Littérature française VI Littérature canadienne française et québécoise Bibliographie Allard, Jacques: Le Roman du Québec. Montréal : Québec Amérique, 2000. Biron, Michel, Dumont, François, Nardout-Lafarge, Élisabeth : Histoire de la Littérature québécoise. Montréal : Boréal, 2007. Delâge, Denys. Le pays renversé. Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est –1600-1664. Montréal : Boréal, 1991. Hledání Ameriky. Antologie současného quebeckého románu (1980-2000). Brno : Host. 2003, doslov Evy Le Grandové a Gaëtana Lévesqua. Kyloušek, Petr. Dějiny francouzsko-kanadské a quebecké literatury. Brno: Host, 2005. Lemire, Maurice et coll., Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec I-VII. Montréal : Fides, 1987-2003 Mailhot, Laurent. La Littérature québécoise. Montréal : Typo, 1997. Mailhot, Laurent, Nepveu, Pierre. La Poésie québécoise. Anthologie. Montréal : Éditions de l’Hexagone, 1986. Marcotte, Gilles (sous la direction de). Anthologie de la littérature québécoise I, II. Montréal : L’Hexagone, 1994. Marcotte, Gilles. Une littérature qui se fait. Montréal : Hurtubise, 1962 (Bibliothèque québécoise 1994). Moisan, Clément, Hildebrand, Renate. Ces étrangers du dedans. Une histoire de l’écriture migrante au Québec (1937-1997). Québec: Nota bene, 2001. Nepveu, Pierre. L’Écologie du réel. Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine. Montréal: Boréal 1999. Rovná, Jindra, Jindra, Miroslav, Dějiny Kanady. Praha: Lidové noviny, 2000. Examen: lecture et exposé de trois romans avec powerpoint (ou recueils de contes) qui va permettre un entretien sur l’histoire de la littérature québécoise Problématique Pour cerner la problématique de la littérature canadienne francophone, il convient de l’insérer dans plusieurs contextes. a) Francophonie Bien que le terme de „francophonie“ soit un terme avant tout politique destiné à donner une apparence d’unité à l’ensemble de 59 États, aussi différents les uns des autres que la Belgique ou le Canada d’une part et le Sénégal ou le Vietnam d’autre part, il recouvre néanmoins une réalité linguistique commune: le français ne s’y trouve pas dans la même situation que dans la France métropolitaine. Par conséquent la langue et la culture que celle-ci véhicule n’a pas le même statut, les deux s’insérant dans un contexte axiologique différent. Le français n’y est en effet qu’une des langues parlées du territoire national respectif. Une situation de bilinguisme, trilinguisme ou polylinguisme y est courante, avec une hiérarchisation des valeurs spécifique de pays en pays. De plus, dans les deux tiers des pays francophones, en dehors de l’Europe, cette situation est le résultat de l’aventure coloniale de la France. C’est aussi le cas du Canada, même si son cas doit être distingué de celui des pays africains ou asiatiques. La différence de la situation linguistique entre la France et les pays francophones se manifeste notamment dans la problématique identitaire. Alors que le français en France est l’instrument „naturel“ de la vie nationale, dans les pays francophones - et au Canada - il habille une autre langue ou bien il est habillé ou entouré d’une autre langue. Le résultat en est l’attention particulière dont la question linguistique est souvent investie. On parle de la „surconscience linguistique“ (Lise Gauvin, Langagement, André Major). Le terme, qui est québécois, traduit bien les efforts qui, dans le combat contre la suprématie anglophone, ont abouti à la loi 101 (1977) sur le statut du français au Québec. b) Problématique identitaire La langue, on le sait structure aussi bien l’individu (Jacques Lacan) que la collectivité (Edward Sapir). Les implications du bilinguisme peuvent être multiples. À défaut d’autres structures identitaires (étatique, politique, etc.) ou à cause de leur caractère incomplet, la langue peut devenir l’élément identitaire majeur d’une minorité, suppléant aux carences dans les autres domaines. D’autre part, on sait que le dynamisme des rapports au sein d’une situation de bilinguisme ou de polylinguisme varie de la diglossie (où la stratification sociale ou autre intervient dans la hiérarchie des langues) au bilinguisme classique. La confrontation des langues peut alors s’avérer inhibitoire, destructrice pour l’une d’elle ou bien elle peut au contraire constituer un enrichissement réciproque. Les enjeux linguistiques touchent alors de façon positive ou négative les valeurs aussi bien les valeurs individuelles (horizon mental, culturel) que celles de la communauté. La vie de Canadiens français est vivement concernée par cette problématique tout au long de leur histoire, notamment depuis 1760, histoire qui apparaît comme une trajectoire conduisant à l’émancipation progressive. c) Problématique culturelle Sur le plan culturel, la problématique linguistique identitaire se combine avec celle de la structuration de l’espace culturel, en particulier avec la question du centre et de la périphérie culturelle. En effet, la littérature canadienne française est par ses origines liée à la France (Paris), d’où elle tirait pendant longtemps ses modèles et dont elle reconnaissait la suprématie. Mais en même temps elle se trouvait confrontée à la culture et à la littérature anglophones du Canada et des États-Unis et à l’attirance forte des centre culturels américains - New York, Montréal anglophone, Toronto, Hollywood. La culture canadienne française reste pendant longtemps plusieurs fois périphérique: par rapport à la France, par rapport à la culture canadienne anglophone, par rapport à la culture américaine anglophone. Elle porte les caractéristiques de la périphérie: subordination à la hiérarchie axiologique émanant des centres qui sont la source des valeurs majeures; retard culturel; discontinuité de la dynamique culturelle interne; instabilité et glissement tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre des centres; mais aussi situation d’un lieu de passage et d’échanges de valeurs. Il ne devrait pas être surprenant de voir les Canadiens francophones considérer leur propre histoire, en s’identifiant à la rhétorique politique de la décolonisation des années 1960 (Parti pris, Liberté), comme celle d’un pays triplement colonisé: Canada - colonie française, Canada - colonie anglaise, Canada - colonie des États-Unis. Les aspirations sont en effet semblables à celle des jeunes pays africains, asiatiques ou sud-américains, notamment en ce qui concerne les liens entre l’émancipation linguistique, identitaire et culturelle. Ce n’est qu’au cours des années 1960 et 1970, suite à la „Révolution tranquille“ qui est une transformation et une émancipation complexe de la société québécoise, que la culture canadienne francophone trouve sa centralité propre en devenant un des foyers mondiaux de la culture moderne et postmoderne. Plusieurs phases peuvent être identifiées dans ce processus d’émancipation linguistique, identitaire et culturelle: - phase „prémoderne“: retard culturel sous l’emprise des modèles importés; recherche du „national“ comme spécificité exclusive d’un milieu renfermé sur lui-même („roman du terroir“; traditionalisme, conservatisme); - phase „moderne“: modernité en tant que contestation du conservatisme et dénonciation de la situation de subordination (sociale, culturelle, etc.); statut de la langue reste préservé (Gabrielle Roy, Anne Hébert, Saint-Denys Garneau); - phase de la „modernité expérimentale“, mais qui n’a pas toutà fait le même rôle que l’expérimentation esthétique dans les cultures émancipées: c’est une dénonciation qui s’étend du domaine social politique et culturel à la langue même; écriture expérimentale „contre la langue“ et contre l’institution littéraire (cf. Hubert Aquin; Marie-Claire Blais, Tremblay); recherche d’un nouveau discours identitaire (collectif); recherche des racines; - phase „post-moderne“: échec de la modernité en tant que voie vers l’affirmation identitaire de la collectivité et l’aboutissement de l’émancipation nationale; blocage de la collectivité; littérature-identité remplacée par une littérature ipséité/altérité; identité racine remplacée par une identité rhizome; langue composite, métissée, „bilangue“ (Godbout, Poulin). d) Problématique terminologique Elle est le point d’intersection et le résumé des aspects évoqués ci-dessus: linguistique, identitaire, culturel. En effet, plusieurs termes sont utilisés pour désigner la littérature qui, sur le territoire canadien s’écrit en français: - littérature française du Canada: le terme reflète la suprématie de la centralité européenne et ne peut guère être utilisé qu’à propos de la toute première phase du développement culturel du Canada; - littérature canadienne française: le terme est souvent appliqué à la situation littéraire jusqu’à la Révolution tranquille en 1960; il est refusé actuellement parce que trop grevé de connotations politiques évoquant le concept d’un Canada uni, réunissant deux cultures majeures - anglophone et francophone; - littérature québécoise: le terme est appliqué à la littérature du Québec devenu au cours des années 1960 et 1970 un véritable centre culturel autonome (Parti pris 1965); c’est l’expression de l’émancipation à la fois linguistique, territoriale (politique) et culturelle et de la suprématie culturelle du Québec dans le domaine francophone; désavantage: exclusion des littératures francophones hors du Québec, réduction de la dimension canadienne et américaine au seul territoire québécois et à la littérature francophone de ce territoire (à côté de l’anglophone, italienne, etc.); cette réduction touche, en les excluant, des auteurs comme Gabrielle Roy ou Antonine Maillet; - littératures acadienne, ontarienne, manitobaine: dénominations recouvrant les auteurs francophones du Canada après 1965 suivant leur appartenance régionale. Périodisation La périodisation que nous allons présenter ici tâche de respecter les données majeures de l’histoire politique et culturelle (linguistique et identitaire). I. Période française: 1534-1760 II. Rupture politique et culturelle: 1760-1837 III. Réveil culturel et littéraire: 1837-1930 IV. Sur la voie de la modernité: 1930-1960 V. Révolution tranquille: de la modernité à la pluralité postmoderne: 1960-1970 VI. Ouverture postmoderne : littérature féministe des années 1970-1990 VII. Littérature migrante : 1980-2000 VIII. « Ensauvagement » : auteurs amérindiens (et québécois) : 1990-2020 I. Période française (1534-1760) Il est difficile de parler d’une littérature proprement canadienne à cette période, car il s’agit, en vérité, d’un des pendants de la littérature française: une littérature coloniale, périphérique. La population, absente jusqu’au début du 17^e siècle, peu nombreuse tout au long des 17^e et 18^e siècles, ne permettait pas en effet le déploiement d’une vie culturelle et littéraire autonome. Les textes étaient destinés en grande partie au public français et européen, mesurés à l’aune de la norme française. Pourtant, la culture québécoise et canadienne moderne revendique cette période comme une époque fondatrice en se reconnaissant dans les auteurs qui, sans se sentir souvent comme Canadiens, surtout dans les premiers temps, apportent le témoignage de leurs expériences. La nouveauté de la matière, pour laquelle les auteurs ne trouvaient pas parfois, de modèles littéraires à appliquer, imprime aux textes des traits particuliers dans lesquels les Canadiens francophones voient les premiers éléments de la différenciation d’avec la France et les premiers fondements de la canadianité. Par ailleurs, certains textes contiennent les thèmes porteurs qui seront développés par la culture canadienne française: thématique indienne, aventure de colonisation, mission civilisatrice, mission évangélisatrice, rêve de la Cité de Dieu (Montréal fondé sous le nom de Ville-Marie). Même si les manifestations culturelles sont liées déjà à la vie des tout premiers colons (Le Théâtre de Neptune de Marc Lescarbot en 1606, la représentation du Cid à Québec en 1646), la vie culturelle ne commence à s’organiser véritablement que dans le dernier quart du 17^e siècle. Grâce à la politique de Jean-Baptiste Colbert et de son intendant en Nouvelle-France Jean Talon (1665-1672) sous lequel la population est portée de 3.000 en 1666 à 8.000 en 1676, cette œuvre de colonisation, basée sur le soutien apporté au développement de l’agriculture et des activités économiques locales, est secondée par la présence des ordres religieux: Récollets, Jésuites, Sulpiciens, Ursulines. Dans leurs écoles (celle des Jésuites est fondée à Québec en 1635), les premières élites locales sont formées. Les villes de l’administration coloniale ‑ Québec, Montréal, Trois Rivières ‑ constituent le cadre des activités culturelles. La situation périphérique se traduit par le caractère incomplet du paysage littéraire: de toute la gamme des genres, peu nombreux sont ceux qui sont présents - récits de voyage, Relations des Jésuites, lettres. Jacques Cartier (1491-1557) Le fameux explorateur est recommandé au roi François I^er par l’évêque de Lisieux grâce à ses expériences antérieures acquises durant une expédition au Brésil. Ses trois voyages en Nouvelle-France (1534, 1535-36, 1541-42) ont donné lieu à trois Récits. Le Récit du premier voyage est publié d’abord en italien - La prima relazione di Jacques Cartier della Terra Nova dette la nuova Francia, trovata nell’anno M.DXXXIII (Venetia 1565, 3^e volume de Ramusio Navigatori e viaggi) - ensuite en anglais, enfin en français en 1598). Le Brief Récit, relatant le deuxième voyage paraît sans nom d’auteur en 1545. On l’attribuait un certain temps à Jehan Poullet, parfois même à Rabelais. Le Récit du troisième voyage a été publié en 1600 en version anglaise d’après un document trouvé vers 1583 et disparu depuis. Jacques Cartier est l’homme de la Renaissance: homme d’action capable de donner à son expérience et son aventure une forme artistique. (Cf. les textes) Samuel de Champlain (vers 1570-1635) Ancien maréchal des logis dans l’armée du roi Henri IV, excellent cartographe, écrivain cultivé, organisateur dévoué, Samuel de Champlain est l’auteur de plusieurs œuvres où il relate ses activités, voyages et découvertes: Des Sauvages ou Voyage de Samuel Champlain, de Brouage fait en la France nouvelle, l’an mil six cent trois (Paris 1603) - description des tribus indiennes Les Voyages et Descouvertes faites en la Nouvelle-France, depuis l’année 1615, jusques à la fin de l’année 1618 (Paris 1619) Les témoignages sur le Nouveau Monde sont rédigé par d’autres personnalités, hommes d’action, explorateurs, colons, administrateurs, sont nombreuses: Nicolas Denys (1598-1688) - colon acadien, entrepreneur; autodidacte, auteur de récits relatant les événements survenus principalement en Acadie, dont le récit sur le jeune Latour qui sera repris dans l’Histoire du Canada de Michel Bibaud d’où Antoine Gérin-Lajoie tirera sa tragédie patriotique (1844). Louis Jolliet (1645-1700) - découvreur du Mississippi Pierre Le Moyne d’Iberville (1661-1706) - soldat, explorateur (Louisiane), aventurier Nicolas Jérémie (1669-1732) - a prospecté les territoires de la Baie d’Hudson. Il a épousé une Indienne que le Conseil souverain de la Nouvelle-France l’a forcé à repudier sous prétexte qu’il n’avait pas l’àge recquis. Il a passé une quinzaine d’années au fort Bourbon comme interprète, directeur du commerce et gouverneur. Il a rédigé la Relation de la Baie d’Hudson. Marc Lescarbot (1570-1642) Historien et poète, avocat, commissaire de la marine royale né à Vervins. Après les études au collège de Vervins et de Laon (grec, latin, droit, littératures anciennes et modernes) il s’établit à Paris où un de ses clients Jean de Biencourt de Poutrincourt l’invite à participer au voyage en Acadie. Il y passe un hiver rigoureux, où la difficile survie de la toute nouvelle colonie d’Annapolis est secondée par l’idée de Poutrincourt de fonder l’Ordre de Bon-Temps qui invitait les colons à agrémenter les loisirs de la société par le concours de repas et des représentations organisées à tour de rôle. C’est dans ce cadre, au retour d’une des expéditions de Poutrincourt que Lescarbot écrit et met en scène Le Théâtre de Neptune (1606). Rentré en France, Lescarbot publie Histoire de la Nouvelle-France (1609) de 877 pages, où sont insérées Les Muses de la Nouvelle-France - 13 courtes œuvres poétiques et le texte du Théâtre de Neptune. Relations Il s’agit des rapports annuels envoyé par les membres des ordres religieux - Récollets, Jésuites, Sulpiciens, etc. - à leurs supérieur européens. Les Relations sont non seulement une source de renseignements précieux sur les événements historiques, sur la vie de la colonie et sur les indigènes, elles sont encore des œuvres littéraires estimables. Les textes, le plus souvent rédigés en latin, ont été très tôt traduits en français pour satisfaire la curiosité du public européen. Pierre Briard (1567-1622) De son séjour dans le Nouveau Monde il rapporte La Relation de la Première Mission d’Acadie. Gabriel Théodat Sagard (avant 1604 - 1650?) - secrétaire privé du provincial des Récollets à Paris, nommé missionnaire en Nouvelle-France, il reste en Huronie de 1623 à 1624. Il publie Le Grand Voyage du pays des Hurons (1632) et Histoire du Canada (1636), où il fait entre autres l’apologie de l’œuvre évangélisatrice des Récollets et proteste contre leur exclusion du pays au profit des Jésuites. Les Relations des Jésuites sont le recueil des rapports annuels des Supérieurs Généraux et missionnaires à leur provincial à Paris, rédigés de 1632 à 1673. Il s’agit donc d’une œuvre collective, mais où on discerne certains auteurs éminents. Paul Le Jeune (1591-1664) - entre chez les Jésuites en 1613 après avoir abjuré le calvinisme, nommé Supérieur Général du Canada, il séjourne à Québec de 1632 à 1649. Jean de Brébeuf (1593-1649) - missionnaire, ethnographe, martyr et patron du Canada. Il séjourne chez les Hurons de 1625 à 1642 et de 1644 à 1649 où il est fait prisonnier par les Iroquois et martyrisé avec son compagnon Gabriel Lalemant. Ses Relations sont importantes pour la connaissance de l’univers religieux et mythologique des Indiens. François Le Mercier (1604-1690) Barthelémy Vimont (1594-1667) Jérôme Lalemant (1593-1673) Pour le 18^e siècle, il faut ajouter à la liste Joseph-François Lafitau (1681-1746) qui a travaillé à la mission de Sault-Saint-Louis de 1712 à 1717. Sa description de la vie et des mythes des Iroquois dans Moeurs des sauvages américains comparés aux moeurs des premiers temps lui a valu la considération de ses contemporains et, plus tard, des encyclopédistes. Son approche descriptive et analytique fait de lui un précurseur des anthropologues modernes (cf. Anthologie, p 241 sqq. „Le calumet du soleil“) Marie Guyard, dite Marie de l’Incarnation (1599-1671) - Ursuline, mystique, née à Tours. Fille d’un boulanger, tôt attirée par la vie spirituelle, elle est néanmoins mariée en 1617 à Claude Martin, marchand de soie. Son mari mort en 1619, elle se consacre à l’éducation de son fils Claude (né en 1618), devenu plus tard un personnage important dans l’ordre des Bénédictins et éditeur de l’œuvre de sa mère. En 1631, elle confie son fils à sa sœur et entre chez les Ursulines de Tours. Ayant accepté de participer au projet de mission, elle s’embarque en 1639 pour la Nouvelle-France. À Québec elle construit le couvent des Ursulines qu’elle destine à l’éducation des jeunes filles des colons et des sauvages dont elle sait attirer les sympathies. Excellente organisatrice, énergique et efficace, elle n’en est pas moins dépourvue d’une vocation mystique. Elle a laissé une œuvre manuscrite de 13.000 lettres, de relations et de cantiques d’où son fils Claude Martin a utilisé 221 lettres pour sa Vie de la Vénérable mère Marie de l’Incarnation (Paris, 1681). Les Lettres ont été également publiées à part (Paris, 1681). Toutefois la plupart de l’œuvre manuscrite a été détruite à la Révolution française. Élisabeth Bégon (1696-1755) - une habitante de Montréal qui échange des lettres avec son genre resté en France. Ce courrier, en plus de la valeur documentaire, possède les qualités littéraires, aujourd’hui appréciées par la critique. Marie Morin (1649-1730) - née à Québec, élevée chez les Ursulines, elle entre à 13 ans chez les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal. C’est sur l’ordre de sa supérieure qu’elle entreprend la rédaction des Annales de l’Hôtel-Dieu de Montréal qui ne seront publiées qu’en 1921. Le témoignage de Marie Morin est précieux car il est représentatif de la première génération liée par leur naissance au pays, comme son frère aîné, le premier prêtre canadien autochtone. Elle exprime donc mieux et façon plus immédiate l’horizon canadien. Marguerite Bourgeoys (1620-1700) - institutrice, mémorialiste et fondatrice des Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, née à Troyes. Entrée en religion (Congréganistes de Troyes), elle a pour supérieure Louise de Chomedey de Sainte-Marie, sœur de Paul de Maisonneuve qui, de passage à Troyes, la persuade de l’accompagner à Ville-Marie - Montréal où elle arrive en 1653. C’est là qu’elle organise une première école pour les jeunes filles et, plus tard, d’autres écoles-missions, en territoire indien. D’origine algonquine, Marie-Thérèse Cannensaquaa, et une Iroquoise, Marie-Barbe Atontinon, sont les deux sœurs indigènes formées par Marguerite Bourgeoys. Vers la fin de sa vie elle rédige ses mémoires: Les Écrits de mère Bourgeoys (publiés en 1964). Marie-Andrée Duplessis de Sainte-Hélène (1687-1760) est une religieuse qui, à 15 ans, arrive de France à Québec où elle travaille à l’Hôtel-Dieu. Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec raconte l’histoire de la communauté des Sœurs Hospitalières de 1636 à 1716. À la différence de Marie Morin, Duplessis est plus ouverte à la sensibilité mondaine. Louis-Armand de Lom d’Arce de Lahontan (1666-1715) - aventurier, soldat, explorateur, issu d’une famille illustre de barons occitans, il vient au Canada à l’âge de 17 ans. Entre 1683 et 1693, il parcourt le continent en participant à des expéditions militaires, d’exploration ou de chasse. Il apprend les langues locales, il apprécie la civilisation indienne. Il doit quitter le pays pour échapper au mandat d’arrêt émis contre lui. Il voyage en Europe avant de publier, en 1703, à La Haye, trois ouvrages qui sont devenus une source d’information sur le nouveau continent non moins importante et populaire que les Relations des Jésuites: Les Nouveaux voyages de M. Baron de Lahontan dans l’Amérique septentrionale Les Mémoires de l’Amérique septentrionale Les Dialogues curieux entre l’auteur et un sauvage de bon sens qui a voyagé L’œuvre de Lahontan, qui a été aussitôt traduite en plusieurs langues. Les Dialogues entre Lahontan et le Huron Adario, qui ont connu 13 éditions en 14 ans, sont une première mise en question de la perspective „européenne“. Cette contestation de la civilisation européenne, exprimée par la voix que Lahontan prête à un personnage indien, a inspiré Voltaire, Swift, Diderot, Rousseau. Lahontan est le précurseur du concept du bon sauvage. Pierre Boucher (1622-1717) - sieur de Grobois, lieutenant, juge royal, gouverneur de Trois-Rivières, fondateur de la seigneurie de Boucherville. Arrivé au Canada à l’âge de 13 ans en 1635, il s’engage pleinement dans l’aventure évangélisatrice et coloniale en devenant l’homme d’action et une des personnalités éminentes de la Nouvelle-France et en s’identifiant avec le Nouveau Monde. Son Histoire véritable et naturelle des moeurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dit le Canada (1664, Paris) exprime déjà un point de vue canadien. La decription du Canada et de ses ressources naturelles, en plus de la fonction informative, est une sorte d’invitation propagandiste à la colonisation. Le 18^e siècle voit l’apparition d’une vie de société dans les deux centres de la colonie française - à Québec et à Montréal. D’une part, la situation démographique s’améliore: la colonie comptera près de 70.000 habitants au moment de la conquête anglaise. D’autre part, les élites sociales veulent recréer, dans les conditions coloniales, l’ambiance à laquelle elles s’étaient habituées en Europe. Les premières tentatives de la vie de société apparaissent toutefois dès le siècle précédent. Elles concernent le théâtre comme nous l’avons vu à propos du théâtre de Neptune de Marc Lescarbot. En 1646, on donne, au magasin de la compagnie des Cent-Associés à Québec Le Cid de Corneille. Plusieurs autres pièces de Corneille sont jouées entre 1646 et 1694. En 1694, un conflit oppose le gouverneur Frontenac à l’évêque de Québec M^gr de Saint-Vallier qui interdit, par un mandement, Le Tartuffe de Molière. L’affaire se termine sur la grand-place de Québec où l’évêque rencontrant le gouverneur le prie d’obéir en lui offrant comme dédommagement 100 pistoles. Même blâmé pour avoir accepté ce pot-de-vin, Frontenac fait annuler le spectacle. Cette victoire de l’Église pèsera néanmoins sur la situation ultérieure, marquée par l’influence de la censure ecclésiatique sur la vie culturelle en général. L’emprise de l’Église catholique sur la société et la culture va se renforcer encore après la victoire anglaise. Mutatis mutandis, elle reste un des traits plus ou moins apparents de la vie franco-canadienne en général. Le théâtre restera cependant une des composantes de la vie culturelle du Canada. Un art provincial fait son apparition. Il faut mentionner les sculpteurs en bois Jacques Leblond de Latour (1671-1715) et François-Noël Levasseur (1703-1794), le peintre Claude François, dit „Frère Luc“ (1614-1685), ou l’orfèvre François Ranvoyzé (1739-1819). Tous sont les représentants du style baroque qui influence aussi le style colonial de l’ameublement. II. Rupture politique et culturelle (1760-1837) La période s’insère entre la conquête anglaise qui trasforme la Nouvelle-France en 15^e colonie anglaise en Amérique du Nord, et le soulèvement des patriotes qui marque le point culminant de la prise de conscience d’une nouvelle classe libérale francophone, porteuse d’une nouvelle identité. La rupture qui suit la défaite sur les Plaines d’Abraham et les clauses du Traité de Paris en 1763, est radicale: les élites - seigneurs, gros négociants, administrateurs, militaires et lettrés - quittent le pays pour rentrer en France. Les membres du clergé et de la noblesse qui choisissent de rester cherchent un compromis avec la Couronne britannique, assuré en matière religieuse et juridique par l’Acte de Québec (1774) et l’Acte Constitutionnel (1791). Toutefois, les Anglais prennent rapidement les léviers de l’économie et de l’administration. Leur nombre s’accroît par la présence de l’armée et des „loyalistes“ refluant des États-Unis. La position de la culture française et du français décline rapidement. Le manque des élites est accentué par la détérioration de l’enseignement. Le collège des jésuites de Québec est fermé en 1759, le séminaire de Québec interromp ses cours entre 1757 et 1765, le collège de Montréal ne dispense un eseignement complet qu’à partir 1790. De plus, l’Église catholique, de peur de voir lui échapper un secteur qu’elle veut maintenir sous son contrôle, s’oppose longtemps aux tentatives de réforme de l’enseignement que l’administration anglaise désire réaliser (1789, 1801). L’analphabétisme augmente, surtout dans les campagnes. L’image du paysan québécois inculte, illetré et soumis à l’autorité du curé, persistera jusqu’au 20^e siècle et ne sera balayé, définitivement, que par la „Révolution tranquille“. Encore en 1839, dans son Report on the Affair of British North America, lord Durham constate: „On ne peut guère concevoir de nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que les descendants des Français dans le Bas-Canada, du fait qu’ils ont gardé leur langue, et leurs coutumes particulières. C’est un peuple sans histoire et sans littérature.“ Le clergé sort renforcé du compromis avec les Anglais. Il est le seul élément francophone organisé institutionnellement. Désormais, la foi catholique et la francité ne feront qu’un au Québec. Le clergé devient le porteur de l’identité nationale québécoise et le foyer des élites nationales. L’importance du clergé a des conséquences positives (organisation, omniprésence), mais aussi négatives. Le clergé français qui accueille dans ses rangs un grand nombre de prêtres royalistes réfugiés au Québec après la Révolution française, est un clergé conservateur. Sa mainmise sur le secteur social (hospices, écoles) et culturel pèsera lourd dans l’évolution de la littérature canadienne francophone. Suite au compromis avec le pouvoir anglais, l’Église catholique ne commence à développer l’enseignement secondaire - sept collèges entre 1803 et 1832 - et plus tard primaire - écoles de „fabrique“, sous le contrôle de conseils paroissiaux (dès 1824). Les écoles laïques, dites de „syndics“, sous le contrôle de l’administration communale n’apparaîtront qu’à partir de 1829. Ce sont les collèges qui forment les nouvelles élites - médecins, juristes, notaires, journalistes, traducteurs qui seront les porteurs de la nouvelle identité - libérale - en 1837 et plus tard. La vie publique est dominée par les Anglais qui forment bientôt la population culturellement majoritaire des deux grandes villes Québec et Montréal. La culture française est repoussée vers les campagnes, dans les couches populaires. La richesse et la qualité de la tradition orale française est un élément important dans la survie de la culture nationale: chansons, berceuses, ballades, complaintes, contes. Le Canada a non seulement conservé un partie du folklore français européen, il l’a encore enrichi de ses éléments propres (couple antithétique curé-diable; éléments de l’histoire nationale). La présence des Anglais a toutefois des aspects positifs, stimulateurs. Ils représentent la modernité à laquelle les francophones sont obligés de s’adapter. Leur dominantion est libérale, imprégnée de germes de démocratie. C’est autour des institutions établies par les Anglais - théâtres, journaux - que la nouvelle culture francophone commence à se définir. Les premiers théâtres s’ouvrent à Montréal en 1804, 1806, 1808, mais leur activité n’est souvent que de courte durée. En 1825 enfin, une grande scène est inaugurée, celle du Royal Theater. Les représentations sont bien sûr anglaises, mais elles sont fréquentées et appréciées par le public bourgeois francophone de Montréal. Des représentations françaises s’organisent: pièces françaises (Molière), mais aussi quelques créations originales, comme celles de Joseph Quesnel (1749-1809), un Français de Saint-Malo naturalisé Canadien grâce à son amitié avec le gouverneur anglais et qui s’installe à Boucherville où il décède en 1809. Joseph Quesnel est l’auteur d’un Traité de l’art dramatique et de 5 pièces dont il faut citer au moins deux: Colas et Colinette, comédie-vaudeville jouée et publiée en 1790, et surtout un court divertissement L’Anglomanie ou le dîner à l’anglaise de 1802 où, sur le mode du Bourgeois gentilhomme, il raille la nouvelle anglomanie des élites françaises fraîches écloses qui veulent s’insérer dans l’administration coloniale anglaise. L’intrigue se joue autour de la visite du gouverneur et de Milady chez M. Primembourg qui ne sait pas quel menu composer, qui inviter, quelle vaisselle choisir pour honorer ses invités: faut-il rester Français ou bien repecter les coutumes anglaises. Il est partagé entre les conseils de son gendre, fonctionnaire sottement soumis au nouveau régime, et ceux de sa mère qui représente la bonne simplicité familiale, de souche française. Ce tableau d’époque met en scène, sous forme amusante, un problème crucial et qui sera repris, forcément, plusieurs fois par la suite: celui de l’entente et de la vie en commun avec les Anglais dominateurs (cf. Jacques Ferron, La Tête du Roi). Quesnel prêche encore la bonne entente des deux „peuples fondateurs“ du Canada. Vu la forte présence anglaise dans les villes, il n’est pas étonnant de constater que le premier journal où paraissent les textes français est un journal bilingue The Quebec Gazette/La Gazette de Québec, fondé en 1764 par deux Américains venus de Philadelphie - William Brown et Thomas Gilmore. C’est un journal officiel dont l’orientation change selon la politique du moment. Bientôt les journaux en français font leur apparition: La Gazette littéraire (1788), organe de l’Académie de Montréal, et comme elle d’inspiration libérale, voltairienne; Le Canadien (1806- 1899; suspendu entre 1825-1831), organe du parti politique patriotique éponyme; La Minerve (1826), journal qui remplace Le Canadien au moment de sa suspension. Le journalisme est non seulement une école politique pour les jeunes élites libérales et souvent anticléricales, mais également une tribunes littéraires. Parmi les grands journalistes, il faut citer Étienne Parent (1802-1874), animateur du Canadien et l’avocat et excellent orateur Joseph-Louis Papineau (1786-1871). III. Réveil culturel et littéraire (1837-1930) L’année 1837 est un moment de crise. Le malaise qui la provoque a plusieurs sources. Dans la partie anglophone - le Haut-Canada (la future province d’Ontario) - il s’agit avant tout des revendications démocratiques (le „Reform Party“ avec, en tête, William Lyon Mackenzie et William et Robert Baldwin), dans le Bas-Canada, le mécontentement est exprimé par les jeunes de la nouvelle élite libérale (notaires, avocats, médecins) qui réclament, au nom de la population francophone, plus de participation à l’exercice du pouvoir politique et économique. Le Parti Canadien (1806) devenu le Parti Patriote tente par la voix de Joseph-Louis Papineau (1802-1874), d’Étienne Parent (1786-1871), de Louis-Hippolyte Lafontaine (1807-1864) d’obtenir des concessions par la voie parlementaire. Le mouvement se radicalise jusqu’à la révolte armée (novembre 1837; bataille de Saint-Denis), vite réprimée. La conséquence en est la mission du lord John George Durham et son fameux Report on the Affairs of British North America (1839) qui servira de point de départ de la démocratisation et de la décolonisation progressive du Canada. De l’Acte d’Union en 1840 on s’achemine à la création de la Confédération Canadienne (Acte de l’Amérique du Nord) en 1867. La société canadienne française et sa culture sont désormais exposées à des facteurs qui d’un côté menacent et compromettent l’identité nationale, mais qui peuvent tout aussi bien la stimuler. Parmi les facteurs négatifs il faut compter la volonté du gouvernement britannique d’assimiler la population francophone. Le statut du français comme langue officielle et la parité des sièges à l’Assemblée législative ne seront obtenus qu’en 1848. Le combat linguistique et culturel réapparaîtra au moment de l’élargissement de la Confédération (soulèvements de Louis-David Riel, question du Manitoba et du Saskatchewan en 1879-80 et 1884-85) et lors des débats sur les réformes scolaires (Manitoba en 1916). Il faut y ajouter la pression économique de l’économie libérale qui joue constamment en faveur de la domination de la langue la plus utile - l’anglais qui représente l’instrument obligé de chacun qui aspire à une carrière. Tous ces facteurs fortifient, chez les francophones, les tendances au repli, à l’enfermement. Dans le contexte canadien cela signifie le renforcement du rôle de l’Église catholique francophone et de son emprise sur la culture. Les facteurs positifs sont les principes modernes que les réformes politiques introduisent: libertés civiles, droits individuels, laïcité. Les ouvertures de la société moderne sont autant des menaces que des défis. Ces tendances modernistes dans la culture ne pourront se manifester que progressivement, à mesure que se constituera un public urbain francophone cultivé, assez nombreux, au sein de la nouvelle bourgeoisie libérale, pour contrebalancer le poids de la masse paysanne dominée par l’Église. Ce n’est que l’alliance des libéraux anglophones et francophones et l’insertion des élites francophones dans le nouveau système économique et administratif du Canada qui sanctionnera, définitivement, la victoire de ses tendances progressistes (sir Wilfrid Laurier, premier ministre de 1896-1911, d’origine francophone). Le poids du clergé, après la défaite des Patriotes en 1837, augmente, car l’Église catholique est, de nouveau, l’interlocuteur tout désigné entre le vainqueur et les vaincus: elle contrôle, directement ou indirectement, tous les niveaux du système d’éducation, elle veille à la pureté des moeurs et de la langue en proposant - tel un agent d’homogénéisation et de sacralisation - un projet à la fois moral et culturel du peuple élu à la souffrance du travail dans la tâche de la conquête des nouvelles terres (colonisation), à l’humilité devant les autorités, à la sauvegarde des vertus chrétiennes, catholiques. Le clergé oriente la littérature vers un discours pédagogique, moralisant. Il s’opose à toutes les tendances littéraires novatrices, tel le roman, jugé pernicieux car incarnant l’aventure individuelle, l’indépendance sentimentale, l’amour, bref le péché. Un journaliste de L’Opinion publique résume, en 1879, la situation: „Les peuples honnêtes n’ont pas de romans“. L’Abbé Henri-Raymond Casgrain (1831-1904), grand animateur des lettres canadiennes-françaises, définit, dans Le Mouvement littéraire en Canada (1866) la mission de la littérature qui doit être „essentiellement croyante et religieuse“. L’Université Laval, fondée en 1852, représente en fait une extension du séminaire de Québec. Le clergé, qui fournit la meilleure part des élites, participe à la formulation des projets littéraires de la Société historique de Montréal (fondée en 1858) et de l’École patriotique de Québec (Joseph-Charles Taché, Henri-Raymond Casgrain, Antoine-Gérin-Lajoie, Hubert La Rue, Octave Crémazie) qui cristallise autour de deux revues - Les Soirées canadiennes (1861) et Le Foyer canadien (1863). Le pôle laïque se constitue notamment autour de l’Institut canadien, fondé à Montréal en 1844. Les batailles les plus rudes se déroulent par la presse interposée. Le représentant des tendances libérales est avant tout le journaliste et essayiste Joseph-Marie-Arthur Buies (1840-1901) auteur de Lettres sur le Canada (1864, 1967, 1884) et de Chroniques (1873). Le centre libéral de Montréal voit, dans les années 1890, la création de l’École littéraire de Montréal (Alphonse Beauregard, Jean Charbonneau, Albert Lozeau, Émile Nelligan). La nouvelle littérature canadienne francophone se définira, progressivement, au sein de la tension dynamique créée par les deux pôles. Une attention particulière doit être consacrée au genre historique, au roman et à la poésie. Histoire Le genre historique fournit un cadre propice à l’auto-réflexion et à la définition de la nouvelle place que la collectivité francophone cherche dans la nouvelle conjoncture historique. Les grandes lignes de la nouvelle mission nationale ont été formulées par François-Xavier Garneau (1809-1866). Issu d’une famille pauvre, quoique de vieille souche poitevine installée au Canada depuis le 17^e siècle, le futur historien ne peut s’instruire qu’en autodidacte en travaillant dans le bureau d’étude notariale d’Archibald Campbell, un Écossais, mécène des beaux-arts et membre de la Literary and Historical Society of Quebec. Son instruction s’achève au cours des voyages aux États-Unis, en Agleterre et en France, dans les années 1830. Il publie des poésies dans les journaux, il est lui-même journaliste. La rédaction de L’Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours (1845-1852, 4 tomes) est aussi une réaction à la nouvelle situation due à la défaite des Patriotes et à la nouvelle constitution (Acte d’Union) de 1840 qui menaçait l’ethnie française de disparition. Si l’inspiration française par Jules Michelet ou Adolphe Thiers est patente, il n’en est pas moins vrai que Garneau a su créer l’image à la fois moderne, libérale, mais aussi tragique et héroïque de la destinée de son peuple. L’aspect moral et l’appel à rester „fidèles à eux-mêmes“ sont devenus les éléments importants du nouveau discours identitaire dont l’œuvre de Garneau a posé la base. Parmi les autres historiens, importants pour l’évolution des lettres, il convient de citer Michel Bibaud (1782-1857) dont l’Histoire du Canada sous la domination française (1844) résonne d’accents patriotiques. L’épisode rapportant le conflit entre le fils et le père Latour, reprise à Nicolas Denys, constituera l’intrigue de la première tragédie canadienne d’Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) Le Jeune Latour (1844). Jean-Baptiste-Antoine Ferland (1805-1865) représente le pôle catholique, non laïque, de l’historiographie canadienne francophone. Orphelin de père, il accède à l’instruction grâce à l’aide de l’abbé Rémi Gaulin. Embrassant la carrière ecclésiastique, il devient enseignant dans différents collèges avant d’être nommé, en 1855, professeur d’histoire à l’Université Laval. Son Cours d’histoire du Canada (1861-1865, 2 tomes), mieux documenté et plus riches en détails sans doute que l’œuvre de Garneau, s’avère moins synthétique. L’histoire du pays y est conçue essentiellement comme un héritage à préserver par l’adhésion aux principes catholiques. Roman Le genre romanesque exploite trois sources d’inspiration: le folkore, l’histoire et l’expérience contemporaine. Les trois sources sont souvent mêlées comme le montre l’exemple de deux auteurs, père et fils, Philippe-Joseph Aubert de Gaspé (1786-1871) et Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé (114-1841). À Philippe Aubert de Gaspé fils revient le prestige du premier romancier francophone du Canada. Jeune journaliste turbulant, en conflit avec la Chambre des députés et Louis-Joseph Papineau, cet aristocrate doit se réfugier en 1836 au manoir de son père où il redige L’Influence d’un livre (1840). L’intrigue, comme l’auteur précise, est puisée dans la réalité - les expériences de la magie noire d’un habitant extravaguant qui, sous l’influence des Secrets du Petit Albert, se met en quête des trésors cachés. Le développement de cette thématique „gothique“ donne lieu, cependant, à une composition relâchée où entrent, sous formes de récits, des éléments folkloriques comme les chapitres „L’Étranger“ ou „L’Homme de Labrador“, le premier étant attribué à la collaboration de Philippe Aubert de Gaspé père. Le livre est mal reçu par la critique de l’époque. L’auteur, obligé de quitter la demeure paternelle après l’arrestation du père, trouve refuge à Halifax chez Thomas Pyke qui l’emploie comme rapporteur à la Chambre des députés de la Nouvelle-Écosse. Malade, il meurt à 27 ans. Philippe Aubert de Gaspé père a eu lui aussi une vie mouvementée. Descendant d’une famille illustre arrivée en Nouvelle-France en 1655 il est apparenté aux plus illustres familles de l’époque (Alison, de Lanaudière). Les études de droit le portent à la carrrière publique où il se montre très actif: membre de la première société littéraire de Québec, membre fondateur de la Banque de Québec (1809), capitaine du premier bataillon de la ville de Québec, intéressé à la vie sportive. En 1816, il devient sherif du district de Québec: mauvais administrateur, il doit se retirer, ruiné, au manoir hérité de sa mère à Saint-Jean-Port-Joli où il demeurera une quinzaine d’années. Accusé de détournement de fonds, il est emprisonné de 1838 à 1841. Ce n’est que plus tard qu’il renouera avec la vie culturelle de Québec en participant aux rencontres du Club des Anciens. Conteur admiré, il est encouragé à rédiger un livre. La publication des Anciens Canadiens (1863) et des Mémoires (1866) lui vaut la faveur du public qui pouvait apprécier sans doute la formule patriotique de l’intrigue sentimentale: l’amitié de Jules d’Haberville, un Français canadien, et de l’Écossais Archibald Cameron de Locheill que l’histoire oppose au champ de bataille, mais qui se retrouvent après la guerre propriétaires des domaines voisins. Alors que Jules épouse la sœur d’Archibald, celui-ci se heurte au refus patriotique de Blanche d’Haberville, digne descendante des héroïnes cornéliennes. Le récit, campé dans la récente histoire du Canada et reflétant un aspect important du débat identitaire, ne constitue pas le seul intérêt du livre. Si l’éloge du bon vieux temps, celui du régime seigneurial d’avant la défaite de 1760, s’engage sur la pente nostalgique qui sera suivie plus tard par Napoléon Bourassa (1827-1916) ou par Joseph Marmette (1844-1895), il ne représente pas la richesse véritable de l’œuvre. L’auteur, excellent conteur, décrit les meurs et les habitudes de la campagne, reproduit le folklore canadien, reprend la veine narratrice des conteurs populaires, ménage une place au récit des aventures vécues par l’homme au sein de la nature canadienne. Pierre-Georges-Prévost Boucher de Boucherville (1814-1894), issu d’une des plus illustres familles canadiennes, avocat de formation, il se consacre à la politique dans la mouvance du Parti Patriote: secrétaire de l’association „les Fils de la Liberté“, il sera emprisonné par le pouvoir anglais après la révolte des patriotes, avant de s’exiler en Louisiane. Revenu au Canada, il poursuit la carrière politique, administrative (greffier du Conseil exécutif de la province de Québec en 1867), scientifique (économie) et littéraire. Publié d’abord en feuilleton (1849-1851), le roman Une de perdue, deux de trouvées (1864-1865) combine le schéma du roman gothique, du roman d’aventures et du roman politique. L’action se situe en Louisiane, aux Caraïbes pour la première partie, et au Canada ensuite où l’actualité politique - la révolte des Patriotes - constitue la toile de fond de la quête de la parenté perdue du protagoniste. Les prises de position libérales de l’auteur se traduisent par les sympathies exprimées à l’égard des esclaves révoltés et des Patriotes conspirateurs. Napoléon Bourassa (1827-1916), peintre par sa formation, retrace dans son roman historique Jacques et Marie (1866) le „grand dérangement“ de 1755 dont avait été frappée son Acadie natale. Joseph-Étienne-Eugène Marmette (1844-1895) combine la verve d’Alexandre Dumas et le goût de l’aventure de Fenimore Cooper: Charles et Eva (1866-67), François de Bienville, scènes de la vie canadienne du XVII^e siècle (1870), L’Intendant Bigot (1871), Le Chevalier de Mornac (1873), Le Tomahawk et l’épée (1877). À côté du roman historique, une autre veine narrative, inspirée par le présent, affirme de plus en plus sa présence. Un des premiers à aborder cette thématique a été Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1820-1890). Après de remarquables études, il devient avocat, puis homme politique qui tout au long de sa vie n’a cessé de cumuler diverses fonctions et charges publiques: député, ministre, président du Sénat. Lecteur passionné de Balzac, il veut donner à la littérature canadienne française une œuvre qui soit une description scentifique de la société. Le roman Charles Guérin (1846-47) apporte une analyse pertinente de la situation de crise que la société québécoise a traversé de 1830 à 1832. L’éducation sentimentale du protagoniste est accompagnée du dilemme lié au choix d’une carrière. Le constat est triste: les jeunes élites francophones n’ont que quatre voies possibles: avocature, notariat, médecine ou prêtrise. Que faire, comment échapper à la cage de cet horizon bouché? Le seul salut possible est l’engagement à la campagne. Le roman, pessimiste, cerne la problématique en partant des positions libérales de l’auteur. La même solution figure également sous forme d’un projet social „clérical“, formulé par le roman du terroir. Un des premiers représentants de cette tendance est Joseph-Patrice-Truillier Lacombe (1807-1863) dont le roman La Terre paternelle (1846) apporte un schéma typologique qui fera fortune: le père accroché à sa terre, la mère fidèle à son devoir social et religieux, un des fils aventurier, l’autre attaché à la tradition familiale, le problème de la transmission de l’héritage aux enfants, le malheur de la vie urbaine opposé au seul salut possible qu’est une vie ordonnée à la campagne. Sinon, la déchéance guette. Cette thématique a été enrichie par Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) par le projet de colonisation des territoires vierges. Le héros romanesque de Gérin-Lajoie - Jean Rivard lui aussi se retrouve devant le dilemme du choix d’une carrière. Conseillé par le prêtre de son village il embrasse la mission de défricheur dans le canton de Bristol. Autour de sa ferme, une église, puis un village surgissent, il se marie, devient maire, plus tard député. La population québécoise s’accroît en évitant la misère et la perdition des villes. Les deux romans Jean Rivard, le défricheur canadien (1862) et Jean Rivard économiste (1864) joignent la méfiance envers la vie urbaine, anglaise, étrangère, à l’idéal de la fidélité aux racines nationales-paysannes, à la foi catholique et à la mission-aventure civilisatrice. Le patriotisme de Gérin-Lajoie découle de ses origines familiales remontant aux premiers colons de Trois-Rivières (1646) et à son grand-père surnommé Lajoie, soldat de l’armée royale française. Ce patriotisme trouve son expression romantique dans la chanson devenue vite célèbre „Un canadien errant“ et sa forme cornélienne dans la première tragédie canadienne française Le Jeune Latour (1844). Le 19^e siècle canadien ne se dégage que progressivement de l’étreinte du roman historique et du roman du terroir. Deux points de repère apparaissent dans ce cheminement. Le premier est le roman Angéline de Montbrun (1882-1882; 1884) de Laure Conan (1845-1924), l’autre et Maria Chapdelaine (1914; 1916) de Louis Hémon (1880-1913). Laure Conan (1845-1924) est le pseudonyme de Marie-Louise-Félicité Angers. Angéline de Montbrun, un roman en partie épistolaire, en partie rédigé sous forme de journal intime, est l’histoire d’un drame personnel (avec un fonds autobiographique) où l’analyse des sentiments, par la sincérité des aveux, a choqué l’opinion de l’époque. Si, pour son aspect sentimental, le roman est encore redevable à la poétique romantique, l’intrigue et la mise en scène du drame intime anticipent l’écriture autobiographique du 20^e siècle. La critique psychocritique y découvre le drame d’un amour incestueux ou homosexuel. Raisonnée par la critique littéraire de l’époque, en grande partie dominée par l’esprit clérical (abbé Casgrain), Laure Conan ne produira plus guère que des romans historiques retraçant les grands moments du passé canadien français: À l’œuvre et à l’épreuve (1891), Jeanne le Ber, l’adoratrice de Jésus-Hostie (1910), Louis Hébert, premier colon du Canada (1912), Philippe Gaultier de Comporté, premier seigneur de la Malbaie (1917). Louis Hémon (1880-1913) est né à Brest, dans une famille d’intellectuels qu’il fuiera après de brillantes études (droit, licence de langues orientales vivantes). De 1902 à 1911, il s’installe à Londres qui lui inspirera plusieurs romans et récits où la problématique sociale ou politique se fondent avec la thématique sportive ou psychologique: Battling Malone, pugiliste (1925), Monsieur Ripois et la Némésis (1950), Colin Maillard (1924), Nouvelles londoniennes (1991). De Londres, il passe au Canada où il vit de plusieurs métiers dont celui d’ouvier agricole dans la région du Lac Saint-Jean. Avant de périr dans un accident de train, il rédige l’œuvre classique de la littérature canadienne française - le roman Maria Chapdelaine. Au delà de la typologie des protagonistes - prétendants de la belle Maria Chapdelaine (coureur de bois, ouvrier émigré aux États-Unis, paysan-défricheur sédentaire), le roman frappe par la grandeur épique des destinées humaines et la vision poétisante de l’austère campagne canadienne, sublimé dans le caractère de Maria. Les traits typologiques deviennent symboles dans lesquels les Canadiens francophones se sont reconnus. Le chef-d’œuvre de Louis Hémon a transformé le roman du terroir en lui imprimant une nouvelle direction, tout en assurant la survie de la thématique rurale jusqu’aux années 1940. C’est en 1909 que l’École littéraire de Montréal fonde la revue Le Terroir. Poésie La poésie qui, à la moitié du 19^e siècle encore, reste à la marge de la dynamique litéraire, devient un des grands enjeux de l’évolution littéraire avec l’apparition des premiers grands poètes au tournant du 20^e siècle. La situation périphérique de la culture canadienne française est une des causes du retard qui frappe la manifestation des nouvelles tendances esthétiques. La sensibilité romantique ne s’impose pleinement qu’après 1850, les autres tendances - l’art pour l’art, le parnassisme, le symbolisme, la décadence - ne pénètrent au Canada français que vers 1900. Toutefois le mouvement s’accélère et la poésie québécoise rattrape le retard, comble vite les lacunes. Elle est secondée par le caractère intégrateur de la sensibilité esthétique du tournant du siècle ce qui permet, comme d’ailleurs à la poésie belge de la même période, d’accéder à la nouvelle modernité au sein de laquelle la présence des éléments "retardateurs" - n’est plus perçue comme une tare, mais un des aspects de la nouvelle synthèse. Avec la décadence et le symbolisme, la poésie, la poésie canadienne française se retrouve de plain-pied avec les grand mouvement esthétiques de l’époque tout en résorbant et son propre passé et les influences décisives, françaises notamment, depuis Lamartine, Musset ou Hugo, jusqu’à Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Toutefois, l’idée de la grande poésie oratoire, patriotique, au service de la collectivité, n’est pas éteinte. C’est là que l’héroïsme baroquisant ou bien les tons élégiaques ou idylliques typiques du préromantisme continuent à résonner pour seconder le sentiment nationaliste romantique. Un des représentants de cette poésie est Louis-Honoré Fréchette (16.11. 1839 Lévis - 31.5. 1908 Montréal), journaliste, homme politique, poète et dramaturge qui s’est plu à se styliser dans le rôle d’un Victor Hugo canadien. Il a exalté le sentiment patriotique dans ses drames Papineau (1880) et Le Retour d’un exilé (1880) aussi bien que dans ses poésies La Voix d’un exilé. Poésies canadiennes (1869) et La Légende d’un peuple (1887). Très appréciées à son époque, ces œuvres cèdent aujourd’hui devant l’intérêt suscité par ses proses: Originaux et Détraqués (1892), La Noël au Canada (1900), Mémoires intimes (1961). Proche de Fréchette par son patriotisme, quoique sur un mode mineur, est le poète Léon-Pamphile Le May (1837-1918), auteur des Vengeances. Poème canadien (1875). La veine poétique "lamartinienne" de Le May et sa sensibilité à la nature trouvent cependant leur meilleure expression dans les tons plus personnels des reueils comme Essais poétiques (1865), Les Épis (1914) et Les Reflets d’antan (1916). Ses romans ou ses pièces de théâtre sont de nos jours presque oubliés. La charnière du patriotisme et de la nouvelle sensibilité romantique et individualiste est un des aspects de la personnalité d’Octave Crémazie (16.4. 1827 Québec - 16.1. 1879 Le Havre). La librarie que lui et son frère Joseph ont fondé en 1844 à Québec est devenue pour 18 ans le centre de la vie littéraire francophone: importateur des livres français les plus récents, Crémazie devient un des agents les plus importants de la modernité esthétique. C’est dans l’arrière-boutique de la librairie de Crémazie que se réunissent les membres de l’École patriotique de Québec qui publiera plus tard les revues Les Soirées canadiennes et Le Foyer canadien. À la suite de la banqueroute, survenue en 1862, Crémazie doit s’exiler en France où il meurt en pauvreté. Sous les accents patriotiques, la poésie de Crémazie cèle une âme romantique sombre et déchirée. Bien que les 34 poèmes de Crémazie, tels membra disiecta, n’aient jamais constitué un recueil, ils représentent les premiers pas de la poésie canadienne francophone vers la modernité: „Chant du vieux soldat canadien“, „Les Morts“, „Promenade des trois morts“. Crémazie s’est révélé également un observateur lucide de la vie littéraire. Les lettres envoyées de France à son ami l’abbé Henri-Raymond Casgrain offrent un regard très critique de la situation canadienne: son caractère périphérique, sa marginalité, son public „épicier“. L’essor de la poésie canadienne française ne vient qu’à la fin du 19^e siècle au moment où les tendances modernistes entrent en syntonie avec la nouvelle sensibilité individualiste qui se développe, notamment, en milieu urbain. C’est Montréal qui prend la relève de Québec comme capitale de la vie culturelle. Après l’Institut canadien (1844), devenu un des premiers points de ralliement des éléments libéraux, modernistes, Montréal assiste, en 1895, à la fondation de l’École littéraire de Montréal qui rassemble les écrivains, les peintres et les journaliste et qui, à partir de 1899 propose des séances de lectures publiques au château de Ramezay, dans le viex Montréal. Parmi les fondateurs, on trouve surtout le journaliste et critique Louvigny de Montigny (1876-1955), le poète Jean Charbonneau (1875-1969), le peintre Charles Gill (1871-1918). D’autres poètes rejoindront le mouvement ou y seront assimilés Alphonse Beauregard (1891-1924), secrétaire puis président du mouvement, René Chopin (1885-1953), Albert Lozeau (1878-1924), Alfred Garneau (1836-1904) et Émile Nelligan (1879-1941). L’École littéraire de Montréal ouvre la voie du modernisme et de l’ouverture aux mouvements esthétique internationaux - Parnasse, symbolisme, décadence. Jean Charbonneau (1875 Montréal - 1969 Saint-Eustache), poète, dramaturge et essayiste, reflète, dans sa poésie, les sentiments décadents du mal de vivre: Les Blessures (1912), L’Âge de Sang (1921). Alphonse Beauregard (5.1. 1881 La Patrie - 15.1. 1924 Montréal) est un poète plutôt méditatif - Les Forces (1912), Les Alternances (1921). - de même que René Chopin (2.4. 1885 Sault-au-Récollet - 28.6. 1953 Montréal), auteur des recueils exprimant l’angoisse existentielle: Le Cœur en exil (1913), Dominantes (1933). Celle-ci se manifeste également dans les vers d’un poète injustement oublié - Alfred Garneau (1936-1904), fils de l’historien et grand-oncle du poète Hector de Saint-Denys Garneau. Ses Poésies ont été publiés à tittre posthume en 1906. La poésie fragile d’Albert Lozeau (23.1. 1878 Montréal - 24.3. 1924 Montréal) est une sorte de journal intime du poète cloué par la maladie au lit et condamné à attendre la mort. Dans L’Âme solitaire (1907) et Le Miroir des jours (1912), une puissante charge émotionnelle, retenue, se cache sous les tons intimistes. Émile Nelligan (24.12. 1879 Montréal - 18.11. 1941 Montréal) est dans doute le plus grand poète de la période. Ses dons poétiques, ses modèles (Baudelaire, Verlaine, Rodenbach, Poe), le passimisme désespéré de ses vers, mais aussi le malheur de sa vie privée ont fait de lui l’incarnation du poète maudit. Il a créé la plupart de son œuvre entre ses 17 et 20 ans, avant d’être interné, en 1899, et jusqu’à la fin de sa vie en 1941, dans un asile d’aliénés mentaux. La poétique du parnassisme et du symbolisme lui a servi pour formuler la version canadienne, originale, du mal de vivre moderne. Ses poèmes ont été recueillis dans le volume Émile Nelligan et son Œuvre (1903). Parmi les poètes qui ont côtoyé l’École littéraire de Montréal, il en faut signaler deux dont l’œuvre se place sous le signe du culte de l’art, de la beauté, de la difficulté. Le premier est René Chopin (2.4. 1885 Sault-au-Récollet - 28.6. 1953 Montréal). Étudiant en droit, il rencontre, à l’Université de Montréal, Paul Morin qui l’encourage ses poèmes au National. Devenu notaire, il part pour Paris, où il suit des cours de musique, et pour Rome. De retour au Canada, il pratique le notariat tout publiant ses critiques au Devoir et ses poésies à l’Action, au Nigog, à la Revue Moderne. Son œuvre est succinte, mais touffue et riche: Le Cœur en exil (1913), Dominantes (1933). Les thèmes majeurs: incompréhension, marginalisation du poète, ostracisme, inquiétude, angoisse existentielle. Paul Morin (6. 4. 1889 Montréal - 17. 7. 1963 Beloeil) opère par son œuvre une importante ouverture thématique de la poésie québécoise. Cet homme cultivé, diplômé de droit et docteur ès lettres (Sorbonne 1912), est tour à tour professeur, avocat, secréatire, traducteur, rédacteur. Il nie les difficultés de la vie par son dandysme qui choque la société étriquée de son temps. La poésie - aux tournures précieuses, subtilement ironiques, aux sujets exotiques qui contrastent avec l’horizon borné des Québécois - est pour lui un terrain de fuite devant le quotidien et les basseses de la vie: Le Paon d’émail (1911), Poèmes de cendre et d’or (1922). Morin est le représentant le plus important de l’art pour l’art canadien français. Guillaume Lahaise (1888 Saint-Hilaire -1969 Montréal), publie sa poésie sous son nom de plume Guy Delahaye. Après des études de médecine à Montréal et à Paris, il se spécialise en psychiatrie. Nommé médecin aliéniste à l’Hôpital Saint-Jean de Dieu, il soignera Nelligan. Après avoir collaboré à plusieurs œuvres collectives (L’Aube, L’’Encéphale), il fonde en 1910 un cercle littéraire - le Soc. Comme son ami René Chopin, il publie deux recueils - Les Phases (1910), Mignonne, alllons voir si la rose (1912) - avant de se tourner vers l’étude de l’hébreu et le mysticisme - L’Unique voie à l’unique but, Immaculée conception (1934). Sa poésie, notamment celle qui prend la forme dialoguée, cherche la prise directe avec la réalité qu’elle élève au niveau symbolique. IV. Sur la voie de la modernité (1930-1960) Avant de passer au domaine littéraire, il convient de rappeler les facteurs externes qui ont contribué à la dynamique culturelle. L’évolution sociale du Canada est étroitement liée à son essor économique. Le Canada n’a pas connu l’intensité du développement orageux des années 1920 - les années folles, comme son voisin les États-Unis. La continuité domine, l’espace canadien, trop vaste et moins peuplé, offre toujours encore des possibilités de développement extensif. En effet, la fin du 19^e siècle et le début du 20^e siècle sont caractérisés, à l’ouest, par l’effort de la mise en valeur des prairies et, à l’est, par l’industrialisation qui ne touche davantage que l’Ontario. Au Québec, ce n’est que Montréal qui connaît un véritable développement à l’américaine, l’essentiel de la société québécoise francophone restant toujours encore rattaché à son horizon rural. La véritable rupture ne survient qu’avec la grande crise économique de 1929, aux conséquences catastrophiques. La crise signale la faillite des modèles traditionnels, fait surgir de fortes tensions idéologiques. D’autre part, elle accélère la modernisation de l’industrie et de l’agriculture. Sur le plan social, elle décompose l’ancienne société rurale, elle intensifie l’urbanisation. Sur le plan politique, elle force le gouvernement à adopter de nouvelles approches: participation de l’État et son intervention dans l’économie (new deal) et le domaine social (lois l’assurance-maladie, l’assurance-chômage, retraites, soins médicaux, scolarité). Au Québec, la décomposition du monde rural et l’industrialisation accélérée renforcent, dans un premier temps, jusqu’en 1960, la domination de l’élément anglophone. Pour les masses paysannes, c’est le passage du monde rural - autonome, replié sur ses habitudes et son univers francophone - au monde de la ville où les ouvriers salariés se retrouvent dans une position de subordination face à une classe d’entrepreneurs, en majorité anglo-saxons. La conflictualité sociale est doublée ainsi d’une stratification et d’une hiérachisation socio-linguistiques. Face à cette situation, le gouvernement conservateur du premier ministre québécois Maurice Duplessis (1936-1939; 1944-1959) adopte une attitude de duplicité. Sur le plan économique, il favorise la modernisation accélérée en se comportant en vrai patron autoritaire. Dans les autres domaines, le même autoritarisme joue en faveur de la fermeture sociale et idéologique et de la conservation des valeurs jugées traditionnelles: famille, religion, patrie. La tension crée, à la longue, dans les élites aussi bien dans la population, un climat qui sera caractérisé comme la „grande noirceur“. Le cadre idéologique de la culture canadienne française a été longtemps dominé par le modèle défini par l’abbé Henri-Raymond Casgrain (Mouvement littéraire en Canada, 1866) qui veut que la littérature canadienne soit „grave, méditative, spiritualiste, religieuse, évangélisatrice comme nos missionnaires, généreuse comme nos martyrs, énergique et persévérante comme nos pionniers“. C’est la conjonction de la voie religieuse et nationaliste. La voie de la littérature, selon Casgrain, „est tracé d’avance: elle sera le miroir fidèle de notre petit peuple“. Ce modèle a été indirectement mis en question par l’École littéraire de Montréal. Cependant le poids, à la fois de responsabilité, de fermeture et d’horizon bouché, continuera à peser sur les générations suivantes d’autant plus que les transformations économiques, sociales et culturelles mettront en évidence la caducité de ce cadre idéologique emprisonnant l’individu au sein d’une société étriquée, autoritaire et bornée - celle que Duplessis entendait perpétuer. Le sociologue Fernand Dumont, dans La Vigile de Québec (HMH, Montréal 1970), caractérise la situation de 1930: „Avec une terrible angoisse, la génération de Saint-Denys Garneau a pris conscience qu’elle appartenait à un peuple confronté depuis toujours à son obscurité et incapable de la nommer.“ Revues À défaut d’une structure éditoriale solide autonome, qui pût donner à la littérature canadienne-française une assise indépendante de l’édition française européenne et de l’édition anglophone, la dynamique littéraire trouve son appui principal dans les revues. Les tendances modernistes se manifestent dès la fin du premier conflit mondial qui fut, pour certains intellectuels canadiens-français une occasion de mieux connaître les milieux des avant-gardes européennes. Une revue moderniste importante est fondée en 1918 - Le Nigog. Le titre de la revue est significatif: le terme indien désigne une sorte de harpon, arme et instrument de pêche. La modernité canadienne se veut donc autochtone, imprégnée qu’elle est d’un sentiment d’identité nationale, mais elle se désigne aussi comme une arme tournée contre les conservateurs et un instrument devant apporter la nourriture de l’avenir. L’esprit de modernité se reflète jusque dans la composition de son équipe rédactionnelle qui regroupe les écrivains - Marcel Dugas (1883-1947), Jean-Aubert Loranger (1896-1942), Robert de Roquebrune (1889- ????); les peintres - Fernand Préfontaine, Ozias Leduc; le musicien Léo-Paul Morin. L’aventure du Nigog n’est que de courte durée, car la plupart des artistes ont préféré retourner en France où ils trouvaient une ambiance plus propice à leur épanouissement. Néanmoins leurs activités canadiennes ont soulevé une polémique importante entre les „exotistes“, comme on les désignait, et les „régionalistes“ dans les rédactions du Devoir (1910), Du Pays laurentien (1916), Du Terroir (1918), de L’Action française (1917), distincte de celle de Charles Maurras en France, mais proche d’elle par l’esprit de son animateur - le grand historien nationaliste, mais aussi écrivain et essayiste Lionel Groulx (1878-1967). La crise économique ébranle la base de la société canadienne au point d’instaurer la question d’un nouveau contrat social. Le Canada n’évite pas l’influence de l’extrémisme de gauche et de droite. Ce dernier est cependant le plus fort. Héritière d’un nationalisme conservateur, la revue Vivre (1934-1935), fondée à Québec par Jean-Louis Gagnon (1913), attaque, en même temps que les institutions démocratiques et parlementaires, le grand capital international jugé responsable de la crise économique. La revue regroupe les intellectuels nationalistes et compte parmi ses collaborateurs Lionel Groulx et Olivar Asselin (1874-1937). Certains intellectuels se montrent proches des idées maurassiennes, d’autres admirent les fascismes européens et sont partisans d’un État libre, corporatif, sous une direction autocratique. La modernité et le renouveau intellectuels sont toutefois davantage liés à la revue La Relève, fondée en 1934 et devenue La Nouvelle Relève en 1941. La rédaction est animée par le prosateur, romancier et essayiste Robert Charbonneau (3.2. 1911 Montréal - 26.6. 1967 Saint-Jovite). La revue s’inspire du néo-thomisme de Jacques Maritain et du personnalisme d’Emmanuel Mounier qui collaborent à la rédaction. Ce contact direct avec la modernité française se reflète dans la qualité des polémiques, des articles de critique littéraire et de réflexion politique, confiés à de jeunes auteurs comme Anne Hébert (1.8. 1916 Sainte-Catherine-de-Fossambault - 22.1. 2000 Montréal), Roger Lemelin (7. 4. 1919 Québec - 16. 3. 1992 Saint-Augustin-de-Desmaures), Yves Thériault (28.11. 1915 Québec - 20.10. 1983 Joliette). La nouvelle génération admire les auteurs français qui sont perçus comme des chrétiens non-conformistes: Charles Péguy, Georges Bernanos, François Mauriac. La position personnaliste permet d’enrayer le monolithe de la pensée conservatrice, qui fut, au Québec, collectiviste à la fois par son nationalisme et sa foi chrétienne. L’accent est mis désormais sur les valeurs individuelles et sur le dépassement, par le spirituel, du malaise social, conçu comme un avatar temporel (accidens) du malaise existentiel inhérent à la condition humaine (universale). Un essai de Robert Charbonneau Connaissance du personnage (1944) explique les objectifs de la littérature à laquelle il assigne une fonction métaphysique: „exprimer l’être“, la vérité de l’homme au-delà de son milieu et de son corps. Les nouveaux intellectuels groupés autour de La Relève sont porteurs du nouvel humanisme chrétien formulé notamment par les jésuites. La résonnace de la revue est renforcée par le fait qu’en 1938 une nouvelle faculté, celle des Sciences sociales, est fondée par le Père Georges-Henri Lévesque à l’Université Laval à Québec en 1938. C’est ici que sont formés les économistes, sociologues et les politologues de la Révolution tranquille qui s’imposeront définitivement en 1960. Sur le plan littéraire, La Relève servira de tremplin à la nouvelle génération qui veut briser le carcan idéologique nationaliste et clérical en visant, comme critère dominant, la qualité esthétique. Elle sera aussi le point focal autour duquel cristallisera l’idée d’une littérature canadienne autonome que Robert Charbonneau défendra, dans les poémiques qui dureront de 1946 à 1947, et que Robert Charbonneau présentera sous forme d’un recueil d’articles intitulé La France et nous (1947). La polémique a opposé essentiellement La Nouvelle Relève aux Lettres françaises, notamment à Georges Duhamel, Jean Cassou, Stanislas Fumet, François Mauriac, Louis Aragon. L’enjeu de la polémique est en partie politique, car on reproche aux Canadiens Français de publier les écrivains français „épurés“ et collaborateurs comme Pierre Drieu La Rochelle ou Robert Brasillach. L’autre partie de la polémique jette le doute sur la qualité esthétique et l’existence même d’une littérature autonome au Québec, car les auteurs et critiques français sont convaincus que la littérature canadienne francophone n’est qu’une annexe de la littérature française. La querelle sera une occasion pour les Québécois d’affirmer clairement, et sur la scène internationale, leur autonomie institutionnelle et esthétique. La deuxième guerre mondiale a favorisé la situation en ce sens. Les milieux intellectuels canadiens sont renforcés par le retour de ceux qui jusque là avaient préféré l’Europe. La culture canadienne française entre aussi en contact immédiat avec les Français réfugiés soit aux États-Unis, soit au Canada. La guerre, qui a coupé la voie de l’approvisionnement européen en livres, a donné le feu vert aux éditeurs locaux. L’édition canadienne française (Beauchemin, Granger, Fides) se développe en permettant aux auteurs canadiens de mieux s’exprimer, voire de s’imposer sans passer par le tamis parisien. Ce sera l’ascension de Gabrielle Roy, Roger Lemelin, Alain Grandbois, Yves Thériault etc. Le développement de l’édition stimule également le développement de la critique littéraire dans la presse quotidienne qui introduit les pages littéraires - Le Canada (1943), La Tribune (1945), Le Devoir (1948). La critique dans les journaux est en retour un facteur publicitaire puissant qui stimule en retour et la production littéraire et l’impact des revues littéraires spécialisées. Certaines d’entre elles sont directement liées aux maisons d’éditions: Les Idées (1934; Éditions du Totem) d’Albert Pelletier, La Nouvelle Relève (1941; Éditions de l’Arbre), Amérique française (1944; Société des Éditions Pascal), Lectures (1946; Fides). Même si, après 1945, qui marque le retour des éditeurs français sur le marché canadien, plus de douze maisons d’éditions cessent de publier, la situation est désormais irréversible. La littérature canadienne française est institutionnellement autonome. Le fait est confirmé par la continuité des années 1950, inaugurées par l’apparition de la Cité libre, une revue fondée par Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier et qui remplace La Nouvelle Relève (disparue en 1948). La Cité libre hérite des tendances catholiques progressistes formulées par le personnalisme, d’autre par elle insiste sur l’ouverture et la modernisation de la société. En ce sens elle contribue à la pénétration des idées liberales du centre-gauche qui mèneront à la Révolution tranquille. Sa prise de position dans l’affaire de la grève d’Asbestos (1949; article fondamental de Trudeau „La grève de l’amianthe“ est de 1956) en fait une tribune pour la dénonciation de la „grande noirceur“ de la politique de Duplessis. Politique et sociologique, la Cité libre jouera moins un rôle littéraire que celui du point de repère dans la prise de conscience des intellectuels canadiens français. Sur le plan littéraire, cette fonction revient à la revue Écrits du Canada français (1954) qui regroupe un large éventail de tendances et d’idées: Robert Élie (1915-1973) et Claude Hurtubise avaient été de la première rédaction de La Relève, Jean-Louis Gagnon avait dirigé Vivre, Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier dirigent la Cité libre, Gilles Marcotte (1925), jusque-là critique au Devoir. L’ouverture d’esprit et la variété de la revue n’est pas son seul avantage. Le principal atout est le rôle d’éditeur que la revue assume en publiant même des textes longs - romans, pièces de théâtre. En cela, elle se rapproche d’une maison d’édition qui est à la fois un groupe de poètes - les Éditions de l’Hexagone (1953). Si le nom reflète le nombre des six fondateurs du groupe, le rôle principal revient à Gaston Miron (8. 1. 1928 Sainte-Agathe-des-Monts - 14. 12. 1996 Montreal) et Olivier Marchand (1928), co-auteurs du recueil Deux sangs (1953). L’Hexagone aura une grande importance, notamment dans le développement de la poésie. Les Écrits du Canada français et l’Hexagone ouvrent la voie aux revues qui ont marqué l’effervescence des années 1960 - les revues Liberté (1959) et Parti pris (1963). Poésie La poésie des années 1930 et 1940 se développe pour une bonne part sous le signe du spiritualisme chrétien, notamment du pesonnalisme. C’est le cas de trois grands esprits créateurs - Alain Grandbois, Hector de Saint-Denys Garneau et Rina Lasnier. La quatrième grande figure poétique Claude Gauvreau, esprit moderniste et tourmenté, sans liens marqués avec la tradition catholique, déborde dans le domaine du théâtre. La transformation de la poésie concerne deux aspects les plus importants: l’application de la versification moderne, c’est-à-dire du vers libre, et la libération de l’imagination. La poésie canadienne française se dégage des règles de la rhétorique qui jusqu’alors constituaient le cadre obligé. Au Québec, plus qu’ailleurs, cette double démarche libératrice contenaient une implication „idéologique“, celle d’„échapper au contrôle“: de la régularité normative (donc collective) au profit du principe créateur individualisé, de la conscience au profit de l’inconscient, de la morale établie au profit de l’épanouissement individuel. Hector de Saint-Denys Garneau (13.6. 1912 Montréal - 24.10. 1943 Sainte-Catherine-de-Fossambault), poète et peintre, est l’arrière-petit-fils de l’historien François-Xavier Garneau, le neveu du poète Alfred Garneau et le cousin de la grande femme-écrivain Anne Hébert. Après avoir remporté des premiers prix dans des concours de poésie, il fréquente l’École des Beaux-Arts. Atteint d’une lésion au cœur, il doit abbandonner ses études en 1934. La même année, il s’associe à Robert Charbonneau, Paul Beaulieu et Robert Élie, ses amis et condisciples du collège des jésuites, pour fonder La Relève, où il signe des chroniques sur les Beaux-Arts et des articles de critique littéraire (1934-1937). En 1937, il publie Regards et Jeux dans l’espace. Sa période créatrice n’est que de courte durée. Après un séjour de trois semaines à Paris (1937), il se retire, peu à peu dans une solitude aggravée par des crises de dépression. Il vit sa révolte poétique comme une contradiction insoluble, ce dont témoignent son Journal (1954) et sa correspondance - Lettres à ses amis (1967). La publication complète de la poésie de Saint-Denys Garneau est publiée par ses amis Robert Élie et Jean Le Moyne en 1949 - Poésies complètes, après la mort du poète en 1943, retrouvé noyé dans la rivière Jacques-Cartier, près de Sainte-Catherine. Le vers libre qu’il adopte en suivant l’exemple de Jean-Aubert Loranger (1896-1942) frappe par la force des images et la dimension existentielle, cosmogonique. Sous les scènes de l’enfance, elle exprime, également, l’angoisse existentielle, celle d’un autre poète maudit, après Nelligan, de la poésie canadienne française. Conscient de la nouveauté de sa poésie et redoutant les critiques Hector de Saint-Denys Garneau tente de retirer les Regards et Jeux dans l’espace de la vente. Une des grande autorités de la critique universitaire l’abbé Camille Roy traite l’œuvre d’obscure, d’„inintelligible“, „valéryenne“ écrite „sans points, ni virgules“, étrangère à l’esprit du français. Le vers libre de Garneau souligne l’aspect cognitif de sa poésie qui est une prospection de la part cachée du monde. Elle procède moins par images (métaphores, comparaisons) que par questionnements et approximations. Elle ne revendique pas le brio d’une maîtrise souveraine (c’est là la position de la poétique classiciste, fermée, achevée dans le dit et la façon de dire). Elle le processus même de l’interrogation, la modulation de l’énonciation. Garneau est sensible à la mobilité du sens et aux accents d’intensité de la phrase parlée. Il doit donc casser le rythme du vers classique, scandé par les syllabes, la césure et les coupes en évacuant la césure hors du vers, dans l’espace vide, à droite. L’accent est alors mis sur les unités phrastiques elles-mêmes. L’agencement des vers est „spatial“, procédant de l’ancrage que représente la marge de gauche vers l’ouverture de l’inconnu de la marge gauche. C’est en même temps une prospection du réel, du concret. Par là, Garneau échappe au carcan métaphysique dans lequel ses amis de La Relève ont voulu enfermer la poésie. Alain Grandbois (25.5. 1900 Saint-Casimir-de-Portneuf ‑ 18.3. 1975 Québec) est sans aucun doute le „magnus parens“ de la poésie moderne québécoise. Issu d’une famille enracinée depuis 1635 au Québec (Guibeault de Granbois) et enrichie par le commerce du bois,, il a pu échapper au monde clos de la société québécoise. Après des études de droit, il néglige la carrière professionnelle et passe deux décennies de sa vie - jusqu’à l’épuisement des ressources financières - en voyages (1925-1945): France, Italie, Maroc, Algérie, Allemagne, Union Soviétique, Chine, Tibet, Afrique. Il se lie d’amitié avec Blaise Cendrars. C’est loin du Québec, en Chine, à Hankéou, qu’il publie son recueil novateur Poèmes (1934). Il développera cette veine poétique dans les recueils suivants: Les Îles de la nuit (1944), Rivages de l’homme (1948), L’Étoile pourpre (1957). L’éloignement du Québec et les horizons élargis par les voyages lui ont permis d’ouvrir le libre champ à ses méditations existentielles et à son imagination. Le poète exprime, en vers libres, les mouvements intimes de son moi et la plénitude de son imaginaire personnel qui prennent l’aspect des associations libres des métaphores filées. La critique des Îles de la nuit qu’écrit pour Le Devoir un grand poète de la génération précédente René Chopin montre l’écart qui les sépare. Tributaire de la poétique traditionnelle qui assigne au mot et à l’image (métaphore) une fonction somme toute ornementale, Chopin reproche à Grandbois la pauvreté et la facilité de la rime. Or, pour Grandbois, les mots et les images sont avant tout un moyen de prospection des potentialités de signification, une re-création du sens du monde. Un autre aspect de la poésie de Grandbois est son effet dialogique qui dramatise le discours poétique. La poésie est une polémique avec soi, avec l’autre. Cet appel de l’autre brise la ligne de l’intimité et transforme le poème en grand chant lyrique, en poésie-chant. Par l’accumulation des analogies, par le jeu des variations par asyndète Grandbois fait de la matière des mots une „forme signifiante“. En cela, sa poésie rappelle celle d’Apollinaire tout en se rapprochant du principe constructiviste de la peinture moderne. Les Îles de la nuit seront illustrées par le peintre Alfred Pellan. La poésie-chant ouvre la voie, à la nouvelle génération qui commencera à s’imposer dans les années 1950: Gaston Miron, Roland Giguère, Paul-Marie Lapointe, Anne Hébert, etc. Alain Grandbois a également publié des proses: Né à Québec (1933), Les Voyages de Marco Polo (1941), Avant le chaos (1945, nouvelles). Rina Lasnier (6. 8. 1915 Saint-Grégoire d’Iberville - 9. 5. 1997 Saint-Grégoire d’Iberville) est avant tout la poétesse d’une profonde spiritualité tourmentée. Sa foi est une quête qui a trouvé sa meilleure forme dans le verset claudélien, dans le psaume biblique et la litanie. Sa poésie est faite, comme chez Grandbois, d’enchaînements d’images. Le recueil Le Chant de la montée (1947) est une transposition moderne du chant d’amour de Jacob et de Rachel. Les Escales (1950) et Le rêve du quart jour (1973) apportent l’élargissement thématique de la prospection spirituelle de l’univers. Rina Lasnier compose également les légendes chrétiennes dramatisées: Féerie indienne (1939; consacrée à la vierge iroquoise Kateri Takakwitha). La poésie canadienne française a été influencée, moins directement d’abord, mais non moins durablement, par le biais de la peinture et de la nouvelle poétique dramatique et poétique qui, sur les traces du dadaïsme et de la révolution surréaliste, cristallise autour des peintres - Alfred Pellan, auteur d’un manifeste intitulé Prisme d’yeux (1948), et surtout autour des Automatistes - Fernand Leduc, Jean-Paul Riopelle et Paul-Émile Borduas. L’importance de ces manifestations consiste dans l’effort de théorisation qui donne à la modernité une solide assise théorique. Paul-Émile Borduas qui organise en 1947 une exposition appelée Refus global et ses environs dans le cadre de laquelle les premiers spectacles-provocations au Québec ont eu lieu. Il s’agit de „pièces automatistes“, tout à fait dans la tradition des provocations dadaïstes et surréalistes: Bien-être de Claude Gauvreau et Une pièce sans titre de Jean Mercier. En août 1948 le manifeste „surrationnel“ de Paul-Émile Borduas Refus global est publié avec, encartés, les textes de Claude Gauvreau: Bien-être, Au cœur des quenouilles et L’Ombre sur le cerceau. Malgré l’admiration qu’il voue à André Breton, Paul-Émile Borduas se détache du surréalisme bretonien sur bien des points. Sa conception de l’art renoue avec les avant-gardes au sens large, y compris les futuristes, les cubistes et dadaïstes. C’est cette approche large qui constitue la spécificité du surréalisme canadien. Claude Gauvreau (19.8. 1925 Montréal - 6.7. 1971 Montréal) applique à son théâtre et à sa poésie la théorie de la „langue exploréenne“ - une tentative de réunir, au sein d’une unité originelle le mot, la chose et le moi énonciateur. L’œuvre de Gauvreau a été recueillies sous le titre Œuvres créatrices complètes (1977), où figurent aussi bien ses pièces de théâtre Les oranges sont vertes (1958-1970), La Charge de l’orignal épomyable (1958, Útok epomyabilního losa) que sa poésie Brochuges (1957, Najehlení), Étal mixte, poèmes avec six dessins de l’auteur (1968, Smíšený eznický pult, básn se šesti autorovými kresbami). De 1950 à 1951 Claude Gauvreau tiendra une chronique „Masques et bergamasques“ dans le journal le Haut-parleur et il publie également dans le Canada. Les journaux deviennent la tribune de la modernité et de l’affirmation libertaire du théâtre (cf. l’extrait de la chronique „Le théâtre dans le concret I: l’enseignement à souhaiter“, in le Canada, 4 juin 1952, p. 4; cité d’après Legris, Larrue, Bourassa, David. Le Théâtre au Québec. 1825-1980, Québec, VLB éditeur 1988, p.97-98). Paul-Marie Lapointe (* 1929 Saint-Félicien): après ses études au collège de Chicoutimi et au collège de Saint-Laurent, il en entre à l’École des Beaux-Arts. Indépendamment du Refus global et du mouvement automatiste, il publie son recueil surréaliste Le Vierge incendié (1948). La même année il rencontre Claude Gauvreau qui sera son conseiller en matière de poésie, il sera aussi l’ami de Jean-Louis Gagnon. Son gagne-pain sera le journalisme à L’Événement-Journal (1950-1954), à La Presse (1954-1960), au Nouveau Journal et au Magazine Maclean (1964). Il est une des figures de prou de sa génération. Recueils: Choix de poèmes-Arbres (1960), Pour les âmes (1966), Le Réel absolu (1971). Roland Giguère (*1929 Montréal) étudie la gravure et la lithographie à l’École des Arts graphiques de Montréal et à l’École Estienne à Paris. Ami et admirateur d’André Breton, il fonde en 1949 les Éditions Erta destinées à la poésie canadienne et aux œuvres graphiques. Recueils: Faire naître (1949), Trois pas (1950), Les Nuits abat-jour (1950), Yeux fixes (1951), Adorable Femme des neiges (1959), Naturellement (1968). Gilles Hénault (*1920): journaliste, critique d’art au Jour et au Devoir, auteur de recueils Totems (1953), La poésie et nous (1958), Sémaphore suivi de Voyage au pays de mémoire (1962). Yvese Préfontaine (*1937 Montréal), après ses études à la Sorbonne, il devient journaliste et rédacteur en chef de la revue Liberté. Sa poésie tens à promouvoir „une écriture française d’Amérique“: Boréal (1957), Les Temples effondrés (1957), La Poésie et nous (1958), Pays sans parole (1967). Gaston Miron et l’Hexagone introduisent, dès les années 1950, un nouveau statut de la parole dans la poésie: une parole-acte, une parole subjective qui est aussi la parole et la conscience de la collectivité, un acte inséré dans l’histoire, une destinée individuelle qui se fait épopée collective en conférant au poète le rôle de poète-chantre du peuple. Ce dynamisme situe la poésie entre le pôle lyrique et épique dans une synthèse moderne. Miron transforme la poésie-chant de Grandbois en poésie invocation, protestation, imprécation en accentuant non plus l’aspect noétique de la dimension existentielle, mais son aspect éthique. Gaston Miron (8. 1. 1928 Sainte-Agathe-des-Monts - 14. 12. 1996 Montréal) a fait des étude de sciences sociales avant de fonder, en 1953, le groupe poétique et les éditions de l’Hexagone. Dans les années 1950, 1960 et 1970, il organise de nombreux récitals de la poésie et des rencontres des poètes en portant la parole dans l’espace public. Sa conception de „l’homme agonique“, réunissant la subjectivité individuelle et l’appel à l’intersubjectivité collective, est mise au service de l’émancipation nationale - le destin du Québec. Il est devenu une sorte de poète national dont se réclament bon nombre de poètes modernes: André Brochu (* 1942), Louise Dupré (*1949), François Charron (* 1952). La poésie de Miron est avant tout orale, sans cesse remise sur chantier, modifiée ou inventée au cours des récitations publiques. Aussi a-t-il peu publié: Deux Sangs (1953, avec Olivier Marchand), L’Homme rapaillé (1970), Courtepointes (1975). Prose Les années 1930 et 1940 apportent un grand tournant, à la fois thématique et idéologique, dans l’évolution de la prose. D’un côté, c’est le moment culminant du roman du terroir, de l’autre côté l’apparition de la thématique urbaine. Roman du terroir Si les grand romans du terroir de la période - ceux de Claude-Henri Grignon, Félix-Antoine Savard, Ringuet ou de Germaine Guèvremont se situent dans le prolongement de la tradition lancée au 19^e siècle par Lacombe et Chauveau et portée au sommet par Louis Hémon, ils constituent en même temps un dépassement et une transformation du genre et qui peut aller jusqu’à une mise en question de l’idéologie „famille, religion, patrie“. Félix-Antoine Savard (31.8. 1896 Québec - 24.8. 1982 Saint-Joseph-de-la-Rive) est de la trempe des prêtres patriotes, représentants insignes et défenseurs du peuple québécois. À la suite des études au Grand Séminaire de Québec il est ordonné prêtre (1922). Professeur de rhétorique au Séminaire, il décide de se lancer dans la prêtrise active: en 1931 il fonde une nouvelle paroisse - de colonisation - celle de Saint-Philippe-de- Clermont où il travaille jusqu’en 1945. C’est au contact de la nature et des paysans qu’il trouve l’inspiration de son œuvre qui le rend célèbre dès la parution, en 1937, de Menaud, maître-draveur. En 1945, il est nommé professeur de littérature à l’Université Laval où il assume, de 1950 à 1957, la fonction de doyen de la Faculté des Lettres. Parallèlement à son travail d’enseignant il entreprend des enquêtes ethnologiques et folkloriques en Gaspésie et en Acadie. Œuvre Menaud, maître-draveur (1937): évocation lyrique et exaltation de la campagne et nature québécoises (le Saguenay), héroïsation des habitants, défenseur de la terre paternelle - ici, l’auteur a pris comme modèle un draveur authentique Joseph Boies, rencontré à La Malbaie; mais aussi étude psychologique d’une folie, celle du personnage principal; le rappel, sous forme de citations, de Maria Chapdelaine de Hémon sert d’encadrement poétique. L’Abatis (1943) - roman, évocation de la vie des olons dans une forêt Le Barachois (1959, Písečná kosa) - roman inspiré par l’Acadie et la Gaspésie La Folle (1960), La Dalle-des-Morts (1966, Peej mrtvých) - drames lyriques Claude-Henri Grignon (8.8. 1894 Sainte-Adèle - 3.4. 1976 Sainte-Adèle) est un esprit indépendant qui a trouvé sa voie dans le journalisme et les activités littéraires. Son catholicisme courageux le pousse à se lancer dans des polémiques à la manière de Léon Bloy et Georges Bernanos (la publication, de 1936-1943, de la revue Les Pamphlets de Valombre). Dès 1920, il est membre de l’École littéraire de Montréal. Œuvre Un homme st son péché (1933) - est une analyse impitoyable de l’avarice paysanne, un récit qui détruit l’image idyllique d ela campagne; le roman a été adapté pour la radio (1939) et pour la télévision (années 1950 et 1960) L’Enfant du mystère (1928), Le Déserteur (1934) - récits Le Secret de Lindbergh (1928) - biographie romancée Les Vivants et les autres (1922), Ombres et clameurs (1933) - eseje Germaine Guèvremont, née Grignon (16.4. 1893 Saint-Jérôme - 21.8. 1968 Montréal), cousine éloignée de Claude-Henri Grignon, journaliste à Sorel, puis à Montréal. Le succès de son œuvre lui vaut l’entrée à la Société Royale du Canada (1949) et le doctorat honorifique de l’Université d’Ottawa. Œuvre En pleine terre. Paysanneries, trois contes (1942) Le Survenant (1945), Marie-Didace (1947), Du plomb dans l’aile (1959) - le saga de la famille des Beauchemin; regard critique, mais sympathisant, qui suit la décomposition des valeurs traditionnelles de la campagne Ringuet, pseudonyme de Philippe Panneton (30.4. 1895 Trois-Rivières - 28.12. 1960 Lisabon). Sa carrière professionnelle est d’abord celle d’un médecin: études de médecine à Québec et à Montréal (1920), voyage en Europe et spécialisation en oto-rhino-laryngologie (1920-1922), pratique à l’hôpital (1923-1940). Parallèlement, il enseigne comme professeur, l’histoire de la médecine à l’Université de Montréal (1935-1950). La littérature et sa carrière univesitaire lui ouvrent la carrière diplomatique: mission au Brésil (1946), délégué à Paris (1952), enfin poste d’ambassadeur à Lisbonne (1956-1960). Œuvre Trente arpents (1938) - désacralisation du mileu paysan, assujetti par le travail; c’est la terre qui subjugue ses occupants; mais l’issue en est une autre servitude, celle de la ville Fausse Monnaie (1947), Le Poids du jour (1949) - romans L’Héritage et autres contes (1946) Un monde était leur empire (1943) - essai sur les civilisations amérindiennes, prise de position contre l’europocentrisme L’Amiral et le facteur ou Comment l’Amérique ne fut pas découverte (1954) - essai, comparaison entre Christophe Colomb et Amerigo Vespucci sur la question de la véritable découverte de l’Amérique que Ringuet attribue au dernier Thématique urbaine La ville - non plus comme une opposition à la campagne ou un repoussoir, mais comme un sujet autonome et représentant la réalité moderne - entre en littérature au cours des années 1940. C’est un regard critique, désabusé et souvent individualiste de la société canadienne. Gabrielle Roy (22.3. 1909 Saint-Boniface - 13.7. 1983 Quebec) est une Manitobaine, descendante des colons québécois installés dans les prairies au début du 20^e siècle. Après des études, elle travaille comme institutrice avant de partir en Europe - Angleterre, France (1937-1939) - où elle étudie l’art dramatique. Au retour, au Québec, elle décide de se consacrer au journalisme et à l’écriture. Ses origines, ainsi que ses expériences européennes lui permettent de jeter un regard neuf sur la réalité québécoise. Son premier roman Bonheur d’occasion (1945) lui apporte la gloire qui ne se démentira plus. La réalité, la fiction se mêlent aux éléments autobiographiques et aux réflexions dans un style maîtrisé. romans Bonheur d’occasion (1945) est un texte fondateur qui a obtenu un succès immédiat au Canada et en France où il a été couronné du prix Fémina en 1947. Le succès canadien s’explique par la force du nouvel imaginaire qui marque un tournant. La représentation du milieu urbain, stratifié en zones du pouvoir (Montréal - Westmount) et en périphérie (Saint-Hilaire), la thématique actualisée, pleinement engagée dans l’Histoire ont permis à l’écrivain de prendre le contre-pied du roman du terroir. Le Bonheur d’occasion peut se lire aussi comme une polémique implicite, non avouée, avec Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Comme ce roman, le Bonheur d’occasion est un texte fondateur. Alexandre Chenevert (1954) retrace l’histoire d’un „être innombrable“, un ce ceux que la ville déverse dans les rues le matin. Le protagoniste travaille comme caissier dans une banque montréalaise. Victime de la vie moderne, insomniaque, neurasthénique, il est un étranger dans le monde moderne, il aspire à la plénitude qui lui est accordée lors d’un voyage au Lac Vert. La tendresse et la pitié retrouvées l’aident à donner un sens à sa vie et à sa mort. La Petite Poule d’eau (1950), Rue Deschambault (1955) et La Route d’Altamont (1966) introduisent la thématique manitobaine, en partie campagnarde. Mais c’est une campagne revue par la ville et par les yeux des individus qui ont une expérience du monde différente que celle des paysans et des intellectuels du roman du terroir. La tentation de retourner, par l’imagination, dans le monde édénique de l’enfance ne fait pas oublier la précariété de l’existence, le sentiment de la fuite inexorable du temps qui est le pendant nécessaire de la joie de vivre. Le nouvel humanisme individualiste de Gabrielle Roy est ce qui distingue le plus ses récits du roman du terroir. Gabrielle Roy adopte une stratégie narrative fragmentée, faite de récits à la fois autonomes et enchaînés, formant une unité thématique. La Montagne secrète (1961) - est une allégorie de la création artistique, une sorte de poétique implicite, sous forme de récit. La Détresse et l’enchantement (1984) accentue l’aspect autobiographique de la narration qui retrace lnfance et la vie de l’écrivain jusqu’à la deuxième guerre mondiale. novely La Rivière sans repos (1970) Cet été qui chantait (1972) Ces enfants de ma vie (1977) De quoi t’ennuies-tu, Éveline? (1982) Roger Lemelin (7.4. 1919 Québec - 16.3. 1992 Saint-Augustin-de-Desmaures) est l’exemple type d’un „self made man“. Issu des des quartiers pauvres de Québec, ouvrier autodidacte, il deviendra journaliste de renom et plus tard propriétaire d’un empire journaistique et éditorial. Il doit sa renommée à la peinture mi humoristique, mi sentimental des milieux populaires qu’il a connus. romans Au pied de la pente douce (1944) Les Plouffe (1948) Pierre le Magnifique (1952) Le Crime d’Ovide Plouffe (1982) André Langevin (* 11.7. 1927 Montréal) a projeté dans son œuvre le sentiment de solitude et de désolation provoqué par son enfance d’orphelin. Il connaît des débuts difficile, mais finit par s’imposer, d’abord comme journaliste, plus tard comme romancier et dramaturge. Ses proses portent une empreinte existentialiste, celle de l’époque culturelle de l’après-guerre. Cependant, cet existentialisme est aussi celui de l’ambiance et du sentiment du vide de l’homo quebeciensis. C’est une critique métaphysique de la situation canadienne. trilogie thématique: trois échecs - de l’idividu et de sa révolte; de l’amour et du mariage; de la vocation sacerdotale Évadé de la nuit (1951) Poussière sur la ville (1953) Le Temps des hommes (1956) d’autres romans L’Élan d’Amérique (1972) Une chaîne dans le parc (1974) théâtre L’Oeil du peuple (1972) Yves Thériault (28. 11. 1915 Québec - 20. 10. 1983 Joliette), romancier conteur, dramaturge. Il quitte l’école à 14 ans pour exercer divers métiers (trappeur, conducteur de camions, vendeur) avant de devenir annonceur à la radio (1935-1942). Il travaille aussi à l’Office Nationale du Film (1942-1945) puis au Radio-Canada comme publicitaire et scripteur (1945-1950). Ses origines partiellement indiennes lui valent un poste officiel, celui de directeur des Affaires Indiennes à Ottawa. Il est l’auteur d’une quarantaine d’œuvres prosaïques, de 1200 pièces radiophoniques, de 200 scénarios télévisés. Ses riches expériences professionnelles, mais aussi ses origines ethniques contribuent sans doute à sa sensibilité pour les liens secrets ou inavoués avec la part cachée du moi, celle qui met l’homme au contact des forces de la nature, avec le sang de sa tribu, de son ethnie, avec le fond secret de sa culture. Il est le premier des écribains canadiens français et québécois à s’intéresser en profondeur à la proplématique des différentes éthnies - indienne, inuite, juive, etc. Œuvres Contes pour un homme seul (1944) La Fille laide (1950) Le Dompteur d’ours (1951) Le Vendeur du temple (1951) Aaron (1954) Agaguk (1958), Tayaut, fils d’Agaguk (1969), Agoak, l’héritage d’Agaguk (1975) Ashini (1960) N’Tsuk (1968) Kesten (1968) Moi, Pierre Huneau (1976) Anne Hébert (1. 8. 1916 Sainte-Catherine-de-Fossambault - 22. 1. 2000 Montreal) vient d’une famille cultivée, ancrée dans l’histoire culturelle du Canada. Le poète Hector de Saint-Denys Garneau est son cousin, son père Maurice Hébert, qui a eu sur elle une grande influence, est un éminent critique littéraire. Ses débuts, liés à la revue La Relève, sont influencés par le néothomisme de Jacques Maritain, mais aussi par la découverte de la poésie française moderne: Claudel, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Poétesse d’abord, elle s’affirmera plus tard comme dramaturge et romancière. La touche féminine de sa sensibilité profonde se libérera progressivement dans des images et scènes traduisant la violence profonde, cachée, des situations où nous jettent l’amour, la solitude, la mort. C’est une prospection jungienne des ombres de l’âme humaine. La personnalité d’Anne Hébert dépasse le horizon canadien. Après une brève collaboration avec la radio et le film, elle obtien une bourse d’études en France (1954-1957) où elle s’installe pour de longues années (1967-1997). Œuvres Poésie Les Songes en équilibre (1942) Le Tombeau des rois (1953) Poèmes (1960) Théâtre Le Temps sauvage. La Mercière assassinée. Les invités au procès (1967) Proses Le Torrent (1950, nouvelles) Les Chambres de bois (1958) Kamouraska (1970) Les Enfants du sabbat (1975) Héloïse (1980) Les Fous de Bassan (1982) L’Enfant chargé de songes (1992) Un habit de lumière (1999) Jacques Ferron (20. 1. 1921 Louiseville - 22. 4. 1985 Longueil) a marqué la prose et le théâtre québécois de la manière analogue à la trace de Gaston Miron en poésie. Médecin de formation et de métier, il est proche par ses liens familiaux et par ses activités des milieux non-conformistes: sa sœur est un peintre d’avant-garde, lui-même fonde, en 1963, le Parti Rhinocéros. Sa veine nationaliste, de gauche, tente de lancer un pont entre le passé canadien français et l’émancipation nationale des années 1950 et 1960 à laquelle il confère une nouvelle dimension historique. Œuvre Théâtre L’Ogre (1949) Le Dodu (1953) Le Chevalier de Don Juan (1957) Les Grands Soleils (1958) La Tête du roy (1967) Proses Cotnoir (1962) Contes anglais et autres (1964) La Nuit (1965) Contes (1968) Le Ciel de Québec (1969) L’Amélanchier (1970) Le Salut de l’Irlande (1970) Les Roses sauvages (1971) La Chaise du Marréchal-Ferrant (1972) Les Confitures de Coing (1972) Le Saint-Élias (1972) V. Révolution tranquille - de la modernité à la pluralité postmoderne: 1960-1970 Les transformations de la société canadienne française initiées en 1960 par la gauche libérale du premier ministre Jean Lesage concernaient moins le système politique, économique et social que l’horizon mental des Canadiens francophones. Après plus d’un siècle de nationalisme „défensif“, centré sur la reconnaissance juridique des droits nationaux, le Québec renoue avec le nationalisme „offensif“ qui avait culminé au 19^e siècle par la révolte des Patriotes en 1837. Au moment où le Canada s’apprête à célébrer, l’Exposition Universelle à l’appui, le centenaire de la Confédération (1967), les patriotes québécois transforment l’anniversaire en commémoration du cent-trentenaire des événements de 1837. Le nouveau gouvernement québécois assume le rôle de l’État laïque moderne, notamment en réformant le système de l’éducation (1967-1968), en instaurant une politique sociale et culturelle moderne. On investit dans le système scolaire, on crée de nouvelles universités, on prend soin de la sphère culturelle. La francisation s’étend de l’enseignement au domaine économique où les nouvelles élites francophones s’imposent. Les intellectuels francophones de qualité occupent d’ailleurs des postes importants soit à l’échelle fédérale, soit provinciale: Pierre-Eliott Trudeau, René Lévesque. Le patriotisme et le nationalisme assument plusieurs visages. Les libéraux qui restent partisans de la fédération s’efforcent d’imposer un bilinguisme effectif à l’enseble du territoire national. La gauche, par contre va jusqu’à identifier la cause nationale avec l’anticolonialisme, l’émancipation du tiers monde et la révolution mondiale de Che Guevarra ou de Mao (cf. Pierre Vallières: Nègres blancs d’Amérique). Le radicalisme révolutionnaire du Front de Libération du Québec) qui débouche sur les attentats et l’état de siège de 1970 est bientôt relayé par un nationalisme de droite, incarné par le Parti Québécois de René Lévesque qui, une fois installé au pouvoir, règle la question linguistique en instaurant le français comme la langue officielle du Québec (1977; loi 101). Désormais, l’anglais n’est - sur le territoire de la province - que la langue de la minorité anglophone. Quels que soient les avatars de la vie politique, toujours est-il que l’émancipation nationale aboutit à une transformation en profondeur de l’échelle des valeurs, y compris la langue et la culture. Le Canada francophone cesse de se considérer comme une colonie éloignée de la mère-patrie, une périphérie de la France. Le Québec s’assume désormais comme la source de sa propre centralité. Sa prépondérance, accentuée par sa prise de conscience, se traduisent dans la terminologie littéraire. Désormais on ne parle plus de la littérature canadienne française, mais de la littérature québécoise. Dans le domaine linguistique, le bon usage européen cesse d’être érigé référence majeure. Ainsi, l’usage canadien n’est plus pris pour une couleur locale, exotique, mais pour une langue autonome dans le plein sens du terme. La Défense et illustration de la langue québécoise (1979) de Michèle Lalonde affirme haut ce que la Société du parler français du Canada, fondée en 1902, n’avait fait qu’esquisser et ce que le critique Camille Roy n’avait exprimé que comme un souhait sous forme du programme de la „nationalisation de la littérature canadienne“ (1904). La sensibilité de l’époque, liant l’émancipation nationale à l’émancipation sociale, joue en faveur de l’instauration, comme langue littéraire, du joual montréalais et des dialectes (acadien). L’effervescence intellectuelle s’exprime dans plusieurs revues importantes de l’époque: Cité libre, de tendance libérale, Parti pris et Liberté (fondée par Jacques Godbout) favorables à la gauche radicale. La richesse littéraire des années 1960 profite de l’élan intellectuel de la période précédénte. C’est le cas, notamment, de la poésie où deux tendances principales se dessinent: le courant mironien alliant le chant individuel, subjectif à l’histoire de la collectivité et le courant surréaliste chargé de la modernité radicale. Les années 1960 sont particulèrement marquées par l’essor de la prose romanesque et du théâtre. En prose, on peut distinguer grosso modo deux filières. La première est celle de la modernité affirmée, désormais perchée au sommet de la dynamique littéraire mondiale dont elle embrasse le goût de l’expérimentation. L’autre tendance, „nationale“, innove le genre par le biais des particularités linguistiques („joual“, acadien) et thématiques (thématique montréalaise, acadienne) qu’elle impose comme partie intégrante de l’héritage culturel universel. Au nombre des représentants de la première filière se rangent tous ceux qui absorbent l’expérience du nouveau roman: Gérard Bessette, Marie-Claire Blais, Jacques Godbout, Réjean Ducharme, Hubert Aquin, Claude Jasmin, Roch Carrier, etc. Gérard Bessette (25. 2. 1920 Sainte-Anne-de-Sabrevois – 21.2. 2005 Kingston) est avant tout un critique littéraire, docteur ès lettres (1950) et professeur de français aux universités de Saskatchewan (1946-1949), de Pittsburgh (1952-1958), au Collège militaire royal de Kinsgton (1958-1960), à l’Université Queen’s de Kingston (après 1960). Influencé par la psychanalyse et la psychocritique de Charles Mauron il analyse l’œuvre de Nelligan (thèse de doctorat), Anne Hébert, Yves Thériault, etc. Poète à ses débuts (Le Coureur et autres poèmes, 1947; Poèmes temporels, 1954), il s’affirme comme romancier qui, tout en expériementant les techniques narratives, porte un regard critique, voire caustique, sur la société. La Bagarre (1958) Le Libraire (1960) Les Pédagogues (1961) L’Incubation (1965) Le Cycle (1971) La Commensale (1975) Une littérature en ébullition (1968) Histoire de la littérature canadienne-française par les textes (1968) Jacques Godbout (27. 3. 1933 Montréal) est poète, romancier, cinéaste, peintre. Après ses études à l’Université de Montréal (1954) il embrasse une carrière d’enseignant de français à l’étranger: Éthiopie, Grèce, Égypte, Antilles. Rentré à Montréal, en 1957, il est engagé à l’Office National du Film comme scénariste et réalisateur. Il a fondé et dirigé la revue Liberté qui a un impact important au cours des années 1960. S’il aime recourir, dans ses proses, aux procédés expérimentaux, il le fait avec beaucoup d’humour et une (auto)dérision parfois décapante. Poésie Carton-pâte (1956) Les Pavés secs (1958) La Grande Muraille de Chine (1969) Prose L’Aquarium (1962) Le Couteau sur la table (1965) Salut Galarneau (1967) D’Amour P.Q. Théâtre L’Interview (1973) - pièce radiophonique, texte en „joual“ Marie-Claire Blais (5. 10. 1939 Québec é 30.11. 2021 Key West) est porteuse d’une écriture féminine provocatrice. Issue d’un milieu plus que modeste, elle doit interrompre ses études à seize ans pour travailler dans une usine. Encouragée et soutenue par le Père Georges-Henri Lévesque, professeur de l’Université Laval, elle publie, en 1959, La Belle Bête, suivie, en moins de cinq ans, de deux autres proses - Tête blanche (1960), Le Jour est noir (1962) - et de deux recueils de poésie - Pays voilés (1963) et Existence (1964). La critique est étonnée par la maturité technique de son écriture qui allie le réalisme et la poésie tout en variant les registres narratifs et le ton, tantôt sublime et pathétique, tantôt celui de la dérision. Les figures dominantes de Marie-Claire Blais sont celles de la solitude, du malheur, de la déchéance, de la marginalité. Le mal dans lequel elles sont plongées ou dans lequel on les plonge les porte souvent à la révolte qui leur permet de préserver un espace de pureté et de lumière, l’autre source de la liberté étant l’écriture. Les subventions de la Fondation Guggenheim et plus tard les succès littéraires lui permettent de s’exiler aux États-Unis (Cap Cod dans le Massachussetts) et en France. Autres romans: Une Saison dans la vie d’Emmanuel (1965) L’Insoumise (1966) David Sterne (1967) trilogie Les Manuscrits de Pauline Archange (1968), Vivre! Vivre! (1969), Les Apparences (1970) Le Loup (1972) Un Joualonais, sa Joualonie (1973) Une Liaison parisienne (1975) Les Nuits de l’Underground (1978) Le Sourd dans la ville (1979) Visions d’Anna ou le vertige (1982) L’Ange de la solitude (1989) Pierre (1991) Cycle Soifs – une dizaine de volumes à partir de 1997 Hubert Aquin (24. 10. 1929 Montréal - 15. 3. 1977 Montréal) est un intellectuel de gauche, formé à l’Université de Montréal, où il obtient une licence de philosophie, et à l’Institut d’études politiques à Paris. De retour au Canada il devient animateur à Radio-Canada, puis travaille comme scénariste et réalisateur à l’Office National du Film. Nommé directeur de la revue Liberté, il se tourne ensuite vers l’enseignement universitaire et le théâtre. Son engagement dans le mouvement d’émancipation nationale se fond avec le désir d’une libération personnelle et la volonté d’échapper à l’aliénation collective et individuelle. L’impasse où il s’est retrouvé l’a conduit au suicide. Ses romans, notamment, reflètent le mal existentiel par leur poétique labyrinthique et ambiguë - au niveau de la langue, du narrateur, de l’intrigue - où la réalité se confond avec le rêve, la fiction avec la mystique kabbalistique. Œuvre: pièces radiophoniques Vingt-quatre heures de trop (1969) Double sens (1972) romans Prochain épisode (1965) Trou de mémoire (1968) L’Antiphonaire (1969) Neige noire (1974) Réjean Ducharme (12. 8. 1941 Saint-Félix-de-Valoisé 21.8. 2017 Montréal) est arrivé à l’écriture après une jeunesse errante: ayant abandonné l’École polytechnique de Montréal en première année, il passe quelques mois dans l’aviation, travaille comme vendeur et commis de bureau, voyage trois années à travers le Canada, les États-Unis, le Mexique. Dès son premier roman - L’Avalée des Avalées (1966) - il s’impose grâce à sa langue novatrice qui mêle différents registres, surprend par ses jeux de mots et néologismes. La créativité langagière et le jeu sont en syntonie avec le caractère juvénile des héros - enfants et adolescents qui se révoltent contre la grisaille du monde des adultes en tentant déséspérément de conserver la pureté et la liberté de leur monde à eux. Œuvre: romans L’Avalée des Avalées (1966) Le Nez qui voque (1967) L’Océantume (1968) La Fille de Christophe Colomb (1969) Les Enfantômes (1976) Dévadé (1990) Va savoir (1994) L’Hiver de force (1973) - récit Inès Pérée et Ina Tendu sur la terre (1968) - drame Ha ha! (1982) Claude Jasmin (10. 11. 1930 Montréal) - romancier, dramaturge et essayiste - a commencé sa carrière comme décorateur à Radio-Canada avec un diplôme de l’École des arts appliqués de Montréal. Après plusieurs pièce télévisées, il se consacre à la critique d’art dans La Presse et au journalisme. Son œuvre offre un double visage: d’un côté elle reste près de l’actualité politique qu’elle reflète, d’autre part elle est chargée de la nostalgie de l’enfance, du paradis perdu que certains personnages de Jasmin cherchent à retrouver. Œuvres: romans La Corde au cou (1960) Délivrez-nous du mal (1961) Ethel et le terroriste (1964) Et puis tout est silence (1965) Pleure pas, Germaine (1965) Rimbaud, mon beau salaud! (1969) La Petite Patrie (1972) Le Loup de Brunswick City (1979) La Sablière (1979) Pâques à Miami (1996) Blues pour un homme averti (1964) - théâtre Roch Carrier (13. 5. 1937 Sainte-Justine) - après ses études universitaires conclues par une thèse de doctorat sur André Breton à Montréal et une thèse sur Cendrars à la Sorbonne, il a enseigné au collège militaire de Saint-Jean, puis à l’Université de Montréal. Excellent conteur, qui renoue avec la tradition du conte populaire, il s’impose en littérature par ses récits Jolis Deuils (1964), puis par sa trilogie romanesque qui confronte la société québécoise à la marche inexorable de l’histoire: La Guerre, yes sir (1968; l’adaptation théâtrale est de 1970), Floralie, où es-tu? (1969), Il est par là le soleil (1970). Autres romans Le Jardin des délices (1975) Un chameau en Jordanie (1984) Petit homme Tornade (1996) Une chaise (1999) théâtre La Céleste Bicyclette (1980) Le Cirque Noir (1982) Antonine Maillet (10. 5. 1929 Bouctouche), représente le renouveau de la culture acadienne. Originaire du Nouveau-Brunswick, elle fait ses études à Moncton, à l’Université de Montréal (1962). De 1962 à 1964, elle séjourne comme boursière à Paris. En 1970 elle obtient le grade de docteur ès lettres à l’Université Laval à Québec. À la fois religieuse et enseignante universitaire, elle travaille à Radio-Canada de Moncton. Elle doit sa notoriété à ses pièces de théâtre et à ses proses, dont les personnages - gens du peuple - parlent l’acadien. Comme Jacques Ferron pour le Québec, Maillet a su relier l’histoire de son peuple acadien au présent. Œuvres: romans Pointe-aux-Coques (1958) On a mangé la dune (1962) Don l’Orignal (1972) Mariaagélas (1973) Les Cordes-de-bois (1977) Pélagie-la-Charette (1979) L’Oursiade (1990) Chronique d’une sorcière de vent (1996) Par derrière chez mon père (1972) - contes théâtre Les Crasseux (1968) La Sagouine (1971) Gapi et Sullivan (1973) Michel Tremblay (25. 6. 1942 Montréal) est l’un des représentant majeur de la tendance „joualisante“ de la littérature québécoise, tendance qui, au théâtre a connu son apogée dans les années 1960 et 1970. Son rapport au „joual“, qui à l’origine a été un argot montréalais, se nourrit de son enfance passée dans les quartiers populaires de l’Est montréalais. Il a quitté le métier de linotypiste et le travail dans une imprimerie pour se lancer dans divers métiers - vendeur, costumeur - avant de réussir en littérature. Sa première prose - Contes pour buveurs attardés (1966) - traduit pleinement l’ampleur de l’art de Tremblay: dosage savant de la littérarité et de la langue parlé, de la tradition (Poe, romantiques allemands) et de la parole spontannée, de la banalité quotidienne avec le fantastique. Le premier prix au Concours des jeunes auteurs de Radio-Canada qu’il a remporté par sa pièce radiophonique Le Train (1964) lui donne, à titre de boursier, la possibilité de passer deux mois au Mexique où il rédige un roman fantastique La Cité dans l’oeuf (1969). Le vrai triomphe vient avec sa pièce Les Belles-Sœurs (1968), une tragi-comédie qui consacre la place privilégiée du „joual“ dans la mesure où la langue populaire cesse d’être un simple véhicule de la couleur locale ou un effet de réel pour porter l’univers de la marginalité à la hauteur de la grandeur dramatique, grâce aux procédés, notamment, de la tragédie antique (choeurs) ou du drame religieux médiéval et baroque. Il en fait de même pour toutes les couches marginalisée de Montréal - les homosexuels, les lesbiennes, les travestis, les prostituées: A toi pour toujours, ta Marie-Lou (1971), Hosanna (1973), Sainte Carmen de la Main (1976), Damnée Manon, Sacrée Sandra (1977). Les proses de Tremblay retracent en partie l’histoire des quartiers populaires de Montréal et la sienne propre. C’est le cycle Les Chroniques du Plateau de Mont-Royal (1978-1987): La Grosse Femme d’à côté est enceinte, Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges, La Duchesse et le roturier, Des Nouvelles d’Édouard, Le Premier Quartier de la lune, Un objet de beauté. Les autres proses sont centrées sur la problématique de la marginalité sociale (p. ex. homosexuels, prostituées): C’t’à ton tour, Laura Cadieux (1973), Le Cœur découvert. Roman d’amours (1986), Le Cœur éclaté (1989), La Nuit des princes charmants (1995). Jacques Poulin (23. 9. 1937 Saint-Gédéon-de-Beauce) a étudié la psychologie à l’Université Laval de Québec avant de gagner sa vie comme traducteur commercial et conseiller pédagogique en orientation. Dès le succès de son deuxième roman, il se consacre entièrement à la littérature. Il est représentatif de la nouvelle tendance de la littérature québécoise qui se détache de sa québécité exclusive pour s’ouvrir à l’américanité symbolisée par le voyage du roman Volkswagen blues (1984). Œuvres: Romans Mon cheval pour un royaume (1967) Jimmy (1969) Le Cœur de la baleine bleue (1970) Faites de beaux rêves (1974) Chat sauvage (1990) VI. Ouverture postmoderne : littérature féministe des années 1970-1990 La question des femmes et le féminisme se sont imposés depuis les années 1960 dans l’atmosphère libératrice de la Révolution tranquille et de la démocratie progressiste libéralisante, qui prend en compte les droits de l’individu, y compris le droit à la différence, à la non-conformité et à l’altérité. Ceci est également lié à la subjectivisation du temps et aux phénomènes qui l’accompagnent - l’érotisation du corps, la prise en compte de la sexualité et de l’homosexualité. Dans la société québécoise en voie de sécularisation, les tabous sociaux, qui avaient été maintenus par un esprit social conservateur - appuyé par l’Église catholique - tombent. Ce dernier mettait l’accent sur l’inviolabilité de l’ordre ferme de la famille, de la communauté et de la moralité publique, et définissait le rôle de la femme comme mère et épouse subordonnée à son mari et, dans la vie publique et dans les questions fondamentales de la vie, au prêtre. La sexualité n’avait qu’un seul but : la procréation de la race humaine. Pour contrôler le nombre d’enfants, il n’était pas permis de résister à la conception (empêcher la création). Cinq enfants ou plus dans une famille était presque la norme. La rapidité de l’érosion du tabou suggère que le temps de l’assouplissement était déjà venu dans les deux décennies précédentes et que les transformations des années 1960-80 avaient été en œuvre déjà sous le gouvernement conservateur de Maurice Duplessis. À partir des années 1960, des thèmes qui avaient été réduits au silence ou dissimulés jusque-là ont été ouvertement abordés. Gilbert Couture dépeint la descente aux enfers de l’alcool et de la drogue dans La Tôle (1970), tandis que Marie-Claire Blais et Michel Tremblay parlent ouvertement de l’homosexualité et du travestissement et de la prostitution. L’amour est également érotisé chez des auteurs tels que Godbout. Dans son poème en prose French Kiss (1974), la poétesse Nicole Brossard associe des thèmes érotiques à la topographie de Montréal et place la recherche de l’amour dans un labyrinthe urbain. La question féminine, le corps féminin et le langage féminin sont au centre des préoccupations d’écrivaines tels que Nicole Brossard, Louky Bersianik, Jovette Marchessault, France Théoret, etc. Mais la principale vague du féminisme littéraire - l’écriture féminine - n’arrivera que dans la seconde moitié des années 1970. Le féminisme canadien n’est toutefois pas apparu soudainement avec l’avènement des années 1960. Des Canadiennes françaises comme Marie Gérin-Lajoie (1890-1971) et Thérèse Casgrain (1896-1981) militent pour l’égalité des femmes depuis le début du XIX^e siècle. Le mouvement des femmes a eu ses publicistes et ses romancières de premier plan, comme Joséphine Marchand (née Dandurand, 1861-1925), fille du premier ministre québécois et comédien Félix-Gabriel Marchand, et Gaétane de Montreuil (1867-1951). Et les femmes ont également été fortement représentées dans la fiction dès le début. Le féminisme des années 1960 a bénéficié à la fois de l’atmosphère réformiste générale de la Révolution tranquille et du soutien du mouvement féministe aux États-Unis, sous l’influence duquel il s’est radicalisé. Le développement est rapide : la fondation du Front de libération des femmes (1970) et la publication du manifeste et de la revue Québécoises debout ! (1972-1974), la publication des périodiques féministes Les Têtes de pioche (1976-1979) et La Vie en rose (1980-1987), un colloque international d’écrivains sur « Femme et littérature » (1975) sous les auspices de la revue Liberté, et un numéro spécial de La Barre du Jour (n° 50, 1975) consacré à la question féminine, à la parole des femmes et à la littérature. Le champ idéologique et de valeurs a été défini de manière décisive par certaines publications. Euguélionne (1976) de Louky Bersianik parodie les Évangiles d’un point de vue féminin, et dans le pastiche du Symposium de Platon, Le pique-nique sur l’Acropole (1979), Bersianik insère une doctrine féministe formulée de manière tranchante, une image intrépide de la sexualité féminine et un appel à l’émancipation. Dans la préface de leur anthologie de la poésie féminine québécoise des origines à nos jours, Nicole Brossard et Lisette Girouard déclarent : « On prend appui sur le marxisme, sur la psychanalyse, sur le lesbianisme, sur la contre-culture pour débattre des priorités et de l’essence du féminisme. » Avec son orientation intellectuelle de gauche, le féminisme québécois et canadien-français se démarque dans le contexte contemporain en refusant de lier ses objectifs à l’émancipation nationale. Il se considère comme un mouvement transnational et non national et représente l’un des rares courants culturels où non seulement l’alliance franco-anglo-canadienne mais aussi les liens forts avec les États-Unis sont effectifs. Le titre et le sujet anglais du film de Nicole Brossard et Luce Guibeault, Some American Feminists (1976), en sont un exemple. La force du féminisme québécois ne vient pas des déclarations idéologiques théoriques mais de la praxis. Le sixième volume du Dictionnaire de la littérature québécoise mentionne dans son introduction que le nombre d’entrées de 1976 à 1980 concerne 75 auteures, soit 40 % des entrées. Outre les essais et la prose, le théâtre est devenu un moyen important de présenter les nouvelles idées. Certains spectacles ont marqué la mémoire culturelle : La Nef des sorcières (1976 ; Nicole Brossard, Luce Guibeault, Marthe Blackburn, France Théoret, Odette Gagnon, Marie-Claire Blais, Pol Pelletier), Les Fées ont soif (1978) de Denise Boucher, Triptyque lesbien (1980) de Jovette Marchessault. Les thèmes féministes ne sont pas toujours dominants. Chez de nombreuses femmes écrivains - Anne Hébert, Monique LaRue, Aude, Madeleine Monette, Élisabeth Vonarburg, etc. - la féminité est sous-jacente, colorant le ton des œuvres, orientant la vision de la réalité dépeinte. Par conséquent, l’influence du féminisme doit être prise en compte même lorsqu’elle n’est pas déclarée. Le féminisme militant a atteint son apogée dans la littérature dans les années 1980 et s’est progressivement estompé depuis les années 1990. Certains écrivaines - par exemple Denise Bombardier (*1941) dans son essai La Déroute des sexes (1996) et dans ses récits Nos hommes (1995) - font le bilan du radicalisme féministe en prenant une distance critique. Bombardier parle de la frustration des femmes face à la solitude, de la nécessité de protéger les hommes intimidés et de les aider à retrouver leur estime de soi perdue. Ce faisant, elle confirme l’appel de Denise Boucher et Madeleine Gagnon (née en 1938) dans leur remarquable essai Retatilles (1977), qui évalue l’expérience des débats au sein du mouvement des femmes de la première période : la société ne peut être transformée par la seule protestation et le radicalisme féminin. Il est nécessaire de faire appel à des hommes de bonne volonté pour coopérer. Le féminisme canadien évolue entre deux pôles - une critique radicale et un appel à l’accommodement. Marie-Marguerite-Claire-Louise-Anne Lang Hébert (1.8. 1916 Sainte-Catherine-de-Fossambault - 22.1. 2000 Montréal) Ses œuvres poétiques, dramatiques et en prose sont difficiles à résumer et encore plus difficiles à classer. Elle est associée à la poétique de La Relève dès ses débuts dans les années 1940 et 1950, alors que son œuvre était dominée par la poésie. À partir des années 1950, elle se consacre beaucoup plus à la prose, et ce sont les romans qui constituent les traits les plus marquants de son œuvre. Cependant, les éléments les plus précieux de ses romans - le monde riche, conflictuel et cruel de ses personnages et la force vitale violente qui les anime - sont déjà contenus en germe dans sa poésie. Elle a grandi dans la famille d’un intellectuel cultivé, le critique littéraire Maurice Lang Hébert (1888-1960), qui lui a certainement transmis plus de connaissances que ses études secondaires. Sans être membre de la rédaction, elle a rejoint La Relève dès le début, contribuant, dès 1939, par ses poèmes. Elle découvre Maritain, Claudel, Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, et admire Supervielle, Char et Éluard. Elle travaille à la radio et la télévision (1950-1954), et est rédactrice de l’Office national du fil du Canada (1953-1954). Elle profite ensuite de bourses de l’Académie royale des arts du Canada (1954) et du Conseil des arts du Canada (1961) pour étudier en France, où elle s’installe (1970). Il ne rentre définitivement dans son pays natal qu’en 1997. La littérature, à laquelle elle s’est consacrée sans réserve depuis la fin des années 1950, lui a valu de nombreux prix littéraires et deux doctorats honorifiques - de l’Université de Toronto (1969) et de l’Université du Québec à Montréal (1979). Elle a publié trois recueils de poésie - Les Songes en équilibre (1942), Le Tombeau des rois (1953) et Le Mystère de la parole (1960 - inclus avec Le Tombeau des rois sous le titre Poèmes). L’entrée d’Anne Hébert dans la prose est marquée par le recueil de cinq récits, Le Torrent (1950). Dans l’histoire éponyme, un courant d’eau impétueux est le symbole d’une force émotionnelle liée à un sentiment religieux rigoriste, qui éclate d’autant plus dans un acte de violence. Claudine rachète son péché et sa honte en contraignant son fils François à une vocation sacerdotale, le condamnant à une vie de pensionnat, dépourvue de la tendresse et de la beauté qu’il réclame. Puis, lorsqu’il refuse de devenir prêtre et que sa mère le frappe si fort qu’il devient sourd, tout le mal se transforme en un rugissement d’eau qui se déchaîne dans sa tête. La haine se transforme en crime lorsqu’il utilise un cheval sauvage contre sa mère. La tension du mal, la rage intérieure, aboutissent au suicide libérateur et purificateur dans le torrent. Le drame de l’histoire est accentué par le monologue intérieur du personnage et la puissante imagination hébertienne qui transforme le monde concret et diversifié en symboles archétypaux des forces cachées de la psyché. Dans le contexte de l’époque, Le Torrent a été interprété comme une critique du conformisme moralisateur de l’ère Duplessis, mais sa signification est intemporelle. Le puissant imaginaire d’Anne Hébert, lié aux éléments de la nature et à l’élément qu’est l’homme lui-même, rejoint celui d’un autre auteur de la génération de La Relève, le romancier Yves Thériault. Le conflit entre le désir de vivre et le conformisme étouffant est ensuite résolu dans le roman psychologique d’un mariage raté, Les Chambres de bois (1958). Sous le soleil méridional, Catherine retrouve la plénitude de la sensualité, et pour ne pas périr, elle quitte son mari, en partant avec un autre homme. La force des personnages féminins, le drame de leur désir, qui se place au-dessus de toute morale parce qu’il est une manifestation de la puissance élémentaire et intérieure de la vie - c’est aussi une caractéristique de deux des meilleurs romans d’Hébert, Kamouraska (1970 ; film de Claude Jutra, 1973) et Les Enfants du sabbat (1975). Au chevet son second mari mourant, la bourgeoise modèle Élisabeth d’Aulnières reconstitue son premier mariage avec le seigneur du domaine de Kamouraska, rustre et ivrogne dont elle se débarrasse en incitant d’abord sa servante, puis son amant à l’assassiner. Le crime est perpétré et dévoilé, et Élisabeth, pour échapper au châtiment, déploie son arme principale : la beauté. Élisabeth est une force de la nature qui se situe au-delà de la morale, tout comme le personnage central des Enfants du sabbat, Juliette, séparée de son frère Joseph, qu’elle aime. Les deux sont les enfants d’une sorcière et de Satan. Depuis le couvent québécois où elle est entrée pour protéger son frère grâce à ses vœux monastiques, la novice Juliette tente d’entrer en contact avec Joseph, soldat, est engagé dans la guerre en Europe. Elle considère son mariage comme une trahison, aussi utilise-t-elle le pouvoir de la magie pour tuer d’abord sa rivale anglaise, puis son frère. Les forces du mal, générales, individuelles et historiques, sont concentrées par l’imagination métaphysique d’Hébert : le couvent se transforme en repaire de sorcières. Anne Hébert revient sur la magie et le mal qui imprègne l’amour dans son roman Héloïse (1980), et la question du mal - le viol et le meurtre de deux filles dans un village de pêcheurs - est également posée dans Les Fous de Bassan (1982). L’imagination contrastée, archétypale, est la marque des autres romans : Le Premier jardin (1988), L’Enfant chargé de songes (1992), Un habit de lumière (1999). Rina Lasnier (6.8. 1915 Saint-Grégoire-d’Iberville - 9.5. 1997 Saint-Jean-sur-Richelieu) Cette poète et dramaturge peut être rattachée au groupe de La Relève non pas en raison de sa collaboration avec le mensuel littéraire, mais en raison de la modernité de son expression poétique. Elle est également liée à Hector de Saint-Denys Garneau et à Anne Hébert par sa spiritualité chrétienne. Rina Lasnier est issue d’une famille d’entrepreneurs modernes. Son père était un concessionnaire automobile. Après des études secondaires au Canada et en Angleterre, elle s’inscrit à l’Université de Montréal, où elle obtient un diplôme en littérature française et anglaise (1931, 1932) et en bibliothéconomie (1940). Elle a d’abord travaillé comme secrétaire, bibliothécaire et agent publicitaire, puis comme journaliste pour l’hebdomadaire régional Le Richelieu. Elle a créé dans l’isolement des petites villes, loin de l’agitation des grands centres culturels. Néanmoins, sa poésie spirituelle lui vaut d’être reconnue et, en plus de nombreux prix littéraires, elle reçoit un doctorat honorifique de l’Université de Montréal (1977). Elle est membre fondateur de l’Académie canadienne-française et membre de l’Académie royale des arts du Canada. Elle est entrée en littérature comme dramaturge avec sa pièce religieuse Féerie indienne (1939), qui traite de l’histoire de la martyre iroquoise Kateri Tekakouitha (ou Tekakwitha). D’autres drames liturgiques ont suivi, le plus souvent inspirés par des auteurs du XVII^e siècle, comme le jésuite Claude Chauchetière dans le cas du Festin indien, ou les Relations des jésuites pour Les Fiançailles d’Anne de Nouë (1943, publié en 1961). Le Jeu de la voyagère (1941), qui se déroule au XVII^e siècle, raconte le conflit entre Marguerite Bourgeoys et l’évêque de Saint-Vallier, et la féerie Notre-Dame-du-pain (1947), qu’elle a écrite à l’occasion des fêtes mariales d’Ottawa, s’inscrit dans le même contexte. L’œuvre la plus importante est sans aucun doute sa poésie, marquée d’une puissante imagination. Rina Lasnier combine la versification régulière libre, le vers libre, le vers biblique et la prose. Son premier recueil, Images et proses, a déjà retenu l’attention, suivent Madones canadiennes (1944) et Le Chant de la Montée (1947), dont les 15 chants sont inspirés par l’amour de Jacob et Rachel. Après Escales (1950) et Présence de l’absence (1957), Rina Lasnier publie les poèmes en prose Miroirs (1960), qui contiennent, à côté des réflexions, une partie lyrique, Mémoire sans jours, dont l’intensité du sentiment et la descente dans ses propres profondeurs intimes rappellent l’imagination archétypale de Grandbois. Rina Lasnier a publié d’autres recueils, Les Gisants suivis des Quatrains quotidiens (1963), L’Arbre blanc (1966), L’Invisible (1969), La Salle des rêves (1971), Les Singes (1976) et Le Chant perdu (1983). Marianne-Germaine Guèvremont, née Grignon (16 avril 1893 Saint-Jérôme - 21 août 1968 Montréal) Elle était la cousine de Claude-Henri Grignon et, comme lui, était journaliste. Elle est diplômée des écoles conventuelles des Sœurs de la Sainte-Croix à Sainte-Scholastique et des Sœurs de Sainte-Anne à Saint-Jérôme et Lachine. Elle étudie l’anglais et joue du piano à l’abbaye de Loretto à Toronto avant de se marier (1916). Elle se consacre au journalisme à partir de 1926, collaborant à The Gazette de Montréal, au Courrier de Sorel, le magazine de la ville où elle vit alors, et à Paysan, le mensuel fondé par Françoise Gaudet-Smet. À son instigation, elle a édité des histoires rurales qui anticipent le projet de sa trilogie romanesque. Le premier tome de la saga familiale des Beauchemin, Le Survenant (1945), est un succès. La romancière insère dans la topographie de la campagne, symbiloque, le personnage central d’un vagabond que les Beauchemin engagent pour des travaux saisonniers. Le récit réaliste se dédouble, et à l’intrigue réaliste des conflits entre paysans s’ajoute un symbolisme ancré dans la dichotomie culturelle américaine du sédentaire (habitant) et de l’aventurier (coureur des bois), de l’ordre et de la liberté, de la civilisation et de la nature. Au mythe de la terre s’oppose le mythe de la nature sauvage, cette tentation constante des Canadiens français. Guèvremont reprend ici le fil de la Terre paternelle Patrice Lacombe, de Jean Rivard de Gérin-Lajoie, de Maria Chapdelaine d’Hémon. La nature sauvage ici, cependant, n’est plus la forêt et le nord, mais tout ce qui se trouve au-delà de l’horizon limité de l’écoumène paysan. C’est le vaste monde - les mers, les océans, les forêts, mais aussi les jungles de la ville. Le conflit imprègne la famille Beauchemin - car de par leur nom, ils sont des voyageurs sédentarisés, d’anciens aventuriers. La tentation est en eux. Le vieux Didace Beauchemin préfère le nouveau venu à son propre fils. Petit à petit, il apprend ses secrets – le survenant a navigué sur la mer, il connaît le monde, c’est un artisan habile, un homme fort, un bagarreur. Finalement, la communauté accepte le nouvel arrivé, veut l’absorber, le marier, l’installer. Quand le nouveau venu disparaît, il laisse derrière lui une blessure. L’ordre ancien n’a plus cours, la famille Beauchemin se désintègre. Le vieux Didace n’accepte plus le rôle de veuf résigné qui doit transmettre le patrimoine à son fils. Il fait venir une nouvelle maîtresse de la maison, l’« Acadienne » , la veuve tonitruante d’un marin. Ainsi commence le volume suivant, Marie Didace (1947), nommé d’après la petite-fille de Didace. Le fils, ne trouvant plus sa place à la ferme, trouve un emploi dans le port de Montréal où il périt. Son enfant n’est pas le septième Beauchemin de la lignée, mais une fille avec laquelle le vieux Didace s’entend et l’accepte comme héritière. L’action se déroule entre 1910 et 1917. Du troisième volume, Du plomb dans l’aile (1959), l’auteure n’a pu publier que le premier chapitre. Marie Didace, orpheline de 20 ans, quitte la tante qui l’a élevée et cherche du travail à Sorel. Les chômeurs s’assoient et se couchent sur le trottoir ; c’est la dépression économique des années 1930. Marie-Rose-Emma-Gabrielle Roy (22 mars 1909 Saint-Boniface - 13 juillet 1983 Québec) Descendante des immigrants québécois qui ont colonisé les prairies manitobaines. Même si son nom est associé au roman social urbain Bonheur d’occasion (1945), peu d’auteurs ont dépeint de façon aussi évocatrice les habitants des prairies, des plaines enneigées de la toundra. Elle est née au Manitoba dans une grande famille d’un agent de colonisation dont la tâche consistait à installer les colons immigrés sur les nouvelles terres. Diplômée de l’école des instituts de formation des enseignants de Saint-Boniface et de Winnipeg, elle a travaillé comme enseignante dans les écoles du Manitoba. Elle est attirée par la littérature et le théâtre. Elle a consacré ses études en Angleterre et en France aux arts du spectacle (1937-1939), mais la littérature est devenue l’œuvre de sa vie. À son retour au Canada, elle s’installe à Montréal, où elle gagne sa vie en tant que journaliste indépendante, contribuant à des reportages, des articles et des nouvelles pour de nombreux magazines, dont Le Jour, Le Canada, La Revue moderne, le Magazine Maclean, etc. Elle s’est mariée (1947), mais n’a utilisé le nom de son mari - Marcel Carbotte - que comme pseudonyme occasionnel. Elle a remporté des prix prestigieux pour ses réalisations littéraires - le Fémina (1947), le prix Duvernay (1956), le prix du Gouverneur général (1955, 1957, 1977), le prix David (1971) et le prix Molson (1978). Le public canadien-français s’est identifié au Bonheur d’occasion de la même façon qu’il s’est identifié aux romans de Grignon, Savard et Ringuet. Dans le cas de Roy, il s’agissait d’une réalisation inédite, en dehors de la tradition établie du roman rural, et supérieure à la prose urbaine antérieure de d’Arsène Bessette (Débutant, 1914) et de Jean-Charles Harvey (Les Demi-civilisés, 1934), qui se concentrait uniquement sur la classe bourgeoise et négligeait le milieu du prolétariat. L’histoire se déroule à Montréal de février à mai 1940. La guerre a éclaté en Europe, le Canada est aux armes. Le décor est décrit de manière réaliste et en même temps symboliquement divisé verticalement entre le quartier pauvre et ouvrier de Saint-Henri, près du port, et le quartier riche de Westmount, sur le Mont Royal. Ils sont séparés (et reliés) - comme les barreaux d’une échelle - par des rues parallèles où se trouvent des magasins, des banques et des cinémas - tantôt élégants, tantôt pauvres - en fonction de leur emplacement. En dehors de la ville, il existe un espace d’évasion - la campagne, où la famille Lacasse fait un voyage pour revivre le paradis de l’enfance chez les parents de la mère. Mais c’est un échec. Les Lacasse ne rencontrent que méfiance, mépris, et reviennent encore plus pauvres car le camion de la compagnie emprunté tombe en panne. La verticale spatiale détermine le mouvement social : le désir des prolétaires de s’élever, de réussir dans un meilleur quartier. L’intrigue est centrée sur trois personnages stendhaliens : Jean Lévesque, orphelin prolétaire surdoué, Emmanuel Létourneau, son ami idéaliste issu d’une meilleure famille, et Florentine Lacasse, serveuse. Ils cherchent le bonheur, le succès. Florentine veut s’éloigner de l’environnement étouffant de sa famille prolétaire. Elle parie sur Jean Lévesque, mais lorsqu’elle tombe enceinte et que Jean n’a pas l’intention de se marier, elle attire cyniquement Emmanuel dans le mariage. Elle a appris l’art de la dissimulation et de la manipulation grâce à Jean, qui sait que l’époque lui offre une chance qu’il ne doit pas manqueer. C’est la guerre. Les idéalistes s’engagent dans l’armée pour défendre les idéaux humanistes, mais l’industrie de l’armement a besoin de professionnels compétents au Canada - c’est la voie à suivre. Nul doute sur la réussite de Jean qui crée un désert émotionnel autour de lui. Emmanuel en souffre - dans son entourage. Il a du mal à supporter les horizons limités de sa caste aisée, il aspire à s’ouvrir et s’accroche aux grands idéaux. C’est pourquoi s’engage volontaire pour le champ de bataille européen. La famille prolétaire Lacasse se désagrège malgré les efforts de leur mère qui se sacrifie. Le père Lacasse, incompétent, finit par s’engager aussi car c’est le seul moyen de faire vivre la famille. Son fils dégoûté, ainsi que ses amis, en font de même, car ils ne voient pas d’autre moyen de sortir de la crise et de la misère. Ils sont tous à la recherche du bonheur. Mais au lieu du vrai bonheur, il n’y a que des bonheurs de substitution, des bonheurs occasionnels - des bonheurs tirés du malheur des autres. Bonheur d’occasion est un grand roman social. Il offre un échantillon représentatif de toutes les couches sociales, reliant les événements nationaux aux événements mondiaux. Le réseau des relations est cependant entièrement centré sur le Canada. C’est un Canada lié au monde, mais en même temps installé en son centre, où le monde résonne des échos des événements. Ce nouvel géocentrisme - dépassant la dichotomie entre régionalisme et exotisme - a également contribué au succès du roman, qui a atteint 750 000 exemplaires pour la seule traduction anglaise lors de sa première publication. Alexandre Chenevert (1954), roman psychologique sur un employé de banque, déroule à Montréal. Alexandre est en crise, se reproche d’avoir indirectement causé la mort de sa mère, et ne peut s’entendre avec ses collègues ou sa propre fille. Le seul moyen de sortir de sa détresse est un séjour à la campagne - à Green Lake, mais un retour dans la grande ville est déjà un chemin vers la mort. Dès les années 1950, l’auteur a suivi un chemin de retour vers le monde qu’elle connaissait et qui lui était familier - l’espace des prairies, la toundra, la nature. Les éléments autobiographiques s’intensifient - refondus en différents personnages et types de narrateurs, Apparaissent les figures de sa mère, de sa grand-mère, de son père, de ses frères et sœurs, ainsi que des personnes familières de son enfance et de ses rencontres ultérieures. Sa prose se détache de la forme compacte pour prendre celles des récits libres reliés entre eux, en utilisant la technique de la variation et de la progression motivique. Pour son roman La Petite Poule d’eau (1950), elle a puisé son sujet dans ses propres années d’enseignante au Manitoba. La protagoniste, Luzina Toussignant, vit avec son mari sur une île au milieu de la nature sauvage. Elle veut assurer l’éducation de sa grande famille, oblige son mari à construire une école à côté de leur maison et demande au gouvernement du Manitoba à envoyer des enseignants. Le thème du roman est le désir de bonheur, d’évasion, et l’inévitable solitude. La seule façon pour Luzina d’entrer en contact avec le monde est de se rendre chaque année à la maternité de la bourgade la plus proche pour l’accouchement, d’où elle ramène sur l’île déserte, une année après l’autre, un nouveau nourrisson. Elle veut donner une éducation à ses enfants, et pour elle, la présence d’un enseignant, différent à chaque fois, est une fenêtre sur le monde. En même temps, le bonheur de ses enfants la condamne à la solitude. Les enfants la quittent et elle perd aussi tout contact. Le ton lyrique et méditatif capte la tristesse humaine. L’œuvre suivante, Rue Deschambault (1955), un recueil de dix-huit récits dont l’action se déroule à Saint-Boniface, sa ville natale, et dans les prairies du Manitoba, s’inspire de ses expériences. La narratrice à la première personne, Christine, incarne l’auteure. Il en est de même dans un autre recueil, cette fois de quatre récits, La Route d’Altamont (1961). Alors que dans le premier cas, une partie des récits est centrée sur la figure du père, le second est dominé par les femmes - la grand-mère, la mère et la narratrice - dont la maturation de l’enfance à l’âge adulte crée un miroir mutuel, une empathie enrichie par l’expérience et le temps, lorsque l’enfant, dans sa propre découverte de soi, est capable de revivre sa relation avec sa mère d’une manière nouvelle et différente, lorsque sa mère se retrouve dans le rôle de la vieille femme solitaire. Roy a utilisé une technique similaire de double miroir – enseignante-élèves - dans sa nouvelle Les enfants de ma vie (1977). L’auteure a utilisé la technique des séries de nouvelles liées par thème dans ses autres titres : La Rivière sans repos (1970) se déroule dans le Nord inuit, Cet été qui chantait (1972) se situe au Québec et Un jardin au bout du monde (1975) revient dans les prairies du Manitoba. Comme Yves Thériault, Roy est sensible au choc des cultures et à l’altérité culturelle de ses personnages - des immigrants inuits, chinois et ukrainiens. L’idée que se fait Gabrielle Roy de sa quête artistique est dépeinte dans son roman La Montagne secrète (1962), où le peintre québécois René Richard est incarné le protagoniste romanesque Pierre Cadorai. Cadorai est un homme des bois, un trappeur de fourrures, un voyageur des plaines enneigées de la toundra. Il est également un dessinateur autodidacte, un chercheur de la beauté là où elle émerge dans sa forme pure d’une vie rachetée par la mort et l’extinction, une lutte pour la survie au-delà du bien et du mal. Les souffrances de la vie, le contact avec les autres sont une source d’inspiration. La montagne secrète - cachée dans la nature sauvage du Nord - représente une rencontre avec la beauté absolue, une rencontre éphémère et mortelle à cause de la menace du froid et de la mort, mais aussi une rencontre unique car le peintre ne retrouvera jamais le chemin de la montagne qui demeurera secrète. Mais la beauté doit être transformée par une technique que le peintre apprend à Paris au prix de la souffrance et de l’incompréhension. Et c’est ici qu’il meurt dans sa quête. La Montagne secrète est un récit puissant dans lequel l’auteur a inséré une part importante d’elle-même, comme dans son autobiographie publiée à titre posthume, La Détresse et l’Enchantement (1984). Marie-Claire Blais (5.10. 1939 Québec – 30.11. 2021 Key West) La puissance de son premier roman, La Belle Bête (1959), et ses premiers succès sur la scène littéraire parisienne - le prix Médicis (1966) pour Une saison dans la vie d’Emmanuel (1965) - ont marqué l’émergence d’une nouvelle génération des 1960. Pourtant, elle reste - comme Réjean Ducharme, qui en fait partie - à l’écart de l’engagement souverainiste de la périose. Pour Marie-Claire Blais, l’art et la création signifient une valeur absolue, une transcendance qui peut être la rédemption de l’existence. C’est pourquoi ses œuvres - ancrées dans le réalisme, motivées par la psychologie, critiques sur le plan social et façonnées de manière élaborée - présentent une imbrication symbolique indéniable. Bien qu’elle doive gagner sa vie et interrompre ses études dès l’âge de quinze ans, elle se tourne résolument vers la création littéraire, encouragée par l’abbé Georges-Henri Lévesque, sociologue. En cinq ans, elle publie trois romans et deux recueils de poésie, et reçoit deux bourses de création littéraire de la Fondation Guggenheim (1963, 1964). Elle effectue un long séjour à l’étranger - à Cape Cod aux États-Unis et en Bretagne - avant de revenir au Québec (1975). De nombreux prix littéraires confirment sa carrière d’écrivain professionnel. Le roman La Belle Bête (1959) peut être lu comme une étude psychologique de l’amour pathologique d’une mère contemplant le beau corps de son fils retardé mental, qu’elle rejette lorsque sa sœur laide et mal aimée le mutile par jalousie. Mais l’histoire peut également être interprétée comme une passion dévastatrice et comme un symbole de l’effet malsain et pervers de la beauté. La relecture moderne du mythe de Narcisse se déroule dans la campagne québécoise et constitue donc également un « anti-roman » de la littérature du terroir. Les enjeux psychologiques de la maturation affective des individus orphelins ou solitaires et la recherche de liens interpersonnels caractérisent deux autres textes de jeunesse - Tête blanche (1960), Le jour est noir (1960) et L’Insoumise (1966), qui repose sur la confrontation du triple regard - mère, père et ami - sur le défunt Paul. Outre la dimension noétique - à savoir la question du caractère insaisissable de l’unicité humaine -, le thème de la rébellion et de la rupture des liens familiaux domine. L’insoumise en question est la mère qui, à travers l’amour de son fils pour une femme mariée plus âgée, éprouve un sentiment de libération émotionnelle. La rupture des traditions rigides, de l’autorité familiale et des institutions sociales constitue la base thématique des romans les plus connus, Une saison dans la vie d’Emmanuel (1965) et la trilogie libre Manuscrits de Pauline Archange (1968), Vivre ! Vivre ! (1969) et Les Apparences (1970). Le premier a choqué par le portrait cru d’une famille rurale arriérée et par sa cruauté. Il s’agit donc à nouveau d’un « anti-roman » du roman du terroir. Le croisement des perspectives narratives, l’héroïsation parodique, l’ironie et l’humour multiplient les niveaux d’interprétation. La subversion des valeurs familiales et sociales a une tonalité rimbaldienne de voyage vers l’espace libre de l’art. Si dans ce roman, l’espoir sombre dans la misère de la vie, dans la trilogie de Manuscrits de Pauline Archange, la vie et la maturation émotionnelle débouchent déjà sur la promesse d’une création future. Les questions psychologiques de la recherche désespérée de soi et des attachements affectifs, y compris les relations homosexuelles, sont traitées dans David Sterne (1967) et Le Loup (1972) et, en rapport avec le travail littéraire et la profession d’écrivain, dans Une liaison parisienne (1975) et Les Nuits de l’Underground (1978), qui dépeignent le milieu des bars lesbiens et gays de Montréal avec autant de dureté que les pièces de Michel Tremblay. Une parodie des intellectuels joualisants est Un joualonais, sa joualonie (1973). Une analyse de la rupture culturelle et sociale entre la génération libertine, libérale et pacifique des années 1960 et la jeunesse fascinée par la violence, le fascisme et vivant sous l’emprise de la drogue est présentée du point de vue des filles dans Visions d’Anna ou Le Vertige (1982) et du point de vue des garçons dans Pierre (1981) et La guerre du printemps (1984). Dans le prolongement de cette orientation thématique, on trouve le vaste cycle nommé d’après le premier volume, Soifs (1999), suivi des romans Dans la foudre et la lumière (2001), Augustino et le chœur de la destruction (2005), Naissance de Rebecca à l’ère des tourments (2008) et Mai au bal des prédateurs (2010). Autour de la famille intellectuelle de Valérie et Daniel et de leurs enfants Samuel, Vincent, Augustin et Mai, dont les aînés trouvent progressivement leur rapport à la vie à travers l’art - musique, ballet, littérature - gravitent des cercles d’artistes spirituels : tous doivent faire face aux maux du monde contemporain - l’héritage des guerres, des pogroms, des famines, des intolérances, des violences qui infectent la vie, tuent et torturent. Les personnages s’efforcent de trouver une transcendance existentielle, en s’engageant dans la politique, la vie publique ou l’art. Ici, l’auteur a adopté la narration du monologue intérieur, inspirée par Virginia Woolf, mais l’a développé de manière polythématique en un vaste courant de conscience circulant sans discontinuité d’un personnage à l’autre. Les thèmes des pièces sont similaires : pour L’Exécution (1968), l’auteure s’est inspirée d’un événement réel - un meurtre dans un lycée ; L’Océan (1977) se concentre sur le thème de la singularité de l’artiste et la question de l’inspiration. En poésie - plutôt que les recueils Pays voilés (1963) et Existences (1964) - c’est le poème en prose, injustement sous-estimé, Les Voyageurs sacrés (1969), histoire de trois artistes et parabole d’un triple voyage à la recherche de la beauté, qui retient l’attention. Michèle Lalonde (28 juillet 1937 Montréal) De tous les poètes des années 1960 et 1970, Michèle Lalonde s’est montrée la plus convaincante dans la mise en scène publique des mots. Seul son deuxième recueil, Geôles (1959), révèle une première orientation méditative dans la lignée du personnalisme d’Hector de Saint-Denys Garneau et d’Anne Hébert. Son premier poème, Le Songe de la fiancée détruite (1958), a été réalisé à la radio comme une composition pour trois voix-figures : la voix de la fiancée, celle du vendeur d’alouettes et celle de l’éclusier. Ici, la fiancée est identifiée à la ville - espace ouvert. De la même veine - en tant qu’oratorio vocal - et avec accompagnement musical est le texte Terre des hommes (1967), mis en scène lors de la cérémonie d’ouverture de l’Exposition universelle de Montréal (29 avril 1967). Une suite libre en est Métaphore pour un nouveau monde (1980). Le public et la postérité se rappellent la récitation publique du poème Speak White lors de la Nuit de la poésie de Montréal (27 mars 1970) et publié par Hexagone, d’abord sous forme d’affiche (1974). C’est un manifeste politique poétique et un appel. Speak White peut être considéré comme la quintessence poétique des complexes nationaux, des haines, des rigidités et des aspirations de la Révolution tranquille. L’intention performative de la déclaration et le mélange des langues rappellent les homélies baroques. Les poèmes de ce type semblent avoir remplacé l’art oratoire des périodes précédentes dans les années 1960 et 1970. Michèle Lalonde une intellectuelle de haut vol, familière des élites anglo-saxonnes : après avoir obtenu un diplôme en philosophie de l’Université de Montréal, elle a étudié à l’Université Harvard (1960), puis a fait de longs séjours à Baltimore et à Londres. Au Québec, l’œuvre de sa vie est liée à son travail à la radio et à son enseignement à l’École nationale de théâtre. L’engagement culturel et public de Michèle Lalonde est confirmé par ses articles dans de nombreux périodiques, notamment Liberté, ainsi que par le recueil d’essais, de prose et de poèmes mentionné plus haut, Deffence et illustration de la langue québécoise (1979). Françoise Loranger (13 juin 1913 Saint-Hilaire - 6 avril 1995 Montréal) Par sa date de naissance, elle appartient à la génération de Gabrielle Roy et Yves Thériault 1960. L’éducation minutieuse qu’elle a reçue au couvent de Saint Louis Gonzague lui a ouvert les portes d’une carrière dans le journalisme, principalement à la radio, puis à la télévision. Son premier roman, Mathieu (1949), combine une intrigue psychologique de la maturation émotionnelle d’un jeune écrivain dans l’atmosphère étouffante de la culture et de la société canadienne-française. Ses premières pièces ont un thème similaire : Georges... Oh ! Georges (1965), Encore cinq minutes (1967), Un cri qui vient de loin (1967) et Une maison... un jour... (1965) - sur un vieillard qui doit quitter une maison destinée à la démolition. Loranger a expérimenté un psychodrame collectif dans Double Jeu (1969) : un groupe d’acteurs sur scène imagine - afin d’impliquer les spectateurs dans le jeu - des variations sur le problème familier, éthiquement insoluble, d’une femme qui veut sauver l’homme qu’elle aime et qui demeure sur l’autre rive de la rivière. Mais le passeur pourrait la violer. Que faire? Le psychodrame a même provoqué un incident dans le public lors de l’avant-dernière représentation. Avec Claude Levak (né en 1940), Loranger a écrit le psychodrame social Le Chemin du Roy (1969), qui, comme Hamlet de Gurik, est une réaction à la visite de de Gaulle à Montréal et au scandale qu’il a provoqué avec son exclamation « Vive le Québec libre ». Le sous-titre, Comédie patriotique, ironise, sous forme d’un match de hockey, les conflits patriotiques entre séparatistes québécois et anglo-canadiens. Une autre pièce collective qui doit encore une fois être considérée comme la production d’une question urgente est Médium saignant (1970), qui est un écho des querelles concernant la langue d’enseignement dans le quartier Saint-Léonard de Montréal. Loranger transpose le conflit en une réunion du conseil municipal, où il est suggéré qu’à l’avenir, on réduise les dépenses de l’interprétariat et que les réunions se déroulent exclusivement ou en français ou en anglais. La force de toutes ces pièces de Loranger consista à éviter tout simplification idéologique. La résolution est laissée ouverte afin que le public soit attiré dans le conflit et que la scène devienne un lieu de la catharsis sociale. Il s’agit sans aucun doute d’une forme réussie et intelligente du théâtre engagé. Louky Bersianik, de son vrai nom Lucile Durand (14.11. 1930 Montréal - 3.12. 2011 Montréal ) Cinéaste au double nom, elle est intervenue dans l’animation, la littérature pour enfants, la chanson canadienne-française, le théâtre, la radio et la télévision, la poésie et la prose. Elle est diplômée en littérature et en bibliothéconomie de l’Université de Montréal (1952) et a été boursière à la Sorbonne (1953-1954). À Montréal, elle a ensuite travaillé à la bibliothèque municipale, enseigné au lycée et donné des conférences à l’Université Concordia et à l’Université du Québec, et écrit des paroles de chansons, des dialogues et des scénarios de films d’animation. Elle a présenté l’un d’entre eux - avec son mari, le co-créateur Jean Letarte - à Prague (1954). Dans les années 1960, elle publie plusieurs nouvelles pour enfants et jeunes, comme Koumic, le petit Esquimau (1964), Togo, apprenti remorqueur (1965). Jusqu’en 1976, elle a signé ses œuvres sous le nom de Lucile Durand. Son engagement dans le mouvement des femmes a réorienté sa création. L’audace de ses idées et la radicalité de ses formulations l’ont placée dans le rôle d’interprète informel des idées nouvelles, aux côtés de Nicole Brossard et de France Théoret. La publication d’Euguélionne (1976) devient un événement. Ce livre de 400 pages est sous-titré « roman triptyque ». Il s’agit d’un texte hybride : la fiction permet ici de formuler des opinions qui n’échapperaient pas au jugement critique dans un essai, et l’aspect essayiste soutient à son tour la fiction. Euguélionne est un être onirique d’un autre monde - la fille de la déesse Wonjina et du cerveau suprême. Elle vient sur Terre pour trouver un partenaire masculin. Elle regarde le monde de haut et prononce des jugements, communique des messages. Dans sa forme et son contenu, c’est une sorte de transcription ou de pastiche des Évangiles, ou un Évangile d’un genre nouveau. Dans la même veine se situe Le pique-nique sur l’Acropole (1979), un pastiche du Symposium de Platon : sept femmes, dont Xanthippe de Socrate, conversent, et alternent monologues, dialogues et parabases mythologiques sous forme musicale allant du Prélude, au Premier Concerto, au Deuxième Concerto, etc. La fusion postmoderne des genres est un exemple de l’écriture féminine, à laquelle les diktats de la raison (masculine) ne s’appliquent pas. Tout aussi remarquable est le recueil de textes - entre poésie et essai - Maternative (1980). Le titre fait référence, comme on peut le constater, à la mère et à la littérature maternelle, mais aussi à l’écriture alternative et à la terre natale (ma terre native, avec des connotations archétypales). Sur le plan idéologique, le livre se concentre - comme les ouvrages précédents - sur la dénonciation de tout ce que la culture patriarcale a apporté de négatif - le dénigrement de la féminité et de l’érotisme féminin, le viol, la clitoridectomie. Maternative se compose de trois parties, chacune de trois textes, dont le premier, « Me tangere », est une exaltation lyrique de la sensualité, le deuxième, « Vers l’inconsolabilité », consiste en des dialogues, des conversations téléphoniques, etc. sur les difficultés auxquelles sont soumises les femmes, et le troisième, « Maternative », est à nouveau une réflexion lyrique sur la naissance d’une nouvelle féminité et d’un nouveau langage féminin, pré-oedipien. Le style inimitable et hybride de Louky Bersianik, ses opinions radicales et ses plongées lyriques dans la sensibilité féminine caractérisent ses recueils de poésie Les Agénésies du vieux monde (1982), Au beau milieu de moi (1983) et Kerameikos (1987). Le roman Permafrost (1997) revient sur le sentiment de malheur, de vide et d’humiliation d’une jeune fille confrontée au vide affectif, à la morale rigide et au régime des internats scolaires. Elle y fait face à force d’imagination - amis imaginaires et une écrivaine imaginaire, Esperanza, qui lui prédit l’avenir. Yolande Villemaire (28.8.1949 Saint-Augustin-de-Mirabel) Elle a terminé ses études à l’Université du Québec à Montréal avec une licence (1970) et une maîtrise (1974) en théâtre. Elle a travaillé comme professeur de lycée et a également animé plusieurs ateliers de production littéraire et de récitation de poésie, notamment à New York, San Diego (1985) et Paris (2000). Elle a contribué, principalement comme critique de théâtre, à tous les grands périodiques de sa génération : Les Cahiers de Théâtre Jeu, Cul-Q, Mainmise, La Nouvelle Barre du Jour, Hobo-Québec. Elle a passé la période 1989-1991 dans un ashram du Maharashtra, en Inde, un séjour qui lui a inspiré son roman Le dieu dansant (1995) et son recueil de poèmes La Lune indienne (1994). Elle a débuté avec la poésie expérimentale - un recueil de poèmes intitulé Machine-t-elle (1974), qui est une tentative de mettre en miroir l’écriture elle-même et son objet en l’absence du pronom « je », donc avec la suppression du sujet poétique et la réduction des formes verbales. C’est la notion de langage féminin de la poète, qu’elle développe ensuite dans ses autres recueils expérimentaux Terre de mue (1978), Les Coïncidences terrestres (1983), Quartz et mica (1985) et Souffler dans sa main (1991). Villemaire n’expérimente pas moins avec la forme romanesque. Meurtres à blanc (1974) donne l’impression d’un roman policier et d’espionnage, mais peu à peu l’histoire se dénoue, l’instance narrative est remise en question, et les coordonnées spatio-temporelles s’effondrent. La seule certitude qui demeure est le texte et l’écriture, ou plutôt le texte qui se fait et se défait. Une stratégie narrative astucieuse est employée dans La Vie en prose (1980), sans doute le plus imaginatif des romans de l’auteur. L’histoire se déroule dans une maison d’édition qui compte une douzaine de femmes - rédactrices, personnel et, surtout, auteures. Chacune d’entre elles écrit une œuvre qui reflète son entourage et les œuvres des collègues. Des allusions à Nicole (Brossard), Maria (Savard), Tzvetan Todorov, ou des citations et pastiches de French Kiss (Brossard), Neige Noire (Aquin), etc. ancrent le récit dans une réalité extra-littéraire et pourtant littéraire. De la prose expérimentale qui caractérise également Ange Amazone (1982), Villemaire passe à une narration plus traditionnelle. Cela fait ressortir d’autant plus l’érotisme et le mysticisme de certaines histoires, comme celle qui réunit et juxtapose une prostituée juive et un officier allemand pendant la Seconde Guerre mondiale dans La Constellation du Cygne (1985). Cette orientation est confirmée dans sa prose et ses poèmes « indiens ». Monique LaRue (3.4. 1948 Longueuil) Elle est incluse dans la littérature féministe pour ses héroïnes de fiction féminines et ses efforts pour saisir la vision féminine du monde. En termes de qualité, de rigueur intellectuelle et de volonté d’expérimentation, LaRue transcende certainement cette définition étroite. Elle a étudié la philosophie à l’Université de Montréal (1970) et à la Sorbonne (1971). Elle a également obtenu un doctorat de l’École pratique des hautes études de Paris (1976). Depuis 1974, elle enseigne dans une école secondaire de Longueuil, en banlieue de Montréal, en contribuant à des périodiques tels que Spirale, La Nouvelle Barre du Jour. Son premier roman, La Cohorte fictive (1979), est à la fois une histoire de cinq sœurs et une histoire sur une histoire - une exploration de la relation entre le corps et le langage, entre l’enfantement et le texte. Le narrateur alterne entre la première et la troisième personne, plongeant dans la conscience des personnages, suivant les mouvements de l’esprit et les émotions. Les cinq sœurs, menées par Clotilde, enceinte, représentent la première génération urbaine d’une longue lignée de femmes dont elles rejettent le mode de vie. Ce changement d’attitude crée toutefois un fossé intergénérationnel, un sentiment de vivre en vase clos, de perdre le contact avec le passé et la génération de leurs mères. Cette tension psychologique accompagne les autres héroïnes et héros. Le roman Les Faux-fuyants (1982), écrit, au dires de l’auteure, sous l’influence de la peinture hyperréaliste, est basé sur l’analyse psychologique d’une famille post-industrielle en voie de désintégration : le père ne considère pas ses enfants comme siens, la mère fréquente les cliniques psychiatriques, les jumeaux Klaus et Élodie appartiennent à une génération nihiliste qui ne croit en rien et à rien - comme les protagonistes des romans de Marie-Claire Blais, La vision d’Anne (1982) et Pierre (1984) - de la même époque. Ils partent néanmoins rendre visite à leur mère dans les Laurentides, mais celle-ci est déjà partie ailleurs. Pour les jumeaux, la recherche de leur mère se transforme en une fuite sur les chemins qui divergent : ils errent à travers l’Amérique dans l’espoir d’être un jour réunis. Copies conformes (1989) crée le semblant d’une réécriture postmoderne du Faucon maltais de Dashiell Hammett afin de faire ressortir d’autant plus l’idée centrale - la question de l’originalité et de l’unicité dans une société contemporaine où tout peut être copié, parfaitement imité et reproduit. Cependant, au lieu de Humpfrey Bogart, qui jouait le rôle du détective dans le film, il y a une protagoniste, Claire Dubé. Son mari - un programmeur informaticien - est déjà parti pour Montréal, et elle doit encore organiser un déménagement à San Francisco, fermer un compte bancaire et prendre possession de la disquette contenant le travail de son mari sur Le Faucon maltais. Et là, elle entre dans un labyrinthe d’intrigues, de mystères - comme dans un roman policier. En Californie, Claire éprouve un vertige de l’irréel, et son fils finit par l’aider à sortir de ce piège. La Démarche du crabe (1995) place un protagoniste masculin au centre du roman, mais reste fidèle au thème féminin : Luc-Azade, la quarantaine, traverse une crise existentielle et tente de forger, à partir de sa mémoire et de son passé, non pas sa masculinité mais sa féminité profonde, héritage de sa mère. Le roman est écrit à la première personne. La Gloire de Cassiodore (2002) s’écarte d’un sujet étroitement féminin : il s’agit d’une satire du microcosme lycéen, non héroïque, mondain, qui dévalorise même les véritables drames humains, car les mots et le savoir ont ici un arrière-goût d’artifice et d’irréalité. Monique Proulx (17. 1. 1952 Québec) Après ses études littéraires et théâtrales à l’Université Laval de Québec, Monique Proulx a d’abord travaillé comme professeure de lycée, organisatrice de théâtre à l’Université du Québec à Montréal avant de se faire un nom en littérature et en cinéma. Parmi les films qu’elle a réalisés, ses plus grands succès sont les scénarios du Sexe des étoiles (1993), basé sur son roman éponyme Le sexe des étoiles (1987), et du Cœur au poing (1998), qui a remporté le prix du meilleur film canadien au Festival international du film de Montréal, le Grand Prix et le Prix de la critique au Festival du film de femmes de Marseille. Un autre film, Souvenirs intimes (1999), est basé sur le roman Homme invisible à la fenêtre (1993). Influencée par le film, Proulx combine la couleur et la vision spatiale avec le sens du suspense. Homme invisible à la fenêtre est centré sur le personnage d’un peintre, condamné à une vie en fauteuil roulant après un accident de voiture. Des amis entrent dans le studio de Max, chacun avec une blessure à l’âme : lui, il prend possession de leurs corps pour reconstituer son monde, alors qu’ils trouvent en lui la force et la luminosité pour continuer à vivre. Un septième s’ajoute aux six drames personnels lorsque la femme que Max a aimée autrefois et qui est à l’origine de son malheur apparaît à la fenêtre de la maison de l’autre côté de la rue. Le Sexe des étoiles (1987) est l’histoire de la rencontre de trois personnages solitaires - un scientifique, un écrivain frustré et une fille amoureuse de l’astronomie - avec Marie-Pierre, un transsexuel, autrefois microbiologiste qui les confronte à la question de la contradiction entre la surface et la substance, l’apparence et le sentiment de vie profond. Car qu’est-ce qui fait de nous des hommes ou des femmes ? Les recueils de nouvelles Sans cœur et sans reproche (1983) et surtout Les Aurores Montréales (1996) offrent une mosaïque de destins humains entrelacés - la vision de Montréal de l’auteur. Jovette Marchessault (9. 2. 1938 Montréal - 31.12. 2012 Danville) Romancière et dramaturge, elle est également peintre et sculpteure qui a exposé dans plus de deux douzaines de galeries au Canada, à Paris, à Bruxelles et à New York. Elle est l’une des organisatrices de l’art féministe. Elle a initié et coordonné l’exposition 8 Montreal Women in New York (1989), et a joué un rôle déterminant dans la fondation de la maison d’édition internationale Squawtach Press (1980). Elle relie les questions relatives aux femmes à celles des peuples autochtones, car elle a du sang indien dans les veines. Elle s’est formée à l’art et au métier de l’écriture en autodidacte. Dès l’âge de quinze ans, elle travaille dans des usines textiles, puis dans des librairies et dans l’administration. Elle est artiste visuelle et écrivain depuis la fin des années 1960. Elle a collaboré à La Barre du Jour, La Nouvelle Barre du Jour et plus tard à La Vie en rose, Fireweed et 13 Moon. Elle a débuté avec le roman Comme une enfant de la terre (1975), qu’elle a élargi en une trilogie avec La Mère des herbes (1980) et Des cailloux blancs pour des forêts noires (1987). La base du récit est constituée de faits autobiographiques, mais Marchessault les transforme en un voyage initiatique vers la féminité, l’art et la littérature. Placé sous le patronage de Jack Kerouac, le pèlerinage se déroule à travers l’Amérique du Nord, et la protagoniste est accompagnée d’adjuvants mythiques comme la Grande Ourse, le Petit Corbeau et la Grande Mère. La trilogie est aussi une représentation de la lutte pour sortir de la culture et de l’histoire masculines. Le passage au théâtre est représenté par le Triptyque lesbien (1980). La première partie, « Chronique lesbienne du Moyen Âge québécois », peut être qualifiée de fiction-essai : l’aliénation de la femme est la vue comma le conséquence d’une éducation masculine toute puissante, faites de violences perpétrées par la famille, l’église et l’école. Cette partie négative et critique est suivie de « Vaches de nuit », un récit lyrique de la relation mère-fille et une évocation de la féminité qui ne peut s’élever pour danser sur la Voie lactée que la nuit et dans l’imagination, alors que le jour, les femmes sont menées à l’abattoir de la chambre nuptiale et à la torture de la maternité imposée. Cette partie est généralement mise en scène sous la forme d’un monologue dramatique. La troisième partie, « Les faiseuses d’anges », est une « poésie théâtralisée ». Les chérubins représentent la rébellion féminine. Elles aident les femmes qui n’ont pas choisi la maternité à avorter, elles montrent le chemin de la liberté féminine. La lutte pour une féminité libre et le sort des femmes créatrices sont illustrée dans plusieurs pièces. La Saga des poules mouillées (1981) cache les grandes écrivaines – Laure Conan, Germaine Guèvremont, Gabrielle Roy, Anne Hébert - sous les noms métaphoriques des personnages - Ancienne, Paroissienne, Petite Corneille, Tête Nuageuse. En six tableaux, elles confrontent les désirs intimes et la nécessité de tout cacher à la société, de tout dissimuler dans les secrets de la création. Le drame Alice et Gertrude, Natalie et Renée et ce cher Ernest (1984) se déroule à Paris en octobre 1939 met en scène les artistes lesbiennes - Natalie Clifford Barney, Renée Vivien, Alice B. Toklas, Gertrude Stein et Ernest Hemingway. L’intrigue est fictive, symbolique. Une fête et une discussion autour de l’Arche, un documentaire sur les femmes cinéastes censurées pour leur homosexualité, servent de trame. La menace du troisième Reich allemand est ici un concentré de la répression sociale. La soirée se termine par la venue d’autres écrivaines - Colette, Djuna Barnes, Marguerite Yourcenar. La lutte pour la libre expression, la vie libre et le choix de l’orientation sexuelle sont dépeints par les drames biographiques La Terre est trop courte (Violette Leduc), Anaïs, dans la queue de la comète (1985) et Le Voyage magnifique d’Emily Carr (1990), et en prose, Lettre de Californie (1982), dédiée à la féministe radicale américaine Meridel Lesueur. Nicole Brossard (27.11. 1943 Montréal) Elle est non seulement l’une des plus importantes théoriciennes du féminisme québécois, mais aussi l’une des figures littéraires les plus remarquables de la littérature québécoise. La base de son expression artistique se trouve dans le formalisme des Herbes Rouges et de La Barre du Jour soutenu le postulat de la co-substantialité du texte et du corps (le sujet), où le texte devient une exploration du moi et de ses potentialités signifiantes. La poésie et la prose de Nicole Brossard travaillent subtilement la matière des mots - le signifiant - les sons, les allitérations, les homophones. Avec Michel Beaulieu, elle est souvent considérée comme une continuation de la poésie analytique et « antilyrique ». Le deuxième aspect important est la réflexion théorique sur la création, qui fait partie du processus de construction du sens du texte. Outre les recueils de poésie des années 1960, qui sont « purement » littéraires, l’auteure évolue entre la poésie narrativisée et théorisée, le récit poétique et théorique et l’essai poétisé. À partir du milieu des années 1970, son seul engagement et sa seule idéologie sont le féminisme, mais elle le théorise en termes de formalisme, comme un langage corporel exploratoire. À l’Université de Montréal, Nicole Brossard a acquis une solide formation en théories littéraires modernes, en plus de ses diplômes en littérature et en éducation (1968). Son travail pédagogique a été bref (1969-1971). Elle était beaucoup plus attirée par les événements littéraires et culturels. Avec Roger Soublière, elle fonde et dirige La Barre du Jour (1965-1975), codirige La Nouvelle Barre du Jour (1977-1979), et coordonne le travail du spectacle de jazz et de poésie au Pavillon de la Jeunesse dans le cadre des activités de l’Exposition universelle (1967). Militante du mouvement féministe, elle fonde la revue Les Têtes de pioche (1976-1979) et est l’une des co-auteures de l’importante performance théâtrale féministe La Nef des sorcières (1976 ; avec Luce Guibeault, Marthe Blackburn, France Théoret, Odette Gagnon, Marie-Claire Blais, Pol Pelletier). Avec Luce Guibeault, elle a réalisé le film On Some American Feminists (1976) et avec Lisette Girouard, elle a publié l’Anthologie de la poésie des femmes au Québec. 1677-1988 (1991), qui a ensuite été élargie en Anthologie de la poésie des femmes au Québec des origines à nos jours (2003). Les thèmes féminins du langage et de la corporalité sont plus clairement représentés dans le recueil Amantes (1980), qui combine des poèmes strophiques et en prose avec des passages théoriques sur la subjectivité féminine. Le deuxième recueil de textes et de poèmes, Double Impression (1984), suivi de Mauve (1985), L’Aviva (1985) et des réflexions Domaine d’écriture (1985). Ici, le thème de la féminité s’élargit vers l’homosexualité féminine. Nicole Brossard est aussi auteure de romans expérimentaux. Son premier ouvrage, Un livre (1970), a surpris par sa conception radicale. Si le roman québécois des années 1960 - Aquin, Godbout, Bessette - a utilisé les techniques d’avant-garde du Nouveau Roman français, il n’est pas allé au-delà de la remise en cause de la fonction référentielle. Brossard - conformément à sa poétique formaliste - a transformé le texte lui-même en objet du roman, en une réflexion sur l’écriture. C’est donc un roman sans intrigue, sans psychologie, sans la construction narrative habituelle, et pourtant l’atmosphère des lieux et les relations entre les cinq personnages sont puissamment évocatrices. Les personnages, cependant, ne sont que la base du lyrisme et de la réflexion. Cette position de base est maintenue dans les autres romans : Sold-out. Étreinte/illustration (1973), French Kiss. Étreinte/Exploration (1974), L’Amèr ou Le Chapitre effrité. Fiction théorique (1977), Picture Theory (1982), Le Désert mauve (1987), Baroque d’aube (1995), Elle serait la première phrase de mon prochain roman (1998), Hier (2001). Alors que French Kiss relate des lieux mystiques de l’amour dans les rues de Montréal, et que Picture Theory étend ce thème à New York et Paris, L’Amèr dessine une carte mentale et émotionnelle du féminisme. Les points de départ sont ici les constatations « j’ai tué le ventre » et « écrire je suis une femme est plein de conséquences ». En plus de rejeter le rôle subordonné de l’épouse-mère, le roman évoque et théorise la différence entre la perception masculine (visuelle) et la perception féminine (tactile), explore l’intériorité des femmes, relie les mondes privé et public et met les femmes au défi de changer l’histoire pour que his story devienne her story. L’interprétation idéologisante n’est - comme c’est le cas pour les œuvres postmodernes - qu’une des possibilités. Le caractère expérimental des romans et leur nature poétique peuvent illustré par le Désert mauve. Le texte se compose de trois parties, chacune ayant une pagination distincte indiquée dans l’en-tête et une pagination globale et continue en bas de page. La double histoire de la première partie située en Arizona - sur la maturation émotionnelle d’une fille, Laure Angstelle, jalouse de la maîtresse de sa mère, et d’un homme qui cache dans sa chambre les plans d’une arme dévastatrice - est suivie du passage d’une traducttrice qui découvre l’histoire dans une librairie de Montréal et décide de la traduire. Pour ce faire, elle décortique l’histoire, analysant les scènes, les lieux et les personnages. La troisième partie est la traduction : du français vers le français. Le texte est accompagné de photographies. Le nom même du personnage central suggère que le roman doit également être interprété comme un symbole de la lutte contre l’angoisse (Angst en allemand), une lutte pour la vie. D’où la forte qualité métaphorique et poétique. France Théoret (17.10. 1942 Montréal) Avec Nicole Brossard et Louky Bersianik, elle est l’une des représentantes les plus en vue du féminisme québécois. Elle est diplômée de l’Université de Montréal (1968) et a obtenu un doctorat de l’Université de Sherbrooke. Complétant sa formation littéraire par des études de psychanalyse à Paris (1972-1974), elle se consacre, parallèlement à l’ enseignement au lycée et aux affaires culturelles. Elle a cofondé la revue féministe Les Têtes de pioche (1976) et la revue culturelle Spirale (1979), et a contribué à La Nouvelle Barre du Jour, Estuaire, Les Cahiers de la Femme. Elle est également co-auteure d’une pièce de théâtre féministe, La Nef des sorcières (1976), qui a eu un fort impact en son temps. La conception que le poète se fait de la parole féminine peut être rapprochée du rôle libérateur du joual formulé par le groupe autour de la revue Parti pris. Pour Théoret, le langage n’est pas un outil neutre, il est masculinisé autant que la société qu’il sert, et prive donc les femmes de la possibilité de s’exprimer librement. Pourtant, la maîtrise de la parole est une condition de la libération. La différence avec le Parti pris est toutefois significative. La femme n’a pas à sa disposition un instrument prêt à l’emploi - un autre sociolecte, le joual. Elle doit encore créer son propre instrument, dans et contre le langage masculin. C’est pourquoi le langage poétique est à la fois une subversion et une construction ; il exige de briser les structures rigides et rationnelles et de créer de nouveaux contextes. Ce que Théoret a également en commun avec le concept de Parti pris, c’est son point de départ – la marginalité, en l’occurrence la marginalité féminine incarnées par celle qui est la plus privée de toutes les femmes de sa parole et de son corps - la prostituée. Elle lui prête la parole. Style elliptique, syntaxe décousue caractérisent les recueils Bloody Mary (1977), Une voix pour Odile (1978), Vertiges (1979) Nécessairement putain (1980). La poésie d’Intérieurs (1984) repose sur la parabole de la maison, aménagée de manière bien différente de l’habitation masculine rationnelle. Le style fragmentaire de l’auteur, qui mêle narration et réflexion, se reflète dans le labyrinthe de fragments et de personnages narratifs changeants de Nous parlerons comme on écrit (1982), un roman dont le thème est la recherche de soi. France Théoret a également écrit le livret de la comédie musicale Transit (1984), basée sur le thème féminin banal de l’attente : ici, la femme qui attend est une mère avec son enfant dans un hall d’aéroport, au milieu d’un monde en mouvement. Parmi ses travaux plus récents, citons les recueils Étrangeté, l’étreinte (1992), Une mouche au fond de l’œil (1998), ainsi que les romans Laurence (1996) et Huis clos entre jeunes filles (2000). Louise Dupré (9.7. 1949 Sherbrooke) Elle représente un éloignement du féminisme radical au profit d’une altérité féminine fondée sur l’empathie. L’immersion en soi est complétée par la sensibilité à l’autre. Sa poésie - poèmes en prose et vers libres - tend vers la narration. Elle est également dramaturge et romancière. Elle a complété ses études à l’Université de Sherbrooke par une maîtrise en littérature (1973), et a obtenu un doctorat en littérature française à l’Université de Montréal (1987), ayant soutenu sa thèse sur la poésie féminine québécoise. Elle a ensuite enseigné dans des lycées, donné des conférences à l’Université Concordia et à l’Université de Montréal. Elle a terminé sa carrière de professeure à l’Université du Québec à Montréal. Après la publication de sa pièce Si Cendrillon pouvait mourir ! (1980), qu’elle a coécrit avec Louise Cotnoir, elle a obtenu le prix Alfred Desrochers pour son recueil de poésie La Peau familière (1983) : images télévisées de la guerre du Liban, angoisse d’une femme seule dans une ville du soir, rencontres, étreintes, méditations avec Roland Barthes, Hélène Cixous, Claude Beausoleil entrent dans les images fragmentaires du monde de la poète. Les textes sont entrecoupés de photographies. Où (1984) penche vers l’érotisme, l’expérience du corps, tandis que les autres recueils - Bonheur (1988), Noir déjà (1993), Tout près (1998), Les Mots secrets (2002) - étendent à nouveau le champ vers le monde, vers une réflexion générale. Le recueil Plus haut que les flammes (2010) est une réflexions lyrique sur le mal humain, inspiré par la visite du camp de concentration d’Auschwitz. Les traumatismes de la vie - le suicide, le vieillissement - sont dépeints du point de vue d’une femme dans les romans La Memoria¨(1996) et La Voie lactée (2001). L’Album multicolore (2014) relate la relation entre la mère mourante et sa fille, la narratrice. Les relations intergénérationnelles sont aussi le thème de la pièce de théâtre Tout comme elle (2006) et du roman Théo à jamais (2020), sur le parricide du fils. Esther Rochon, née Blackburn (27 juin 1948, Québec) Lors de la création des magazines de science-fiction, Esther Rochon gravite non pas vers le concept large de Solaris, qui intègre la prose et la bande dessinée, mais vers l’idée de la science-fiction pure d’Imagine, qui met aussi davantage l’accent sur la théorie et la critique. Le caractère distinctif s’est émoussé au fil du temps, et tout comme Élisabeth Vonarburg liée d’abord à Imagine, Esther Rochon a travaillé aussi avec les éditeurs de Solaris et de Fiction. Elle a également contribué à La Nouvelle Barre du Jour et à Canadian Women Studies / Les Cahiers de la Femme. Esther Rochon a le sens de l’expérimentation tout en étant proche du féminisme littéraire. Depuis 1980, Rochon, mathématicien de formation, s’est engagé dans le mouvement bouddhiste, voyageant en Europe, en Inde et au Tibet, et enseignant au Centre Shambala à Montréal. Plutôt qu’à la science-fiction pure, sa prose appartient au genre fantasy, avec un ton initiatique. Le roman Coquillage (1985) a été écrit à une époque où Rochon avait déjà trouvé sa voie vers le bouddhisme. Il s’agit donc d’un roman méditatif doté d’une signification symbolique. Le thème est la relation des différents personnages avec un énorme coquillage - mi-naturel, mi-artificiel - posé sur une île accessible à marée basse. La coquille est habitée par un animal bivalve - un monstre - transparent, changeant, avec des tentacules atteignant des centaines de mètres, capable de communiquer mystérieusement. Cette communication transforme les êtres humains en leur permettant de descendre - érotiquement et mystiquement - dans leur propre intérieur. Le coquillage attire Thrassl, puis Irène et Vincent, dont la cohabitation donne naissance à François. Mais vivre dans la coquille crée une dépendance, on ne peut s’en détacher, elle transforme la personnalité. Thrassl chasse François par jalousie et, seul avec le coquillage, donne naissance à de petits monstres. Même la femme de ménage Xunmil fuit le coquillage après avoir tué un des monstres. Elle retourne sur la côte avec François après la mort de Thrassl. Le roman est raconté de leur point de vue, et l’histoire étendue sur une cinquantaine d’années est présentée en flashbacks, avec la voix de Thrassl et la voix du Coquillage intercalées. Les romans d’initiation, qu’Esther Rochon a progressivement achevés par cycles, sont à la fois axés sur l’intrigue et sur la mystique. Le premier d’entre eux, L’Épuisement du soleil (1985), appartient à une série de récits sur l’archipel de Vrénalik et a été réédité sous le titre L’Archipel noir (1999). Dans les années 1990, Rochon publie aussi Les Chroniques infernales, une exploration fantastique - à la fois dantesque et mystique - des royaumes infernaux, de l’au-delà. Jusqu’à présent, Lame (1995), Aboli (1996), Ouverture (1997), Secrets (1998), Or (1999) et Sorbier (2000) ont été publiés. Aude, de son vrai nom Claudette Charbonneau-Tissot (22.6. 1947 Montréal é 25.10. 2012 Québec) Les éléments fantastiques de ses romans et nouvelles sont liés à l’intérêt de l’auteur pour la psychologie et l’anormalité de l’esprit humain et des relations interpersonnelles. Son œuvre n’appartient donc ni à la science-fiction ni à la littérature fantastique. Diplômée de l’Université de Montréal (1974), elle a obtenu son doctorat de l’Université Laval (1985) alors qu’elle enseignait déjà au secondaire (depuis 1977). Beaucoup de ses histoires sont destinées aux jeunes et aux enfants, comme Les Petites Boîtes : L’oiseau-mouche et l’araignée, 2. La boule de neige (1983). Le recueil de huit Contes pour hydrocéphales adultes (1974) dépeint un monde clos et horrifiant, fait de folie humaine et de pulsions irrépressibles, où l’improbable fait partie de la réalité. La psychologie des protagonistes femmes, dont la fantaisie permet d’échapper à leur existence oppressante et de trouver la clé d’elles-mêmes, est également au centre des récits publiés sous le titre La Contrainte (1976). Un thème similaire est traité dans le roman La Chaise au fond de l’œil (1980) : la protagoniste est soignée dans un hôpital psychiatrique lorsque - après la mort de son mari - elle tente de se suicider. Son entourage, insupportable, l’oblige à apprendre dissimuler sa peine. Elle se crée un masque de malade guérie et réconciliée avec la vie, puis chez elle, elle donne libre cours à sa rage dans la création artistique. Dans son imagination, elle compose le scénario de son prochain suicide - juste pour échapper à l’esclavage de la résignation. L’Assembleur (1985) a un fond de science-fiction. Le sujet est la désintégration de la famille et la haine - le meurtre œdipien du père, planifié sur ordinateur par le fils Alexandre, qui a créé un programme pour contrôler le père à distance. En revanche, L’Enfant migrateur (1998) est un récit mystique - l’histoire de jumeaux, dont l’un, malade et apparemment attardé, est celui qui en réalité soulage son frère de sa détresse et de sa peur de vivre. Il ne quitte le monde que lorsqu’il les voit capables de vivre de manière indépendante. Le thème du dédoublement ou de la gémellité apparaît également dans le roman Quelqu’un (2002) : c’est l’histoire de Magali, paralysée et prisonnière de son corps, qui ne peut communiquer avec le monde extérieur qu’en clignant des yeux. Elle devrait déjà être morte s’il n’y avait pas quelqu’un d’autre en elle, que le médecin traitant commence à découvrir. Sur un autre plan - familial -, ce dédoublement se retrouve dans L’Homme au complet (1999) : un homme fuyant ses responsabilités familiales part au Japon pour y travailler - et avec sa maîtresse - où il trouve une lettre de la maîtresse de son père. Les destins des deux se croisent, et la vie du père est un voyage dans son propre cœur. Le sous-texte bouddhiste des romans susmentionnés, bien qu’il ne soit pas souligné, est indubitable. Lise Tremblay (13.6. 1957 Chicoutimi) Sa force réside dans la description de l’atmosphère des lieux, qui, dans ses romans, ne sont pas moins déterminants pour l’intrigue que les personnages. Dans son premier roman, L’Hiver de pluie (1990), cette ville est le vieux Québec. Le roman - à la première personne - n’a pas d’intrigue ; il s’agit simplement d’une observation des personnes et des choses qui entourent la narratrice. Le mouvement - c’est la marche de la narratrice dans les rues, à la fois pour échapper aux difficultés. Mais l’évasion devient en fait une errance en cercle. L’impression oppressante et lugubre de la lecture est créée précisément par la tension entre le mouvement et l’enfermement délirant. Le deuxième roman, La Pêche blanche (1994), crée un contraste entre l’espace ouvert de la côte de San Diego, en Californie, et la petite ville miteuse de Chicoutimi. La distance sépare les deux frères : Simon vit en Californie et voyage vers le nord pour gagner de l’argent, tandis que Robert et surtout sa femme Louise personnifient un monde fermé où tout le monde se connaît et où le malheur est un mal qui est infecté et propagé par les autres, ceux qui viennent de l’extérieur, les étrangers. Pourtant, c’est précisément cette fermeture d’esprit qui crée des tensions et des monstruosités qui détruisent la ville. Le troisième roman, La Danse juive (1999), combine fermeture et ouverture en un seul lieu - Montréal. Autour du narrateur-marcheur se déplacent d’autres marcheurs, chacun enfermé dans son mini-monde, sa petite ville, son pays ou sa patrie d’origine. Aucun d’entre eux ne se sent à sa place, l’oppression persiste. L’intrigue de La Sœur de Judith (2007) reprend le cadre d’une petite ville étouffante du Québec des années 1950, d’où les filles veulent échapper à l’oppression pour rejoindre le grand monde des reines de beauté, des stars de cinéma et des mannequins. Le récit naïf d’une adolescente qui observe avec envie la réussite de la sœur de son amie souligne la tragédie personnelle de Judith et sa chute. Parmi les « romanciers du désespoir », Lise Tremblay se distingue par son impressionnisme. France Daigle (18.11. 1953 Dieppe, Nouveau-Brunswick) Avec Antonine Maillet et le poète Serge-Patrice Thibodeau, elle représente la communauté acadienne francophone de trois cent mille personnes. Elle est diplômée de l’Université de Moncton, où elle vit et travaille à la radio. Sa contribution à la littérature acadienne contemporaine consiste à se détacher des modèles et des thèmes vernaculaires et traditionnels et à promouvoir une esthétique postmoderne. Elle combine prose et poésie et juxtapose le français, l’anglais et leur mélange - le chiac acadien. Elle ouvre l’horizon thématique acadien à l’Europe et à l’Amérique, utilisant des techniques expérimentales de composition combinatoire. Elle a utilisé la technique des courts plans de film dans son œuvre en prose impressionniste intitulée Sans jamais parler du vent : roman de crainte et d’espoir que la mort arrive à temps (1983) et dans Histoire de la maison qui brûle ; vaguement suivi d’un dernier regard sur la maison qui brûle (1985). Dans La Vraie vie (1993), la composition rigoureuse - cinq chapitres divisés en deux parties chacun - contraste avec les bribes fragmentaires de la vie des personnages. Dans une autre œuvre en prose, 1953 : chronique d’une naissance annoncée (1995), Daigle compose une fresque des événements de l’année de sa naissance. Toutes ces œuvres effacent l’importance de l’intrigue. La logique est remplacée par la contingence. C’est au lecteur de remplir les blancs, de relier les points, de créer des histoires possibles. L’auteur affine ensuite cette approche dans Petites difficultés d’existence (2002), en utilisant une combinatoire basée sur les quatorze hexagrammes du livre d’oracle chinois des transformations, le Yi King, qu’elle projette dans les sept jours de la semaine en sept chapitres. C’est une poétisation et une mise en récit du quotidien, du banal. VII. Littérature migrante : 1980-2000 Le Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec de Daniel Chartier comporte 628 noms pour la période 1800-1999, dont plus de quatre cents pour la seconde moitié du 20^e siècle. À côté des auteurs qui écrivent en français, il y a aussi ceux qui ont choisi l’anglais (un tiers approximativement) ou leur langue d’origine (yiddish, espagnol, allemand, etc.). Leur situation au sein de la littérature canadienne-française et québécoise a été pertinemment traitée par Clément Moisan et Renate Hildebrand. Le titre de leur ouvrage Ces étrangers du dedans (2001) désigne adéquatement le noyau du problème, à savoir l’intégration de la différence que l’étranger représente. Dès la Découverte, le Canada a été perçu par les Européens et, plus tard, par les autres parties du monde, comme un territoire d’immigration. Il accueille, depuis plusieurs décennies plus de deux cents mille personnes par an. L’immigration fait donc partie de l’horizon politique et culturel du pays. L’ampleur et l’importance du phénomène se reflètent dans la législation et les activités gouvernementales. En 1971, le multiculturalisme a été érigé en principe de la politique fédérale dont l’expression est la Loi sur le multiculturalisme de 1988. La modification de ce concept est le pluriculturalisme québécois, introduit après que la Charte de la langue française (loi 101, de 1977) a permis d’assurer la position dominante du français dans la province. Il convient d’envisager le contentieux terminologique entre les autorités fédérales et les québécoises dans le contexte historique. Les francophones, notamment ceux du Québec, ont ressenti le multiculturalisme comme l’abandon de la politique du biculturalisme et du bilinguisme dont ils avaient tout juste obtenu l’application, à force de pressions. Le multiculturalisme, selon eux, représentait une menace pour le français et la minorité francophone, car il les situait au niveau des autres langues et cultures minoritaires - chinoise, ukrainienne, etc. Mais le problème majeur, lié à l’immigration et à l’anglicisation majoritaire des immigrés, était de nature démographique. Jusque dans les années 1960, la forte natalité des Canadiens-Français permettait de maintenir, tant bien que mal, la stabilité de la proportion des francophones. Or la baisse de la natalité et l’accroissement de l’option « anglaise » parmi les immigrés fragilisent la situation des Canadiens-Français au moment même où le concept de multiculturalisme est promu par le gouvernement d’Ottawa. En 1971, la proportion des enfants d’immigrés dans les écoles francophones de Montréal n’était que de 10%. Avec le temps, le français risquait donc de devenir minoritaire même dans la province où jusque-là il avait été la langue de la majorité. Le multiculturalisme était donc perçu comme une menace identitaire, et cela tant que les lois linguistiques, dont celle de 1977, n’ont pas assuré la francisation des immigrés au Québec, surtout par la voie de la scolarisation obligatoire dans les écoles francophones, mais aussi par d’autres mesures – francisation de l’espace public, du milieu du travail, etc. C’est la consolidation de la situation identitaire qui a permis au Québec de se déclarer en faveur de la pluralité culturelle et du respect de la différence culturelle. La distinction entre le multiculturalisme fédéral et le pluriculturalisme québécois consiste, principalement, dans la hiérarchisation de l’approche québécoise qui institue la promotion du français comme base de la communication culturelle générale. L’étude de Clément Moisan et Renate Hildebrand Ces étrangers du dedans examine l’influence des auteurs immigrés sur la littérature canadienne-française et québécoise entre 1937 et 1997. Ils distinguent quatre phases de la pénétration de l’altérité : uniculturelle (1939-1959), pluriculturelle (1960-1974; le terme, ici, est employé sans le contexte politique, pour désigner une configuration de la situation littéraire), interculturelle (1976-1985) et transculturelle (après 1985). Il est certes possible de formuler des objections, dont celle qui concerne la segmentation stricte des étapes, trop tranchée pour admettre une approche qui tiendrait compte des retours et des variations des phénomènes et offrirait une vision moins « unidirectionnelle » de l’évolution générale. Celle-ci, toutefois, est clairement indiquée par les termes définitoires qui montrent la dynamique identitaire : la conception essentialiste reposant sur des caractéristiques fixes de la collectivité (nation) et de l’individu cède à l’identité non-essentialiste, composite, de la période postmoderne et postnationale. La présence de l’étranger, en tant que sujet et objet de l’écriture, se traduit par de multiples implications. Il ne s’agit pas seulement de l’interaction entre les écrivains « de souche » et les immigrés qui ont élu le Canada pour leur nouveau domicile. Il y va aussi de la vision du monde, du rapport entre les cultures, du sentiment de l’étrangeté ou de l’aliénation. La distinction même qui vient d’être employée cache, par sa simplification dichotomique, en blocs, une variété de positionnements. Car il faut tenir compte de la diversité (sociale, politique, d’opinion ou individuelle) que l’étiquette des origines communes dissimule. Il ne faut pas non plus oublier les hiérarchies subtiles et complexes qui existent entre les immigrés d’origines diverses, voire entre les différentes vagues ou générations. Les rencontres ne se font pas seulement entre les Canadiens et les « étrangers », mais aussi entre les « étrangers » eux-mêmes, comme le montre le critique Pierre Nepveu dans son Écologie du réel (1999). Il montre que la littérature québécoise, par la thématique du pays incertain (Jacques Ferron) ou d’une littérature à l’imparfait (Laurent Mailhot), inachevée et toujours en train de se faire, crée un espace propice et une ouverture à l’accueil des auteurs immigrés. Leur nombre va croissant notamment à partir de 1960 où Montréal devient un grand centre d’édition qui attire les intellectuels immigré comme jadis Paris. Parmi les 628 entrées du Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec 1800-1999 de Daniel Chartier 400 entrées appartiennent à des auteurs de la seconde moitié du XX^e siècle. Certains d’entre eux - le Russe Jean Bazile ou l’Irakien Naïm Kattan - sont actifs au Québec depuis les années 1960. Mais la principale vague est venue dans les années 1980. Le Brésilien Sergio Kokis, la Chinoise Ying Chen, le Serbe Négovan Rajic, les Haïtiens Émile Ollivier, Gérard Étienne et Dany Laferrière, les Libanais Wajdi Mouawad et Abla Farhoud, les Françaises Régine Robin et Elisabeth Vonaburg, les Chiliens Miguel Retamal et Alberto Kurapel, les Italiens Fulvio Caccia et Antonio d’Alfonso, etc. L’entrée massive de ces auteurs dans le champ littéraire québécois a généré des tensions et des controverses, dont il faut rappeler la distinction de l’époque entre écrivains québécois et « néoquébécois » et le débat acrimonieux autour de la conférence universitaire et de l’essai de Monique LaRue, L’Arpenteur et le navigateur (1996). Dans sa réflexion sur la littérature québécoise, l’auteure a fait revivre l’archétype de la dichotomie identitaire habitant / coureur des bois de la littérature québécoise afin de mettre en évidence la tension entre le repli sur soi sédentaire et conservateur associé à une tradition datant du XIX^e siècle et la nouvelle ouverture issue, entre autres, de la vague migratoire. Monique LaRue a été accusée à tort de xénophobie. En fait, elle partage les vues du migrant haïtien Émile Ollivier (Ollivier, 2001), d’autant plus que ce sont les auteurs migrants qui ont en grand partie introduit la redéfinition de la migration et de l’immigration qui d’ethnique et de littérature de témoignage devient une réflexion existentielle. Il faut signaler à ce propos la contribution théorique des Italo-Québécois et des immigrés haïtiens dans les revues Dérives (1975-1987 ; Jean Jonassaint), Quaderni culturali (1980-1982 ; Lamberto Tassinari) et Vice Versa (1983-1996 ; Lamberto Tassinari, Fulvio Caccia) où Berrouët-Oriol a publié le famuex article !L’Effet d’exil ». C’est l’Haïtien Émile Ollivier qui a redéfini la relation entre le nomade et le sédentaire au profit du premier (Repérages, 2001), alors que son compatriote Jean-Claude Charles théorise la notion d’ « enracinerrance » et Joël Des Rosiers un autre Haïtien, parle de l’écriture « postexilique ». La force critique de ses notions influence les auteurs québécois d’origine. Serait-ce là un indice que la territorialisation et l’ancrage québécois, fortement présents encore dans le modernisme et le postmodernisme de la Révolution tranquille, soient entrés dans une nouvelle phase ? Serait-ce le signe d’une transformation et d’un autre agencement axiologique de la spatialité identitaire ? Peut-on s’attendre à une réévaluation de l’opposition entre l’ici et l’ailleurs, dans une sorte d’exterritorialité dénationalisée et qui s’achemine vers une sorte de transnationalité ? Aurait-on affaire à une sémiose narrative spécifique, notamment dans le rapport aux personnages, à l’action, à la narration ? Sans doute, un aperçu historique serait utile pour vois que le présent se situe dans une continuité des éléments passés. La présentation de « ceux de souche » et de « ceux d’ailleurs » varie en fonction de celui qui regarde et qui a la parole. Plusieurs aspects partiels pourront être abordés. Si l’exemple offert par Gabrielle Roy (Rue Deschambault, 1955) permet d’envisager la situation de l’étranger et de l’immigré par les yeux des sédentaires « de souche », Yves Thériault (Aaron, 1954) opte pour la perspective inverse en présentant l’assimilation de l’immigré de son point de vue. La désagrégation de la conception essentialiste de la nation et de la nationalité fera l’objet de l’analyse des textes de Noël Audet (La terre promise, Remember!, 1998) et François Barcelo (Les Plaines à l’envers, 1989). En dernier lieu, la parole sera accordée aux écrivains venus « d’ailleurs », en la personne d’Émile Ollivier (Passages, 1991). Commençons par un genre censé exprimer la spécificité du caractère canadien-québécois et québécois – le roman du terroir. Les étrangers et l’ailleurs y figurent comme un élément de la confirmation de l’identité autochtone – foyer, terroir, paroisse, pays natal. Dans Maria Chapdelaine de Louis Hémon (1914 en revue, 1916 en livre) la dichotomie pays natal/étranger caractérise la distribution des personnages. Des trois prétendants de la belle Maria, deux représentent l’ailleurs, le lointain qui attire et invite au départ. Tandis que François Paradis incarne le lointain canadien – l’aventure et la vie sauvage des coureurs des bois, Lorenzo Surprenant est celui qui s’est laissé attirer par la civilisation urbaine des États-Unis - par « [...] le mirage des belles cités lointaines et de la vie qu’il offrait, riche de merveilles inconnues ». Les deux prétendants s’opposent au colon, le sédentaire Eutrope Gagnon. Après la mort de François, qui périt dans une tempête de neige, Marie doit choisir entre la sédentarité de la campagne canadienne et la ville états-unienne. C’est le pays natal qui l’emporte - au bout d’une lutte intérieure. Car Marie est attirée par l’ailleurs américain avant que « la voix du pays de Québec » ne lui présente l’argument décisif : « Là-bas c’était l’étranger : des gens d’une autre race parlant d’autre chose dans une autre langue, chantant d’autres chansons… Ici… ». Les deux univers s’excluent et l’exclusion est renforcée par le nous collectif que la voix du pays de Québec adopte pour s’énoncer : Nous sommes venus il y a trois cents ans, et nous sommes restés...[...] Autour de nous des étrangers sont venus, qu’il nous plaît d’appeler des barbares; ils ont pris presque tout le pouvoir; ils ont acquis presque tout l’argent; mais au pays de Québec rien n’a changé. Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage. Le paradigme identitaire du modèle national défensif est d’une évidence et limpidité cristallines. L’exclusion de l’autre et l’antagonisme nous/eux et ici/ailleurs structure les topiques en opposition tranchées qu’il s’agisse de l’ethnicité, de la langue, de la culture, du pouvoir politique ou économique, de la question de l’ancienneté. L’essentialisme identitaire s’alourdit jusqu’à l’immobilisme. La vision d’un pays immuable, ancré dans le passé, est renforcée par le thème de l’encerclement par l’étranger, les barbares. La connotation est celle du danger imminent et de la résistance. Il importe de noter que cette représentation nationaliste a été formulée non par un Canadien, mais par un Français, un « étranger du dedans », originaire de Bretagne et qui, avant son arrivée au Canada, avait travaillé plusieurs années à Londres (1903-1911). Aussi la presque totalité de son œuvre est-elle traversée par la thématique anglaise et irlandaise. Au Canada et au Québec il n’a passé que les deux dernières années de sa vie, dont quelques mois seulement, en 1912, parmi les colons du Lac Saint-Jean où l’action de Maria Chapdelaine est située. Néanmoins c’est avec la vision de Louis Hémon que la culture canadienne-française a pu s’identifier un moment, avant de la mettre en doute et la réfuter. Si Félix-Antoine Savard, dans Menaud, maître draveur (1937), associe l’étranger (l’Anglais) à la dépossession et la perte du pays natal en graduant le conflit jusqu’au duel entre le défenseur et le traître canadien-français passé au service de l’Anglais, Germaine Guèvremont, par contre, emploie le thème de l’étranger pour mettre en évidence la métamorphose du monde rural traditionnel. Le Survenant de son roman (1945) est le catalyseur des changements que la communauté désire inconsciemment. Une fois parti, l’étranger laisse dans les cœurs une blessure, ou un vide. L’ancien ordre des choses a perdu sa légitimité incontestée, la famille rurale des Beauchemin se désagrège. Un thème semblable est traité par Yves Thériault dans Le Montreur d’ours (1951) : l’animalité de l’étranger électrise les femmes et les hommes d’un village montagnard jusque-là paisible. En comparaison avec le roman de Louis Hémon, un glissement notable se produit dans la définition de l’étranger : ni Anglais, ni Américain, ni barbare, il se présente comme l’un des nôtres, une altérité en nous. Cette évolution qualitative indique le passage de l’exclusion à l’inclusion dans le domaine des relations structurantes. On peut en suivre la trace dans les proses de Gabrielle Roy. La sensibilité de l’auteure à la présence de l’étranger peut être mise en rapport avec son enfance manitobaine, contemporaine à la colonisation des prairies, dans un milieu où la minorité francophone était confrontée à la majorité anglophone et aux immigrés d’origines diverses. Suite à la loi scolaire manitobaine, assimilationniste, de 1916, qui n’admettait que la scolarisation en anglais, Gabrielle Roy a reçu une éducation différente de celle des intellectuels québécois. Sa relation à la culture anglaise – et celle de l’autre en général – a donc une autre teneur et tonalité. Les dix-huit récits de Rue Deschambault (1955) sont situés dans le Saint-Boniface natal et dans la prairie manitobaine. Certains – « Les deux nègres », « Le puits de Dunrea », « L’Italienne », « Wilhelm » - développent le thème de l’étranger ou de l’immigré. Le point commun est le problème de la frontière mouvante qui sépare la compréhension de l’incompréhension, et la question de la « distance » à l’autre et à soi-même. Sous ce rapport, il existe aussi une analogie avec Maria Chapdelaine. Dans le roman de Louis Hémon, ce n’est pas la protagoniste qui se prononce sur l’identité et l’étrangeté de l’autre, mais « la voix du pays de Québec ». Cette focalisation distançante est déployée par Gabrielle Roy de plusieurs façons. Ainsi « Le puits de Dunrea » raconte le traumatisme du père de l’auteure, fonctionnaire qui s’occupe des colons ruthènes et qui, lors d’un incendie catastrophique de la prairie et du village provoque par ses paroles, involontairement, la mort de son meilleur collaborateur. Le malentendu n’est pas dû à la langue, mais à la différence des valeurs et des représentations culturelles auxquelles la langue renvoie. Le traumatisme du père n’est pas présenté directement, en première instance, car c’est un secret qu’il a confié à la sœur de la narratrice. La narratrice donc narre le déjà narré, entre sa narration et les événements, il y a deux instances, deux regards différents. Une situation narrative analogue caractérise la toute première nouvelle de Rue Deschambault - « Les deux nègres ». Christine - la narratrice – est dédoublée entre sa situation d’adulte et celle de l’enfant qu’elle a été. Le regard de l’enfant, non encore grevé par les préjugés, est raconté à distance et filtré par l’adulte et son approche à la fois ironique et compréhensive. L’intrigue de la nouvelle, comme le titre l’indique, se construit autour de la présence de deux locataires noirs, employés du Canadien Pacifique, dans la famille de la narratrice et chez la voisine. Les protagonistes du récit sont les deux mères rivales qui se vantent chacune d’héberger « le meilleur des deux nègres ». La distance narrative ne produit pas seulement un effet ironique, mais apporte également, par commentaires interposés, intellection et compréhension. De plus, elle contribue à instaurer une apparence d’objectivité en mettant à la même distance les Canadiens-Français et les étrangers. L’émulation entre la mère de la narratrice et Mme Guilbert tient au statut social. Les deux familles n’étant pas riches, la location devient une nécessité économique. Sauf que les locataires, d’abord chez l’une, plus tard chez l’autre, sont justement les deux nègres. Chez les deux femmes la force des préjugés – ceux qu’elles ont et ceux qui les entourent – prête à manipulations. Face à l’indignation de Mme Guilbert qui lui reproche d’avoir accepté un locataire noir, la mère de la narratrice retourne l’argument : « J’aurais pu louer ma chambre cent fois, deux cents fois à quelqu’un de blanc, dit ma mère. Ce ne sont pas les blancs qui manquent chez nous.... Mais, justement, j’ai compris qu’il était plus humain, plus chrétien, si vous voulez, de prendre ce pauvre Nègre que certains, comprenez-vous cela, refuseraient de traiter comme un de leurs semblables. » Traiter un noir comme un « semblable » n’est pas chose évidente et, surtout, ne signifie pas égalité. L’acceptation de l’autre vient « du haut », dictée par le sentiment de supériorité. Le blanc définit les critères d’évaluation auxquels le noir doit satisfaire. C’est pourquoi Mme Guilbert se renseigne si le locataire de sa voisine se lave comme il faut, s’il fait lui-même son lit, s’il est « à sa place ». C’est sur ces critères que le locataire noir est accepté et devient moins étranger. Seulement, « les étrangers sont rarement aussi étrangers qu’on le croit... ». On se les approprie. Mais l’appropriation de l’autre est encore influencée par la supériorité. La mère de Christine parle de « mon Nègre » qui est pour la famille « notre Nègre ». Et lorsque Mme Guilbert prend à son tour un locataire noir, la mère de la narratrice déclare : « Vous allez voir que madame Guilbert va maintenant prétendre avoir un meilleur Nègre que le nôtre. » Ensuite on se dispute pour savoir lequel des deux noirs et plus noir, mieux élevé, plus poli – jusqu’au moment où une des filles de chacune des familles commence à sortir avec le nègre respectif. L’humour et l’ironie de la narratrice mettent en évidence le complexe de supériorité par lequel les deux familles tentent de masquer la crainte devant le jugement de leur entourage. Qu’en est-il des deux noirs ? Ils cherchent à briser leur solitude, à se rapprocher des deux familles. Ils apprennent le français, apportent de petits cadeaux. Ils trouvent un langage commun dans la musique, au piano. Ni ce langage universel, ni les informations que la famille de Christine apprend sur le passé états-unien, l’esclavage et les racines africaines du locataire n’arrivent cependant à combler le fossé. Gabrielle Roy le suggère finement, par les appellations : le nègre de Christine restera « Mister Jackson » et son ami et collaborateur « Buddy » – comme si, réunis, ils représentaient une seule personne avec prénom et nom – un Étranger. Un Étranger toutefois à qui on a ouvert la porte, avec qui il est possible de partager la vie de foyer, s’entretenir, s’amuser – à condition toutefois qu’il accepte les valeurs de la maison et s’y conforme. La différence culturelle est examinée d’un autre point de vue dans le roman Aaron d’Yves Thériault. La perspective est celle des immigrés, confrontés à la société à laquelle ils s’intègrent, et au déracinement qui en est la conséquence. L’étranger quitte la position objectale, celle de Rue Deschambault, au profit de la position subjectale. C’est donc l’univers des gens « de souche » qui est observé par les yeux des étrangers, par l’autre. Ce renversement de la perspective rappelle celle d’Ashini. Mais il y a aussi une différence, car il s’agit d’une perspective dédoublée, la narration à la troisième personne étant focalisée en fonction des deux personnages principaux : alors que le grand-père Moishe tient à l’orthodoxie juive et aux traditions, son petit-fils Aaron Cashin rêve de réussir en s’intégrant dans la modernité. Il s’agit donc de deux visions contrastées, conflictuelles. L’histoire du grand-père et de son petit-fils a pour l’arrière-fond les catastrophes du 20^e siècle. Après avoir fui le ghetto de Minsk et les violences de la révolution russe, Moishe Cashin finit par s’établir d’abord à San Francisco, puis à Montréal. Des allusions aux camps de concentration et à l’internement raconté par Viedna, jeune fille juive dont Aaron tombe amoureux, situent le commencement de l’action au début des années 1950. Havre de paix apparent, Montréal non plus n’échappe au racisme. Aaron y est confronté dans la rue, sur le chemin de l’école : Sous un réverbère, Marie Lemieux, son frère et le Polonais attendaient. « Le puant de Juif ! déclara Marie. Il sortira pas... » « He always goes in early in anyway, dit le Polonais d’un ton sarcastique. He’s a sissy ! » « Je peux pas le sentir! déclara la fillette. Il a pas fini avec nous autres... » « Dirty little Jew, cracha le Polonais. He ain’t through yet! » Et il ajouta, en un plus mauvais français encore, par complaisance pour Marie : « C’t’une maudite Juif, c’est toute! » La bande des jeunes ne fait qu’imiter le racisme des adultes. Aaron s’y heurte tantôt sous forme crue – lorsqu’un concierge lui lance un crachat de mépris – tantôt sous forme adoucie, mais à peine voilée par le bon conseil que lui donne son collègue de travail : « Si tu ne tiens pas à passer pour un Juif absolument, change de nom, dis-toi Anglais ou Canadien français, les promotions viendront par surcroît... » Ce sera la voie suivie par Viedna qui change son nom en Cécile pour se confondre avec sa nationalité française et se débarrasser du poids de sa condition de Juive. Car elle veut vivre comme tout le monde. Aaron finit par suivre son exemple qu’il désapprouve au début. La vie d’Aaron est dès l’enfance marquée par un entre-deux, à la fois limite et ligne de passage, qu’il s’agisse de la langue (voir ci-dessus la conversation des enfants, en anglais et français), de la culture ou de la religion. La frontière linguistique traverse la personnalité, car elle intervient dans le choix du nom et prénom (marques identitaires majeures), elle caractérise le milieu qui entoure le garçon et l’adolescent juif. La ruelle reculée du ghetto – entre l’avenue Mont-Royal, la rue Sherbrooke, le boulevard Saint-Laurent et la rue Saint-Urbain – se situe à proximité de la ville moderne. Les bruits de la modernité pénètrent dans la miteuse demeure d’Aaron et de Moishe : Mais il dormait mal [Aaron]. La chaleur humide de Montréal le baignait, s’enroulait autour de lui, l’écrasait. Cependant que par-dessus la voix de la ville, bourdonnement continu, dominait la voix de Moishe, sortie de l’ombre, sans appartenance, éternelle et immuable, l’aïeul transmettant à l’enfant la science essentielle. Le Negev et ses noms antiques, les collines de la Judée et le pays des douze tribus prenaient forme vivante. La frontière, on le voit, traverse la toponymie (Montréal/Negev), la perception du temps (modernité-changement/tradition-immuabilité), la perception de l’espace (chaleur humide/désert), celle de la vie (présent étouffant/passé retrouvé). Aaron, élevé par son grand-père, cherche à s’accommoder de la tradition. Il entrevoit la force des racines qui pourraient lui fournir une assise identitaire riche et solide. Mais il désire aussi vivre avec les autres, avoir une vie moderne, réussir. D’où sa révolte qui s’exprime, également, à travers l’identité linguistique. Lorsque son grand-père lui défend, en yiddish, de sortir avec ses amis, il l’attaque en anglais : « Why do you speak Yiddish to me? Isn’t English good enough? Why don’t you speak white, like everybody around here? » L’expression clé « speak white » renvoie à la langue du pouvoir, celle qui constitue la norme et la « normalité ». La réaction violente d’Aaaron lui rappelle, par un choc en retour, qu’en excluant la langue de son grand-père, il risque non seulement de perdre la richesse de la tradition juive, mais aussi de renier soi-même et perdre son identité en se soumettant à l’autre. La situation de l’entre-deux renforce les effets de l’exclusion et de l’inclusion. Aaron est constamment confronté à l’exclusion – des deux côtés : aussi bien de la part des Non-Juifs que de la part de son grand-père orthodoxe. Car Moishe conçoit sa vie au Canada comme la continuation de l’exil, un exil sans doute moins perturbé qu’ailleurs et qui lui permettrait de perpétuer la tradition en la transmettant, intacte, pétrifiée, à son petit-fils. Aaron, lui, cherche l’inclusion : il tente de concilier les deux mondes de part et d’autre de la frontière, la tradition et la modernité. Or, la tradition le limite dans son individualité, n’admet pas qu’il puisse choisir librement sa carrière. C’est l’exclusion qui l’emporte à la fin, comme le lui fait pressentir Viedna en lui montrant que les Canadiens n’accepteront jamais son attitude intégratrice : « Juif canadien! Il faut dire : „Juif canadien“, Juif toujours. ». Et c’est le grand-père Moishe qui consomme l’ostracisme. Il renie son petit-fils et le chasse de sa maison : « Sors ! criait-il. Prends ton linge, tes livres, tout, va-t’en! Il n’y a plus de place pour toi dans ma maison ! [...] Va-t’en, je ne te connais plus, je ne sais plus ton nom... » Tous les traits essentiels son concernés – tradition, mémoire, famille, foyer, nom, langue. Vue par l’immigré Aaron, l’intégration ne passe que par l’acculturation. Dans le roman, deux passages renvoient à la religion juive réformée qui cherche à conformer la tradition à la modernité. La conclusion du roman ne laisse pas entendre que ce soit la voie choisie pas Aaron. Il a changé son nom, changé d’identité, de domicile et d’emploi. Il recommence sa vie de l’autre côté de la frontière. Les deux proses analysées – « Les deux nègres » et Aaron sont complémentaires par leurs perspectives croisées et leur manière de traiter la problématique de l’étranger et de l’immigré. Leur point commun est la conception essentialiste de l’identité. L’essentialisme identitaire – notamment celui qui caractérise l’ethnicité « pure laine » - constituait un obstacle à l’intégration des Néoquébécois dans les années 1980 et 1990, et cela au moment où les lois linguistiques et la Charte de la langue française (1977) ont proposé une conception ouverte, civique de la québécité. Celle-ci ne s’imposait que progressivement, car l’abandon de la conception essentialiste nécessitait la réévaluation ou, du moins, la relativisation des références identitaires – histoire, langue, littérature, ethnicité, etc. Cette tendance caractérise entre autres le roman historique et les proses qui fictionnalisent l’histoire. C’est le cas, aussi, des romans de François Barcelo et de Noël Audet. Parmi les proses ludiques de Barcelo qui reprennent, en les transformant, les récits historiques, ce sont sans doute Les Plaines à l’envers (1989) qui dominent par leur charge identitaire. Le roman reprend le moment traumatisant de la défaite française sur les Plaines d’Abraham, le 13 septembre 1759. Il s’agit cependant d’un « remake » cinématographique de l’histoire. Le scénario du film est proposé, par méprise, à un agent publicitaire et écrivain peu connu Noël Robert qui doit collaborer avec une collègue torontoise Alice Knoll. Car le projet a un financement fédéral et suppose la coopération des Canadiens-Français et Canadiens-Anglais. Alice s’intéresse plutôt au présent et à son collègue qu’au travail sur le scénario. Les tentatives de séduction – le siège amoureux de la Torontoise et la résistance du Québécois - constituent le fond érotique et humoristique de la reconstitution des événements historiques. Si le scénariste montréalais se documente consciencieusement, son attention est attirée moins par les figures des deux commandants antagonistes, comme c’est le cas des interprétations nationalistes, que par deux navigateurs, devenus célèbres plus tard, James Cook et Antoine de Bougainville que les aléas du service armé ont opposés sur le champ de bataille. Le personnage décisif pour le déroulement du roman est un jeune soldat québécois complexé, affecté à la surveillance de l’arsenal de la garnison de Québec. Il s’inscrit sur la liste des comparses pour pouvoir refaire la bataille des Plaines d’Abraham – non du côté français, mais bien du côté anglais – car pour une fois il veut se retrouver parmi les vainqueurs de l’histoire. Afin d’être sûr de son fait, il incorpore dans son modèle du fusil d’époque la mécanique de la mitraillette moderne. Venu en retard au rassemblement des comparses anglais, il est incorporé à l’armée française. Devant les caméras, sa mitraillette chargée de balles véritables sème la panique dans l’armée anglaise. Pour cette fois, la bataille des Plaines d’Abraham a été remportée par les Français. La relativisation du traumatisme historique – son affirmation par la négation – découle non seulement de la distanciation ironique du protagoniste-narrateur, mais aussi de la multiplication et du croisement des points de vue. Les mêmes faits historiques reçoivent un sens différent aux yeux de Bougainville, de Cook ou du jeune soldat québécois, voire ils n’ont aucun sens pour la co-scénariste torontoise. La réécriture de l’histoire n’aboutit pas – du moins aux termes du projet initial. Le film est finalement tourné par des professionnels hollywoodiens et la vérité historique est ensevelie sous le camouflage du produit commercial. La perspective narrative plurielle et l’ironie ludique de la narration caractérisent également La terre promise, Remember! (1998) de Noël Audet. Le livre peut se lire, d’ailleurs, comme un roman historique humoristique. La liste des références bibliographiques, en annexe, renvoie aussi bien aux sources historiques (Jacques Cartier, Samuel Champlain, Gabriel Sagard) qu’aux historiens contemporains (Marcel Trudel, Jean Provencher). Le titre suggère la complexité du déchiffrement. « La terre promise » fait allusion à la fois à la Bible, à la composante biblique du mythe américain (du Nouveau Monde) et au rêve souverainiste québécois, « Remember » étant la forme anglaise (mais d’étymologie française) de la devise nationale Je me souviens. Sauf que ce renvoi à la filiation française de l’héritage québécois est employé, dans le roman, comme le nom du verrat reproducteur de la famille Doucet. Ce n’est pas un verrat ordinaire : comme dans les contes merveilleux il a le don de la parole et la capacité de voyager dans le temps. À dos de son verrat, le peintre Emmanuel Doucet traverse l’histoire du Canada depuis Jacques Cartier jusqu’au présent. Les événements historiques s’insèrent dans un cadre narratif dédoublé, en forme de dialogue ou de double commentaire, de telle sorte que les affirmations d’Emmanuel sont subverties par l’ironie de Remember. La mémoire même (Remember) déconstruit ainsi la doxa que Roland Barthes a considéré comme élément constitutif des mythes modernes. La relativisation, voire la subversion des certitudes et vérités historiques sont la réponse à une motivation identitaire : Emmanuel entreprend le voyage pour questionner le passé et trouver une réponse aux divisions qui opposent les membres de sa propre famille à un moment historique décisif – entre la prise du pouvoir du Parti québécois en 1976 et le référendum de 1995 sur la souveraineté-association. Le voyage à travers le temps se présente comme une série de visites rendues aux différentes générations de la famille Doucet. Or, les deux piliers de l’identité québécoise essentialiste – famille et ethnicité – n’apportent pas de réponses claires, univoques. La diversité interprétative est de plus soulignée par la conception ludique du texte même où le lecteur attentif découvre, éparpillées, une vingtaine d’allusions au canon de la littérature canadienne-française et québécoise (Louis Hémon, Jean-Charles Harvey, Réjean Ducharme, Paul-Émile Borduas, etc.). Le roman peut se lire aussi comme un métatexte subversif de la littérature nationale. Les deux auteurs – Barcelo et Audet – illustrent le changement de la perception des certitudes nationales. L’univocité essentialiste est mise en doute, la relativisation libère l’accès aux vérités de l’autre. Sans cette relativisation – de la part des Québécois – il serait difficile d’envisager, dans ses justes proportions, l’acceptation de l’altérité des auteurs néoquébécois qui influencent considérablement la littérature québécoise à partir des années 1980. Plusieurs étapes peuvent se discerner dans l’intégration culturelle et axiologique des écrivains néoquébécois. La première est marquée par les expériences, parfois traumatisantes, de leur pays d’origine : guerre du Liban, prisons brésiliennes ou chiliennes, totalitarisme polonais ou yougoslave, etc. Les œuvres des auteurs immigrés enrichissent la culture canadienne par leurs témoignages, en élargissent les horizons. La deuxième phase souligne la confrontation de l’ancien avec le nouveau, de la culture d’origine avec la canadienne qui se tendent le miroir. Témoin Les Lettres chinoises (1993) de Ying Chen, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer? (1985) de Dany Laferrière ou La Québécoite (1983) de Régine Robin. La troisième étape consiste en l’intéraction et l’interpénétration axiologique – de la culture d’origine, du milieu immigré, de la société canadienne ou québécoise – qui reflètent la complexité de la condition d’immigré. C’est le cas de Marco Micone et de sa trilogie Gens du silence (1982), Addolorata (1984), Déjà l’agonie (1988). Les trois phases de l’interaction identitaire se conjuguent dans le roman Passages (1991), titre évocateur, de l’immigré haïtien Émile Ollivier. L’action se déroule en trois endroits, trois milieux complémentaires : (1) Haïti où les exilés-immigrés placent leurs racines et qui est l’image de la cohésion sociale; (2) Montréal, un des lieux de la diaspora haïtienne, où leur cohésion communautaire est polarisée et décomposée progressivement sous l’influence du milieu canadien et (3) Miami qui, plus que Montréal, représente la mondialisation – son caractère composite et fragmentaire à la fois, ses frustrations et contacts superficiels entre individus qui se côtoient sans se rencontrer: L’émigration haïtienne est représentée en deux filons thématiques. Le premier raconte l’histoire des habitants de Port-à-l’Écu, paupérisés et terrorisés par le régime dictatorial, qui décident de construire un bateau - La Caminante – pour traverser la mer et chercher un meilleur sort aux États-Unis. Le bateau coule sous la tempête : vingt naufragés, sur soixante-sept, sont rejetés vivants sur la côte de la Floride et internés dans un camp pour immigrés clandestins. Le second filon est axé sur la biographie de Normand Malavy, un intellectuel haïtien émigré au Canada pour des raisons politiques. Enfant, il avait assisté à la torture et la mort de son père et ce traumatisme avait fait de lui un adversaire opiniâtre et persévérant du régime dictatorial haïtien. Au bout des vingt années d’activisme il se sent usé. Son dernier engagement, peu avant son décès, est l’aide qu’il apporte, à Miami, aux naufragés de La Caminante. Il obtient leur libération. Il enregistre également le récit de l’une d’entre eux, Brigitte Kadmon. Cet enregistrement se fait au moment où le régime de Jean-Claude Duvalier est renversé. Dans le roman ce témoignage est partiellement inclus dans le dialogue entre Leyda et Amparo, respectivement la veuve et l’amante de Normand Malavy, au moment où Amparo qui a assisté à la mort de Normand rend visite à la femme de son ami, à Montréal. Le reste du récit est assumé par un ami de Normand, Régis, qui en tant que personnage-narrateur constitue la clé de voûte de la structure narrative. Les témoignages d’époque ne représentent pas l’essentiel. Passages est un roman existentiel, roman de la quête de soi-même et de l’autre. Il a déjà été indiqué que la quête a deux pôles – collectif (migration de la communauté haïtienne) et individuel (situations différenciées des intellectuels de la diaspora haïtienne de Montréal). La dimension existentielle est dans les deux cas accentuée par la non-existence – la mort. D’abord celle - amère, résignée et sans illusions - du chef de la communauté de Port-à-l’Écu Amédée Hossange, ensuite celle de Normand Malavy. Les deux filons narratifs les présentent – post eventum – dans une tentative de les comprendre et d’expliquer leurs vies. Mais tout effort noétique ne cerne que l’incertain : les deux personnages ne se révèlent pas directement, leurs paroles et leurs actes ne nous parviennent que relativisés, à travers les autres, comme parties intégrantes de leurs subjectivités. La non-fiabilité fait l’objet de la réflexion que le personnage-narrateur Régis formule au sujet de son témoignage. À l’incertitude des mots s’oppose, récurremment, la force évocatrice du silence et de la musique. Les deux univers – collectif (Haïti) et individuel (Miami, Montréal) – sont différenciés par la langue. L’enregistrement du récit de Brigitte Kadmon a l’expressivité stylistique de l’oralité, en syntonie avec les représentations collectives – mythes et légendes - de la communauté rurale qui vit dans une dépendance étroite de la nature. L’oralité tend à héroïser et à transformer en légende les événements réels situés en Haïti – tel est le cas d’un souvenir de Normand évoquant son frère Ramon, danseur inégalable et séducteur irrésistible qui affronte un tueur dangereux et, quoique gravement blessé, le poursuit, en le terrorisant, à travers les ruelles. À l’oralité haïtienne s’oppose la langue cultivée du milieu montréalais, celle de la tradition occidentale et dont la dimension existentielle est soulignée par des réflexions de nature philosophique. Le dédoublement linguistique et stylistique contribue à la mise en relief des perspectives croisées. D’un côté, les Haïtiens paupérisés tournent leurs regards vers les États-Unis et le Canada, terres promises. Il y a, en sens inverse, le regard des émigrés haïtiens qui désirent retourner au pays natal même s’ils se doutent que leur enfance et jeunesse ne sont plus qu’un souvenir irréel, une sorte de rêve, et que leur mythe des racines se brisera dès la première confrontation avec la réalité, à moins de sauver le mythe par la non-reconnaissance de la réalité même : Amparo revenait de Cuba. Elle n’en revenait pas vraiment. Elle revenait de Cuba sans en revenir. En cela, elle ressemblait à ceux qui, ayant trouvé Jérusalem, continuent à la chercher ailleurs, éternellement, jusqu’au bout du monde, à l’infini, voire au-delà. C’est ce regard rétrospectif et le motif du retour en arrière qui révèlent la différence entre les deux univers. Tandis que Brigitte Kadmon décide, après la mort de son mari, de retourner à Port-à-l’Écu, car pour elle la désillusion, liée à l’émigration, est un mal plus grand que le déracinement, Norman n’ose plus retrouver son Haïti natal même après le changement du régime : « La chute de ce régime est arrivée trop tard dans ma vie, Dieu sait pourtant que je l’ai attendue ! » (P 160) Les reportages qu’il suit à la télévision sur le déroulement du soulèvement populaire le laissent sceptique, il y voit une « agitation de surface », celle d’un peuple qui n’a pas prise sur son histoire que d’autres, plus puissants, lui imposent. La désillusion de l’émigré aboutit à la distanciation et au sentiment d’aliénation et de dépossession. Qui sont ces immigrés/émigrés pour qui il n’y a plus de retour possible et qui se croisent à Montréal ou à Miami? Comment se perçoivent-ils ? Ce sont avant tout des individualistes, de cultures mélangées, qui ne s’attachent pas à un endroit. Amparo Doukara, par exemple, est issue d’une famille syrienne émigrée à La Havane d’abord, aux États-Unis ensuite. Ses parents vivent à Manhattan, elle à Vancouver. Son ex-ami est un Chilien qui a fui la dictature de Pinochet et qui quitte maintenant le Canada pour tenter un retour au pays. Privée de fixité, l’identité peut devenir mouvante. Youyou, Haïtien et ami de Normand, séduit les femmes dans les bars de Montréal en fabulant sur ses origines exotiques : Le lundi, on était nés au bord du fleuve Congo [...]; le mardi nous étions Malgaches; le mercredi, Peulhs de pure race [...]; le jeudi, Éthiopiens; le vendredi, Zimbabwéens; le samedi, Soudanais de Kartoum; et pour vous, madame, aujourd’hui, je descends d’une mère martiniquaise, fille illégitime d’un fakir oriental. Elle fut amenée de Fort-de-France à Port-au-Prince par un ravisseur corse pourvu d’un nom italien, qui fuyait la conscription durant la dernière guerre mondiale. [...] J’ai le privilège et la disgrâce, madame, d’occuper une place de choix dans le répertoire antillais du métissage et de la bâtardise. Semblablement – comme des « dépaysements innombrables », Amparo vit son amour avec Janush, un étudiant polonais, à Paris. Ou bien l’identité peut se révéler multiple. À la question du fonctionnaire du bureau d’immigration de Miami : « Where do you come from? », Normand répond : « Du Canada, mais je suis Haïtien. » Le malentendu n’est dissipé que lorsque l’employé regarde le passeport canadien : « Vous êtes Canadien que diable! puisque votre passeport est canadien. » Voici le noeud gordien de la problématique identitaire, selon Ollivier, et qui se rapproche de l’acception phénoménologique de Martin Heidegger et de Paul Ricœur. Le texte d’Ollivier semble, ici, faire allusion à la distinction entre la mêmeté, qui est la persistance identitaire dans le temps, et l’ipséité, maintenue et confirmée incessamment par des actes. C’est l’exil et l’errance qui facilitent la perception de cette ambiguïté identitaire. La prise de conscience identitaire de Normand et de Régis est partagée par Leyda : Voyez-vous, le monde est constitué de deux grandes races d’hommes : ceux qui prennent racine, qui se tissent un destin minéral dans un rêve de pierre et ceux qui se prennent pour le pollen. (P 62) Le thème des racines et du déracinement est récurrent dans le roman. Au cours de leurs aventures nocturnes, Normand et Youyou s’amusent, par leurs argumentations et fictions, à dépouiller leurs amantes de leurs racines et de leur ancrage identitaire. En les rendant semblables à eux-mêmes, ils leur font éprouver leur propre sentiment existentiel. Normand renonce à rédiger ses souvenirs, ce que Leyda désigne comme « désenchantement » et « désengagement. Mais c’est peut-être Régis qui se rapproche de la vérité en affirmant que « l’être humain ne cesse de s’inventer ». L’identité phénoménologique, existentielle, s’oppose ainsi à l’identité essentialiste. La négation de la mémoire aboutit à la conception spatialisée de la temporalité reconduite au temps du voyage ou de l’errance, ou bien à celui de l’invention incessante de soi-même. L’exil est un voyage sans retour. Mais l’exil est aussi l’image même de l’existence, comme l’indiquent deux renvois de Passages à Crainte et tremblement de Søren Kierkegaard et par son intermédiaire à l’histoire d’Héraclite dont la sentence sur l’impossibilité d’entrer deux fois dans le même fleuve provoque le commentaire d’un de ses élèves : « Maître, on ne le peut même pas une fois. ». C’est pourquoi, au dire de Kierkegaard, « [i]l faut aller au-delà ». Si les Québécois Barcelo et Audet ont relativisé le modèle identitaire essentialiste (avec force renvois à l’histoire, à la mémoire, au canon culturel), Émile Ollivier, qui représente l’écriture migrante sous plusieurs acceptions, formule une approche non-essentialiste, postmoderne. Quant à la problématique identitaire, une constatation s’impose, à savoir que l’approche non-essentialiste, postmoderne change la nature des relations structurantes. Si l’exclusion et l’inclusion apparaissent, la dichotomie perd en pertinence, ne serait-ce que s’estompe, également, l’opposition dichotomique entre le je individuel et le nous collectif, du moins en ce qui concerne la représentation de la diaspora haïtienne au Canada. La méfiance de Normand face à l’histoire n’exclut pas l’altruisme. Mais c’est un altruisme « universel » qui n’est plus motivé par la conscience d’une mission historique collective. La catégorie de nation est absente. Les exilés du roman sont pour la plupart d’origine haïtienne. Ils constatent les différences sans souligner d’exclusivité commune qui serait une source de spécificité collective. L’effacement de la nation modifie les topiques identitaires – pays, terre, temps et histoire, religion, langue, immigration. La conscience d’une existence ouverte pèse sur les personnages. Leur quête de soi-même et leur recherche de l’autre en soi-même sont un processus, un devenir. Pour cette raison, ils trouvent au Canada et à Montréal un lieu convenable de coexistence. Au cours de ses flâneries montréalaises, Normand tire sa force de la diversité des quartiers et des communautés immigrées. Son identité n’a pas de racines, elle est rhizomatique, elle glisse sur la surface, se nourrissant de partout, en avançant. La pluralité linguistique et la pluralité identitaire assumées indiquent que la culture amérindienne en langue française peut dépasser le modèle national, tant défensif qu’intégrateur, et qu’elle se rapproche de l’identité postnationale, rhizomatique. Un rapprochement s’impose avec un Italo-Québécois Antonio d’Alfonso : Nativo di Montréal élevé comme Québécois forced to learn the tongue of power viví en Mexico como alternativa figlio del sole et della campagna par les francs-parleurs aimé finding thousands like me suffering […] (L’Autre Rivage) Ying Chen (20.2. 1961 Shanghai, Chine) Ying Chen a étudié l’anglais, le japonais et le russe à l’université Fudan de Shanghai (1983) et a travaillé comme traductrice à l’Institut de recherche astronautique. Elle s’installe à Montréal à l’âge de 28 ans. Dès ses études à l’université McGill, elle se tourne vers l’écriture. Ses romans - dans un français raffiné et classicisant - lui ont immédiatement valu la faveur des critiques et des lecteurs. Elle débute par l’évocation d’une Chine lointaine, qu’elle projette sur l’image de sa grand-mère Lie-Fei - dans La Mémoire de l’eau (1992). Les Lettres chinoises (1993) suivent le schéma classique du roman épistolaire : les fiancés sont séparés par la distance, Sassa est en Chine, son fiancé est à Montréal. L’histoire de la rupture est psychologiquement ambiguë. Chen a combiné la subtilité des cérémonies chinoises avec la rhétorique des litotes - faire allusion, ne pas dire. La langue lucide recèle des profondeurs que le lecteur attentif soupçonne sans en connaître le contenu précis. Sassa finit par présenter habilement son fiancé Yuan à son amie Da Li, alors qu’ elle-même demeure mourante en Chine. L’échange épistolaire est aussi une confrontation de deux mondes, de deux civilisations. Ingratitude (1995) se déroule en Chine. C’est l’histoire d’une fille qui souffre d’une mère autoritaire et d’une étiquette sociale rigide dans laquelle son amour et sa place dans la vie sont planifiés à l’avance, ritualisés. Par amour haineux pour sa mère, elle se suicide pour la punir - personnellement et socialement. Mais les traces du suicide sont dissimulées : la mère impose à son entourage l’image d’un accident et d’un chagrin familial. Drame émotionnel, nuancé, Immobile (1998) est l’histoire d’un archéologue qui explore le passé et d’une femme qui fait resurgir des souvenirs de ses vies antérieures, qui à la fois ravivent et détruisent leur relation. La confrontation de deux mondes - le nouveau et le traditionnel - est le sujet du Champ dans la mer (2001) : la protagoniste se sent mal à l’aise dans son rôle de femme moderne, revenant dans ses souvenirs à l’amour de son enfance dans la campagne chinoise pendant la révolution culturelle. La déconnexion et la recherche d’identité en affinité avec le destin de l’autre est le sujet d’un autre roman, Querelle d’un squelette avec son double (2003) : ici, une anorexique folle communique avec son double, qui meurt près de son fils sous les ruines d’une maison détruite par un tremblement de terre. La frontière entre la vie et la mort est ici floue, comme la différence entre un rêve et la réalité. Ying Chen partage désormais sa vie entre Vancouver, Montréal et Paris. Elle poursuit sa carrière de romancière avec Une enfant à ma porte (2008), Blessures (2016), Rayonnements (2020). Dany Laferrière, de son vrai nom Windsor Kléber Laferrière (13.4. 1953 Port-au-Prince, Haïti) Il a grandi au village de Petit-Goâve, dont l’atmosphère - comme celle de son île natale - s’est inscrite dans sa mémoire et dans ses romans. Fils d’un diplomate forcé à l’émigration par le régime dictatorial de François Duvalier, il doit émigrer à son tour pour fuir la répression en 1976. À Montréal il a travaillé plusieurs années à l’usine, puis comme journaliste, surtout à la télévision. Dans ses proses il observe avec beaucoup d’humour critique, teinté de cynisme, les conflits des cultures qui compose le monde postmoderne, multiculturel du Canada. La tendance autobiographique de son œuvre le ramène au souvenir de son Haïti natal. Il vit entre Montréal, Floride et Paris, depuis qu’il a été élu membre de l’Académie française (2013). Au Québec son renom est assuré par le roman Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985) qui traite, de manière originale, le thème habituel des immigrés, à savoir le conflit culturele : il situe l’histoire dans un milieu étudiant bohème et remplace les réflexions intellectuelles sur l’altérité par la confrontation sexuelle. Le narrateur partage la misère et le sordide appartement de la rue Saint-Denis avec un certain Buba qui tente de méditer sur la synthèse de Freud, du jazz et du Coran. Leur principal divertissement est la chasse érotique des étudiantes. La seule occupation sérieuse est le roman que le narrateur est en train d’écrire. La discrimination raciale est ici dépeinte avec une exagération cynique et renversée. Ce roman à succès a été porté à l’écran. La confrontation culturelle, l’érotisme, la sensualité, les éléments autobiographiques, ainsi que l’expression colorée et l’humour, caractérisent l’« autobiographie américaine » qui oscille entre Haïti, le Canada et les États-Unis : Chronique de la dérive douce (1994), Éroshima (1987), L’odeur du café (1987). 1991), Le goût des jeunes filles (1992), Le charme des après-midi sans fin (1997). Un autre vole s’ouvre avec le croisement de la problématique existentielle, politique et personnells dans Le cri des oiseaux fous (2000) et L’Énigme du retour (2009). Marco Micone (23.3. 1945 Montelongo, Italie) Le thème de l’immigration et de la recherche d’une nouvelle identité est basé sur une expérience personnelle. Son père a quitté l’Italie pour travailler au Canada lorsque Marco avait six ans. La famille n’a pu s’y installer que sept ans plus tard (1958). Le traumatisme d’un père absent est inscrit dans l’œuvre de Micone, tout comme le contraste entre l’Italie, les Italo-Québécois et les Québécois. Micone est diplômé de la Loyola High School (1968) et a étudié le théâtre à l’Université McGill. Il a ensuite enseigné l’italien et la culture italienne dans une école secondaire tout en s’engageant dans le milieu italo-canadien. Il peut être considéré comme le Michel Tremblay des Italo-Québécois. Il a dépeint leurs destins dans sa trilogie Gens du silence (1982), Addolorata (1984) et Déjà l’agonie (1988), qui retrace en scènes brechtiennes le changement du milieu et l’évolution des mentalités depuis les premiers arrivés des années 1950 jusqu’aux petits-enfants déjà nés de mariages mixtes. Les Gens du silence ne sont pas seulement ceux de la première génération qui, privés de parole dans un environnement étranger, peinent à construire une nouvelle identité, mais aussi leurs enfants que leurs parents confinent dans le ghetto de la communauté italienne, aux règles strictes qui protègent la communauté contre l’extérieur, mais la condamnent aussi à la rigidité. Seuls les fils sont autorisés à sortir et à réussir. C’est pourquoi Mario est envoyé dans une école anglaise, tandis que Nancy-Annunziata apprend le français, car l’éducation ne compte pas pour les jeunes filles. Au final, c’est Nancy qui quitte le quartier. Addolorata est une histoire de la deuxième génération : au cœur de celle-ci se trouve le conflit entre Giovanni-Johnny, qui veut maintenir la tradition d’une société fermée, et sa femme Addolorata-Lolita, qui refuse de continuer à jouer le rôle d’épouse et de mère soumise après la mort de ses parents. La pièce combine deux niveaux temporels à dix ans d’intervalle : elle confronte les espoirs d’une jeune fille amoureuse et la réalité d’une nouvelle prison familiale semblable à celle qu’elle voulait fuir en se mariant. Addolorata quitte son mari, devient indépendante. Le code linguistique de Micone caractérise subtilement les différences d’attitudes. Le monde masculin veille à la division des sphères : à la maison, l’italien, la langue de la domination domestique, et à l’extérieur, l’anglais, la langue des maîtres. Addolorata, quant à elle, veut avoir un impact linguistique et social dans un environnement francophone, car pour elle, cela signifie l’égalité. La dernière partie de la trilogie reflète l’aliénation de la troisième génération, déjà née au Québec : elle a perdu sa relation avec l’ancienne patrie et n’a pas encore trouvé sa place dans la nouvelle. Micone a traité un thème similaire dans son poème en prose Le figuier enchanté (1992). Parmi ses poèmes, il est devenu célèbre pour Speak What (1989), un pastiche du poème Speak White (1974) de Michèle Lalonde. Wajdi Mouawad (16 octobre 1968 Deir-el-Kamar, Liban) Enraciné dans la culture chrétienne du Liban arabe, il a fait ses études en France, où sa famille s’est installée (1978). Son œuvre reflète le visage multiculturel et moderne du Québec, où sa famille a fini par s’installer (1983). Il a faits des études de dramaturgie et travaille en tant qu’acteur, metteur en scène et directeur de théâtre. Il insuffle à la dramaturgie brechtienne d’avant-garde un attrait moral et cathartique fondé sur une réflexion sur les formes du mal dans les temps modernes. Contrairement à Micone, il ne se réfère pas à la réalité concrète ; il mène la confrontation culturelle sur un plan symbolique. Le traumatisme de la guerre civile et l’effondrement des relations interpersonnelles et des valeurs constituent l’arrière-plan inavoué de ses œuvres - Journée de noces chez les Cromagnons, (1992), Alphonse (1993), Willy Protagoras enfermé dans les toilettes (1993), Les Mains d’Edwige au moment de la naissance (1995), Littoral (1999). Le thème de cette dernière pièce est la recherche d’un terrain où Wilfrid pourrait déposer le corps de son père décédé. Il s’agit à la fois d’un retour aux sources et d’un voyage dans un pays ravagé par la guerre : le drame de la relation entre un fils et son père et la mise en accusation de l’histoire sont rendus d’une manière totalement postmoderne, comme le sujet d’un décor de film. Le thème analogue est traité dans les Incendies (2003), dram qui a servi de scénario au film de Denis Villenuve. Le mot Pacamambo (2002) dans le titre de la pièce fait référence à un autre monde - un endroit où les morts habitent et où la petite Julia veut aller voir sa grand-mère alors qu’elle s’attarde près du corps en décomposition de celle-ci dans la cave : en exacerbant le lien entre la mort et la vie, la vieillesse et la jeunesse, la trame psychologique du drame acquiert une dimension métaphysique. Naïm Kattan (26.8. 1928 Bagdad, Iraq) Il a été l’un des premiers à introduire le thème de la confrontation des civilisations et de l’intégration dans la littérature canadienne-française et québécoise. Il combine l’origine juive avec des expériences du monde arabe, européen et américain. Il est diplômé en droit qu’il a étudié dans sa ville natale de Bagdad (1945-1947) avant ses études de lettres à Paris (1947-1951). Il a quitté la France pour s’installer au Canada (1954). Il s’est imposé comme journaliste et auteur d’essais sur les relations interculturelles : « Les Juifs et la Communauté française » (1965), « Juifs et Canadiens » (1967). Il a également dirigé le Bulletin du Cercle juif de langue française à Montréal pendant plusieurs années et a mis à profit son expérience interculturelle en tant que membre de la Commission d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963). Il a établi des comparaisons entre la civilisation arabe et la civilisation occidentale dans ses essais Le réel et le théâtral (1970) et La Mémoire et la Promesse (1978), où il attribue à la culture arabe un sens de la réalité concrète, alors que dans la culture européenne et américaine, le rapport à la réalité est médiatisé, converti en image, en apparence. Kattan est membre de l’Académie royale canadienne et de l’Académie canadienne française. Il a également présidé le Conseil des Arts du Canada. Il a décrit son expérience d’immigré dans une série de nouvelles et une trilogie romanesque où il s’incarne dans le personnage de Méir, un intellectuel juif de Bagdad. Le premier volume, Adieu, Babylone (1975), se déroule en Irak au moment de la deuxième guerre, où de jeunes intellectuels - juifs, chrétiens sunnites et chiites - vivent, malgré les conflits internes et des déboires érotiq ues, dans l’attente commune d’une libération par les Britanniques, se préparent à construire leur pays, élaborent une littérature nationale. Kattan décrit la communauté juive de Bagdad qui se désintègre après la création d’Israël. Le deuxième volume, Les Fruits arrachés (1977), se déroule dans la France de l’après-guerre. Méir entre en contact avec Camus, Breton, Gide, Béguin - et avec des émigrés de l’Europe entière. Il vit une initiation érotique et littéraire. La dernière partie de La Fiancée Promise (1983) dépeint les débuts difficiles au Canada, la recherche d’un emploi, la société fermée pour laquelle il est un mystère : un francophone, mais non catholique, un juif qui ne connaît pas le yiddish. Il finit par être accepté par la communauté juive. Cette trilogie de base est vaguement suivie par les autres récits, déjà canadiens - La Célébration (1997), L’Amour reconnu (1999), Le Silence des adieux (1999), L’Anniversaire (2000). Kattan est un narrateur traditionnel et sophistiqué, ses transpositions autobiographiques ne sont pas expérimentales. Le roman Farida (1991) et certaines de ses nouvelles reviennent également sur des thèmes interculturels. D’autres traitent déjà - et souvent de manière critique - des questions canadiennes. Parmi les titres, rappelons : Dans le désert (1974), Le Rivage (1979) et La Distraction (1994). Sergio Kokis (6. 5. 1944 Rio de Janeiro, Brésil) À l’âge de neuf ans il s’est retrouvé - pour vagabondage - dans une institution pour enfants. Il a étudié la philosophie à l’Universidade do Brasil (1966) et est diplômé de l’Académie de peinture. Il a été arrêté et condamné pour ses activités et appartenance aux organisations révolutionnaires luttant contre la dictature de l’époque. Une bourse du gouvernement français lui a permis de voyager et de changer d’orientation. Il a obtenu sa licence de psychologie à Strasbourg (1969) et son doctorat à l’Université de Montréal (1973), où il a émigré (1969) et où il a également obtenu la citoyenneté (1975). Il a travaillé dans des hôpitaux psychiatriques (1969-1975) et a également étudié les beaux-arts à l’École d’art et de design et au Centre Saidye Bronfman à Montréal. Depuis 1975, il partage sa vie entre la peinture et son travail de psychologue clinicien pour enfants. Il a également enseigné dans les départements de psychologie de l’Université de Montréal et de l’Université du Québec à Montréal. Depuis 1997, il se consacre exclusivement à la peinture et à l’écriture. Sa formation philosophique et psychologique permet à Kokis de créer des œuvres qui sont intellectuellement riches et stimulantes. Ses expériences des prisons brésiliennes, des voyages en Europe et au Canada se sont traduites en réflexions philosophiques. Ses romans sont aussi des essais qui suscitent la réflexion. Le peintre Kokis - et illustrateur de ses propres livres - a le don d’une vision concrète, détachée, des choses; le dramaturge Kokis invente des intrigues palpitantes, des mystères, des dénouements inattendus. La spécificité de Kokis s’exprime également dans des romans typiques de la littérature migrante – ceux où la nouvelle patrie se confronte à l’ancienne et aux pays traversés par l’auteur. Les expériences personnelles peuvent être projetées sur le personnage d’un étranger auto-stylisé, autobiographique - comme dans Le pavillon des miroirs (1994) - ou s’incarner en personnages fictifs, comme dans Negão et Doralice (1996) et Errances (1997). Parmi les romans philosophiques, deux se distinguent : L’Art du maquillage (1997) et Le Maître de jeu (1999). Le premier développe l’histoire du peintre montréalais Max Willem, qui voulait à l’origine gagner sa vie en peignant des faux afin de poursuivre son propre travail. Cependant, il est découvert par une mafia de marchands de tableaux, qui l’oblige à les servir. Ils le déplacent en Europe où, à Anvers, le maître Guderius lui enseigne l’art du plagiat parfait, l’entraînant dans les pièges de complots sentimentaux, le forçant à produire une série de faux Dix, Klee, Rothko pour le marché américain. Mais Max parvient à retourner le jeu contre la mafia marchande, à la compromettre, à gagner de l’argent e par là son indépendance pour devenir son propre maître. Le roman, qui peut se lire également comme une satire et une critique du commerce éhonté de l’art, renvoie au moins à une double réflexion - d’une part, à la dialectique de l’apparence et de la réalité, et donc au problème de la connaissabilité, et d’autre part, à la question de la nature de l’art, de l’imitation, de la tradition artistique et de l’originalité. Qu’est-ce que l’unicité du créateur, si elle peut être saisie et reproduite ? Le Maître de jeu est une réécriture postmoderne de Dostoïevski et en même temps une réflexion sur la responsabilité éthique de l’écrivain. Le narrateur est Ivan Serov, un théologien et philosophe averti : il s’occupe de son ami Tiago Cruz, qui souffre d’un traumatisme psychologique après avoir subi des tortures inhumaines dans les prisons d’une dictature latino-américaine. Pour surmonter le traumatisme, Tiago raconte sa vie, et Ivan pense que cela ferait un livre passionnant s’il n’y avait pas un certain Lucien - omniscient, omniprésent, omnipotent et dont on ne sait pas s’il est Dieu ou Diable ? La nature diabolique de Lucien est bien plus probable, car nous le reconnaissons à la fois derrière le tortionnaire de Tiago et l’amante d’Ivan. Mais tel est aussi le pouvoir que l’auteur a sur les personnages, et donc Ivan sur Tiago ! Ce drame théologique sur le mal et le libre arbitre se termine par une double rébellion - Tiago se suicide et Ivan rejette les avances de Lucien. À la lumière des discussions théologiques précédentes, il est impossible de savoir si cet acte de volonté n’a pas prédéterminé. Car qui est et qui est le maître de jeu? L’humour noir est le piment du roman. Saltimbanques (2000) pose le problème du statut et du rôle des artistes dans la société. En l’occurrence il s’agit d’artistes de cirque qui quittent l’Europe appauvrie après la Seconde Guerre mondiale et s’embarquent pour l’Argentine. L’Europe se déplace vers le Nouveau Monde, mais sur le navire, des criminels de guerre se cachent sous des déguisements, tandis que les artistes de cirque ne servent que de façade à la haute politique. Une fois en Amérique, il faut continuer à se battre pour l’art et la liberté. La trilogie est complétée par Le Kaléidoscope brisé (2001) et Le Magicien (2002). Les Amants de l’Alfama (2003) peut être considéré comme une variation musicale et poétique sur le fado portugais et le poète Pessoa dans l’atmosphère mélancolique d’une nuit de pluie. Les amants, séparés suite à une brouille, cherchent un moyen de se retrouver. C’est dans ce cadre que s’inscrit le destin d’un couple séparé depuis des années par la répression politique, qui n’arrive plus à guérir la blessure de leur amour. Seule la fiction - la littérature et ses histoires - ici principalement Camões - fournit un modèle pour donner un sens à une existence dénuée de sens, pour la raconter encore et encore pour empêcher la douleur. Les vues de Kokis sur la création figurent Franz Kafka e a expressão da realidade 1967), Les langages de la création (1996) et Le Québec dans la danse macabre (1999). VIII. « Ensauvagement » : auteurs amérindiens (et québécois) : 1990-2020 L’altérité et la présence de l’autre se sont inscrites dans l’histoire de la colonisation des Amériques – tant du point de vue des premières nations amérindiennes et inuites que de celui des colons, marchands et missionnaires européens. L’ouvrage de Denys Delâge Le pays renversé. Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est – 1600-1664 illustre l’influence dévastatrice du capital européen et de la colonisation hollandaise, française, anglaise et suédoise. Le marché européen a perturbé les circuits de commerce et d’échanges entre les tribus, le christianisme a déchiré le tissu communautaire, notamment chez les Wendats (Hurons), des épidémies et des conflits intertribaux dus à la présence européenne ont réduit considérablement la population autochtone – en un demi-siècle un vaste territoire, jusqu’au Mississippi et les Grands Lacs, a été quasi dépeuplé, un espace civilisationnel s’est désagrégé. La pénétration des colons européens en a été d’autant plus facilitée. Ce drame civilisationnel grève dès le début les contacts entre les Européens et les premières nations. L’inégalité et la disparité jouent au profit de l’Europe. Toutefois, l’Amérique du Nord-Est a échappé à l’intensité du génocide et de l’esclavage qu’ont connus d’autres régions du Nouveau Monde. Un facteur a sans doute contribué à modérer la situation – la nécessité et, plus tard, l’habitude des rapports négociés, y compris la Nouvelle-France où le nombre réduit des colons et marchands d’une part et les conditions climatiques d’autre part ont relativisé la supériorité européenne. Pendant une longue période les activités agricoles des colons français ont pu être complémentaires à la chasse et la pêche pratiquées par les tribus amérindiennes, comme dans le cas de la région de Québec où les Français se sont substitués aux Iroquoiens disparus de Stadaconé dans les échanges avec les Innus et les Algonquins. Au 17^e siècle, certaines tribus amérindiennes – Abénakis, débris des Hurons-Wendats, mais aussi Iroquois – s’installent, en cultivateurs, à proximité des colons. Plusieurs activités réunissent les Européens et les premières nations et exigent une collaboration, notamment le commerce des fourrures, et cela à l’échelle continentale et pendant plus de deux siècles. Autour de ce commerce se nouaient et défaisaient alliances, rivalités et guerres – entre Français, Anglais, Hollandais et leurs partenaires ou alliés amérindiens. Le commerce et la guerre comportent la nécessité des négociations et un certain respect de l’autre. Ce n’est que la guerre anglo-américaine de 1812-1814 et la Paix de Gand qui marque la fin de l’importance des tribus amérindiennes comme alliés militaires et politiques. À la même période, le commerce des fourrures périclite du fait de l’épuisement des terrains de chasse à l’échelle continentale, alors que l’industrie européenne s’oriente vers le bois canadien et les potentialités agricoles du territoire. Les bois et le sol, occupés par les Amérindiens, deviennent alors l’enjeu des intérêts économiques. Ces facteurs contribuent à détériorer la situation des premières nations au 19^e siècle. Si la Loi sur les Indiens de 1876 entend protéger l’identité culturelle des Amérindiens, elle n’en réglemente pas moins la ségrégation en instituant les réserves indiennes où les tribus sont placées sous le tutorat du gouvernement fédéral, donc privées du statut de personne juridique. La Loi définit aussi les règles du statut d’Indien, transmis en lignée paternelle seulement et qui en exclut ceux qui s’établissent pendant plus de cinq ans en dehors de la réserve, autrement dit une élite potentielle. Elle vise en fait une assimilation progressive, soutenue dans ce but, par la Loi sur les écoles indiennes de 1894 qui permettait de placer en internat les enfants amérindiens, loin de leurs parents et de leur milieu tribal, pour les acculturer. La situation – juridique, sociale et culturelle - ne change qu’à partir du milieu du 20^e siècle – grâce aussi aux élites amérindiennes qui se sont constituées. Les communautés amérindiennes et inuites se dotent de représentations politiques qui font valoir leurs droits territoriaux et négocient avec les autorités fédérales et provinciales. Cette évolution se reflète en littérature. Tandis que les textes du 17^e et du 18^e siècles placent l’Indien en composante incontournable de la thématique du Nouveau Monde, le 19^e tend à effacer son image, en lui substituant en partie celle du sauvage « blanc » – le coureur des bois. La littérature ne retrouve l’Autochtone que dans la seconde moitié du 20^e siècle – d’abord comme thème, plus tard grâce à des auteurs amérindiens de plus en plus nombreux et qui situent la problématique dans une autre perspective. En Nouvelle-France et au Canada, la coexistence des colons et des ethnies amérindiennes a été conditionnée par le facteur démographique. À la mort de Samuel Champlain, le 25 décembre 1635, Québec ne compte pas plus de 300 colons. En 1660, la population française de la colonie n’atteint pas 3.000 habitants, nombre que les efforts de Colbert portent à près de 10.000 en 1681. Il en résulte que les colons européens ont pendant longtemps été en situation de minorité. Selon les estimations, le territoire du Canada était peuplé d’un million d’autochtones au début de la colonisation. Certaines tribus constituaient des confédérations – comme la huronne ou l’iroquoise – comptant de 20 à 30.000 personnes. Les langues iroquoiennes étaient parlées par près de 100.000 individus. Plusieurs tribus – Micmacs, Innus, Malécites, Abénakis, Cris - se partageaient la vallée du Saint-Laurent, au nombre de 25.000. À la fin du 17^e siècle seulement, les rapports démographiques changent au désavantage des autochtones qui, au moment de la Conquête, ne sont que 7.000 contre 70.000 Canadiens-Français. Les Français se sont appliqués à christianiser et franciser les tribus amérindiennes. Pourtant le rapport des forces et la prépondérance culturelle ne sont pas, au début, à l’avantage de l’élément français. Jusque vers 1660, les colons et les missionnaires devaient s’adapter aux langues amérindiennes. Marie de l’Incarnation a dû apprendre l’innu, l’algonquin, le huron et l’iroquois. En 1640, un an après son arrivée, elle commente la situation : « [...] ce bout du monde où l’on est sauvage toute l’année, sinon lorsque les vaisseaux sont arrivez que nous reprenons notre langue française [...]. » En 1664, elle constate déjà que le nombre d’Amérindiens dans son entourage s’est réduit à un vingtième et que parmi les jeunes filles que le couvent accueille les Françaises désormais l’emportent en nombre. C’est aussi la période où le français commence à s’imposer comme langue de communication avec les premières nations. On estime pourtant que vers 1700 encore, un colon sur deux est passé dans sa jeunesse par l’expérience amérindienne et a eu donc contact avec la culture d’une tribu amérindienne. L’image de l’autre qui se précise au cours de la période coloniale est instructive sous plusieurs aspects. On peut y remarquer, par exemple, la tendance à l’uniformité et l’indifférenciation. Malgré la diversité des tribus amérindiennes, les Européens simplifient la représentation en la figure du Sauvage. Par induction, la simplification concerne, en sens inverse, l’image du Blanc que l’on retrouve bien plus tard encore dans les textes des auteurs amérindiens. La situation du Canada, au 17^e siècle, a été décrite en détail par les récollets et les jésuites qui publiaient chaque année, à Paris, leurs rapports collectifs - Relations (1632-1673). Leurs descriptions de la culture amérindienne mêlent le mépris à l’admiration. Le sentiment de supériorité de détenteurs de l’Écriture – au sens propre et religieux - n’empêche pas la haute considération de la civilisation basée sur l’oralité et la culture de la parole. Le jésuite Paul le Jeune apprécie la rhétorique des chefs amérindiens - « une rhétorique aussi fine et déliée qu’il en sçauroit sortir de l’escholle d’Aristote, ou de Cicéron ». Son collègue Barthélémy Vimont a laissé un récit admiratif sur la mise en scène de la performance oratoire d’un messager iroquois. Une ambivalence semblable caractérise l’image de l’Indien. Ainsi à la représentation du Bon Sauvage, qui vit loin de la corruption au sein de la Nature, s’oppose le Barbare, le Cannibal qu’il faut civiliser. Cette ambivalence reflète certains impératifs de la réflexion identitaire européenne. Soit le besoin d’affirmer la supériorité l’emporte et dans ce cas, l’image de l’autre ressort négative, soit l’autre sert de miroir qui permet de questionner, voire de mettre en doute ses propres valeurs civilisationnelles. À preuve l’ouvrage complexe de Louis-Armand de Lom d’Arce, baron de Lahontan Nouveaux Voyages de Mr. baron de Lahontan dans l’Amérique septentrionale (1703) où se trouvent Dialogues curieux de l’auteur avec le chef huron Adario. Ce dialogue imaginaire qui permet, du moins en fiction, de prêter la voix à l’autre en le situant en position subjectale, confronte les valeurs européennes avec les « sauvages ». Lahontan introduit ainsi l’idée du bon sauvage et de la vie naturelle, modulée par le scepticisme rationaliste et le relativisme de l’âge des lumières. L’intérêt de Lahontan pour l’autre et le concept d’état de nature renouent avec certains aspects de la réflexion théologique antérieure. La découverte du Nouveau Monde a posé la question de la religion des sauvages, notamment si leur religion fait partie de l’histoire biblique et si les sauvages sont concernés par le Péché originel et la Chute. À supposer que les Indiens se situent en dehors de l’histoire universelle, donc en deçà du Bien et du Mal, non concernés par la Chute, ils s’approchent de l’état de nature : d’où l’idée qui trouvera suite chez Jean-Jacques Rousseau. L’hypothèse contraire signifierait que les Indiens partagent le sentiment religieux universel, même déformé, et qu’il est donc possible de découvrir des rudiments de la vraie foi et des points communs avec la culture européenne. Pour cette raison, certains jésuites ont prêté attention aux représentations et récits mythologiques. Jean de Brébeuf décrit, dans sa Relation, le rituel de la Fête des morts chez les Hurons, il note aussi le récit du voyage de l’âme au pays de la mort lequel offre des ressemblances avec le mythe d’Orphée. Cette approche sera reprise, au 18^e siècle, par un autre jésuite, Joseph-François Lafitau (Moeurs des sauvages américains, 1724), considéré comme fondateur de l’ethnologie. L’Amérindien est présent dans les tout premiers textes littéraires qui se rapportent au Nouveau Monde par leur origine ou leur thématique. Plusieurs des notations précédentes indiquent aussi bien la présence de l’exclusion que celle de l’inclusion comme relations structurantes. Une analyse pertinente de la problématique a été réalisée par Bernard Andrès qui compare Le Théâtre de Neptune (1606) de Marc Lescarbot aux spectacles scolaires du Collège des Jésuites de Québec, organisés comme partie des festivités à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau gouverneur ou d’autres dignitaires. La place accordée à la présence des Amérindiens. y semble très importante. Le Théâtre de Neptune qui, à l’imitation des entrées royales, met en scène l’hommage prêté par Neptune, ses Tritons et les habitants du Nouveau Monde au vice-gouverneur Poutrincourt à son retour d’expédition distribue 78 vers sur 238 entre quatre personnages représentant les sauvages. Le texte contient cinq lexèmes micmacs. La présence « linguistique » est encore plus marquée dans les spectacles jésuites qui comportent de longues répliques et tirades en diverses langues amérindiennes. On constate donc une forte tendance à intégrer l’autre dans son propre contexte culturel comme partie de l’image identitaire de soi-même. L’étude de Bernard Andrès pose la question de la présence effective d’Amérindiens comme acteurs – sujets parlants. La réponse est négative. Dans le cas du Théâtre de Neptune, il est fort improbable que des Micmacs acadiens puissent avoir appris, en si peu de temps, de longs passages en français. Quant aux spectacles des jésuites, il est attesté que les rôles du sauvage huron, du prisonnier huron, de l’Algonquin, du Nez-Percé et de l’étranger du Nord ont été joué par de jeunes écoliers qui ont appris à réciter les répliques en langues autochtones. Dès le début, l’inclusion de l’autre est liée à l’instrumentalisation. Son image est construite de manière à satisfaire aux valeurs qu’on lui attribue. On lui met dans la bouche, comme siens, et en sa langue, les mots qui ne lui appartiennent pas. Une telle inclusion de l’Amérindien imaginaire signifie en même temps l’exclusion de l’Amérindien réel. L’objection est évidente : ce genre de déformation accompagne, dans une mesure plus ou moins grande, la constitution de l’image de l’autre en général. Toutefois, dans le cas des premières nations, la situation est différente, plus grave, peut-être. En effet, dans la concurrence de la culture orale et de l’écriture c’est l’autorité et la fixation du texte qui l’emporte sur l’oralité. S’y ajoute l’autorité du pouvoir colonial sur le colonisé. Tandis que les Canadiens-Français peuvent opposer à l’image que leur présentent les Canadiens-Anglais, leur propre version de soi et de l’autre, l’influence de la tradition orale est moins puissante, la voix sans l’appui du texte s’évanouit avec le temps. La réplique forte de l’Amérindien ne peut venir qu’avec l’écriture. Dans le cas de la littérature canadienne-française et québécoise ce ne sera pas avant les années 1970, avec l’entrée en scène des écrivains issus des premières nations. Il importe d’en tenir compte en examinant l’image de l’Amérindien ou de l’Inuit dans la perspective historique. Dès le 19^e siècle, la présence de l’Amérindien s’efface au profit d’une figure médiatrice – celle du coureur des bois, sans doute sous l’influence du roman historique et d’aventures et sous celle, majeure, de James Fenimore Cooper. La médiation identitaire consiste dans la projection des traits de l’indianité dans un personnage typé de Canadien-(Français) – au sens positif ou négatif. Une sorte de double image identitaire de la canadianité se forme qui oppose le coureur des bois, aventurier lié à la nature et découvreur du contient, à l’habitant sédentaire, cultivateur et propriétaire de la terre. L’un ou l’autre personnage, et souvent les deux, traversent l’histoire de la littérature canadienne-française depuis La Terre paternelle (1846) de Joseph Lacombe, à Maria Chapdelaine (1914 en revue; 1916 en livre) de Louis Hémon, à La Terre Promise, Remember! (1998) de Noël Audet, pour ne citer que quelques repères chronologiques. Cette longévité invite à une hypothèse : en effet, la figure du coureur des bois, en intégrant l’image de l’Amérindien, semble reproduire la situation identitaire des origines – la colonisation et le face-à-face avec l’Autochtone. Une autre modalité de l’inclusion de l’Amérindien a été proposée par Jacques Ferron – le métissage. Toutefois la prise de conscience de l’identité composite, plurielle, n’implique pas, chez Ferron l’éventualité de rendre à l’autre sa voix, de l’asseoir, en propre, en position subjectale. C’est sans doute Yves Thériault qui a envisagé, plus systématiquement, cette assise identitaire. Plusieurs de ses nombreux romans et récits construisent leur intrigue en confrontant différentes conditions civilisationnelles et interethniques. L’auteur exploite fréquemment la thématique inuite et amérindienne. La plus connue est certainement la trilogie inuite Agaguk, roman esquimau (1958), Tayaout, fils d’Agaguk (1969) et Agoak, l’héritage d’Agaguk (1975). Cependant la préférence sera accordée, ici, à la thématique amérindienne qui offre l’avantage d’une mise en perspective complexe dans la mesure où le rapport entre la culture majoritaire (canadienne-française et québécoise) et minoritaire (autochtone) éclaire mieux les processus de l’appropriation et de la désappropriation de l’autre. Un des cas est celui d’Ashini (1960), un des premiers grands textes de la littérature canadienne-française qui tentent de changer de perspective en imaginant le point de vue de l’autre, du Non-Québécois. Serait-ce la conséquence de l’ascendance montagnaise que l’on mentionne dans les biographies de l’auteur ? Toujours est-il qu’il faut envisager le fait dans un contexte plus large de l’exploration de l’altérité, une constante de l’inspiration thériaultienne. La particularité d’Ashini tient à la perspective narrative qui opère le renversement du point de vue : l’autre est installé dans la position subjectale. Le récit est narré à la première personne du singulier, avec la focalisation interne. En personnage-narrateur – Ashini, un vieux chasseur Innu – l’autre acquiert la voix, le monde est narré et vu par lui, l’axiologie est structurée à partir de ses jugements de valeur. Certes, il convient de signaler le paradoxe de cette orchestration narrative. Ashini est écrit en français, pour le public canadien-français. Autrement dit, l’autre s’exprime non en innu-aimun, mais dans une langue qui n’est pas la sienne, celle qui de son point de vue est justement celle de l’autre. Or, par l’artifice de l’écriture, elle doit néanmoins apparaître étrange et étrangère, donc comme un français autre - de l’innu-aimun en français. Le subterfuge stylistique de Thériault consiste à accentuer l’illusion de l’oralité. Le texte est composé de brèves séquences juxtaposées, entrecoupées d’espaces blancs entre les paragraphes. La syntaxe est simple, paratactique. Les dislocations (« celui-là, je savais son nom »), les reprises anaphoriques ou épiphoriques, les ellipses soulignent le caractère parlé. Le je narrant s’adresse à un tu qui écoute sa voix grave, cérémonielle, celle d’un vieux de la tribu qui transmet un message important à la génération suivante. Rappelons brièvement l’histoire : Ashini (rocher en innu) est un des derniers chasseurs attachés aux coutumes ancestrales. Il n’a plus de famille : ses deux fils sont morts, sa fille est partie en ville, sa femme est décédée. Il décide donc de consacrer sa vie à son peuple. Il veut négocier avec le Grand Chef Blanc d’Ottawa pour obtenir un territoire qui serait un pays où son peuple puisse retrouver une vie indépendante, libre. Il s’adresse donc au surintendant de la réserve indienne Lévesque. Le dialogue, placé au milieu du récit, présage le dénouement. Ashini a beau multiplier ses messages, écrits de son sang sur l’écorce de bouleau, le Grand Chef d’Ottawa ne vient pas au lieu de la rencontre. Il a perdu la face aux yeux d’Ashini qui, pour l’humilier davantage et le forcer ainsi à agir, se suicide. Le sacrifice est inutile, les Montagnais de la réserve – les « ils » de la réplique du surintendant - ne réagissent pas. Vu de l’extérieur, suite au changement de la focalisation, le sacrifice est dévalorisé : « Ashini, Montagnais, 63 ans, suicide dans un moment d’aliénation mentale ». Par son agencement identitaire, Ashini semble correspondre à l’esprit de la période de la Révolution tranquille qui accentue en même temps les modèles nationaux défensif et émancipateur tout en préparant l’intégration progressive de la différence de l’autre au sein d’une nouvelle conception de la québécitude. Au cours des années 1970 et 1980, la situation évolue au profit d’une sensibilité accrue à l’altérité, y compris celle des premières nations. La pièce de Marie-Renée Charest Meurtre sur la rivière Moisie (1986), dont l’intrigue a été inspirée par un fait divers – la mort de deux jeunes Amérindiens, a suscité une telle émotion que la police a reçu l’ordre de relancer l’enquête afin d’examiner s’il ne s’agit pas d’un crime racial. Plusieurs auteurs québécois travaillent la thématique amérindienne, puisent dans les mythes et les contes. Marc Doré, par exemple, réécrit pour le théâtre Kamikwahushit (1977), conte amérindien qui témoigne d’un curieux syncrétisme avec le schéma du conte de fée européen. Au cours des années 1970 s’imposent enfin des auteurs d’origine amérindienne. À la différence des Non-Amérindiens, ils ont l’avantage de pouvoir présenter leur point de vue identitaire directement, sans passer par le détour d’une sensibilisation de soi-mème à l’autre. Ils ne sont pas nombreux, il est vrai, et leur entrée en littérature est retardée d’une décennie en comparaison avec les littératures canadienne-anglaise et états-unienne. Parmi les premiers, il importe de mentionner Max One-Onti Gros-Louis, boxeur et chef du village wendat Wendake-Ancienne-Lorette qui a enregistré, en collaboration avec Marcel Bellier, son récit autobiographique Le Premier des Hurons (1971). L’écrivaine innue An Antane Kapesh a rédigée ses souvenirs d’abord en innu, avant de les compléter par la version française Eukuan nin matshimanitu innu-iskueu/Je suis une maudite sauvagesse (1976). Elle a raconté les mythes et les contes de son peuple dans Qu’as-tu fait de mon pays? (1979). La problématique identitaire est fortement impliquée dans les travaux historiographiques et ethnographiques du Huron-Wendat Georges Emery Sioui. L’importance de son douvrage Pour une autohistoire amérindienne. Essai sur les fondements d’une morale amérindienne (1989) consiste dans le changement de perspective : les faits historiques sont envisagés du point de vue amérindien. Il est aussi l’auteur des Wendats. Une civilisation méconnue (1994). L’œuvre de Bernard Assiniwi est varié. Après avoir recueilli et présenté les mythes, contes et fables algonquins dans Anish-Nah-Bé et Sagana (1971 et 1972), il s’est fait historien avec l’Histoire des Indiens du Haut et du Bas Canada (1974), romancier avec L’Odawa Pontiac. L’Amour et la guerre (1994) et Saga des Béothuks (1997), et dramaturge avec Il n’y a plus d’Indiens (1983). La pièce illustre le conflit entre l’ancienne et la jeune génération et la désintégration des valeurs traditionnelles. Au théâtre, il faut signaler la percée internationale de la compagnie Ondinnok, fondée en 1985 par Yves Sioui Durand, auteur de drames mythologiques rituels Le Porteur des peines du monde (1985), Aiskenandahate. Le voyage au pays des morts (1988), Iwouskéa et Tawiskaron (1999) et de transpositions historico-mythologiques La Conquête de Mexico (1991) et Kmùkamch l’Asieindien (2002). L’art d’Yves Sioui Durand se veut syncrétique : il contamine les mythes et l’histoire, le théâtre amérinindien rituel avec la tradition dramaturgique européenne; le mélange des langues (mohawk, innu, nahuatl, français, anglais, espagnol) indique sa conception large de l’amerindianité. Selon le dramaturge, il ne s’agit pas tant de « reconstituer l’ancien théâtre rituel amérindien mais le ré-inventer à travers une forme actuelle ». Par son expérimentation il s’incrit dans la mouvance du théâtre québécois contemporain comme le prouve sa réécriture de Shakespeare Hamlet – Le Malécite (2004; en collaboration avec Jean-Frédéric Messier). Maurizio Gatti, dans Être écrivain amérindien au Québec (2006), a pertinemment résumé les questions-clé qui se posent à tout écrivain amérindien et qui engagent son identité. Qu’est-ce que la littérature amérindienne? Qui peut ou doit être considéré comme écrivain amérindien? Qu’est-ce qui constitue la tradition amérindienne? En quelle langue écrire? Aucune réponse n’est satisfaisante, ni définitive. En effet, ni l’origine ethnique ni l’aspect physique ne constituent un critère définitoire sûr, car le métissage est parfois si important que certaines ethnies – comme les Hurons-Wendats – ne se distinguent pas physiquement de la population environnante. Plusieurs auteurs, tel Robert Lalonde - mi-Mohawk, mi Canadien-Français, ne voient pas dans la filiation amérindienne une raison pour se considérer comme écrivain amérindien, même si leur expérience amérindienne est présente dans leur œuvre. L’origine métisse est la raison de la non-reconnaissance de certains autres - Bernard Assiniwi ou Michel Noël – par les communautés amérindiennes. L’exclusion frappe également certains intellectuels d’origine amérindienne qui n’ont pas accepté de vivre dans les réserves et qui, urbanisés, concilient leur amérindianité avec la modernité. La notion même d’amerindianité est une abstraction qui recouvre d’énormes différences de mode de vie, de langue et d’intérêt. Les Wendats, cultivateurs, artisans et commerçants établis aux environs de Québec, ont très peu en commun avec les tribus Cries dont certaines restent encore attachées à leur habitudes de chasseurs de la toundra. La situation linguistique n’est pas moins complexe. Il ne s’agit pas seulement du choix entre le français/l’anglais et une des langues amérindienne, mais aussi de la communication entre les commmunautés amérindiennes mêmes, et celle entre les Amérindiens et les Non-Amérindiens. Or, la communication et la cummunicabilité ont une incidence sur le marché du livre et l’édition. L’expression des différentes positions identitaires sera illustrée par la poésie amérindienne. La démarche se justifie, entre autres, par la nature de l’expression lyrique, sa capacité de concentration et, partant, sa diversité qui permettent, en peu d’espace, de capter la variabilité et les mutations que l’identité amérindienne a enregistrées durant les trois dernières décennies - une transformation rapide qui correspond à l’évolution identitaire du Québec et du Canada. Il faut donc s’attendre au chevauchement de plusieurs modèles identitaires. Un exemple du modèle national défensif peut être identifié dans certaines méditations du Huron-Wendat Jean Sioui : J’avais un bel arbre devant ma maison je méditais à l’ombre de ses branches un grand vent brusque l’a fait tomber Il m’a manqué longtemps Aujourd’hui je me souviens de lui en regardant les pousses nouvelles à l’endroit même où il était Mon peuple est semblable je sais qu’il survivra (J’avais un bel arbre) Dans ces temps on nous donne des droits artificiels sous réserve Dans nos temps on possédait des droits naturels sans réserve (Dans ces temps) La paraphrase de la devise nationale (et nationaliste) québécoise « Je me souviens », ainsi que le positionnement du sujet lyrique – le nous collectif – trahissent la présence du paradigme identitaire du modèle national défensif. Ce dernier est développé par l’image de l’arbre qui, avec ses racines, désigne le lieu identitaire inaliénable – la terre, le pays. Le passé glorieux, interrompu par les désastres historiques (« tempête ») est évoqué pour être relié à la promesse de l’avenir. L’autre est désigné comme la cause du mal historique, voire amèrement ironisé par l’emploi de la diaphore « réserve » dans le contexte qui oppose aux « droits artificiels » la nature et les « droits naturels » (avec les connotations évoquant les débats du 18^e siècle autour de l’état de nature). À côté du modèle national défensif on discerne chez certains auteurs la prédominance de l’imaginaire intégrateur, inclusif, qui caractérise le modèle national émancipateur. Témoin la satire politique, (auto)ironique de Myra Cree « Mon pays rêvé ou la PAX CANATA ». Le poème est formulé comme un rêve de souveraineté – en fait un défi lancé aux Québécois souverainistes, mais qui exprime surtout un désir d’égalité, de reconnaissance par l’autre. D’où les « trois visions de ce pays » - celui des anglophones, francophones et premières nations qui collaborent en partageant les richesses. L’inclusion dépasse le Canada, la vision s’élargit au monde entier et à l’appropriation des acquis culturels universels représentés ici par des références françaises. Le mouvement intégrateur s’inscrit dans le langage : synthèse ludique du style lyrique et administratif, avec des jeux de mots basés sur l’argot (« y’a du bouleau et du pin pour tout le monde »). L’envol lyrique n’exclut pas le regard critique, mordant, dirigé aussi bien contre les hommes politiques Blancs (la parodie du premier ministre Jean Chrétien) que contre le mal qui ronge la société amérindienne (alcoolisme, drogues, violence domestique). Le conflit d’Oka et l’intervention de l’armée contre les défenseurs du cimetière mohawk (1990) sont évoqués : Mon pays rêvé commence, à l’évidence, au lendemain d’un ultime référendum, une fois le « verduct rendi » pour écrire comme l’ineffable Jean Chrétien parle. L’autonomie est acquise, nous avons notre propre Parlement, il y a dorénavant trois visions de ce pays. Au Québec on est copains comme cochons avec la communauté francophone qui s’est mise à l’étude des langues autochtones. Nos réserves, sur lesquelles nous en émettions tant, sont devenues des colonies de vacances et nos chefs, qui se répartissent également entre hommes et femmes, de gentils organisateurs. À Kanesatake, où j’habite, y’a du bouleau et du pin pour tout le monde. Le terrain de golf a disparu et tous, Blancs et Peaux-Rouges (je rêve en couleurs) peuvent, tel qu’autrefois, profiter de ce site enchanteur. Nos jeunes ne boivent plus, ne se droguent pas, la scolarisation a fait un bond prodigieux. Tout va tellement bien dans nos familles (il n’y a plus de trace de violence) que l’association Femmes autochtones du Québec s’est recyclée en cercle littéraire. Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir vient d’être traduit en mohawk; l’XY de l’identité masculine d’Elizabeth Badinter, devrait l’être en montagnais pour le Salon du livre qui se tiendra à Kanawake, et L’Amant de Duras, en iniktikut (ça va dégivrer sec dans les igloos). […] je me pince pour y croire, trop fort sans doute, car c’est à ce moment-là que je me suis réveillée. Avec mes meilleurs voeux, que l’an prochain, si nous ne sommes pas plus, nous ne soyons moins. La thématique identitaire n’investit pas seulement le discours public, politique. Elle pénètre jusqu’au plus intime de l’individu où elle peut dévoiler les failles. C’est le cas du métissage qui concerne aussi bien l’ethnicité que la culture et la langue. Ce que Myra Cree envisage sous forme d’appropriation rêvée, la Wendate Éléonore Sioui le constate avec un détachement ironique de celle qui contemple ses blessures. Le poème s’intitule « Autochtonicité » : Dans un verre De vin blanc Déposez deux ou trois gouttes De sang indien Ajoutez-y une once de pollution Brassez à l’européenne Et vous aurez un mélange de deuxième classe Puis fermentez le résidu de l’élixir Qui vous procurera une troisième classe Dont la dilution deviendra L’Amérindien Contaminé dans son authenticité. Make big plans, aim high in hope and work Do not make little plan as it gives no magic stir. (Autochtonicité) Le mélange des langues peut, bien sûr, évoquer l’acculturation, comme ici. Mais il peut aussi bien exprimer un dédoublement de soi-même qui est un enrichissement. La voie n’est pas facile, car l’acceptation de la pluralité identitaire, dans certains cas, ne se fait qu’au bout d’un questionnement angoissé. Voici le chant de la métisse qui s’adresse à la louve totémique Mahiganou en français et en cri. Frappée d’exclusions de part et d’autre, car exposée dans une situation identitaire fragile de l’entre-deux, elle finit par assumer sa position intermédiaire en intégrant les deux versants de son être. L’auteur du poème est Diom Romeo Saganash: J’ai comme seul guide ce soir Les esprits dansant dans le ciel boréal Et la lumière tamisée de la lune pleine. Ni-wanshin, ni-madoune Je suis perdue, je pleure. Tèou-higan kiè ni-bètèn J’entends depuis toujours des échos de tambours cris Ces échos qui me pourchassent Viennent du nord, de la forêt, Nouchimich, Contrées d’origine de mon père. D’autres rythmes et mélodies me parviennent D’ailleurs Et m’attirent aussi Vers l’est, l’autre côté de la mer infinie, vers mon destin Patrie de ma mère. Je suis mêlée, je suis métisse Je pleure. Sommes-nous condamnés, Nous, peuple de sang rouge et de sang blanc À errer ? Ni visage pâle ni cuivré Je suis héritière des cultures millénaires En même temps Des problèmes centenaires. […] « Dandè è touté-in? Jè gon wè ji-madouin ? » Où vas-tu ? Pourquoi tu pleures ? Moush ni-mayim-goun Majish ni-shingadi-goun Wèn-ni, Mahiganou ? Wèn-ni Bèj-witamou. Mes sœurs cries me traitent de Majish Celle qui est laide Mes sœurs québécoises m’accusent De blanche manquée Dis-moi, Mahiganou, qui suis-je ? Car je ne m’aime pas. […] Non, tu n’es pas la moitié de l’un et moitié de l’autre Tu es l’un ET l’autre Une Blanche avec une âme crie Une Crie avec une âme blanche C’est toi qui décides quoi en faire. » (Mahiganou) An Antan Kapesh (Kuujjuaq 1926 – novembre 2004) Née en 1926 près de Kuujjuaq, An Antane Kapesh vit de manière traditionnelle - de chasse et pêche - jusqu’à la création de la réserve de Maliotenam, près de Sept-Îles, en 1953. Elle n’a jamais fréquenté l’école du « Blanc » ; toute son éducation lui vient de sa famille innue. Elle se marie en 1943, elle donne naissance à neuf enfants. De 1965 à 1967, elle fut chef de la bande innue de Matimekosh, près de Schefferville. Afin de défendre son peuple et de partager avec le monde les injustices dont ils sont victimes, elle apprend à écrire en innu. Quelques années plus tard, en 1976, ses écrits prennent la forme d’un essai autobiographique intitulé Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse. Elle fait partie d’un groupe de femmes pionnières qui ont publié dans les années 1970, afin de faire entendre leur voix, aux côtés de Maria Cambell, Rita Joe et Lee Maracle, entre autres. Elle meurt au mois de novembre 2004 à l’âge de 78 ans. Son premier essai autobiographique en 1976, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse, est considéré comme un texte « visionnaire » et « fondateur de la littérature autochtone au Québec ». Il est publié en innu, avec une traduction française de José Mailhot, ce qui fait d’An Antane Kapesh la première écrivaine innue à être publiée en français en Amérique du Nord^3. Cet essai-témoignage défend sa culture en l’opposant à celle des blancs. Elle y dénonce les injustices et les problèmes sociaux que subit son peuple, dont le déracinement causé par les pensionnats, qui sont « présentés par Kapesh comme des lieux de déculturation d’une grande violence, entre autres raisons parce qu’ils causent l’éclatement des familles innues en séparant physiquement les parents des enfants, une séparation renforcée (et perpétuée longtemps après la fin de la scolarisation des enfants) par la création d’une différence culturelle et linguistique entre les générations qui se répercute sur un rapport dénaturé au territoire. » Elle y décrit l’histoire de son peuple, en se plaçant à la fois du côté des siens que de celui des exploiteurs, qui ont dépossédé sa nation. Toujours en préservant son identité propre, elle fait preuve d’innovation par ses descriptions des personnages de la réalité et par ses nombreuses interrogations. Son essai, qui lègue « une analyse exhaustive de la colonisation de son territoire », contient également beaucoup d’éléments de la tradition orale. En 1979, elle publie un deuxième livre: Qu’as-tu fait de mon pays? À travers l’histoire d’un enfant (le peuple autochtone) et les Polichinelles (les Blancs), elle brosse un portrait symbolique et saisissant de la dépossession. L’essai est découplé en cinq parties qui reproduisent chacune des étapes de la dépossession (description du territoire, pratique des activités traditionnelles, arrivée des Blancs et exploitation des terres, sédentarisation et tentatives d’assimilation et finalement révolte et énonciation des nouvelles conditions du dialogue culturel.) Dans chacune des séquences du livre, l’enfant (le peuple autochtone), lors de ses nombreuses aventures et à travers ses rencontres, se soumet poliment aux Blancs et tente, en vain, de lui faire comprendre ce qu’il lui arrive. Avec cet essai, An Antane Kapesh créé une histoire vraisemblable, celle d’un autochtone impuissant face aux exploiteurs des ressources de sa nation. Le récit a été adapté pour la scène par An Antane Kapesh et José Mailhot en 1981. La pièce a été jouée à Montréal. Michel Jean (1960 Alma) Michel Jean est issu de la communauté de Mashteuiatsh au Saguenay/Lac-Saint-Jean au Québec. Chef d’antenne, animateur, reporter d’enquête et écrivain, il détient une maîtrise en histoire de l’Université du Québec à Montréal et œuvre dans le milieu du journalisme depuis 1985. Animateur et journaliste à la radio, à Sorel et en Abitibi-Témiscamingue, Michel Jean a aussi été reporter courriériste parlementaire à l’Assemblée législative pour la Télévision de Radio-Canada à Regina en Saskatchewan, journaliste à Radio-Canada à Toronto, à Montréal et à Québec. Son expérience de reporter lui inspire son premier livre, Envoyé spécial (2008) ainsi que certains de ses autres romans. Ses origines innues sont abordées dans son livre Elle et nous (2012) et racontées à travers l’histoire de sa grand-mère Jeannette Siméon. Dans Le vent en parle encore (2013), l’auteur traite des pensionnats autochtones et sensibilise aux enjeux autochtones. Son roman intitulé Kukum (2019) reçoit, en 2020, le prix littéraire France-Québec et est finaliste au prix Jacques-Lacarrière. En octobre 2021, il publie son huitième roman Tiohtiá:ke qui aborde la question de l’itinérance autochtone en milieu urbain Actif sur la scène littéraire, il codirige le recueil de nouvelles Pourquoi cours-tu comme ça ? (2014). Il assure également la direction de Amun (Stanké, 2016) faisant appel à dix autrices et auteurs des Premières Nations et qui sera réédité en France ainsi que de Wapke (2021). Naomi Fontaine (1987 Uashat) Née dan une, communauté innue près de Sept-Îles, Naomi Fontaine est une enseignante de français diplômée de l’Université Laval de Québec. Lors de ses études, son talent d’écriture est remarqué par François Bon, professeur de création littéraire, qui l’encourage à mettre de l’avant sa voix. Elle commence alors à participer à des concours de création littéraire, notamment au Concours canadien de rédaction et d’art pour autochtones, et à rédiger des textes qui donneront lieu à son œuvre intitulée Kuessipan (2011). Elle poursuit ensuite son parcours littéraire dans le cadre du programme Première ovation de l’Institut canadien de Québec sous le mentorat de Jean Désy, médecin et ami des intellectuels innus. C’est alors qu’elle retourne à Uashat et commence sa carrière d’enseignante auprès des adolescents de sa communauté. Son deuxième roman, Manikanetish (2017), s’en inspire. En 2019, elle publie Shuni : ce que tu dois savoir, un message à son amie blanche pour lui expliquer les enjeux de l’exclusion que les Innus ressentent et que la société majoritaire ne voit pas. Naomi Fontaine cherche à déconstruire les stéréotypes portés sur les communautés innues en redonnant une place importante, à travers ses écrits, à leur pouvoir ainsi qu’à leur histoire. Ayant également publié dans diverses revues et collectifs, Naomi Fontaine collabore notamment avec Laure Morali et le Haïtien Rodney Saint-Éloi (Les bruits du monde, 2012) ainsi qu’avec Michel Jean (Amun, 2016). Par ailleurs, elle édite et préface deux livres d’An Antane Kapesh Je suis une maudite Sauvagesse (2019) ainsi que Qu’as-tu fait de mon pays? (2020) Julie D. Kurtness (Chicoutimi 1981) J.D Kurtness est la fille d’une mère québécoise et d’un père innu de Mashteuiatsh. En 2017, elle publie son premier roman, De vengeance, pour lequel elle gagne le prix Voix Autochtones, catégorie « Livre prééminent en prose d’un écrivain autochtone émergent », le prix Découverte du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean et le prix Coup de cœur des amis du polar. De vengeance suit une femme tueuse en série qui s’attaque à tous « les violents, les voleurs, les pollueurs, les profiteurs et les hypocrites ». Ce premier livre est reconnu pour son « humour corrosif » ainsi que « sa rare force de frappe ». Son second roman, Aquariums, « roman d’anticipation polyphonique dont l’intrigue tourne autour d’un vilain virus destructeur», parait en 2019. Il est finaliste aux prix Voix autochtones dans la catégorie « Livre prééminent en prose ». Également nouvelliste, deux de ses nouvelles, « Mashteuiasth, P.Q », ainsi que « Le stylo » paraîssent dans la revue Moebius. Sa nouvelle « Les saucisses, parait dans le recueil Wapke, sous la direction de Michel Jean. En 2022, elle publie la novella Bienvenue, Alyson aux éditions Hannenorak. Natasha Kanapé Fontaine (1991 Baie-Comeau) Elle a grandi avec ses grands-parents à Pessamit et elle a dû déménager à Baie-Comeau avec ses parents à l’âge de 4-5 ans. Ce fut un grand défi pour Natasha, car lorsqu’elle est arrivée en maternelle elle ne parlait qu’innu-aimun. Cependant, à l’adolescence vers l’âge de 16 ans, elle a pris conscience qu’elle ne parlait qu’en français à l’école et à la maison. Remarquant même que ses parents entre eux parlaient français, la jeune adolescente à cette époque a donc décidé, par urgence identitaire de se reconnecter à ses racines, entre autres, grâce à l’art. C’est d’ailleurs le documentaire de Richard Desjardins, Le peuple invisible, qui lui a sonné un cri d’alarme. C’est par l’art qu’elle a su libérer et exprimer cette colère identitaire qu’elle avait en elle. Natasha Kanapé Fontaine est une grande militante des droits des autochtones et milite, entre autres, contre la discrimination et le racisme qu’elle a elle-même subis dans son parcours scolaire et personnel. Elle est également représentante du mouvement autochtone pancanadien Idle No More avec qui elle a eu la chance de voyager au Québec, au Canada et dans d’autres pays du monde en tant que poète-slameuse et conférencière: « Le message qu’elle porte est celui de la rencontre des peuples et des cultures, du respect, de l’échange et du dialogue, au nom de la dignité et de l’humanité ». Elle a comme objectif de rassembler les gens des différents peuples et de créer un dialogue qui permettrait de s’ouvrir davantage aux différences et qui permettrait d’y cultiver le respect. Elle offre une voix à ceux qui en n’ont pas par ses différentes apparitions publiques, mais également avec sa poésie. Entre autres dans son poème Cri qu’on retrouve dans son recueil N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures (2012). Ce recueil est suivi par d’autres: Manifeste Assi (2014), Bleuets et abricots (2016) et Nanimissuat Île-tonnerre (2018). Elle est aussi romancière: Nauetakuan: un silence pour un bruit (2021) retrace la recherche identitaire de la narratrice, une intellectuelle du milieu universitaire et urbain qui remonte vers les sources mythiques de sa communauté pour ce réconcillier avec les déchirures de l’Histoire qui ont frappé sa famille.