II. Maria Van Rysselberghe (1866-1959) A. Biographie C’est la vie d’une femme qui est restée fidele. C’est aussi l’histoire d’une femme qui a aimé comme il n’est permis d’aimer qu’une seule fois dans une vie. Elle a connu l’immense bonheur d’une fusion avec l’Autre, au-del`a du charnel et ce moment a irradié et éclairé, sans doute, toute sa vie… Tres souvent absente des anthologies, la réédition en 2005 de son texte Il y a quarante ans la fait redécouvrir au grand public. C’est en 1866 que Maria vit le jour sous le nom de Monnom. Elle est la fille de celle qu’on appelait « la veuve Monnom », une éditrice importante de la fin du XIXeme siecle (celle qui publia entre autres La Jeune Belgique[1]). Des sa jeunesse, elle se retrouve donc au cœur des échanges littéraires et artistiques. C’est en 1879 qu’elle épouse de peintre gantois Théodore Van Rysselberghe dont l’œuvre La Lecture (1903) nous montre quels amis ce néo-impressionniste comptait dans son entourage. En 1890, leur fille Élisabeth naît. Maria Van Rysselberghe continue `a côtoyer les grands noms, peintres et écrivains, de son époque, parmi lesquels Émile Verhaeren. Maria Van Rysselberghe va etre éperdument amoureuse de ce poete et lui d’elle. Ils s’avoueront leur amour mutuel au cours d’un séjour dans la villa des Rysselberghe (en 1894) ou les circonstances les ont réunis seul `a seul. De cette passion, va naître le bref mais émouvant récit, Il y a quarante ans, que l’auteure ne publie qu’en 1934 – 1935 dans la NRF, sous le pseudonyme de M. de Saint-Clair, alors que Théo Van Rysselberghe et Émile Verhaeren sont tous deux décédés[2]. Le pseudonyme choisi par Maria Van Rysselberghe est lié (entre autres) au nom du village du Var, Saint-Clair, que le couple Rysselberghe commence `a assidument fréquenter des 1909[3] et ou ils finiront par s’installer. Sous le meme pseudonyme, elle publia également Strophes pour un rossignol (publié la meme année), recueil dans lequel elle chante l’amour déclinant. Mais cette étonnante personnalité fut également en contact étroit avec le milieu intellectuel français grâce `a son amitié profonde pour André Gide, qui devint le pere de sa petite-fille. Ce faisant, elle état de plain-pied avec tout le milieu de la NRF (jusqu’`a Camus et Malraux). Sa Galerie privée (1968) en rend fort bien compte. Ses Cahiers de la petite dame (1973-1977) constituent une mine de renseignement sur Gide au quotidien. Elle commence `a les rédiger `a 52 ans, en 1918 `a la fin de la Grande Guerre et les destine dans un premier temps `a son amie Aline Mayrisch, dite « Loup ». Loin de chercher `a ridiculiser l’homme, l’intention des Cahiers est une quete de la véracité d’un etre complexe. En mettant l’accent sur l’homme que fut Gide, les Cahiers prouvent leur complémentarité. Dans une attitude que l’on pourrait qualifier de « féminine et maternelle », la « Petite Dame » humanise Gide, assure la pérennité de son incarnation. Elle a contribué `a éviter que sa stature se fige et s’aplatisse : comme le dit Gide dans son Journal de jeunesse, il faut que la lettre prenne corps pour vivre. La meme attitude est décelable dans les textes de Galerie privée. De gauche `a droite : le médecin Félix Le Dantec, Émile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, Félix Fénéon (debout accoudé), le peintre Henri-Edmond Cross, André Gide, le biologiste, Henri Ghéon, Maurice Maeterlinck. ------------------------------- [1] Revue fondée par Max Waller (pseudonyme de Maurice Warlomont). Elle adopte tres vite la devise Soyons nous, qui marque son refus d’adhérer `a une école littéraire particuliere et qui plaide pour un art libéré de toute prescription extérieure `a l’art « fut-elle nationale[1]» : la littérature ne peut se mettre au service d’aucune cause, qu’elle soit sociale ou idéologique. La littérature doit servir « l’Art pour l’Art ». Leur volonté est de s’écarter du modele français tout en revendiquant leur originalité belge. [2] Émile Verhaeren est mort accidentellement en 1916 ; Théo Van Rysselberghe est mort, lui, en 1926. [3] Le frere de Théo Van Rysselberghe, architecte, s’y était fait construire une villa