Link: Preview Les femmes, `a mon contact, tombent malades. Elles s'enrhument. Elles éternuent. Il arrive aussi que leur gorge soit prise. Pour elles, c'est la premiere fois. Leur bonne santé me précede. C'est ma faute. Le rhume ne me quitte pas. A force, elles l'attrapent. Une fois guéries, ce sont elles qui me quittent. Je reste avec mon rhume `a moi. Ça m'occupe. Je peux traverser une crise, alors. Me surenrhumer. Ma consommation des mouchoirs augmente. C'est une période ou je sors autant que d'habitude, mais moins longtemps. Je me sens plus `a l'aise couché, avec une boîte des Kleenex `a portée de main. Le gros rhume noie bien le chagrin. Il le dilue. Laure était avec moi lorsque, pour la premiere fois de sa vie, elle éternua. Elle fut surprise, puis désemparée. Pas moi. Les éternuements des autres ne me surprennent pas. Ils sont comme les échos des miens. J'ai d'ailleurs tendance, quand quelqu'un éternue pres de moi, `a sortir un mouchoir. Je ne fus pas surpris, non. Mais je fus touché. Je l'avais toujours trouvé distante, Laure, et son éternuement la rapprochait de moi. Je sentis comme un accord de sa part. Une maniere de dire qu'elle me comprenait, maintenant, qu'elle m'acceptait, et que le moins qu'elle put faire, `a dater de ce jour, c'était de m'accompagner. De m'accompagner vraiment. Parce qu'elle ne m'accompagnait pas vraiment. Elle me suivait. Mon amour la troublait. Avant son rhume, déj`a. Elle m'aimait, `a sa maniere. Avec perplexité. Avec retenue. Mais c'était moins son amour qu'elle contenait que le mien, au fond. Elle s'embarrassait de mes gestes, s'inquiétait de mes mots. Du calme, lui disais-je. C'est juste que je t'aime. Ça ne me rassure pas, disait-elle. Christian Oster, L'imprévu, Paris, Minuit, 2005, pp.7-8 A l'hôtel, pas d'hôtelier, c'est une longue pause, pensais-je, on me laisse me débrouiller, je comprends, je comprends, je repris le chemin de la chambre 25. J'ouvris la porte, je me dirigeai droit sur Laure, qui dormait. Je lui préparai ses premieres prises d'antibiotique et de fluidifiant, cachet, sachet, verre d'eau, puis je la secouai, elle s'éveilla, avale ça tout de suite, lui dis-je. Elle obtempéra, silencieuse d'abord, puis me rendit le verre, bon, dit-elle, je vais dormir, mais je voudrais que tu prennes tes dispositions, je voudrais que tu t'arranges pour me laisser, je sais que c'est un peu brutal mais je voudrais que tu partes, que tu continues sans moi, j'ai vraiment besoin que tu ne sois pas l`a, pas d'etre seule, non, mais sans toi, sans ton regard, sans ta présence, sans tes questions, sans ton aide, sans tes soins, sans ton amour, n'ajouta-t-elle pas, je peux tres bien me débrouiller – tiens, elle aussi, me dis-je –, de tout façon je ne veux plus aller `a cet anniversaire, ça m'ennuie, ça va me fatiguer, Philippe me fatigue, je suis fatiguée. Je n'avais pas prévu ça. Qu'elle ne veuille plus voir Philippe. Moi, encore. Mais Philippe. Tu ne veux plus aller l`a-bas? dis-je. Non. Et Philippe? Il va s'en sortir sans moi, Philippe, me dit-elle. Et toi? Je m'aperçus que j'avais oublié de parler de moi. J'y viendrais. En attendant, elle ne répondait pas? Elle avait l'air fatiguée, en effet. Elle avait beaucoup trop parlé. Tu parles beaucoup trop, de toute façon, repris-je. Ce que tu voudrais, si je comprends bien, c'est que je te laisse ici, malade, `a l'hôtel, `a trois cents kilometres de chez nous, et puis quoi? Qu'est-ce que je fais, moi, si je ne t'aide pas? Qu'est-ce que ça veut dire? Tu vas te nourrir comment? Je n'ai pas faim, me répondit-elle. Ne t'inquiete pas. Je vais me soigner. Il y a des gens, ici. Je pensai `a l'hôtelier, en effet, quoique je le visse plus proche de moi, cet homme, `a la rigueur, que d'elle. Non qu'il eut été incapable de s'occuper de Laure, bien sur, au contraire, enfin je n'allais pas en faire une question d'affinités, non plus. Et alors je te laisserais, dis-je, et tu rentrerais comment? Apres la fievre? En voiture. En voiture, répétai-je. Tu garderais la voiture? Oui, dit-elle. J'aurais juste besoin de la voiture, évidemment. Et donc, dis-je. Elle clignait des paupieres. Et donc, repris-je, qu'est que je fais, moi? Tu vas `a Braz, me dit-elle d'une voix qui luttait contre mes questions, contre le sommeil, contre la fievre. Tu y vas pour l'anniversaire de Philippe. Ce soir. Tu prends un train pour Quiberon. Tu te débrouilles. Tu le fais pour moi. Maintenant. S'il te plaît. Je ne t'ai jamais rien demandé. Exact, dis-je. Elle dormait. Christian Oster, L'imprévu, Paris, Minuit, 2005, pp. 60-63.