CHAPITRE 2 Quelques concepts methodologiques et outils de reference 2.1. La progression 2.T/1 JEvolution du concept La progression1 est l'exemple type d'un concept qui a failli disparaitre, d'une part sans doute sous Tinfluence tres forte du courant Freinet qui se prononcait contre Jes programmes et les progressions, et d'autre part avec la montee en puissance de f approche communicative, mais il a survecu en se complexifiant. La progression etabiit un rapport entre l'apprenant et son objet d'apprentissage. C'est, dit Remi Porquier, «un agencement d'etapes et de contenus» qui «est destine a mettre en osuvre et gerer» la progression de l'eleve2. On peut dire, pour schematiser, qu'on est passe d'une conception lineaire a une conception en spirale et, avec le courant communicatif, a une conception poly-centree, plus complexe, voire, selon Danielle Bailly3, «multidimensionnelle». Le concept de progression est reste traditionnellement tres important jusqu'aux methodologies audio-orales et aux theories SGAV. La conception qui prevalait peut etre qualifiee de lineaire parce qu on tentait d'etager les items selon plusieurs axes: du facile au difficile, du simple au complexe, du semblable au different, du regu-lier a Tirregulier, de futile a f accessoire4. La progression etait centree sur 1' objet d'apprentissage. II s'agissait de definir un parcours dans un champ detetmine de connaissance, surtout la grammaire ou le vocabulaire, dans lequel on pratiquait un decoupage systematise. Le modele extreme de ce parcours est celui de Skinner. Cependant, remarque Daniel Coste5, si «les images classiques de progressions d'apprentissage/enseignement comrne idealement lineaires, continues et homogenes 1 ■ Du latin progredi, signifiant avancer. 2. Porquier R., « Progression didactique et progression d'apprentissage: quels criteres ?», ElA, n" 16, 1974, p. 110. 3. Bailly D., « Failait-il tuer Ja progression en classe de L2 ?», dans Coste D., Veronique D., (coord.), La Notion de progression, Notions en Question n° 3, ENS de Fontenay-Saint-Cloud, Paris 3-Sotbonne nouvelle, 2000, p. 119-131. 4. Vriendt M.-J. et Vriendt S. de, «Pour une conception reaiiste de la progression en didactique des langues», ELA, n° 16, 1974, p. 33-40. 5. Coste D., «Le proche et le propre; remarques sur la notion de progression", dans Coste D., Veronique D. (coord.), La Notion de progression, op. tit., p. 9-21. 185 doivent certes beaucoup, pour ce qui est des langues, ä une determination des conte-nus et des objectifs linguistiques selon les analyses canoniques, les categorisations et les mises en ordre issues des descriptions grammaticales ayant traverse les siedes [...] elles resultent tout autant d'un type d'organisatton scolaire et disciplinaire dont Fideologie a aussi un passe prolongs ». Comme beaucoup de concepts en didactique, la progression a done un lien etroit avec la societe qui la genere. Avec les propositions d'Un niveau-seuil et Fapproche communicative, Fidee qu'il est necessaire que Fapprenant construise Iui-meme ses savoits et ses savoir-faire a profondement modifie la conception de la progression: elle ne pouvait plus etre centree sur l'objet d'apprentissage, mais sur Fapprenant. Or 1'autonomisation progressive de ce dernier relativise en proportion l'importance de la progression Plusieurs auteurs l'admettent pour demarrer les apprentissages mais minimisent son importance tres vite apres le debut du processus d'acquisition: « passe un seuil minimal utilitaire d'acquisition (le niveau 1 par exemple), la progression apparait moins importante », ecrivait Remi Porquier en 19746. Mais, bien qu on soit genera-lement plus attentif a la progression au niveau 1 qu'au niveau 2, certains auteurs de methodes communicatives, comme ceux d'Archipel par exemple, ont meine refute son utilire des le niveau 1. Avec cette methode, Foffre passait en quelque sorte du menu a la carte, comme on dirait en restauration, et la spirale a remplace l'axe comme Symbole de la progression. Dans une telle representation, ecrit Jean-Marie Zemb7, «la distance croissante de la courbe pat rapport ä l'otigine peut symboliser ä la fois la reprise des connaissances anterieures et leur enrichissement par des donnees nouvelles choisies dans le meme domaine». On s'accorde aujourd'hui pour dire que le concept de progression ne concerne pas settlement l'objet d'apprentissage ou Fapprenant: pour Jean-Louis Chiss8, « d'une part existent des principes generaux de selection, d'organisation, de representation d'un objet d'enseignement, et d'autre part, interviennent les variables que constituent par exemple le developpement langagier de fapprenant, les conditions concretes et aleatoires de la situation de classe, ('opposition entre la diversite des apprentissages et la forme passe-partout des manuels et des methodes ». Cette idee avait dejä ete developpee par Louis Porcher9: « une progression pedagogique, ecri-vait-il des 1974, peut etre centree soit sur la matiere enseignee, soit sur Fenseigne, soit sur fenseignant, soit sur l'instrument educatif, soit sur la methode, soit sur l'objectif ä evaluer». II en conclut que le concept de progression ne peut etre que 6. Porquier R., op. cit. 7. Zemb J.-M., «Les deux sens d'une spirale », F.LA, a° 16,'1974, p. 41-49. 8. Chiss, J.-L., «Revendication d'autonomie et horizon de scicntificite en didactique du francais», dans Galisson R., Roulet E. (ed.), Vers une didactique du jraneais, Langue Frangaise, n° 82, mat 1989 p. 44-52. 9. Porchcr I,., «Qui progresse vers quoi?», ELA, n" 16, 1974, p. 6-13. polycentré, c'est-ä-dire qu'il doit étre coneu ä partir de plusieurs centrations. On aboutit done á une relativisation forte de la centration sur Fapprenant. Certe notion de polycentrisme a été reprise récemment par Serge Borg10. Selon lui alors que Fapproche en spirale, liée au courant communicatif, restait malgré tout trěs centree sur la matiěre, le polycentrisme dynamique « permet d'ajuster en fonction d'un systéme éducatif donné les centiations les plus adéquates" ». Cepen-dant, certains auteuts, comme Francine Cicurel12, considěrent que le probléme de «l'articulation entre les paradigmes communicatifs (ou syllabus norionnel/fonc-tionnel) et les unites morphosyntaxiques (ou syllabus lexico-grammatical)» n'est pas encore résolu. Malgré Fapport de certains concepts, comme celui de référentiel, le tappott entre la mise en ordre des elements d'un cours et les objectifs vises reste done largement ä établir dans Fapproche communicative. Avec la perspective actionnelle, on assiste de nouveau, selon Setge Borg13, a une revolution dans la faoon d'aborder la progression. Selon lui, la demarche de Fenseignant s'inverse: il doit ďabord procéder au choix de la täche ä accomplir, puis ä celui de la competence ä travailler et enfin á celui du document necessaire ä la realisation de son objectif. Pour cet auteur, la perspective actionnelle permettrait ainsi de passer d'un syllabus centre sur le «produit» (l'objet ä enseigner) a un syllabus centre sur le « proces », c'est-ä-dire sur la procedure a mettre en ceuvre pour accomplir la táche. Avec la primauté accordée ä la tiche, surtout si on la concoit selon la definition de Robert Bouchard11, on peut cependant légitimement penser qu'on en revient en réalité ä la mise en cause complete de Futilitě d'une progression en classe de langue. 2.1.2. Une proposition de parcours d'appropriation linguistique Mais ä l'heure ou la connaissance de plusieurs langues est une nécessité educative, la progression, voire le curriculum, doivent étre concus a. un niveau plus large: sans doute sur Fensemble de la vie, mais au moins sur Fensemble de la periodě scolarisée, et en prenant en compte non pas une mais plusieurs langues. Compte tenu de ce qu'on croit savoir actuellement sut Fappropriation d'une langue étrangěre, voici 186 1 0. Borg Si, Lit Notion de progression, Didier, Studio didactique, 2001. 11. Borg S., «Pour une lecture polycentrique de la notion dc progression», dans Veronique D., coord., La Notion de progression, op. cit., p. 132-143. 12. Cicurel F., «La progression entre l'arbitraiie et l'utopie raisonnable», dans Coste D. D. (coord.), op. cit., p. 103-1 17- 1 3. Borg S.: « Chronique d:une (r)évolution annoncée dans la progression : la "perspective du Conseil de PEurope», Synergie Brésil, n" 6, 2004, p. 61-72. 1 A. Voir dans cette partie le chapitre 3- Cosce D., , Veronique actionnelle" 187 un modele possible de schéma chrono-didactique ď appropriation de LE pour une personne scolarisée en Europe: - Classes maternelles et premier cycle primaire: éveil au langage. - Second cycle primaire: initiation á une langue étrangěre (niveau Al). - Premier cycle secondaire: développement de la LE 1 {niveaux A2-B1) et appropriation de competences restreintes en une ou plusieurs langues de la méme famille; séjour linguistique. - Second cycle secondaire: perfectionnement en LE 1 (niveau B2); choix ďune LE 2 initiation aux techniques d'autoenseignement; séjour linguistique. - Universitě et aprěs: autoenseignement; éventuellement perfectionnement (niveau C) et choix d'une LE 3; séjour linguistique. 2.2. Des outils de reference Parmi les divers outils qui ont marqué 1'évolution de la didactique du FLE, il en est trois qui, chacun á leur maniěre, peuvent étre considérés comme des moteurs principaux ou des agents essentiels du changement, notamment en ce qui concerne la langue á enseigner ou la conception de 1'enseignement: il s'agit du francaisfondamental, du niveau-seuilet, plus récemment, du cadre européen commun de reference. 2.2.1. Le francais fondamental L'elaboration du francais fondamental s est réalisée au cours de la décennie 1950 sous Fégide de l'Education nationale et á partir des preoccupations initiales de 1'UNESCO. Ce projet a été mis en place pour faire essentiellement face á trois problěmes politiques de la France au lendemain de la seconde guerre mondiale: reconquérir un certain attrait á 1'étranger en diffusant une langue aisée á acquérir, répandre cette langue dans les territoires ďoutre-mer et remédier ainsi aux insuf-fisances de la scolarisation dans ces colonies et, enfin, 1'enseigner á une nouvelle vague ďimmigrants afin de favoriser leur integration. Le programme est remis en 1951 au Centre ďétude du francais élémentaire, charge ďeťfectuer, á partii' ďune analyse de la langue parlée, une base selective dans le vocabulaire et la grammaire pour le premier stade ďun enseignement. Cest ainsi quest né le francais fondamen-taP, «concu comme un instrument efficace pour la diffusion large et rapide de la langue francaisel6». Cest essentiellement á une équipe de linguistes quest confiée cette mission: Aurélien Sauvageot, René Michéa, Emile Benvéniste, Paul Rivenc, 1 5. Le Francais Fondamental Premier degre, publie par ie minist ere de l'Education nationale (Direction de la cooperation avec I'etranger), publication de l'lnstitut national dc recherche et de documentation pedagogiques, Paris, 1959. 16. Le fancais fondamental premier degr#, ibid., p. 7. 188 pour ne citer que les plus connus, vont mettre en place, sous la direction de Georges Gougenheim et sur des bases scientifiques, un francais simplifié qui soit tout aussi efficace que le Basic English", sans étre une langue artificielle ou un francais au rabais, pour une premiére étape de l'apprentissage de la langue. Toutes les méthodes audiovisuelles vont prendre appui sur cette matiěre ainsi délimitée et la progression queues vont instauret respectera les données des listes de frequence établies. L'originalite de cette enquéte resideprobablement dans le fait quelle pone unique-ment sur la langue parlée: considérer le fondement d'une langue dans sa fotme orale était pour le moins particuliěrement audacieux pour 1'époque, ďautant plus que les travaux de Ferdinand Saussure et ceux de Georges Gougenheim n'etaient connus que de quelques spécialistes et que tout le systéme éducatif était tourné vers 1'écrit. Cette prise en compte de 1'oral témoigne d'une premiére demarcation dans la didactique du francais langue étrangěre et du francais langue maternelle, les institutions scolaires favorisant 1'écrit, l'orthographe et 1'enseignement ďun francais plutót soutenu ou corrigeant les écarts de i'oral. Elle soulěve également le probléme de la norme, jusque-lá representee par les references littéraires et, si eile souligne l'existence de plusieurs francais, elle marque nettement la volonte de différencier le francais de 1'oral de celui de 1'écrit. Le corpus de 1'enquéte comprend 163 conversations, aussi naturelles et aussi éten-dues que possible, qui ont été enregistrées au magnetophone dans différentes categories sociales; elles ont été ensuite transerites intégralement et tous les mots utilises dépouillés puis rassemblés dans des listes de frequences. Les résultats de cette étude seront publics sous la forme de deux recueils: un francais fondamental premier degré de 1 475 mots (désormais FF1), puis un francais fondamental second degréis de 3000 mots (FF2). D'apres la liste du FF1, on constate que les mots dits concrets ou utiles sont loin ďétre les plus frequents, mais que ce sont les mots grammaticaux et les verbes, notamment les verbes irréguliers, qui ont une frequence plus importante. Ce fait explique pourquoi, dans les méthodes SGAV, les verbes étre et avoir, bien que plus complexes morphologiquement que d'autres, sont introduits děs les premieres lecons. Au principe de la frequence, les linguistes de l'ecole normale de Saint-Cloud ont ajouté celui de la disponibilitě, lie ä 1'intérét que présentent les notions exprimées par les mots. Pour évaluer le degré de disponibilitě des mots, ils ont eu recours ä la méthode des centres ďintérét. Une enquéte a done été effectuée auprěs ďécoliers 17. Le Basic English, (British American Scientific International Commercial), avec son bagage de 850 mots, puis 1993 suite aux additions successives, ofFrait une grammaire simple et permettait d'acquerir cette langue en ttes peu de temps. Cette entreprise, qui avait fait ses preuves, a conlorte la reflexion dans la presentation simplifiee d'une langue vivante. 18. Le fancais fondamental second degre\ publie par le ministete de l'Education nationale (Direction de la cooperation avec I'etranger), Institut pedagogique national, service d edition et de vente des publications de 1'Education nationale (SEVPEN), 1974. 189 —ue quaue uepaiLemeiiis eioignes; 115 devaient ecnre les zu mots qui leur semblaienr" les plus utiles en fonction des 15 centres d'interet denombres par les membres de la commission: les parties du corps, les vetements, la maison, les meubles de la maison, les aliments et les boissons des repas, la vaisselle, les ustensiles de cuisine, l'ecole et le materiel correspondant, la ville, le village, les moyens de transport, les travaux des champs et du jardinage, les animaux, les jeux et les distractions et, enfin, les diffcrents metiers. On comprend mieux alors l'etrange monotonie des themes et des evenements de la vie quotidienne ancree dans une ideologic particuliere, pour ne pas dire bourgeoise, qui scande les diiferent.es methodes structuro-globales-audiovisuelles. D'une methode a l'autre, les lecons mettent en scene ces centres d'interet dont 1'enquete n'a pas pu eviter 1'importance du lexique descriptif et la presentation des mots sous forme de nomenclatures. Les auteurs1'' du FF1, lors d'un bilan quelque vingt-cinq ans apres, conscients de cet impair, affirment que d'autres centres d'interet, plus lies a des modes de vie ou a. des experiences collectives, ont ete proposes dans les enquetes posterieures menees stir l'espagnol et le portugais. De plus, et tout particulierement pour la premiere generation des methodes SGAV, comme la progression grammaticale et les dialogues des saynetes ont toils ete elabores sous Pegide de la liste de frequence du FF1, la langue vehiculee semble aseptisee. D'ail-leurs, les eliminations ou les rajouts pratiques par les membres de la Commission accentuent I'impression dun francais norme, standard, loin d'un oral representatif tel que pouvaient le suggerer les conditions de 1'enquete, qui souligne ('artifice des echanges des personnages flctifs et de l'hisroire presentee. Le second degre du francais fondamental instaure bien evidemment une progression dans 1'acquisition du vocabulaire et de la grammaire et doit permettre faeces a la langue ccrite. Si elle utilise les resultats des enquetes anterieures, l'equipe du Credif a egalement depouille la langue des journaux et des revues et s'est servie du depouillement de G. Van der Beke20, fonde sur les textes etudies dans les classes (textes litteraires et journaux) et effectue en 1926-1927. Par la suite, le Credif a greffe sur le rronc commun du FF1 et du FF2 divers vocabulaires specialises dans le but de favoriser l'apprentissage de la langue en fonction d'objectifs specifiques. C'est ainsi qua ete realise, pour les apprenants qui entreprenaient des etudes litteraires, un vocabulaire d'initiation a la critique et a I'explication litteraires. C'est ainsi surtout qua etc etabli un vocabulaire general d'orientation scientifique (VGOS)21 destine aux etudiancs se specialisant dans les sciences ou les techniques. 19. Rivenc P., «Le francais fondamental vingt-cinq ans apres », Le francais dans le monde, n° 148, octobre 1979, p. 15-22. 20. Van der Beke G., French Word Book, Mac Millan, 1935. 21. Phal A., Vocabulaire general d'orientation scientifique (VGOS). Part du lexique commun dans iexpression scientifique, Didier, 1976. Lenscmmc uU piujLi, qui iil a cat yds iljiljl mim munui - ■ ---_- vif debat mediatique22, essentiellement dans les annees 1951-1952, et a souleve des declarations intempestives de la part d'ecrivains, de critiques litreraires et de personnalites politiques. Cette attitude passionnelle est somme toute classique de la part des Francais: cet attachement profond a leur langue ou k la representation qu'ils s'en font se manifeste a chaque tentative de reforme mais, parmi les recriminations et les craintes exprimees au cours de la decennie 1950, certaines vont se confirmer et se realiser avec des applications du FF1 et du FF2 sur la litrerature. Les adaptations des ceuvres litteraires vont fleurir avec la methodologie SGAV. Le pi incipe des collections « En franfais facile23 », generalement structurees en trois series (800 ou 1 200 mors, 1 500 mots, plus de 2 500 mots), s'il s'explique par des raisons pedagogiques, repose, cependanr, sur des falsifications ou des mutilations qui pretendent distribuer un enseignement culturel. A souligner que cette pratique perdure a I'heure actuelle comme si ces livrets pouvaient constituer la base d'une bibliotheque ou preparer la lecture des ceuvres integrales, une fois les rudiments linguistiques acquis. Ainsi, la mise en place du francais fondamental a permis de decanter les contenus d'enseignement, de faire face a finflation, notamment lexicale, dans les debuts de l'apprentissage et de mettre en valeur les poinrs linguistiques essentiels, reveles par les principes de frequence et de disponibilite. Mais, malgre les atouts ambitieux et coherents du projet, l'elaboration du francais fondamental n'a pas echappe a certains travers didactiques en contribuant au report de l'ecrit a une phase avancee du niveau 1 dans la methodologie SGAV, en favorisant un enseignement particulier de la civilisation par les centres d'interet et en n'echappant pas aux manipulations de certains concepteurs de materiel didactique. 2.2.2. Un niveau-seuil Les travaux qui ont servi de base aux programmes de I'approche communicative -outre les apports de differents domaines ou disciplines -sont, sans nul doute, ceux qui ont ete reunis sous le titre d 'Un niveau-seuil14. La description d'un niveau-seuil de competence de communication en francais s'inscrit dans le vaste projet, deve-loppe par le Conseil de I'Europe des 1971, d'elaborer des systemes d'apprentissage des langues vivantes par les adultes selon les principes des unites capitalisables; 22. Pour plus d'infot mations, voir Gruca 1-, Les Textes litteraires dans I'enseignement du francais - Etude de didactique comparee, these de doctoral, Grenoble, 1993, t. 1, p. 150-168. 23. Pour une analyse detaillee, voir Gruca I., of. cit., p. 185-199. 24. Coste D., Courtillon J., Ferenczi V, Martins-Baltar M., Papo E. et Roulet E., Un niveau-seuil, Conseil de I'Europe, Haticr, 1976; Porcher L., Huart M. et Mariet H., Adaptation de « Un niveau-seuil» pour des contextes scolaires, Conseil de I'Europe, Hatier, 1979. 190 191 eile s inspire des suggestions de Ihe Threshold Level", étend les premieres applica-tions faites en anglais et systematise les idées esquissées dans Systěmes d'apprentissage des langues Vivantes par les adultes26. Elle va profondément modifier la perspective SGAV et accaparer la reflexion didactique. Cet outil de travail, fruit des nouvelles theories linguistiques, prend en compte ä la fois les diverses composanres de tout échange langagier et la diversité des publics, comme en témoignent ses cinq sections, solidaires les unes des autres. II constitue le noyau dur de la théone communicative et le materiel didactique élaboré doit beaucoup aux operations qu'il propose. Aprěs la presentation des concepts opératoíres de l'analyse et l'illustration de leur fonctionnement, tout un chapitre centre l'apprentissage sur Fapprenant et ses besoins en dressant une typologie croisée entre les cinq grandes categories d'ap-prenants retenues et les cinq domaines relationnels majeurs dans lesquels pourront s'exercer les operations langagiěres. La partie centrale est entiěrement consacrée aux acres de parole et eile est suivie d'une grammaire qui n'enonce pas de regies, mats qui s'efforce, dans une perspective notionnelle, de décrire les réseaux sémantiques sous-jacents aux besoins d'expression dans le domaine grammatical. Le dernier chapitre, «Objets et notions», concepts que Fapprenant peut avoir besoin d'ex-primer ou tout simplement de comprendre ä travers des realisations langagiěres, tépettorie les notions générales comme 1'espace, la durée, l'inclusion et les notions spécifiques comme le restaurant ou la circulation automobile; il définit également le lexique pour les exprimer. Louvrage se termine par un index récapitulatif avec de nombreux renvois, montrant ainsi la complémentarité importante des différents concepts et notions analyses. Le chapitre 2, «Publics et domaines», distingue done cinq grandes categories potentielles d'apprenants: les touristes et voyageurs, les travailleurs migrants et leur famille, les spécialistes et les professionnels qui ont besoin de la langue étrangěre mais qui restent dans leur pays ďorigine, les adolescents en systéme scolaire et, enfin, les grands adolescents et les jeunes adultes en situation scolaire ou universitäre. D'aprěs cette classification, qui invite ä distinguer des sous-groupes et des situations mixtes, il est possible soit de définir un niveau-seuil par rapport ä une catégorie donnée d'apprenants, soit, et ce sera souvent la formule retenue par les coneepteurs de méthodes, de définir « un niveau-seuil qui garde suffisamment de flexibilitě pour répondre ä ce qu'on estime étre les besoins des différents publics inventories, ä charge pour les auteurs de cours ďopérer les adaptations qu'ils jugent utiles en fonetion des apprenants auxquels ils s'adressenr27». La prise en compte de la diversité des publics et la volonte de s'adresser ä une catégorie precise vont 25. Van Ek J. A., The Threshold Level, Conseil de I'Europe, 1975; The Threshold Level for Schools, Conseil de I'Europe, 1976. 26. Trim J. L. M., Richterich R., Van Ek J. A. et Wilkins D, A., Systěmes d'apprentissage des langues Vivantes par les adultes, Conseil de I'Europe, 1973. 27. Coste D., <(Publics et domaines», Un níveau-seuil, op. cit., p. 50. 192 Jetermuiu i uauuim,... —-.____ Page des apprenants (adolescents/adultes), pechent dans le choix des supports- d'apprentissage et dans la progression qu'elles erablissent. A cet inventaire, qui dresse des objectifs d'apprentissage, correspond, dans la perspective d'un niveau-seuil de communication, un repertoire de domaines sociaux dans lesquels s'exercent les activites de parole. Bien qu'il soit delicat de categoriser les circonstances d'usage d'une langue, il est possible, cependant, de les regrouper selon le champ des relations humaines. Ainsi, cinq domaines onr ete retenus: les relations familiales, les relations professionnelles, les relations gregaires, les relations commercantes et civiles et, enfin, la frequentation des medias. Chacune de ces zones est examinee en detail sous differents angles: Statuts determines par le type de relation consideree et roles quelle est susceptible d'entrainer, intentions enonciatives plausibles, categories d'actes de parole qui en decoulent, situations de communication qui la caracterisent et, enfin, champs de reference et notions quelle peut mobiliser. En croisant ces domaines d'activite langagiere avec les differents types de public, il est possible de relever les aspects communs les plus probables et de definir des profils de base identiques ä plusieurs categories. Par exemple, le niveau-seuil esquisse pour repondre aux besoins des touristes et des voyageurs met 1'accent sur les relations commercantes et civiles ainsi que sut les relations gregaires; mais celles-ci peuvent convenir aussi aux eleves, puisque tout projet educatif exige d'assurer l'initiation aux echanges sociaux simples lies ä la survie et de donner des connaissances elementaires sur la civilisation du quotidien; elles peuvent meme occuper une place importante dans l'apprentissage si I'on tient compte de 1'existence des echanges scolaires appeles ä se developper notamment dans le cadre de I'Europe. Ces domaines peuvent interesser egalement les etudiants si I'on prend en compte l'eventualite d'un sejour d'etudes ou d'un stage professionnel. Ainsi, des bases Iangagieres peuvent etre identiques ä plusieurs categories d'apprenanrs et ces pistes tracent un tronc commun et suggerent de ponderer certains domaines d'activite langagiere en fonction d'une analyse plus fine des besoins linguistiques et des objectifs de chaque groupe d'apprenants. Nombreuses sont les methodes de l'approche communicative qui proposeront un reseau de parcours differencies28, resultat des propositions contenues dans le chapitre 2 d'Un niveau-seuil. 28. Archipel (CovLmWon J. et Rajllard S., Didier-Hatier International, ) 982) en est un des exemples les plus reussis: concue, a I'origine, pour les debutants adultes inscrits dans les etablissements d'en-seignement du francais en Grece, cette methode s'adresse, neanmoins, a un public differencie, car eile offre, ä l'interieur de cbaque unite didactique, un nombre important de materiaux extremement diversifies parmi lesquels I'enseignant choisit d'exploiter ceux qui correspondent aux attentes de sa classe; de plus, une fois depasse le niveau du dossier 2, des trajets differents ä travers les diverses unites peuvent etre suivis de manure non lineaire afin de tracer une progression plus adequate et de mieux ajuster, pour un groupe donne, les contenus et les moyens d'enseignement ä la nature des diverses demandes et des objectifs multiples qui sous-tendent l'apprentissage du francais. Dans cet « archipel» de materiaux et d'unites, chacun doit apprendre ä naviguer. 193 COURS DE DIDACTIQUE DU FRANCAIS LANGUE ÉTRANGĚRE ET 5EC0NDE QUELQUES CONCEPTS MÉTHODOLOGIQUES ET OUTILS DE REFERENCE Afin de répondre aux finalités ébauchées par ce cadre, étant donné qu'il s'agit dans tous les cas ďassurer un niveau-seuil de competence de communication et qu'il importe « de dormer ä I'apprenant les moyens de se consrruire une personnalité de sujet parlant dans la langue qu'il apprend, faute de quoi eile lui resterait étrangěre2' », l'inventaire des actes de parole consume une donnée particuliěrement précieuse qui va inspirer en profondeur tous les cours i orientation communicative. Michel Martins-Baltar répertorie l'ensemble des énoncés possibles et les regroupe selon cinq notions: «Intentions énonciatives» qui met l'accent sut la fonction instrumentale de 1'énoncé dans Fénonciation et sensibilise au probléme de Fimplicite, «Actes d'ordre (1)», « Actes ďordre (2) », «Actes sociaux», toutes trois divisées en sous-ensembles et, enfin, «Operations discursives». L'ensemble est sous 1'égide de l'approche pragmatique du langage qui révěle que la langue ne sert pas seule-ment äécrire ou ä raconter, mais quelle sert aussi, et peur-étre surtout, ä faire des demandes, ä donner des ordres, ä porter un jugement, a exprimer des opinions et des sentiments, bref ä effectuer toute une série ďopérations appelées « actes de parole» ou «actes de langage». Cette grammaire de 1'énonciation prend comme point de depart l'emploi de ia langue dans des situations de communication, qui peuvent varier a l'infini, mais qu'un certain nombre de paramětres caractérise: ce sont, ďune part, les aspects socioculturels comme le lieu, les circonstances, le canal utilise, les domaines de reference, le statut social et les caractéristiques des locuteurs, la nature de Facte de Fénonciation et, d'autre part, les aspects psycholin-guistiques comme la finalité de la prise de parole, le degré d'implication de celle-ci ou les röles réciproques assumes pai les interlocuteurs. Toutes ces composantes ont des incidences majeures sur les realisations langagiěres et, děs lors, apprendie une langue étrangěre ne signifie plus simplement acquérii un savoir linguistique, mais savoir s'en servir pour agir dans cette langue et savoit opérer un choix entre différentes expressions possibles liées aux structures grammaticales et au vocabulaire qui sont subordonnés ä Facte que Fon desire accomplir et aux paraměrres qui en Commandern: la realisation. C'est pourquoi, ä Fintérieur d'une tubrique consaerée ä un acte de parole, la troisiěme section d'Un niveau-seuil propose une liste de formulations possibles. Par exemple, pour la rubrique « proposer ä autrui de faire ensemble», dans la sous-rubrique « proposer, suggérer30», on trouve: - Si on allait au cinema ? - On pourrait aller au cinéma. - Si tu veux, on pourrait aller au cinéma. - Si tu veux, on peut aller au cinéma. - Si tu veux, on va au cinéma. - Qu'est-ce que tu dirais d'aller au cinéma ? - (Ja te dirait d'aller au cinéma ? 29. Martins-Baltar M., «Actes de parote», Un niveau-seuil, op. cit., troisiěme section, p. 88. 30. Un niveau-seuil, op. cit., p. 119- li - Tu aimerais aller au cinema ? - Ca te ferait plaisir d'aller au cinema? - Tu aurais envie d'aller au cinema ? - Tu voudrais qu'on aille au cinema ? - Tu veux qu'on aille au cinema ? _ On va au cinema ? Ces variations semblent applicable^ telles queues en fonction ties domaines d'expe-rience et des situations dc communication, car il suffit de puiser celle qui correspond le mieux aux caracteristiques qui definissenc la situation de communication specifique envisagee: la forme et le contenu du message doivent s'adapter aux locuteurs, au lieu, au moment, bref aux circonstances de l'enonciation. Mais il faut se gaider, neanmoins, de certaines simplifications si Fon nc saisit pas la complexite des tapports liant la forme d'un enonce et la valeur de Facte de parole qu'il realise. Un enonce peut etre interprets de diverses faijons et avoir plusieurs valeurs enonciatives. Par exemple, « ca va ?» peut aussi bien servir a demander Favis de quelqu'un qua saluer sans pour autanr etre les deux seules formes possibles pour signifier ces deux intentions. II faut se garder egalement de reduire des acces de parole a leur pure structure syntaxique ou a une forme canonique: par exemple, une demande d'information a la forme interrogative ou Fordre a Fimperatif, car, dans la communication quotidienne, le locuteur francais utilise d'autres expressions qui sont autant de reflets des facettes de sa personnalite et des tapports sociaux et affectifs qu'il encretient avec son locuteur, la presence du sujet parlant dans son discours ctant souvent plus fondamentale que fobjet mime de la discussion. Un niveau-seuil offre done un eventail de variables possibles pour que les utilisateurs puissent construire une veritable grammaire de la communication en fonction des besoins du public et des objectifs d'apprencissage. La grammaire, elle aussi, est conforme a la perspective adoptee pour decrire un niveau-seuil de communication. L'interet majeur de cette grammaire notionnelle, dont les moyens d'expression ont ete inventories d'apres des entrees semantiques et analyses par Janine Courtillon, reside probablement dans la subordination de la forme au contenu a communiquer. L'impact de cette conception sera cependant mineur car, a. 1'exception d'Archipel, qui introduit la grammaire selon une optique pragmatique et semantique ou notionnelle sans evincer Forientation morphosyn-taxique, et dans une cettaine mesure de Cartes sur table11, toutes les autres methodes mainciendront Fapproche classiquc tout en nuancant les inventaires formels tradi-tionnels et favoriseront les exercices de types syntaxique et morphosyntaxique. Concrairement aux travauxmenes sur le francais fondamental, les materiaux proposes par cette nouvelle approche ne presenrent ni un caractere ferme, ni une serie de contraintes ou d'obligations, mais plutot un passage oblige qui offre le choix des parcours a tracer et a operer en fonction des besoins du public vise. Comme le souligne Daniel Coste, « Un niveau-seuil n'a pas ete concu et ne doit pas etre 31. Richterich R. et Surer B., Cartes sur table 1 et2, Hachette, 1981-1983. 194 195 COURS DE DIDACTIQUE DU FRANfAIS LANGUE ÉTRANGÉRE ET SECONDE utilise comme un ensemble complet, [...] parfaitement coherent et intégré. [...] A la fois pléthorique et lacunaire, Un niveau-seuil ne saurait devenir une nouvelle bible prescrivant des contenus á enseigner et á apprendre partout et par tous32.» Cet outil de reference, souvent complexe a manipuler et qui peut derouter plus d'un neophyte, propose un éventail de possibilités pour 1'accěs á une competence minimale de communication et met 1'accent sur les notions ďacte de langage et de besoin et sur la diversité des apprenants. II a oriente les cours, conduit les ensei-gnants, les concepteurs de méthodes, les institutions spécialisées vers la prise en compte de tous les elements qui jouent un role important dans la communication et recentré 1'apprentissage sur 1'acteur essentiel, á savoir Fapprenant lui-méme. Derniěre remarque qui témoigne á la fois de la volonté politique du Conseil de l'Europe pour l'extension des langues vivantes, soit nationales, soit régionales, soit minoritaires, et de la vitalitě et des atouts ďun niveau-seuil de communication tel qu'il a été défini dans les années 1970 : des descriptions de niveau-seuil ont été élaborées pour de nombreuses langues. L'allemand, le basque, le Catalan, le danois, 1'espagnol, 1'estonien, le galicien, le gallois, le grec, le hongrois, 1'italien, le letton, le liruanien, le maltais, le néerlandais, le norvégien, le portugais, le roumain, le russe, le sloveně, le suédois et le tchěque ont fait I'objet ďune specification de niveau-seuil. D'autres langues ont ensuite fait I'objet de ttaduction. Dans tous les cas, on présente des moděles opératoires ou des inventaires pratiques de savoirs et de savoir-faire nécessaires pour parvenir á un niveau-seuil de communication dans la vie quotidienne de la langue étrangěre. Cet outil, qui a favorisé le renouvellement méthodologique, inscrit également le champ de la didactique des langues étrangěres au niveau européen et non plus national comme par le passé avec, par exemple, le francais fondamental. 2.2.3. Le cadre européen commun de reference pour 1'apprentissage et 1'enseignement des langues Suite á un symposium intergouvernemental sur le thěme «Transparence et Coherence dans 1'apprentissage des langues en Europe: objectifs, evaluation, certification", qui s'est tenu a ['initiative du gouvernement federal helvétique en novembre 1991 á Riischlikon, le Conseil de l'Europe a été charge de l'analyse des systěmes éducatifs des divers pays afin de mettre en place un cadre commun de reference pour la description de 1'apprentissage et de 1'enseignement des langues á tous les niveaux. Le but general de ce projet est de fournir une base commune de reference pour la comparaison des objectifs, des méthodes et des qualifications dans 1'apprentissage des langues afin de faciliter la mobilitě personnelle, educative et professionnelle en Europe. TI doit également servir d'instrument de reference pour la coordination des politiques linguistiques des pays membres pour une Europe 32. Coste D., « Un niveau-seuil », dans Le francii dans le monde, n° 126, Janvier 1977, p. 17-22. 196 OUELQUES CONCEPTS MÉTH0DOLOGIQUES ET OUTILS DE REFERENCE ivmltilingue et multiculturelle. Ainsi, l'elaboration d'un cadre commun de reference s'inscrit dans la volonté ďintensifier 1'apprentissage et 1'enseignement des langues, de promouvoir et de faciliter la cooperation entre tous les acteurs de 1'enseignement des langues, de permettre la reconnaissance mutuelle des qualifications en langues et ďaméliorer la comprehension interculturelle dans le monde. Le Cadre européen commun de reference pour 1'apprentissage et 1'enseignement des langues, s'il répond au besoin de transparence et de coherence dans le domaine de 1'enseignement en Europe, ne tend pas nécessairement á l'elaboration d'un systéme unique et standardise, mais cherche á rester ouvert et flexible pour pouvoir étre appliqué á des situations particuliěres qui nécessirent des adaptarions: s'il vise l'exhaustivite, la transparence et la coherence, il entend également répondre aux exigences de la flexibilitě et de la diversité. L'un des objectifs du CECR est bien de stimuler la reflexion de tous les utilisateurs potentiels sur les objectifs et les contenus d'apprentissage quelles que soient les cultures et situations éducatives. La conception de 1'apprentissage ou des emplois ďune langue, développée dans le Cadre européen commun de reference, se situe dans une perspective actionnelle: «L'usage et 1'apprentissage ďune langue, actions parmi d'autres, sont le fait d'un acteur social qui possěde et développe des competencesgénérales individuelles, et notamment une competence a communiquer langagierement, qu'il met en ceuvre, á travers divers types ďactivités langagiéres lui permettant de traiter (en reception et en production) des textes a 1'intérieur de domaines particuliers, en mobilisant les strategies qui lui paraissent convenir á l'accomplissement des riches á effectuer. Cette mise en ceuvre contextualisée des competences individuelles et singuliěrement de la competence a communiquer contribue á les modifier en retour34.» Les expressions mises en italiques par les membres du Conseil de l'Europe définissenr le corps du programme d'analyse et ces concepts sont I'objet d'une etude approfondie. lis mettent en valeur tous les elements qui interviennent dans les usages d'une langue, proposant ainsi une reflexion méthodologique pour renouveler des objectifs d'enseignement et structurer des programmes d'apprentissage, sans cependant prescrire telle ou telle orientation. Le Cadre européen commun de reference se présente done comme un instrument de planification qui fournit des repěres, une base et un langage communs pour la description d'objectifs et de méthodes ainsi que pour revaluation. Il permet done d'elaborer des programmes de langues, des examens, des manuels pédagogiques35 33. Conseil de l'Europe, Cadre européen commun de reference pour 1'apprentissage et 1'enseignement des langues, Projet 1 d'une proposition de Cadre, Cornice de ['education, Strasbourg, 1996; Cadre européen commun de reference pour les langues. Apprendre, enseigner, évaluer, Didier, 2001 (version restruecurée). 34. Cadre européen commun de reference pour 1'apprentissage et 1'enseignement del langues, op. cit., chapitre 3, « Approchc retenue», p. 10. 35. De nouvellcs méthodes s'appuyanc sur les rccherches décrires dans le Cadre européen commun de reference ou mectant en ceuvre les élémenrs de reflexion ont été publiées děs 2001, Année européen ne des langues: Studio 60 et Studio 100 (Lavenne O, Béraid E., Breton G., Canier Y. ecTaglíance O, Didier), Forum 1,2, 3 (Baylon C, CampaA., Mestreit C, Murillo J. etTostM., Hachette). Depuis, toutes les méthodes se réclament du Cadre et s'alignent sur 1'échelle des six niveaux proposée. 197 et des programmes de formation des enseignants. Des scenarios curriculaires diffe-rencies, multidimensionnels et modulaires sont proposes a titre d'exemples et prennent en compte soit la variation des options pour un meme dispositif scolaire soit la reconfiguration des objectifs a l'interieur meme de ce dispositif. Tous les facteurs de 1'expeVience de la pluralite linguistique et culturelle sont envisages et offrent ainsi la possibiltte d'inserer avec coherence l'apprentissage d'une langue a l'interieur d'un vaste curriculum qui prend en charge I'apprentissage ou 1'experience d'autres langues et cultures. Ce decloisonnement ne peut qu'etre benefique a tous les niveaux et dans tous les domaines. En outre, le Cadre europeen commun de reference definit des niveaux de competences36 qui permettent d'evaluer, tout au long de la vie, les competences de chaque appre-nant et de comparer les qualifications obtenues. Les ressources pour la description des outils d'evaluation et les criteres enonces en fonction des differents types d'eva-luation, qui repondent au critere de transparence et d'exhausrivite, autorisent ainsi la mise en place d'une harmonisation dans les certifications et la reconnaissance d'un label international de qualite. Cet instrument permet aux apprenants de se situer et d'evaluer leurs progres par rapport a un ensemble de points de reference. 11 permet egalement aux differenrs partenaires concerned par l'enseignement des langues, qu'ils soient enseignants, administrateurs ou concepteurs de manuels ou de dispositifs d'evaluation, de decrire leurs propres systemes en termes d'objectifs, d'approches, de competences, de pratiques, de finalites et d'evaluations, et ce dans un langage commun. Ces partenaires ont ainsi la possibility de situer et coordonner leurs efforts et de s'in-former mutuellement, mais aussi de concevoit et expliquer leurs choix d'autant plus que de nombreux Guides'7 d'utilisation ou articles d'accompagnement sont prevus et s'adressent a telle ou telle categorie d'urilisateuts: tous consul tables sur le site du Conseil de I'Europe a la rubrique « Division des langues vivantes », ils sont axes soit sur la politique linguistique du Conseil de I'Europe, soit sur les langues de I'education, soit sur les programmes er curriculums, soit sur l'evaluation, soit 36. Pour un descriptif des niveaux defmis, cf. chapitre 2.5.2. 37. Pour n'en citer que quelques-uns; De la diversite linguistique a I'education plurilingue. Guide pour lelaboration despolitiques linguistiques educatives en Europe (2007); Mediation culturelle et didactique des langues (2003); Miroirs et fenetres, Manuel de communication interculturelk (2006); Promouvoir la diversity linguistique et le developpement a I'ichelle des etablissements scolaires (2008); Competence inlerculturelle pour le developpement de la mobiliteprofesswnnelle (2008); Guide pour le developpement el la mise en oeuvre de curriculums pour une education plurilmgue et interculturelle (2010); Les langues a travers le curriculum: travail en reseau et ilaboration de supports pe'dagogiqties dans un contexte international (2000); Manuel pour relier les examens de langue au Cadre europeen commun de reference pour les langues (200 5); Evaluation de competences en langue's el. conception de tests (2002); Guide pour Varticulation entre I'autoevaluation telle que dans le Portfolio europeen des langues et revaluation de competences en langues basee sur le CECR (2008); Guide pour les utilisateurs (2002); Guide pratique du formateur (2002); La dimension plurilingue et pluriculturelle dans la formation des enseignants de langues — Kit de formation (2008) ,■ Preparer les enseignants a I'utilisation du Portfolio europeen des langues (2008); Les technologies de I'information et de la communication et les jeunes apprenants de langue (2006); Du communkatifd I'actionnel: un cheminement de recherche (2014). 198 sur les activites, soit sur la formation des utilisateurs, soit encore sur les outils teclmologiques, soit enfin sur le plurilinguisme et l'interculturalite. par ailleurs, si les parcours scolaires doivent £tre penses etape par etape, ils doivent egalement s'inscrire dans une visee beaucoup plus large. Les experiences personnelles et professionnelles, extrascolaires, mais surtout postscolaires, influent beaucoup sur les divers elements de la configuration linguistique et/ou culturelle. Le projet du Portfolio, permettant d'apprecier les acquis langagiers et les competences pluri-culturelles, permettrait de concilier ces deux domaines de contact de la langue etrangere et d'unir plus etroitement les curriculums scolaire et exisrentiel. II offre la possibility a l'apprenant de gerer ses parcours et de les faire valoir. Le Cadre europeen commun de reference se veut done a usages multiples, souple, otivert, non dogmatique, descriptif et non prescriptif, construit sur la pratique reelle, Isinnovation et les apports de la recherche. II illustre bien les avancees de la recherche europeenne dans le domaine de l'enseignement/apprentissage des langues vivantes. II constitue sans nul doute, dans sa contribution au developpement d'une certaLne conscience linguistique et dans sa promotion du plurilinguisme et du pluriculturalisme, un factcur de changement en matiere d'enseignement des langues dans la planification couvrant la diversite des systemes educatifs et des methodologies. Un tel cadre nest pas sans consequences sut la dynamique de l'enseignement/apprentissage du FLE et il fait date dans revolution de la didactique des langues. Son influence est majeure et il est actuellement utilise dans tous les secteurs educatifs, constituant souvent meme la seule reference objective. 2.2^4. Le Portfolio europeen des langues La resolution sur le Portfolio europeen des langues a ete adoptee lors de laxx' session de la conference permanente des ministres de l'Education du Conseil de I'Europe (Cracovie, 15-17 ocrobre 2000). Le concept est done reconnu a cette occasion, soit neuf ans apres le lancement de l'idee par le Cadre europeen commun de reference et quelques mois avant le debut de 1'Annee europeenne des langues en 2001. Le Portfolio europeen des Ungues'*, elabore en fonction de I'age des apprenants et des contextes nationaux, est un document personnel utilisable par chaque apprenant en langues. II lui permet de developper sa capacite d'apptendre a apprendre et de s'autoevaluei, ainsi que de geter son parcours tout au long de sa vie en y inscrivant ses qualifications et ses autres experiences linguistiques et culturelles significatives. Le portfolio utilise les six niveaux de competences ptesentes dans le Cadre europeen commun de reference. Se presentant comme une carte d'identite linguistique, a la fois 38. II existe de nombreux portfolios qui, respectanc les principes etablis, ont recu ('accreditation du Conseil de I'Europe. En France, pat exemple, les editions Didier en proposent trois: LJortfolio europeen des langues. Lycees, 2001 ; Mon premier portfolio. Primaire, 2001 ; Portfolio europeen des langues. College, 2002. 199 COURS DE DIDACTIQUE DU FRANCAIS LANGUE ETRANGERE ET SECONDE plurilingue et pluriculturellc, il a egalement pour objectif de favoriser la mobility des ckoyens en Europe et de promouvoir la citoyennete europeenne. II comprend trois parties: — une biographic langagiere de l'apprenant: elle a pour objectif de favoriser rim-plication de rapprenant dans la planification de son apprentissage et dans l'au-toevaluation de ses progres dans divers domaines: ecouter, lire, prendre part a une conversation, s'exprimer oralement en continu, ecrire. La grille pour evaluer les competences de communication et les savoir-faire langagiers est celle proposee par le Cadre europeen commun de reference; — un dossier contenant ses travaux personnels representatifs du niveau de performance; — un passeport qui resume la biographie langagiere et recense les qualifications formelles; il donne done une vision d'ensemble des capacites de l'apprenant en termes de competences langagieres dans differentes langues a un moment donne, des cerrifications officielles, des experiences d'apprentissages linguistiques et interculturelles. Le Portfolio europeen des langues possede un fort potentiel pedagogique et, en tant qu'outil d'accompagnement des apprentissages en langues des le plus jeune age, il favorise la construction progressive d'une posture d'apprenant reflexif et auto-nome. II va de soi qu'il vise, en accord avec la politique du Conseil de 1'Europe, au developpement d'une identite europeenne en encourageant la diversire Iinguistique et culturelle et en l'inscrivant dans des parcours de formation et d'autoformation tout au long de la vie. S'il est avant tout au service de l'apprenant, le portfolio, par son minimum de caracteristiques communes a 1'ensemble des Etats membres du Conseil de 1'Europe et au-dela de l'approfondissement de la comprehension mutuelle des citoyens en Europe et du respect des dfversites culturelles, doit aussi permettre de promouvoir la coherence et la transparence des divers programmes de langues et de developper un certain consensus sur les principes et les objectifs de I'enseignement des langues. 2.2.5. Conclusion Ainsi, des etudes significatives ont jout> un role tres important en didactique des langues et ont contribue a introduire des innovations profondes, qui ont progres-sivement evolue a la lumiere de l'experience et des recherches. Le Francais fonda-mental, Un niveau-seuil, le Cadre europeen commun de reference pour I'apprentissage et I'enseignement des langues et le Portfolio europeen des langues ont successivement servi de modeles operationnels pour l'elaboration de nouveaux programmes et methodes. Le developpement d'une approche communicative de I'enseignement des langues, et celui de systemes d'evaluation plus pertinents et transparents, plus aptes a favoriser la libre circulation des personnes et des idees, ont ete concus comme 200 QUELQUES CONCEPTS MÉTHODOLOG1QUES ET OUTILS DE REFERENCE une contribution au plurilinguisme par I'apprentissage d'une plus grande varieté de langues, particuliěrement européennes. Mais le debat sur les différents concepts abordés par le Cadre européen commun de reference n'a pas épargné la didactique du francais langue étrangěre qui a connu, avec la perspective actionnelle, un renouveau dans ses orientations méthodologiques, et il a permis de reconsidérer et de redyna-miser certains principes-clés proposes par les débuts de l'approche communicative. 2.3. Lévaluation Bien quelle s'inscrive dans une tradition d'enseignement propre á chaque pays, revaluation n'en demeurepas moins, dans tous les cas, un rapport central que toute formation instaure entre des objectifs plus ou moins clairement énoncés au depart, determinant un programme de connaissances á acquérir, et des acquisitions dont il faut témoigner ou des competences terminales á constater oificiellement par des instruments considérés comme particuliěrement Sables. Longtemps cantonnée dans son propre domaine et reposant sur un systéme de controle plus ou moins figé, 1'évaluation est devenue, au cours de la décennie 1990,1'une des preoccupations majeures de la didactique des langues étrangěres et, en particulier, du FLE. Elle a connu ainsi, ces derniers temps, des transformations importantes aussi bien dans son esprit que dans sa méthodologie et ses pratiques. Renvoyant naguěre a des notions de sanction ou de selection, quelquefois méme ďexclusion, 1'évaluation est devenue synonyme de progres et elle est concue actuel-lement comme un moyen de guider I'apprentissage, méme si ces deux orientations antinomiques persistent encore dans les representations sociales, voire éducatives. En FLE, depuis la creation des premiers dipiómes DELF et DALF en 1985, au moment fort de l'approche communicative, la reflexion didactique s'est orientée vers les difficultés ďévaluer l'usage authentique de la langue, táche plus delicate que le conttole des structures grammaticales par exemple, car les modalités basées sur 1'évaluation de la performance communicative peuvent faire intervenir la subjec-tivité de l'examinateur. Gommer entiěrement cet aspect lors d'une production orale ou éerite ouverte peut paraitre illusoire. Cependant, de nombreux progres ont été accomplis: elaboration de grilles précises, consignes incluant les modalités d'evaluation, croisement des paradigmes qualitatif et quantitatif, pondération du barěme, etc. L'outillage technique, propose par la docimologie et la psychométrie et qui accompagne bon nombre de dispositifs d'evaluation, renforce cette recherche ďobjectivité. Par ailleurs, la formation des enseignants et des correcteurs, en amont et en aval des procedures ďélaboration des épreuves, autour des concepts de validité, fiabilité et faisabilité, assure une plus grande expertise en matiěre d'evaluation. La plupart des centres d'examens ont du reste une charte professionnelle39 qui 39. Pour une analyse détaillée de la Charte professionnelle élaboréc en 1994 par ALTE (association qui s'est par la suire associée au Conseil de 1'Europe), cf. Noel-Jorhy F. et Sampsonis B., Certifications et outils d'evaluation en FLE, Hachectc, 2006, p. 39-55. 201