6.5. La vie culturelle Le XVeme siecle est un siecle brillant par sa vie culturelle et artistique. Il est marqué par la création d’une université. Pour former sur place les élites et les fonctionnaires qu’exigeait l’administration bourguignonne, le duc de Brabant Jean IV obtient du pape MartinV l’autorisation de fonder l’université de Louvain (1425). Dirigée par le recteur magnifique qui a tous les pouvoirs administratifs et judiciaires, elle constitue une république dans la ville : elle jouit en effet de nombreux privileges lui permettant de s’administrer elle-meme. De nombreux étudiants vont suivre les cours en latin dispensés dans les facultés de Droit, de Médecine, de Philosophie auxquelles s’ajoutent en 1432 celle de Théologie. Les ducs de Bourgogne parlent le français et le flamand et exigent de leurs fonctionnaires la connaissance des deux langues. En justice, l’accusé peut se défendre dans sa langue maternelle. Cependant, le français (désigné depuis l’époque bourguignonne par le mot wallon) prévaut. En littérature, c’est en français que sont produites des œuvres historiques comme la Chronique de Georges Chastellain, qui a étudié `a Louvain, ou les Mémoires de Philippe de Commynes. La culture populaire s’épanouit quant `a elle grâce aux Chambres de rhétorique créées dans les villes et meme dans les villages. On y organise des représentations théâtrales et des concours littéraires. Les arts vont etre encouragés par les ducs de Bourgogne qui s’entourent d’artistes et par les grandes villes qui pratiquent le mécénat. Si, `a cette époque, s'affirment avant tout dans nos régions les œuvres des Primitifs flamands, l'enluminure (c'est-`a-dire la peinture des livres) n'en connaît pas moins une période florissante. Au cours de la deuxieme moitié du XIVeme siecle, se développe un style de cour, appelé également "style gothique international" inspiré de l’esprit courtois. (cfr les freres de Limbourg qui travaillent pour le duc de Berry). Si la France incarne jusqu'`a l'aube du XVeme siecle un foyer de création artistique, des les années 1420-1425, l'essentiel de la création est assuré par les Pays-Bas méridionaux ou s'impose un style d'enluminure tourné vers une recherche de réalisme, voire de naturalisme (courant nommé "pré-eyckien"). Il se définit par : § une recherche de vérité dans le rendu des personnages et des scenes illustrées § une transformation de la représentation humaine : o silhouettes élancées qui deviennent trapues o moins de raffinement o plus d'authenticité Le réel essor de l'enluminure dans les Pays-Bas méridionaux se fera surtout dans la deuxieme partie du regne de Philippe le Bon (des 1445). Les ateliers d'Audenarde, de Mons, de Valenciennes, de Bruges, de Gand connaissent un développement sans précédent. Ils deviennent des centres actifs dans la production mais également dans la vente des manuscrits et des miniatures. De nombreux artistes étrangers s'installent alors dans les villes flamandes pour profiter d'un mécénat prospere intéressé par les commandes de luxe (cfr enluminures des Chroniques de Hainaut : travail peu novateur mais révélateur de la production de l'époque). La miniature frontispice[1] du premier volume des Chroniques de Hainaut, longtemps attribuée `a Rogier Van der Weyden, illustre l'attention que le duc accordait aux livres illuminés. En 1467, il legue `a son fils Charles le Téméraire 900 livres `a son fils… La peinture sur chevalet se substitue ensuite peu `a peu `a la miniature. Elle est illustrée par les écoles de Primitifs flamands, appellation étrange, car leur art, loin d’etre « primitif », est l’aboutissement de l’évolution esthétique du Moyen Âge. Par ailleurs, tres peu d’entre eux sont véritablement flamands : § Jan Van Eyck est originaire de la principauté de Liege, ou il a travaillé longtemps avant d’aller s’installer `a Bruges, § Rogier de le Pasture est Tournaisien, et ce n’est que lorsqu’il s’installe `a Bruxelles qu’il flamandise son nom, pour en faire « Van der Weyden ». § quant `a Hans Memling, il est allemand et œuvre longtemps `a Cologne avant de se fixer `a Bruges § seul Hugo Van der Goes est Gantois. Les critiques d’art distinguent des nuances « fluviales » entre ces grands maîtres : les Mosans (< Meuse) Van Eyck aiment la vie, la nature, les joies simples, tandis que les Scaldiens (< Escaut) de la Pasture et Van der Goes sont tous les deux sensibles au tragique de l’existence humaine. Le Gantois introduit notamment la misere rurale de son temps dans ses toiles. La peinture des Pays-Bas méridionaux va connaître au XVeme siecle un moment d'équilibre entre la conception de l'art du Moyen Âge et celle de la Renaissance. En Italie, des le début du XVeme siecle, les dernieres traces du gothique s'estompaient. Les artistes réalisent alors un nouvel idéal artistique : celui de la Renaissance. Un style nouveau naît de : § l'optimisme humaniste § la confiance dans les méthodes de la raison § l'artiste renaissant devait avant tout représenter le monde extérieur et donner la primauté `a l'homme, d'ou : § approfondissement de l'étude de l'anatomie § approfondissement de la connaissance de la perspective `a point central (la plus proche de la vision de l'œil humain) § épanouissement d'un certain naturalisme (en peinture comme en sculpture) Dans les Pays-Bas méridionaux, si la production est encore largement soutenue par les milieux de Cour et l'Eglise, les Villes et la bourgeoisie commencent elles aussi passer commande. Sous l'influence de cette nouvelle clientele, se confirme la tendance `a privilégier l'homme et la représentation du monde naturel. Les vastes programmes iconographiques sculptés dans la pierre des cathédrales du Moyen Âge disparaissent. Des la fin du XVeme siecle, des retables succede aux tympans et aux chapiteaux pour exposer aux fideles les Écritures. De proportions imposantes, le retable se présente soit sous forme d'un panneau simple soit sous forme d'un triptyque ou d'un polyptyque comme le polyptyque de L'Agneau mystique (1432) peint par les freres Van Eyck. Pour leurs tableaux `a sujet religieux, les Primitifs flamands s'appuyaient notamment sur l'Ancien et le Nouveau Testament mais également sur les Évangiles apocryphes, c'est-`a-dire non reconnus aujourd'hui comme ayant écrit sous l'inspiration de Dieu, ainsi que des légendes que l'Église avait alors tolérées sans vraiment les reconnaître, comme par exemple La Légende dorée de Jacques de Voragine (XIIIeme s.). Mais les Primitifs flamands ne se limiterent pas aux sujets religieux : § sujets profanes : il nous en reste peu en dehors de ceux de Jérôme Bosch (les textes nous renseignent `a ce sujet) § les tableaux de justice : but moralisateur car, placé dans les tribunaux, ils étaient l`a pour rappeler aux juges leur devoir. § le portrait : "la plus étonnante conquete des Primitifs flamands". La volonté de rendre un visage en s'attachant aux traits vus de profil apparaît au siecle précédent mais Van Eyck va lui donner ses lettres de noblesse en présentant le modele de trois-quarts (avec effets d'ombre et de lumiere) § l'étude psychologique des portraits sera approfondie par Van der Weyden, Hans Memling Pour rendre de façon la plus réaliste les effets de la lumiere, les Primitifs flamands vont devoir mettre au point de nouvelles techniques. L'utilisation de l'huile dans la tradition picturale remonte loin dans l'histoire de la peinture médiévale. Dans les années 1420, Jan Van Eyck va mener cette technique `a sa perfection grâce `a l'utilisation des glacis : grâce `a cette innovation, ils obtiendront des résultats spectaculaires dans le rendu des couleurs et des textures (éclat et brillance). L’architecture, elle, adopte le style du gothique flamboyant pour la construction d’églises (la collégiale Sainte-Waudru `a Mons, la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule `a Bruxelles), d’hôtels de ville (Louvain, Bruxelles). Ce style se caractérise par un jeu complexe de lignes courbes et de clochetons ajourés. En musique, les grands compositeurs bourguignons de l’époque sont qualifiés de « franco-flamands » ; en fait la plupart d’entre eux sont du Hainaut. Jean Tinctoris, Obrecht, Josquin des Prés entre autres ont poussé au sommet de ses possibilités la musique polyphonique dans le pathétique des compositions religieuses. 6.6. Le virage bourguignon pour le Luxembourg L’accession au trône impérial d’Henri VII en 1308 fait entrer le Luxembourg dans la cour des grands. En effet l’acquisition du royaume de Boheme (1310) pour le compte de son fils Jean ouvre, pour le Luxembourg, des perspectives nouvelles `a l’est, dans les confins orientaux de l’Empire… Conséquence fatale, les souverains se détournent de leur pays natal qui fait pâle figure `a côté de la Boheme et sa métropole, Prague… La grande politique coute cependant tres cher : la maison du Luxembourg en vient `a céder son duché `a ses créanciers, en se réservant toutefois le droit de le racheter (ce qu’ils ne feront jamais, faute de moyen). La créance passe de main en main et, finalement, Philippe le Bon achete les droits sur le Luxembourg. Philippe se fait nommer gouverneur du Luxembourg. En 1443, il affirme sa domination en conquérant la principale cité dans une opération nocturne de commando durant laquelle les Bourguignons escaladent les murailles de la ville. C’est la logique territoriale qui a dicté `a Philippe l’acquisition du Luxembourg, maillon indispensable entre les possessions héréditaires du Sud (Bourgogne, Franche-Comté) et les principautés du Nord, patiemment acquises depuis 1384 par les ducs de Bourgogne. A l’époque, le Luxembourg, pays rural et sous-développé, sans ville réelle en dehors de la capitale, fait pauvre figure `a côté des riches villes du Nord. Mais son intéret stratégique est énorme et il le conservera jusqu’au XIXeme s., quand le traité de Londres (1867) décrétera le démantelement des fortifications de la capitale. L’acquision du Luxembourg constitue une étape importante dans la consolidation de l’Etat bourguignon, état d’entre-deux, `a cheval sur le royaume de France et le Saint-Empire. Pour le Luxembourg, le destin prend une autre direction puisque désormais intégré `a l'Etat bourguignon, il va suivre le sort des Pays-Bas méridionaux. L’impact politico-culturel sera également tres important. Ainsi, si au niveau politique, les ducs de Bourgogne ont bloqué les ambitions des Français, ils ouvrent la porte `a son influence culturelle. Ils introduisent le français dans l’administration ou en fortifient l’usage l`a ou il était déj`a d’usage. Notons qu’`a l’époque, les questions linguistiques ne sont pas perçues comme des questions politiques. Au cours des siecles suivants, le Luxembourg, traditionnellement tourné vers Treves et Metz, s’oriente de plus en plus vers les Pays-bas. En d’autres termes, il s’éloigne de plus en plus de l’Allemagne, au niveau culturel et politique, alors que juridiquement il est une partie du Saint-Empire jusqu’`a la conquete par les troupes de la France républicaine (1795) et qu’au niveau linguistique la moitié de la population est germanophone. Au fil des siecles, le sentiment d’appartenance `a l’Empire s’estompe. Avec la culture française, les ducs amenent l’abolutisme `a la française, avec une forte centralisation. Les Luxembourgeois manifesteront une certaine résistance face `a ces principes. Mais Philippe le Bon châtiera séverement la capitale qui a osé lui tenir tete : les autorités municipales sont destituées, les libertés suspendues. En habile diplomate, il accorde les premieres concessions 6 semaines plus tard et les dernieres 18 ans plus tard. Philippe réorganise l’administration du duché en y introduisant les principes de comptabilité bourguignonne. VII. Les Pays-Bas sous les Habsbourg d’Espagne (1506-1715) Lorsque Marie de Bourgogne meurt, on l’a vu, les terres passent `a la maison des Habsbourg : son mari est choisi comme régent au nom de son fils Philippe qui n’a que quatre ans. D’abord bien accueilli en 1477 lors de la guerre avec la France, il va tres vite se trouver en conflit avec les villes flamandes qu’il va finir par mater. En 1494, il remet le pouvoir `a son fils naturel, Philippe le Beau, que les gens de nos régions considéraient comme « prince naturel » car il est né `a Bruges et a été élevé aux Pays-Bas. Philippe, surnommé le Beau, va épouser deux ans plus tard Jeanne de Castille, qui ne vient qu’en quatrieme ligne dans la succession d’Espagne. Mais les trois autres héritiers meurent et Philippe, souverain des Pays-Bas, devient donc aussi roi d’Espagne. Ainsi les provinces belges tombent dans l’orbite espagnole et ce, pour deux siecles. 7.1. Charles Quint (1506-1555) Né `a Gand en 1500, éduqué `a Malines, parlant le flamand et le français, Charles (le futur Charles Quint) est considéré comme un prince naturel par les habitants de nos régions, ainsi que l’avait été son pere. En 1506, lorsque son pere décede, il est âgé de six ans. Mais en 1515, il est déclaré majeur par les États généraux des Pays d’en-bas réunis `a Bruxelles. En 1516, il devient roi d’Espagne, des Deux-Siciles et souverain des colonies d’Amérique. En 1519, `a la mort de son grand-pere Maximilien, il reçoit l’Autriche. La meme année, il se fait élire empereur au grand dam[2] du roi de France, François Ier, qui convoitait également le titre. Des lors, ses intérets essentiels ne se situent plus aux Pays-Bas ou il ne réside plus guere et ou il se fait représenter par une gouvernante : sa tante d’abord, Marguerite d’Autriche (qui avait déj`a assumé la régence durant sa minorité), puis Marie de Hongrie, sa sœur. Quant `a lui, il se lance dans une politique européenne et dynastique. A. Les XVII provinces Charles Quint poursuit la politique de regroupement et de centralisation qui avait été entamée lors de la période bourguignonne. François Ier, furieux de ne pas etre empereur, va mener une guerre contre Charles V. Ce dernier va en profiter pour acquérir de nouveaux territoires au détriment du roi de France et de ses alliés. Ainsi entre 1521 et 1543, Charles va s’emparer de Tournai, de la Frise, des pays d’Utrecht et d’Overijssel, de Groningue, de la Drenthe, du duché de la Gueldre et du comté de Zutphen. Les Pays d’en-bas vont bientôt former un ensemble de XVII provinces appelées de plus en plus souvent Pays-Bas comprenant : § 4 duchés : Brabant, Limbourg, Luxembourg, Gueldre ; § 7 comtés : Flandre, Artois, Hainaut, Namur, Hollande, Zélande, Zutphen ; § 6 seigneuries : Tournai, Malines, Utrecht, Overijssel, Frise, Groningue. En 1518, Charles achete l’alliance des Liégeois. En échange d’argent, l’empereur obtient l’appui militaire du prince-éveque. Non content d’agrandir ses Pays d’en-bas, il décide, en 1548, d’en faire un ensemble indépendant de l’Empire. La barriere qui, depuis 843 (traité de Verdun), séparait la Belgique actuelle en deux régions distinctes relevant l’une de la France, l’autre du Saint-Empire, tombe `a ce moment. Désormais, le pays forme un seul État soumis `a son prince naturel. En 1549, il fait accepter par les états provinciaux la pragmatique sanction qui instaure des regles de succession identiques dans toutes les principautés. B. L’empire de Charles Quint, un ensemble menacé Sans conteste le souverain le plus puissant de la chrétienté, Charles Quint domine, au sommet de sa puissance, un ensemble de territoires comprenant les royaumes espagnols d’Aragon et de Castille, les États italiens de Naples, de Sicile et de Sardaigne, les Pays-Bas, l’Alsace, la Franche-Comté, ainsi que l’ensemble des possessions des Habsbourg en Europe centrale, et les territoires conquis en Amérique et en Afrique. Il hérite de la couronne d’Espagne peu de temps apres 1492, année qui a vu la fin de la reconquista contre les Musulmans, la découverte de l’Amérique, et l’expulsion d’une bonne partie des juifs de la péninsule ibérique, dont beaucoup ont été contraints d’abandonner leurs richesses. On a dit de Charles Quint qu’il régnait sur un empire « sur lequel le soleil ne se couche jamais ». Le roi de France, François Ier, qui avait prétendu au titre impérial, se sent menacé par la puissance de son voisin, dont les possessions territoriales encerclent la France. De fait, de nombreuses guerres opposeront les deux souverains entre 1522 et 1556. Mais lors de chacun des conflits contre la France, Charles Quint cherche `a hâter la paix afin de se consacrer, en sus des guerres religieuses intestines, `a la défense de l’Empire contre la menace ottomane. En effet, le sultan Soliman I^er, apres avoir soumis la péninsule balkanique, déclare la guerre `a la Hongrie en 1526 et remporte la meme année la bataille de Mohács. Trois ans plus tard, les Turcs assiegent Vienne. En 1547, Ferdinand I^er, roi de Boheme et de Hongrie, frere de Charles Quint, doit signer un traité de paix avec les Turcs. Incapable de maintenir la paix dans son empire, en particulier dans sa partie allemande, Charles échouera donc dans sa tentative de repousser les Turcs. Déj`a, son accession au trône impérial coincide avec la montée en puissance du luthéranisme, ce qui crée un antagonisme religieux entre les princes germaniques et l’empereur. En 1530, Charles réunit la diete (assemblée) d’Augsbourg pour tenter de régler le probleme religieux, mais les princes protestants lui opposent le document connu sous le nom de Confession d’Augsbourg, dont la teneur, inacceptable aux yeux de l’empereur, précipite l’échec des négociations et détermine la formation par les princes de la ligue de Schmalkalden (1531). Les troubles agitant l’Empire et le conflit avec les Turcs contraignent l’Empereur `a différer son projet de soumettre les protestants, auxquels il reconnaît certaines libertés. Plus tard, Charles Quint reprend les hostilités contre la ligue de Schmalkalden, qui se transforment en guerre civile. Le 24 avril 1547, l’Empereur remporte `a Mühlberg une victoire décisive sur les protestants. Cependant, en 1551, la prise de Magdeburg, fief du catholicisme, oblige Charles Quint `a reculer devant les réformés. En 1552, il conclut, grâce `a l’intervention de son frere Ferdinand I^er, le traité de Passau assurant la liberté religieuse aux États luthériens. En 1555, l’accord est confirmé par la paix d’Augsbourg. C. La centralisation monarchique La centralisation, reprise par Philippe le Beau, va encore etre renforcée sous Charles Quint. En effet, quand, en 1531, Marguerite d’Autriche s’installe `a Bruxelles (qui fait désormais figure de capitale), Charles place aupres d’elle 3 conseils collatéraux afin de l’aider `a gouverner : § le Conseil d’État est consulté sur les affaires politiques ; § le Conseil privé s’occupe des questions judiciaires et législatives ; § Le Conseil des Finances a en charge les questions financieres (impôts, revenus du prince, monnaie). Le Grand Conseil, cour de justice supreme, rétabli par Philippe le Beau `a Malines, y est maintenu. Au niveau provincial, Charles installe un gouverneur `a la tete de chaque province. Celui-ci promulgue les ordres du pouvoir central, commande les forces armées, préside les États provinciaux. Ceux-ci veillent `a la bonne administration de la principauté et votent les impôts. Ils discutent aussi des demandes de subsides introduites par l ‘empereur et envoient leurs délégués donner la réponse aux États généraux qui sont convoqués presque chaque année. Au niveau local, l’administration locale comporte le bailli qui représente le souverain dans les tribunaux urbains et les échevins qui administrent les finances de la ville et qui sont juges de premiere instance. Charles Quint se réserve le droit de les nommer. D. Lutte contre le protestantisme Des 1517-1518, les theses de Luther se répandent `a Anvers et, de l`a, `a l’ensemble des Pays-Bas. A partir de 1529, les anabaptistes arrivent dans les provinces flamandes et gagnent `a leur cause de nombreux artisans et pauvres des milieux urbains qui voient dans la Réforme la promesse d’un nouvel ordre social. Puis, apres 1543, le calvinisme arrivé par le sud (Tournai) s’implante solidement au nord des Pays-Bas. Alors qu’il s’efforce d’unir politiquement les Pays-Bas, Charles Quint ne peut supporter que ceux-ci soient déchirés par des dissensions religieuses, l’unité religieuse étant le fondement de l’unité politique. C’est pourquoi, contre ces hérésies, l’empereur prend des mesures rigoureuses. En 1520, paraît le premier de ses douze placards (ordonnances contre les réformés[3]) qui ordonnent aux magistrats de poursuivre les hérétiques. Les magistrats laiques étant trop tolérants, l’empereur installe, des 1522, une Inquisition d’État qui reçoit les pleins pouvoirs pour rechercher, d’emprisonner, de torturer, de mettre `a mort les réformés. Par ailleurs, il introduit la censure des écrits religieux. E. Anvers : grandeur et prospérité Le regne de Charles Quint est marqué par une grande prospérité. Anvers, qui a supplanté Bruges, apparaît comme le symbole de cette richesse. Le centre de gravité du commerce mondial s’étant déplacé de la Méditerranée vers l’Atlantique, Anvers devient la premiere métropole commerciale d’Europe. Son port connaît un trafic quatre fois plus important que celui de Londres. Anvers est non seulement un débouché pour les industries locales (toiles, draps, tapisseries, produits métallurgiques du pays de Liege) mais aussi un entrepôt pour les marchandises du monde entier : les draps anglais, la laine espagnole, les sucres tropicaux, les vins de France, les épices apportées des Indes par les Portugais, les produits de luxe venant d’Italie, le cuivre allemand, les blés de la Baltique. La Bourse est fréquentée par des marchands anglais, italiens, espagnols, allemands… De l’étranger, arrivent également des banquiers. Bref, la présence de ces nombreux étrangers lui donne un caractere cosmopolite rarement vu en Europe. Cette activité commerciale intense encourage des industries nouvelles, non réglementée : verrerie, taille du diamant, imprimerie, raffinage du sucre. F. Les problemes de l’époque Dans ce tableau idyllique, il faut pourtant noter quelques problemes. Toutes les provinces des Pays-Bas ne sont pas aussi prosperes que la région d’Anvers. Les inégalités sociales s’accentuent. Alors que l’on voit s’enrichir des hommes d’affaire anversois, on constate l’appauvrissement de la petite noblesse, des maîtres de corporation, des petits paysans, des ouvriers des nouvelles industries mal payés et sans protection. La mendicité et la pauvreté gagnent du terrain. Régulierement, le chômage et les montées des prix aggravent la misere. C’est dans ce climat de dégradation du climat économique et social que commence le regne de Philippe II. 7.2. Philippe II (1555-1598) Épuisé par les luttes constantes, tant internes que frontalieres, Charles Quint cede entre 1555 et 1556 les Pays-Bas et l’Espagne `a son fils Philippe II et abdique de sa charge impériale en 1556, en faveur de son frere, Ferdinand Ier, pour se retirer au monastere de San Jerónimo de Yuste en Estrémadure. Contrairement `a son pere, Philippe II est né et élevé en Espagne : il se sent donc completement étranger aux Pays-Bas. En outre, parlant `a peine français et ignorant le flamand, il est considéré comme un prince étranger par les habitants de nos régions. Alors que Charles Quint ne connaissait pas de résidence durable, Philippe se fixe, des 1559, au palais de l’Escurial `a Madrid d’ou il impose sa politique aux Pays-Bas. A. La révolte politico-religieuse du XVIeme s. La révolte va éclater des le début du regne de Philippe. Celle-ci a plusieurs causes, politique et religieuse. Au niveau politique, Philippe prétend appliquer aux Pays-Bas l’absolutisme des rois catholiques d’Espagne. Si le pouvoir de Charles Quint s’était exercé avec une certaine souplesse dans les XVII Provinces, notamment au travers de l’action des deux gouvernantes générales, Marguerite d’Autriche et Marie de Hongrie, le centralisme de Philippe II s’exprimera pour sa part sans nuance. La lieutenante générale des Pays-Bas, Marguerite de Parme, n’a qu’une liberté d’action tres limitée, car elle ne peut prendre aucune décision sans l’accord de la Consulta, un conseil politique secret composé de trois membres, qui obéissent aveuglément `a Philippe II : Granvelle, éveque d’Arras, le juriste Vigilius et le seigneur de Berlaimont. Les nobles du Conseil d’État se voient ainsi réduits au rôle de figurants. Au niveau religieux, Philippe II, catholique intransigeant[4], veut par tous les moyens arreter la progression de la Réforme. Pour cela, il instaure un régime de terreur : il fait exécuter les placards de son pere avec une grande sévérité et ordonne des exécutions secretes. Par ailleurs, il modifie la répartition des évechés. En effet, avec l’accord du pape Paul IV, il remplace les cinq anciens dioceses par 18 évechés ; les évechés de Cambrai, Utrecht et Malines deviennent des archevechés ; Granvelle est promu archeveque de Malines et cardinal. Les éveques ne sont plus nommés par l’Église mais bien par le roi. Cette innovation mécontente le clergé (car les nouveaux éveques sont rémunérés avec les revenus des abbayes), la noblesse (car les évechés sont confiés aux docteurs en théologie et non plus aux cadets des riches familles), et enfin le peuple (qui craint une aggravation de l’Inquisition). B. Résistance et répression Les comtes d’Egmont et de Hornes ainsi que Guillaume d’Orange, prince d’Orange, tous trois membres du Conseil d’État, vont, les premiers, se faire les porte-parole du mécontentement des nobles. Dans un premier temps, ils obtiennent le départ des troupes espagnoles (1561) ainsi que celui de Granvelle (1564). Le comte d’Egmont se rend `a Madrid pour demander au roi de modérer l’Inquisition. Mais ce dernier était `a peine rentré d’Espagne que Philippe envoyait ses lettres de Ségovie dans lesquelles il ordonne `a Marguerite de Parme d’appliquer les placards avec la derniere sévérité. Des 1565, plusieurs seigneurs décident de s’unir par le compromis des Nobles pour défendre les privileges des Pays-Bas et pour protester contre l’Inquisition. Des le début de 1566, 300 membres de cette ligue se rendent au palais de Marguerite de Parme afin de demander la suppression des placards, de l’Inquisition et des nouveaux évechés. Marguerite se montrant favorable aux nobles, le seigneur de Berlaimont s’étonne qu’elle puisse répondre `a la demande « de ces gueux ». Ainsi les membres de la ligue vont adopter le nom de Gueux (= mendiants) et prendre comme insigne l’écuelle[5] et la besace[6] du mendiant. En aout 1566, alors que l’agitation populaire augmente en raison de la famine et de la hausse du prix du pain, les calvinistes déclenchent la furie iconoclaste : ils s‘en prennent aux églises et monasteres, détruisent les statues... Ce mouvement se répand d’abord dans le sud et puis dans l’ensemble du pays. Mais ces exces ont pour conséquence le remplacement en 1567 de la lieutenante par le duc d’Albe, général espagnol, `a qui Philippe II confie la mission de réprimer l’hérésie et de supprimer les particularismes. Le duc d’Albe met en place un tribunal extraordinaire, le Conseil des troubles, dirigé par des magistrats espagnols et qui juge et condamne non seulement ceux qui ont participé aux désordres mais également ceux qui ne les ont pas empechés. Au total, 8000 condamnations `a mort en trois ans ! Ses victimes les plus célebres sont les comtes d’Hornes et d’Egmont qui sont exécutés sur la Grand-Place de Bruxelles le 5 juin 1568 alors qu’ils sont catholiques et chevaliers de la Toison d’Or. Le duc d’Albe annonce aussi la création d’impôts permanents devant servir `a payer les troupes d’occupation. La rigueur de cette politique va provoquer une révolte ouverte dans les provinces du Nord. Guillaume d’Orange devient le chef incontesté de la résistance, mais pendant longtemps, il lui manque une véritable armée. En 1572, les « gueux de mer » réussissent pourtant `a s’emparer d’une premiere ville côtiere, bientôt suivie par d’autres en Hollande et Zélande, provinces qui passent définitivement aux mains des insurgés. Le duc d’Albe est alors relevé de ses fonctions, son successeur attend vainement les fonds pour continuer la lutte et n’est pas remplacé lorsqu’il meurt, en 1576. C’est alors que les Etats généraux prennent le pouvoir et entrent en négociation avec les calvinistes du Nord. Le résultat des pourparlers est la Pacification de Gand par laquelle les Dix-Sept Provinces retrouvent momentanément leur unité. Elles demandent la fin des persécutions, le départ des troupes espagnoles et se mettent d’accord pour maintenir le calvinisme au Nord (ou il est majoritaire) et le catholicisme dans les autres provinces. C. La scission des Pays-Bas (1579) Tres vite, cette entente est remise en question. En effet, les calvinistes de Gand décident d’interdire le catholicisme dans leur ville et d’instaurer une république démocratique. En réaction, les nobles et bourgeois des provinces catholiques forment le groupe des Malcontents et créent en 1579 l’Union d’Arras : `a travers celle-ci, ils veulent maintenir la religion catholique et vivre en paix avec leur souverain, Philippe II, en s’entendant avec son nouveau représentant, Alexandre Farnese. La riposte des calvinistes ne se fait pas attendre : ils créent `a leur tour l’Union d’Utrecht qui regroupe sept provinces du Nord[7] et une douzaine de ville du Brabant et de Flandre : par celle-ci, les calvinistes rejettent l’autorité de Philippe II et proclament la création des Provinces-Unies. Assisté des Malcontents, Farnese, qui a été nommé gouverneur général des Pays-Bas, parvient `a reprendre par les armes les villes du sud: Tournai (en 1581 apres avoir été défendue par Christine de Lalaing), Ypres, Bruges, Gand et, en 1585, Bruxelles puis Malines et Anvers. La reconquete s’arrete lorsque Philippe II le rappelle pour lui confier la préparation de l’expédition de l’Invincible Armada contre Élisabeth d’Angleterre puis la direction des campagnes dirigées contre les Français. Les successeurs d’Alexandre Farnese au gouvernement général des Pays-Bas ne dépasseront jamais les grands fleuves. Des 1598, la scission des Pays-Bas est entrée dans les faits, meme si l’indépendance des Provinces-Unies n’est officiellement reconnue par l’Espagne que 1648, par le traité de Munster, apres la guerre de quatre-vingts ans. Les provinces du Sud, elles, restent sous l’autorité espagnole mais, des 1648, elles perdent, au profit des Provinces-Unies, la Flandre zélandaise, le Brabant du Nord, une partie du Limbourg comprenant Maastricht. La frontiere nord de la Belgique actuelle est déj`a plus ou moins dessinée. 7.3. Les Pays-Bas espagnols sous les archiducs Albert et Isabelle (1598-1621) En 1598, Philippe II, sentant sa mort proche, cede la gestion quotidienne des Pays-Bas `a sa fille l’archiduchesse Isabelle et `a son futur époux l’archiduc Albert, fils cadet de l’empereur germanique, Maximilien II. L’acte officiel de cession de 1598 comprend plusieurs clauses qui limitaient beaucoup l’action des archiducs. Tout d’abord, il stipulait que le territoire des XVII provinces retournerait `a l’Espagne si ceux-ci ne laissaient pas d’enfants ; que le catholicisme serait la seule religion tolérée ; que les provinces du Sud étaient interdites de commerce avec les colonies de l’Espagne. En outre, des clauses secretes obligeaient les archiducs `a se soumettre aux ordres de l’Espagne et `a maintenir les garnisons espagnoles dans plusieurs villes dont Anvers et Gand afin de reconquérir les provinces du Nord. L’indépendance des Pays-Bas n’est donc qu’illusoire et les archiducs, de simples gouverneurs. Conformément `a leur mission, ils vont continuer la guerre contre les Provinces-Unies qui ne les reconnaissent pas. A. 1599-1609 : continuation de la guerre des 80 ans Les bouches de l’Escaut étaient au contrôle des calvinistes : cela rend les provinces du sud vulnérables face aux Provinces-Unies. En 1600, Maurice de Nassau, fils de Guillaume d’Orange, débarque en Flandre zélandaise pour essayer d’occuper le littoral. Il empecherait ainsi les provinces catholiques d’avoir un acces `a la mer. Il gagne la bataille de Nieuport contre l’archiduc Albert mais il perd celle d’Ostende qui tombe apres trois ans de siege en 1604. Mais ce succes ne fut pas décisif. En effet, les archiducs manquent d’argent et d’hommes pour poursuivre les hostilités : ils demandent `a Madrid la permission d’arreter la lutte. En 1609, une treve de douze ans (1609-1621) est signée avec les Provinces Unies : au terme de cette treve, nos régions reviennent `a l’Espagne. En effet, en 1621, l’archiduc Albert meurt et sa femme Isabelle ne sera que la gouvernante des Pays-Bas (1621-1633). Néanmois, les archiducs profitent de la treve pour réorganiser les institutions. B. Réorganisation des Pays- Bas espagnols Sous les archiducs, les institutions survivent mais perdent leur pouvoir. Apres 1600, les États généraux ne se sont réunis qu’une seule fois en 1632. Les nobles sont tenus `a l’écart du pouvoir détenu par les trois conseils collatéraux ou siegent des fonctionnaires dévoués `a l’Espagne. Quant aux archiducs eux-memes, ils avaient moins de pouvoir que les secrétaires d’État et de guerre du gouvernement des Flandres en liaison directe avec Madrid. Les états provinciaux sont, eux, tenus en main par des autorités qui s’efforcent d’y introduire des personnalités dévouées. Durant cette période, les Pays-Bas deviennent presque exclusivement catholiques. Les protestants sont tolérés `a condition de ne pas pratiquer leur culte en public. Mais les pressions sont telles que la plupart d’entre eux préferent renier leur foi ou émigrer vers les Provinces-Unies, l’Allemagne ou l’Angleterre. 7.4. Le XVIIeme siecle : siecle de malheur Le XVIIeme siecle est marqué par des luttes incessantes dans les Pays-Bas espagnols.On peut sans exagérer parler d’un siecle de guerres et de misere générale, d’un siecle de malheur pendant lequel les Pays-Bas ont été le champ de bataille de l’Europe. C’est d’abord la guerre de Trente Ans (1618-1648) qui éclate. Les Provinces-Unies ont trouvé un puissant allié pour s’opposer `a la politique espagnole en la personne des rois de France. En 1635, les Hollandais et les Français unissent leurs forces pour démembrer les Pays-Bas espagnols, mais ils ne parviennent pas `a en déloger les Espagnols. Finalement, les victoires françaises et hollandaises forcent le roi d’Espagne, Philippe IV, `a accepter de signer une paix séparée avec les Hollandais en 1648. Le Sud, constitué par la Belgique et le Luxembourg actuels, reste sous domination espagnole. Le traité de Münster qui, avec les autres traités de Westphalie, met fin `a la guerre de Trente Ans donne Maastricht aux Hollandais, et l’Espagne accepte la fermeture de l’Escaut. Traversant le territoire hollandais, le fleuve a toujours été la seule voie d’acces `a la mer du port d’Anvers. Les traités ne mettent pas fin `a la guerre entre la France et l’Espagne. Durant tout son long regne, le roi de France, Louis XIV, refusera d’abandonner ses visées sur cette région. Les Pays-Bas espagnols deviennent un champ de bataille permanent, ce qui acheve de ruiner le pays. La paix des Pyrénées, en 1659, donne `a la France l’Artois, ainsi que plusieurs places fortes et régions frontalieres en Hainaut, en Flandre et au Luxembourg. La guerre de Dévolution (1667-1668) est en fait une guerre de conquete, mais, lors du traité d’Aix-la-Chapelle, Louis XIV doit se contenter de quelques places militaires aux frontieres du Nord. L’hégémonie française inquiete les puissances européennes qui se lancent dans la guerre de la ligue d’Augsbourg (1686-1697), sans arriver `a calmer les ambitions françaises. Les Pays-Bas espagnols sont `a nouveau le but de la guerre de Succession d’Espagne. La paix d’Utrecht, ensemble de traités signés entre 1713 et 1715, symbolise la fin du conflit et donne `a la France une partie de la Flandre, ainsi que Dunkerque et Lille. Cependant, la majorité du territoire est cédée `a l’Autriche, sous l’autorité de l’Empereur germanique Charles VI et, conformément au traité de la Barriere de 1715, des garnisons hollandaises de sureté occupent les forteresses situées aux frontieres de la France. Le territoire de la Belgique est alors composé des duchés de Luxembourg, de Gueldre, de Brabant, de Limbourg, des comtés de Hainaut et de Flandre, du marquisat de Namur et des villes de Tournai et de Malines. 7.5. La vie culturelle sous les Habsbourg d’Espagne : humanisme, renaissance et baroque Le développement culturel des Pays-Bas bourguignons se poursuit sous Charles Quint, et se centre principalement `a Anvers, ville des imprimeurs, dont le plus célebre est Christophe Plantin. Grand théoricien des idées de l’Humanisme, Érasme avait prévu le conflit qui opposerait l’esprit de la réforme `a celui de la tradition. S’il partageait la plupart des idées des protestants, l’auteur de l’Éloge de la Folie voulait s’ériger en arbitre neutre et critiquait la violence avec laquelle Luther défendait ses idées. Érasme avait reçu une pension `a vie de Charles Quint, « pour raison de ses grandes doctrines et littératures ». L’esprit ouvert et critique, partisan farouche de l’observation et de l’expérience, André Vésale révolutionna l’étude de la médecine en disséquant les cadavres des pendus. En botanique, le Malinois Dodonée compose une histoire des plantes en les classant, fait nouveau, d’apres leurs propriétés et usages. En géographie, Mercator construit des instruments de précision et établit un planisphere `a l’usage des navigateurs, alors qu’Ortelius d’Anvers ramene de ses innombrables voyages un atlas mondial qui sera réédité de tres nombreuses fois. La musique de la Renaissance voit apparaître et se développer les écoles nationales, obéissant chacune `a un tempérament propre. Présents `a Venise, `a Rome, en Baviere, `a Vienne, en Espagne, les compositeurs des Pays-Bas espagnols contribuent grandement `a cet essor. Les architectes voyagent beaucoup également, et ramenent le style Renaissance d’Italie, mais en se contentant dans un premier temps d’en intégrer des éléments au gothique. Parmi les plus beaux bâtiments construits selon la nouvelle esthétique, on peut citer l’hôtel de ville d’Anvers, œuvre de Corneille de Vriendt. En peinture, le courant italianisant connaît ses succes aussi, mais les noms les plus célebres du temps gardent une personnalité « nationale » tout en ne refusant pas l’essentiel de l’esprit nouveau. Jérôme Bosch est le peintre d’une démonologie qui implique l’homme tout entier. Son activité `a Bois-le-Duc est attestée de 1488 `a 1512. Seuls cinq de ses tableaux, et parmi eux La Tentation de Saint-Antoine et Le Jardin des Délices, sont signés "jheronimus bosch" mais aucun n'est daté. Dans un contexte religieux en plein changement, animé par le mouvement de l’humanisme bourgeois des XVeme et XVIeme siecles, Jérôme Bosch acquiert célébrité et respect de son vivant. Ses œuvres sont appréciées des membres du clergé et des personnages de haut rang qui les collectionnent, tels que Philippe le Beau, Marguerite d'Autriche, Philippe II. On sait que Jérôme Bosch fut enterré le 9 aout 1516 dans son village natal, dans lequel il a travaillé toute sa vie, contrairement aux autres peintres flamands des XVeme-XVIeme siecles. Ce qui le différencie également de ses contemporains est qu’il ne représente pas les personnages par leurs traits physiques mais par leurs traits de caractere. Par ailleurs, l’œuvre de Jérôme Bosch est clairement moralisatrice. Comme au Moyen Âge, la majorité de la population étant analphabete, il fallait trouver une alternative `a l’écriture pour diffuser les valeurs et les idées de l’Eglise : l’art était une des solutions. Les images reprises de la culture populaire dans l’œuvre de Jérôme Bosch nous paraissent mystérieuses mais leur symbolique devait etre plus limpide `a l’époque. Ses tableaux furent fort appréciés et tres imités des la fin du XVIeme siecle. Une de ses œuvres, Le Jardin des délices terrestres, est une œuvre morale et didactique. Ce tableau a pour objet la chute de l’Homme, selon une tradition iconographique établie au Moyen Âge : § sur le revers des volets, évocation de la création du monde, § sur les trois faces, représentation des perversions humaines. Pieter Bruegel est un uatre peintre important de l’époque. Il semble que Pierre Breughel l'Ancien[8] soit venu de la ville de Breda (Brabant Septentrional), aujourd’hui aux Pays-Bas. On pense qu’il étudia avec Pieter Coeck `a Anvers, dont il épousa la fille. En 1551, il devint maître `a la guilde de Saint-Luc, la corporation des peintres d’Anvers, mais en 1553 il se fixa `a Bruxelles. Il entreprit un voyage en Italie de 1552 `a 1553, dont il rapporte un grand nombre de croquis (suite des Grands paysages). C’est l`a qu’il mourut en septembre 1569. Leurs deux enfants, Pieter, dit Bruegel le Jeune et Jan, dit Bruegel de Velours, devinrent des peintres de renom. On considere souvent l’art de Bruegel (ou Brueghel, ou Breughel) comme la phase ultime d’une longue tradition de peinture flamande, initiée par Jan Van Eyck au XVe siecle. Bruegel peignit : § des scenes idéalisées de la vie quotidienne, fruits d’une observation minutieuse de la paysannerie, § des épisodes de la Bible qu’il situa dans des paysages de l’Europe du Nord contemporaine. Il y a toujours beaucoup d'humour dans les peintures de Breughel. Les peintures de Brueghel sont presque toujours comprises du premier coup d'œil (dans leur ensemble tout au moins, car nous hésitons parfois sur des détails). Cette étonnante clarté est due : § `a la précision de son dessin, fruit de ses études inlassables du sujet (beaucoup de ses dessins portent la mention : " d'apres nature ") § `a l'intensité des couleurs vraies § `a une habile composition Breughel se consacra d’abord aux paysages, auxquels il voua un intéret particulier toute sa vie. Ces croquis révelent le talent de Bruegel pour saisir l’atmosphere propre `a chaque saison et les qualités changeantes de la nature. On retrouve ces memes caractéristiques dans ses travaux plus tardifs, comme Chasseurs dans la neige. Ce chef-d'œuvre appartient `a la "série des Douze Mois". C'est plutôt au mois de décembre que Brueghel semble faire allusion en donnant une image synthétique de la nature et de l'homme en hiver : § la nature offre un visage familier : routes villageoises, plaines, arbres, glace, § mais elle englobe aussi des merveilles étrangeres : une montagne aux parois abruptes. § L'homme rentre chez lui, fatigué de ses travaux du jour, mais il prépare aussi son repas et se distrait en patinant. L'intéret de la toile réside surtout dans sa composition : Breughel a rendu la notion d'espace en disposant les arbres, les chasseurs et les chiens suivant une diagonale qui se prolonge `a travers les vastes étendues du centre et de l'arriere-plan du tableau. Ces memes arbres, s'opposant `a la diagonale formée par la pente de la colline du premier plan, ne font que réaffirmer le premier plan du tableau et établissent `a la perfection cet équilibre et ces ordonnances de rythmes, sans lesquels les détails les plus étonnants ne sauraient créer autre chose que la confusion. Au contraire des représentations de la fin du Moyen Âge sur les travaux des saisons et les miniatures consacrées aux mois de l’année, les paysages de Bruegel ne contiennent pas de clefs allégoriques ou symboliques. Ils témoignent de la simplicité de la vie `a la campagne, dans une nature qui évolue en symbiose avec l’homme. A côté de paysages, on trouve de nombreuses gravures nettement inspirées de l’univers étrange de Jérôme Bosch. On trouve l’empreinte de cette marque profonde dans la série de gravures intitulée les Sept Péchés capitaux (1556-1557), peuplée de personnages fantastiques, de créatures monstrueuses et de nains démoniaques. →Cette série témoigne des conflits religieux qui bouleverserent l’équilibre politique des Pays-Bas lors de la Réforme protestante. A la fin des années 1550, Breughel peignit une série de grands panneaux aux compositions complexes, décrivant divers aspects de la vie rurale flamande. ——→ Toutes ces œuvres, `a l’iconographie apparemment naive, expriment le désir d’une vie stable et une aspiration `a l’harmonie sociale. Bruegel continua d’explorer ce theme dans des œuvres plus tardives. Ainsi, dans la toile La Danse de paysans (entre 1566 et 1568), Breughel décida de mettre l'accent sur les circonstances qui accompagnent un événement plutôt que sur l'événement lui-meme. Pour lui, il devint plus important de décrire une danse paysanne flamande que la noce qui en était le prétexte. L’esprit de l’Humanisme et de la Renaissance fut arreté avec les troubles politiques et religieux qui marquerent le regne de Philippe II. Lorsque la vie intellectuelle reprit de la vigueur, sous les archiducs Isabelle et Albert, le Baroque triompha au travers de la Contre-Réforme. Le Baroque se propagea avec l’action des jésuites, pour qui l’art était un instrument de propagande, car il parlait au peuple. Fort logiquement, il s’imposa d’abord dans l’architecture religieuse, avant d’écrire aussi ses lettres de noblesse dans l’architecture civile, lorsque Pierre-Paul Rubens construisit sa propre demeure `a Anvers. Mais l’apogée du baroque est sans aucun doute la Grand-Place de Bruxelles, reconstruite apres son bombardement par les armées de Louis XIV, et sur laquelle les maisons de corporations rivalisent d’opulence et de magnificence. La peinture baroque flamande est restée mondialement célebre avec Pierre-Paul Rubens, seigneur bourgeois avide de connaissances qui gravit tous les échelons sociaux en meme temps qu’il glorifiait les victoires de la Contre-Réforme dans ses tableaux pleins d’éclat et de lumiere. Les disciples de Rubens furent nombreux et talentueux mais aucun ne parvint `a égaler leur maître. Citons quand meme Jacob Jordaens, dont l'œuvre, empreinte de verve et de réalisme, privilégie les scenes de genre et les banquets. ------------------------------- [1] Illustration placée en regard de la page titre d’un livre, gravure placée face au titre [2] Au grand dam de quelqu’un : au détriment de quelqu’un [3] C’est-`a-dire ceux qui ont adhéré `a la Réforme de Luther, le protestantisme. [4] Qui ne transige pas, n'admet aucune concession, aucun compromis. [5] Sorte de sac d'une matiere souple, long, ouvert par le milieu et dont les extrémités forment deux poches. [6] Assiette large et creuse. [7] Hollande, Zélande, Frise, Overijssel, Utrecht, la Guledre, Groningue [8] Ainsi appelé pour le différencier de Pierre Breughel le Jeune (1564/65-1637/38), fils aîné de Pierre Breughel l'Ancien.