IV. René Kalisky (1936-1981) 4.1. Biographie Né `a Etterbeek (Bruxelles) le 20 juillet 1936, René Kalisky est le fils d’un prolétaire juif, polonais, établi en Belgique. La disparition de son pere mort dans le camp d’extermination d’Auschwitz (Pologne) a laissé un profond et inguérissable traumatisme dans la conscience de l’homme. Apres des études de radio-navigateur, il devient journaliste et, dégouté par le mauvais accueil réservé `a ses œuvres en Belgique, décide de vivre en France `a partir de 1971 (en Corse d’abord, puis `a Paris des 1973). C’est l`a qu’il trouvera un éditeur, Gallimard, et un metteur en scene, Antoine Vitez, pour quatre de ses pieces. Le jeune Belge émigré voulut saisir cette chance. Encouragé, il se mit au travail avec frénésie. Au rythme d’une piece ou deux par an, parurent coup sur coup `a Paris : - Trotsky, 1969 - Skandalon, 1970, Fausto Coppi[1] - Jim le téméraire, 1973, Hitler - Le Pique-Nique de Claretta, 1973, Mussolini Dans son théâtre, René Kalisky met en évidence les contradictions du monde contemporain et souligne les manifestations récurrentes du mécanisme totalitaire qu’il soit nazin stalinien ou qu’il gangrene sournoisement le quotidien. D’autre part, il construit ses pieces en s’opposant aux conventions de l’écriture dramatique. Au texte se superpose un surtexte grâce au mélange des temps, des leiux, des etres , ce qui met en lumiere la répétition des totalitarismes `a travers l’Histoire. Le surjeu se crée par la multiplication des personnages. Chaque acteur joue soit le meme rôle, soit plusieurs rôles `a des époques différentes. Ainsi, dans Jim le téméraire, découvre-t-on les relations entre Hitler et Jim quand, vingt ans apres la guerre, le Juif revendique le statut de victime. Dans ce spectacle un seul acteur joue tous les dignitaires du troisieme Reich, et, lors de la premiere, les rôles de Jim et Hitler furent joués par le meme acteur. Kalisky développe la technque du surjeu et du surtexte dans ses autres pieces. Pour Le Pique-Nique de Claretta qui évoque le fascisme en Italie `a travers la maîtresse du Duce, chaque comédien revet une triple identité. Parce que l’action se déroule sur trois plans différents : la répétition d’une piece sur les derniers instants de Mussolini, l’évocation des personnages historiques et, enfin, la réaction des etre humains fae `a l’idéologie fasciste. Gallimard cesse d’éditer Kalisky. Pour les pieces suivantes, `a sujet moins historique, plus actuel ou plus sophistiqué, Kalisky a du se trouver d’autres éditeurs, plus occasionnels, revenir de France en Belgique. La Belgique officielle, reconnaissante pour cette gloire nationale, accueille enfin, `a son tour, le transfuge lauré `a l’étranger et diffusé par France-Culture. En 1977, l’éditeur français Stock publie dans sa collection «Théâtre ouvert» : - La passion selon Pier Paolo Pasolini, suivi de Dave au bord de mer, suivi de la remarquable postface Du surjeu au surtexte[2] Des compagnies théâtrales, françaises ou belges, publient ses dernieres œuvres. - En 1980, Sur les ruines de Carthage au Centre dramatique de Reims, rééditée par Éd. Labor, dans la collection Espace Nord, en mars 1991. Dave au bord de mer (1977) actualise le Livre des Rois, mettant au prise David qui revit `a travers un jeune artiste émigré de Brooklyn et Saül qui prend les traits d’un promoteur immobilier, juif parvenu. Dans La passion selon Pier Paolo Pasolini, le cinéaste reconstitute lui-meme le meurtre dont il a été victime Malgré les efforts méritoires de l’officialité et de l’intelligentsia, René Kalisly resta assez méconnu du grand public qui le boude. Quelque peu déçu par l’accueil mitigé de son théâtre en France (et a fortiori en Belgique ), il s’est plaint de ne jamais avoir reçu une critique valable de la part de la presse parisienne. Il n’a jamais été populaire. Il est tenté de ne plus écrire pour le théâtre. Aussi revient-il `a son sujet préféré : l’histoire du monde juif et arabe. En 1974, il signe, chez Marabout, un essai Sionisme et dispersion. En 1979, paraît L’impossible royaume, récit vaguement romancé, œuvre prophétique sur laquelle la presse fit un prudent et presque total silence. Jacques De Decker écrira de lui : c’était « un inlassable observateur de l’Histoire en train de se faire, et cette proximité, cette attention soutenue, il savait l’accompagner aussitôt de cette distance critique propre au poete. Il établissait des rapports, élaborait des syntheses inouies et cependant aveuglantes de vérité. » (1981) 4.2. Lecture de deux extraits de Charles le Téméraire V. Pierre Mertens (1939) 5.1. Biographie Le 9 octobre 1939, Pierre Mertens naît `a Bruxelles. Tres tôt, il s'éveille `a la «conscience politique». Tandis qu'il étudie `a l'Athénée d'Etterbeek (gréco-latines), il entreprend une autobiographie en plusieurs tomes (Paysage avec chute d'Icare). Il entre `a l'Université Libre de Bruxelles pour y étudier le droit. Chercheur `a l'Institut de Sociologie de l'U.L.B, il est aussi membre du comité central de la ligue belge pour les Droits de l'Homme, suit des audiences au proces de Francfort (comparution des bourreaux d'Auschwitz), rédige des études sur la liberté de presse et le droit d'asile, accomplit diverses missions d'observateur au Proche-Orient : parti sioniste, il revient pro-palestinien... Il publie son premier roman L'Inde ou l'Amérique qui obtient le prix Rossel en 1970. Entre-temps, il est devenu membre de l'Association Internationale des Juristes Démocrates et d'Amnesty International. Devenu chroniqueur littéraire au journal Le Soir, il publie son second roman : La Fete des anciens. Il publie Les Bons Offices en 1974. On y voit Paul Sanchotte, alias Monsieur Bons Offices, tenter en vain de concilier ses problemes personnels et les problemes collectifs de l’Histoire. Accablé par les échecs, il finit par se suicider. Comme un miroir `a l’éclatement du couple Sachotte, Pierre Mertens passe en revue des événements contemporains importants : l’assassinat de Lumumba au Congo (1961), la catastrophe de Marcinelle (1956), la guerre des Six jours entre Israël et l’Egypte (1967). En 1978, paraît Terre d'asile qui met en évidence le probleme des réfugiés politiques. Jaime Morales fuit le Chili et atterrit `a Bruxelles apres l’assassinat du président Salvador Allende et le putsch militaire qui a porté le général Pinochet au pouvoir. Incapable de communiquer son passé proche et cruel, Jaime s’enferme dans sa chambre de la Cité universitaire et jette une regard critique sur son pays d’accueil. Grâce `a l’amour de deux femmes, il va peu `a peu reprendre pied et chercher son équilibre entre deux cultures Il a entre-temps «visité» les prisons du Chili et les camps de Chypre, s'est lié d'amitié avec des écrivains grecs (Vassilikos, Tsirkas, Theodorakis), et ce, avant de voyager en U.R.S.S. et d'accomplir une mission en Iran... Pierre Mertens est nommé professeur de littérature comparée `a l'Institut National des Arts du Spectacle, collabore `a divers ouvrages sur la Belgique littéraire, et voit certaines de ses œuvres adaptées au théâtre, `a la radio ou au cinéma, tandis que Monique Dorsel monte Dérives sur des textes de l'auteur. Il est entre-temps aux quatre coins du monde et rédige des études sur le terrorisme et la violence révolutionnaire. Il publie simultanément La passion de Gilles (livret d'opéra) et Ombres au tableau (recueil de nouvelles). L'opéra est créé en 1983 par le Théâtre de la Monnaie. Dans Perdre, le narrateur va `a la rencontre de son passé et revit son amour pour Dora, une femme perdue. Dans une sorte de conte érotique, les deux personnages se laissent aller`a tous leurs fantasmes mais ils demeurent incapables de faire revivre leurs émotions anciennes. Boursier pour 1986 du Berliner Künsttlerprogramm, il séjourne un an `a Berlin et se documente pour son roman, Les Éblouissements qui restitue le climat de la Belgique occupée et souleve le probleme de la conscience humaine mise `a l’épreuve par les circonstances exeptionnelles de la guerre. Le livre relate la séduction passagere du nazisme chez Gottfried Benn, un médecin-poete berlinois qui perd l’éthique médicale sous la pression de l’idéologie nazie. Le livre, paru en 1987, obtient plusieurs prix. Élu `a l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique en février 1989, l'écrivain est aussi nommé Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres de la République française. Le roman Une Paix royale (1995) est un des plus grands romans de Mertens. Il a également créé le scandale. Pierre Mertens y fait le point sur des zones d’ombre de la monarchie belge et met en cause la vocation et la conviction de certains membres de la famille royale de Belgique, tout en passant souplement de la réalité `a la fiction ; il donne `a des événements encore récents une version quasi pamphlétaire. L’auteur sera poursuivi en justice `a la suite de la publication de ce roman[3] ------------------------------- [1] Tres célebre coureur cycliste des années 50. [2] A lire `a l’adresse suivante : http://www.cifas.be/stg/sp16.htm. [3] Cfr l’avertissement présent en début de livre : « Le passage pretant `a Lilian de Belgique, personnage romanesque, des propos outranciers sur Baudouin et Fabiola de Belgique a été jugé fautif par le Tribunal de Paris le 26 mars 1996. »