Art Poétique PREMIER MANIFESTE DU SURRÉALISME La magie de la spontanéité Faites-vous apporter de quoi écrire, apres vous etre établi en un lieu aussi favorable que possible `a la concentration de votre esprit sur lui-meme. Placez-vous dans l'état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui menent `a tout. Ecrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas etre tenté de vous relire. La premiere phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu'`a chaque seconde il est une phrase étrangere `a notre pensée consciente qui ne demande qu'`a s'extérioriser. Il est assez difficile de se prononcer sur le cas de la phrase suivante ; elle participe sans doute `a la fois de notre activité consciente et de l'autre, si l'on admet que le fait d'avoir écrit la premiere entraîne un minimum de perception. Peu doit vous importer, d'ailleurs ; c'est en cela que réside, pour la plus grande part, l'intéret du jeu surréaliste. André Breton, Les manifestes du surréalisme, J.-J. Pauvert. SECOND MANIFESTE DU SURRÉALISME Fonction du surréalisme On sait assez ce qu'est l'inspiration. Il n'y a pas `a s'y méprendre ; c'est elle qui a pourvu aux besoins surpremes d'expression en tout temps et en tous lieux. On dit communément qu'elle y est ou qu'elle n'y est pas, et, si elle n'y est pas, rien de ce que suggere aupres d'elle l'habileté humaine, qu'obliterent l'intéret, l'intelligence discursive et le talent qui s'acquiert par le travail ne peut nous guérir de son absence. Nous la reconnaissons sans peine `a cette prise de possession totale de notre esprit qui, de loin en loin, empeche que pour tout probleme posé nous soyons le jouet d'une solution rationnelle plutôt que d'une autre solution rationnelle, `a cette sorte de 10 court-circuit qu'elle provoque entre une idée donnée et sa répondante (écrite par exemple). Tout comme dans le monde physique, le court-circuit se produit quand les deux « pôles » de la machine se trouvent réunis par un conducteur de résistance nulle ou trop faible. En poésie, en peinture, le surréalisme a fait l'impossible pour multiplier ces courts-circuits. Il ne tient et il ne tiendra jamais `a rien tant qu'`a reproduire artificiellement ce moment idéal ou l'homme, en proie `a une émotion particuliere, est soudain empoigné par ce « plus fort que lui » qui le jette, `a son corps défendant, dans l'immortel. André Breton, Les manifestes du surréalisme, J.-J. Pauvert. On sait assez ce qu'est l'inspiration. Il n'y a pas `a s'y méprendre ; c'est elle qui a pourvu aux besoins supremes d'expression en tout temps et en tous lieux. On dit communément qu'elle y est ou qu'elle n'y est pas et, si elle n'y est pas, rien de ce que suggere aupres d'elle l'habileté humaine, qu'obliterent l'intéret, l'intelligence discursive et le talent qui s'acquiert par le travail, ne peut nous guérir de son absence. Nous la reconnaissons sans peine `a cette prise de possession totale de notre esprit qui, de loin en loin, empeche que pour tout probleme posé nous soyons le jouet d'une solution rationnelle plutôt que d'une autre solution rationnelle, `a cette sorte de court-circuit qu'elle provoque entre une idée donnée et sa répondante (écrite par exemple). Tout comme dans le monde physique, le court-circuit se produit quand les deux « pôles » de la machine se trouvent réunis par un conducteur de résistance nulle ou trop faible. En poésie, en peinture, le surréalisme a fait l'impossible pour multiplier ces courts-circuits. Il ne tient et il ne tiendra jamais `a rien tant qu'`a reproduire artificiellement ce moment idéal ou l'homme, en proie `a une émotion particuliere, est soudain empoigné par ce « plus fort que lui » qui le jette, `a son corps défendant, dans l'immortel. Lucide, éveillé, c'est avec terreur qu'il sortirait de ce mauvais pas. Le tout est qu'il n'en soit pas libre, qu'il continue `a parler tout le temps que dure la mystérieuse sonnerie : c'est, en effet, par ou il cesse de s'appartenir qu'il nous appartient. Ces produits de l'activité psychique, aussi distraits que possible de la volonté de signifier, aussi allégés que possible des idées de responsabilité toujours pretes `a agir comme des freins, aussi indépendants que possible de tout ce qui n'est pas la vie passive de l'intelligence, ces produits que sont l'écriture automatique et les récits de reves présentent `a la fois l'avantage d'etre seuls `a fournir des éléments d'appréciation de grand style `a une critique qui, dans le domaine artistique, se montre étrangement désemparée, de permettre un reclassement général des valeurs lyriques et de proposer une clé qui, capable d'ouvrir indéfiniment cette boîte `a multiple fond qui s'appelle l'homme, le dissuade de faire demi-tour, pour des raisons de conservation simple quand il se heurte dans l’ombre aux portes extérieures fermées de l’au-del`a, de la réalié, de la raison, du génie et de l’amour. Un jour viendra ou l’on ne se permettra plus d’en user cavalierement, comme on l'a fait, avec ces preuves palpables d'une existence autre que celle que nous pensons mener. On s'étonnera alors que, serrant la vérité d'aussi pres que nous l'avons fait, nous ayons pris soin dans l'ensemble de nous ménager un alibi littéraire ou autre plutôt que sans savoir nager de nous jeter `a l'eau, sans croire au phénix d'entrer dans le feu pour atteindre cette vérité. Second Manifeste du Surréalisme, 1930 (Kra, éditeur).