I. Jacques Sojcher (1939)

   

   

   1. Biographie

   

   Jacques Sojcher est né en 1939 `a Etterbeek (Bruxelles) de pere slovaque et de mere polonaise.
   Jacques Sojcher, d’origine juive, n’a guere le temps de connaître son pere qui meurt en 1944
   `a Auschwitz ou il avait été déporté. Cette absence, subie des la petite enfance, traversera
   toute l’œuvre de l’écrivain, toujours en quete d’identité.

   Avant une licence en philosophie `a l’Université Libre de Bruxelles, Sojcher suit les cours de
   philologie romane et présente un mémoire de fin d’études  sur Samuel Beckett et sur un de ses
   themes majeurs : la nomination de l’innommable. Dans sa these de doctorat en philosophie, il
   étudiera le theme de l’oubli chez Pascal.

   Professeur de philosophie `a l’ULB, Jacques Sojcher publie Le Professeur de philosophie
   (1976), Le Reve de ne pas parler (1978), Essai de n’etre pas mort (1984) qui posent le
   probleme de la parole, de la communication et donc, de l’enseignement. Dans ces textes
   inclassables qui tiennent de l’essai, de la méditation, de l’invention poétique, l’auteur
   manipule le mot, la phrase et le sens pour remettre en question son rôle de professeur. Il
   s’agit de rejeter tout enseignement conformiste qui engendre l’ennui et isole du monde réel.
   Le professeur doit « bouleverser » ses éleves et a droit, comme eux, au rire, `a la légereté
   et au bonheur.

   Jacques Sojcher exprime dans d’autres œuvres son angoisse du vide : Itinerrer (1976), La
   Mise en quarantaine[1] (1978), Petite musique de chambre (1984). Il y récuse l’immobilisme de
   la pensée et la rigidité des moyens d’expression.

   En 1980 paraît un ouvrage collectif, La Belgique malgré tout, publié `a l’initiative de
   Jacques Sojcher, directeur de la Revue de l’Université de Bruxelles. Confrontés `a l’hypothese
   de la disparition de la Belgique unitaire au profit du fédéralisme, une soixantaine d’artistes
   y expriment, dans des styles tres divers, leur façon de se percevoir « belges » et leur
   attachement `a un pays `a l’identité de plus en plus incertaine. Diversement apprécié,
   notamment dans certains milieux politiques, La Belgique malgré tout représente un des points
   de repere les plus importants d’un état d’esprit littéraire et intellectuel auquel on a
   attribué le nom de belgitude. Il est intéressant de mettre en regard La Belgique toujours
   grande et belle (1998), recueil de textes que Jacques Sojcher réunit dans la meme perspective,
   pres de vingt ans plus tard, compte tenu de l’évolution politique du pays.

   

   

   

   

   2. Le Professeur de philosophie

   

   Vous m’écoutez ? Vous suivez le topo[2] ? Sinon gare[3] ! Sinon je vous donne `a lire la
   Critique de la raison dialectique[4], moi ! C’est pas parce qu’on oedipe que la discipline
   doit se relâcher. Je peux aussi parler comme tout le monde. Vous n’etes que des étudiants, ne
   l’oubliez pas, qui avez tout `a apprendre et rien `a dire (sinon ô et aaah). Écoutez bien !
   Lisez ! (et n’omettez pas de lire mes livres, articles, compte rendus, faire-part, conférences
   enregistrées et les meilleures hagiographies de la presse philosoflique). Répétez apres moi ce
   que je dis (en me citant, en me louant). La critique, oui, mais dans les limites de ma
   maîtrise et de ma récipiendarité[5]. Alors je vous brancherai sur les sire cuits, vous irez au
   front, au combat contre la réaction métaphysique, petite-bourgeoise. Vous brulerez les
   chaires[6] et si mes gugus de confreres se cassent la poire, vous vous assoirez dessus. Alors
   un peu d’attention pus de fifi, plus de filososie, plus de fidélité philosochique. Et tous en
   chœur, tous ensemble, 1, 2, 3 : désaliénons-nous les uns les autres[7]. Faisons sauter
   les cadres du savoir !

   

   3. Un belge peu naturel (extrait de La Belgique malgré tout)

   

   « Ce pays aux allures de non-patrie, de non-État, ou l'on peut se sentir de non-nationalité
   tout en vivant dans le confort d'une nation démocratique. » (Jacques Sojcher)

   

   L’exil intérieur exprimé dans un texte poétique de J. Sojcher[8].

   

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   [1] Quarantaine : isolement de durée variable (de quarante jours `a l'origine) qu'on impose
   aux voyageurs et aux marchandises en provenance de pays ou regnent (ou sont supposées régner)
   certaines maladies contagieuses, avant de les laisser entrer en contact avec le pays de leur
   destination.

   Fig. (surtout dans : mettre en quarantaine) : situation d'une personne exclue, par la volonté
   d'un groupe social, de tout rapport avec les éléments de ce groupe.

   [2]  Fam. Discours - Bref exposé; court développement, notice.

   [3]  Attention !

   [4]  Ouvrage de Jean-Paul Sartre.

   [5] Récipiendaire : personne qui reçoit un diplôme universitaire, qui est bénéficiaire d'une
   nomination, etc.

   [6] Tribune du professeur; spécialt, dans une faculté, une grande école ; le professorat
   lui-meme, la place réservée dans le programme `a la branche enseignée. Créer, supprimer une
   chaire : créer, supprimer un poste de professeur titulaire

   [7] S’aliéner : devenir mentalement aliéné, fou.

   [8]  Pour repere, voici une partie des paroles de la Brabançonne, l’hymne national belge :
   « Noble Belgique, `a jamais terre chérie,/ A toi nos coeurs, `a toi nos bras./ Par le sang pur
   répondu pour toi, patrie,/ Nous le jurons d'un seul cri : tu vivras./ Tu vivras, toujours
   grande et belle,/ Et ton invincible unité,/ Aura pour devise immortelle :/ Le Roi, la Loi, La
   liberté./ Aura pour devise immortelle :/ Le Roi, la Loi, La liberté./ Le Roi, la Loi, La
   liberté./ Le Roi, la Loi, La liberté. »