EXEMPLIER : Les Nouvelles récréations de Bonaventure des Périers A. Aperçu rapide de traits typiques de la syntaxe du 16e présents dans le texte 1.Négation totale par NE seul sans forclusif - devient minoritaire au 16e par rapport au tour avec le forclusif; survie du phénomene au 17e s. : Le bien d’autrui tu ne prendras, Boileau, 17e ds Grevisse); cf. des tours du français moderne 2. NE conjonction de coordination - ni est rare en afr : Je ne remanroie ne chi ni aillours (Tristan en prose, 13e) - emploi du coordonnant ne en atmosphere virtualisante (non pleinement positive) : Qui t’a donné ne loy ne privilege d’aller toucher et aller faire tes massacres Au cabinet des sainctes Muses sacrés ? (Marot, Au roy du temps de son exil) 3. Omission du pronom personnel sujet 4. Ordre de pronoms autre qu’en français actuel - pronom pers. régime direct de la 3e P précede le pronom régime indirect ; encore au 17e : Comme je le vous dis (Malherbe, ds Grevisse) - dans la coordination de deux impératifs positifs, le pronom personnel peut se situer avant le vb. au lieu de le suivre; courant jusqu’au 18e s. et dans un style poétique meme au 19e : Poete, prends ton luth et me donne un baiser (Musset, N. de Mai, ds Grevisse) 5. Emploi du pronom personnel il avec une valeur de démonstratif neutre devant les verbes impersonnels - encore courant au 17e s. (cf. le texte de Moliere `a étudier dans les prochains cours) - survivances en fr. actuel : il est vrai, s’il vous plaît 6. Spécificités de l’emploi du subjonctif - omission de la béquille QUE fréquente en afr : Fel seie se jol ceil (Chanson de Roland) ; - survivances : Vive le roi ! Ne vous en déplaise, Plut `a Dieu !.... 7. Le participe présent peut s’accorder en nombre et parfois aussi en genre avec le substantif régissant B. Propositions subordonnées participiales et infinitives 1. Le Pape y estant arrivé avant le fils et ayant demandé `a boire, ce sommelier, qui pensoit ce vin [un vin empoisonné] ne luy avoir esté recommandé que pour sa banté, en servit au Pape - (Montaigne, Essais) 2. La subordonnée infinitive aujourd’hui : - Il a emmené les enfants voir le film ; J’entends les oiseaux chanter 3. La subordonnée participiale en français moderne : - Le spectacle terminé, les comédiens saluent le public. (Grammaire méthodique du frs); Sa niece arrivant, c’était le feu dans la maison. (Nerval); Ceci dit, le probleme subsiste. C. Relatives I. différences syntaxiques par rapport au français moderne - I. 1) tours impossibles en fr. moderne a) relative - hypothétique - cf. Et saichiez bien, ki ne fust amereus,/Mout fust la voie et boine et deliteuse. (Conon de Béthune, Chansons, 12e-13e s.) - Qui le meillor chastel de Frise me donast, n’eüsse tel joie. (Huon le Roi, Vair palefroi,12e s.) b) absence de la reprise de l’antécédent l`a ou le frs. moderne l’exige - tours du type : - Le train a encore pris du retard, ce qui m’a irrité; Son fils a échoué, ce dont il n’était pas content. héritage de l’afr: - Et il l’emporta [l’écu] sor nostre deffens, dont il se puet tenir por fol. (Queste del Saint Graal, 13e s)) c) éloignement entre l’antécédent et le relatif I.2) phénomenes possibles, mais utilisés dans des conditions/proportions différentes I.1. c) éloignement de l’antécédent et du relatif : (Ambroise, Estoire sainte 3200): Cele estoire [flotte] dont jo disoie/Garda si le port e la veie/Par ont les genz Deu arivoient/Que tut le port en eschivoient,/Si que nul securs ne veneient/A cels qui a Deu se teneient./L’iverns aprosma qui veneit,/Que d’estorer ne lor teneit [dans le glossaire traduit : « il ne leur était pas possible ? de faire des provisions »] ;/Lor fossé orent acompli,/Ki puis refud a force empli./En cel yvern firent chastels/E piereries e mangoniels/E chatz et truies e cercleies,/Ou laborouent tote veies./E cil enforçouent la vile/A ovrier plus de trente mille,/E firent portes e toreles,/Barbekanes forz e noveles… Les grammairiens du 17e s. condamnent la pratique EXEMPLIER - LANGUE DU 17e SIECLE 1) v. 402 : Tenir `a honneur Construction du fr. classique : l’attribut de l’objet direct du verbe tenir est un substantif sans article, précédé de la préposition `a : Les plus grands y tiendront votre amour `a bonheur (Corneille, Pol., II, I, ds Grevisse) Exceptionnellement encore au 20e s. : Si vous venez me voir, je tiendrai cela `a honneur (Ac., ds Grevisse) En français moderne, c’est le tour [tenir pour + attribut de l’objet direct] qui prévaut : On le tenait pour le plus grand poete anglais de l’époque (J. Bremond, ds Grevisse) On rencontre aussi [tenir + 0 + attribut] : Je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout (Pascal, ds Grevisse) et, exceptionnellement, tenir comme + attribut (cf. Grevisse). 2) v. 419-420 : proverbes anciens Qui son chien viaut tuer la rage li met sus. (Mor 2146) Amors de segnor n’est mie heritaige. (Mor 84); „Proverbialement : service de grand n’est pas héritage“ (Furetiere, s. v. Grand Héritage) 3) 455 : peste...! (au figuré „personne perverse, nuisible“, en emploi moins familier qu’aujourd’hui) - fréquemment utilisé dans la langue comique „comme exclamation exprimant la mauvaise humeur, la malédiction ou une surprise admirative“ (Dubois et al., Dictionnaire du fr. classique): „Peste de l’avocat! - Ah, peste de toi-meme! (Racine, Plaideurs); Peste soit l’insolent! (Moliere, Don Juan); Peste! Ou prend mon esprit toutes ces gentillesses? (Moliere, Amphitryon) 4) v. 461 : (mot) sauvage „On dit qu’un mot, une phrase ou la construction est sauvage quand il y a quelque chose de rude `a quoi on n’est pas accoutumé, qui paraît étranger“ (Furetiere) 5) Si fait (v. 468 et 506) - Je crois qu’il n’a pas été l`a. - Si fait, il y a été. Si fait vraiment. (Littré) - Tu ne penses pas rester dans ce trou? - Si fait. (Paul Claudel, Le Pain dur) « Si fait se dit encore ; non fait ne se dit plus. » (Littré, 2e moitié du 19e) 6) L’imparfait (le plusqueparfait) du subjonctif dans une complétive `a verbe recteur au conditionnel (v. 468) Comment voudriez-vous qu’ils traînassent un carrosse, qu’ils ne peuvent pas se traîner eux-memes? (Moliere, Avare, III, 1) Serait-il possible, Monsieur, que vous pussiez guérir aussi cette maladie d’esprit? (Moliere, Médecin malgré lui, III, 6) Je voudrais que vous l’eussiez entendue parler l`a-dessus. (Id., Avare, II, 5) Littré : « ...il est non seulement permis de mettre le présent du subjonctif, mais la plupart du temps, cela vaut mieux que l’imparfait et est moins appreté et moins puriste » (s. v. que) (A part ce cas, en français classique, les regles de la concordance des temps du subjonctif sont déj`a les memes qu’en français moderne. Mais le subjonctif peut s’émanciper de la concordance des temps, en accentuant sa valeur hypothétique : p. ex. : Avise, et si tu crains qu’il te fut trop infâme/De remettre l‘Empire en la main d’une femme,/Tu peux des aujourd’hui le voir mieux occupé“) 7) v. 474 : jargon : Furetiere : 1) « langage vicieux et corrompu du peuple et des paysans qu’on a de la peine `a entendre. Par toutes les provinces le peuple parle un jargon distinct du langage des honnetes gens » ; 2) « langage factice dont les gens d’une meme cabale conviennent afin qu’on ne les entende pas, tandis qu’ils s’entendent bien entre eux. Tel est le jargon de l’Argot dont se servent les coupeurs de bourses, les bohémiens, qui est composé pour la plus grande partie de mots tirés du grec ». 8) v. 483 : De pas mis avec rien tu fais la récidive - cumul de deux forclusifs Fréquent au 17e : - On ne veut pas rien faire ici qui vous déplaise (Racine, Plaideurs, 472) Ne faites pas semblant de rien (Moliere, Bourgeois gentilhomme, V, 6) Je ne veux point rendre de mauvais offices `a personne. (Balzac, Lettre VII, 50) Emploi critiqué par Vaugelas (Remarques, p. 405, ds N. Fournier, Grammaire). 9) v. 503, gourmer - Furetiere : « se battre `a coups de poing. Il n’est guere en usage que parmi les écoliers, les laquais et les gens de basse condition » 10) v. 1002 : énallage L’énallage est, selon Fontanier, « l’échange d’un temps, d’un nombre ou d’une personne, contre un autre temps, un autre nombre, une autre personne » (P. Fontanier (1821-1827), Les figures du discours) Le pere lui laissa digérer sa disgrâce./Un mois de la sorte se passe./L’autre mois, on l’emploie `a changer tous les jours/Quelques chose `a l’habit, au linge, `a la coiffure. (La Fontaine, cité dans C. Fromilhague, Les Figures de style, Nathan, coll. 128, 1995; exemple d’un double énallage) 11) v. 1643 : Mon congé cent fois me fut-il hoc 1. « On dit proverbialement, cela m’est hoc, pour dire je suis assuré de gagner ce proces, d’avoir cette succession, de faire mon coup » (Furetiere) 2. emploi du subjonctif imparfait dans une concessive paratactique avec postposition du clitique (aujourd’hui seulement en style soutenu avec avoir, etre et devoir) 12) v. 1644 : La poule ne doit point chanter devant le coq 1. Proverbe ; cf. Femme qui parle comme home et geline qui chante comme coq ne sont bonnes a tenir (Mor 737) Devant pouvait avoir un sens temporel : « Encor que vous partiez beaucoup devant le jour,/Vous ne serez jamais assez tôt de retour. » (Corneille) 13) v. 1646 : Porter le haute-de-chausses « On dit d’une femme qui commande `a son mari qu’elle porte le haut-de-chausses » (Furetiere) 14) v. 1649 : Faire le jocrisse jocrisse (`a l’orig. nom d’un personnage de théâtre) = « terme injurieux et populaire, qui se dit en cette phrase proverbiale : C’est un jocrisse qui mene les poules pisser ; en se moquant d’un homme qui s’amuse aux menus soins du ménage, qui est faible et avare » (Furetiere) 15) v. 1673 : Elle a dit vérité L’article zéro s’emploie souvent devant un nom abstrait ; il indique alors que le mot est `a prendre dans son extension la plus large : - Est-ce haine, est-ce amour qui l’inspire ? (Racine, Britannicus, 55, ds N. Fournier, Grammaire...) - Pensée fait la grandeur de l’homme (Pascal, Pensées, 628, cité ibid.) Quelques reperes bibliographiques - langue du 17e siecle : Dictionnaires et lexiques Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues, London, A. Islip, 1611, rpt. Hildesheim, New York, G. Olms J. Dubois - R. Lagane - A. Lerond, Dictionnaire du français classique, Paris, Larousse, 1971 A. Furetiere, Le Dictionnaire universel, La Haye, Arnout & Reinier, 1690 E. Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, Londres - Hachette, 1878-1881, achevé en 1877 Pierre-César Richelet, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses..., le tout tiré de l’usage des bons auteurs de la langue françoise, Geneve, Jean Herman Widerhold, 1680 Dictonnaire universel françois-latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, nouvelle édition corrigée et considérablement augmentée, Paris, Compaignie des libraires associés, 1771, 8 vols P. Desfeuilles, Lexique de la langue de Moliere, ds Moliere, Oeuvres, Paris, Hachette, 1927, « Les Grands Ecrivains de la France », t. XII et XIII Ch.-L. Livet, Lexique de la langue de Moliere comparée `a celle des écrivains de son temps, Paris, Imprimerie Nationale, 1895, 3 vols. Mor = J. Morawski, Proverbes français antérieurs au 15e siecle, Paris, Champion, 1925 Grammaires et études grammaticales N. Fournier, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 2002 Haase, Syntaxe française du XVIIe siecle, éd. traduite et remaniée par M. Obert, Paris, Delagrave, 1975 A. Sancier-Chateau, Introduction `a la langue française du XVIIe siecle, 1. Vocabulaire, 2. Syntaxe, Paris, Nathan, Coll. 128, 1993 J. Baudry - Ph. Caron, éds., Problemes de cohésion syntaxique de 1550 `a 1720, Limoges, PULIM, 1998 Position de l’adjectif qualificatif épithete A. En ancien français 1. Tendances générales : 1.1. les adj. qui expriment une qualification d’ordre général sont plus souvent placés avant qu’apres le nom : ainsi, petiz, bons, maus, hauz, riches, vieuz... 1.2. les adj. qui apportent une qualification plus précise, particularisante, sont plus souvent placés apres le nom : ainsi, d’une pierre preciose (ds MoignetGrammaire, p. 345), ma manche destre, entor deus lieues anglesches, uns pors sauvajes (Mort Artu, ibid) 2. Relative liberté, fréquence notable de l’antéposition : 2.1. ...Et se mist en un sentier petit. (Mort Artu, ibid.) 2.2. Li chevaliers estoit armez de blanches armes (Laurin, ds MénardSyntaxe, 117) 2.3. ...par ces sauvages iles. (Perlesvaus, ibid.) B. Au 17e siecle L’antéposition demeure nettement plus fréquente qu’en français moderne: La grecque beauté (La Fontaine, ds Grevisse); Nos sacrés ongles (Id., ibid.); Ma sanglante mort (Racine, ibid.) C. Au 19e siecle - voir par ex. M. Riegel, J.-Ch. Pellat, R. Rioul, Grammaire méthodique du français, p. 181-183 (pages distribuées sous forme de photocopies) Exemples tirés de P. Loti, Fantôme d’Orient, Paris, Calmann-Lévy, 1927: - 1) En effet, l’entrée du Bosphore est plutôt maussade, l`a-bas, entre ces montagnes d’aspect quelconque, qui s’esquissent, encore confusément, en teintes sombres.C’est un lever de jour d’automne, gris et brumeux, sous un immobile ciel bas. (p. 51) - 2) Je n’avais plus pensé `a elle depuis dix ans, et je la revois, `a présent, comme dans un clair miroir, et je retrouve toutes mes impressions tristes de ces levers de jour, de ces courses dans ces chemins encore déserts, le visage fouetté par l’air sec et glacé ou par le brouillard gris. (p. 72) - 3) Au moins, j’entrerai m’asseoir dans le petit café antique ou nous passions, Achmet et moi, les veillées d’hiver, en compagnie des derviches conteurs de féeriques histoires (p. 76) - 4) Ah ! de vieux quartiers turcs maintenant, - des petites ruelles tortueuses, ou je commence `a me retrouver un peu chez moi...Nous venons de descendre dans un bas-fond qui m’était meme assez familier jadis... et, derriere ce tournant, l`a-bas, il doit y avoir un antique couvent de derviches hurleurs... (p. 63) - 5) ...J’y avais repensé cent fois depuis mon départ du pays turc, et une angoisse singuliere, une angoisse bizarre et d’inquiétante origine, m’était toujours venue `a l’idée que je ne reverrais jamais cette traînée de lumiere pâlie, tombant dans cette niche sur cette amphore, jamais, jamais plus... (p. 99) - 6) Les grands dômes des mosquées se dressent aux memes places ; la silhouette immense de Stamboul préside `a toute cette agitation joyeuse des barques, absolument comme, il y a dix ans, elle dominait nos aventureuses allées et venues d’amour ... Oh ! Comment dire le charme de ce lieu qui s’appelle la Corne-d’Or ! - 7) C’est par de vieilles petites rues bien musulmanes, ou circulent en babouches des femmes voilées de mousseline blanche. (102) - 8) La soirée est de plus en plus tiede, jouant les calmes soirées d’été (103) - 9) Et nous voici, l’Arménienne et moi, marchant ensemble tres vite, au crépuscule, dans un quartier que je ne connaissais pas, dans un sombre petit quartier arménien aux rues étroites et tortueuses, aux maisons de bois, peintes en brun et en rouge, et grillées comme des cachots. (110) - 10) Nuit obscure, les étoiles ternies. Mes yeux s’y habituent; je finis par y voir et... je me dirige au trot dans ce dédale, etnre les grand murs sans fenetres, reconnaissant au passage les vieux palais grillés, les kiosques funéraires ou des veilleuses brulent, les dômes des pâles mosquées silencieuses qui s’étagent dans le ciel (145) - 11) J’enleve mon manteau gris, qui est plus étrange dans ce quartier que ma veste orientale ; alors ces broderies de mon costume, jadis choisi par elle, se remettent, apres tant d’années, `a briller `a leur lumiere d’autrefois, devant le suaire de chaux des memes vieux murs, et l`a, dans la blanche petite rue, ensoleillée, solitaire, je me sens heureux, avec mélancolie, d’avoir repris pour un moment l’aspect de quelqu’un du peuple d’ici... (174) - 12) ...Puis enfin, la gigantesque muraille crénelée, qui enferme tout cela, apparaît ; nous en [du Vieux-Stamboul] sortons par d’antiques portes ogivales, qui se succedent en voute obscure, et nous voici dans la campagne, dans le désert des tombeaux. Derriere nous, ces remparts que nous venons de franchir, semblent l’enceinte de quelque colossale ville abandonnée...