86 NOTE D’INTENTION Le 22 août 2004, sur Arte, il y avait un spécial Tarzan. On y passait deux films et un documentaire intitulé : Tarzan, le seul, le vrai. C’est ce documentaire qui m’a fasciné. Ce qui m’a vraiment marqué, ç’a été d’apprendre que celui qui avait été l’acteur le mieux payé de Hollywood, celui qui avait gagné cinq médailles d’or olympiques et battu vingt-huit records du monde de natation, eh bien cet homme, cette légende, ce mythe, avait fini sa vie comme acteur dans de mauvaises pubs télé, comme amuseur public dans des talk-shows, un singe sur les genoux. Pire, à la toute fin, il était placier dans un restaurant de Las Vegas. Ce qui était étrangement inquiétant pendant tout le documentaire, c’est que jamais son fameux sourire ne le quittait. Je suis sûr qu’il est mort en souriant. Le mauvais coup du sort, la déchéance du héros me fascine. Le moment du basculement, cette façon qu’a la gloire de s’effacer et de tout reprendre. Le roi est nu. Peut-être que ma fascination pour Melville et Brautigan vient aussi de là. Deux auteurs qui atteignent des sommets et qui finissent l’un dans l’oubli, l’autre une balle dans la tête. Le paradis perdu s’incarne dans l’homme, irrémédiablement. C’est pourquoi j’ai eu envie de raconter la vie d’un homme qui arrive de nulle part. Enfant d’immigrés hongrois dans les bas-fonds de Chicago, il n’a qu’une envie : nager dans le lac Michigan avec son frère. Il abandonne l’école. À douze ans il est garçon d’ascenseur. L’avenir est peu reluisant. Son père alcoolique s’est barré, sa mère travaille dans un resto. Un jour, on l’amène dans un club de natation - c’est le point tournant. Quand il le voit, l’entraîneur sait qu’il a affaire à un être exceptionnel, à un futur grand champion. Il fait d’ailleurs son entrée dans l’histoire sportive, et l’histoire tout court, en étant le premier nageur à parcourir le cent mètres en moins d’une minute. Pékin 2008, cent mètres nage libre, Alain Bernard : 47,21 secondes. Il y aura les médailles d’or olympiques à Paris et à Amsterdam. Puis, il quitte la natation amateur pour devenir le porte-étendard d’une compagnie de maillots de bain. Il fait des spectacles, vit à l’hôtel, devient riche. De la même manière qu’à seize ans on le découvre nageur, futur champion, à trente-deux ans on le découvre acteur en Tarzan et vedette de Hollywood avec les Sinatra,Wayne et Gable. C’est la seconde apothéose. On a dit de lui qu’il était le pire acteur de Hollywood. On ne lui demandait pas de jouer, on lui demandait de nager, de monter sur un éléphant et de porter un singe sur son épaule. Les années passent et le bel Adonis vieillit, grossit, grisonne. C’est ce moment que choisit son comptable pour partir avec la caisse. Johnny est ruiné, plus un sou. On essaie de le remettre en selle avec Jungle Jim, mais ce n’est vraiment qu’une série télé médiocre et alimentaire. Plus rien à voir avec le glamour, les paillettes et Lupe Vêlez dans les années trente. Il se fera à nouveau rouler par un autre comptable et divorcera une quatrième fois. Sa fille Heidi meurt dans un accident de voiture. Ses enfants lui intentent quelques procès. Après son premier infarctus, il commence à perdre la tête. Paraît que dans la maison de convalescence, se prenant pour Tarzan, il poussait son fameux cri à toute heure du jour et de la nuit. Voilà, j’ai eu envie de parler de cet athlète exceptionnel, qui s’est pas mal fait rouler dans la farine, qui est monté au plus haut pour chuter comme Icare. Il a raté son ultime plongeon et a fini ses jours à Acapulco, kidnappé par sa dernière femme qui voulait à tout prix l’éloigner des siens, une espèce de vieille fausse baronne du nom de Maria Brock Mandell Bauman. Dans la biographie de son père, Johnny Junior l’appelle la Veuve noire. Il est né Jânos. Arrivé en Amérique, il est devenu Johnny. Pour faire croire qu’il était américain, on lui a ajouté le nom de son frère Peter. Il sera Tarzan. A sa mort, on enterre Weissmuller au cimetière de la Vallée de la lumière. Il y a quelques années, il a été rebaptisé. Johnny poursuit sa mort dans les Jardins du temps. 87 UN MOMENT DIFFICILE Début janvier, avec mon épouse, on est descendus voir mon père à Acapulco. Il était dans un très mauvais état. Il délirait. Il pouvait à peine parler. Il voulait que je le ramène à Hollywood pour qu’il puisse aller faire la fête avec ses potes. Je lui ai dit : « Papa, tous tes amis sont déjà morts. Il ne reste que toi. Tu es le dernier.» Il n’arrivait pas à y croire. Il ne voulait pas y croire. Et moi j’étais là, assis devant un homme d’une faiblesse extrême qui avait été le plus grand athlète de son temps, le plus riche acteur de Hollywood. Il portait maintenant des couches, il avait un trou dans la gorge pour pouvoir respirer et un tube dans l’estomac pour pouvoir manger. Il était cloué au lit, il ne pouvait plus bouger. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était me regarder droit dans les yeux et se mettre à pleurer. C’était un moment difficile à passer. 88 ASSOCIATED PRESS 20 janvier 1984. Nous apprenons à l’instant la mort de Johnny Weissmuller à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Le quintuple médaillé olympique et célèbre interprète de Tarzan l’homme singe est décédé des suites d’une embolie pulmonaire. L’athlète a poussé son dernier souffle et l’acteur a joué son dernier rôle dans sa résidence d’Acapulco, où il vivait retiré avec sa cinquième épouse depuis plusieurs années. Luis Flores, directeur des pompes funèbres Gomez, a déclaré que la veuve de M. Weissmuller n’avait pas terminé les préparatifs pour les funérailles, mais que l’enterrement aurait probablement lieu dimanche à Acapulco. Selon certaines sources, les enfants du défunt, en froid avec sa dernière épouse, souhaiteraient plutôt que le corps de leur père soit rapatrié à Hollywood pour une cérémonie à la hauteur du héros disparu. Weissmuller était gravement malade depuis de nombreuses années. Il a été victime de plusieurs infarctus. Sa résidence à Acapulco était située près du lac où il tourna son dernier film de Tarzan. C’était là tout ce qui lui restait de ses investissements immobiliers réalisés dans les années cinquante avec d’autres acteurs de Hollywood qui ont rendu célèbres les plages d’Acapulco: Sinatra, Bogart, et Wayne. JOHNNY WEISSMULLER 1904-1984 R.I.P.