Didier Van Cauwelaert[1], La vie interdite Je suis mort `a sept heures du matin. Il est huit heures vingt-huit sur l’écran du radio-réveil, et personne ne s’en est encore rendu compte. Le roman sur lequel je me suis endormi hier soir s’est refermé autour de mon pouce. Dans un premier temps, naturellement, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un cauchemar et que le bulletin météo allait me replonger comme tous les matins, `a neuf heures, dans la réalité commune. Mais l’étrangeté de ce reve `a image fixe, mon corps immobile qui ne respire plus, vu de l’extérieur en plan large avec effet de plongée, a fini par lézarder cette hypothese. Encore incrédule bien que déj`a résigné, j’ai passé en revue mes souvenirs de la nuit, cherchant une angoisse, une douleur, une rupture, mais je n’en ai retiré qu’un sentiment de continuité qui me laisse sans prise. (…) La derniere pensée que j’ai formulée de l’intérieur, le nez dans l’oreiller, a été : « Faisons le mort. » C’est réussi. ------------------------------- [1] Auteur français né en 1960 `a Nice. Son ambition littéraire est précoce puisque il écrit un polar `a l’âge de huit ans. Mais le succes n’est pas immédiat et il doit attendre quelques années pour recevoir le Prix Goncourt en 1994 pour Aller simple (mais, des 1982, il connaît le succes avec des romans comme Vingt ans et des poussieres, etc.)