FJ0B638 LE CINÉMA BELGE 2. Le cinéma belge : brve histoire (03/10/2007) GUEULE DE BOIS POUR LE CINÉMA BELGE Article de N. Crousse paru dans Le Soir (04/01/2007) EN 2006, LE CINÉ FRANCOPHONE BELGE DES BELVAUX ET LAFOSSE LOUA LA RAISON DU PLUS FAIBLE. UN PLAIDOYER ĎACTUALITÉ : NON, TOUT NE TOURNE PAS ROND AUX PAYS DES PALMES ĎOR force de chanter, ľunisson avec le fier coq wallon, la vieille rengaine de ses récentes kermesses héroques (Palmes ďor, prix ďinterprétation Cannes, aux Césars...), le cinéma belge ďexpression française nous ferait par moment croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Or, ľheure des bilans aurait cette année plutôt des allures de complainte. Il n'y aura vraisemblablement pas de locomotive, cette année, pour tirer (financirement parlant) la caravane vers le haut. Le paradoxe Au Nord : un cinéma souvent rentable, qui attire le Flamand moyen au prix de films aux ambitions populaires. Un thriller (De zaak Alzheimer). Un drame inter-racial (De hel van Tanger, sur un mécanisme assez proche du limite Jamais sans ma fille). Une épopée marine (Windkracht 10), qui tient ďun mixte entre Guardian et Officer and gentleman. A ľarrivée, un cinéma construit autour de vedettes flamandes, qui attire chaque année des centaines de milliers de spectateurs dans les salles. Mais, nuance sévre, un cinéma qui ne passe que trs rarement les frontires. Au Sud ? Exactement ľinverse. Un cinéma ďauteur, singulier, aux personnalités aussi diverses que talentueuses, et qui se vend aux quatre coins du monde. Mais un cinéma qui, sauf exception (Toto le héros, Ľenfant, Les convoyeurs attendent), ne rencontre pas son propre public. Et lui ferait presque peur. Un comble ! Ajoutez cela que les Flamands ne consomment pas de ciné francophone belge, et que leurs voisins du Sud le leur rendent bien. Vous tenez un bilan controversé. On ne vit plus ensemble. On partage juste le mme passeport. Vincent Lannoo, réalisateur ďOrdinary man, ne croit pour conjurer le mauvais sort qu' un credo : la réconciliation au sud du pays entre intellectuels et public. Il y a un vrai décalage entre ľesprit belge pratiqué par nos intellectuels et artistes, et le public bruxellowallon, qui ne se bouge en gros que pour des standards franco-américains. C'est excessivement rare, chez nous, que les deux se donnent la main, comme ce fut le cas avec le fabuleux canular de la RTBF. Jaco Van Dormael est un des seuls qui est arrivé faire du ciné ďauteur populaire. Voil quelqu'un avec un univers riche, des scénarios originaux, mais quelqu'un capable de parler au public avec clarté. Seul hic : on attend depuis une dizaine ďannées le bien-aimé Jaco. Fabrice du Welz, réalisateur de Calvaire, fait partie de ces nombreux francophones belges qui sont parvenus vendre leur film ľétranger... sans rencontrer leur propre public. Son film, acheté dans une quinzaine de pays (Etats-Unis, Japon, Allemagne...), n'a pas dépassé les 15.000 entrées chez nous. Ľanalyse communautaire de du Welz est sans appel : En Flandre, il y a une culture identitaire énorme, construite autour de bekende Vlamingen , qui offre au spectateur un cinéma de proximité. Alors que chez nous, on a un cinéma ďauteur foisonnant et souvent étrange, qui part dans tous les sens. Il ne nous manque peut-tre pas grand-chose. Peut-tre un gros succs populaire. FJ0B638 LE CINÉMA BELGE Stefan Liberski, réalisateur de Bunker paradise, n'est pas débordant ďoptimisme. Il y a ďun côté un cinéma flamand qui, pour lui, ne passe pas les frontires, parce qu'il essaie sans doute trop de singer le cinéma américain. Et entre ľoriginal et la copie, il n'y a pas photo. A ľinverse, nous avons au Sud du pays un langage plus singulier, moins calqué, ce qui nous aide développer un discours plus universel. Mais notre créneau - celui du cinéma ďauteur - est et sera selon moi de plus en plus menacé avec le temps. Si on veut se donner les moyens de nos ambitions, on est pratiquement obligé de procéder par coproductions. Et ďaller monter financirement nos films en France, qui ne jure pour ľinstant que par les acteurs bankables , comme Gad Elmaleh, Jean Dujardin, Dany Boon. Mme notre Poelvoorde national s'est bankablisé en France. La sacrée question, c'est évidemment : comment fabrique-t-on un bankable ? Et comment crée-t-on ex nihilo des Jérémie Rénier, Olivier Gourmet, Emilie Dequenne et autres Déborah François ? Y aurait-il une méthode Dardenne ? Les frres Dardenne, parlons-en. Tout auréolés de deux Palmes ďOr, ils n'ont pas toujours été abonnés aux succs. Pour Luc, le déclic est venu au lendemain de ľaccueil de Je pense vous, en 1992. Ľéchec commercial et critique a été retentissant. On a eu une trs grosse remise en question. Et on a décidé de faire ce qu'on considérait alors comme notre film de la dernire chance, La Promesse. Avec cette différence : on s'est dit que cette fois, on n'avait plus rien perdre. On a radicalisé. On s'est lâchés. Et, surprise, c'est l que tout s'est inversé. Ma conclusion, c'est qu'il ne faut pas faire de film pour sa communauté. Il faut faire les films qu'on désire ardemment. Moribond, le cinéma belge ľaube de 2007 ? Pas selon moi, continue Luc, qui avoue avoir succombé en 2006 ľunivers de Joachim Lafosse (Ça rend heureux, Nue propriété). Ce serait une erreur de parler de la qualité ďun film en fonction de ses chiffres ďexploitation. En Allemagne, vous avez eu une génération dorée, dans les années 70, avec des oeuvres majeures ďauteurs tels que Fassbinder ou Wenders. Puis, Fassbinder est mort, Wenders est parti aux Etats-Unis et on n'a plus entendu parler pendant un moment du cinéma allemand. Qui signait pourtant dans les années 80 des succs commerciaux énormes... mais ľintérieur de ses frontires. Tout comme le cinéma flamand. Ďo la question : s'il faut vraiment choisir, faut-il une industrie florissante incapable de s'exporter ? Ou une génération spontanée de talents aux discours universels ? Pour Luc Dardenne, la question est aujourďhui politique. Nous avons aujourďhui la Commission de sélection des films de la Communauté française une enveloppe budgétaire insuffisante. Ľaide publique est proportionnellement ľune des plus faibles ďEurope. Ďici quelques semaines, nous allons entamer une tournée des présidents de parti afin de les sensibiliser la nécessité ďévaluer la hausse le budget. Il faut 10 millions et nous n'en avons que 6,4. Ceci pour stimuler ľaudace et la prise de risque des cinéastes. Et nos confrres flamands, quel regard portent-ils sur le cinéma francophone belge ? Chris Craps, journaliste et critique (Gazet van Antwerpen, Belang van Limburg), ne tarit pas ďéloges : Quand on voit un film comme Calvaire, ou le travail des Dardenne, qui sont pour nous des dieux, on se dit que c'est un niveau pratiquement pas possible pour notre cinéma. On est trs admiratifs devant ce qui se passe de votre côté. Jacques Boon, Flamand de Bruxelles et scénariste de jolies surprises (Vidange perdue, Pauline et Paulette), confirme, tout en s'amusant : On est presque jaloux de ce qui se passe chez vous. De sorte que chacun a sa jalousie. Et chacun ses complexes. Ceci dit, la ligne de démarcation entre films commerciaux flamands et films ďauteur francophones est FJ0B638 LE CINÉMA BELGE évidemment trs floue. Nous aussi, nous avons des auteurs qui passent les frontires et ramassent aussi des prix, comme Fien Troch (Een aander zijn geluck) ou Lieven Debrauwer (Pauline et Paulette). Mais dans ľensemble, c'est vrai, les films flamands ont une identité naturellement tournée vers le grand public. Un film qui ne fait pas 100.000 entrées, c'est un film qui a un problme. Il y a deux éléments cela : ľimportance de la télévision flamande, qui fabrique des vedettes via des séries ou talk-shows. Et la politique de subvention du Vlaams Audiovisueel Fonds, qui est autant tournée vers les projets populaires que vers les projets ďauteur. Une grande différence avec la Communauté française, qui vise ďabord le cinéma ďauteur. Chacun ses complexes. Chacun ses vertus. En 2006, Lucas Belvaux aura plaidé avec talent la raison du plus faible . La métaphore est éloquente. Pour pallier le manque de moyens, pas ďétats ďâme : il faut se montrer imaginatif. Et, tel le cinéaste au chômage de Ça rend heureux, tenter de recycler la sinistrose en vie en rose.