TOPAZE Professeur `a la pension Muche, « dans une grande ville », Topaze se voit congédier pour avoir été trop franc avec une mere d'éleve dont la richesse méritait plus de ménagements, et pour avoir, de surcroît, osé prétendre `a la main de Mlle Muche. Le hasard veut qu'un conseiller municipal véreux, Castel-Benac, ait précisément besoin d'un homme de paille pour mener `a bien ses escroqueries. Présenté par Suzy, maîtresse de Castel-Bénac et tante d'un de ses éleves, Topaze fera l'affaire ; n'est-il pas le parfait idiot, honnete jusqu'`a la niaiserie, qu'il n'est meme pas besoin d'acheter cher ! Quand Topaze est mis au fait par le complice habituel de Castel-Bénac, il veut rompre le marché ; mais Suzy fait du charme, l'émeut, et il cede. Pendant quelque temps, il est torturé par les remords ; les belles maximes morales qu'il enseignait `a ses éleves l'empechent de dormir ; il est terrorisé par une menace de chantage `a laquelle Castel-Bénac, fort bien armé, coupe court. D'ailleurs tout sourit `a Topaze depuis qu'il est malhonnete : Mlle Muche, dont il ne veut plus, tombe dans ses bras avec l'approbation paternelle, et surtout il reçoit les Palmes académiques vainement espérées lorsqu'il n'était qu'un professeur consciencieux. « Le coup du chimpanzé » topaze, tres calme et tres familier : Mon cher ami, je veux vous soumettre un petit calcul. Cette agence vous a rapporté en six mois sept cent quatre-vingt-cinq mille francs de bénéfices nets. Or le bureau vous a couté dix mille francs pour le bail, vingt mille pour l'ameublement, en tout trente mille. Comparez un instant ces deux nombres : sept cent quatre-vingt-cinq mille et trente mille. castel-bénac : Je ne vois pas l'intéret de cette comparaison. topaze : Il est tres grand. Cette comparaison prouve que vous avez fait une excellente affaire, meme si elle s'arretait aujourd'hui. Castel-bénac : Pourquoi s'arreterait-elle ? topaze, souriant : Parce que j'ai l'intention de garder ce bureau pour travailler `a mon compte. Désormais, cette agence m'appartient, les bénéfices qu'elle produit sont `a moi. S'il m'arrive encore de traiter des affaires avec vous, je veux bien vous abandonner une commission de six pour cent... C'est tout. castel-bÉnac, `a Suzy, avec effort : Je vous l'avais toujours dit. Notre ami Topaze est un humoriste. TOPAZE : Tant mieux si vous trouvez cela drôle. Je n'osais pas l'espérer. suzy : Monsieur Topaze, parlez-vous sérieusement?... topaze : Oui, madame. D'ailleurs en affaires je ne plaisante jamais. Castel-bénac : Vous vous croyez propriétaire de l'agence ? topaze : Je le suis. L'agence porte mon nom, le bail est `a mon nom, je suis légalement chez moi... castel-bénac : Mais ce serait un simple vol... topaze : Adressez-vous aux tribunaux. SUZY, elle est partagée entre l'indignation, l'étonnement et l'admiration : Oh !... CASTEL-BÉNAC, il éclate : J'ai vu bien des crapules, je n'en ai jamais vu d'aussi froidement cyniques. topaze : Allons, pas de flatterie, ça ne prend pas. [...] CASTEL-BÉNAC, apres un tout petit temps : Topaze, il y a certainement un malentendu. suzy : Vous etes incapable de faire une chose pareille... topaze : Vous niez l'évidence. castel-bénac : Allons, réfléchissez. Sans moi, vous seriez encore `a la pension Muche... C'est moi qui vous ai tout appris. topaze : Mais vous avez touché sept cent quatre-vingt-cinq mille francs. Jamais un éleve ne m'a rapporté ça... castel-bÉnac : Non, non, je ne veux pas le croire. Vous etes un honnete homme. (Topaze rit.) Vous pour qui j'avais de l'estime... Et meme de l'affection... Oui, de l'affection... Penser que vous me faites un coup pareil, pour une sale question d'argent... J'en aurais trop de peine, et vous aussi... N'est-ce pas Suzy ? Dites-lui qu'il en aura de la peine... Qu'il le regrettera... (Elle regarde Castel-Bénac avec mépris. Dans un grand élan.) Tenez, je vous donne dix pour cent. TOPAZE : Mais non, mais non... Voyez-vous, mon cher Régis, je vous ai vu `a l'œuvre et je me suis permis de vous juger. Vous n'etes pas intéressant. Vous etes un escroc, oui, je vous l'accorde, mais de petite race. Quinze balayeuses, trente plaques d'égout, six douzaines de crachoirs émaillés... Peuh... Le jeu n'en vaut pas la chandelle. Quant aux spéculations comme celle de la pissotiere `a roulettes, ça, mon cher, ce ne sont pas des affaires : c'est de la poésie toute pure. Non, vous n'etes qu'un bricoleur, ne sortez pas de la politique. castel-bénac, `a Suzy : Eh bien, ça y est. C'est le coup du chimpanzé. SUZY : Voil`a tout ce que vous trouvez `a dire ? castel-bÉnac : Que peut-on dire `a un bandit ? (A Topaze.) Vous etes un bandit. suzy, hausse les épaules : Allez, vous n'etes pas un homme. Topaze, acte IV, scene 2 (Fasquelle)