cours de didactique du francais langue etrangeřě et seconds Pour en savoir plus Besse H., Galisson R., Polémique en didactique; du renouveau en question, CLE International, «Didactique des langues etrangeres», 1980. Boyer H., Rtvéra M., Introduction ä la didactique du francais langue étrangére, CLE International, 1979. Chiss J.-L., Daběne M. (coord.), Recherches en didactique du francais et formation des enseignants, Etudes de Linguistique Appliquée, n° 87, 1992. Cornu L., Vergnioux A., La Didactique en questions, CNDP-Hachette, « Education*, 1992. Cuq J.-P. (dir.), Dictionnaire de didactique du francais langue étrangére et seconde, CLE International, 2004. Delas D., VerrierJ. (coord.), «Langue maternelle, langue étrangére», Lefrancais aujourd'hui, n° 78, 1989. Eisner E. W!, Cognition and curriculum, A Basis for Deciding What to Teach, Longman, New York, London, 1982. Galisson R, Porcher L. (coord.), Priorité(s) FLE, Etudes de Linguistique Appliquée, n° 64, 1986. Hamm CM., PhilosophicalLssues on Education, The Falmer Press, New York, Philadelphia, London, 1989, éd. 1993. Mackey W., Principes de didactique analytique: analyse scientifique de l'enseignement des langues, Didier, Paris, 1972. Miller J.-P., Seller W!, Curriculum, Perspectives and Practice, Copp Clark Pitman Ltd, Mississauga (Ont.), 1990. Pinar W., Reynolds W, S lattery P., Taubman P., Understanding Curriculum, An Introduction to the Study of Historical and Contemporary Curriculum Discourses, Peter Lang, 1995. Sensévy G., Le sens du savoir. Elements pour une théorie de Taction conjointe en didactique, De Boeck, 2011. Van der Maren J.-M., Méthodes de recherche pour 1'éducation, Presses de 1'université de Montréal-De Boeck universitě, « Education et formation, fondements», 1995. Revues Etudes de Linguistique Appliquée, n° 27, n° 60, n° 64, n° 72. Langue francaise, n° 8. CHAPITRE 3 Quelques concepts organisateurs en didactique des langues Apres avoir reconnu l'inscription de notre discipline dans un champ specifique et trace les grandes lignes de ses references epistemologiques, il convient maintenant de definir les concepts dont eile entend rendre compte et qui seront le fondement de son action methodologique. Comme routes les disciplines, la DDLES dispose de concepts propres et de concepts transferes. Si la conceptualisation propre est une activite scientifique non soumise ä suspicion, il n'en va pas toujours de meme avec le transfert. En effet, le trans-fert, ou reconceptualisation, porte sur des methodologies ou sur des resultats de recherches effectuees dans d'autres disciplines. II est legitime parce que certains concepts interessent plusieurs disciplines, mais aussi dans la mesure ou il permet une economie de temps et de moyens. Cependant, il ne faut jamais oublier qu'il est fonde sur une intuition analogique. Pour quitter ce simple Statut metaphorique, le concept emprunte doit imperativement etre reformule en tenant compte: a) des conditions dc sa production dans son domaine de validite d'origine (lieu, date, ideologic, etc.); b) des conditions prevalant dans son nouveau domaine de validite, dans lequel il va etre soumis ä l'epreuve d'efficience; c) de sa compatibilite avec les autres concepts dejä actifs dans le domaine. On verra dans les paragraphes suivants qu'un cerrain nombre de concepts fonda-mentaux pour la didactique, par exemple celui de langue, ne lui appartiennent pas en propre. Cependant, c'est sous Tangle de la didactique que nous les envisagerons. 3.1. Le concept de langue 3.1.1. La langue, concept Linguistique Sans remonter ä des origines qui, pour interessantes qu'elles soient1, seraient hors de propos ici, disons brievement que la tradition linguistique du xx'siecle etablit deux aspects du concept de langue, un aspect abstrait et systematique, et un aspect social. 1. Tous les enseignants de francais ont ä 1 evidence interet ä avoir des connaissances historiques sur la langue franchise et sur les theories qui ont peu a peu etabli ses descriptions actuelles. Voir par exemple Picoche J. et Marchello-Nizia C, Histoire de la langue francaise, Nathan, «Universite», 1989; Chevalier J.-C, Histoire de la grammaire, PUF, «Que sais-je?», 1994. Ou, pour plus de details: Auroux S. (dir.), Histoire des idees linguistiques, t. 1: La naissance des metalangages en Orient el en Occident, Mardaga, 1989; t. 2: Le developpement de la grammaire occidental^ Mardaga, 1992. -c0ur5 de didactique du francais langue etrangere et seconde Le premier aspect justifie les investigations de la linguistique generále et de la grammaire des langues particuliěres. II s'agit ďétablir, soit par 1'observation, soit par 1'application ďun modele théorique, les régularités et les regies de fonctionnement ďun systéme qu'on postule comme sous-jacent aux productions effectives. La langue est alors concue comme un systéme abstrait de signes dont on peut étudier, de facon séparée ou concomitante suivant les theories, 1'évolution, les aspects phonétiques et phonologiques, la morphologie, le lexique, la syntaxe, la sémantique. Pour cet aspect de la langue, nous utiliserons le mot Ól idiome, que C. Marchello-Nizia et J. Picoche2 proposent pour leur part comme synonyme désambiguísé de langue. Le second aspect, longtemps minoré mais aujourďhui au contraire tout á fait valorise, justifie les travaux de la sociolinguistique, comprise au sens large comme la partie de la linguistique qui s'occupe des rapports entre les langues et leurs locuteurs. Mais c'est dans ce cas, signe de difficulté épistémologique, que le terme de langue lui-méme peut étre ambigu: parce qu'il « comporte, comme dit Joshua Fishman, un jugement, manifeste une emotion ou une opinion3», bref, une certaine dose de cette subjectivité que la linguistique se proposait justement ďéradiquer de son objet. Cest pourquoi il lui préfere le terme de « varieté ». Pour notre part, nous utiliserons le terme de varieté pour designer des realisations systématiques de variantes (géographiques, sociales, ou autres) ďun méme idiome. Mais nous conserverons la definition de Fishman, pour qui la sociolinguistique est «1'étude des caractéristiques des variétés linguistiques, des caractéristiques de leurs fonctions et des caractéristiques de leurs locuteurs, en considérant que ces trois facteurs agissent sans cesse Tun sur 1'autre, changent et se modifient mutuellement au sein ďune communauté linguistique4». Cette prise en compte des locuteurs et de la varieté renvoie aussi á la distinction saussurienne entre la langue et la parole, c'est-á-dire facte, concu d'abord comme individuel puis plus récemment comme cogénéré, de mise en ceuvre de la langue. Les parties de la linguistique qui s'occupent de la parole ont conquis aujourďhui leur place au sein des sciences du langage: psycholinguistique, pragmatique, acquisition, linguistique conversationnelle, analyse du discours, etc. Pour la linguistique elle-méme, le concept éponyme de langue peut done étre concu de facon plus ou moins restreinte: il peut se limiter á 1'étude du systéme abstrait ou englober, de facon plus large, la mise en acte de ce systéme et par consequent les locuteurs, que ce soit á titre individuel ou collectif. UUbLUUC-3 uum-L 2. Marchello-Nizia C, Picoche J„ op. cit., p. 7. 3. Fishman }., Sociolinguistique, trad. francaise, Labor, 1971; Nathan, ..Langues et Culture., 1971 p. 35. 4. Fishman J., op. cit., p. 20. 3.1.2. Lajangue, concept didactique II nést peut-étre pas superflu de rappeler encore que ce qui distingue la didactique des langues des autres didactiques, c'est son objet linguistique: les connaissances établies par les différentes branches de la linguistique sont done indispensables á la didactique des langues. Cest cette evidence qui a de fait conduit, dans un premier temps, á inclure la DDL au sein de la linguistique. Mais on a toutefois établi au chapitre precedent que cet objet, certes trop spécifique pour étre seulement du ressorr des sciences de Féducation, ne saurait non plus étre uniquement appréhendé á la facon des linguistes. II existe en effet deux paramětres qui fondent le concept de langue en didactique5 et qui ne sont pas pris en compte en tant que tels par la linguistique. Le premier est que la didactique fait de la langue un objet ďenseigne-ment et d'apprentissage. Le second, qui élargit considérablement l'objet lui-méme, est l'aspect culturel de la langue6. En effet, comme le dit Bakhtine7, on ne peut séparer le signe et la situation sociále sans voir altérer la nature sémiotique de celui-ci8. Tout en admettant ce lien indispensable, cette «parenté troublante» qui les unit9, nous ne postulerons pas une relation ďégalité entre culture et langage qui ne se justifie ni linguistiquement, ni sociologiquement, et qui n'apporte aucune clarification en didactique. Nous préfererons voir entre eux une relation d'implication réciproque que Louis Porcher définit en ces termes: «toute langue véhicule avec elle une culture dont elle est á la fois la productrice et le produit10». Du point de vue didactique, nous définirons done la langue comme un objet ďenseignement et d'apprentissage compose ďun idiome et ďune culture. 3/1.3. La langue comme objet ďenseignement et d'apprentissage Rappelons que nous avons, au chapitre 2, défini comme objet pour la DDLES 1'étude des conditions et modalités ďenseignement et ďappropriation ďune langue étrangěre en milieu non naturel. En d'autres termes, elle est l'objet du contrat qui 5. Concept de niveau 1. 6. Voir partie I, chapitre 2. 7. « Le signe et la situation sociále oil il s'insere sont indissolublement lies. Le signe ne peut pas étre séparé de la situation sociále sans voir s'alterer sa nature sémiotique.» Bakhtine M., Le Marxisme et la philosophic du langage. Essai ďapplication de la méthode sociologique en linguistique, trad, par Yaguello M., Minuit, 1977, p. 63, cite par Cordonnier j.-L., op. cit. en bibliographic. 8. Bakhtine ne confond pas situation sociále et culture, mais cet élargissement inrerprétatif nous parait utile pour souligncr la nature sémiotique complexe de la langue. 9. Expression de Sapir, citée par de Salins G.-D., Une introduction a ['ethnologic de la communication, Didier, 1992, p. 31. 10. Porcher L., Le Francais langue etrangere, emergence et enseignement d'une discipline, CNDP, Hacherte education, 1995, p. 53. 7? 73 <-ucin-> LJL_ uium.Muut uu rnHUVftli LflNbUt blKANbtKt b I SbCONUb QUELQUES CONCEPTS ORGAN i5ateu RS LN UlUAUItUUt Ubb LANbUtb lie pour un temps donné et en un lieu donne une partie guidante et une partie guidée en vue dun transfert de competences idiomatico-culturelles. La langue étrangěre qu'il s'agit pour ľapprenant de s'approprier sous le guidage de l'ensei-gnant est le résultat de la procedure ďobjectivation didactique ďun idiome et d'une culture abstraits de leur environnement naturel. Cet objet didactique n est pas égal ä une quelconque des descriptions de son systéme (objet linguistique) ni ä une quelconque des descriptions de ses usages (objet sociolinguistique); il est le résultat d'une convergence provisoire et evolutive des representations systématisées d elements idiomatiques et culturels de la part de la partie guidante (institutions, enseignants) et de la partie guidée (apprenants). La legitimite de la partie guidante est ŕbndée sur la plus ou moins grande conformité de ses representations idiomatico-culturelles avec des savoirs reconnus ä un moment donné comme valides par la communauté scientiŕique et sur des savoir-faire qu'il s'agit ďaider la partie guidée ä s'approprier. La marque d'une appropriation réussie est la reduction chez ľapprenant de cette dissymétrie de representations des savoirs et la mise en pratique effective des savoir-faire. Du point de vue de la partie guidante, la langue se materialise par un syllabus, c'est-a-dire par letablissement d'une série d'objectifs et de contenus idiomatico-culturels. Letablissement d'un syllabus se fait selon ce que nous avons nommé la procedure de compression qui consiste, rappelons-le, á prendre en compte le fait que facte didactique s'effectue sous des contraintes de temps, de lieu et de matériaux dont la caractéristique principále est d'etre réduits par rapport aux elements non didac-tiques dont ils sont abstraits. Du point de vue de l'apprenant, la langue se materialise par un systéme évolutif de savoirs et de savoir-faire qu'on appelle interlangue. Linterlangue de l'apprenant se manifeste par la procedure d'expansion, qui est la procedure qui permet de faire des savoirs ou des activités didactiques des savoir-faire non didactiques. 3.7.3.7. Aspect idiomatique: quelle varieté enseigner? Si on admet que la description des idiomes relěve de la linguistique, il revient á la didactique, et en l'occurrence á celle du FLS, de choisir la varieté de francais qui servira de reference au syllabus. En effet, il est maintenant bien établi que le francais, pas plus que les autres langues, ne saurait étre concu comme un ensemble totalement unitaire. L'abondance des traces écrites qu'il a laissées depuis des siécles, sa grande dispersion géographique et sociále en font un ensemble de variétés pour lesquelles on dispose de nombreuses descriptions11 tant synthétiques que monogra-phiques. Cependant cette soumission du francais á la variation ne correspond pas forcément á Fimage que ses locuteurs ou que ses apprenants sen font. En France 11. Voir par exemple la série Actualités linguistiques francophones, publication du rcseau Etudes du francais en francophonie de l'Agencc universitaire de la Francophonie. Voir Walter H., Le francais dans tous les sens, Robert Laffont, 1988. en particulier, c'est la variete ecrite, et particulierement litteraire de la langue, qui a forge chez ses usagers les representations dominantes de la langue, ou norme. « L'ecrit, compris ici globalement et sous reserve de ses propres variations internes au sein des manifestations scripturales de la langue12, a done engendre sa norme qui est d'autant plus coercitive que ses utilisateurs, en situation communicative par essence in absentia sont privés des moyens de regulation de communication non linguistiques dont ils disposent á l'oral. De son cóté "lorsqu'il n'est pas reconnu comme essentiellement different de l'ecrit, dans ses fonctionnements linguistiques et discursifs, l'oral est toujours appréhendé comme une version inférieure13"14.» Pourtant la norme «image construite et déformée par idealisation des usages linguistiques des groupes dominants [...] est par essence impossible a atteindre par quelque locuteur que ce soit15». L'enseignant de FLE doit done étre conscient que le francais qu'il enseigne n'est finalement que la representation qu'il se fait de cette norme, et aussi probablement celle que l'institution pour laquelle il travaille lui demande de se faire. Dans certains pays, au Japon par exemple, cette representation est généralement plus traditionnelle, plus marquee par l'ecrit et par la littérature. Dans d'autres, au Canada par exemple, on est souvent davantage soucieux de la modernitě du parler oral. En France, quand le francais est enseigné á des étrangers, on observe une assez grande diversité d'approches en fonction des institutions et de la demande méme des apprenants. Dans l'ensemble done, pour le FLE, « on pourra ne pas trouver mauvais que le maitre debute, comme il est de coutume, par la transmission d'une varieté relativement proche de celle de l'ecrit fran-co-normé. Mais il devra introduire, le plus rapidement possible, des variantes linguistiques répertoriées en fonction des situations de communication courantes ou prévisibles16.» La situation est quelque peu différente en FLS, dont une des caractéristiques est justement que des variétés locales ont plus ou moins acquis une certaine legitimitě: «Aussi, quoique ce point de vue soit loin d'etre partagé par beaucoup, on pourrait trouver opportun de réhabiliter les variétés locales de francais pour les faire entrer á 1'école děs le debut des apprentissages et faciliter ainsi la prise d'une posture d'apprentissage positive17.» 1 2. Dabene M., Des ecrits (extra)ordinaires, Lidil, n° 3, PUG, 1990. 13. GadetF. etLureauS. (dir.), Norme(s) etpratique(s) de l'oral, Le francais aujourd'bui, n° 101, 1993. 14. Cuq J.-P., Une introduction a la didactique de la grammaire en francais langue etrangere, Didier-Hatier, 1996, p. 60-61. Les citations dc cc paragraphe sont extraites du chapitre 4 de ce livrc. 1 5. Ibid. \b.Ibid. M.Ibid. COURS DE DIDACllQUE DU FRANCAIS LANGUE ETRANGERE ET SECONDE ffHIl Ccla ne vcui evideminent pas dire que i'ecole doli se cantonner ä ces varietes locales, bien au contraire, mais quelle a sans doute interet ä leur accorder une certaine vaieur didactique. 3,1.3.2, Aspect cuiturel: la culture comme concept didactique Nous avons jusqu'ici etabli un certain parallelisme entre l'aspect idiomatique et l'aspect culture! de la langue. Cependant, alors qu'on dispose d'une science de Fidiome, la linguistique, on ne dispose pas vraiment d'une science unifiee de la culture, et son etude est le bien commun de plusieurs disciplines'8; ethnologie, sociologie, litterature, histoire de l'art, etc., chacune orientant comme il est normal le concept en fonction de ses propres visees. On dispose done de nombreuses definitions du concept de culture. Mais, malgre le fait que de nombreux didacticiens aient ces dernieres annees mis en evidence le parametre fondamental que constitue la culture dans l'enseignement/apprentissage des langues, il se produit pout la culture le merae phenomene qui s'est produit pendant longtemps pour l'idiome: le concept est importe, methodologiquement travaille, mais jamais veritablement didactise, c'est-ä-dire que ces definitions, le plus souvent judicieuses et interessantes, pourraient etre reprises telles quelles par d'autres disciplines que la didactique. A nos yeux, la justification majeure de la prise en compte de la culture en DDLES est quelle etablit le domaine de references hors duquel la production langagiere ne fait pas sens: « culture, ecrit Michael By ram, est une etiquette aussi acceptable qu'une autre19 pour designer le phenomene global ou le Systeme de significations a I'interieur duquel les sous-systemes que sont la structure sociale, la technologie, l'art et d'autres encore existent en interconnexion20». Ces sous-systemes sont de fa^on respective l'objet des disciplines que nous avons citees et d'autres encore, car toutes les activites sociales contribuent ä l'etablissement d'une culture. La culture, e'est certes la litterature, la musique, la peinture, etc., tout ce qu'on reunit depuis Pierre Bourdieu sous 1'appellation de culture cultivee, mais aussi toutes les facons de vivre et de se conduire, qu'on reunit sous le nom de culture anthropologique. En ce sens, pour Louis Porcher21, « une culture est un ensemble de pratiques communes, de maniere de voir, de penser et de faire qui contribuent ä d ei mir les appartenances des individus, e'est-a-dire les heritages parages dont ceux-ci sont les produits et qui constituent une pattie de leur identite». Pour definir ces appartenances, il distingue ce qu'il appelle des « cultures mineures »: culture sexuelle, generationnelle, professionnelle, regionale, religieuse, etrangere. 18. Selon Michaud G. et Marc E. (Vers une science des civilisations?, Editions Complexe, 1981, p. 31), une science de la culture ne saurait se concevoir que comme « un carrefour des disciplines». 19. Pour des raisons heurcuses devolution des mentalitcs collectives, on a aujourd'hui pratiquement abandonne le terrae de civilisation pour designer ce domaine. 20. Byram M., Culture et education en langue etrangere, Credif-Hatier, «LAL», 1992, d. 111. QUELQUES CONCEPTS organisateurs EN DIDACTIQUE DES LANGUES Cet aspect identitaire est fondamental en langue maternelle parce que e'est juste-ntent ['appropriation des l'enfance de la langue et de la culture qui, par un double processus intra et interpersonnel22, construk l'essentiel de Lidentite sociale. Comme pour l'idiome, on petit penser que e'est le retour d'evenements significatifs qui permettent a Findividu d'interioriser des structures culturellement reutilisables. L'aspect identitaire est aussi tres important en langue seconde oü l'identite du sujet, ä cause de la place privilegiee qu'occupe la langue seconde dans son environnement linguistique, peut se construire sur un schema de bi ou de plurilinguisme. La langue seconde produit et est le produit d'une culture qui est une partie complementaire de celle que produit ou produisent la ou les langues premieres, avec laquelle ou lesquelles elle forme un ensemble original. Mais 1'appropriation ne se faisant pas necessairement des l'enfance, on peut se trouver, selon les individus, dans un cas de figure plus proche de celui qui s'etablit generalement en langue etrangere. Or en langue etrangere, le probleme identitaire est un peu different parce que 1'appropriation d'une langue etrangere represente generalement, pour un indi-vidu, un supplement cuiturel choisi. Le fait de s'approprier une langue etrangere modifie certes considerableme.ru ce que Pierre Bourdieu appelle le capital cuiturel d'un individu, mais il ne s'agit pas pour celui-ci d'integrer totalement un groupe porteur de telles ou telles valeurs definitoires. II s'agit pour lui de maitriser suffi-samment le reseau symbolique qui la constitue en tant que langue etrangere pour etre capable de produire et de recevoir du sens en cette langue. L'approche d'une autre culture, voire l'interiorisation de certains de ses aspects, a done une visee externe, mais permet bien entendu, en la modifiant partiellement, d'affirmer une identite individuelle. C'cst ce que dit Louis Porcher quand il affirme que «pour etre complete, une competence culturelle doit inclure une competence interculturelle23». Ln d'autres termes, s'approprier le francais et la culture specifique qu'il vehicule dans chaque cas, e'est pour un Francais, un Quebecois ou un Beige wallon fonda-mentalement constitutif de son identite de Francais, de Quebecois ou de Beige. Pour un Senegalais, citoyen d'un pays dont la langue officielle est le francais, e'est un complement plus ou moins indispensable ä l'etablissement de son identite. Pour un Italien, apprendre le francais est un supplement cuiturel qui permer aussi, par la confrontation des cultures, de prendre conscience de son italianite. Pour conclure, on dira que du point de vue didactique, la culture est le domaine de references qui permet ä l'idiome de devenir langue: e'est la fonction symbolique de ces references qui etablit la langue comme matetnelle, seconde ou etrangere et conditionne_la fonction communicative. cu—•---1 ii-:-- 3.1.3.3. La necessaire prise en compte de la fonction symbolique Tout converge aujourd'hui pour faire admettre cette evidence: une langue, 9a ne sert pas seulement a communiquer24. Or, en operant cette reduction, la metho-dologie dominante actuelle ne traite la langue que comme signal. L'approche communicative, a son insu sans doute, se comporte ainsi comme le dernier avatar du behaviorisme (communiquer est un comportement) et ne traite pas suffisam-ment la langue, malgre la fameuse centration sur l'apprenant, comme ce que Biihler appelait symptome du locuteur. Mais l'utilitarisme de surface qui a marque la fin du vingtieme siecle, pas seulement d'ailleurs en didactique des langues, semble ceder peu a. peu du terrain a. des resurgences de tendances historiques plus profondes: une langue, comme on vient de le voir au paragraphe precedent, ca sert tout autant, et peut etre surtout a s'identifier25. S'identifier en choisissant d'apprendre une langue plutot qu'une autre, en utilisant une langue plutot qu'une autre: sur ce point, la signature par la France d'une partie de la convention sur les langues regionales en 1999 est encore un signe fort de revolution des mentalites a propos de la conception de la langue maternelle26. S'identifier aussi par telle ou telle utilisation des potentiels de variation ofFerts par une langue: y prend-on assez garde dans les ecoles et dans les colleges pour ce qui concerne le francais? Cela ne signifie evidemment pas pour nous que l'ecole doit se contenter d'enteri-ner les avatars linguistiques des quartiers, mais quelle peut peut-etre, sous strict controle methodologique, s'appuyer sur eux pour atteindre ses legitimes objectifs de formation. Peut-on y parvenir sans une evolution forte de la representation que la population a de sa langue nationale, notamment sous l'aspect de son appareillage grammatical et peut-etre plus encore de rorthographe ? II est permis d'en douter. En tout cas, cet aspect de la langue ne peut plus etre ignore en didactique du francais. Desormais, la fonction symbolique de la langue, au sens etroit du terme, doit etre un element central du renouveau methodologique. Par fonction symbolique, nous n'entendons pas ici la fonction que le langage a, au moyen de signes, de symboliser (plutot que representer) le reel au moyen de signes (et qui inclut la fonction poetique), pas non plus la fonction qui decoule de la precedente et qu'on appelle fonction d'elaboration de la pensee. Nous appelons fonction symbolique la fonction symptomatique du langage, c'est-a-dire celle qui sert aux partenaires de la situation communicative a laisser les traces de leur etre et de leurs appartenances. 2k. Des precurseurs: Sapir E., Language (1921); Biihler K., Sprachtheorie, 1934. 25. Voir par exemple Baggioni D. et Robillard D. de, lie Maurice: une francophonieparadoxals L'Harmattan, «Espaces francophones», 1990. 26. La charte (non contraignante) adoptee par le conseil de l'Europe en 1992 a vu la France signer 39 de ses 98 articles en 1999, mais elle necessite pour etre adoptee en France une revision de la constitution. Une premiere avancee a ete faite en ce sens en 2008 avec l'adjonction dans la constitution de la mention du fait que les langues regionales fonr partie du « patrimoine de la France». Une nouvelle revision constitutionnelle permettant F adoption definitive est a Fetude. 3.1.3.4. Aspect culturel: quelle culture enseigner? On considere generalement qu'en langue maternelle, la culture anthropologique s'acquiert par d'autres voies que celles de la classe, l'ecole etant plus particulierement chargee de l'initiation a la culture cultivee. II en va autrement en langue etrangere et seconde, ou les occasions d'acquisition hors de la classe sont moins frequentes, voire absentes2'. La classe doit alors prendre en charge non seulement la partie de la culture cultivee propre a la langue etudiee, mais aussi fournir les elements de culture anthropologique qu'on a dits necessaires a son appropriation correcte. Si on admet qu'il existe des structures et des items idiomatiques qu'on peut enseigner et apprendre, il faut aussi admettre en theorie la meme chose pour les items culturels. L'ideal serait, comme c'est plus ou moins le cas pour ceux qui relevent de l'idiome, de disposer d'une description des concepts culturels francais ou francophones et de leur mise en reseau, ou, en d'autres termes, d'une sorte de grammaire de la culture. Mais en l'absence d'une veritable science de la culture, on doit bien constater que ce n'est pas le cas, au moins de facon systematique28. Toutefois les didacticiens sont loin d'etre restes l'arme au pied et on dispose d'un certain nombre de categories propres a fonder une ossature de methodologie de la culture en didactique des langues. La premiere opposition categorielle est, on l'a vu, celle qui distingue la culture cultivee de la culture anthropologique, autrement appelee culture ordinaire par Robert Galisson ou culturepatrimoniale par Louis Porcher. S'inspirant des travaux de Galisson et de ceux de Bourdieu et Passeron, Aline Gohard-Radenkovic29 synthetase ce qui fait leur difference. Selon elle, la culture anthropologique est: - transversale, c'est-a-dire quelle appartient au plus grand nombre des membres d'un groupe; - tacite et implicite, c'est-a-dire quelle est acquise de maniere inconsciente et non volontaire; - non valorisante puisque sa possession ne distingue pas les membres a l'interieur d'un groupe. 27. Comme pour les aspects idiomatiques, il est toutefois important de favoriser autant que faire se peut les occasions d'acquisition hors de la classe. 28. Malgre le titre de l'ouvrage de Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Arthaud, 1987. II existe aussi en Russie une discipline nommee culturologie, mais dont les resultats sonr tres mcconnus en France. II s'agit d'une discipline d'enseignement et de recherche qui se donnc pour objct d'examiner la culture objectivement, en diachronie et en synchronic. Mais elle se presente davantage comme un ensemble de sciences historiques et theoriqucs que comme une science autonome. 29. Gohard-Radenkovic A., Competences cuhurelles de I'enseignant etde ses publics apprenant la langue a des fins universitaires et/ou professionnelles, these de doctorat sous la direction de Porcher L., Paris 3, 1995, p. 105-106. no cours de didactique du francis langue etrangere et seconde On ajoutera cependant que c'est eile qui distingue ce groupe des autres groupes, les differences fondant l'etrangete. A l'inverse, la culture cultivee est: - elitaire, c'est-ä-dire quelle appartient ä un petit groupe qui en fonde la legitimite; - implicite et codifiee, c'est-ä-dire quelle est certes transmise par le groupe, mais quelle s'acquiert aussi de facon volontaire et consciente, par exemple par une scolarisation de haut niveau et par la frequentation de lieux culturels; - valorisante et distinctive. On ajoutera encore que la culture cultivee est largement transculturelle. On veut dire par la que bien des savoirs qui la composent appartiennent ä ce qu'on appelle aujourd'hui le patrimoine de l'humanite: Ciceron, Homere, le theatre No, Rudolf Noureev, la calligraphic arabe, Picasso, Berlioz, etc., ne sont pas connus de la seule population cultivee des pays qui leur ont donne le jour. Plus un apprenant de langue etrangere aura ete initie ä cette partie de la culture avant d'entreprendre son apprentissage et plus il aura de facilite ä le completer par les elements appartenant en propre a. la culture etrangere. Pour ce qui concerne la culture anthropologique, on a vu plus haut que Louis Porcher distingue en sociologue un certain nombre de « cultures mineures ». Mais il existe aussi des categories que les anthropologues considerent comme universelles. Aline Gohard-Radenkovic en propose quelques exemples: «Temps: mythique/social, individuel/collectif, vecu/reve, historique/atemporel, rituel/fonctionnel; Espace: prive/public, sauvage/cultive, habite/desert, proche/lointain; Corps: propre/sale, sain/malsain, pudeur/impudeur, sexue/asexue, prive/public, sec/mouille; Relations sociales: prive/public, honneur/deshonneur, don/contre-don, obligations/ droits; Nature: sacre/profane, sauvage/cultive; Mort: prive/public, sacre/profane; Nourriture: cru/cuit, sale/sucre, rituel/fonctionnel, etc.30» Du point de vue pedagogique, les concepteurs de methodes et les enseignants de langue savent d'experience que, pour tirer le meilleur profit de ces oppositions, certains supports sont preferables ä d'autres dans telle ou telle circonstance d'ensei-gnement et d'apprentissage. Selon Maddalena de Carlo31, trois criteres au moins peuvent guider dans le choix du materiel de classe: 30. Gohard-Radenkovic A., op. at., p. 381. 31. Carlo M. de, Llnterculturel, CLE International, «Didactique des langues etrangeres», 1998, QUELQUES CONCEPTS ORGANISATEURS EN DIDACTIQUE DES LANGUES la pertinence, pour verifier s'il contient au moins un element connu par l'eleve, s'il peur ^ su8S^rer que'que chose d"'autre" ou eveiller une connaissance par contigüite; - la performativite, pour delimiter les limites de temps imparti, prevoir le degre de participation et la qualite de la reception; _ l'exploitabilite, afin d'etablir jusqu'oü aller dans la proposition des activites, en tenant compte de la variability des exercices, de l'utilite ä l'interieur du programme, de la motivation des eleves. » De facon plus generale, si on s'en tient ä la definition didactique du mot culture que nous avons donnee plus haut, on dira qu'un support pedagogiquement performant est un support qui, dans une situation d'enseignement/apprentissage donnee, aide l'apprenant ä structurer les references culturelles qui permettent ä ses connaissances idiomatiques de devenir de veritables savoir-faire linguistiques. 3.2. Langue maternelle, langue etrangere, langue seconde 3.2.1. Generalites Les annees d'apres-guerre, et surtout les annees I960, ont vu s'etablir un premier partage, fondamental pour la didactique du francais, entre le francais dit langue maternelle (FLM)32 et le francais concu comme objet d'enseignement et d'apprentissage ä des non natifs, c'est-ä-dire le francais langue etrangere (FLE). Les etapes de cette histoire conceptuelle et evenementielle, c'est-ä-dire finalement la mise en place du champ, sont aujourd'hui bien connues33; evoquons-les brievement34: - Taction des ministeres concernes: du ministere des Affaires etrangeres avec la creation des 1945 de la Direction generale des affaires culturelles et des ceuvres francaises ä l'etranger, et du ministere de l'Education nationale avec la creation du Service universitaire des relations avec l'etranger, deux services qui evolueront largement dans les decennies suivantes; - la creation de grands centres d'enseignement et de recherche: le CIEP en 1946, le CLA de Besancon en 1958, le CAVILAM de Vichy en 1964, le CAREL de Royan en 1966, le Credif et le BELC (ex-BEL) en 1959, le CUEF de Grenoble en 1975 32. Pour Jean-Paul Bronckart, le concept de DFLM apparait settlement au debut des annees 1980, ['association qui porte le meme nom a ete creec en 1986 et est devenue depuis Association internationale pour la recherche en didactique du francais (AIRDF). «Du Statut des didactiques des matieres scolaires» dans Galisson R. et Roulet E., op. tit., p. 53. 33. Coste D. (dir.), Aspects d'une politique de diffusion du francais langue etrangere depuis 1945, materiaux pour une histoire, Credif-Didier, 1984; Vingt ans dela didactique deslangues, (1968-1988), Credif-Hatier, <«LAL», 1994. (a la suite et en Symbiose avec l'association Comite de patronage des etudiants etrangers en France qui, eile, date de 1896 et a travaille en symbiose avec le CUEF jusqu'en 2012). - la recherche et l'edition : le debut de l'elaboration du francais fondamental en 1951 (publie en 1954); un numero special des Cahierspedagogiques sur «le Francais langue etrangere» en 1957; le premier numero du franqais dans le Monde en 1961, un numero special de la revue Esprit «le Francais langue vivante » et le premier numero des Etudes de Linguistique Appliquee en 1962; - la formation et la methodologie: les premiers stages de formation aux methodes audiovisuelles ä Saint-Cloud en 1958, puis la mise en place progressive des stages d'ete et annuels du BELC, du Credif, du CLA et du CUFF; la publication de methodes avec le Conn de langue et de civilisation francaise de Mauger, en tre 1952 et 1959; la methode du BELC pour FAfrique francophone, Pierre et Seydou, en 1963; la methode audiovisuelle du Credif pour jeunes etrangers, Bonjour Line, en 196335; - le developpement de la vie associative: la creation de la Federation internationale des professeurs de francais (FIPF) en 1969. Cette mise en place progressive d'un champ nouveau illustre par Taction la prise de conscience que le concept de langue francaise ne suffit plus a. couvrir la realite nouvelle, largement issue de la guerre et de la decolonisation. Plus que son contcnu idiomatique et culturel, ce sont les conditions d'appropriation de cette langue, comme maternelle ou etrangere, qui s'imposent alors peu ä peu, mais non sans mal ä vrai dire, comme lignes de partage conceptuel. 3.2.2. Le francais langue maternelle On appelle couramment langue maternelle la premiere langue qui s'impose a chacun. Cette expression est fortement marquee, dans la tradition occidentalc, par son etymologie et par les connotations quelle induit. Mais, sans meme parier de cas individuels, qui meme en Europe deviennent de plus en plus frequents, il existe de nombreuses societes dans lesquelles la langue de la mere biologique n est pas la premiere ä etre transmise ä l'enfant. II existe cependant un faisceau de criteres qui permettent, quel que soit le nom qu'on lui donne, d'elaborer le concept36. Le premier est l'ordre d'appropriation. La langue maternelle est la langue de premiere socialisation de l'enfant. Pour evitet les connotations culturelles, on l'appelle souvent langue premiere. Le seul inconvenient de cette denomination reside dans le fait que, 35. Pour l'histoire des methodologies et des methodes, voir partie n, chapitre 3. 36. Voir par cxcmple Dabene I,., Reperes sociolinguistiquespour l'enseignement des Ungues, Hachctte, «F», 1994, p. 8-25. dans certaines societes plus fréquemment que dans d'autres, un individu peut étre, děs sa prime enfance, au contact simultané de plusieurs langues. Cette antériorité d'appropriation géněre le plus souvent une competence supérieurc par rapport aux langues apprises ultérieurement et les linguistes concědent volontiers au locuteur dit natif une intuition qui lui permet d'avoir des evaluations fiables sur les productions linguisdques observables dans sa langue. Cependant Louise Dabene fait justement remarquer que « ce niveau supérieur de competence, consi-déré comme 1'apanage du natif, est loin d'etre une regie absolue37». Par exemple, dans certaines situations diglossiques, comme en Afrique du Nord, l'utilisation de la langue premiere peut étre limitée. Comme l'arabe dialectal ne s'ecrit en principe pas, les usages specialises ou socialement valorises lui sont ptatiquement interdits. Si la langue premiere est le berbere, qui lui s'ecrit, l'apprentissage de ses systěmes ďécriture est peu encourage et se fait de toute facon de maniete tardive. II n'est done pas rare de rencontrer des individus parlant parfaitement l'arabe dialectal, ou le berbere, ou les deux, mais plus habiles á écrire qua parler en arabe standard. Une autre caractéristique de la langue maternelle est son mode d'appropriation, qu'on qualifie souvent de naturel. Pour le sens commun, cela veut dire que le sujet acquiert l'usage de la langue par contact et interaction avec les membres de son groupe, sans véritablement apprendre, e'est-a-dire sans reflexion et sans aide. En réalité, il est clair que le role de 1'entourage est trěs important: ses demandes d'explications, de repetitions, les corrections, les definitions, permettent á l'enfant de structurer peu á peu son savoir, que ce soit de facon consciente (« métalinguis-tique») ou inconsciente («épilinguistique»). Pour éviter ces connotations, les linguistes emploient souvent les lexies de langue source, qui designe essentiellement le systéme idiomatique initial du sujet. Les didacticiens lui préfěrent généralement aujourd'hui celle de langue de depart, qui a l'avantage d'insister sur l'aspect dynamique de l'appropriation, ou mieux, celle de langue de reference. On considěre en effet que dans l'apprentissage d'une autte langue, la langue maternelle joue toujours le role d'une reference á laquelle l'apprenant se reporte plus ou moins consciemment pour construire, par hypotheses successives, ses nouvelles connaissances et cela d'autant plus quelle aura été confortée par un enseignement scolaire qui lui aura assure une assise métalinguistique importante. Toutefois, en cas de scolarisation dans une langue autre que la langue maternelle, la reference peut étre partagée avec la langue de Pécole, voire supplantée par elle. Enfin, il faut aussi noter qu'au concept de langue maternelle se greffe également celui de langue d'appartenance. Dans cette petspective, la fonction communicative de la langue passe au second plan par rapport á la fonction symbolique, et l'aspect individuel cede le pas au collectif. La langue est un element important de definition des ethnics, voire des nationalités. Á 1'intérieur du méme idiome, 37. Daběna L., op. cit., p. 12. la possession de telle ou telle varieté (regionale, technique, sociale, etc.) définit ou trahit l'appartenance á des sous-groupes plus ou moins valorises. Dans le cas de sociétés plurilingues, la valeur d'appartenance peut étre un facteur important de tensions intergroupales (par exemple en Belgique), ou, au niveau individuel, susciter des interrogations identitaires plus ou moins fortes38. Tous ces paramětres contribuent ä donner ä la lexie langue maternelle une valeur ambiguě en didactique. Son caractěre intuitif, ďévidence presque, en fait a priori plus une notion qu'un concept, et il convient done de la manier avec prudence. Cependant, elle demeure une denomination d'usage commode pour designer un concept qui rassemble des paramětres qui intéressent le didacticien des langues. Ces paramětres ont une importance variable et nous les classerons par ordre d'im-portance croissante: 1. Le parametre biologique et le parametre social: lors de l'apprentissage d'une langue étrangěre, le fait que la langue ä laquelle se réfere l'apprenant soit ou non la langue de sa mere importe assez peu, sinon pour des raisons affectives trěs variables d'un individu ä l'autre. La diversité des pratiques sociales autorise ä appeler langue maternelle la langue de la mere, du pere, de la famille, etc., bref, du premier groupe social dans lequel l'enfant développe ses capacités langagiěres. 2. Le rang d'appropriation: parce qu'il determine largement l'acquisition des capacités langagiěres, le rang d'appropriation est plus important, méme s'il peut étre partagé entre plusieurs langues. 3. Le mode d'appropriation: malgré les nuances qu'il convient de lui apporter, l'acquisition « naturelle » est une caractéristique forte de la langue maternelle. Son résultat donne matiěre ä la representation d'un modele de competence ä atteindre extrémement élevé et qui laisse le plus souvent l'apprenant de langue étrangěre, sa famille ou ses maitres, en etat de relative insatisfaction. Elle determine également des representations favorables, comme l'efficacite du « bain de langue», la superioritě du «professeur natif», voire, du point de vue méthodologique, la faveur accordée ä des procédés qui favorisent l'inconscient par rapport au réflexif. 4. Le eritěre de reference: on peut appeler langue maternelle le systéme linguistique auquel l'apprenant se réfere prioritairement, mais non exclusivement sans doute, de facon consciente ou non, lors de la construction de ses nouvelles competences en langue étrangěre et qui constitue le póle de depart de son interlangue. 5- Le eritěre d'appartenance: il oceupe ä nos yeux une place de premier plan parce qu'il determine les references culturelles dont on a vu qu'elles constituent le domaine sans lequel l'appropriation ďun idiome ne de.vient pas véritablement une appropriation linguistique. Le eritěre d'appartenance fonde le groupe linguistique par opposition aux autres et établit une bonne part de 1'identité sociale ďun individu. 38. La «dechirure» culturclle est un th, 84 ěme important de la littérature francophone. £n fin de compte, plus que des raisons totalement objectives, e'est 1'ensemble des valeurs symboliques qu'il lui accorde qui definit pour un individu ou pour un groupe sa langue maternelle. On peut done appeler langue maternelle une langue qui acquise lors de sa premiere socialisation et eventuellement renforcee par un apprentissage scolaire, definit prioritairement pour un individu son appartenance a un groupe humain et a laquelle il se refere plus ou moins consciemment lors de tout autre apprentissage linguistique. De facon generale, le francais peut ainsi etre considere comme la langue maternelle de la plupart des Francais, des Monegasques, des Beiges de Wallonie, des Suisses romands, de la grande majorite des Quebecois et d'une petite partie de la population de certains etats africains. 3.2.3. Le francais langue etrangere Le concept de langue etrangere se construit par opposition a celui de langue maternelle et on peut dire dans un premier temps que toute langue non maternelle est une langue etrangere. On veut dire par la qu'une langue ne devient etrangere que quand un individu ou un groupe l'oppose a la langue ou aux langues qu'il considere comme maternelle(s). Une langue peut done revetir un caractere de xenite (e'est-a-dire d'etrangete) d'un point de vue social ou politique. Par exemple, apres la decolonisation, et bien qu'il fut la langue d'une partie importante de la societe civile, l'Algerie a declare le francais langue etrangere. On rappellera qu'en francais, etranger a deux sens: celui qui n'appartient pas au pays, et celui qui n'appartient pas a la parente. Autrement dit, la xenite apparait des qu'on sort du premier cercle social et peut etre apprehendee a plusieurs degres. Pour Louise Dabene39, on peut distinguer au moins trois degres de xenite: - la distance materielle: par exemple, pour un Francais, le japonais est plus distant que l'arabe, qui Test plus que l'italien. La geographie a des consequences pedago-giques (voyages plus difficiles et plus couteux dans le pays dont on veut etudier la langue, difficulte a se procurer des documents authentiques) mais aussi dans les representations plus ou moins exotiques qu'on se fait de la langue a apprendre; - la distance culturelle: les pratiques culturelles des etrangers sont plus ou moins directement decodables mais elles ne le sont pas forcement en proportion de la distance geographique sur tous les sujets. Rappelons encore que e'est l'apprecia-tion correcte de ce parametre qui definit un usage convenable des connaissances idiomatiques; - la distance linguistique: les linguistes nous ont appris qu'il existe des families de langue. Par exemple, les langues romanes sont plus proches entre elles qu'elles ne le sont des langues slaves. L'arabe et le japonais, quoiqu'appartenant a des families 39. Dabene I-.', op. tit., p. 35-36. différentes, apparaitront peut-étre sous certains aspects comme plus ou moins distantes. En effet, 1'écriture de l'arabe, quoique de sens inverse de 1 ecriture latine est alphabétique, alors que le japonais est ideogram manque. Le fait qu'on puisse s'approprier une langue étrangěre hors de toute situation insti-tutionnellement guidée, processus qu'on nomme acquisition, la rapprochc d'une certaine facon de la langue maternelle. Mais du point de vue didactique, une langue devient étrangěre lorsqu'elle est constituée comme un objet linguistique d'enseigne-ment et d'apprentissage qui s'oppose par ses qualités á la langue maternelle. Ainsi la langue étrangěre nest généralement pas la langue de premiere socialisation, elle n'est pas la premiere dans l'ordre des appropriations linguistiques, la proportion entre apprentissage et acquisition s'inverse dans son mode d'appropriation par rapport á ce qui fonde la langue maternelle, et le critěre d'appartenance est lui aussi minoré. Enfin, le degré de xénité qu'on lui accorde n'est pas forcément un gage de plus ou moins grande difficulté dans le processus d'appropriation. Le francais est done une langue étrangěre pour tous ceux qui, ne le reconnaissant pas comme langue maternelle, entrent dans un processus plus ou moins volontaire d'appropriation, et pour tous ceux qui, qu'ils le reconnaissent ou non comme langue maternelle, en font l'objet d'un enseignement á des parleurs non natifs. Cest la prise de conscience de cette différenciation qui devait donner naissance, dans les années 1960, aux deux champs disciplinaires de la didactique du francais langue maternelle (DFLM) et du francais langue étrangěre (DFLE). 3.2.4J_e francais langue seconde Environ vingt ans aprěs l'apparition de la differentiation didactique entre francais langue maternelle et francais langue étrangěre, un troisiěme concept, le francais langue seconde (FLS), venait se faire une petite place au soleil de la didactique. En effet, FLM et FLE, malgré les grands progres qu'ils ont peimis, se sont révélés insuffisants pour décrire l'ensemble des situations d'appropriation du francais, notamment dans les regions du monde ou le francais, tout en n'etant pas la langue maternelle de la plupart de la population, n'est pas une langue étrangěre comme les autres, que ce soit pour des raisons statutaires ou sociales. II est en effet difficile d'appeler étrangěre la langue officielle d'un pays (exemple, la Cóte d'lvoire, mais aussi la France dans les DROM-COM), surtout si elle y joue un role essentiel dans le systéme éducatif. Il est tout aussi difficile de qualifier ďétrangěre une des langues officielles et langue maternelle d'un sous-groupe important de la population (comme en Belgique, au Canada ou en Suisse). II est enfin peu performant du point de vue didactique de considérer comme n'importe quelle autre langue étrangěre une langue qui, bien que non teconnue officiellement, joue encore un role social important dans le systéme éducatif ou dans la production culturelle (exemple: le francais au Maghreb). 86 c 0 3 V 0 ti i) D O C'est en tout caS 'a P"se en comPte de ces insuffisances qui a donne naissance au FLS Merne si ľusage de la lexie reste relativement instable, deux types de definitions prevalent aujourd'hui pour le concept de francais langue seconde. Le premier type, large, est directement issu de la sociolinguistique anglo-saxonne. Pierre Martinez40, qui le defend, le resume parfaitement dans cette phrase: «II est clair qu'on gagne beaucoup ä appeler langue seconde tout systéme acquis chro-nologiquement aprés la langue premiére.» Le premier intérét de cette position est justement de ne pas ette coupe de ces origines anglo-saxonnes. Le deuxiéme est, par contrecoup, de faire un sort ä « maternelle » dans la lexie FLM. Mais, comme on vient de le voir ä propos de langue maternelle et de langue étrangére, cette classification chtonologique n'est pas toujours évidente. C'est ce que souligne, parmi beaucoup d'autres, l'exemple que donne Moussa Chamf1 : «Quand il est tamazightophone, ľéléve marocain est oblige d'apprendte sur le tas la langue de communication quotidienne, l'arabe marocain, pour faire face aux situations de la vie courante. II est aussi oblige d'apprendre l'arabe moderne, langue officielle du pays, puisque c'est la seule langue d'enseignement pendant les deux premieres années du primaire. Ľéléve marocain tamazightophone est done souvent ttilingue quand il entteprend ľétude du francais.» De plus, si remplacer LM par langue premiére est parfois intéressant du point de vue sociolinguistique (mais pas toujours, répétons-le, car il existe de nombreux cas de plurilinguisme original) c'est un peu moins vrai du point de vue didactique oil il semble, on l'a vu, plus opératoire de ptivilégier langue de depart, ou langue(s) de référence(s)42. La seconde acception est plus striete. Voici la definition que nous en proposions en 199143 et qui nous semble toujours valide: «Le francais langue seconde est un concept ressortissant aux concepts de langue et de francais. Sur chacune des aires oil il trouve son application, c'est une langue de nature étrangére. II se distingue des autres langues étrangéres éventuellement présentes sur ces aires par ses valeurs statutaires, soit juridiquement, soit socialement, soit les deux et par le degré d'appropriation que la communauté qui ľutilise s'est octroyé ou revendique. Cette communauté est bi ou plutilingue. La plupart de ses membres le sont aussi et le francais joue, dans leur développement psychologique, cognitif et informatif, conjointement avec une ou plusieurs autres langues, un rôle privilégiá.» 40. Martinez P., «Quel avenir pour la didactique des langues secondes/étrangéres », conference prononcée ä ľuniversité de Toronto le 04/11/1997, dans Dossierprésenté en vue de I'habilitation a dinger des rccherches, Nanterre, 1999, t. 2, section 12, p. 3. 41. Chami M., L'Enseignement du franfais au Maroc, Najah El Jadida, 1987, p. 24. 42. Le pluriel sc justific parce qu'il n'est pas súr (c'est mime vraisemblablement I'inverse) que seuls les acquis de la premiére langue soient mobilises dans les processus d'appropriation d'une autre langue. 43. Voir Cuq J.-E, Le Francais langue seconde, Hachette, «F», 1991, p. 139. 87 Quoique beaucoup plus restrictive, cette definition nous parait preferable parce qu'il nous semble que l'extension de la lexie á la mode anglo-saxonne l'affaiblit: se contenter de prendre acte des differences d'utilisation revient en fin de compte a laisser se recouvrir FLE et FLS, c'est-a-dire finalement opérer une regression conceptuelle importante. Mais, encore une fois, c'est un parametre extérieur á la didactique qui a accéléré 1'évolution du concept et méme en quelque sorte, on peut le dire, sa mutation: l'augmentation du flux d'enfants de migrants dans les pays de francais langue mater-nelle, et en particulier en France. On observe done á la charniěre du siěcle un net déplacement du debat: d'une question quasi réservée aux regions francophones hors la France métropolitaine, le FLS va de plus en plus étre intégré au debat scolaire francais44. Nous avions exprimé dés 19954' de fortes reserves sur la question de savoir si la France métropolitaine était concernée par le concept de FLS. Ces reserves conceptuelles portaient essentiellement sur le fait que la langue premiére du sujet concerné ne garde pas la méme importance dans ce cas que dans tous les autres cas de FLS, y compris ceux concernant la France ultramarine. Nous étions rejoints sur ce point par J.-C. Pochard46 qui expliquait clairement la difference entre le FLS, terme générique a 1'étranger, et son enseignement en France. Pochard juge abusive l'assimilation des situations du francais enseigné á des allophones en France á des situations de FLE, et n'accepte pas davantage dans ce cas 1'appellation de FLS. Pour lui en effet, ce cas ne relěve ni du FLE, ni du FLS mais de ce qu'il appelle «le Francais langue seconde hóte (FLSH)» dont il avancait la definition suivante: «Le terme de Langue seconde hóte [...] sera employe pour designer la langue apprise dans le pays, la region oil cette langue est la langue dominantě unique ». Malgré ces reserves, c'est pourtant la denomination de francais langue seconde qui s'est aujourďhui imposée en France assez indistinctement pour l'enseignement aux adultes migrants et á leurs enfants.47 Signalons enfin que pour de nombreux auteurs, comme Michěle Verdelhan ou Fatima Chnane-Davin48, le francais langue seconde est considéré comme une étape intermédiaire entre les situations dans lesquelles le francais est une langue étrangěre pour l'enfant et ceux pour lesquels elle doit lui étre enseignée comme une langue maternelle. 44. Voir Cuq J.-P. et Davin-Chnane F., « Francais langue seconde: un concept victime de son succčs?» dans Verdelhan M. (dir), Le francais langue seconde: un concept et des pratiques en evolution, Dc Boeck, 2007, p. 11-28. 45. Cuq J.-P, >. Francais langue seconde: un concept en questions, TREMA, n° 7, 1995, p. 3-12. 46. Pochard J.-C, «Méthodes d'apprentissage du FLE en Zone d'Education Prioritaire», Les Cahiers de I'ASDLFLE, n° 8, 1996, p. 115-123. 47. Voir parde II, chapitre 4. 48. Chnane-Davin F., Didactique du FLS en France. Le cas de la discipline «francais» enseignée au college, these de doctoral, université dc Provence, 2005. 88 3.3. Les situations ďenseignement et d'apprentissage 3.3.1. Situajior^endolmgue^tjitu^ Les concepts de langue premiere et de langue étrangěre s'actualisent quand des locuteurs se trouvent en situation réelle de communication. Quand un des participants a la communication est repute de langue étrangěre, on a pris l'habitude, aprěs les travaux de Rami Porquier45 et John Gumperz50, de qualifier celle-ci de communication exolingue. A Finverse, quand les participants á un acte de communication sont reputes parler la méme langue, la communication est qualifiée d'endolingue. Qualifier une situation de communication d'exolingue postule une sorte d'asy-métrie entre les communicants: le natif se trouverait alors en position haute, de garant de la normě, et á l'inverse, le locuteur étranger se trouverait en position basse, marquee par une certaine insécurité. Cette distinction, qui a structure pendant une vingtaine ďannées de nombreux travaux sur l'interaction, est aujourďhui souvent remise en question pour plusieurs raisons. La premiere est quelle laisse entendre que le parleur natif et le parleur étranger obéissent á des modes de fonctionnement communicatifs différents, ce qui n'est pas certain. D'autre part, méme entre parleurs natifs, c'est-a-dire en situation de communication endolingue, il n'y a jamais de réelle symetrie. Enfin, certains évěnements communicatifs, comme les malentendus, qui sont trěs souvent relevés comme la marque de la communication exolingue, ne lui sont en réalité pas spécifiques: il en existe aussi en communication endolingue. Á l'heure actuelle, on aurait plutót tendance á penser, sous Féclairage de travaux comme ceux de Lorenza Mondada31, que la communication exolingue elle-méme est un lieu de creation de Féttangeté: certains comportements stereotypes pour-raient naitre chez un locuteur du fait méme d'etre designe comme étranger, ou comme apprenant par exemple, au cours d'une interacrion. Pourtant on constate que quand l'apprenant est avancé, sa competence se rapproche fortement de celle du natif, ce qui réduit ďautant l'opposition entre endolingue et exolingue. Du point de vue didactique, il nous semble tout de méme intéressant de conserver une opposition pour qualifier globalement les situations d'apprentissage et ďenseignement. Certains quaJifient d'endolingue une situation d'apprentissage qui a lieu, 49. Porquier R., ...Strategies de communication en langue non maternelle», Travaux du Centre de Recherches Sémiologiques, n° 33, université de Neuchátel, 1979, p. 39-52; « Communication exolingue et apprentissage des langues », Acquisition d'une langue étrangěre, n° 3, Presses de l'universitc de Paris VHI-Vincennes a Saint-Denis et Centre dc linguistique appliquée de 1'université de Neuchátel, p. 17-47. 50. Gumperz J. J., Discourses strategies, Cambridge University Press, 1982. 51. Mondada L., ..L'accomplissement de 1'étrangeté dans cr par ['interaction : procedures de categorisation des locuteurs», dans Langage, n° 134, 1999, p. 20-34. 89 cours de didactique du francais langue etrangere et seconde en tout ou en partie, dans un pays ou la langue est parlee, par exemple apprendre le francais en France; ils la qualifient d'exolingue dans les autres cas, par exemple apprendre le francais en Angleterre. Cette extension du sens d'exolingue et endo-lingue avait ete proposee par Louise Dabene52, mais cet auteur, pour des raisons de clarte terminologique, lui a prefere ensuite53 avec raison les denominations de contexte homoglotte et de contexte heteroglotte. Bien entendu, cette distinction theorique est relativement facile a discuter, parce qu'il est finalement assez rare qu'une situation soit totalement homoglotte ou totalement heteroglotte. Mais, si on la confronte aux concepts de FLM, de FLE et plus encore aujourd'hui au concept de FLS, dont l'interet semble s'imposer, elle peut aider a apprehender correctement les situations auxquelles l'enseignant peut se trouver confronte. Essayons done de voir comment revolution concep-tuelle permet de rendre compte, de facon plus precise, de la realite des situations d'enseignement et d'apprentissage. 3.3.2. Une conception prototypique des situations d'enseignement et d'apprentissage Lutilisation de la lexie de FLS, admise depuis longtemps dans des regions comme le Canada par exemple, s'est dans un second temps repandue sur la deuxieme aire principalement concernee par l'enseignement/apprentissage du francais, e'est-a-dire l'Afrique54, oil il ne fait plus de doute que i'ensemble de la communaute scientifique africaine l'a adoptee et a meme su largement 1'imposer aux politiques. Cette appropriation terminologique par les Africains (dont la population scola-risable represente, ne l'oublions pas, le plus grand potentiel de developpement pour le francais) a permis de vitaliser le concept et on le voit maintenant s'etendre a d'autres aires, 1'Europe ou l'Asie par exemple, principalement par le biais des classes bilingues. On peut voir une marque forte de cela dans la charte de Hue, adoptee par l'AUPELF-UREF le 21 octobre 1997'5, charte dans laquelle le francais est souvent cite comme langue seconde. 52. Dabene L., «Diversité des situations d'enseignement/apprentissage d'une langue étrangěre», dans Daběne L. et al, Situations et rituels dans la classe de langue etrangere, Crcdif-Hatier, « LAL», 1990, p. 6-21. 53. Daběne L., op. cit., p. 37. 5 A. Méme si tout est loin d'etre encore parfait en la matiěrc, on peut voir la un bon exemple dc va-et-vient réussi entre les interrogations venues du terrain, la reflexion theorique ct le retour pédagogique d'une part, et la politique linguistique dc 1'auire. 55. AUPF,I,F-UREF, Assises de I'enseignement du et en francais, Montreal, 1998, n. 543-547. QUELQUES CONCEPTS ORGANISATEURS EN DIUACIIUUt uts lmiiuuco Que ce soir sous forme de typologies pour certains56 ou sous forme de continuums pour d'autres, le concept de FLS a largement contribue a des descriptions correctes de situations d'appropriation linguistiques. Mais surtout, cette rupture de la dichotomie FLM/FLE au profit d'une triade FLM/FLE/FLS est loin d'etre sans consequences sur la discipline, qui est bon gre mal gre obligee de revoir la largeur de son champ d'application et, par la meme, la pertinence de ses outils conceptuels de base. Voyons-en rapidement 1 evolution recente. Si on schematise revolution des representations conceptuelles, on peut distinguer deux epoques. La premiere etape, indispensable, a consiste en la conception meme de categories independantes: 0 t) Ce type de representation, exclusive, laissait entrevoir que les trois types de situation d'appropriation du francais étaient des ensembles fermés, justifiant done la recherche de methodologies séparées. En effet, l'existence méme de categories conceptuelles favorise des generalisations méthodologiques. Mais leur performance est proportionnelle a l'adequation de la situation considérée au modele. Par exemple, on sait qu'un enseignement de FLE utilisant la méthodologie communicative est plus performant en cours intensif, en petit groupe, avec des adultes motives, qu'en cours extensif, en grande classe, avec un public d'adolescents captifs. Dans un second temps, cette representation a été dépassée grace au concept de continuum, dont on empruntera une definition simple au dictionnaire Le Robert: « objet ou phénoměne progressif dont on ne peut considérer une partie que par abstractions. FLM et FLE seraient bien deux ensembles, mais pris sur un axe representant les situations d'appropriation de la langue, et FLS se situerait entre les deux, quoique plus pres de FLE. Lavantage de cette representation est qu'elle autorise, de proche en proche, les passages méthodologiques qui se vérifient effec-tivement sur le terrain, et particuliěrement en situation de FLS. ^FLM y/řLS / FLE 56. Pochard J.-Ch., « Langues vivantes, etrangeres ou secondes ? Des implications d'un changement terminoloeique», dans Dossier d'babilitation a diriger des recherches, Lyon, 1997, t. 2., p. 130-138. Or nous avons montré que le FLS nest pas un concept intetmédiaite mais une sous-partie de FLE. Sauf á confondre les deux ensembles (ce qui cottespond fina-lement a l'acception anglo-saxonne de FLS), ce mode de representation est done paitiellement inadéquat. Le second probléme est que, comme il est normal en sciences humaines, on observe qu'il existe peu de situations concretes dont les concepts descripteurs puissent exactement rendre compte. A l'inverse on ne saurait comprendre sans eux ces situations, et done les traitet correctement. En France (théoriquement FLM), le nombre croissant des classes á population composite fait que le ministěre de l'Edu-cation nationale lorgne de plus en plus volontiets vers la méthodologie du FLE ou du FLS. A 1'étranger, le succěs des classes bilingues marine de FLS des situations typiquement FLE. Enfin, comme l'a montré encore le livre de Mohamed Miled57, on trouve dans les grandes classes des lycées d'Afrique du Nord et d'ailleurs des situations de FLS dont la méthodologie s'inspire largement de la recherche en FLM, ce qui est vrai aussi pour les niveaux 3 et maintenant 4 des mérhodes de FLE. Il faut done imaginer un type de telation entre les categories conceptuelles qui petmette de les maintenir comme poles de reference mais qui autorise des contacts méthodologiques en fonction des besoins. Or il existe en sémantique une théorie assez séduisante qui petmet de dépasser la seule description catégorielle: la théorie dite du prototype58. En nous en inspirant trěs librement, nous proposons d'appeler prorotypiques les situations didactiques qui seraient parfaitement recouvertes pat les concepts de FLE, FLS et FLM. Rappelons-les briěvement: 3.3.2.1. En situation de FLM Une situation de FLM prototypique serait pat exemple une classe d'un pays de langue maternelle francaise dans laquelle le repertoire verbal initial de tous les enfants serait constitué de francais. 3.3.2.2. En situation de FLE On peut définif en FLE deux situations protofypiques. La premiere serait representee, dans un pays oil le francais ne joue aucun role statutaite ou social particuliet, par une classe, en cours extensif, d'adolescents ou d'adultes. En effet, souvent, l'age du debut de l'apprentissage du francais comme langue étrangěre est assez tatdif et il peut méme survenir á l'age adulte. Quand l'enseignement du FLE commence plus tót, on s'eloigne du modele prototypique pour se rapprocher de celui du FLM ou du FLS. La seconde, en France ou dans un pays de langue maternelle francaise, serait representee pat une classe d'adultes ou d'adolescents. Dans ce cas, la méthodologie adoptée est le plus souvent de type intensif ou semi-intensif. 57. Miled M., La Didactique de la production éerite en francais langue seconde, Didier Erudition, 1998. 58. Kleiber G., La Sémantique du prototype. Categories etsens lexical, PUF, « Linguistique nouvelle», 1990. 92 3.2.3.3. En situation de FLS Les situations prorotypiques sont d'une patt celles oil le francais, langue maternelle d'une partie de la population, est enseigne aux enfants d'une ou des autres parties (par exemple Suisse non tomande, Belgique flamande, anglophones quebecois) et d'autre patt celles oil le francais, langue a statut particuliet, joue un role de langue de scolarisation, avec routes les consequences sociales et psychologiques que cela Certaines theses de la theorie59 sont, nous semble-il, operatoites pour la didactique: _ «Les frontieres des categories ou des concepts sont floues; _ les membies d'une categorie ne presentent pas des categories communes a tous les membtes; e'est une tessemblance de famille qui les tegtoupe ensemble; - l'appartenance a une categorie s'effectue sut la base du degre de similarity avec le prototype.» En s'inspitant librement du schema de Rubba, cite par Kleiber60, on peut repre-senter les relations entre les categories de la facon suivante: 59. Kleiber G., op. cit., p. 51. 60. Kleiber G., op. cit., p. 155. C0UR5 DE DIDACTIQUE DU FRANCAIS LANGUE ETRANGERE ET SECONDE QUELQUES CONCEPTS ORGANISATEURS EN DIDACTIQUE DES LANGUES Ce schema symbolise lefait que des classes peuvent, par les caractéristiques des individus qui les composent, répondre totalement au prototype deFLM(ex: A, B, C), ou deFLS (ex: Q, R, S), ou encore de FLE (?x: W, Y, Zj, ou étre plus ou moins hétérogénes FLM-FLS (ex: C, F, G, QJ, ou FLM-FLE (ex: E, D, Y, Z), ou FLE-FLS (ex: T, U, Y, Z). La grande difference avec la description sémantique, c'est que la situation prototy-pique peut ne pas exister réellement. Elle n'est qu'une reference absttaite. II ne s'agit pas ďélire des « parangons », c'est-a-dire de définir quel est le meilleur exemplaire de la catégorie (ex: moineau pour la catégorie oiseau) mais, á partir ďun modele ideal construit, de définir les degrés d'appartenance des situations réelles á ce modele. Ici, l'exemplaire ideal n'est pas un étre concret mais un concept. II s'agit pour le didacticien ďappréhender le degré ďinadéquation que la situation concrete présente par rapport au modele et d'en tirer les consequences méthodologiques. Mais ce qui parait particuliěrement intéressant dans cette facon de voir les choses c'est que, comme le dit Georges Kleiber61, «la notion de prototype est originellement reliée de facon cruciale aux individus ». Or l'objet de la didactique des langues est bien que des individus s'approprient telle ou telle langue. Toute methodologie qui ne se fonderait que sur la notion d'ensemble didactique (pays, établissement ou classe par exemple) serait done par essence condamnée á oublier les individus qui ne correspondraient pas au modele descripteur de l'ensemble. On voit tout de suite quelques consequences pratiques de la mise en ceuvre d'une telle conception: - une decentralisation maximale des decisions méthodologiques (plus facile sans doute á réaliser en FLE qu'en FLS ou en FLM); - une formation des enseignants á évaluer le degré ďadéquation de leur situation au modele; - une modification importante des evaluations, notamment en FLS et en FLM. En France, les instructions officielles de 2015 proposent un certain rééquilibrage en faveur de 1'oral. Lévolution de leurs definitions mais aussi des relations que les concepts entre-tiennent entre eux s'inscrit done dans un mouvement épistémologique comparable a celui qui se produit dans d'autres disciplines: une evolution qui recuse les ideologies binaires fondées sur le bon et le mauvais, le vrai et le faux, 1'intérieur et 1'extérieur, et admettant les fiontiěres floues qui rendent ďautant plus nécessaires les noyaux durs des concepts. Une fois campe le paysage didactique, voyons maintenant ce qui en fait sa substance: la classe et ses acteurs. Pour en savoir plus Abdallah-Pretceille M., L'Education interculturelle, PUF, « Que sais-je ?», 1999. Beacco J.-O, Les Dimensions culturelles des enseignements de langue, Hachette, «F», 2000. Byram M., Culture et education en langue étrangére, Crédif-Hatiet-Didier,«LAL», 1992. Chiss J.-L., Daběne M. (coord.), Recherches en didactique du francais et formation des enseignants, Etudes de Linguistique Appliquee, n° 87, 1992. Coste D., Moore D., Zarate G., Competenceplurilingue etpluriculturelle, Conseil del'Europe, 1999. Cuq J.-P-> Le Francais langue seconde, Origines d'une notion et implications didac- tiques, Hachette, «F», 1991. CuqJ.-P et Davtn-Chnane F., « Francais langue seconde: un concept victime de son succěs », dans Verdelhan-Bourgade M., Le francais langue seconde, un concept et des pratiques en evolution, De Boeck, 2007, p. 11-28. Daběne L., Reperes sociolinguistiques pour l'enseignement des langues, Hachette, «F», 1994. Gohard-Radenkovic A., Communiquer en langue étrangére. Des competences culturelles aux competences linguistiques, Peter Lang, 1999. Martinez P., « Quel avenir pour la didactique des langues secondes/étrangěres ?», conference prononcée ä 1'université de Toronto le 04/11/1997, dans Dossier présenté en vue de 1'habilitation á diriger des recherches, Nanterre, 1999, t. 2, section 12. Mi led M., La Didactique de la production éerite en francais langue seconde, Didier Erudition, 1998. Pochard J.-Ch., Dossier d'habilitation ä diriger des recherches, Lyon, 1997. Porcher L. (dir.), « Cultures, culture... », Le francais dans le monde, Recherches et Applications, 1996. Porquier R., Py B., Apprentissage d'une langue étrangére: contextes et discours, Didier-Crédif, «Essais», 2004. Salins G.-D. de, Une introduction ä l'ethnologie de la communication, Didier, 1992. Verdelhan-Bourgade M. (coord.), «Le francais langue seconde», Tréma, n° 7, 1995. Zarate G., Representations de Tétranger et didactique des langues, Didier-Crédif, «Essais», 1995. Zarate G. (dir.), Langues, xénophohie, xénophilie dans une Europe multiculturelle,