consciencieuse a Finvite du Grand Mattre prononcce un jour de tendre predication suf les collines dc la Galilee. « Ainsi 1c Jardin botanique de Montreal porte au front une espece de bapteme que nul — fut-il le moins religieux des hommes, — nc songe a recuser. « Que eclte inviic cn faveur de la beaute des Lis ait ete faite aux hommes par le Christ, c'est la une distinction dont les Lis pcuvent ctre fiers en leur petite ame vegetale. « Voyez les lis des champs! Ne cherchons pas, pour 1'instant, a savoir si 1c Fils dc 1'Homme a voulu specifier une espece en particutier, ou si le lis des Saints Livres est simplement un mot pour designer la perfection de la fieur. La tradition des pays mediterraneens a d'emblee vu dans cette d6signa-tion « le lis », type dc fleur dont la beaute" n'a pas de rivale. Et pour ajouter encore a la gloire du Lis, n'est-cc pas toujours son nom que Ton emprunte chaque fois que Ton veut marquer la lotale beaute dans le monde des ficurs: Lis d'eau, Lis des elangs, Lis de la Valine. « Et de considdrer le Lis des champs, I'hommc ne s'est jamais lasse\ Les uns sont dans I'admiration et Fetonnementdevant le mystere de sa forme. Forme si nette, si depouillee. Simplicity et honnetetd de cette tige droite, unique, dont la raison d'etre est de porter des feuilles austeres et sans orne-menl. Ces tiges et ccs feuilles ne cherchenl pas a allumer notre ceil. Elks preparent seulemcnt quelque chose qui s'en vienl; elles sont le socle discret qui va porter un chef-d'oeuvre de Dieu: la fleur. « Dans ce monde ou tout est mystere, le mystere des mysteres est sans doute la fleur. Cre"ee pour l'amour, et eeuvre d'amour et dc predilection, semble-t-il, pour Celui qui 1'inventa. Dans ce monde des planies que Ton dit inconscient, qui ne pense ni n'admire, pourquoi 1 'rcuvre d'amour cst-il entoure' de toute cette beauts, de tout cet art de la forme, de la couleur, du parfum? « La fleur du Lis. La ge"om£tric scrvante dc la beaute. La courbe. L'angle savant. L'e"quilibre de la couleur. Le nombre mysterieux de trois. Trois carpel lcs, trois berceaux conjuguc"s 011 repose dans son effarantc complication de forme microscopique et de puissance de devenir, 1'ovule, demi-vie dont l'autre moitie qui est la, au-dessus, dans les deux verticilles de trois 6tamines qui attendent 1'instant d'ouvrir leuis antheres et de libfirci le pollen fecond. « Puis, les 61c"mcnts procreateurs sont en presence. C'est un dramc qui sc joue, drame dont 1'enjcu est une vie nouvelle et abondanle, la perpdtuation de Fetre de beauts qui depuis des milliers d'ann6es embellit notre planete. Mais, a ce dramc, il faut un decor d'inlimite": trois grands petales et trois grands sepales, presque identiques, forment ce d£cor nuptial. Rideaux blancs, rideaux oranges, groupes en etoiles qui sont peut-ctrc ce qu'il y a de plus beau dans le monde des fleurs. L'Orchidee est pretentieuse et la Rose com-pliquee. C'est de la parure du Lis que le Maitre a dit: — En verite, je vous le dis, Salomon dans toute sa gloire n'a jamais et6 vfilu comme l'un d'eux. » RENÉ CHOPIN (1885-1953) Dixičmc enfant ďun medecin francais installé sur les bords de la riviere des Prairies, René Chopin étudia le droit a l'Univcrsite de Montreal, le chant a P.iris, fut ensuite notaire et, un temps, aupres de Jules Fournier, journaliste. Cet ami de Marcel Dugas et de Paul Morin est surtout 1'autcur de deux recueils de poěmes. Le Caur en exil (1913) ct Dominates (1933); il fait partie du groupc des « esthetes », avec Roquebrune, Dugas, Morin, Dclahayc, qui animeront la revue Le Nigog, en reaction contrc les ccrivains du Terroir, prolongeanl en la métamorphosant l'o;uvre de l'Ecole liltdraire de Montreal. Paysages polaires Au po&te Guy Delahaye Le firmament arctique e*toile sa coupole, Le vent glace des nuits halcnc ixregulier Et fait etinceler tous les astres du Pole, Le Cygnc crucial, la Chcvre, le Bdier... Rideau de gaze en sa transparence hyaline, Lcs echarpes de Fair flotlent dans les lointains. Comme un disque argente, ia Lune cristaliine Plonge dans FOcean scs deux grands yeux dteints. Telle que nous la monlre, etrange architecture De neige et de glacons stages par degres, Sur la page de pulpe ou sur la couverturc, Le dessin suggeslif des livres illustres, Gcante elle apparaft, manoir ou cathedrale, La banquise polaire avec grottes a jour, Comme un magique e"cran dc clartesepulcrale, Oil Ton voit s'6riger les creneaux d'unc tour. Elle a porche sur mer a sa vaste muraillc Aycc des escaliers de larges monceaux vifs Ou nul pas ne se pose et que la lame taille Et qui sont, emerges, de somptueux recifs. Edifice branlant d'assises colossales Aux colonnes d'azur, aux piliers anguleux, Fy vois des corridors et de profondes salles Oil pendent par milliers cristaux et lustres Weus, 238 239 Tresors inexplorés de fausses pierreries, Aiguilles et joyaux, metal immaculé. Parmi leur amas clair les marines féeries Jatiís oni depose la coupe de Thüle. La, bien loin, du côté des éloiles polaires, Sc dresse l'cnfer froid des hauls caps convulsifs. Et je crois voir les flottilles crcpusculaires Errantcs sur le globe aux ages primitifs. Monts ä pic Iilubant sur unc mer étale, Cascades d'argenl pur donl lc saut fail un lac. Dolmens bruts avec leurs tables horizontales, Menhirs et tumuli, vastcs champs de Carnac. Par bandes les ours blancs seronl expiatoires; L'ccumc aux dents, lascifs, ils bäilleront d'ennui Tandis qu'ä ľhorizon. au ras des promontoires Brillcra, globe d'or, le soleil de minuit. Lcs fiers Aventuriers, captifs de la banquise, En leurs tombeaux de glace ä jamais exiles, Avaient réve que leur gloire s'immortalise: Le Pole comme un Sphinx demeure inviolé. Sur une íle neigeuse, avouant la défaile Et ľamerlume au coeur, sans vivrcs, sans espoir, Iis gravérent leurs noms, homicide conquete, Et tristes, resignés, moururent dans le soir. Les voiles luxueux d'aurores magnétiques, Déroulanl sur le gouffre immense du Chaos Leurs franges de couleurs aux eclairs prismaliques Ont enchantc la fin tragique des Héros. Leur sang sc congela, plus de feux dans les tentes, Dans un songe Hvide onl-ils revu lä-bas Par dela la mer sourde ct lcs glaces flottantes Le clocher du village oü i'on sonne les glas? El, regrets superflus germes dans les Erebcs, La vigne enso!eill6e au pan du toit natal, Le miracle, a l'ei£ fertile, dc la glebe, Avec le cendrier, 1'atre familial? Au fil du vent J'accorde mon angoisse ä la clameur farouche De ta piainte nocturne, ö vent äpre et dement! Comme il resonne en moi ton sublime tourment, Fanfare de l'espace, ö tenebreuse Bouche Du Vide qui s'exprimc, ö sonore element! Grand vent de cette nuit! O grand vent d'Ame'rique! Ö ces milüers dc voix vibrant ä 1'unisson De votrc incxprimablc et terrcstre chanson! Vous exallez mon äme et mon a me lyrique Sent en eile courir voire immense frisson. Vous secouez, telle une escadre mal havree, — Les vents souffleni surtout dans la vierge foret — La savanc oü lc pin, lc pruche et lc cypres Agilent comme des matures sinistrees Leurs longs füts denudes sans voile et sans agres. Aux plis sombres dc vos ondes aeriennes Combien d'ämes en peine ä jamais guidez-vous ? J'cntcnds comme un torrent qui roule des cailloux Leur cohortc cxpianl des fautes anciennes Crier ses vains remords avec des chagrins fous! Lc vent s'engouffre aux longs tuyaux des cheminees, D'un brusque assaui il fait grincer le tournevent, Void soudain que tintc une cloche au couvent, Ö ccs bruits reconnus des plus jeunes annees Qui m'enlevent encor dc leur rythme emouvant! Vieux compagnon d'ennui, de hainc et de colere, Pourquoi dans le jardin qui frissonne d'horreur, Viens-tu battre la porte ainsi qu'un malfaiteur, Pourquoi vas-tu he urler dans lc noir cimetiere La grille des tombeaux, ö sinistre rödeur! Ö vent! Sonores mers sur des rectfs ruecs! On enrend se briscr des navires perdus, Epaves s'drigeant, flancs ouverts, mats tardus, 240 241 Oil dans un meme effroi sc m61ent les huees De l'cspace et les chocs du naufrage eperdus. Que j'aime cctle nuit voire infini poeme, Comme de vos sanglots vous ebranlez mes nerfs, Pour exprimer ainsi tels desespoirs amers Etes-vous, s'irritant dans son labeur supreme, Lc cri de la douleur que pousse 1'univers? Automne Symphonie automnale! 6 mon coeur anxieux! Un grand venl monotone, amer et pluvieux, A fait revivre, au sein des vieilles chcmindes, Le grillon qui bruil ses chansons suranndes, Des pancarles lc long d'un mur claquent au vent, Et j'ecoute transi la cloche du couvent Qui convoque dans I'ombre au bord des routes croches Tous ces Moris dont les yeux semblcnt gros de reproches, Je revois dans les champs, parmi les peupliers, Les corbeaux conjures, mines patibulaires, El ceux qui tournoyaient au ciel crepusculaire, Et qui fuiront demain, noirs el rauqucs voiliers, 6 novembre, ton deuil, & Noel, tes gelees! Je songe aux bois trempes, si deserts qu'ils font peur, Et j'ai le gout encor de la feuille brulee Dans les labours qu'embue une blanche vapeur. Tous les foins sont rentrds et les grappes eucillies. C'est du sang de l'annee ct de ses pampres lourds Que le feuillage est teint de rouilles el de lies. Interminablcment ce furenl tout le jour Les feuilles denudant les branches secouees... Et hagardes, la-haul, les troupeaux des nudes Qui fuyaient, on eut dit prises d'effroi devant Je nc sais quel desastre, et qu'emportait le vent! Ah! sonore ce fut, o I'echo des cognees! La coupe des fagots en hate pour Phiver Dans la forfit ou sous l'ecorce gris de fer Pullule le cloportc ct rampe l'araignee. Et j'ai pleure la mort d'une fdconde amide Qui prodigua pour nous, genereuse, sa chair. N'es-tu pas ce dolent paysage d'automne O mon ame, ce soir, mon Sme qui frissonne! Mais tes mois ont vieilli sans leur maturity. Ah! les bles des t'enils et les orges des granges, Les paniers debordants du fruit dc la vendange, Lc bel entassement des bids dfauchettds pes 1'aoiit, ce beau mois des promesses tenues! Et in n'as pas muri le fruit drubescent, Tu ne m'as pas donnd tes grappes ingenues, Mon ame ravagde el si Iriste a present! Hdlas! ce soir, vieilli, j'ecouie les refrains r>c I'automne et la pluie et le vent dans la brume Et je ne sais pourquoi mon obstind chagrin Quo rythme, sombres glas, la cloche qui s'enrhume, Angoissee ellc-mdme a pousser sa clamcur. 11 me scmble qu'en moi ma jeunesse se meurt. 6 ce vent de panique en mon Sme muette, 6 ce vent sur mon front comme un vent de ddfaite! Offrande propilialoire Cygnes effarouchds du chaste hiver qui fond, Voire vol s'dparpiile et ddserte ma greve; Jc sens mon cceur s'ouvrir comme unc digue crevc Et se repandre ainsi que les grands flcuves font. Avec mes pleurs voire eau secrete se confond, 6 sources dans mon ame, 6 printaniere sevc, Philtre voluptueux de souffrance et de rcve Qui jaillit ct me verse un bonheur trop profond! Colombc dc la Neige a l'aile pure et blanche, Pour que ma soif d'aimer cette saison j'dtanche, Entre mes doigts c"mus el d'un gesle pieux Je tordrai ton cou fr£le, 6 victime immolde, Et ta chair hicmale et la plume souillde Rougiront sur I'autel cn offrande a mes dieux. Renoncement Sur lc roc escarpé d'un rcdoutable dcueil Je veux conslruire, ů mon ardente solitude, Ou fuir toule faiblesse cl toule servitude, Le luxueux palais de mon souffrani orgueil. O cruelles amours donl se rouille la chaTne, J'ai par vous entrevu l'abime du bonheur,