V. Béatrix Beck (1914) 5.1. Biographie[1] Née en France, Béatrix Beck est la fille de l’écrivain belge Christian Beck (1879-1916). Ce dernier, individualiste raffiné, cultivait volontiers l’impertinence. D’une grande activité littéraire, collaborateur au Mercure de France, il rencontra de nombreux écrivains parmi lesquels Gide et Tolstoi. Pour son premier roman semi-autobiographique, Barny (1948), Béatrix Beck reçoit les encouragements de Gide qui était ami de son pere et dont elle fut la derniere secrétaire. Sur ses conseils, elle fait appel `a ses souvenirs, qui lui permettent de révéler une personnalité attachante. C’est avec Léon Morin pretre (1952), suite de Barny, et Prix Goncourt, qu’elle rencontre le succes. Elle y décrit la passion d’une jeune provinciale pour un pretre `a Paris, sous l’Occupation. En 1962, Jean-Pierre Melville réalise un film tiré de ce roman, avec Jean-Paul Belmondo et Emmanuelle Riva. Puis vient le troisieme volet de cette trilogie autobiographique : Des Accomodements avec le ciel (1954). L’auteure y critique une société dominée par le mensonge et l’hypocrisie. Dans Le muet (1963), Béatrix Beck introduit un nouveau personnage, le cousin, qui refuse tout compromis avec la société. Ces romans sont portés par une écriture allusive et vive qui trahit de fortes pulsions intérieures. En 1998, paraissent les Confidences de gargouille, souvenirs de l’auteure recueillis par Valérie Marin. 5.2. Extrait du roman Léon Morin pretre Vocabulaire Fiduciaire : se dit de valeurs fondées sur la confiance accordée `a celui qui les émet. Confessionnal : lieu fermé, isoloir disposé pour que le confesseur y entende le pénitent. Confesser (se) : déclarer spontanément ses péchés Élixir : drogue censée posséder des vertus magiques Jeter son dévolu : fixer son choix sur elle, manifester la prétention de l'obtenir, décider de la conquérir A pas de loup : en marchant silencieusement, sur la pointe des pieds Salubre : qui a une action favorable sur l'organisme, qui peut améliorer la santé Vicaire : pretre qui aide et remplace éventuellement le curé Réceptif : susceptible de recevoir des impressions Sus `a : (elliptique) attaquons..., faisons la guerre `a... (Courir sus `a l'ennemi : l'attaquer) Prie-Dieu : siege bas, au dossier terminé en accoudoir, sur lequel le fidele s'agenouille pour prier Cloporte : animal crustacé qui vit sous les pierres, dans les lieux sombres et humides Dalle : tablette peu épaisse (de pierre dure, de marbre...) destinée au pavement du sol, au revetement. Falot :insignifiant et un peu ridicule Appréhension : action d'envisager qqch. avec crainte; crainte vague, mal définie. Guichet : petite ouverture, pratiquée `a hauteur d'homme dans une porte, un mur, et par laquelle on peut parler `a qqn, faire passer des objets Dénaturer : changer, altérer la nature de (qqch.) Jociste : membre du J.O.C. (Jeunesse Ouvriere Catholique) Cloison : ce qui détermine les compartiments dans le confessionnal Perforé : troué, percé Truisme : vérité d'évidence. Nasse : panier oblong en osier, en filet, ou en treillage métallique - (XIIIe) Par métaphore, situation difficile dont on a du mal `a se tirer. Déguerpir : s’en aller en fuyant VI. Marguerite Yourcenar (1903-1987) 6.1. Biographie Marguerite Yourcenar en 1936 - 15 ko La premiere femme `a etre élue en 1980 `a l'Académie française est née Marguerite de Cleenewerk de Crayencour, le 8 juin 1903 `a Bruxelles, d'une mere belge, Fernande de Cartier de Marchienne, et d'un pere français. Avant de mourir quelques jours apres l’accouchement, sa mere recommande qu'on n'empeche pas la petite de se faire religieuse si elle en a envie. En entrant en littérature, Marguerite estime avoir répondu au voeu pieux de sa mere. Michel, son pere, qui est plus qu'un pere, un pédagogue, un confident, un ami, n'est pas homme `a faire entrer sa fille dans les ordres ni dans un ordre. Cet anticonformiste lui laisse en héritage son gout des vagabondages, illustré par cet adage qu'elle n'oubliera pas : « On n'est bien qu'ailleurs », et sa grande culture qu'il lui fait partager, avec sa bibliotheque. En 1919, il finance `a compte d'auteur le Jardin des chimeres, poeme dialogué que sa fille a composé sur la légende d'Icare. Marguerite n'a que seize ans ; elle n'a jamais mis les pieds `a l'école, mais n'en obtiendra pas moins son baccalauréat. Ensemble, le pere et la fille choisissent pour elle un pseudonyme qui est l'anagramme de leur nom de famille, Crayencour : Yourcenar. Son premier ouvrage publié par une vraie maison d'édition est Alexis ou le Traité du vain combat, lettre de rupture écrite `a sa femme par un homme qui lui préfere les hommes, pudique petit texte qui affirme, dans la lignée de l'écrivain André Gide, la liberté des préférences sensuelles. Entre-temps, son pere est mort `a Lausanne, en 1929, et la jeune Marguerite va connaître les années les plus intenses de sa vie de femme. Elle aime, elle écrit, elle vagabonde `a travers l'Europe, qui se prépare au cataclysme sans en etre toujours consciente. En 1934, paraît Le Denier du reve, histoire d’une lire italienne qui passe de main en main. Dans cet ouvrage, l’auteure évoque un attentat manqué contre Mussolini par une révolutionnaire. Ces années seront surtout celles de la passion impossible pour un homme qui ne l'aime pas et qui, comme Alexis, préfere les hommes. Feux (1936) est le produit de cette crise passionnelle. Plus tard, elle condamnera cet amour de désir, sentiment peu honorable, habité de possessivité et d'amour de soi. En 1938, elle fait paraître Les Nouvelles orientales, recueil de contes et nouvelles inspirés de la littérature et du folklore des Balkans, de la Grece et de l’Asie. A cette époque, alors qu’elle a trente-quatre ans, elle rencontre Grace Frick, une jeune universitaire américaine, qui va devenir la femme de sa vie pendant quarante-deux ans et sans doute au-del`a de la mort. Amie, amour, collaboratrice et traductrice. Selon elle, « l’amitié est avant tout une certitude, c’est ce qui la distingue de l’amour. Elle est aussi respect et acceptation totale d’un autre etre ». En 1939, Grace l’invite aux Etats-Unis. Marguerite s’embarque pour une saison : elle restera en Amérique le reste de sa vie, `a Mount-Desert Island, petite île de l’État du Maine. C’est avec Les Mémoires d’Hadrien (1951) et L’œuvre au noir (1968) que s’imposent le talent et la célébrité de Yourcenar. Dans Les Mémoires d’Hadrien, l’auteur recrée le personnage de cet empereur du IIeme siecle apres Jésus-Christ, proche de la mort, ambigu et fascinant. A travers lui, elle reve d'un homme d'Etat idéal, capable de stabiliser la terre. Elle prete `a ce Grec de culture et d'ambition, qui protege les arbres menacés, ses propres préoccupations écologiques. Elle évoque un homme qui construit son bonheur « comme un chef-d'oeuvre » mais que la passion pour le bel Antinoüs et la douleur de sa perte vont faire basculer dans un vertige d'immortalité `a la gloire de l'etre aimé. Elle partage avec lui une sagesse inspirée des doctrines orientales qui consiste `a se préparer `a sa propre mort, `a en apercevoir le profil, `a y entrer enfin « les yeux ouverts ». Traduit, louangé et commenté, Mémoires d'Hadrien obtient un succes mondial. Véritable humaniste, Marguerite Yourcenar fait passer une réflexion essentielle sur la vie et la précarité des cultures. En effet, l’empereur Hadrien est `a a fois de son temps et de tous les temps : moderne et passionné par la guerre, pragmatique et reveur, voué au plaisir et ascete, philosophe et poete. En vérité il incarne les contradictions propres `a tout etre humain, fut-il chef d’État. L'Oeuvre au noir, publiée dix-sept ans plus tard, pendant les événements de mai 1968 en France, est aussi le fruit d'une longue gestation. Réécrite d'apres une premiere nouvelle publiée en 1934, c'est « en deux mots l'histoire d'un homme intelligent et persécuté ; cela se passe vers 1569 et pourrait s'etre passé hier ou se passer demain ». Avec son héros fictif, Zénon, moine réfractaire, philosophe, médecin et alchimiste, elle nous plonge au cœur de l’Europe du XVIeme siecle déchirée par les guerres de religion. Zénon explore les voies de l’ésotérisme, de l’astrologie, l’occultisme. Comme dans Les Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar crée un personnage avec lequel chaque lecteur peut s’identifier tout en l’inscrivant dans une époque ancienne presque ressuscitée. Dans Souvenir pieux (1974) et Archives du Nord (1977), Marguerite Yourcenar ouvre une enquete généalogique pour retrouver la vie authentique de ses ascendants maternels et paternels, s’attachant par ce projet `a légitimer chaque individu dans son environnement et son époque. Avec le troisieme volume, Quoi ? L’éternité, l’auteur remonte aux racines de sa famille et évoque longuement la personnalité de Michel de Crayencour, un pere fascinant, robuste et fragile `a la fois. C’est dans l’éphémere, la fragilité de tout empire, de toute pensée, de toute passion que Yourcenar voit le sens véritable de l’existence. Seuls peuvent compter la recherche de l’accomplissement intérieur et le pouvoir de l’émotion, ainsi qu’elle l’explique dans La voix des choses (1987). Elle précise sa pensée sur l’éphémere dans un essai : Mishima ou la passion du vide (1980). Dans Les yeux ouverts (1980), elle adopte une vision presque écologique, insistant sur la nécessité de défendre la vie sous toutes ses formes. Marguerite Yourcenar a recherché une sorte d’« oecuménisme culturel », s’intéressant `a toutes sortes de cultures que la culture classique : mystiques italiens du XIIeme siecle, negro-spirituals, littérature japonaise… 6.2. Les mémoires d’Hadrien (1951) A. Le roman Le roman est structuré en six chapitres, non numérotés et titrés en latin : ¨ Anima vagula blandula (Petite âme vagabonde et tendre) ¨ Varius multiplex muliformis (Varié, multiple, changeant) ¨ Tellus stabilité (La terre retrouve son équilibre) ¨ Saeculum aureum (Siecle d’or) ¨ Disciplina augusta (Discipline Auguste) ¨ Patientia (Patience L’incipit du chapitre premier (prologue), « Mon cher Marc », annonce la forme de l’écrit : une lettre adressée par Hadrien `a son petit-fils adoptif, futur Marc-Aurele. La premiere section précise le contexte et la fonction de cette lettre : l’occasion en a été suggérée `a l’empereur par un examen médical récent qui a confirmé les progres de sa maladie. Cette « méditation écrite d’un malade qui donne audience `a ses souvenirs » a pour but d’aider le jeune homme `a se préparer `a la rude tâche qui l’attend et de lui permettre de réfléchir `a l’exercice du pouvoir. Hadrien, sur le ton de la confession, y dresse le bilan de sa vie. Le dernier chapitre est l’épilogue, dans lequel l’empereur souhaite « entrer dans la mort les yeux ouverts »… Dans ces Mémoires, il évoque sa jeunesse et les personnes, les combats, et les lectures qui l’ont influencé. Il confie également les circonstances secretes qui lui ont permis de devenir empereur. Dans sa jeunesse, Hadrien combat aux côtés de Trajan. Protégé par Plotine, la femme de Trajan , il parvient `a conquérir la sympathie de l’empereur, qui `a quarante ans le désigne comme successeur. Marié `a Sabine, il n'en éprouve nulle satisfaction et se consacre `a l'Empire. Homme de paix, clairvoyant et éclairé, il renonce `a certaines colonies précaires, et travaille `a la pacification de l'Empire. Pour lui la guerre est un moyen et non un objectif. Il a durant son regne, travaillé `a la consolidation de son empire et `a l'amélioration des conditions de vie des femmes et des esclaves. Il s’est ainsi efforcé de rendre la société romaine plus juste. Alors qu’il voyage en Asie Mineure, Hadrien va rencontrer le jeune Antinoüs qui va bouleverser sa vie. Emu par la beauté du jeune bithynien, Hadrien découvre le bonheur. La disparition de son favori, qui s'est suicidé par amour, « marque un point de non retour dans l’existence d’Hadrien ». Il lui fait ériger une cité et lui voue un culte fervent. Apres une derniere victoire en Judée, Hadrien ressent les premieres atteintes de son mal qui lui sera. Malade, il se retire pour méditer sur son corps dont la mort va bientôt le délivrer. B. Chronologie Cfr feuille annexe C. Extrait : sources Écrits d’Hadrien ou supposés ¨ L’épigraphe de Mémoires d’Hadrien est composée de la seule strophe conservée d’un poeme qu’Hadrien aurait composé peu avant de mourir. Son authenticité paraît, selon les spécialistes, contestable. Animula vagula blandula Hospes comesque corporis Quae nunc abibis in loca Pallidula rigida nudula Nec ut soles, dabis iocos. ¨ Lettre d’Hadrien mourant `a Antonin L’empereur Hadrien `a son tres vénéré Antonin – salut. C’est sans amertume et sans révolte, sans plainte et sans surprise que je me sens quitter la vie… Tu en seras quitte pour tes vaillantes consolations… Je n’ai nul besoin de me justifier par des banalités d’usage. Je veux seulement te dire les choses exactement comme elles sont : mon pere vécut jusqu’`a quarante ans et mourut simple citoyen, en sorte que j’ai vécu sa vie et plus de la moitié encore… et que je meurs presqu’au meme âge que ma mere. Fragments de lettre trouvés sur un papyrus du Fayoum. Le texte grec est tres altéré et le sens est souvent conjectural. ------------------------------- [1] Cfr Joiret, Anthologie, p. 196.