B. Il y a quarante ans Des la fin de l’année 1934, la NRF commence `a éditer, sous le nom de M. de Saint-Clair, la publication d’un récit crypté qui ressemble `a une autofiction mais dont les noms des protagonistes ne sont pas ceux des acteurs de l’aventure. Mais si l’on ne s’attarde pas aux prénoms, ce récit constitue une formidable autofiction… La réédition du texte côtoie deux autres œuvres : Strophes pour un rossignol, qui revient sur l’aventure amoureuse décrite dans Il y a quarante ans et qui dédiée `a sa fille Élisabeth ; et Galerie privée, lequel rassemble de formidables portraits d’écrivains, d’intellectuels ou artistes que Maria Van Rysselberghe a côtoyé ou lu attentivement. Parmi ceux-ci, on retrouve Henri-Edmond Cross, le poete Charles Péguy, le critique Bernard Groethuyzen, Henri Michaux, André Malraux, André Gide enfin dont Maria Van Rysselberghe fut la voisine de palier rue Vaneau (leurs appartements communiquaient en outre) depuis 1928 et la confidente intime, le peintre Théo Van Rysselberghe, son époux et enfin Émile Verhaeren (dont le portrait ouvre le recueil), qui fut en quelque sorte l’homme de sa vie. Pour écrire Il y a quarante ans, Maria Van Rysselberghe recourt au « mentir-vrai ». En cela, le texte differe des grands déballages contemporains entretenus par les médias. Le choix d’un pseudonyme participe de cette stratégie. Le pseudonyme « M. Saint-Clair » renvoie : ¨ A la commune du Var, Saint-Clair, ou une petite colonie culturelle belgo-française parmi lesquels Signac et Van Rysselberghe mais également l’éditeur belge Edmond Deman, le peintre Henri-Edmond Cross. Van Rysselberghe s’y fera construire une maison par son frere Octave, architecte célebre. Il y vécut de 1910 `a 1926, année de sa mort. ¨ Par ailleurs, Verhaeren, auquel est consacré Il y a quarante ans, a célébré en 1905 dans la revue L’Art moderne le site de Saint-Clair en insistant sur le charme des noms « Lavandou » et « Saint-Clair », sur la lumiere du site et de son isolement. OR M. Van Rysselberghe, tant dans le portrait de Verhaeren que dans le récit Il y a quarante ans, elle ne cesse d’insister sur les valeurs de « pureté et transparence » qu’il y avait chez Verhaeren (p. 69). Elle dit encore « le mot clair est le mot le plus proche de son cœur. Il y vit tout `a côté de fervent. ¨ Cette hantise de la transparence et de la sincérité qui sera fatale `a la passion qui lia Maria Van Rysselberghe et Émile Verhaeren., l’auteure choisit de le condenser dans un pseudonyme. ¨ L’adjectif « saint » accolé `a l’adjectif lui donne une valeur absolue. L’éclosion d’une oeuvre C’est dans les Cahiers de la petite dame que l’on trouve l’explication des circonstances de la rédaction. En 1934, elle se dit préoccupée par la transcription par Gide, dans son Journal, d’ « indiscrétions » qui lui ont été confiées par ailleurs. Il lui semble que « certains passages concernant Madeleine devraient rester posthumes, par respect pour Madeleine ». Ces réflexions sur le sort `a réserver par les écrivains aux confidences intimes vont de pair avec l’achevement du manuscrit de Il y a quarante ans. C’est `a Roger Martin du Gard, écrivain de la NRF, qu’elle va faire la lecture de son manuscrit pour la premiere fois pour solliciter ses conseils ainsi que pour etre tenue `a ne plus reculer. Elle les soumet ensuite `a Jean Schumberger, autre personnage phare de la NRF. Enfin, elle soumet le texte `a un juge terrible, son ami André Gide. Celui-ci accepte le texte et part faire sa sieste. Il revient vers 15 heures et entame une discussion durant laquelle il donne son avis sur le style (par exemple l’emploi du temps des verbes, la maniere de les varier, de leur donner plus de prolongement », comme sur la nécessité des « précisions matérielles », d’expliciter certaines situations décrites de façon trop elliptique. Cependant son avis général rassérene l’auteure car il trouve le texte digne des deux amants. Il ajoute qu’elle « n’est tombée dans aucun travers féminin », faisant sans doute référence `a l’absence de complaisance dans l’effusion. La nouvelle sera finalement portée, en novembre 1934, `a Jean Paulhand qui envoie « un cordial message d’acceptation de publication » dans la NRF laquelle la publie en deux livraisons en décembre 1934 et janvier 1935. Le 2 janvier, lors d’une réception mondaine lors de laquelle elle rencontre la critique belge Émilie Noulet, elle apprend que le bruit court que le récit se rapporte `a Gide. Pourtant le rapprochement entre Hubert (le nom donné par Maria Van Rysselberghe) et Verhaeren semble tout `a fait clair…