Et pourtant, la désinvolture[1] volontairement un peu sacrilege[2] de ce groupe dont la sottise ne m’échappait pas plus que celle de tout groupe pensant comme tel, et par conséquent renonçant `a penser, ce bagou[3] rapide, cette bonhomie[4] armée, cet art inné[5] d’indiquer sans appuyer, de respecter sans ménager, de moquer sans exclure, de se moquer de soi-meme en gardant l’avantage, de signifier[6] les choses par leurs contraires et la pensée dominante par des allusions directes, cette escrime de sous-entendus sans réplique, tout ce jeu naturel et serré des paroles en liberté me plaisait infiniment. J’y retrouvais la douceur de ma langue maternelle, avec le prestige d’une langue étrangere, que j’aurais connue mais sans l’espoir d’en apprivoiser jamais les supremes élégances. Comme le français de ces jeunes Parisiens de la Touraine[7] ou de l’Anjou[8] était beau ! Comme tous les mots y chantaient juste, et que chaque syllabe, dans leur bouche, était pleine de son et de sens ! Ainsi plus d’une fois, au camp de Stettin, je m’étais enchanté des heures durant, rien qu’`a écouter mon camarade Moreuil discourir presque toujours pour ne rien dire. A ce français si pur, celui que j’avais appris de ma lointaine province natale était comme une fanfare de village est `a l’orchestre des concertos brandebourgeois[9]. A. Curvers, Tempo di Roma (Labor, Espace Nord 129), p. 336. ------------------------------- [1] Attitude désinvolte, légerté, impertinence [2] Qui tient du sacrilege (n. . Action portant atteinte `a une personne ou `a une chose qui mérite un tres grand respect) [3] Disposition `a parler beaucoup et bien pour convaincre, duper, faire illusion ou amuser [4] Attitude d’une personne franche et simple [5] Que l’on possede des la naissance [6] Désigner [7] Région de France centrale située au sud-ouest du bassin parisien [8] Région située `a l’ouest de la France [9] Concertos composés par Jean-Sébastien Bach (XVIIIeme s.)