La violence au XXeme siecle La violence est un phénomene propre au XXeme siecle ; telle est l’impression qui pourrait ressortir de l’abondance des discours et des récits. Surgie de la société de grande consommation et des frustrations qu’elle a engendrées, elle s’entendrait avec son corollaire, la peur. Avec le XXeme siecle seraient nés les plaisirs de la violence gratuite, symbolisés au début des années 70 par le film « Orange Mécanique », les attentats, les attaques nocturnes pour quelques francs, les enfants assassinés, et les violences contre les biens. Le XXeme siecle, période de violence, trouverait son symbole avec New York, le mythe New York, sommet de cette pyramide d’horreur. Un monstre urbain ou dix millions de verrous et de portes blindées claquent des quatre heures de l’apres-midi, New York au métro sanglant, aux poignards de Harlem ; New York fascinant de violence. Peut-on donner `a ces peurs un fondement scientifique ?[...] En additionnant les attaques `a main armée, les actes de terrorisme, les vols de sacs `a main, les viols - sortis du silence, - sans doute peut-on momentanément soutenir que la violence a augmenté depuis dix ou vingt-cinq ans. Mais en examinant une plus longue période - un siecle et plus - on constate que la violence a diminué. Les rues de Paris sont, de jour comme de nuit, beaucoup plus sures qu’au début du siecle. Sur les routes, on redoute plus les collisions que les rencontres de brigands. L’examen statistique montre également que la peur, la psychose de la violence, apparaît et disparaît `a intervalles réguliers, sans rapport avec la courbe de la violence. La caractéristique de la violence ne résiderait-elle donc pas davantage dans la perception sans précédent qu’a chacun au XXeme siecle des phénomenes de violence ? Par le développement des moyens d’information, les images de violence sont devenues proches, repoussoir ou modele. Toute violence individuelle est désormais publique grâce `a l’extraordinaire prolifération des moyens d’information. Connue, commentée, imaginée, la violence est perçue comme intolérable. Mais plus que jamais, elle fascine. Ceux qui, États ou individus, la dénoncent le plus fort ne proposent contre elle qu’un seul recours : une autre violence. Sans meme la comprendre, si cela se peut, ils veulent faire cesser la violence, qu’ils croient voir partout, plus fréquente, mais aussi plus terrible dans les formes que prend son expression. Une fois encore la réalité les contredit. La violence s’exprime aujourd’hui de façon moins cruelle que dans le passé, ou tortures et mutilations accompagnaient couramment les actes de violence. Le rappel du passé reste toutefois sans effet. La perception de la violence ne tient pas compte de la réalité historique de ce phénomene. Les membres arrachés, les yeux crevés du XVIIeme siecle ne représentent rien. A partir du récit qu’on peut en lire, on n’imagine rien. Des attaques sans gravité dans les couloirs du métro, ou dans les parcs de stationnement, prennent, au contraire, chaque jour, une existence renouvelée pour tous ceux qui acceptent de se laisser gagner par la peur. Ainsi les images de la violence se développent-elles, reflets incertains de l’actualité, sans rapport avec la violence réelle, mais abusivement tenues pour la réalité elle-meme. J. SAVIGNEAU, Le Monde.