est pas facile de me tromper, ni de me surprendre ; te voilä bien averti... Maintenant, que la paix est conclue, laisse-moi seul ici attendre le jour en compagnie de ce brave garcon arrive si ä propos pour m'epargner des désagréments. Envoie-nous deux ou trois bouteilles de ton meilleur vin, et bonsoir... Tu dois avoir besoin de ruminer ä ton aise quelque nouvelle coquinerie ; seulement contente-toi de ruminer ou sinon... Va ! (Jolin sort.) Allons, j'ai quinze jours devant moi; c'est plus qu'il ne me faut pour les mater... ADRIEN, se jetant dans ses bras—Ah ! monsieur, vous étes mon bon génie ; vous aurez fait le bonheur de toute ma vie !... AUGUSTE—Ne vous hate z pas trop de me remercier, mon jeune ami ; Dieu sait comment tout ceci finira... Enfin, j'ai quinze jours de gagnés. Les Américains ont tort de dire : Time is money... Le temps c'est tout ! (La toile tombe.) SCENE VII 49 ACTE IV ACTE IV 50 SEPTIEME TABLEAU - LE MILLIONNAIRE (Le theatre represente un jardin. Au fond une barriere entrouverte, ou Josepte et Thibeault causent au lever du rideau.) SEPTIEME TABLEAU - LE MILLIONNAIRE 51 SCÉNE I THIBEAULT, JOSEPTE. JOSEPTE—Mais, quand je vous dis, Thibeault, qu'il avait ľair d'un vrai quéteux, quoi ! A part la poche. Et pis si c'avait pas été que de M. Launiére, il s'en allait sans payer ľabsinthe qui avait bue chux nous. Tout 5a c'est vrai comme via une cloture qui me regarde ! Et puis, vous me dites que c'est un gros richard ! Jamais j'vous crairai ! THIBEAULT—Ah ! ben, s'il avait ľair d'un quéteux, il est ben change, je vous en réponds. Y remue ľargent ä la pelle, j'vous dis. Y parait qu'il a dans le port un bätiment qui vient des vieux pays avec des tonnes pleines d'argent et des yamants gros comme le poing. Enfin, c'est riche, cinq fois fortune... JOSEPTE—Vous avez qu'ä voir ! Vous avez qu'ä voir !... qui c'qui aurait jamais pu... C'est tout prouvable qu'il aura fait 5a pour nous éprouver... Et pis Cayou, mon homme, qu'a voulu le faire manger par son chien ! Je vous dis qu'on est malchanceux aussi. Je lui disais ! que faut jamais juger dans les apparences... Mais vous avez toujours un fameux bel habillement ä c't'heure ! THIBEAULT—Bougez pas ! c'est pas un habillement, 5a ; c'est une livrée. On est quatre habillés comme 5a... JOSEPTE—Quatre ! THIBEAULT—Oui. Et pis, quant ä lui, le millionnaire, quand vous le reverrez ä c't'heure, j'vous persuade que vous aurez pas en vie de chouler les chiens aprés lui... Faut voir s'il en a d'l'apparance. Oui, du beau drap fin, et pis 5a reluit. JOSEPTE—Sainte misére humaine ! qui c'qui aurait jamais pu penser... Et pis on dit que M. Launiére est son grand ami... Via c'que c'est, il ľa pas si mal recu que nous autres, lui. ___ ___ V THIBEAULT—A propos, votre M. Launiére, il va s'marier. JOSEPTE—C'est-y vrai ? SCÉNE I 52 Le retour de 1'exilé THIBEAULT—Oui, le bomme Jolin mange dTavoine. Si vous voyiez la grimace qu'y fait !... Mais c'est le millionnaire qu'arrange tout 5a... On dirait que tout y appartient icitte. J'y comprends rien. JOSEPTE—Ce pauvre M. Adrien... Ah ! ben, j'suis contente pour lui. THIBEAULT—Chut !... le v'la qui s'en vient avec sa blonde... Allons-nous-en. (II sort.) JOSEPTE, sortant—Qui c'qu'aurait jamais pu penser ?... SCENE I 53 SCÉNE II ADRIEN, BLANCHE. ADRIEN—Comme tout me parait change ici ! Ce jardin, ce pare, qui me semblaient si severe, si triste, il y a quelques jours, sont pour moi un paradis terrestre maintenant... N'est-ce pas qu'il est sublime ce sentiment qui a le pouvoir non seulement de réchauffer les coeurs les plus froids, d'inspirer des actions héroiques aux plus égoistes, mais encore de transformer ainsi méme les objets matériels, la nature inerte ! Oh ! aimons-nous toujours ainsi, Blanche, et toute l'existence ne sera qu'un long enchantement... Mais vous ne me semblez pas trěs gaie... auriez-vous quelque chagrin ? BLANCHE—Non, Adrien ; mais j'ai des apprehensions ; je ne comprends pas trop tout ce qui se passe autour de nous ; il me semble que tout ceci est un réve. ADRIEN—Que ce soit un réve ou une réalité, si ce réve doit durer toujours, pourquoi désirer autre chose ? Ne nous préoccupons pas de l'avenir. Tu m'aimes toujours, n'est-ce pas ? Dis-moi que tu m'aimes toujours. BLANCHE—Oh ! oui, toujours Adrien ! comment ne t'aimerais-je pas, toi si noble et si généreux ! toi mon ami ďenfance, mon frěre ! mon frěre par l'affection, et aussi... par le malheur... Tous deux nous avons souffert, tous deux nous avons pleuré ; et e'est lä une fraternitě qui ne s'altere jamais, car eile tient ä toutes fibres du coeur. Oui, Adrien, oui, je suis fiěre de te le dire, je ťaime, je t'aime de toutes les forces de mon äme, sans restriction, sans hesitation, sans partage... mais... ADRIEN—Alors, Blanche, 6 ma Blanche bien-aimée, qu'as-tu ä craindre ? Pourquoi douter de la Providence ? Celui qui protege le nid des petits oiseaux, est le pere de tous ceux qui s'aiment... BLANCHE—Qu'il nous défende alors, car je crains un malheur... SCENE II 54 SCÉNE III LES PRECEDENTS, Mme SAINT-VALUER. Mme SAINT-VALLIER, entrant—Blanche, je ne dois pas souffrir que vous sortiez ainsi seule avec monsieur. Tous ces roucoulements sont fort bien, mais cela ne peut durer. Ma fille m'appartient, et personne n'en disposera contre mon gre. Puisque M. Jolin nous a trompees en se faisant passer pour riche, je veux bien ne plus penser a lui ; je lui ai retire mon estime ; mais je ne vois pas de raison la-dedans, monsieur Launiere, pour que je vous accorde la main de Blanche. Cela ne vous met pas en position de vous charger d'une famille. Je finirai par me lasser de toutes ces chuchoteries, si Ton ne va pas franchement au but. ADRIEN—Mais, madame, ne m'avez-vous pas permis... Mme SAINT-VALLIER—Permis, permis ! est-ce que je sais, moi, ce que je permets et ce que defends, depuis l'arrivee de ce M. DesRivieres, si bien surnomme la Bourrasque. Tout tourne a sa volonte ; il fait la pluie et le beau temps dans cette maison. II est riche, il ne Test pas ; il arrive ici vetu comme un mendiant, et il jette Tor par les fenetres... Une nuit vous tombez des nues en nous annoncant que M. Jolin assassine votre M. DesRivieres. Le lendemain matin on vous voit dejeuner gaiement tous les trois, et vous nous assurez que toute cette affaire qui nous a cause une si grande peur, n'est qu'un malentendu... M. Jolin a l'air de detester cet etranger, et lui obeit comme un esclave. Enfin Jolin n'est pas digne de ma fille, c'est fort bien. M. DesRivieres en me parlant de votre mariage, m'a fait entendre certaines choses... mais s'il ne se hate pas de s'expliquer clairement, je ne vois pas pourquoi je souffrirais plus longtemps des assiduites inutiles... BLANCHE—Mais, maman, M. DesRivieres vous aurait-il exprime l'intention... ? Mme SAINT-VALLIER—Rien, rien ; ces questions-la ne sont pas a ta portee. Seulement si votre millionnaire continue a recevoir une legion d'amis, de cousins et de cousines a qui il fait esperer sa succession, je ne SCENE III 55 Le retour de 1'exilé sais pas comment il pourra réaliser ses promesses... BLANCHE—Je comprends mal, maman ; vous ne voulez pas dire sans doute que M. DesRiviěres aurait promis de suppléer ä notre défaut de fortune ? Mme SAINT-VALLIER—Et quand cela serait ? BLANCHE—Les convenances, le sentiment de ma dignitě me défendraient d'accepter les dons ďun étranger, důt mon bonheur en dépendre ! Mme SAINT-VALLIER—Phrases de romans que tout cela... D'ailleurs si tu es si delicate, M. DesRiviěres ne pourrait-il pas s'interesser en faveur de son nouvel ami, M. Adrien, qui lui a, parait-il, rendu un service immense ? ADRIEN—Madame, je rougirais de devoir la main de Blanche ä une indélicatesse ; et e'en serait une que de recevoir le prix d'un service rendu. BLANCHE—Cher Adrien, nos ämes se devinent toujours. Mme SAINT-VALLIER—Sur ma parole, la jeunesse d'ä present est complětement folie... Ah ! 5a voudriez-vous bien me dire pourquoi, aprěs m'etre opposée jusqu'ici ä cet absurde mariage, j'aurais change d'avis tout ä coup, si Ton ne m'avait fait entendre certaines éventualités ? Qu'y aurait-il de change dans nos situations réciproques ? Mais puisque vous étes si désintéressés, n'en parlons plus... tout est rompu ! Toi, Blanche, je te defends de revoir M. Launiěre ; et de son coté M. Launiěre voudra bien ne plus ťhonorer de ses attentions particuliěres. ADRIEN—Oh ! madame, par pitié pour moi, pour Blanche... Mme SAINT-VALLIER—Cest mon dernier mot ! BLANCHE—Oh ! maman ! (Elle pleure.) Mme SAINT-VALLIER—Blanche, rentrons ! ADRIEN—Soyez tranquille, Blanche ; je ne vous abandonnerai pas ! Mme SAINT-VALLIER—Cest ce que nous verrons. (Elle va pour sortir en entrainant Blanche, et eile se trouve face ä face avec Auguste.) SCENE III 56 SCENE IV LES PRECEDENTS, AUGUSTE. AUGUSTE, entrant—Ma foi, mes bons amis, c'est trěs mal á vous de quitter la table avant la fin. Vous perdez un spectacle unique : d'abord cette menagerie de parents que j'ai grisés en les obligeant á boire outre mesure á mon heureux retour ; et ce pauvre Jolin, qui fait la plus piteuse mine en comptant les bouteilles vides et les verres cassés. Son coeur d'avare saigne par tous les pores... Le poveretto ! s'il avait vu mes diners d'apparat dans l'lnde ! On buvait dans des gobelets d'or enrichis de perles que Ton jetait dans le Gange á la fin du repas. On brisait les plats de porcelaine du Japon, sur la téte des porteurs de palanquins, avec aussi peu de regret que je brise ce mediant verre de deux sous... (II jette le verre dans la coulisse.) Mme SAINT-VALLIER—Voilá de jolies maniěres ! Vous devriez avoir plus ďégards pour la vaisselle de la maison. On a beau étre riche, on trouve toujours l'occasion d'employer convenablement sa fortune. AUGUSTE—Fort bien parlé, bonne maman Saint-Vallier ; mais je suis pour le moment un riche ďune certaine espěce ; mon plaisir supreme... (Examinant Adrien et Blanche.) Mais, par Al-Borak ! que signifie ceci ? Les enfants ont pleuré ? Qui a effarouché mes gentils tourtereaux ? Qui a jeté des pierres dans mon buisson de roses ? Tron de l'air ! serait-ce un nouveau tour de Jolin ? Voudrait-il rompre la tréve ? ADRIEN—Non, monsieur ; Jolin n'est plus la cause de notre affliction. Merci de votre bienveillance, mais elle ne peut rien pour diminuer nos chagrins actuels. AUGUSTE—Alors je dois m'en prendre á vous, madame Saint-Vallier, je le parierais. Vous aurez encore tourmenté mes jeunes amis par vos éternelles exigences de fortune. Je vous avais pourtant fait entendre que, dans certains cas... Mme SAINT-VALLIER—Vous avez eu beau me parler de tous les cas possibles, ils ne veulent rien de vous ni de personne ; et comme je ne SCENE IV 57 Le retour de 1'exilé saurais souffrir plus longtemps de voir ce grand garcon róder autour de ma fille, et lui parler á 1'oreille... AUGUSTE—Etes-vous si méchante ? Auriez-vous bien le coeur de martyriser ces chers enfants ? Regardez-les ; leur naive douleur ne vous émeut-elle pas ? Je croyais mon áme desséchée par vingt années de voyages, de luttes, de désenchantements ; et en les voyant, je me sens prét á pleurer. Ah ! c'est qu'en parcourant le monde dans tous les sens, j'ai admiré bien des choses, les merveilles de 1'art, les splendeurs de la nature ; mais je n'ai rien trouvé ďaussi digne de respect et ďadmiration que deux enfants jeunes et beaux, s'aimant ďun premier amour !... Oh ! ne les séparez pas !... ce serait une faute, ce serait un crime ! Ne les séparez pas, ou craignez que leur malheur ne retombe sur votre téte... J'ai aimé comme Adrien autrefois ; il y a bien longtemps. Si rien n'eut fait obstacle á mon amour, j'eusse pu devenir un homme simple et bon, utile á ses semblables, obéissant aux lois de la société ; mais un obstacle se rencontra ; on irrita des passions fougueuses, je devins ivre, je devins fou... Le sang coula, un cadavre fut jeté entre elle et moi. L'existence de celle que j'aimais fut brisée du coup ; et moi, pendant une moitié de ma vie, j'ai erré en proscrit, en vagabond, sur la surface de la terre, faisant rarement le bien, souvent le mal, á charge aux autres, á charge á moi-méme !... Je crois, Dieu me pardonne, que je deviens sentimental. Cest honteux, á mon áge... Mais voyons, madame, vous ne songez pas sérieusement á les séparer ! lis s'aiment, ils sont dignes 1'un de 1'autre, ils seront heureux. Tenez, pour les voir heureux, je donnerais... Mme SAINT-VALLIER—Vous donneriez ? AUGUSTE—Le diamant du Grand-Mogol, šije 1'avais. Mme SAINT-VALLIER—Trěs bien ; je sais ce qui me reste á faire. II est toujours bon de mettre ces beaux parleurs au pied du mur. Voilá oú aboutissent leurs promesses... au diamant du Grand-Mogol. Encore une fois, c'est bien ; je saurai agir á ma guise... SCENE IV 58 SCENE V LES PRECEDENTS, LECOURS, et son fils JULES puis JOLIN. LECOURS, en dehors—Par ici, par ici, Jules ! II me semble avoir vu le bon cousin se dinger de ce coté... AUGUSTE—Allons, voilá mes notes qui s'impatientent. Voyons, mes petits amis, essuyez vos yeux ; tout s'arrangera, vous verrez. Et vous, chěre maman Saint-Vallier, nous causerons de tout cela á téte reposée ; et nous nous entendrons, soyez-en sure. En attendant, riez un peu de ma charmante famille... Elle est divertissante. LECOURS, en dehors—Viens, Jules, je les apercois ! JOLIN, entrant—Cest l'un de vos convives qui vous cherche pour prendre congé. (A part.) La peste soit de tous ces grugeurs !... LECOURS, entrant avec son fils—En effet, mon cousin, nous avons le regret de vous quitter. AUGUSTE—Comment, déjá ? Vous me feriez plaisir en passant ici quelques jours, afin que je puisse vous féter ďune maniěre plus digne de vous et de moi. Ces diners improvises ne valent pas granďchose... JOLIN, á part—Que le diable lui torde le cou !... LECOURS—Oh ! nous sommes tout á fait charmés... AUGUSTE—Vous me donnerez ma revanche un autre jour. Je vais mettre cette maison sur un pied convenable. J'aurai des cuisiniers de diverses nations. Vous verrez, cousin ; á votre prochaine visitě, vous mangerez des nids de salanganes, des holothuries et des nageoires de requins. Je parie que vous trouverez ces mets délicieux. JOLIN, á part—L'infame !... LECOURS—Vous étes mille fois trop... AUGUSTE—Eh bien, á dimanche prochain alors, il y aura grande féte ici. Ayez la bonté de transmettre mon invitation aux Amyot, aux Durand, aux Garant, et aux autres dont je puis oublier le nom, mais que je chéris du fond du coeur. Dites-leur de venir avec leurs amis et leurs connaissances, SCENE V 59 Le retour de I'exile leurs enfants, leurs domestiques, leurs chiens, s'ils en ont... Dans l'lnde, c'est l'usage d'arriver ainsi chez un ami en caravane. JOLIN, a part—Le brigand !... AUGUSTE—Jolin, j'entends que rien ne soit epargne pour cette fete. S'il n'y a pas de salle assez vaste a la maison, le banquet aura lieu dans le jardin. Je veux des pluies de fleurs, des parfums, de la musique... JOLIN—Cependant, monsieur, il y a certaines limites... qui... LECOURS—Ah ! c'est mal a vous, monsieur Jolin, de vouloir ainsi detourner votre maitre de sa famille. Avez-vous peur de l'affection qu'il nous temoigne ? Vous avez beau faire, M. DesRivieres preferera toujours ses parents a l'ancien commis de son pere. SCENE V 60 SCÉNE VI LES PRECEDENTS, THIBEAULT. (Thibeault entre et va presenter une lettre ä Jolin qui s'éloigne un peu pour la lire.) THIBEAULT, ä Lecours—La voiture de monsieur est préte. LECOURS, ä Auguste—Vous les entendez, cousin ; maitre et domestique ont ľair de nous trouver de trop ici. Ecoutez ; on cherche ä vous accaparer ; on en veut ä votre fortune, c'est clair. Tenez, si vous vouliez bien venir demeurer chez nous, ä Québec, notre demeure est bien peu digne de vous, mais ľaffection et le respect suppléeraient ä ce qui manque. AUGUSTE—Merci, merci, cousin ; j'apprécie votre dévouement ä sa juste valeur... et je pourrais bien un jour ou ľautre accepter vos offres... JOLIN, ďun air triomphant, et sa lettre ä la main—Acceptez-les tout de suite, vilain imposteur que vous étes ; acceptez-les tout de suite, et délivrez-moi de votre presence ! ADRIEN—Que signifie ce langage ? Oubliez-vous, monsieur Jolin... JOLIN—Je n'oublie rien ; mais je suis las de me faire bafouer dans ma maison, et je vais donner du balai ä tout ce qui me géne. Ainsi done, les DesRiviéres, les Lecours, les petits amoureux intrigants, les laquais et les banquets chinois, et toute la boutique infernale, vont décamper lestement de chez moi... Allons, qu'on fasse maison nette, et promptement ! car en vérité la rage m'étouffe, et je ne saurais me contenir plus longtemps ! LECOURS—Mais, sapristi ! cet individu est fou ! parler ainsi ä un homme capable ďacheter la moitié de Québec. JOLIN—Qu'il s'achéte done un logis pour la nuit ; car, je le jure, il ne couchera pas dans ma maison. LECOURS—J'espére que vous connaissez vos amis maintenant, cousin ! Venez-vous-en chez nous. Notre voiture est préte ; nous pouvons y placer vos coffres les plus précieux... II serait imprudent de laisser votre fortune ä la merci de ce SCÉNE VI 61 Le retour de 1'exilé mécréant... JOLIN—Ah ! ah ! ah !... Son bagage ne sera pas lourd. II ne possěde rien au monde. Cest moi qui lui ai acheté l'habit qu'il a sur le corps. LECOURS—Mais ces diners, ces receptions... JOLIN—Je souffrais tout, je payais tout... Moi, rhomme réputé habile, experimente, je me suis laissé duper comme un écolier, comme un imbecile. Oh ! mais la lecon me servira. Allons, que Ton sortě á 1'instant de chez moi ! LECOURS—Je m'en vais tout de suite, quant á moi. Je ne suis pas venu ici pour me faire insulter... Cela crie vengeance... Viens, mon enfant... c'est indigne. Etre traité ainsi dans la maison ďun parent !... (II sort avec son enfant.) SCENE VI 62 SCÉNE VII LES PRECEDENTS, excepte LECOURS et JULES. AUGUSTE—A ce que je vois, maitre Jolin, tu sais... JOLIN—Je sais la verite. Ce papier que vous vous vantiez d'avoir n'est pas entre vos mains. J'ai ecrit au successeur de ce notaire ä qui vous aviez confie la contre-lettre ; voici sa reponse. (II lit.) «Cette piece a ete envoyee ä qui de droit; il en est fait mention dans nos registres ; mais comme eile n'a jamais ete mise en usage, il faut penser qu'elle a ete perdue ou detruite.» AUGUSTE—C'est la reponse que j'ai obtenue moi-meme. JOLIN—Alors qu'attendiez-vous done de moi ? Pourquoi ces folies indignes d'un homme de votre age, ces extravagances, ces gaspillages inoui's ? AUGUSTE—Je voulais m'amuser ä tes depens. J'aurai toujours tire cela de l'heritage que tu me voles... JOLIN—Menagez vos expressions ! Je suis un honnete homme, et je ne souffrirai pas que l'on m'insulte. Si vous avez des droits faites les valoir ! Mais tous ces propos sont inutiles. Thibeault, chasse-moi ces individus ! THIBEAULT—Merci !... J'en ai assez, moi, de ces jeux-lä ! AUGUSTE—Miserable fripon !... je t'etranglerais... Mais bah ! un coquin de moins sur la terre ou il y en a tant, ne laisserait pas de vide appreciable. (A Adrien.) Allons, mon ami, il ne nous reste qu'ä faire retraite, car vous etes compris dans cette intimation polie d'avoir ä vous eclipser. JOLIN—Oui, lui, lui surtout ! ADRIEN—Je n'ai pas la pretention de rester chez M. Jolin malgre lui ; mais, avant de partir, je veux savoir si c'est librement que ces dames... BLANCHE—Adrien, je ne veux pas, je ne peux pas rester ici. Je vous en conjure, ne me laissez pas dans cette maison !... JOLIN—Vous dependrez de votre mere, mademoiselle ; et si eile a conserve un peu d'amitie pour moi... SCENE VII 63 Le retour de 1'exilé Mme SAINT-VALLIER—Je crois, en effet, qu'on vous a indignement calomnié, mon vieil ami... JOLIN—Eh bien, j'espere que vous ne confierez ni le sort de Blanche ni le vótre ä des vagabonds sans le sou, comme ces deux individus-la. BLANCHE—Maman, vous n'avez done pas compris le role honteux... Mme SAINT-VALLIER—Te croirais-tu plus sage que ta mere ?... BLANCHE, éclatant en sanglots—Adrien ! Adrien !... ADRIEN—Oh ! madame, je vous en conjure, au nom de ce que vous avez de plus sacré... Mme SAINT-VALLIER—Laissez-moi, monsieur ! Blanche, sortons. (Elles sortent.) SCENE VII 64 SCÉNE VIII LES PRECEDENTS, excepte Mme SAINT-VALUER et BLANCHE. AUGUSTE—C'est inutile, mon pauvre garcon ; vous n'obtiendrez rien de cette femme obstinee, a qui manquent egalement l'intelligence et le coeur. II ne nous reste plus qu'a nous adresser a l'autorite... JOLIN—Oh ! je ne vous crains plus ; les circonstances ont change. Voudrait-on croire que moi, homme riche et considere, j'aie pu tendre un piege a un malheureux sans feu ni lieu qui est venu me demander l'hospitalite ? L'existence de ce fameux papier eut donne peut-etre quelque autorite a une pareille assertion ; mais il n'existe pas, je prouverai qu'il n'a jamais existe... D'ailleurs qui etes-vous pour inspirer de la confiance ? Un dissipateur mine, condamne a mort, exile,—avec la plus detestable des reputations. Et ce jeune homme ? Un sauteux d'escalier qui s'est introduit la nuit par escalade dans une maison habitee. Les beaux accusateurs ! Oh ! je me moque de votre colere, allez !... Mais en voila assez ; et puisque vous ne voulez pas partir de bonne volonte... (II fait quelques pas du cote de la maison.) AUGUSTE—Oui, hein ? Eh bien, goddam ! Corpo di Baccho ! tron de l'air ! Crois-tu done, vieux scelerat, que je me laisserai chasser ainsi par les epaules de cette maison qui m'appartient et ou je suis ne ? Tu vas m'en faire les honneurs jusqu'au bout, coquin ! a moi et a ce brave jeune homme ! Oui, tu vas nous accompagner jusqu'a la porte du jardin, chapeau bas, et aussi poliment que si nous etions des commodores ou des nababs. (II sort un pistolet et va le mettre sur la tempe de Jolin.) JOLIN—Monsieur, je ne consentirai jamais... AUGUSTE—Chapeau bas, drole ! et marche a cote de nous avec deference et respect; ou sinon, je te le jure, je te briserai la tete comme je briserais une vieille calebasse pourrie ! SCENE VIII 65 Le retour de 1'exilé (Jolin accompagne Auguste et Adrien jusqu'a la barriěre, chapeau bas, et le pistolet d'Auguste á la hauteur de sa tempe ; et au moment oú ils dépassent la barriěre la toile tombe.) SCENE VIII 66 ACTE V ACTE V 67 HUITIEME TABLEAU - LA CONTRE-LETTRE (Meme decor qu'au premier tableau.) HUITIEME TABLEAU - LA CONTRE-LETTRE 68 SCÉNE I AUGUSTE, ADRIEN, CAYOU, JOSEPTE. CAYOU—Cre tire-bouchon ! C'est une benediction du bon Dieu !... Mais vous ne m'en voulez done point pour... l'autre soir... vous savez... l'absinthe ? Pourquoi diable vous etiez-vous deguise aussi ? On peut pas toujours deviner... Je me le disais... Mais curiosite a part, c'est drole que vous laissiez le Domaine pour venir vous loger ici... JOSEPTE—Tais-toi done, Cayou, quand on a de quoi, et qu'on veut vivre a son gout, on doit pas etre a son aise chez Jolin. Sans parler mal de lui, il est un peu serre, le cher homme !... CAYOU—C'est drole tout de meme, un homme qu'a tant de batiments sur la mer... AUGUSTE—lis ont fait naufrage ! CAYOU—Naufrage ! Ah ! bonte divine ! et les tonnes d'or ? AUGUSTE—Fondues. Mais, ne craignez rien, mon hote, je puis solder ma depense cette fois. Heureusement que quelques pieces plus dure que les autres n'ont pas coule dans la fonte generale. Tenez, (Jetant une piece d'or.) payez-vous d'avance ; preparez-moi une chambre ; donnez-nous a boire et a manger ; et laissez-nous la paix. Dans tous les pays du monde, j'ai deteste les curieux et les bavards. JOSEPTE—On y va, on y va !... (Elle sort avec Cayou.) SCENE I 69 SCÉNE II AUGUSTE, ADRIEN. AUGUSTE, á Adrien qui est allé s'asseoir dans un coin—Allons, jeune homme ; ne vous laissez pas gagner par la tristesse. Que diable ! il faut étre plus philosophe que cela. ADRIEN—Hélas ! quelle deception ! A vous voir imposer vos volontés, vos caprices á ce Jolin, j'avais cru... AUGUSTE—Adrien, je vous dois une explication. Je ne voudrais pas que vous fussiez en droit de m'adresser, méme de pensée, le moindre reproche. Rappelez vos souvenirs, mon cher garcon ; je ne vous ai jamais donné 1'assurance positive de vaincre les obstacles que rencontrait votre manage. J'etais moi-méme trop incertain du succěs de mon audace. Sans vouloir révéler mon secret, je vous ai toujours laissé soupconner combien mon autoritě sur Jolin était de nature précaire. Dites, cela n'est-il pas de la plus exacte vérité ? ADRIEN—Je le sais, je le sais ; mais... AUGUSTE—Vous trouvez ma conduite folie, absurde, n'est-ce pas ? Vous vous demandez dans quel but, n'ayant aucun moyen legal ďobliger á une restitution cet homme de mauvaise foi, je suis venu m'etablir chez lui, le vexer, le tourmenter de mille maniěres, au risque d'etre honteusement expulsé quand la ruse serait découverte. D'abord, j'ai dů m'assurer si la probité aurait quelque influence sur cet homme á qui j'avais confié ma fortune. En découvrant á qui j'avais affaire, j'ai cru pouvoir l'effrayer par mon assurance, et l'amener á me proposer lui-méme une transaction avantageuse. Ces diners, ces receptions continuelles n'avaient pas seulement pour but d'induire en dépense le spoliateur de mes biens ; je désirais me faire des amis, et empécher Jolin de me tendre des piěges. Vous le voyez, mon cher enfant, mon plan n'etait pas tout á fait dénué de sens commun. II était sur le point de réussir. Pour assurer sa sécurité et se débarrasser de moi, il eůt accepté le partage des biens... Une revelation SCENE II 70 Le retour de 1'exilé prématurée est venue tout gäter... ADRIEN—Oh ! je ne vous accuse pas. J'ai pu apprécier la généreuse nature qui se cache sous vos apparences frivoles. Oh ! non, je ne me plains pas de vous, car je vous dois les quelques jours de bonheur que j'ai passes auprěs de Blanche. AUGUSTE—Courage done, morbleu ! II ne faut pas mettre les choses au pis. Nous ne sommes plus au temps ou Ton mariait les filles malgré elles... Blanche tiendra bon ; la mere imbecile finira par ouvrir les yeux... ADRIEN—Et vous, monsieur ? AUGUSTE—Moi ? Je m'engage matelot ä bord du premier voilier en partance dans le port de Quebec. Et ce qui me sera le plus penible en cela, mon eher garcon, ce sera de vous quitter. Par Mahomet ! vous m'avez ensorcelé. ADRIEN—Et moi, vous étes mon seul ami. Mais n'y aurait-il pas moyen de forcer ce Jolin... AUGUSTE—Oh ! ďabord je n'ai pas les moyens de faire un proces ; et puis, vous étes homme de loi, vous savez qu'on ne peut attaquer les titres de Jolin par preuve testimoniale, et qu'il faudrait absolument cette fatale contre-lettre pour avoir des chances de succěs... Non, mon ami, il faut abandonner tout espoir de ce cóté ; je suis bien et důment volé !... SCENE II 71 SCENE III LES PRECEDENTS, BLANCHE. BLANCHE, entrant—Adrien, monsieur DesRiviěres, sauvez-moi, au nom du ciel. ADRIEN—Vous, Blanche... ma chěre Blanche ? Mais d'ou venez-vous ? Comment étes-vous ici ? Que s'est-il done passé ? AUGUSTE—Asseyez-vous, mon enfant ; vous étes épuisée... Quelque nouvelle infamie de John, sans doute ? BLANCHE, s'asseyant—Fermez la porte ; on va me poursuivre certainement... Bien des personnes m'ont rencontrée sur la route ; je courais comme une folie... Vous me défendrez, n'est-ce pas ? ADRIEN—Ne craignez rien, Blanche ; vous avez ici des amis préts ä vous sacrifier leur existence. AUGUSTE—Et pour Tun ďeux le sacrifice ne serait pas bien grand, allez ! BLANCHE—Adrien, monsieur DesRiviěres, qu'allez vous penser de moi ? Oh ! ce que je fais lä est mal, bien mal, je le sais ; j'ai quitté ma mere ; je suis venue vous chercher ici. Mais ma pauvre téte s'est égarée ; je me suis réfugiée auprěs des seuls amis que j'aie sur la terre. AUGUSTE—Mais enfin quelle est la cause de votre effroi, ma pauvre petite ? BLANCHE—Voici, monsieur. Aprěs votre depart Jolin me parla de pardon, de reconciliation, et me fit les plus brillantes promesses, si je consentais ä 1'épouser. Mon refus 1'exaspéra ; il éclata en menaces ; et ma mere qui ne peut résister ä l'ascendant de cet homme, s'emporta elle-méme contre moi jusqu'ä vouloir me frapper. Ce matin, ä dejeuner, j'appris que Jolin était alle ä Quebec, et ma mere m'annonca que nous devions partir dans la journée pour les Etats-Unis, ä bord d'un yacht ä vapeur, spécialement nolisé ä cet effet par Jolin... Vous jugez de mon épouvante... Je ne sais si je me trompe, mais cet infame a coneu des projets encore plus affreux que ceux qu'il avoue. SCENE III 72 Le retour de l'exile AUGUSTE—Oui, quand il vous tiendra en pleine mer, dans un vaisseau ä lui, conduit par les miserables brigands qu'il a ä son service... Mille pannerees de diables, on s'exposerait au pal lui-meme pour enfoncer un couteau entre la quatrieme et la cinquieme cöte d'un pareil coquin ! ADRIEN—Et vous avez fui... Oh ! merci, Blanche, merci pour cet acte de courage ! BLANCHE—J'ai d'abord supplie, conjure ma mere... Elle n'a pas voulu m'entendre ; et alors, desesperee, folle de terreur, je me suis decidee ä fuir. Je me suis glissee furtivement dans la cour ; j'ai ouvert la grille ; et süre de vous trouver dans cette auberge, je suis accourue pour me mettre sous votre protection. AUGUSTE—C'est fort bien, ma pauvrette ; mais si vous saviez oü nous etions, Jolin doit le savoir de meme. Iis viendront vous chercher ici, et l'autorite d'une mere est toute puissante sur une fille mineure. ADRIEN—Eh bien, alors, hätons-nous ; nous pouvons trouver pour eile un asile sür ä Quebec. AUGUSTE—Oui, et nous serions arretes vous et moi, pour enlevement... Croyez-moi, mon ami, ne donnons pas prise contre nous ä ce vieux matois de Jolin. ADRIEN—Ces considerations ne m'arreteront pas, et si Blanche y consent... AUGUSTE—Elles ne m'arreteraient pas non plus s'il s'agissait seulement de ma sürete. Pour moi maintenant, qu'est-ce que la liberte ? qu'est-ce que la vie ? Mais franchement, Adrien, je vous verrais avec chagrin, vous et cette pauvre petite, fletrir par une demarche qui aurait l'apparence d'une faute, un amour pur et honnete comme le votre. Prenez garde, chers enfants ; en entrant dans cette voie de revoke contre la societe, contre l'autorite maternelle, savez-vous oü vous pouvez etre entraines ?... Je vous etonne je le vois ; vous ne vous attendiez pas ä de tels scrupules de ma part... Mais n'est-ce pas mon devoir de signaler aux autres les ecueils sur lesquels j'ai fait naufrage ? ADRIEN—Cependant, monsieur, les circonstances sont telles... AUGUSTE—Les circonstances ne sauraient justifier une faute ; croyez-en un homme qui n'est pas habitue ä exagerer la morale... N'attaquez pas de SCENE III 73 Le retour de 1'exilé front les regies établies ; un jour vous le regretteriez aměrement. ADRIEN—Mais enfin, il faut prendre un parti. AUGUSTE—Non, Adrien, il faut laisser les choses telles qu'elles sont. Ecoutez ; šije me montre severe envers vous, c'est que je ne voudrais pas vous voir engage dans la voie deplorable oú je me suis perdu ; parce que cette charmante enfant ne doit pas étre malheureuse comme le fut ma pauvre Berthe. ADRIEN—Berthe ? AUGUSTE—Oui ; si vous étiez de Quebec, vous connaitriez probablement, malgré votre jeunesse, ma tragique histoire avec 1'infortunée Berthe de Blaviěre. ADRIEN—De qui parlez-vous, monsieur ? Quel nom avez-vous prononcé ? J'ai mal entendu, sans doute, je... Non, non, c'est impossible ! AUGUSTE—L'auriez-vous connue ? Ce terrible drame a eu trop de retentissement dans la province pour que je doive cacher aucun nom... Je vous le repete, elle s'appelait... ADRIEN—Taisez-vous, monsieur ! AUGUSTE—Mais pourquoi done, au nom du ciel ? ADRIEN—Vous insultez ma měre ! AUGUSTE, se precipitant vers Adrien—Votre měre !... Votre áge ? Par pitié, dites-moi votre áge ! ADRIEN—Monsieur... AUGUSTE—II le faut, Adrien ; il le faut, je le veux... je vous en prie ! ADRIEN—Je suis né le 16 octobre, 1839. AUGUSTE—1839 ! et votre měre s'appelait Berthe de Blaviěre !... Adrien, Adrien, vous étes mon... ADRIEN—Je suis le fils de M. Launiěre, monsieur ! AUGUSTE—Cest vrai, c'est vrai !... Ma pauvre téte se perd : voyons, réfléchissons, récapitulons ces circonstances étranges. Aidez-moi... Adrien, mon... ami. J'ai peur de devenir fou... Oui, c'est cela, votre měre pleurait souvent en vous regardant ; votre pere vous manifestait de la haine... N'est-ce pas cela, dites, n'est-ce pas cela ? ADRIEN—Oui. AUGUSTE—Adrien, votre měre a dů vous parler de sa famille, de son SCENE III 74 Le retour de 1'exilé passé ; eile a dů vous révéler certaines particularités... ADRIEN—Une seule fois ; au moment de sa mort. Elle me fit appeler dans sa chambre, m'embrassa et pleura. Puis tirant de dessous son oreiller un paquet cacheté qu'elle me remit, eile me dit ďune voix éteinte : Mon fils, quand je ne serai plus, tu trouveras dans ces papiers des secrets qui te concernent. Cependant si tu as quelque affection pour ta malheureuse mere, tu ne chercheras pas ä connaitre ses fautes et ses remords... Par respect pour eile, je n'ai jamais ouvert ce paquet. AUGUSTE—Mais oü est-il, ce paquet, mon eher Adrien, ou est-il ? ADRIEN—Dans cette malle. AUGUSTE—Donnez, donnez ! ADRIEN, tirant un paquet cacheté d'une malle et le remettant ä Auguste—Tenez, je crois que vous pouvez connaitre les secrets de ma pauvre mere. AUGUSTE, décachetant le paquet—Plus de doute ! voici cette fameuse contre-lettre signée Jolin ; voici l'acte notarié par lequel j'abandonnais ä Berthe ou ä son enfant le revenu de mes biens. Par haine pour le meurtrier de son frěre, eile n'a pas voulu faire usage de ces pieces... Adrien, Adrien, me crois-tu maintenant ? ADRIEN, se jetant dans les bras—Mon pere ! AUGUSTE—Mon fils !... J'ai un fils, moi, l'aventurier, l'homme sans nom ; le paria des cinq parties du monde ! Oh ! si j'avais su le bonheur qui m'etait reserve, comme j'aurais fui le danger, comme j'eusse été lache !... Mais rien ne m'avait révélé ton existence. Une fois, aux Antilles, je rencontrai un capitaine de navire que j'avais connu ä Quebec ; il me raconta la disparition de Berthe ; il me fit entendre suivant la croyance commune, qu'elle avait attenté ä ses jours. Alors je cherchai le peril avec une espěce de fureur ; je me jetai ä corps perdu dans les entreprises les plus téméraires ; tantót riche, tantót pauvre, je parcourais la terre ne me trouvant bien nulle part, sans but, sans désirs, sans jouissances... Et pendant ce temps, j'avais un fils ! et il est beau, il est bon, il est généreux ! II m'a aimé, il m'a sauvé la vie avant de me connaitre... Oh ! e'est trop ! e'est trop ! (II fond en sanglots.) ADRIEN—Vous ne partirez pas, n'est-ce pas maintenant ? SCENE III 75 Le retour de I'exile AUGUSTE—Partir ? Oh ! non, non ! Te quitter, jamais !... Nous serons heureux ensemble. BLANCHE—Et moi Adrien, et moi, monsieur DesRivieres ? n'aurai-je pas une petite part dans votre joie ? AUGUSTE—Vous ! la jolie tourterelle de mon tourtereau ! Vous la perle jumelle de mon ecrin ! vous partagerez notre bonheur en le completant; vous serez ma fille comme il est mon fils. Je vous reunirai tous les deux sous mes ailes, et je vous defendrai du bee et des ongles, comme la poule defend ses petits... Jesus mein Gott ! triple tonnerre, ma tete se detraque... me voila poule couveuse, a present ! Je ris et je pleure a la fois... Elle est si belle, si douce et si gracieuse, ma fille !... Et mon fils, il est si brave, si honnete, si devoue !... Vous vous aimerez et vous m'aimerez. Quand nous serons seuls, tout seuls, vous m'appellerez votre pere, n'est-ce pas ? Et plus tard vos enfants... Oh ! mais que vais-je dire la, moi ? Ne m'ecoutez pas, tenez, ne m'ecoutez pas. Je delire, j'extravague, et vous ne voudriez pas pour pere de ce fou ridicule qu'on surnommait autrefois la Bourrasque... ADRIEN—Mais, mon pere, ce bonheur dont vous parlez ne pourra jamais se realiser ! AUGUSTE—Qui dit cela ? ADRIEN—Mais vous oubliez done... AUGUSTE—Blanche sera ta femme, entends-tu ? Oui, elle sera ta femme, dusse-je, moi-meme, tordre le cou a ce vieux scelerat de Jolin !... Mais tu ne sais done pas, Adrien ? Cette contre-lettre, nous la possedons maintenant. Tout ce que Jolin a m'appartient... BLANCHE—Mais, monsieur, les prejuges de ma mere contre Adrien... AUGUSTE—Votre mere ? Oh ! ses prejuges ne tiendront pas quand elle verra Adrien immensement riche, et Jolin mine. Soyez tranquille, je me charge de tout... SCENE III 76 SCENE IV LES PRECEDENTS, Mme SAINT-VALUER, JOLIN. JOLIN, entrant avec Mme Saint-Vallier—Ah ! ah ! ah ! La voilä done enfin cette belle princesse fugitive qui vient reclamer l'assistance des chevaliers errants. AUGUSTE—Silence, monsieur ! Vous n'avez aucun droit sur cette jeune fille ; epargnez-vous done les injures et les menaces. Mme SAINT-VALLIER—J'espere qu'on ne me contestera pas, ä moi, le droit de traiter cette sotte creature comme eile le merite... Quitter sa mere et une maison honnete pour se refugier dans un cabaret, avec... AUGUSTE—Madame, si Mile Blanche a fait une demarche imprudente, la faute n'est pas ä eile, mais ä vous. Quand une mere aveugle, au lieu de defendre sa fille, la laisse exposee aux entreprises, aux insultes d'un miserable, il faut bien que la pauvre enfant se defende elle-meme. Mais votre droit est sacre. Reprenez votre fille... Seulement, sachez-le bien, d'autres defenseurs plus clairvoyants veilleront ä sa sürete. JOLIN—Allons, ces messieurs commencent ä mettre de l'eau dans leur vin... AUGUSTE—Jolin, nous sommes moderes, parce que nous sommes forts. Si tu en doutes, regarde ! (II lui montre la contre-lettre d'une main, pendant que de l'autre il empeche Jolin d'y toucher.) Ne bouge pas ; ne fais pas un mouvement, sur ta vie ! A cette distance, tu peux reconnaitre ta signature... Tu sais ce que cela veut dire. Avant vingt-quatre heures, tu me rendras tes comptes. JOLIN—La piece est fausse ; eile a ete forgee par vous. AUGUSTE—Tu diras cela ä l'homme de loi ä qui je vais la confier. Maintenant tu peux partir ! JOLIN—Malediction !... Mais je me vengerai ! (II sort.) Mme SAINT-VALLIER—Mais quel est done ce papier dont il a si grand'peur ? SCENE IV 77 Le retour de 1'exilé AUGUSTE—Madame, c'est un acte en vertu duquel les magnifiques propriétés provenant de ma famille, enfin toute la fortuně de Jolin, n'appartient pas ä Jolin, mais ä M. Adrien Launiěre que voici. Mme SAINT-VALLIER—A M. Adrien !... SCENE IV 78 SCENE V CAYOU, JOSEPTE, LES PRECEDENTS, excepte JOLIN. JOSEPTE, entrant avec Cayou—Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! sainte misere humaine, j'crairai jamais 5a... AUGUSTE—Qu'est-ce que c'est mes bons amis ? JOSEPTE—Imaginez-vous. CAYOU—Laisse-moi parier, Josepte. JOSEPTE—Que John... CAYOU—Que Jolin vient d'etre pris... JOSEPTE—Laisse-moi done parier, Cayou... CAYOU—Par la police. JOSEPTE—Oui, et pis Bertrand, et pis Thibeault... et pis d'autres !... Y disent que c'est tous des voleurs des malfecteurs, des meurtriers... CAYOU—La bände de voleurs du Carouge... il parait que Jolin etait leur chef... Les policemen l'ont dit... Ah ! la crasse !... JOSEPTE—Sainte misere divine ! qui c'qu'aurait jamais cm 5a !... CAYOU—Y viennent de passer, la ; ils les emmenent ä Quebec... AUGUSTE—Laissez-les passer ; c'est la justice des hommes qui precede la justice de Dieu... Eh bien, bonne maman Saint-Vallier, ä quand le mariage de nos enfants ? Mme SAINT-VALLIER—Nos enfants ? ADRIEN—Quoi madame, ignorez-vous que M. DesRivieres est mon... ___ V AUGUSTE—Votre ami, Adrien, seulement votre ami... (A Mme Saint-Vallier.) Cependant voyez comme l'on change ! nos jeunes gens si fiers et si delicats hier, ne rougiront plus d'accepter la donation de tous mes biens quand nous signerons leur contrat de mariage... car nous le signerons bientot, n'est-ce pas ? Mme SAINT-VALLIER—II le faudra bien, puisque decidement M. Launiere merite l'estime et la consideration. AUGUSTE—C'est cela !... Allons, mes enfants, embrassons-nous, et que scene v 79 Le retour de I'exile ca finisse !... (La toile tombe.) SCENE V Ebook PDF Atramenta - Version 1.6 (juin 2011)