Université T. G. Masaryk (Brno) *** Faculté de Philosophie Histoire de Belgique et du grand-duché du Luxembourg Cours présenté par Aurélie Hanot Lectrice de la Communauté Française de Belgique Année académique 2007-2008 Semestre d’automne Introduction A. Présentation de la matiere La Belgique L’histoire de Belgique au sens strict du terme ne commence qu’en 1830, avec la création de l’État belge. Parler de Belgique avant cette date pourrait donc constituer comme un anachronisme. Cependant c’est le devoir de l’historien que de rechercher dans les siecles antérieurs `a la création de l’État belge les origines de la culture belge contemporaine. Dans ce cours, nous allons donc de suivre l’évolution de ces régions `a partir de la préhistoire. Il faut noter que si la Belgique n’existe en tant qu’état que depuis 1830, le nom de Belge existe depuis bien plus longtemps. Il apparaît au Ier siecle AC sous la plume de César dans le premier livre de son De Bello Gallico paru en 58 AC. Il tombera en désuétude apres l’époque romaine avant de ressurgir `a la Renaissance et de s’imposer au XVIIIeme siecle. Dans ce cours, nous nous efforcerons de tracer le destin des différentes communautés qui ont vécu dans l’espace géographique correspondant `a l’actuelle Belgique. Si la démarche semble artificielle, elle permet cependant de mettre en évidence les éléments de continuité et les ruptures qui ont marqué l’histoire de ces régions. Le territoire de Belgique, dépourvu de frontieres naturelles (grands fleuves ou chaînes de montagnes), fut et est encore une terre de contacts et de transition, sensible aux influences culturelles et propice aux échanges commerciaux. Mais il y a un revers `a la médaille : ce manque de protections naturelles rendit les contrées vulnérables aux invasions et dominations. Elle devint le champ de bataille de l’Occident, the cockpit of Europe (« l’arene de combats de coqs de l’Europe »). Passant de main en main, elle connut une histoire chaotique et s’adapta `a tous les changements de régimes imposés par des étrangers. Le Grand-Duché du Luxembourg L’histoire du Grand-Duché du Luxembourg pris en tant qu’état `a part entiere est encore plus récente puisqu’il devient indépendant en 1867. Mais depuis le Moyen Âge – `a l’exception de deux annexions `a la France (1681-1697 et 1795-1814) et de l’incorporation dans l’Allemagne nazie (1940 et 1944) –, le Luxembourg existe en tant que principauté (comté, duché, grand-duché) en droit et en fait. Quelle continuité… Nous allons voir de front l’histoire de ces deux pays, qui connaîtront souvent un destin similaire. B. Présentation de la Belgique physique § Superficie : 30.517 km^2 (ce qui en fait un État assez petit dans l’Union Européenne) § Population : 10,4 millions d’habitants (dont 4,2 sont actifs dans les secteurs industriels et tertiaires[1]) § Densité : 350 habitants/km^2 § Ressources naturelles : bois, ardoises, pierres, quelques minerais (assez vite épuisés) `a l’exception du charbon du sillon Sambre-et-Meuse et de la Campine dont l’exploitation fut un élément majeur dans le formidable essor de l’industrie belge de la Belgique au XIXeme s. § Trois grandes zones de reliefs qui s’étagent du nord-ouest vers le sud-est, orientées est-ouest et sud-ouest : les plaines, les bas plateaux et les hauts plateaux. Les sommets de ces hauts plateaux constituent une ligne de cretes dont le point culminant, le Signal de Botrange, atteint 964 m. § Environ 65 km de côte (Mer du Nord) sur 1450 km de frontiere § Pays frontaliers : Pays-Bas (nord), Allemagne (est), Luxembourg (sud-est), France (sud) § Capitale : Bruxelles (950.000 habitants dans les 19 communes) § Structure : Etat fédéral (3 régions, 3 communautés) § Régime : monarchie constitutionnelle § Chef de l’Etat (Roi des Belges) : Albert II (09/08/1993) § Chef du gouvernement : Guy Verhofstadt (23/06/1999) § Année d’indépendance : 1830 § PNB par habitant : 26.705 $ (1997) La Belgique est donc un tout petit pays, tres peuplé: elle compte un peu plus de 10 millions d'habitants pour environ 30 000 km^2. Il y a en moyenne 350 habitants par km^2. La France voisine qui est 18 fois plus grande est seulement 5 fois plus peuplée! Par contre les Pays-Bas au nord comptent un peu plus d'habitants pour une surface semblable. En ce qui concerne les langues, en Belgique, on parle beaucoup de langues différentes en Belgique. Il y a trois langues officielles: le français, le néerlandais et l'allemand. A ces langues, s'ajoutent les nombreuses langues pratiquées par la communauté étrangere et par les eurocrates (ceci concernant particulierement Bruxelles). On parle le français en Wallonie, le flamand en Flandre. Tout `a l'est de la Wallonie, `a la frontiere avec l'Allemagne, se trouvent les cantons de l'est, ou l'on parle l'allemand. La région de Bruxelles-Capitale est bilingue. Tout y est affiché dans les deux langues. Pour ceux qui veulent voir plus loin… Quelques sites internet de référence : § www.fgov.be: portail d’acces du gouvernement fédéral belge. § www.cfwb.be: portail d’acces de la Communauté française de Belgique § www.wallonie.org: portail d’acces de la Région wallonne. § www.bruxelles.irisnet.be: portail d’acces de la Région de Bruxelles-Capitale. § www.vlaanderen.be: portail d’acces de la Communauté flamande § www.monde-diplomatique.fr/index/pays/Belgique : une compilation d’articles du mensuel français. Niveau de langue tres élevé. § www.lesoir.com: site du plus grand quotidien belge en français. § www.lalibre.be: site du deuxieme grand quotidien belge en français. C. Présentation du Grand-Duché § Superficie : 2.600 km2 § Population : 440.000 habitants § Capitale : Luxembourg (113.000 habitants) § Structure : Etat unitaire § Régime : Monarchie constitutionnelle § Chef de l’Etat (Grand Duc) : Henri de Luxembourg (07/10/2000) § Chef du gouvernement : Jean-Claude Juncker (20/01/1995) § Année d’indépendance : 1867 § Economie : secteur I : 2,5%, secteur II : 29,9%, secteur III : 67,6% § PNB : 41.210 $ (1995) § Pays frontaliers : Belgique (nord, ouest), Allemagne (est), France (sud) La situation linguistique au Luxembourg se caractérise par la pratique et la reconnaissance de trois langues officielles : le luxembourgeois, le français et l’allemand. Le plurilinguisme du Luxembourg est issu de la coexistence de deux groupes ethniques, l’un roman et l’autre germanique. Il faut cependant noter que le luxembourgeois (« Lëtzebuergesch »), un dialecte francique-mosellan, a longtemps revetu une position subalterne. Son enseignement n’a été introduit `a l’école primaire qu’`a partir 1912. Le français reste la langue privilégiée de la législation et de l’administration, ce qui est du `a l’application du code civil napoléonien. Pour ceux qui veulent voir plus loin… Quelques sites internet de référence : § www.gouvernement.lu: portail d’acces du gouvernement luxembourgeois § www.etat.lu/CE : le site du Conseil d’Etat § www.lavoix.lu: le site du quotidien La Voix du Luxembourg § www.eluxembourg.lu: deux portails d’acces généraux I. La Préhistoire Pendant des millions d’années, l’homme n’a pas exprimé de pensées par écrits : c’est la préhistoire (pré-histoire). L’ensemble des découvertes archéologiques permet d’affirmer que le territoire de la Belgique actuelle a été occupé pendant les grandes périodes de la préhistoire (qui se différencient essentiellement au niveau de l’outillage) : q le Paléolithique ou âge de la pierre taillée q Le Néolithique ou âge de la pierre polie q L’âge des métaux Cfr carte de la Belgique préhistorique (Le Soir) 1.1. Le Paléolithique : de 800 000 `a 5000 AC[2] Au début du paléolithique, la mer du Nord recouvrait des vastes étendues dans la partie septentrionale[3] du territoire actuel de la Belgique. Alors qu’`a cette époque, les périodes de froid alternaient avec des périodes de chaleur, les glaciers se sont avancés jusque dans le Nord du pays. Aux alentours de 400 00 AC, l’homme fait son apparition dans la région de la Meuse. Il utilise des silex[4] arrondis avec un seul tranchant[5] et possede la maîtrise du feu. Vers 250 000 AC, les Néandertaliens apparaissent principalement dans les provinces de Liege (Engis, Fonds-de-Foret) et de Namur (Spy) ou des fouilles ont livré des vestiges de l’époque. A l’instar de l’homme de Néandertal[6] (Homo Sapiens), les hommes qui peuplaient nos contrées `a cette époque différaient de l’homme moderne par quelques caractéristiques : plus petits, leurs os sont plus massifs, ils ont des arcades sourcilieres prononcées et un volume crânien important, le front était effacé et le menton absent. Mais ils savaient faire du feu. Ils vivaient de la cueillette, de la peche et de la chasse. Les Néandertaliens semblent avoir été les premiers hommes `a avoir enterré leurs morts : ils le faisaient selon des rites funéraires assez précis qui démontrent une croyance en une vie apres la mort[7]. Ils se protegent des variations de température et de la faune hostile en vivant `a l’entrée de grottes pareilles `a Spy. Vers 35 000 AC, les Néandertaliens disparaissent progressivement au profit des hommes de Cro-Magnon (Homo sapiens sapiens ou homme moderne) qui étaient arrivés probablement des bords de la Méditerranée. Le travail de la pierre se précise et les premiers bifaces (silex `a deux tranchants) apparaissent. L’aspect physique de ces hommes de Cro-Magnon est assez différent de celui des Néandertaliens : ils sont de haute taille, leur front est plus grand et le menton est déj`a saillant. Ils continuent `a assurer leur subsistance par la cueillette, la peche et la chasse. Ils jouissaient d’une civilisation raffinée comme en attestent de nombreux objets de parure mais aussi des objets sculptés possédant une réelle valeur artistique. Probablement décoraient-ils les parois des grottes de la Meuse et de la Lesse de peintures rupestres comme ils le firent dans le sud de l’Europe mais l’humidité et des crues importantes en effacerent toute trace. Ils pratiquaient le culte des morts mais les longues périodes de grand froid empechent l’inhumation des morts, qui sont alors recouverts de cailloux et accompagnés d’offrandes. Aux environs de 10 000 AC, l’ere glaciaire toucha `a sa fin. Le climat change et devient tempéré. En Belgique, les forets se multiplient et la faune s’adapte. Un nombre croissant de petits animaux (cerfs, chevreuils >< mammouths) apparaît modifiant les conditions de la chasse et de l’alimentation. L'arc marque un grand progres. L'outillage se perfectionne, la hache et le burin apparaissent. Désormais le silex est taillé avec le souci de la miniaturisation. Pour la premiere fois dans l'histoire, l'homme est capable d'exercer une action sur son environnement. Des vestiges prouvent clairement que dans nos régions, `a partir de 7.000 avant J.-C., des bois sont systématiquement défrichés : ceux-ci sont utilisés `a la construction d’abris en branchage. 1.2. Le Néolithique : de 6000 AC `a 2200 AC Il y a 12 000 ans environ, au Proche-Orient (croissant fertile entre Tigre et Euphrate), l’homme va accomplir des progres `a ce point importants que les préhistoriens parlent de « révolution néolithique ». Le fait majeur de cette révolution est la sédentarisation[8] de l’homme rendue nécessaire par l’agriculture et l ‘élevage : il se met `a construire des huttes[9] faites d’argile, de torchis[10], de pierre et de bois et éleve des troupeaux domestiques. De ce fait l’alimentation devient plus réguliere qu’au temps de la seule chasse (celle-ci n’est pas completement abandonnée, de meme que la peche et la cueillette). Bientôt, ces huttes vont se regrouper en hameaux[11] et entourées de palissades[12]. Les villages s’entourent de champs. Aux environs de 6000 AC, cette révolution néolithique atteint nos régions. Les néolithiques vinrent par la vallée du Rhin et s’établirent dans le pays par trois vagues successives, la premiere se fixant sur les terres limoneuses de la Hesbaye, dans la région de l’Omal et dans le Limbourg ; mais aussi dans le Hainaut occidental (`a Blicquy notamment) en venant de la Méditerranée. L’exploitation de l’environnement naturel par l’homme est également caractéristique de cette époque. La preuve en est la découverte d’une mine de silex `a Spiennes (province du Hainaut), choisie en raison de la qualité de son silex. L’outillage se fabrique de plus en plus en pierre polie. Ils se consacrent `a la culture de l’épeautre et `a l’élevage des animaux domestiques : moutons, chevres, boeufs, porcs, etc. Au meme moment, l’homme tisse pour la premiere fois ses vetements (>< avant, peaux de betes). Il se met `a confectionner également des poteries qu’il utilise comme ustensiles pour la récolte et la conservation des aliments. Le culte funéraire ne cesse d’évoluer au sein de chaque tribu : il existe différents modes d’inhumation qui peut etre individuelle ou collective. Les monuments mégalithiques (pierres brutes de grande taille) ainsi que les tumuli (amoncellement de pierres et de terre) forment des tombes collectives. On retrouve des dolmens (grandes pierres plates) et des menhirs (pierres verticales) dans les provinces du Luxembourg (Wéris), du Hainaut (Brunehaut) et de Namur (Velaine-sur-Sambre). L’existence de tels monuments posent bien des questions : ou ont-ils trouvés de si grandes pierres ? quid du transport ? `a qui sont-ils réservés (aristocratie politique ou religieuse) ? En tout cas, ils sont la preuve d’une organisation religieuse bien réelle. 1.3. L’âge des métaux: de 2200 AC `a 1000 AC Les premiers objets en métal apparaissent aux environs de 2 200 AC en Belgique. Il s’agit principalement d’objets de prestige en cuivre et en or (dagues et haches plates) C’est probablement par le jeu des échanges commerciaux que la technique de fonte du bronze s’est implantée vers 1750 AC. Ce métal sert `a la fabrication de bijoux, fibules, d’aiguilles et d’armes. Le commerce s’organisant autour des objets confectionnés `a partir du bronze augmente les contacts entre population et donc les emprunts culturels. II. Les celtes : de 1000 AC `a 57 AC Vers l’an 1000 AC, les peuples celtes (Indo-Européens) se melent progressivement aux populations néolithiques. Ces peuplades, parmi lesquelles les Belgae, occupent certains territoires situés entre le Rhin, la Seine et la Marne. On admet en général que le peuplement des Celtes s’étend, au milieu du premier millénaire AC, de la Baltique `a la Méditerranée et de la mer Noire `a l’océan Atlantique ; ils atteignent meme l’Asie Mineure. Leur force réside dans une bonne métallurgie du fer. Ils ont dompté les chevaux et connaissent le char de guerre `a deux roues. Les Celtes ont dominé sans les éliminer les populations vaincues. Ils n’ont jamais constitué une nation ni fondé un état uni qui aurait pu résister `a la conquete romaine ou meme germanique. Leur régime était fondé sur la tribu et sur la fédération de tribus. 2.1. La culture d’Hallstatt : du VIIIeme s. AC `a 500 AC En Europe occidentale, le travail du fer apparaît au VIIIeme s. AC. Cette technologie est importée par des guerriers de l’Autriche actuelle dans nos régions. Cette culture, caractérisée par une réelle séparation des différentes classes sociales, est appelée « culture d’Hallstatt ». L’ornementation des objets issus de cette culture est principalement composée de motifs géométriques. 2.2.La culture de Tene : de 500 AC `a 57 AC La « culture de Tene » remplace deux siecles plus tard celle d’Hallstatt. Les représentations stylisées de tetes d’animaux et d’hommes font leur apparition dans le domaine artistique. L’art de cette culture s’épanouit dans l’orfevrerie, la céramique, l’armurerie, l’émaillerie, la cordonnerie, le tissage. Durant cette période, la Belgique actuelle est habitée par des Celtes : les Gaulois. Mais vers 500 C, ils sont vaincus par d’autres Celtes venus de la vallée du Rhin et en partie germanisés, les Belges. Les Belges répartis en tribus se répartissent le territoire compris entre la Seine, le Rhin et la mer du Nord. Ils établissent des liens commerciaux avec le monde méditerranéen et surtout avec les Étrusques. On voit apparaître de véritables centres urbains protégés par des remparts (oppidum). Petit `a petit, grâce `a un mode de vie défensif, les richesses s’accumulent. Et vers 150 AC, les premieres pieces de monnaie sont frappées en Belgique. Cette monnaie, qui acquiert vite une identité propre, témoigne de l’important rôle économique joué par les peuples celtes durant l’Antiquité. La société celtique a des chefs `a sa tete appelés rix (indo-européen : cfr latin rex, sanskrit raja). Mais ces rois abondent (un roi par tribu). Un conseil de nobles est chargé de le choisir dans la lignée royale apres consultation des dieux. Quand les Romains pénétrerent en Gaule, la royauté subissait une crise aiguë dans de nombreuses tribus. Mais au sein des tribus belges, le roi, assisté par l’assemblée des hommes libres ainsi que par un conseil restreint, a toujours été craint et respecté par ses sujets. La majorité de la population se compose de paysans, qui sont au service des propriétaires terriens. En bas de l'échelle sociale se trouvent les esclaves, qui sont le plus souvent des prisonniers de guerre. A la fin de l'âge de fer, les techniques agricoles s'améliorent. La terre est labourée avec une charrue `a roues, dotée d'un soc[13] et tirée par des boeufs. Cette charrue permet de retourner les terres argileuses et lourdes. Grâce `a ces nouvelles techniques, la vie des Gaulois du premier siecle avant Jésus-Christ s'avere moins précaire. Le véritable ciment entre les tribus belges et les autres peuples de la Gaule est constitué par la religion druidique (druidisme). Le druidisme est un culte dédié aux forces naturelles (vent, soleil) et aux divinités locales, auxquelles sont consacrées des cérémonies présidées par une caste de religieux appelés druides. Ceux-ci remplissent divers rôles dans la société : `a la fois pretres, juges, médecins et sorciers, ils assurent la pérennité de la croyance selon laquelle l’âme ne meurt pas et qu’apres la mort, elle passe d’un corps `a l’autre (ce que les Grecs appelaient la métempsycose[14]). L'âge de fer en Belgique prend fin lorsque Jules César conquiert la Gaule. III. Romanisation de la Belgique 3.1. César en Gaule En 58 AC, Jules César, général romain, passe les Alpes pour repousser les Helvetes (habitants de l’actuelle Suisse) qui menacent la Provence. Ensuite, les Éduens (habitants de l’actuelle Bourgogne) l’ayant appelé pour chasser des tribus germanqiues (Sueves), il en profite pour s’installer en Gaule « chevelue[15]». En 57 AC, César entame la conquete de la Gaule, peuplée de Celtes, dont il nomme les habitants de la partie septentrionale, les Belgae (Belges). C’est de ce terme que vient le nom de Belgique. César faisait la distinction entre les Celtes (ou Gaulois), les Aquitains et les Belges, car il croyait que les peuples belges étaient issus des Germains1. Il a meme fait une énumération de ces différentes tribus belges qui, sous le nom de Germani («qui uno nomine Germani appellantur»), sont appelées Suessiones (Suessions), Nervii (Nerviens), Atrébates (Abrates), Ambiani (Ambiens), Morini (Morins), Menapii (Ménapiens), Caletes (Caletes), Veliocasses (Véliocasses), Viromandui (Viromanduens), Aduatici (Aduatiques), Condrusi, (Condrusiens), Ebuones (Éburons), Caeroeses (Cérosiens) et Paemanes (Pémaniens). Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur. Hi omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt. Gallos ab Aquitanis Garumna flumen, a Belgis Matrona et Sequana dividit. Horum omnium fortissimi sunt Belgae, propterea quod a cultu et humanitate provinciae longe absunt, minimeque ad eos mercatores saepe commeant atque ea quae ad effeminandos animos pertinent important, proximique sunt Germanis, qui trans Rhenum incolunt, quibuscum continenter bellum gerunt. L’ensemble de la Gaule est divisé en trois parties, l'une habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisieme par le peuple qui, dans sa langue, se nomme Celtes, et dans la nôtre, Gaulois. Tous ces peuples different entre eux par le langage, les coutumes et les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, et des Belges par la Marne et la Seine. Les plus braves de tous sont les Belges[16], parce qu'ils sont les plus éloignés de la province romaine et des raffinements de sa civilisation, parce que les marchands vont tres rarement chez eux et, par conséquent, n'y introduisent pas ce qui est propre `a amollir les coeurs, enfin parce qu'ils sont les plus voisins des Germains, qui habitent au-del`a du Rhin, et avec qui ils sont continuellement en guerre. César, De Bello gallico, I Les Belges résistent vigoureusement et refusent de se soumettre. César connaîtra en effet `a cause d’eux sa plus sanglante défaite : en 54 AC, Ambiorix, chef des Éburons[17], se révolte contre l’envahisseur. Surpris, les Romains ne pourront éviter l’élimination de deux légions entieres (6000 soldats). Arrivé trop tard en renfort avec le reste de son armée pour éviter le massacre de ses légions, César poursuivit Ambiorix qui se réfugia dans la foret ardennaise ou il ne parviendra jamais `a le surprendre. La résistance pousse les Romains au génocide de certaines tribus comme les Éburons et les Aduatiques. D'autres tribus, d'origine germanique, vinrent alors repeupler les territoires disponibles, avec l'assentiment des Romains. En 53 AC, ensuite, Vercingétorix, le chef des Arvernes, prend conscience du danger que représente César et réunit en secret une coalition de tous les peuples de la Gaule. César apprenant cela accourt de Rome, prend en chasse Vercingétorix et son armée jusqu’en Auvergne. Repoussés par des Germains alliés des Romains, Vercingétorix et ses troupes se réfugient `a Alésia, oppidum de Bourgogne. En 52 AC, les Romains remportent la victoire de la bataille d’Alésia. La Gaule tombe sous la domination romaine. A partir de 51 AC, la Belgique va connaître quatre siecles de pax romana[18]. 3.2.Domination romaine Apres la soumission des Nerviens (de 57 `a 46), la Gaule belge finit par devenir officiellement une «province romaine» en l’an 16. Cette partie de l’Empire était importante pour les Romains, en raison de la frontiere rhénane avec les territoires germaniques. Dans ce qui était devenu la Belgica, qui s’étendait du Nord de la France aux Pays-Bas et `a une partie de la Suisse, les Romains créerent trois provinces: la Germanica Secunda au Nord-Est, la Belgica Secunda au Nord-Ouest et la Belgica Prima au sud. La province appelée Belgica Prima avait Treves comme capitale et n’occupait qu’une partie du Luxembourg actuel. Par contre, la Belgica Secunda était beaucoup plus grande et occupait tout le Nord-Ouest de la Belgique actuelle avec Reims (actuellement en France) comme capitale. La Germanica Secunda était située au Nord-Est dans ce qui est aujourd’hui une partie de la Flandre et des Pays-Bas, avec comme capitale Maastricht. Ces provinces étaient encore subdivisées en civitates ou régions, qui correspondaient avec les frontieres des tribus. Dans ce cadre administratif romanisé, se produit une romanisation profonde mais pacifique. La pénétration de la langue latine, introduite par les soldats, les marchands, les fonctionnaires…, est facilitée par l’ouverture des premieres écoles. Le latin s’impose rapidement dans les villes tandis que les campagnes, plus conservatrices, gardent le celte, probablement jusqu’au christianisme. La civilisation gauloise devient peu `a peu civilisation gallo-romaine. Tout en laissant subsister les moeurs et les religions indigenes, Rome apporte ses divinités, sa mythologie, ses coutumes et sert de relais aux cultes orientaux, puis au IVeme s., au christianisme. Cependant les conquérants suppriment la caste[19] des druides essentiellement `a cause de leur attitude conservatrice qui déplaît au pouvoir. Les Romains construisent un réseau routier remarquable et des ports. Ces constructions ont surtout un but militaire : envoyer le plus vite possible des troupes vers le Rhin et se défendre contre les dangers venant de la mer du Nord. Elles ont contribué `a l'essor du commerce qui ne fléchira jamais entre 70 et 395 PC[20]. La pax romana est tres favorable `a l'économie. Les marchandises sont transportées par la route, la mer et les rivieres. De petits centres commerciaux s'établissent le long des voies romaines. Ils s'appuient principalement sur les activités artisanales locales. Il y a peu de villes dignes de ce nom, mais on peut quand meme citer Tongres (Aduatuca), Arlon (Orolaunum) et Tournai (Tornacum). Des avant l'arrivée des Romains, la métallurgie et la manufacture du fer et du bronze étaient déj`a bien développées dans la région de l'entre-Sambre-et-Meuse et des Ardennes, de meme que la céramique. A l'époque romaine, les verriers du sud de la Belgique font concurrence `a leurs collegues du Nord de l'Italie. Les produits de l'industrie gauloise sont donc bien présents sur le marché. Le pays exporte aussi des produits agricoles vers l'Italie. Des spécialités comme le jambon, les huîtres et le foie gras y sont tres recherchées. Le blé est vendu aux légions du Rhin. Les territoires belges sont surtout ruraux. Les Romains importent de nouvelles techniques mais les populations celtes leur apprennent l'utilisation de la moissonneuse. Les réformes agricoles romaines améliorent les récoltes. Les surfaces cultivées se répartissent en villae, ou domaines. La villa est une exploitation agricole, qui suffit par son étendue et la variété de ses ressources aux besoins d’une communauté locale. On pourrait la comparer `a un village disposant de champs et de forets, mais dont les travailleurs, libres ou esclaves, sont sous la dépendance d’un meme maître. La villa urbana, habitation du maître, est une demeure imposante et luxueuse depuis laquelle est administré le domaine. La villa rustica est l’ensemble des maisons des serviteurs qui travaillent pour le compte du maître, mais elle comprend aussi les écuries, étables, ateliers des artisans. Chaque domaine dispose de son moulin, sa forge, sa poterie, son four… Réparties dans le domaine se trouvent de plus petites villas exploitées soit par des esclaves, soit par des colons travaillant pour leur compte, mais qui payent alors un fermage (sorte de loyer). Le modele de la villa survivra sans grande modification jusqu’`a l’époque carolingienne. IV. Les Francs 4.1.Les Francs saliens Des le IIIeme s. PC, commence la période de décadence de l’Empire romain qui est frappé par des querelles intestines, une importante crise économique… A partir du IVeme s. (Bas-Empire), vont commencer les infiltrations germaniques. Les Germains se sont répandus `a travers l’Allemagne au cours des IVeme et IIIeme s. AC. Leur nom de ‘Germains’ leur vient des Romains : ils n’avaient pas de nom collectif pour se désigner entre eux. Des le IVeme s., des tribus germaniques, les Francs Saliens, s’infiltrent lentement et pacifiquement au-del`a du Rhin. Ils s’établissent en Toxandrie (Campine actuelle). Ils sont meme enrôlés dans les légions qui surveillent les frontieres et forment le gros de l’armée romaine de cette époque. Peu `a peu ils se transforment en soldats-paysans : ils jouissent d’une terre donnée par Rome et qu’ils exploitent mais sont susceptibles `a tout moment de prendre les armes pour aller combattre. Toutefois, les Germains qui sont restés au-del`a du Rhin sont, eux, de plus en plus attirés par les richesses de l’empire. Au début du Veme s., les Vandales, les Sueves et les Alenes, trois tribus germaniques, envahissent une partie de la Belgique. Ils ne se fixent pas dans le pays. Mais les Francs Saliens profiterent du désordre que ces Germains (qui ne firent que passer et se dirigerent ensuite vers la Méditerranée) avaient créé pour, `a leur tour, envahir le territoire. En 430, Clodion, le roi des Saliens, s’empare de Tournai et s’infiltre vers le sud de la Gaule. Son fils Mérovée fait de Tournai sa capitale. La civilisation mérovingienne succede `a la domination romaine. 4.2.La frontiere linguistique Des cette période, le particularisme entre le nord et le sud du territoire belge se dessine : la masse des Francs se sont installés au nord du pays encore faiblement habité jusque l`a et ont pu imposer leur langue germanique : ce sont les ancetres des Flamands. Au sud et au sud-est, ces memes Francs s’integrent dans l’élément gallo-romain, numériquement plus important, et donnent naissance `a la Wallonie. Depuis cette époque, la frontiere linguistique entre les deux communautés, qui suit une ligne est-ouest reliant Visé `a Mouscron en passant par le sud de Bruxelles, n’a que tres peu varié, sauf dans la France septentrionale, ou elle continue longtemps `a migrer vers le nord. Par ailleurs, des Saxons et des Frisons vinrent également habiter sur les côtes flamandes; encore de nos jours, on peut trouver certains éléments saxons et frisons dans les dialectes parlés dans le nord de la France, en Flandre et aux Pays-Bas. Les Francs auraient alors donné le nom de Wallons (de walha, nom francique d’une tribu celtique de la Gaule narbonnaise, les Volcae) aux habitants de cette région du sud de la Belgique. Par la suite, les populations flamandes leur auraient attribué le meme nom (Waal). Lentement, les Wallons donnerent naissance `a ce qui deviendra beaucoup plus tard la Wallonie. Ainsi, Flamands et Wallons de Belgique auraient les memes ancetres et proviendraient en partie des memes peuples. 4.3.Les Mérovingiens En 481, Clovis succede `a son pere Childéric et devient roi des Francs. Son royaume, qui se situe autour de Tournai, est encore assez modeste `a son avenement. Il va tenter de l’étendre. Depuis 500, la Gaule est partagée entre trois grands peuples germaniques : les Francs au nord et `a l’ouest, les Wisigoths au sud et les Burgondes `a l’est. En 507, Clovis s’empare du territoire des Wisigoths. Clovis abandonne Tournai et installe sa capitale `a Paris. A une date mal connue (498 ?), Clovis se fit baptiser `a Reims. En 511, Clovis meurt : durant deux siecles, ses descendants vont assurer le pouvoir de la dynastie mérovingienne. La période de la christianisation de nos territoires correspond `a la période franque. Elle commence timidement vers le IVeme s. par la création du diocese[21] de Tongres. Servais est le premier éveque belge. Mais c’est au VIeme s. que le christianisme s’implante vraiment. Apres le bapteme de Clovis, les missionnaires évangélisent nos régions avec la protection des rois mérovingiens. La conversion est cependant lente et pénible. Le nombre d’abbayes et de monasteres se multiplient et deviennent des centres économiques et artistiques. La plupart suivent la regle de Saint-Benoît. Les derniers rois mérovingiens (appelés ‘les rois fainéants’) font preuve d’incapacité pour régner. C’est ainsi que l’autorité va passer progressivement aux mains des maires du palais. D’intendants des biens royaux, ceux-ci deviennent chefs militaires et sont les véritables dirigeants du royaume. En 751, Pépin III, dit le Bref, dépose le dernier roi mérovingien, Childéric III, et se fait élire roi des Francs. Il fait accompagner cette élection d’un sacre : il devient ainsi le premier empereur de la dynastie des Carolingiens. 4.4. Les Francs carolingiens Charlemagne (Carolus Magnus) succede `a Pépin, son pere. Il prouve sa force en intervenant en Italie pour défendre la papauté contre les Lombards. Par ses différentes conquetes, il transforme la carte de l’Europe et étend son royaume. En 800, Charlemagne est couronné empereur d’Occident par le pape Léon III. Ce titre en fait l’héritier des empereurs romains de l’Antiquité en Occident. Il devient l’égal de l’empereur de Byzance. L’empire n ‘a pas officiellement de capitale mais Aix-la-Chapelle (Aachen) devient le séjour favori de Charlemagne. L’empire de Charlemagne est essentiellement continental et son centre n’est plus la Méditerranée mais le territoire entre le Rhin et la Meuse. Il opere une réforme administrative de son empire : il le divise en comtés et en marches régis par des comtes ou des marquis, choisis dans les riches familles de propriétaires terriens. Cependant, en morcelant son empire en comtés dirigés par des seigneurs aux pouvoirs militaires et administratifs relativement étendus, Charlemagne le fragilise et prépare `a terme le morcellement féodal. L’administration est contrôlée par le pouvoir central, des envoyés de l’empereur étant annuellement dépechés en inspection dans tout l’empire. Ces missi dominici (envoyés du seigneur) en général envoyés par deux, un ecclésiastique et un laic, veillent `a l’application des décisions de l’empereur par les comtes. La condition des personnes varie selon leur possession terrienne. Il y a des hommes libres, parmi lesquels des grands propriétaires qui peuvent accéder `a des fonctions et dignités, des colons écartés des affaires publiques et dont le seul rôle est de gérer le domaine du seigneur. Par ailleurs, il y a les non-libres, occupés comme artisans ou cultivateurs et qui sont vendus et achetés avec les terres. C’est le servage qui succede `a l’esclavage antique. Les Carolingiens veulent maîtriser l'économie. Battre monnaie redevient un privilege d'Etat. Les régions belges connaissent `a cette époque une expansion économique. Sous l'impulsion des abbayes, le défrichement s'étend, surtout en Flandre, et les paroisses se multiplient. La production agricole augmente grâce `a une amélioration de l'outillage, elle-meme induite par les progres de la métallurgie. La production d'objets en fer augmente. L'abondance crée des marchés locaux ou les agriculteurs écoulent leur surproduction et ou les marchands proposent leurs produits. Un commerce `a longue distance s'installe également. Les biens commercialisés sont : les céréales, le poisson, le vin, les produits orientaux, les draps, l'ambre et les armes. Les villes qui existent déj`a (Tournai, Namur, Dinant) prosperent et des villes sont créées, comme par exemple Gand. Lors de la période carolingienne, on constate une renaissance culturelle. Tout d’abord dans le domaine littéraire : on assiste `a une renaissance littéraire du latin. Les monasteres abritent une intense activité d’écriture (vies de saints). Il y a aussi des commentateurs d’auteurs antiques. Les scribes créerent une nouvelle écriture claire, simple et connue sous le nom de caroline minuscule. Les enlumineurs[22] carolingiens sont également fameux pour leurs oeuvres raffinées. C’est au niveau des lettres romanes que nos régions se signalent. Ainsi, l’oeuvre considérée comme la premiere oeuvre de langue française, le Cantilene de Sainte-Eulalie (880), a été écrite dans nos régions (entre Tournai et Liege). A l’époque de Charlemagne, le nombre d’écoles augmente sensiblement. D’ou une croyance populaire qui fait de Charlemagne l’inventeur de l’école ! Au point de vue architectural, l’influence orientale est incontestable. En effet, Charlemagne fait appel `a des artistes byzantins pour la construction de ses palais et églises car ces derniers pouvaient construire des rotondes. Un bon exemple en est la Collégiale Sainte-Gertrude `a Nivelles (Brabant Wallon) : on peut voir dans l’édifice subsistant des vestiges remontant au IXeme s. A part cet exemple, il ne reste que tres peu de vestiges architecturaux de l’époque carolingienne. L’iconographie aussi subira l’influence de ces orientaux venus dans l’empire carolingien. En général, l’art religieux se développe. Apparaissent des objets de culte (sculptures, orfevrerie,…), des reliquaires et des châsses[23]… 4.5. La succession de Charlemagne A la mort de Charlemagne en 814, son fils unique, Louis le Pieux, lui succede. Il se fait sacrer et fait passer l’habitude de compléter le couronnement laic par un sacre religieux. En 817, Louis le Pieux établit un document qui regle de son vivant sa succession : seul son fils aîné pourra lui succéder. D’un premier mariage Louis le Pieux a trois fils : Lothaire, Pépin et Louis. Lothaire devient empereur « associé » déj`a du vivant de son pere. Pépin et Louis, l’un roi d’Aquitaine et l’autre de Baviere, sont sous l’autorité de leur pere et de leur frere. De son second mariage, Louis a un fils : Charles le Chauve. La mere de ce dernier réclame pour son fils la plus grande part des territoires en dépit du texte de 817. En 843, Charles le Chauve, Lothaire et Louis se partagent l’empire en trois (Pépin est mort) lors du traité de Verdun. Quelques 120 commissaires – 40 pour chaque frere – afin d’établir un inventaire des biens `a partager, plus d’un an de négociations, plusieurs réunions entre les trois protagonistes : le traité de Verdun est né d’un accouchement difficile… Finalement, Charles obtient la Francie occidentale (partie francophone), Louis le Germanique, la Francie orientale (partie germanophone), et Lothaire la Lotharingie (Francie médiane). Lothaire reçoit également le titre impérial. Apres sa mort, la Lotharingie s'affaiblit rapidement et ses freres esperent s'approprier son royaume. Apres une longue navette entre la Francie occidentale et la Francie orientale, une grande partie du territoire est rattachée en 925 au royaume oriental. La frontiere entre l'ouest et l'est est désormais marquée par l'Escaut. Les territoires occidentaux de la Belgique actuelle appartiennent donc `a la Francie occidentale, la future France, les régions orientales sont rattachées `a la Francie orientale, le futur "Saint empire romain germanique". Le roi de Francie orientale reçoit le titre d'Empereur. La frontiere de 843 subsistera en droit jusqu’au XVIeme siecle. Elle fait de nos régions un enjeu, une zone-frontiere ou la France et le Saint-Empire rivaliseront d’influence. Autre élément important : les deux parties de la Belgique actuelle, de part et d’autre de l’Escaut, sont toutes deux bilingues (la frontiere linguistique, en effet, court d’ouest en est), et excentrées par rapport au pouvoir dont elles dépendent. Ces caractéristiques communes déterminent un certain particularisme, qu’on retrouve chez les habitants "de l’Est" comme "de l’Ouest". Les dissensions internes mettent l'empire `a la merci des invasions. Parcourue de voies d’eau facilement navigables, la Belgique actuelle subit des cette époque les assauts des Vikings qui, avec leurs drakkars `a fond plat, remontent les cours d’eau en vue de ramener des objets de valeur. Ceux-ci se trouvent en général dans les monasteres qui sont la principale cible des pillages. Ils ne sont définitivement repoussés qu’en aout 891. Devant l'affaiblissement du pouvoir central, les seigneurs locaux prennent en mains la protection de la population. On construit forteresses, donjons et autres fortifications. En échange de leur protection, les nobles locaux prennent une partie des libertés de leurs protégés, renforcent leur propre pouvoir et s'émancipent ainsi vis-`a-vis de leur souverain : le monde féodal est né. 4.6. L’espace « luxembourgeois » Qu’en est-il de l’espace « luxembourgeois » ? Le territoire qui correspond aujourd’hui au Luxembourg fut d’abord occupé par les Gaulois et les Germains. Sous les Romains, il fit partie de la province de Belgica Prima. Il fut ensuite intégré au royaume franc d’Austrasie C’est probablement des le IIIeme siecle que les Francs sont présents dans l’espace « luxembourgeois » alors intégré `a la Belgica Prima. L’intensité de cette présence augmente cependant considérablement des le Veme siecle. Peu `a peu la présence romaine s’efface. Parallelement `a l’implantation franque, progresse la christianisation, surtout apres le bapteme de Clovis. Ce sont d’ailleurs les éveques qui assurent l’administration des ciuitates en attendant que des comtes les assistent ou completent leur action politique[24]. Les Francs vont d’installer dans les régions fertiles du Gutland et de la Moselle. A l’avenement de la dynastie carolingienne, l’espace « luxembourgeois » va etre intégré `a l’empire de Pépin puis de Charlemagne. Notons que l’abbaye d’Echternach, bien dotée par la royauté carolingienne et l’aristocratie régionale, connaît deux périodes fastes qui la font figurer parmi les grands centres spirituels et artistiques du haut Moyen Age. Une premiere au début du VIIIeme s. et la seconde au IXeme s. Son scriptorium réalise des enluminures célebres et fastueuses. Elle resta célebre pour sa production d’art livresque médiéval. Une autre abbaye tres importante pour l’époque est celle de Saint-Maximin de Treves. Les terres de cette derniere et du monastere d’Echternach constituent la base du futur comté de Luxembourg. Apres le traité de Verdun, le territoire du Luxembourg va se retrouver en Francie médiane, ou Lotharinigie. En 925, cette derniere passe entre les mains du roi de Francie orientale. Cependant, comme nous venons de le dire, l’emprise croissante des grandes familles nobles constitue le facteur le plus important de recomposition du paysage politique. Peu `a peu les ducs, les comtes ou encore les abbés laiques[25] s’approprient des terres aux dépens du fisc ou des abbayes. Ainsi naît au XIeme s., en rupture avec les structures politico-administratives carolingiennes, le comté de Luxembourg. L’espace occupé des le XIeme s. le comté, puis le duché du Luxembourg équivaut plus ou moins `a la région située entre la Meuse et la Moselle. Située de part et d’autre de la frontiere linguistique, ce pays tres divers est en fait un foyer culturel et politique de grande importance : une grande activité commerciale s’y développe ; la région est riche de terres impériales ou les empereurs viennent chasser ou se reposer[26] et de domaines abbatiaux détenant de vastes domaines. V. La Belgique féodale 5.1.Le morcellement du territoire En France comme en Lotharingie, profitant des luttes dynastiques qui tourmentent le pouvoir et des désordres dus aux invasions normandes, certains comtes veulent se soustraire de l’autorité royale et étendre leur pouvoir au détriment de leurs voisins en soumettant des populations qu’ils protegent. Ainsi, des la fin du IXeme s., le comte Baudouin II profite des difficultés du roi de France pour étendre son territoire. Cette politique d’expansion est poursuivie par ses successeurs durant deux siecles et aboutit `a la création d’un vaste comté de Flandre. Celui-ci va comprendre de grandes régions du nord de la France ainsi que des territoires qui étaient sous l’autorité de l’empereur d’Allemagne. Le comte va y exercer des pouvoirs presque royaux : il rend la justice, il leve des troupes[27], il frappe monnaie… A l’ouest de l’Escaut, seule la ville de Tournai ne sera pas intégrée au comté et restera libre, dépendant directement du roi de France. Entre le IXeme et Xeme s., on assiste `a un morcellement du territoire : les principales entités sont le comté de Flandre, le comté de Looz, le comté de Hainaut, le comté de Namur et le comté de Luxembourg, ainsi que les duchés du Brabant et de Limbourg, la seigneurie de Malines et la principauté de Stavelot. La principauté épiscopale de Liege est indépendante. Ces différentes entités luttent ou collaborent selon les circonstances politiques et économiques, au gré des alliances et des guerres. Celles qui se trouvent `a l’est de l’Escaut sont sous l’influence du Saint Empire Romain Germanique, tandis que celles qui sont `a l’ouest relevent de la France. Au départ, l’empereur de Lotharingie va essayer de garder son autorité en mettant au point le systeme de l’Église impériale. Cela signifie que l’empereur va confier la direction du territoire de Lotharingie `a des éveques d’origine allemande fideles et dévoués, comme par exemple le prince-éveque Notger de Liege (Xeme s.). Mais l’autorité de l’empereur va s’affaiblir peu `a peu notamment `a cause du conflit avec le pape (que l’on appelle la querelle des investitures[28]) et finalement son territoire va se morceler en ces principautés autonomes dont on vient de parler. Le territoire couvert par ces principautés est plus large que le territoire actuel de la Belgique et, surtout, il n’y a aucune homogénéité linguistique : le flamand domine en Flandre, au Brabant, `a Malines et au Limbourg et les parlers romans[29] dominent ailleurs. Les princes s’entourent de vassaux, seigneurs et châtelains. Cette noblesse qui détient les terres domine une population essentiellement rurale. Jusqu’au XIeme s., l’agriculture constitue l’activité principale. Apres l’an mil, en raison d’une augmentation de la population, les domaines s’agrandissent. En outre, on commence `a défricher de nouveaux territoires autour des villes et des monasteres et on aménage la région proche de la mer (digues, drainage de terrains marécageux…) : c’est la naissance des polders. Ce phénomene se poursuit aux XIIeme et XIIIeme s. La production agricole augmente sensiblement en raison de la multiplication des terres cultivées mais aussi en raison de l’amélioration des techniques agricoles (remplacement du boeuf par le cheval, amélioration de la charrue…). 5.2. Les institutions féodales La terre étant au début de l’époque féodale la seule source de richesse, les rois prennent l’habitude de céder, en reconnaissance de services rendus, une partie de leur domaine. Au cours du temps, les bénéficiaires gardent pour leurs descendants les terres reçues, appelées fiefs. Ils récompensent `a leur tour les hommes d’armes en leur donnant une parcelle de cette terre. Ainsi se crée une échelle de pouvoir entre vassaux (seigneurs protégés) et suzerains (seigneurs protecteurs), dont les terres sont emboîtées les unes dans les autres. Avant de prendre possession de son fief[30], le vassal doit jurer fidélité `a son suzerain lors d’une cérémonie symbolique. Chaque seigneur administre librement son domaine, appelé seigneurie. Il vit dans un château-fort situé sur une butte et entouré d’un fossé rempli d’eau. De l`a, il défend la communauté de paysans et d’artisans qui vit sur son domaine (ils peuvent se réfugier dans l’enceinte du château en cas de probleme), mais en échange, celle-ci pourvoit `a ses besoins matériels. Les demi-libres peuvent cultiver la terre du seigneur en échange d’un loyer (le cens) en nature (produit de leur travail) et en services `a l’égard de leur seigneur (travail sur les propres terres de ce dernier). Les serfs, héréditairement attachés `a la terre, ne sont pas libres, mais ils ne sont cependant pas considérés comme des objets, au contraire des esclaves antiques : ils ont des droits, notamment celui de fonder une famille. Les serfs ont des obligations bien plus importantes `a l’égard du seigneur : ils travaillent énormément pour le compte de ce dernier. 5.3. L’art roman Dans les années 1000, comme nous venons de le voir, la population s’accroît. L’Église veut faire face `a cette augmentation de chrétiens : tout l’Occident va se couvrir d’églises qui vont etre construite en style roman. Ce style possede diverses caractéristiques : l’église est en forme de croix latine, et les plafonds ne sont plus en bois mais en pierres. Pour ce faire, on va utiliser la technique de la voute en berceau (ronde). Comme ces voutes sont lourdes (`a cause de la pierre), les murs des églises sont épais, la hauteur limitée et les ouvertures réduites : il y fait donc sombre et l’atmosphere en devient mystérieuse, propice `a la priere… 5.4. L’essor des villes L’augmentation démographique et l’accroissement des cultures agricoles favorisent non seulement le commerce et donc l’économie mais également le développement des villes. A partir du XIeme s., la Belgique devient un pays de villes. Les villes sont souvent situées le long de cours d’eau ou de la côte, dans des endroits d’acces aisé. A l’ouest, Bruges, Gand, Ypres, Tournai deviennent des centres urbains. En pays mosan, Huy, Namur, Dinant et Liege se développent `a partir de leur noyau datant de l’époque carolingienne. L’urbanisation de la Moyenne-Belgique est plus lente, seule Nivelles présente au Xeme s. un caractere urbain. Ce développement de villes est aussi lié `a la renaissance économique de l’Europe du Nord et `a l’essor des industries des régions de la Meuse et de la Flandre. En effet, au XIeme s., la région mosane[31] développe ses industries de métallurgie du fer, du cuivre et de fabrication de draps. Au XIIeme s., la Flandre devient la grande région industrielle. C’est l’industrie de la draperie qui va surtout s’y développer. Les toiles sont fabriquées en grande partie pour l’exportation. Un commerce international de grande ampleur va s’organiser `a partir de ces régions. Désormais, Mosans et Flamands se déplacent eux-memes `a l’étranger pour vendre leurs produits et acheter leur matiere premiere, et ce, dans toute l’Europe occidentale. Les marchands flamands et mosans forment bientôt des colonies dans les grandes villes européennes de l’époque et se regroupent en guildes (association de marchands venant d’une meme ville) ou hanses (rassemblement de guildes de plusieurs villes). Les étrangers viennent quant `a eux en Flandre pour participer `a des foires commerciales[32]. Au XIeme s., les échanges avec l’Angleterre sont les plus importants. Bruges domine le commerce avec l’Angleterre et va dominer la Hanse de Londres qui rassemble les guildes de nombreuses villes flamandes. Les Flamands exportent non seulement leurs tissus mais également des vins qu’ils achetent dans les foires de Gascogne. Par ailleurs, ils font vivre le marché anglais en achetant l`a les laines qui sont acheminées `a Bruges. De ce fait, le port de cette ville devient tres important et le restera jusqu’au XIVeme s. La Flandre entretient des relations commerciales avec les ports de la mer Baltique via une autre hanse importante, la Hanse Teutonique (ou ligue hanséatique), qui rassemble toutes les cités qui bordent la mer Baltique. Au XIIeme s., la premiere croisade se met en route vers Jérusalem. La noblesse belge y participe en masse. Un nouveau débouché commercial est des lors créé en Asie Mineure. Les Flamands poussent vers le Sud et nouent des contacts commerciaux avec les Italiens. Les villes vont vraiment connaître une explosion démographique. Par exemple, vers le XIVeme s., Gand — qui a développé un commerce avec la Rhénanie et l’Angleterre — compte entre 56 000 et 64 000 habitants : c’est la deuxieme ville d’Europe la plus peuplée, la premiere place revenant `a Paris ! Bruxelles, Nivelles, Malines voient également leurs populations augmenter. Peu `a peu les villes cherchent `a échapper `a l’autorité des princes. Elles obtiennent des franchises ou privileges. D’abord accordées oralement, ces libertés s’officialiseront dans des chartes : la plus ancienne date de 1066 (charte de la ville de Huy). Les villes vont progressivement devenir des communes autonomes meme si le prince garde un contrôle par l’intermédiaire d’un fonctionnaire qui le représente. Les privileges sont tres différents d’une ville `a l’autre : suppression des redevances seigneuriales, permission d’organiser une milice communale, tribunaux locaux (et non plus princiers), gestion de la ville laissée aux bourgeois. Devenues en quelque sorte des personnes morales, les communes se dotent d’une banniere ornée de leurs « armes », d’un beffroi muni d’une grosse cloche, d’un tocsin servant `a alerter ou convoquer les bourgeois, d’un hôtel de ville ou siegent les échevins qui apparaissent `a cette époque et qui sont les administrateurs des villes, de halles pour entreposer les marchandises, des milices et enfin d’un sceau, symbole de puissance. Jusqu’au XIIIeme s., les fonctions communales sont monopolisées par l’aristocratie industrielle des villes. Mais les associations d’artisans ou corporations[33] vont se révolter. 5.5. Les crises du XIVeme siecle Des la moitié du XIIIeme s., les artisans du textile de Gand se soulevent contre les marchands-drapiers qui les dominent politiquement — les échevins viennent tous de la classe des marchands — et économiquement — ils sont les fournisseurs de matiere premiere et acheteurs du produit fini. A la meme période, les artisans de Liege se révoltent contre l’éveque et les échevins mais ils sont écrasés. Les luttes vont se durcir et vont continuer au XIVeme siecle. Finalement, les bourgeois marchands vont consentir `a partager les charges échevinales avec les artisans voire `a les céder comme `a Liege. Ces conflits internes se superposent aux conflits externes notamment en Flandre ou le roi de France essaie de reprendre le pouvoir au comte, Gui de Dampierre. Ce dernier a en effet conclu une alliance avec l’Angleterre contre l’avis de son suzerain, Philippe le Bel. Le roi de France va alors décider d’annexer la Flandre au royaume de France — avec le soutien de la bourgeoisie — mais cela va provoquer de nombreuses révoltes en Flandre dont les Matines Brugeoises le 18 mai 1302 (massacre des troupes françaises). Le roi de France va alors envoyer des troupes pour reprendre le contrôle de la Flandre sous le commandement de Robert d’Artois. Le 13 juillet 1302, les troupes atteignent Courtrai : elles sont accueillies par une armée composée de paysans et d’ouvriers dirigés par des seigneurs restés fideles au comte de Flandre. Malgré l’infériorité en nombre et en force des troupes flamandes, ce sont elles qui remporteront la victoire sur les Français. Les vainqueurs ramasseront 700 éperons[34] dorés sur le champ de bataille : c’est pour cela que cette célebre bataille est appelée la Bataille des Éperons d’or. Elle va permettre la libération de la Flandre et l’instauration d’un régime démocratique dans les grandes villes du comté. Elle va devenir un symbole pour les Flamands meme si le roi de France aura rapidement sa revanche en 1304 `a Mons-en-Pévele. Mais malgré cette défaite, l’autonomie de la Flandre est sauve… Des le XIIIeme s., pour contrer les prétentions du roi de France, le comté de Flandre amorce un rapprochement avec l’Angleterre, ce qui est conforme aux intérets de l’industrie drapiere. Au début de la Guerre de Cent Ans[35] (1337), le roi de France sollicite l’assistance de son vassal, le comte de Flandre, contre le roi d’Angleterre. L’intéret des villes flamandes est au contraire de garder de bonnes relations avec l’Angleterre : sans laine anglaise, l’industrie drapiere flamande s’arrete, et c’est la ruine. C’est ce point de vue que fait triompher Jacques van Artevelde, un riche marchand flamand, qui devient un chef politique important, un véritable contre-pouvoir en Flandre. Dans les premieres années de la guerre, la Flandre prendra le parti de l’Angleterre, par intéret commercial; ensuite, elle restera neutre. Dans l’ancienne Lotharingie, l’autonomie des principautés n’est pas remise en cause par l’Allemagne qui est alors affaiblie. Par contre, le pouvoir des princes est limité par les exigences des privilégiés (nobles, bourgeois, membres du clergé). Au XIVeme s., les ducs de Brabant vont devoir accepter plusieurs chartes qui donnaient une part de plus en plus active aux villes dans l’administration du duché. En effet, les ducs continuellement en manque d’argent devaient si souvent faire appel aux bourgeois que ceux-ci finirent par réclamer des constitutions matérialisant certains avantages. Et en 1356, la duchesse Jeanne et son mari Wenceslas doivent preter serment `a la Joyeuse Entrée. La constitution brabançonne, qui restera en vigueur jusqu’en 1794, stipulait notamment le partage du gouvernement entre le duc et le commun pays (délégués de la bourgeoisie, de la noblesse et du clergé). Désormais, le duc ne pourra rien entreprendre sans en référer aux trois ordres, les futurs États du Brabant. A Liege, les pouvoirs du prince-éveque sont limités des le XIVeme siecle, théoriquement au profit des groupes les plus favorisés. Mais les ruraux qui constituent la majorité de la population ne feront jamais partie des états. On le voit, les villes jouent un rôle non seulement au niveau économique mais aussi politique : elles luttent contre l’absolutisme des princes ; habituées `a s’administrer elles-memes, elles sont des creusets de particularisme. Parallelement, on voit apparaître un sentiment communautaire au sein de chaque principauté : les populations prennent conscience d’appartenir `a un groupe spécifique. 5.6. Reconversion économique Alors que les siecles précédents avaient connu une forte augmentation démographique, le XIVeme siecle va etre marqué par une évolution de la population plus fluctuante. En effet, des famines vont se déclarer ainsi que des épidémies de peste. Une période de disette chronique, conséquence de la surpopulation, commence en 1316-17. Mises dans l'impossibilité de reconstituer leurs réserves, les classes les plus pauvres subissent les conséquences de la malnutrition. Une sous-alimentation chronique provoque la faiblesse généralisée de l'organisme. Lorsqu'en 1348, la peste revient dans les principautés belges, elle fauche d'innombrables victimes, affaiblies, et réapparaît `a chaque génération. Par ailleurs, les activités commerciales connaissent de profondes mutations. Les marchands flamands ne dominent plus le marché du drap (meme si les draps belges restent présents sur tous les marchés européens) mais sont supplantés par les Italiens, les Anglais… Cela est surtout sensible `a Bruges qui atteint son apogée au XIVeme s. et ou les marchands étrangers se groupent en colonies par « nation » : Allemands, Anglais, Écossais, Génois, Vénitiens… Par contre, les vieilles familles de Bruges se retrouvent avec les Italiens dans les métiers de la finance. La ville devient en effet un important centre bancaire et boursier. Dans le Hainaut, le Namurois, le pays de Liege (bref, l’actuelle Wallonie), plusieurs industries traditionnelles se développent : l’extraction de la houille[36] (charbon), la tannerie, le travail du métal. Pour l’ensemble de la Belgique, malgré quelques difficultés, l’économie de la fin du Moyen Âge est encore tres active. 5.7. La vie culturelle Au XIIIeme siecle, des écoles laiques apparaissent, subventionnées par des bourgeois aisés, et ce, pour donner aux futurs marchands des rudiments d’écriture et de calcul. Il faut dire que l’instruction est encore fort peu répandue. Liege qui attirait aux XIIeme-XIIIeme siecles des étudiants de toute l’Europe perd de son prestige au profit de Paris. C’est dans cette ville que les étudiants vont de préférence achever leurs études au XIVeme siecle. Aux XIIeme-XIIIeme s., le latin n’est plus la langue officielle. Partout dans le comté de Flandre, jusqu’`a la moitié du XIIIeme siecle, le français devient la langue administrative (aussi bien dans les parties ou l’on parle le flamand que dans les parties wallonnes). A partir de cette époque, le bilinguisme devient la norme dans l’administration. Le français est la langue de l’élite ; le flamand, la langue du peuple. Dans le Brabant, les ducs, malgré leur prédilection pour le français, font rédiger leurs actes dans la langue de leurs sujets : en thiois pour les Flamands et en roman pour le Wallon. A Liege, le français prévalut. Dans le Luxembourg, la chancellerie comtale utilisé au XIIIeme s. le français au lieu de l’allemand. Des le XIIIeme siecle, le style roman est abandonné. Désormais on s’inspire du style gothique français, plus aérien, plus élégant. Ce style est caractérisé par l’arc brisé, les voutes sur croisée d’ogives, les arcs-boutants évidés. Les édifices gothiques sont plus élevés et plus lumineux. 5 .8. Et le Luxembourg… L’année 963 marque le début de l’histoire du Luxembourg proprement dit. L’empereur du Saint-Empire dote un comte ardennais, Sigefroid, de la charge d’avoué[37] du domaine du monastere Saint-Maximin de Treves. Mais ce que l’on retiendra d’abord de la vie de Sigefroid est la fondation en 963 du Lucilinburhuc, ce qui signifie «petit château», autour duquel, au fil des siecles, une ville forteresse se développe. Suite `a la création d’un marché et la construction d’une église consacrée en 987, les populations environnantes y viennent et donnent vite au lieu des allures de bourgades. Le fait qu’une communauté de chanoines[38] vient s’installer pres de l’église – qui est elle-meme dotée par Sigefroid de reliques prestigieuses et d’autels aux titres relevant de la symbolique impériale – va conférer une lourde symbolique religieuse au lieu. Peu `a peu les descendants de Sigefroid vont d’éloigner peu `a peu du trône. En 1060, le territoire est devenu comté, gouverné par le comte Conrad, le fondateur de la maison de Luxembourg. Le « Luxembourg » (comme on l’appelle désormais) devient un entité politique propre et forte, d’autant plus que Conrad fonde, au pied du château, un monastere de lignage, le Munster : désormais les comtes ne se feront plus inhumer `a Saint-Maximin de Treves mais au Munster. Par ailleurs, Conrad est le premier des descendants de Sigefroid `a ajouter `a son titre comtal la référence au centre de son pouvoir, le « de Luccelemburc ». Dans les années 1120-1130, s’éteint la lignée masculine issue du comte Conrad : le Luxembourg passe ensuite sous la domination de la maison de Namur et de Limbourg. Une double influence, latine et germanique, le caractérisait déj`a `a cette époque. En 1308, avec Henri VII, les comtes de Luxembourg accedent `a la dignité impériale et donnent au Saint Empire romain germanique quatre empereurs au cours des XIV^e et XV^e siecles. L’accession au trône royal ouvre au Luxembourg des perspectives tres larges. Cette derniere permet entre autres d’attribuer des fiefs d’Empire vacants (pour cause d’absence de descendants ou de rébellion des vassaux) `a des membres de sa propre famille afin d’agrandir le domaine familial. En 1310, la Boheme est justement libre, son dernier roi étant décédé et ne laissant qu’une fille. A la délégation bohémienne venue lui demander un roi, Henri VII propose d’abord son frere Waléran. Mais les envoyés tcheques veulent unir la fille de leur roi défunt au jeune fils d’Henri, pensant ainsi pouvoir mieux le former pour en faire un vrai roi de Boheme… Le 1^er septembre 1310, Jean, le fils d’Henri, épouse Élisabeth de Boheme et part en octobre `a la « conquete » de son royaume. Le comté est érigé en duché en 1354, par Charles IV (1316-1378), fils de Jean du Luxembourg. Charles IV, couronné empereur `a Rome, déplace le centre du royaume germanique vers l’est. En 1378, `a la mort de Charles IV, un quart du territoire du royaume est sous domination luxembourgeoise, mais les terres dynastiques se trouvent surtout `a l’est, en Boheme, en Moravie, en Silésie, en Lusace, en Brandebourg. Charles IV fait de Prague le véritable centre politique et culturel de son royaume. VI. L’État bourguignon (1384-1482) La Maison de Bourgogne s’installe en Flandre `a la suite du mariage de Philippe le Hardi avec Marguerite de Male, fille du comte de Flandre, Louis de Male. Quoiqu’absorbée par la politique française, elle réussit au XVeme s. `a regrouper les différentes principautés belges en un « État » puissant pratiquement indépendant de la France et de l’Empire. 6.1. L’unification des Pays-Bas A. La préparation de l’unité territoriale avec Philippe le Hardi et Jean sans Peur Princes français avant tout, Philippe le Hardi et Jean sans Peur n’ont jamais songé `a unifier les principautés belges, mais par des alliances matrimoniales, ils rendirent cette unification possible apres eux. § Philippe le Hardi (1384-1404) Philippe le Hardi est le plus jeune fils du roi de France Jean II. Ce surnom lui vient du courage dont il fit preuve lors du combat contre les Anglais sur le champ de bataille de Poitiers. Pour ce meme courage, son pere le récompensa en lui faisant don du duché de Bourgogne. En 1369, il épouse Marguerite de Male, fille de Louis de Male, comte de Flandre. Lorsqu’en 1384, ce dernier meurt, Philippe va se retrouver `a la tete de vastes territoires : Flandre, Artois, Bourgogne, Franche-Comté. Il va en outre étendre son influence par d’habiles jeux politiques. En 1385, il marie sa fille et son fils successivement `a l’héritier et `a l’héritiere du comté de Hainaut-Hollande. Par ailleurs, il rachete les terres du Limbourg et d’Outre-Meuse `a sa tante, Jeanne de Brabant, et obtient pour son fils cadet Antoine l’héritage du Brabant. Parallelement, Philippe s’implique beaucoup dans la gestion de la France. Apres la mort de son frere Charles V, le duc participe `a la régence qui entoure le jeune Charles VI, sacré roi `a l’âge de douze ans. Il n’hésite pas `a utiliser troupes et argent français pour affirmer son autorité sur les Flamands, en écrasant la révolte de Rozebeke en 1382 et en imposant la paix de Tournai aux Gantois, trois ans plus tard. § Jean sans Peur (1404-1419) et Antoine (1406-1415) En 1406, date de la mort de la duchesse Jeanne, Antoine est mis `a la tete du Brabant-Limbourg. Par son mariage, il devient maître en 1409 du Luxembourg. Il meurt en 1415 `a le bataille d’Azincourt ou il s’opposa aux Anglais. Son fils Jean IV sera mis `a la tete du Brabant-Limbourg avec l’appui des États brabançons. De son côté, Jean sans Peur est depuis la mort de son pere en 1404 `a la tete du duché de Bourgogne ainsi que des comtés de Franche-Comté, de Flandre et d’Artois. Il devient l’allié de Guillaume IV, comte de Hainaut-Hollande, et du frere de ce dernier, Jean de Baviere, prince-éveque de Liege. Il l’aide meme `a écraser une révolte des Liégeois[39] en 1409 et réussit `a implanter une influence bourguignonne dans la principauté de Liege. Mais c’est surtout sa politique `a l’égard de la France qui absorbe Jean sans Peur. Des 1392, `a la suite de la folie de Charles VI, il dispute la régence du royaume au duc d’Orléans Louis, le frere de Charles VI, qu’il fait assassiner en 1407. Apres de longs conflits, il est lui-meme assassiné en 1419 `a Montereau par des partisans de Louis d’Orléans. Son fils Philippe le Bon a alors 23 ans. B. La réunion des Pays d’en-bas (Pays-Bas) par Philippe le Bon (1419-1467) C’est Philippe le Bon qui va procéder `a l’unification des principautés de nos régions, en les regroupant sous son autorité. Par héritage et par mariage, il va acquérir la Bourgogne, la Franche-Comté, la Flandre, l’Artois, puis le duché de Brabant-Limbourg (apres avoir fait le serment de respecter la Joyeuse Entrée), enfin le Hainaut, la Zélande, la Hollande, la Frise occidentale. Il achete le comté de Namur et le duché du Luxembourg. Il va également parvenir `a exercer son contrôle sur les principautés épiscopales d’Utrecht, de Cambrai et de Liege en y imposant des éveques ayant un lien de parenté avec lui : il place comme éveque de Cambrai son frere Jean de Bourgogne, il fait désigner son fils bâtard David éveque d’Utrecht, son neveu Louis de Bourbon devient éveque de Liege . A cet ensemble (auquel il faut retirer la Bourgogne et la Franche-Comté), il donne le nom de Pays d’en-bas ou Pays-Bas. La Bourgogne et la Franche-Comté constituent les Pays d’en-haut. Philippe reve alors d’obtenir le titre de roi de la part de l’empereur germanique. Mais l’empereur refusa. A défaut du titre de roi, Philippe n’en fut pas moins completement indépendant de l’Allemagne. Au XVIeme s., le premier historien de la maison de Bourgogne n’hésite pas `a qualifier Philippe de conditor imperii Belgici (fondateur de l’État Belgique). Dans nos régions, l’extension du pouvoir du duc de Bourgogne ne va pas sans résistance. Les populations ressentent avant tout la nouvelle dynastie comme étrangere. Cependant, sous Philippe le Bon, s’ébauche un sentiment unitaire qui n’efface pas les régionalismes. Il est stimulé par différents facteurs : les fréquentes menaces extérieures, par la réunion `a Bruxelles en 1464 des délégués des états provinciaux en Assemblée commune, premiere manifestation des états généraux des Pays-Bas, par la création de l’ordre de la Toison d’Or en 1430, lors des festivités `a Bruges `a l’occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal. L’ordre de la Toison d’Or est un ordre de chevalerie séculier[40]. Trois raisons sont données pour justifier sa création : la premiere est de faire honneur aux anciens chevaliers pour les services déj`a rendus ; la deuxieme est d’honorer les nobles dans la force de l’âge ; la troisieme est d’inciter les chevaliers non encore élus `a se comporter de maniere `a etre eux-memes élus dans l’ordre. Les desseins politiques de Philippe sont clairs : il souhaite ainsi renforcer ses relations avec la noblesse et s’en assure le soutien pour créer un bloc politique fondé sur sa puissance. Les insignes de l'ordre consistent en un collier ou en une chaîne auquel pend un bélier d'or. Cet animal fait référence `a la légende grecque des Argonautes, suggérant une symbolique selon laquelle la dynastie des Bourgogne remonte `a la lignée des Troyens. Au niveau de la politique extérieure, Philippe, en raison de l’assassinat de son pere par les Français, va s’impliquer dans la guerre des Cent Ans qui a cours `a cette époque. Il va prendre parti pour les Anglais et, en 1420, il reconnaît le roi d’Angleterre Henri V comme héritier du roi de France, Charles VI, et régent du royaume. Mais cette alliance va le décevoir car non seulement les alliés réduisent `a rien l’influence bourguignonne en France mais ils la concurrencent jusqu’en Lotharingie. En effet, en 1422, le duc de Gloucester, frere cadet de Henri V, épousa Jacqueline de Baviere qui avait quitté Jean IV, et deux ans plus tard, il prend possession du Hainaut. Philippe va l’en chasser. Malgré cet incident, la collaboration des Anglais et des Bourguignons a continué. En 1430, il entre en conflit avec Charles VII et vient assiéger Compiegne ou il s’empare de Jeanne d’Arc. Malgré la prise de Jeanne d’Arc, les Bourguignons doivent lever le siege et seront finalement battus ailleurs en raison de la mollesse des Anglais. Peu `a peu Philippe va se rapprocher de Charles VII et, en 1435, il conclut la paix avec ce dernier. Par le traité d’Arras, Charles VII lui legue la Picardie et l’exempte d’hommage pour la Flandre et l’Artois. L’Angleterre, furieuse de ce retournement de situation, confisque les bateaux flamands qui sont dans ses ports et déclarent la guerre aux Bourguignons. La Bourgogne va alors aider Charles VII `a reprendre Paris aux Anglais. Mais `a la suite de plusieurs échecs, Philippe va finir par négocier : en 1439, il obtient un rétablissement de la paix et des rapports commerciaux entre l’Angleterre et ses États. C. Charles le Téméraire (1467-1477) Philippe le Bon meurt `a Bruges en 1467. Son fils Charles va lui succéder. Charles le Téméraire, souverain impulsif et peu doué en diplomatie, sera le dernier duc de Bourgogne. Face aux appétits du roi de France, Louis XI, qui profite de la sénilité[41] de Philippe le Bon `a la fin du regne de ce dernier, il défend ses territoires et veut ensuite les étendre, pour constituer un Etat centralisé et d’un seul tenant. Pour atteindre ses objectifs, il emploiera la force, mais ses guerres de conquete se solderont par des échecs, plus particulierement vers la fin de son regne. En 1452, Charles devient comte de Charolais, `a 19 ans. Lorsque le roi de France, Louis XI, oblige son pere, Philippe le Bon `a céder certaines villes situées sur la Somme, Charles le Téméraire fonde la ligue du Bien public, alliance féodale contre le monarque. Apres avoir menacé Paris, la ligue défait le roi en 1465. Deux traités, en 1465, restituent `a Charles les villes de la Somme et lui accordent les comtés de Boulogne et de Guines. Grand vainqueur du roi, Charles, qui brigue la couronne de France, obtient de Louis XI une promesse de mariage avec sa fille aînée. Mais, devenu duc de Bourgogne `a la mort de son pere, il néglige son engagement et épouse Marguerite d’York en 1468, s’alliant ainsi avec le frere de cette derniere, le roi d’Angleterre Édouard IV. Riche et puissant, Charles le Téméraire entreprend la restauration du vieux royaume de Bourgogne en créant, entre la France et l’Empire, une nouvelle Lotharingie, en regroupant les Pays d’en-haut et les Pays d’en-bas. Il va d’abord annexer la principauté de Liege qui séparait le Luxembourg des autres Pays d’en-bas. Celui-ci y parvient des son avenement `a la suite d’une guerre sans merci contre les Liégeois excités `a la révolte par Louis XI. En 1468, les Liégeois toujours travaillés par Louis XI firent un dernier effort pour chasser les Bourguignons mais, vaincus, ils n’empecherent pas la mise `a sac puis l’incendie de leur ville. Mais l’annexion de Liege n’est que temporaire puisque, `a la mort de Charles, la ville se libere : elle gardera son autonomie jusqu’`a la fin du XVIIIeme siecle. Apres avoir joint les Pays d’en-bas avec le Luxembourg, Charles va chercher `a assurer le passage du Luxembourg `a la Bourgogne. En 1469, il rachete la Haute-Alsace `a Sigismond de Habsbourg qui a besoin d’argent pour faire la guerre contre les Suisses. Mais il ne garde pas longtemps ce territoire : en 1474, les Alsaciens, mécontents du gouverneur bourguignon de la région, rachetent leur territoire. Charles va compenser cette perte par la conquete en 1475 de la Lorraine aux dépens du duc René II. Par ailleurs, en 1473, il reçoit du duc Arnold la Gueldre (territoire au nord-est des Pays-Bas actuels). La continuité territoriale de l’État bourguignon est assurée. Mais Charles ne s’arrete pas l`a. Revant de reconstituer le territoire de Lothaire Ier (fils de Charlemagne), il ambitionne d’annexer la Provence et l’Italie. Mais des la premiere bataille `a Grandson, l’armée bourguignonne est vaincue. René II, le duc de Lorraine que Charles avait écarté, parvient `a reprendre Nancy, la capitale de la Lorraine. Charles furieux part avec une poignée d’hommes pour assaillir Nancy mais dans ce siege, il trouve la mort (1477). D. Marie de Bourgogne (1477-1482) La brusque disparition de Charles le Téméraire laisse le pouvoir aux mains de son unique héritiere, Marie de Bourgogne, sa fille, âgée d’`a peine 20 ans. Elle n'est pas préparée `a cette succession et la France en profite pour s'emparer de la Bourgogne, la Franche-Comté, la Picardie et l’Artois. Liege reprend son autonomie et la Gueldre récupere son ancienne dynastie. Les États de Flandre, de Hainaut, de Zélande et de Hollande réunis `a Gand profitent de la situation pour prendre le pouvoir et se faire accorder le Grand Privilege du 11 février 1477. Cet acte constitutionnel stipule notamment l’abolition des organes de la centralisation bourguignonne et le rétablissement des privileges provinciaux et urbains. Des la mort de Charles le Téméraire, la France s'est emparée des territoires bourguignons. Elle menace d'envahir ensuite les Pays-Bas. Les troupes françaises sont repoussées, mais ce n’est qu'en 1482 que la paix est signée avec la France. Apres la mort de Marie de Bourgogne, en 1482, ses possessions passent `a la maison des Habsbourg (en 1477, Marie de Bourgogne avait épousé l'archiduc Maximilien d'Autriche, fils de l'empereur germanique et appartenant `a la dynastie des Habsbourg). Les provinces belges sont intégrées dans un royaume qui deviendra empire, et leurs intérets sont désormais subordonnés `a ceux des autres possessions des Habsbourg. 6.2. La centralisation bourguignonne Au XIVeme siecle, la plupart des territoires belges sont plus ou moins indépendants. A la fin du XIVeme siecle, ils passent, un par un, sous la domination de la maison de Bourgogne et forment la partie la plus importante des états bourguignons. Ils se présentent sous la forme d’une fédération de principautés dont le prince commun est le lien. Chacune de ces principautés est dirigée par un grand bailli. Dans sa tâche, celui-ci reçoit l’assistance d’un Conseil, sorte de cour d’appel, et des États (ou Parlement) composés des délégués du clergé, de la noblesse et des communes et dont le rôle principal est de voter les impôts chaque année. Des 1464, Philippe le Bon, pour rendre le vote plus facile, rassemble `a Bruxelles les représentants des États provinciaux. C’est l’origine des États généraux qui joueront par la suite un rôle politique important. Au-dessus de ces organismes régionaux, les ducs ont établi des institutions de type central. Parmi ceux-ci, le Grand Conseil ambulatoire, qui prend forme sous Philippe le Bon, accompagne le duc dans tout ses déplacements. Il est présidé par le duc lui-meme (ou `a défaut par une sorte de premier ministre, le chancelier de Bourgogne) et est chargé d’assister le duc `a régler des questions politiques importantes, de surveiller la gestion des finances et de juger en dernier recours les sentences des Conseils provinciaux. Philippe le Bon va centraliser le contrôle financier dans deux Chambres des Comptes. (Lille et Bruxelles). En 1473, Charles le Téméraire va diviser le Grand Conseil ambulatoire en un Conseil privé ambulatoire qui s’occupe des lois et des affaires politiques, une Chambre des comptes unique qui siegera `a Malines (qui remplace les deux Chambres de Lille et Bruxelles), une Haute Cour de Justice située `a Malines également et que l’on appellera Parlement de Malines. Les ducs rencontreront une résistance `a cette volonté centralisatrice dans certaines principautés : Liege verra ses tentatives de révolte durement réprimées (sac de Dinant en 1466, destruction de Liege en 1468). 6.3. Les conditions de vie Il faut nuancer l’image de grande prospérité que l’on a coutume d’associer `a la période bourguignonne. Les guerres, les famines régulieres, les épidémies de peste touchent durement les populations, surtout dans les campagnes. A. Famines et fléaux Entre 1000 et 1300, la population enregistre une forte augmentation en Belgique. Au début du XIVeme siecle, un cap démographique est meme franchi. La structure économique est saturée[42]. La limite de la surpopulation est atteinte. Les premieres données démographiques plus ou moins fiables datent de la fin du XVeme siecle, mais elles peuvent s'appliquer `a l'ensemble du Moyen Âge tardif. Aux alentours de 1470, on dénombre en Belgique un peu moins d'un million et demi d'habitants, dont 1 million dans l'actuelle région flamande et quelque 450.000 en Wallonie. La majorité de la population habite la campagne (90 %), sauf en Flandre et dans le Brabant, ou le taux d'urbanisation est respectivement de 36 % et 31 %. Entre le XIVeme et le XVIIIeme siecle, la croissance démographique stagne. Apres chaque épidémie ou famine (qui sont devenus des problemes majeurs `a, des le XIVeme s.), la population augmente rapidement, mais les effets de cette croissance sont annihilés par la catastrophe suivante (au moins une par génération). Entre 1300 et 1500, seule la deuxieme moitié du regne de Philippe le Bon, de 1440 `a 1470, marque une période de prospérité et de bien-etre, sans guerre ni famine. B. Des guerres incessantes L'histoire du Moyen Âge est parsemée de guerres et de batailles, mais, `a partir de la période bourguignonne, les conflits s'éternisent. Seule la période entre 1440 et 1470 marque une pause dans le flot ininterrompu de violence militaire. Ces guerres interminables commencent `a peser lourdement sur la population. Ce n'est pas tant le nombre de victimes, tombées sur le champ de bataille, qui est en cause. Les armées, en effet, sont composées de nobles et de mercenaires. Mais lorsque une armée en campagne installe ses campements, elle réquisitionne le grain et le bétail. Les moissons sont souvent détruites par les troupes. Les paysans, réquisitionnés pour l'édification de fortifications militaires, doivent délaisser leurs champs. Les récoltes en souffrent, évidemment. 6.4. La prospérité économique Selon le chroniqueur Philippe de Commynes, les Pays d’en-bas sont une « terre de promission » que Philippe le Bon dota, des 1433, d’une monnaie commune, ce qui facilita les échanges commerciaux entre les provinces. A. L’agriculture Des le début du XIVeme s., en Flandre, les procédés agricoles se modifient. On abandonne l’assolement triennal[43] qui avait été utilisé `a partir du Xeme s. On cultiva sur la jachere[44] des cultures fourrageres servant `a la fois d’engrais vert et `a l’entretien du bétail. Pendant les XIVeme et XVeme s., la Flandre étend ses élevages de bétail et deviendra jusqu’au XIXeme s. la région-type de l’économie mixte (élevage-agriculture). Dans les autres régions (Hainaut, Brabant, Namurois, Hesbaye), on garde le systeme de l’assolement triennal avec jachere obligatoire et la culture céréaliere reste dominante. B. Le commerce Bruges reste le grand centre de l’argent : les banquiers italiens, notamment les Médicis de Florence au XVeme s., y sont tres actifs. Par contre, le commerce international émigre vers Anvers. La ville d’Anvers voit son port se développer. L’ensablement du Zwin qui bloque le port de Bruges (en dépit des travaux entrepris par Charles le Téméraire) en est une des causes. En outre, la réglementation sévere que Bruges impose aux marchands étrangers porte le coup fatal au commerce brugeois : en effet, Bruges exigeait que les marchands reglent leurs affaires par l’intermédiaire des courtiers de la ville. Anvers va elle adopter le principe du libre commerce : elle ouvre en 1460 une Bourse ou les marchands peuvent régler librement leurs transactions. Enfin, la ville d’Anvers va profiter des conflits entre l’Angleterre et la Flandre pour attirer le commerce anglais. Lorsqu’`a la fin du XVeme s., lorsque des conflits apparaîtront entre Bruges et le régent Maximilien, ce dernier demande aux marchands étrangers de quitter Bruges. Beaucoup d’entre eux s’installent alors définitivement `a Anvers qui devient ainsi l’étape de toutes les marchandises et notamment des draps anglais. C. L’industrie Au lieu de vendre ses laines, l’Angleterre décide de produire elle-meme des draps fins. C’est une terrible concurrence pour l’industrie drapieres des villes de Flandre et du Brabant qui finit par péricliter[45]. Philippe le Bon pense trouver la solution en interdisant le commerce des draps anglais mais des 1446, il doit lever cet embargo qui désavantage trop Anvers. Ainsi, de nombreuses villes vont tomber : Ypres, Bruges. Gand se sauva en se reconvertissant dans le commerce du blé. Il y a bien des tentatives d’adaptation. On remarque un déplacement des grands centres vers les petites villes et les campagnes ou les salaires sont moindres : les industries rurales reprennent vigueur. Le prix de vente de ces draps étant plus petit, ils se vendent plus facilement que les draps fabriqués dans les grandes villes. Les campagnes développent le commerce de la toile de lin qui s’exporte dans toute l’Europe. Certains centres urbains se tournent vers les industries d’art et de luxe comme la tapisserie[46] (Tournai, Bruxelles). 6.5. La vie culturelle Le XVeme siecle est un siecle brillant par sa vie culturelle et artistique. Il est marqué par la création d’une université. Pour former sur place les élites et les fonctionnaires qu’exigeait l’administration bourguignonne, le duc de Brabant Jean IV obtient du pape Martin V l’autorisation de fonder l’université de Louvain (1425). Dirigée par le recteur magnifique qui a tous les pouvoirs administratifs et judiciaires, elle constitue une république dans la ville : elle jouit en effet de nombreux privileges lui permettant de s’administrer elle-meme. De nombreux étudiants vont suivre les cours en latin dispensés dans les facultés de Droit, de Médecine, de Philosophie auxquelles s’ajoutent en 1432 celle de Théologie. Les ducs de Bourgogne parlent le français et le flamand et exigent de leurs fonctionnaires la connaissance des deux langues. En justice, l’accusé peut se défendre dans sa langue maternelle. Cependant, le français (désigné depuis l’époque bourguignonne par le mot wallon) prévaut. En littérature, c’est en français que sont produites des oeuvres historiques comme la Chronique de Georges Chastellain, qui a étudié `a Louvain, ou les Mémoires de Philippe de Commynes. La culture populaire s’épanouit quant `a elle grâce aux Chambres de rhétorique créées dans les villes et meme dans les villages. On y organise des représentations théâtrales et des concours littéraires. Les arts vont etre encouragés par les ducs de Bourgogne qui s’entourent d’artistes et par les grandes villes qui pratiquent le mécénat. Si, `a cette époque, s'affirment avant tout dans nos régions les oeuvres des Primitifs flamands, l'enluminure (c'est-`a-dire la peinture des livres) n'en connaît pas moins une période florissante. Au cours de la deuxieme moitié du XIVeme siecle, se développe un style de cour, appelé également « style gothique international » inspiré de l’esprit courtois. (cfr les freres de Limbourg qui travaillent pour le duc de Berry). Si la France incarne jusqu'`a l'aube du XVeme siecle un foyer de création artistique, des les années 1420-1425, l'essentiel de la création est assuré par les Pays-Bas méridionaux ou s'impose un style d'enluminure tourné vers une recherche de réalisme, voire de naturalisme (courant nommé "pré-eyckien"). Il se définit par : § une recherche de vérité dans le rendu des personnages et des scenes illustrées § une transformation de la représentation humaine : o silhouettes élancées qui deviennent trapues o moins de raffinement o plus d'authenticité Le réel essor de l'enluminure dans les Pays-Bas méridionaux se fera surtout dans la deuxieme partie du regne de Philippe le Bon (des 1445). Les ateliers d'Audenarde, de Mons, de Valenciennes, de Bruges, de Gand connaissent un développement sans précédent. Ils deviennent des centres actifs dans la production mais également dans la vente des manuscrits et des miniatures. De nombreux artistes étrangers s'installent alors dans les villes flamandes pour profiter d'un mécénat prospere intéressé par les commandes de luxe (cfr enluminures des Chroniques de Hainaut : travail peu novateur mais révélateur de la production de l'époque). La miniature frontispice[47] du premier volume des Chroniques de Hainaut, longtemps attribuée `a Rogier Van der Weyden, illustre l'attention que le duc accordait aux livres illuminés. En 1467, il legue `a son fils Charles le Téméraire 900 livres `a son fils… La peinture sur chevalet se substitue ensuite peu `a peu `a la miniature. Elle est illustrée par les écoles de Primitifs flamands, appellation étrange, car leur art, loin d’etre « primitif », est l’aboutissement de l’évolution esthétique du Moyen Âge. Par ailleurs, tres peu d’entre eux sont véritablement flamands : § Jan Van Eyck est originaire de la principauté de Liege, ou il a travaillé longtemps avant d’aller s’installer `a Bruges, § Rogier de le Pasture est Tournaisien, et ce n’est que lorsqu’il s’installe `a Bruxelles qu’il flamandise son nom, pour en faire « Van der Weyden ». § quant `a Hans Memling, il est allemand et oeuvre longtemps `a Cologne avant de se fixer `a Bruges § seul Hugo Van der Goes est Gantois. Les critiques d’art distinguent des nuances « fluviales » entre ces grands maîtres : les Mosans (< Meuse) Van Eyck aiment la vie, la nature, les joies simples, tandis que les Scaldiens (< Escaut) de la Pasture et Van der Goes sont tous les deux sensibles au tragique de l’existence humaine. Le Gantois introduit notamment la misere rurale de son temps dans ses toiles. La peinture des Pays-Bas méridionaux va connaître au XVeme siecle un moment d'équilibre entre la conception de l'art du Moyen Âge et celle de la Renaissance. En Italie, des le début du XVeme siecle, les dernieres traces du gothique s'estompaient. Les artistes réalisent alors un nouvel idéal artistique : celui de la Renaissance. Un style nouveau naît de : § l'optimisme humaniste § la confiance dans les méthodes de la raison § l'artiste renaissant devait avant tout représenter le monde extérieur et donner la primauté `a l'homme, d'ou : § approfondissement de l'étude de l'anatomie § approfondissement de la connaissance de la perspective `a point central (la plus proche de la vision de l'oeil humain) § épanouissement d'un certain naturalisme (en peinture comme en sculpture) Dans les Pays-Bas méridionaux, si la production est encore largement soutenue par les milieux de Cour et l'Eglise, les Villes et la bourgeoisie commencent elles aussi passer commande. Sous l'influence de cette nouvelle clientele, se confirme la tendance `a privilégier l'homme et la représentation du monde naturel. Les vastes programmes iconographiques sculptés dans la pierre des cathédrales du Moyen Âge disparaissent. Des la fin du XVeme siecle, des retables succede aux tympans et aux chapiteaux pour exposer aux fideles les Écritures. De proportions imposantes, le retable se présente soit sous forme d'un panneau simple soit sous forme d'un triptyque ou d'un polyptyque comme le polyptyque de L'Agneau mystique (1432) peint par les freres Van Eyck. Pour leurs tableaux `a sujet religieux, les Primitifs flamands s'appuyaient notamment sur l'Ancien et le Nouveau Testament mais également sur les Évangiles apocryphes, c'est-`a-dire non reconnus aujourd'hui comme ayant écrit sous l'inspiration de Dieu, ainsi que des légendes que l'Église avait alors tolérées sans vraiment les reconnaître, comme par exemple La Légende dorée de Jacques de Voragine (XIIIeme s.). Mais les Primitifs flamands ne se limiterent pas aux sujets religieux : § sujets profanes : il nous en reste peu en dehors de ceux de Jérôme Bosch (les textes nous renseignent `a ce sujet) § les tableaux de justice : but moralisateur car, placé dans les tribunaux, ils étaient l`a pour rappeler aux juges leur devoir. § le portrait : "la plus étonnante conquete des Primitifs flamands". La volonté de rendre un visage en s'attachant aux traits vus de profil apparaît au siecle précédent mais Van Eyck va lui donner ses lettres de noblesse en présentant le modele de trois-quarts (avec effets d'ombre et de lumiere) § l'étude psychologique des portraits sera approfondie par Van der Weyden, Hans Memling Pour rendre de façon la plus réaliste les effets de la lumiere, les Primitifs flamands vont devoir mettre au point de nouvelles techniques. L'utilisation de l'huile dans la tradition picturale remonte loin dans l'histoire de la peinture médiévale. Dans les années 1420, Jan Van Eyck va mener cette technique `a sa perfection grâce `a l'utilisation des glacis : grâce `a cette innovation, ils obtiendront des résultats spectaculaires dans le rendu des couleurs et des textures (éclat et brillance). L’architecture, elle, adopte le style du gothique flamboyant pour la construction d’églises (la collégiale Sainte-Waudru `a Mons, la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule `a Bruxelles), d’hôtels de ville (Louvain, Bruxelles). Ce style se caractérise par un jeu complexe de lignes courbes et de clochetons ajourés. En musique, les grands compositeurs bourguignons de l’époque sont qualifiés de « franco-flamands » ; en fait la plupart d’entre eux sont du Hainaut. Jean Tinctoris, Obrecht, Josquin des Prés entre autres ont poussé au sommet de ses possibilités la musique polyphonique dans le pathétique des compositions religieuses. 6.6. Le virage bourguignon pour le Luxembourg L’accession au trône impérial d’Henri VII en 1308 fait entrer le Luxembourg dans la cour des grands. En effet l’acquisition du royaume de Boheme (1310) pour le compte de son fils Jean ouvre, pour le Luxembourg, des perspectives nouvelles `a l’est, dans les confins orientaux de l’Empire… Conséquence fatale, les souverains se détournent de leur pays natal qui fait pâle figure `a côté de la Boheme et sa métropole, Prague… La grande politique coute cependant tres cher : la maison du Luxembourg en vient `a céder son duché `a ses créanciers, en se réservant toutefois le droit de le racheter (ce qu’ils ne feront jamais, faute de moyen). La créance passe de main en main et, finalement, Philippe le Bon achete les droits sur le Luxembourg. Philippe se fait nommer gouverneur du Luxembourg. En 1443, il affirme sa domination en conquérant la principale cité dans une opération nocturne de commando durant laquelle les Bourguignons escaladent les murailles de la ville. C’est la logique territoriale qui a dicté `a Philippe l’acquisition du Luxembourg, maillon indispensable entre les possessions héréditaires du Sud (Bourgogne, Franche-Comté) et les principautés du Nord, patiemment acquises depuis 1384 par les ducs de Bourgogne. A l’époque, le Luxembourg, pays rural et sous-développé, sans ville réelle en dehors de la capitale, fait pauvre figure `a côté des riches villes du Nord. Mais son intéret stratégique est énorme et il le conservera jusqu’au XIXeme s., quand le traité de Londres (1867) décrétera le démantelement des fortifications de la capitale. L’acquision du Luxembourg constitue une étape importante dans la consolidation de l’Etat bourguignon, état d’entre-deux, `a cheval sur le royaume de France et le Saint-Empire. Pour le Luxembourg, le destin prend une autre direction puisque désormais intégré `a l'Etat bourguignon, il va suivre le sort des Pays-Bas méridionaux. L’impact politico-culturel sera également tres important. Ainsi, si, au niveau politique, les ducs de Bourgogne ont bloqué les ambitions des Français, ils ouvrent la porte `a son influence culturelle. Ils introduisent le français dans l’administration ou en fortifient l’usage l`a ou il était déj`a d’usage. Notons qu’`a l’époque, les questions linguistiques ne sont pas perçues comme des questions politiques. Au cours des siecles suivants, le Luxembourg, traditionnellement tourné vers Treves et Metz, s’oriente de plus en plus vers les Pays-bas. En d’autres termes, il s’éloigne de plus en plus de l’Allemagne, au niveau culturel et politique, alors que juridiquement il est une partie du Saint-Empire jusqu’`a la conquete par les troupes de la France républicaine (1795) et qu’au niveau linguistique la moitié de la population est germanophone. Au fil des siecles, le sentiment d’appartenance `a l’Empire s’estompe. Avec la culture française, les ducs amenent l’abolutisme `a la française, avec une forte centralisation. Les Luxembourgeois manifesteront une certaine résistance face `a ces principes. Mais Philippe le Bon châtiera séverement la capitale qui a osé lui tenir tete : les autorités municipales sont destituées, les libertés suspendues. En habile diplomate, il accorde les premieres concessions 6 semaines plus tard et les dernieres 18 ans plus tard. Philippe réorganise l’administration du duché en y introduisant les principes de comptabilité bourguignonne. VII. Les Pays-Bas sous les Habsbourg d’Espagne (1506-1715) Lorsque Marie de Bourgogne meurt, on l’a vu, les terres passent `a la maison des Habsbourg : son mari est choisi comme régent au nom de son fils Philippe qui n’a que quatre ans. D’abord bien accueilli en 1477 lors de la guerre avec la France, il va tres vite se trouver en conflit avec les villes flamandes qu’il va finir par mater. En 1494, il remet le pouvoir `a son fils naturel, Philippe le Beau, que les gens de nos régions considéraient comme « prince naturel » car il est né `a Bruges et a été élevé aux Pays-Bas. Philippe, surnommé le Beau, va épouser deux ans plus tard Jeanne de Castille, qui ne vient qu’en quatrieme ligne dans la succession d’Espagne. Mais les trois autres héritiers meurent et Philippe, souverain des Pays-Bas, devient donc aussi roi d’Espagne. Ainsi les provinces belges tombent dans l’orbite espagnole et ce, pour deux siecles. 7.1. Charles Quint (1506-1555) Né `a Gand en 1500, éduqué `a Malines, parlant le flamand et le français, Charles (le futur Charles Quint) est considéré comme un prince naturel par les habitants de nos régions, ainsi que l’avait été son pere. En 1506, lorsque son pere décede, il est âgé de six ans. Mais en 1515, il est déclaré majeur par les États généraux des Pays d’en-bas réunis `a Bruxelles. En 1516, il devient roi d’Espagne, des Deux-Siciles et souverain des colonies d’Amérique. En 1519, `a la mort de son grand-pere Maximilien, il reçoit l’Autriche. La meme année, il se fait élire empereur au grand dam[48] du roi de France, François Ier, qui convoitait également le titre. Des lors, ses intérets essentiels ne se situent plus aux Pays-Bas ou il ne réside plus guere et ou il se fait représenter par une gouvernante : sa tante d’abord, Marguerite d’Autriche (qui avait déj`a assumé la régence durant sa minorité), puis Marie de Hongrie, sa soeur. Quant `a lui, il se lance dans une politique européenne et dynastique. A. Les XVII provinces Charles Quint poursuit la politique de regroupement et de centralisation qui avait été entamée lors de la période bourguignonne. François Ier, furieux de ne pas etre empereur, va mener une guerre contre Charles V. Ce dernier va en profiter pour acquérir de nouveaux territoires au détriment du roi de France et de ses alliés. Ainsi entre 1521 et 1543, Charles va s’emparer de Tournai, de la Frise, des pays d’Utrecht et d’Overijssel, de Groningue, de la Drenthe, du duché de la Gueldre et du comté de Zutphen. Les Pays d’en-bas vont bientôt former un ensemble de XVII provinces appelées de plus en plus souvent Pays-Bas comprenant : § 4 duchés : Brabant, Limbourg, Luxembourg, Gueldre ; § 7 comtés : Flandre, Artois, Hainaut, Namur, Hollande, Zélande, Zutphen ; § 6 seigneuries : Tournai, Malines, Utrecht, Overijssel, Frise, Groningue. En 1518, Charles achete l’alliance des Liégeois. En échange d’argent, l’empereur obtient l’appui militaire du prince-éveque. Non content d’agrandir ses Pays d’en-bas, il décide, en 1548, d’en faire un ensemble indépendant de l’Empire. La barriere qui, depuis 843 (traité de Verdun), séparait la Belgique actuelle en deux régions distinctes relevant l’une de la France, l’autre du Saint-Empire, tombe `a ce moment. Désormais, le pays forme un seul État soumis `a son prince naturel. En 1549, il fait accepter par les états provinciaux la pragmatique sanction qui instaure des regles de succession identiques dans toutes les principautés. B. L’empire de Charles Quint, un ensemble menacé Sans conteste le souverain le plus puissant de la chrétienté, Charles Quint domine, au sommet de sa puissance, un ensemble de territoires comprenant les royaumes espagnols d’Aragon et de Castille, les États italiens de Naples, de Sicile et de Sardaigne, les Pays-Bas, l’Alsace, la Franche-Comté, ainsi que l’ensemble des possessions des Habsbourg en Europe centrale, et les territoires conquis en Amérique et en Afrique. Il hérite de la couronne d’Espagne peu de temps apres 1492, année qui a vu la fin de la reconquista contre les Musulmans, la découverte de l’Amérique, et l’expulsion d’une bonne partie des juifs de la péninsule ibérique, dont beaucoup ont été contraints d’abandonner leurs richesses. On a dit de Charles Quint qu’il régnait sur un empire « sur lequel le soleil ne se couche jamais ». Le roi de France, François Ier, qui avait prétendu au titre impérial, se sent menacé par la puissance de son voisin, dont les possessions territoriales encerclent la France. De fait, de nombreuses guerres opposeront les deux souverains entre 1522 et 1556. Mais lors de chacun des conflits contre la France, Charles Quint cherche `a hâter la paix afin de se consacrer, en sus des guerres religieuses intestines, `a la défense de l’Empire contre la menace ottomane. En effet, le sultan Soliman I^er, apres avoir soumis la péninsule balkanique, déclare la guerre `a la Hongrie en 1526 et remporte la meme année la bataille de Mohács. Trois ans plus tard, les Turcs assiegent Vienne. En 1547, Ferdinand I^er, roi de Boheme et de Hongrie, frere de Charles Quint, doit signer un traité de paix avec les Turcs. Incapable de maintenir la paix dans son empire, en particulier dans sa partie allemande, Charles échouera donc dans sa tentative de repousser les Turcs. Déj`a, son accession au trône impérial coincide avec la montée en puissance du luthéranisme, ce qui crée un antagonisme religieux entre les princes germaniques et l’empereur. En 1530, Charles réunit la diete (assemblée) d’Augsbourg pour tenter de régler le probleme religieux, mais les princes protestants lui opposent le document connu sous le nom de Confession d’Augsbourg, dont la teneur, inacceptable aux yeux de l’empereur, précipite l’échec des négociations et détermine la formation par les princes de la ligue de Schmalkalden (1531). Les troubles agitant l’Empire et le conflit avec les Turcs contraignent l’Empereur `a différer son projet de soumettre les protestants, auxquels il reconnaît certaines libertés. Plus tard, Charles Quint reprend les hostilités contre la ligue de Schmalkalden, qui se transforment en guerre civile. Le 24 avril 1547, l’Empereur remporte `a Mühlberg une victoire décisive sur les protestants. Cependant, en 1551, la prise de Magdeburg, fief du catholicisme, oblige Charles Quint `a reculer devant les réformés. En 1552, il conclut, grâce `a l’intervention de son frere Ferdinand I^er, le traité de Passau assurant la liberté religieuse aux États luthériens. En 1555, l’accord est confirmé par la paix d’Augsbourg. C. La centralisation monarchique La centralisation, reprise par Philippe le Beau, va encore etre renforcée sous Charles Quint. En effet, quand, en 1531, Marguerite d’Autriche s’installe `a Bruxelles (qui fait désormais figure de capitale), Charles place aupres d’elle 3 conseils collatéraux afin de l’aider `a gouverner : § le Conseil d’État est consulté sur les affaires politiques ; § le Conseil privé s’occupe des questions judiciaires et législatives ; § Le Conseil des Finances a en charge les questions financieres (impôts, revenus du prince, monnaie). Le Grand Conseil, cour de justice supreme, rétabli par Philippe le Beau `a Malines, y est maintenu. Au niveau provincial, Charles installe un gouverneur `a la tete de chaque province. Celui-ci promulgue les ordres du pouvoir central, commande les forces armées, préside les États provinciaux. Ceux-ci veillent `a la bonne administration de la principauté et votent les impôts. Ils discutent aussi des demandes de subsides introduites par l ‘empereur et envoient leurs délégués donner la réponse aux États généraux qui sont convoqués presque chaque année. Au niveau local, l’administration locale comporte le bailli qui représente le souverain dans les tribunaux urbains et les échevins qui administrent les finances de la ville et qui sont juges de premiere instance. Charles Quint se réserve le droit de les nommer. D. Lutte contre le protestantisme Des 1517-1518, les theses de Luther se répandent `a Anvers et, de l`a, `a l’ensemble des Pays-Bas. A partir de 1529, les anabaptistes arrivent dans les provinces flamandes et gagnent `a leur cause de nombreux artisans et pauvres des milieux urbains qui voient dans la Réforme la promesse d’un nouvel ordre social. Puis, apres 1543, le calvinisme arrivé par le sud (Tournai) s’implante solidement au nord des Pays-Bas. Alors qu’il s’efforce d’unir politiquement les Pays-Bas, Charles Quint ne peut supporter que ceux-ci soient déchirés par des dissensions religieuses, l’unité religieuse étant le fondement de l’unité politique. C’est pourquoi, contre ces hérésies, l’empereur prend des mesures rigoureuses. En 1520, paraît le premier de ses douze placards (ordonnances contre les réformés[49]) qui ordonnent aux magistrats de poursuivre les hérétiques. Les magistrats laiques étant trop tolérants, l’empereur installe, des 1522, une Inquisition d’État qui reçoit les pleins pouvoirs pour rechercher, d’emprisonner, de torturer, de mettre `a mort les réformés. Par ailleurs, il introduit la censure des écrits religieux. E. Anvers : grandeur et prospérité Le regne de Charles Quint est marqué par une grande prospérité. Anvers, qui a supplanté Bruges, apparaît comme le symbole de cette richesse. Le centre de gravité du commerce mondial s’étant déplacé de la Méditerranée vers l’Atlantique, Anvers devient la premiere métropole commerciale d’Europe. Son port connaît un trafic quatre fois plus important que celui de Londres. Anvers est non seulement un débouché pour les industries locales (toiles, draps, tapisseries, produits métallurgiques du pays de Liege) mais aussi un entrepôt pour les marchandises du monde entier : les draps anglais, la laine espagnole, les sucres tropicaux, les vins de France, les épices apportées des Indes par les Portugais, les produits de luxe venant d’Italie, le cuivre allemand, les blés de la Baltique. La Bourse est fréquentée par des marchands anglais, italiens, espagnols, allemands… De l’étranger, arrivent également des banquiers. Bref, la présence de ces nombreux étrangers lui donne un caractere cosmopolite rarement vu en Europe. Cette activité commerciale intense encourage des industries nouvelles, non réglementée : verrerie, taille du diamant, imprimerie, raffinage du sucre. F. Les problemes de l’époque Dans ce tableau idyllique, il faut pourtant noter quelques problemes. Toutes les provinces des Pays-Bas ne sont pas aussi prosperes que la région d’Anvers. Les inégalités sociales s’accentuent. Alors que l’on voit s’enrichir des hommes d’affaire anversois, on constate l’appauvrissement de la petite noblesse, des maîtres de corporation, des petits paysans, des ouvriers des nouvelles industries mal payés et sans protection. La mendicité et la pauvreté gagnent du terrain. Régulierement, le chômage et les montées des prix aggravent la misere. C’est dans ce climat de dégradation du climat économique et social que commence le regne de Philippe II. 7.2. Philippe II (1555-1598) Épuisé par les luttes constantes, tant internes que frontalieres, Charles Quint cede entre 1555 et 1556 les Pays-Bas et l’Espagne `a son fils Philippe II et abdique de sa charge impériale en 1556, en faveur de son frere, Ferdinand Ier, pour se retirer au monastere de San Jerónimo de Yuste en Estrémadure. Contrairement `a son pere, Philippe II est né et élevé en Espagne : il se sent donc completement étranger aux Pays-Bas. En outre, parlant `a peine français et ignorant le flamand, il est considéré comme un prince étranger par les habitants de nos régions. Alors que Charles Quint ne connaissait pas de résidence durable, Philippe se fixe, des 1559, au palais de l’Escurial `a Madrid d’ou il impose sa politique aux Pays-Bas. A. La révolte politico-religieuse du XVIeme s. La révolte va éclater des le début du regne de Philippe. Celle-ci a plusieurs causes, politique et religieuse. Au niveau politique, Philippe prétend appliquer aux Pays-Bas l’absolutisme des rois catholiques d’Espagne. Si le pouvoir de Charles Quint s’était exercé avec une certaine souplesse dans les XVII Provinces, notamment au travers de l’action des deux gouvernantes générales, Marguerite d’Autriche et Marie de Hongrie, le centralisme de Philippe II s’exprimera pour sa part sans nuance. La lieutenante générale des Pays-Bas, Marguerite de Parme, n’a qu’une liberté d’action tres limitée, car elle ne peut prendre aucune décision sans l’accord de la Consulta, un conseil politique secret composé de trois membres, qui obéissent aveuglément `a Philippe II : Granvelle, éveque d’Arras, le juriste Vigilius et le seigneur de Berlaimont. Les nobles du Conseil d’État se voient ainsi réduits au rôle de figurants. Au niveau religieux, Philippe II, catholique intransigeant[50], veut par tous les moyens arreter la progression de la Réforme. Pour cela, il instaure un régime de terreur : il fait exécuter les placards de son pere avec une grande sévérité et ordonne des exécutions secretes. Par ailleurs, il modifie la répartition des évechés. En effet, avec l’accord du pape Paul IV, il remplace les cinq anciens dioceses par 18 évechés ; les évechés de Cambrai, Utrecht et Malines deviennent des archevechés ; Granvelle est promu archeveque de Malines et cardinal. Les éveques ne sont plus nommés par l’Église mais bien par le roi. Cette innovation mécontente le clergé (car les nouveaux éveques sont rémunérés avec les revenus des abbayes), la noblesse (car les évechés sont confiés aux docteurs en théologie et non plus aux cadets des riches familles), et enfin le peuple (qui craint une aggravation de l’Inquisition). B. Résistance et répression Les comtes d’Egmont et de Hornes ainsi que Guillaume d’Orange, prince d’Orange, tous trois membres du Conseil d’État, vont, les premiers, se faire les porte-parole du mécontentement des nobles. Dans un premier temps, ils obtiennent le départ des troupes espagnoles (1561) ainsi que celui de Granvelle (1564). Le comte d’Egmont se rend `a Madrid pour demander au roi de modérer l’Inquisition. Mais ce dernier était `a peine rentré d’Espagne que Philippe envoyait ses lettres de Ségovie dans lesquelles il ordonne `a Marguerite de Parme d’appliquer les placards avec la derniere sévérité. Des 1565, plusieurs seigneurs décident de s’unir par le compromis des Nobles pour défendre les privileges des Pays-Bas et pour protester contre l’Inquisition. Des le début de 1566, 300 membres de cette ligue se rendent au palais de Marguerite de Parme afin de demander la suppression des placards, de l’Inquisition et des nouveaux évechés. Marguerite se montrant favorable aux nobles, le seigneur de Berlaimont s’étonne qu’elle puisse répondre `a la demande « de ces gueux ». Ainsi les membres de la ligue vont adopter le nom de Gueux (= mendiants) et prendre comme insigne l’écuelle[51] et la besace[52] du mendiant. En aout 1566, alors que l’agitation populaire augmente en raison de la famine et de la hausse du prix du pain, les calvinistes déclenchent la furie iconoclaste : ils s‘en prennent aux églises et monasteres, détruisent les statues... Ce mouvement se répand d’abord dans le sud et puis dans l’ensemble du pays. Mais ces exces ont pour conséquence le remplacement en 1567 de la lieutenante par le duc d’Albe, général espagnol, `a qui Philippe II confie la mission de réprimer l’hérésie et de supprimer les particularismes. Le duc d’Albe met en place un tribunal extraordinaire, le Conseil des troubles, dirigé par des magistrats espagnols et qui juge et condamne non seulement ceux qui ont participé aux désordres mais également ceux qui ne les ont pas empechés. Au total, 8000 condamnations `a mort en trois ans ! Ses victimes les plus célebres sont les comtes d’Hornes et d’Egmont qui sont exécutés sur la Grand-Place de Bruxelles le 5 juin 1568 alors qu’ils sont catholiques et chevaliers de la Toison d’Or. Le duc d’Albe annonce aussi la création d’impôts permanents devant servir `a payer les troupes d’occupation. La rigueur de cette politique va provoquer une révolte ouverte dans les provinces du Nord. Guillaume d’Orange devient le chef incontesté de la résistance, mais pendant longtemps, il lui manque une véritable armée. En 1572, les « gueux de mer » réussissent pourtant `a s’emparer d’une premiere ville côtiere, bientôt suivie par d’autres en Hollande et Zélande, provinces qui passent définitivement aux mains des insurgés. Le duc d’Albe est alors relevé de ses fonctions, son successeur attend vainement les fonds pour continuer la lutte et n’est pas remplacé lorsqu’il meurt, en 1576. C’est alors que les Etats généraux prennent le pouvoir et entrent en négociation avec les calvinistes du Nord. Le résultat des pourparlers est la Pacification de Gand par laquelle les Dix-Sept Provinces retrouvent momentanément leur unité. Elles demandent la fin des persécutions, le départ des troupes espagnoles et se mettent d’accord pour maintenir le calvinisme au Nord (ou il est majoritaire) et le catholicisme dans les autres provinces. C. La scission des Pays-Bas (1579) Tres vite, cette entente est remise en question. En effet, les calvinistes de Gand décident d’interdire le catholicisme dans leur ville et d’instaurer une république démocratique. En réaction, les nobles et bourgeois des provinces catholiques forment le groupe des Malcontents et créent en 1579 l’Union d’Arras : `a travers celle-ci, ils veulent maintenir la religion catholique et vivre en paix avec leur souverain, Philippe II, en s’entendant avec son nouveau représentant, Alexandre Farnese. La riposte des calvinistes ne se fait pas attendre : ils créent `a leur tour l’Union d’Utrecht qui regroupe sept provinces du Nord[53] et une douzaine de ville du Brabant et de Flandre : par celle-ci, les calvinistes rejettent l’autorité de Philippe II et proclament la création des Provinces-Unies. Assisté des Malcontents, Farnese, qui a été nommé gouverneur général des Pays-Bas, parvient `a reprendre par les armes les villes du sud: Tournai (en 1581 apres avoir été défendue par Christine de Lalaing), Ypres, Bruges, Gand et, en 1585, Bruxelles puis Malines et Anvers. La reconquete s’arrete lorsque Philippe II le rappelle pour lui confier la préparation de l’expédition de l’Invincible Armada contre Élisabeth d’Angleterre puis la direction des campagnes dirigées contre les Français. Les successeurs d’Alexandre Farnese au gouvernement général des Pays-Bas ne dépasseront jamais les grands fleuves. Des 1598, la scission des Pays-Bas est entrée dans les faits, meme si l’indépendance des Provinces-Unies n’est officiellement reconnue par l’Espagne que 1648, par le traité de Munster, apres la guerre de quatre-vingts ans. Les provinces du Sud, elles, restent sous l’autorité espagnole mais, des 1648, elles perdent, au profit des Provinces-Unies, la Flandre zélandaise, le Brabant du Nord, une partie du Limbourg comprenant Maastricht. La frontiere nord de la Belgique actuelle est déj`a plus ou moins dessinée. 7.3. Les Pays-Bas espagnols sous les archiducs Albert et Isabelle (1598-1621) En 1598, Philippe II, sentant sa mort proche, cede la gestion quotidienne des Pays-Bas `a sa fille l’archiduchesse Isabelle et `a son futur époux l’archiduc Albert, fils cadet de l’empereur germanique, Maximilien II. L’acte officiel de cession de 1598 comprend plusieurs clauses qui limitaient beaucoup l’action des archiducs. Tout d’abord, il stipulait que le territoire des XVII provinces retournerait `a l’Espagne si ceux-ci ne laissaient pas d’enfants ; que le catholicisme serait la seule religion tolérée ; que les provinces du Sud étaient interdites de commerce avec les colonies de l’Espagne. En outre, des clauses secretes obligeaient les archiducs `a se soumettre aux ordres de l’Espagne et `a maintenir les garnisons espagnoles dans plusieurs villes dont Anvers et Gand afin de reconquérir les provinces du Nord. L’indépendance des Pays-Bas n’est donc qu’illusoire et les archiducs, de simples gouverneurs. Conformément `a leur mission, ils vont continuer la guerre contre les Provinces-Unies qui ne les reconnaissent pas. A. 1599-1609 : continuation de la guerre des 80 ans Les bouches de l’Escaut étaient au contrôle des calvinistes : cela rend les provinces du sud vulnérables face aux Provinces-Unies. En 1600, Maurice de Nassau, fils de Guillaume d’Orange, débarque en Flandre zélandaise pour essayer d’occuper le littoral. Il empecherait ainsi les provinces catholiques d’avoir un acces `a la mer. Il gagne la bataille de Nieuport contre l’archiduc Albert mais il perd celle d’Ostende qui tombe apres trois ans de siege en 1604. Mais ce succes ne fut pas décisif. En effet, les archiducs manquent d’argent et d’hommes pour poursuivre les hostilités : ils demandent `a Madrid la permission d’arreter la lutte. En 1609, une treve de douze ans (1609-1621) est signée avec les Provinces Unies : au terme de cette treve, nos régions reviennent `a l’Espagne. En effet, en 1621, l’archiduc Albert meurt et sa femme Isabelle ne sera que la gouvernante des Pays-Bas (1621-1633). Néanmois, les archiducs profitent de la treve pour réorganiser les institutions. B. Réorganisation des Pays- Bas espagnols Sous les archiducs, les institutions survivent mais perdent leur pouvoir. Apres 1600, les États généraux ne se sont réunis qu’une seule fois en 1632. Les nobles sont tenus `a l’écart du pouvoir détenu par les trois conseils collatéraux ou siegent des fonctionnaires dévoués `a l’Espagne. Quant aux archiducs eux-memes, ils avaient moins de pouvoir que les secrétaires d’État et de guerre du gouvernement des Flandres en liaison directe avec Madrid. Les états provinciaux sont, eux, tenus en main par des autorités qui s’efforcent d’y introduire des personnalités dévouées. Durant cette période, les Pays-Bas deviennent presque exclusivement catholiques. Les protestants sont tolérés `a condition de ne pas pratiquer leur culte en public. Mais les pressions sont telles que la plupart d’entre eux préferent renier leur foi ou émigrer vers les Provinces-Unies, l’Allemagne ou l’Angleterre. 7.4. Le XVIIeme siecle : siecle de malheur Le XVIIeme siecle est marqué par des luttes incessantes dans les Pays-Bas espagnols.On peut sans exagérer parler d’un siecle de guerres et de misere générale, d’un siecle de malheur pendant lequel les Pays-Bas ont été le champ de bataille de l’Europe. C’est d’abord la guerre de Trente Ans (1618-1648) qui éclate. Les Provinces-Unies ont trouvé un puissant allié pour s’opposer `a la politique espagnole en la personne des rois de France. En 1635, les Hollandais et les Français unissent leurs forces pour démembrer les Pays-Bas espagnols, mais ils ne parviennent pas `a en déloger les Espagnols. Finalement, les victoires françaises et hollandaises forcent le roi d’Espagne, Philippe IV, `a accepter de signer une paix séparée avec les Hollandais en 1648. Le Sud, constitué par la Belgique et le Luxembourg actuels, reste sous domination espagnole. Le traité de Münster qui, avec les autres traités de Westphalie, met fin `a la guerre de Trente Ans donne Maastricht aux Hollandais, et l’Espagne accepte la fermeture de l’Escaut. Traversant le territoire hollandais, le fleuve a toujours été la seule voie d’acces `a la mer du port d’Anvers. Les traités ne mettent pas fin `a la guerre entre la France et l’Espagne. Durant tout son long regne, le roi de France, Louis XIV, refusera d’abandonner ses visées sur cette région. Les Pays-Bas espagnols deviennent un champ de bataille permanent, ce qui acheve de ruiner le pays. La paix des Pyrénées, en 1659, donne `a la France l’Artois, ainsi que plusieurs places fortes et régions frontalieres en Hainaut, en Flandre et au Luxembourg. La guerre de Dévolution (1667-1668) est en fait une guerre de conquete, mais, lors du traité d’Aix-la-Chapelle, Louis XIV doit se contenter de quelques places militaires aux frontieres du Nord. L’hégémonie française inquiete les puissances européennes qui se lancent dans la guerre de la ligue d’Augsbourg (1686-1697), sans arriver `a calmer les ambitions françaises. Les Pays-Bas espagnols sont `a nouveau le but de la guerre de Succession d’Espagne. La paix d’Utrecht, ensemble de traités signés entre 1713 et 1715, symbolise la fin du conflit et donne `a la France une partie de la Flandre, ainsi que Dunkerque et Lille. Cependant, la majorité du territoire est cédée `a l’Autriche, sous l’autorité de l’Empereur germanique Charles VI et, conformément au traité de la Barriere de 1715, des garnisons hollandaises de sureté occupent les forteresses situées aux frontieres de la France. Le territoire de la Belgique est alors composé des duchés de Luxembourg, de Gueldre, de Brabant, de Limbourg, des comtés de Hainaut et de Flandre, du marquisat de Namur et des villes de Tournai et de Malines. 7.5. La vie culturelle sous les Habsbourg d’Espagne : humanisme, renaissance et baroque Le développement culturel des Pays-Bas bourguignons se poursuit sous Charles Quint, et se centre principalement `a Anvers, ville des imprimeurs, dont le plus célebre est Christophe Plantin. Grand théoricien des idées de l’Humanisme, Érasme avait prévu le conflit qui opposerait l’esprit de la réforme `a celui de la tradition. S’il partageait la plupart des idées des protestants, l’auteur de l’Éloge de la Folie voulait s’ériger en arbitre neutre et critiquait la violence avec laquelle Luther défendait ses idées. Érasme avait reçu une pension `a vie de Charles Quint, « pour raison de ses grandes doctrines et littératures ». L’esprit ouvert et critique, partisan farouche de l’observation et de l’expérience, André Vésale révolutionna l’étude de la médecine en disséquant les cadavres des pendus. En botanique, le Malinois Dodonée compose une histoire des plantes en les classant, fait nouveau, d’apres leurs propriétés et usages. En géographie, Mercator construit des instruments de précision et établit un planisphere `a l’usage des navigateurs, alors qu’Ortelius d’Anvers ramene de ses innombrables voyages un atlas mondial qui sera réédité de tres nombreuses fois. La musique de la Renaissance voit apparaître et se développer les écoles nationales, obéissant chacune `a un tempérament propre. Présents `a Venise, `a Rome, en Baviere, `a Vienne, en Espagne, les compositeurs des Pays-Bas espagnols contribuent grandement `a cet essor. Les architectes voyagent beaucoup également, et ramenent le style Renaissance d’Italie, mais en se contentant dans un premier temps d’en intégrer des éléments au gothique. Parmi les plus beaux bâtiments construits selon la nouvelle esthétique, on peut citer l’hôtel de ville d’Anvers, oeuvre de Corneille de Vriendt. En peinture, le courant italianisant connaît ses succes aussi, mais les noms les plus célebres du temps gardent une personnalité « nationale » tout en ne refusant pas l’essentiel de l’esprit nouveau. Jérôme Bosch est le peintre d’une démonologie qui implique l’homme tout entier. Son activité `a Bois-le-Duc est attestée de 1488 `a 1512. Seuls cinq de ses tableaux, et parmi eux La Tentation de Saint-Antoine et Le Jardin des Délices, sont signés "jheronimus bosch" mais aucun n'est daté. Dans un contexte religieux en plein changement, animé par le mouvement de l’humanisme bourgeois des XVeme et XVIeme siecles, Jérôme Bosch acquiert célébrité et respect de son vivant. Ses oeuvres sont appréciées des membres du clergé et des personnages de haut rang qui les collectionnent, tels que Philippe le Beau, Marguerite d'Autriche, Philippe II. On sait que Jérôme Bosch fut enterré le 9 aout 1516 dans son village natal, dans lequel il a travaillé toute sa vie, contrairement aux autres peintres flamands des XVeme-XVIeme siecles. Ce qui le différencie également de ses contemporains est qu’il ne représente pas les personnages par leurs traits physiques mais par leurs traits de caractere. Par ailleurs, l’oeuvre de Jérôme Bosch est clairement moralisatrice. Comme au Moyen Âge, la majorité de la population étant analphabete, il fallait trouver une alternative `a l’écriture pour diffuser les valeurs et les idées de l’Eglise : l’art était une des solutions. Les images reprises de la culture populaire dans l’oeuvre de Jérôme Bosch nous paraissent mystérieuses mais leur symbolique devait etre plus limpide `a l’époque. Ses tableaux furent fort appréciés et tres imités des la fin du XVIeme siecle. Une de ses oeuvres, Le Jardin des délices terrestres, est une oeuvre morale et didactique. Ce tableau a pour objet la chute de l’Homme, selon une tradition iconographique établie au Moyen Âge : § sur le revers des volets, évocation de la création du monde, § sur les trois faces, représentation des perversions humaines. Pieter Brueghel est un autre peintre important de l’époque. Il semble que Pierre Breughel l'Ancien[54] soit venu de la ville de Breda (Brabant Septentrional), aujourd’hui aux Pays-Bas. On pense qu’il étudia avec Pieter Coeck `a Anvers, dont il épousa la fille. En 1551, il devint maître `a la guilde de Saint-Luc, la corporation des peintres d’Anvers, mais en 1553 il se fixa `a Bruxelles. Il entreprit un voyage en Italie de 1552 `a 1553, dont il rapporte un grand nombre de croquis (suite des Grands paysages). C’est l`a qu’il mourut en septembre 1569. Leurs deux enfants, Pieter, dit Bruegel le Jeune et Jan, dit Bruegel de Velours, devinrent des peintres de renom. On considere souvent l’art de Bruegel (ou Brueghel, ou Breughel) comme la phase ultime d’une longue tradition de peinture flamande, initiée par Jan Van Eyck au XVe siecle. Bruegel peignit : § des scenes idéalisées de la vie quotidienne, fruits d’une observation minutieuse de la paysannerie, § des épisodes de la Bible qu’il situa dans des paysages de l’Europe du Nord contemporaine. Il y a toujours beaucoup d'humour dans les peintures de Breughel. Les peintures de Brueghel sont presque toujours comprises du premier coup d'oeil (dans leur ensemble tout au moins, car nous hésitons parfois sur des détails). Cette étonnante clarté est due : § `a la précision de son dessin, fruit de ses études inlassables du sujet (beaucoup de ses dessins portent la mention : " d'apres nature ") § `a l'intensité des couleurs vraies § `a une habile composition Breughel se consacra d’abord aux paysages, auxquels il voua un intéret particulier toute sa vie. Ces croquis révelent le talent de Bruegel pour saisir l’atmosphere propre `a chaque saison et les qualités changeantes de la nature. On retrouve ces memes caractéristiques dans ses travaux plus tardifs, comme Chasseurs dans la neige. Ce chef-d'oeuvre appartient `a la "série des Douze Mois". C'est plutôt au mois de décembre que Brueghel semble faire allusion en donnant une image synthétique de la nature et de l'homme en hiver : § la nature offre un visage familier : routes villageoises, plaines, arbres, glace, § mais elle englobe aussi des merveilles étrangeres : une montagne aux parois abruptes. § L'homme rentre chez lui, fatigué de ses travaux du jour, mais il prépare aussi son repas et se distrait en patinant. L'intéret de la toile réside surtout dans sa composition : Breughel a rendu la notion d'espace en disposant les arbres, les chasseurs et les chiens suivant une diagonale qui se prolonge `a travers les vastes étendues du centre et de l'arriere-plan du tableau. Ces memes arbres, s'opposant `a la diagonale formée par la pente de la colline du premier plan, ne font que réaffirmer le premier plan du tableau et établissent `a la perfection cet équilibre et ces ordonnances de rythmes, sans lesquels les détails les plus étonnants ne sauraient créer autre chose que la confusion. Au contraire des représentations de la fin du Moyen Âge sur les travaux des saisons et les miniatures consacrées aux mois de l’année, les paysages de Bruegel ne contiennent pas de clefs allégoriques ou symboliques. Ils témoignent de la simplicité de la vie `a la campagne, dans une nature qui évolue en symbiose avec l’homme. A côté de paysages, on trouve de nombreuses gravures nettement inspirées de l’univers étrange de Jérôme Bosch. On trouve l’empreinte de cette marque profonde dans la série de gravures intitulée les Sept Péchés capitaux (1556-1557), peuplée de personnages fantastiques, de créatures monstrueuses et de nains démoniaques. → Cette série témoigne des conflits religieux qui bouleverserent l’équilibre politique des Pays-Bas lors de la Réforme protestante. A la fin des années 1550, Breughel peignit une série de grands panneaux aux compositions complexes, décrivant divers aspects de la vie rurale flamande. → Toutes ces oeuvres, `a l’iconographie apparemment naive, expriment le désir d’une vie stable et une aspiration `a l’harmonie sociale. Bruegel continua d’explorer ce theme dans des oeuvres plus tardives. Ainsi, dans la toile La Danse de paysans (entre 1566 et 1568), Breughel décida de mettre l'accent sur les circonstances qui accompagnent un événement plutôt que sur l'événement lui-meme. Pour lui, il devint plus important de décrire une danse paysanne flamande que la noce qui en était le prétexte. L’esprit de l’Humanisme et de la Renaissance fut arreté avec les troubles politiques et religieux qui marquerent le regne de Philippe II. Lorsque la vie intellectuelle reprit de la vigueur, sous les archiducs Isabelle et Albert, le Baroque triompha au travers de la Contre-Réforme. Le Baroque se propagea avec l’action des jésuites, pour qui l’art était un instrument de propagande, car il parlait au peuple. Fort logiquement, il s’imposa d’abord dans l’architecture religieuse, avant d’écrire aussi ses lettres de noblesse dans l’architecture civile, lorsque Pierre-Paul Rubens construisit sa propre demeure `a Anvers. Mais l’apogée du baroque est sans aucun doute la Grand-Place de Bruxelles, reconstruite apres son bombardement par les armées de Louis XIV, et sur laquelle les maisons de corporations rivalisent d’opulence et de magnificence. La peinture baroque flamande est restée mondialement célebre avec Pierre-Paul Rubens, seigneur bourgeois avide de connaissances qui gravit tous les échelons sociaux en meme temps qu’il glorifiait les victoires de la Contre-Réforme dans ses tableaux pleins d’éclat et de lumiere. Les disciples de Rubens furent nombreux et talentueux mais aucun ne parvint `a égaler leur maître. Citons quand meme Jacob Jordaens, dont l'oeuvre, empreinte de verve et de réalisme, privilégie les scenes de genre et les banquets. 7.6. Le Luxembourg espagnol On l’a vu : François Ier, furieux que Charles Quint, s’affronteront plusieurs fois. Entre 1522 et 1555, ils s’affronteront au moins `a cinq reprises. C’est surtout la quatrieme crise qui affecte le Luxembourg. François Ier parvient `a prendre le duché pour quelques années, mais le roi français, obnubilé parle mirage italien, donne la priorité `a la politique italienne, tout cela aux dépens de la poussée vers l’est. Luxembourg est donc perdu pour les Français, mais ils gardent les Trois Évechés (Metz, Toul, Verdun). Le Luxembourg devient donc une des XVII Provinces des Pays-Bas espagnols. Le duel entre Valois-Bourbons et Habsbourg continuera dans la seconde moitié du XVIeme siecle mais n’affectera plus le Luxembourg que de façon ponctuelle. Les Espagnols s’emploient `a renforcer les fortifications de Luxembourg par la mse en place d’un systeme de bastions sur un plan polygonal. En 1684, Louis XIV annexe le duché de Luxembourg. La prise du Luxembourg a un retentissement énorme en Europe car la forteresse jouit d’une grande réputation. Des le départ des Espagnols, Vauban va mettre en oeuvre 3000 ouvriers pour remodeler la fortresse. L’ampleur et le cout de stravaux prouvent que Louis XIV avait l’intention d’intégrer le duché `a son royaume. Mais La France inquiete ; ses adversaires (Espagne, Provinces-Unies, Empire, Suede) se groupent dans la ligue d’Augsbourg. La guerre éclate en 1688 mais le Luxembourg est cette fois épargné. Cependant, luttant seule contre tous, la France s’épuise. En 1697, la paix est signée `a Ryswich. L’article 5 du traité prévoit la restitution du Luxembourg. Les seize ans de sujétion `a la France (1681-1697) appraissent comme une parenthese dans l’histoire du Luxembourg. Ce qu’il en reste ? L’affaiblissement des structures féodales de la société et les transformations institutionnelles. Le rôle de la noblesse va décliner tout au long du XVIIIeme s. Le duché revient donc aux Espagnols mais la guerre de succession d’Espagne vient brouiller les cartes. Finalement, deux traités (Utrecht en 1713 et Rastatt en 1714) vont régler une situation qui devenait de plus en plus intenable sur le plan juridique. Philippe V garde l’Espagne et l’empire colonial. Charles VI obtient les Pays-bas, le Milanais et le royaume de Naples. Le XVIIeme siecle fait donc figure également de « siecle de malheur » pour le Luxembourg car, des 1635, c’et-`a-dire des l’entrée des Français dans la guerre des Trente Ans, jusqu’`a la conquete française (1684), ce pays a été soumis, de façon continue, `a toutes sortes de malheurs. Les exactions des soldats et les diverses batailles perturbent le rythme des travaux des champs. Par ailleurs, des 1636, une épidémie de peste frappe tragiquement le pays . Le Luxembourg ne se remettra qu’au XVIIIeme siecle d’une telle succession de malheurs. VIII. Les dominations étrangeres (1715-1830) 8.1. Les Pays-Bas autrichiens Au début du XVIIIeme siecle, les Habsbourg d’Autriche possedent de nombreux territoires : cela fait d’eux la premiere puissance européenne. Cependant, ces territoires sont dispersés. Dans le Saint-Empire, ils possedent l’Autriche, la Silésie, la Boheme et les Pays-Bas (depuis le traité d’Utrecht signé en 1713) ; en dehors de l’empire, ils sont maîtres de la Hongrie, du Milanais, de Naples et de la Sicile. Véritable champ de bataille européen tout au long du XVIIeme siecle, la Belgique ne connaîtra pas beaucoup plus de repos au XVIIIeme. Il en résulte un net recul économique et intellectuel, ainsi qu’un réflexe de repli sur soi et un sentiment d’indifférence politique, une aspiration `a la paix et `a la neutralité que l’on remarque encore dans la mentalité belge d’aujourd’hui. La principauté de Liege, neutre et indépendante, tient une place `a part et profite largement des guerres qui secouent les Pays-Bas autrichiens. Elle se spécialise davantage dans l’armement, qu’elle fournit `a tous les belligérants, et voit se développer sur son territoire des industries que les guerres empechent de fonctionner dans l’Etat voisin. Les capitaux dégagés permettent `a Liege de devenir un centre financier d’importance. A. Charles VI (1715-1740) Pendant le regne de l’Empereur germanique Charles VI, les seules passions sont d’ordre religieux. Elles n’opposent plus catholiques et protestants (qui ne font plus désormais qu’1% de la population) mais champions de la contre-réforme et partisans du Jansénisme (Jansénius était l’éveque d’Ypres). En 1723, Charles VI favorise la création et le développement d’une compagnie des Indes, appelée Compagnie d’Ostende du nom de son port d’attache, devenu le poumon maritime du pays, les bouches de l’Escaut étant toujours fermées. Financée essentiellement par des capitaux anversois qui trouvent enfin un débouché, la Compagnie d’Ostende prospere rapidement. Elle fonde meme des comptoirs au Bengale et en Chine. Mais cédant aux pressions conjuguées de l’Angleterre, la France, et des Provinces-Unies, qui voient leurs intérets économiques menacés, Charles VI est contraint d’interrompre les activités de la compagnie des 1727. La mort de l’Empereur, en 1740, replonge la Belgique dans le chaos : c’est la guerre de succession d’Autriche. En 1745, les Français occupent le pays apres leur victoire sur une coalition formée des Autrichiens, des Hollandais et des Anglais. Mais le traité d’Aix-la-Chapelle, en 1748, rend la Belgique `a Marie-Thérese de Habsbourg. B. Marie-Thérese (1740-1780) En dépit de la politique de centralisation menée depuis Vienne, le regne de Marie-Thérese est une période de calme et de prospérité pour les Pays-Bas autrichiens. A cela, plusieurs raisons. Tout d’abord, le gouverneur général, Charles de Lorraine, était tres populaire dans nos régions, apprécié pour son humanité envers le peuple et son sens de la fete. Ensuite, les trois ministres plénipotentiaires successifs chargés de la gestion quotidienne des Pays-Bas autrichiens se sont montrés entreprenants et efficaces, réussissant `a faire sortir l’économie de son marasme. Enfin, si elle était centralisatrice et tournée vers la modernité, Marie-Thérese n’en tenait pas moins compte de l’histoire et de la psychologie de ses sujets des Pays-Bas. Pendant le regne de Marie-Thérese, le port d’Anvers est `a nouveau équipé, le réseau routier se développe, on creuse des canaux, et le renouvellement de toutes ces infrastructures favorise la remise en activité d’industries en sommeil et la naissance de nouveaux secteurs, comme la fabrication de porcelaine et de carrosses. A la meme époque, l’agriculture fait `a nouveau un bond en avant sur le continent européen, suivant de pres les progres enregistrés en Angleterre. La culture de la pomme de terre et du colza se généralise, et donne de nouvelles ressources alimentaires, qui provoquent un accroissement de la population. C. Joseph II (1765-1790) A la mort de son pere, Joseph II exerce le pouvoir conjointement avec sa mere, jusqu’`a la disparition de celle-ci 15 ans plus tard. Modele du despote éclairé, nourri de la « philosophie des lumieres » du XVIIIeme siecle, Joseph II est un réformateur de génie. Mais il est trop peu au fait des réalités des Pays-Bas autrichiens et son tempérament austere s’accorde mal `a celui des habitants de nos provinces. Il ne s’embarrasse d’aucune stratégie ou psychologie pour mener `a bien ses réformes, ce qui le met en conflit ouvert avec sa mere avant la disparition de celle-ci. Si de nombreuses réformes imposées par Joseph II se justifiaient amplement – le pays était juridiquement en retard et une foule de coutumes dépassées y survivait – aucune ne fut vraiment accueillie favorablement. L’Empereur commença par s’attirer l’hostilité de l’Église entre autres en proclamant un Édit de Tolérance `a l’égard des protestants (alors que la petite minorité protestante jouissait d’une tolérance de fait), en supprimant les ordres contemplatifs (qu’il estimait nuisible `a la religion et `a l’État), et en sécularisant[55] le mariage. La bourgeoisie « éclairée » adepte des philosophes fut mécontentée `a son tour par la suppression de ce qui restait du fédéralisme provincial et des juridictions judiciaires au profit d’une bureaucratie venant de Vienne. Privés de leur relative autonomie de gestion et de leur pouvoir, les membres des États provinciaux et les magistrats se joignirent `a l’opposition cléricale. En abolissant la charte fondamentale dite de la Joyeuse Entrée, qui, depuis le Moyen Âge, était le document par lequel un suzerain réaffirmait les libertés et privileges lors de son accession au pouvoir, Joseph II précipita l’épreuve de force. 8.2. La parenthese des États Belgiques Unis et de la révolution liégeoise A. Des aventures de courte durée Deux mouvements, l’un progressiste, l’autre conservateur, lancent une révolution qui chasse facilement les Autrichiens du pays. Une fois cela fait, il restait `a organiser les provinces libérées, dont chacune proclama séparément son indépendance. En janvier 1790, les États généraux promulguerent l’acte de constitution des États Belgiques Unis, mais les rivalités entre progressistes et conservateurs dégénérerent rapidement en lutte ouverte. Les conservateurs l’emporterent facilement, mais un processus de décomposition, aggravé par les difficultés économiques, suivit la révolution, pourtant révélatrice d’une conscience nationale, et les Autrichiens reprirent le pouvoir. Dans la principauté de Liege, une révolution eut lieu également. Contrairement `a celle qui vit naître et mourir les Etats Belgiques Unis, elle s’inspira largement des événements parisiens de juillet 1789. En aout de la meme année, la bourgeoisie de Liege prit le pouvoir quasi sans rencontrer de résistance, renversant le prince-éveque. Mais alors que s’élaborait une constitution `a tendance démocratique, le peuple, qui ne voyait pas s’améliorer son niveau de vie, se souleva contre « les riches ». L’anarchie était totale lorsque le roi de Prusse rétablit l’ordre au nom de l’Empire, dont relevait théoriquement la principauté de Liege. L’une et l’autre révolutions finirent donc dans l’anarchie et le rétablissement du régime renversé. Mais cette double restauration ne dura que peu de temps, car quelques jours apres la proclamation de la République française, les troupes françaises foncerent sur la Belgique et battirent l’armée autrichienne sans difficulté. B. Un véritable sentiment national Au XVIIIeme siecle, il s’était développé en Belgique toute une activité politique, institutionnelle, et meme intellectuelle (toutefois modeste) que l’on peut qualifier de « nationale ». Les Pays-Bas autrichiens, sans etre un État souverain, en ont de fait toutes les caractéristiques. Dans cet Éat vivent ceux que l’on appelle, en français les « peuples de la Belgique », la « nation belgique » ou simplement les « Belges », et en néerlandais les « Nederlanders » (meme si ce terme désigne aussi les habitants des Pays-Bas du Nord) ou « Belgen ». Ces Belges ont une « patrie », qu’ils aiment et servent fidelement, sont conscients et fiers de leur identité, et se sont penchés sur leur Histoire (1782-1783 : Epitomes Historiae Belgicae de Jean des Roches). Lorsque, `a partir de 1787, les Belges se révoltent contre ce qu’ils considerent etre la « tyrannie » de Joseph II, ils le font précisément au nom de leur identité, de leur Histoire (largement fantasmée, que l’on fait remonter `a Horum omnium fortissimi sunt Belgae) et de leur liberté. L’explosion politique s’accompagne d’une explosion des écrits politiques qui permettent aujourd’hui de se faire une idée tres précise de la révolution brabançonne de 1790. Cette révolution dite « brabançonne », parce que le Brabant en a été le moteur, est véritablement nationale : elle touche tout le pays, tous ses acteurs s’identifient comme Belges, et elle conduit `a l’indépendance – tres breve – d’un État qui est déj`a la Belgique au plein sens du terme. Certes, la principauté de Liege n’en fait pas partie, mais est-ce parce que Lille, Strasbourg, Nice ou Perpignan ne font pas partie de la France lorsque Louis XIV monte sur le trône en 1643 que cette France « n’est pas encore la France » ? Non, bien sur ! Cette révolution n’est pas uniquement nationale, elle est ouvertement patriotique, d’un enthousiasme qui touche au chauvinisme : le Belge de 1789-1790 ne doute pas de lui-meme ! La victoire contre les Autrichiens une fois acquise, on pourra entendre : « Nos tyrans sont chassés et les Belges vainqueurs y font succéder un gouvernement juste et équitable ; l’amour de la patrie est le feu sacré qui brule dans tous les coeurs ». Ce sentiment national et patriotique cohabite avec de fortes attaches provinciales, mais il est plus vigoureux que ces dernieres. En outre, il n’y a, `a l’époque, aucun sentiment « communautaire » ou « linguistique » au sens moderne du terme : la dualité linguistique est un fait qui n’entre pas en ligne de compte ; on ne se sent pas « wallon » ou « flamand » (d’ailleurs `a ce moment ce dernier terme désigne toujours exclusivement les habitants de la province de Flandre). En conclusion, si la révolution brabançonne de 1790 est un échec, elle révele un sentiment national fort, qui plus jamais ne s’éteindra jusqu’en 1830. Entre ces deux révolutions, ni le régime français, ni le régime hollandais ne sont parvenus `a éteindre l’ardeur patriotique. Il y a donc, entre ces deux événements séparés de 40 ans, une réelle continuité morale. 8.3. L’occupation française : la tourmente révolutionnaire et napoléonienne A. Sous la Révolution et la Convention La population belge accueille le général Dumouriez, qui commande les troupes françaises, comme un libérateur, le vengeur de l’échec des révolutions brabançonne et liégeoise. Dumouriez proclame d’ailleurs que « ni la République française, ni les généraux qui commandent les armées ne se meleront en rien d’ordonner ou meme d’influencer la forme du gouvernement des Provinces Belgiques, lorsque le peuple commencera `a user de son droit souverain ». Pourtant, bien vite, les soldats se livrerent `a des pillages et au saccage des églises, et la Convention nationale française déclara l’annexion pure et simple des provinces belges et de la principauté ecclésiastique de Liege `a la France. Apres un bref retour offensif des Autrichiens, de mai 1793 `a juin 1794, la principauté de Stavelot-Malmédy et le duché de Bouillon sont `a leur tour annexés `a la France, en 1795. Jusqu’au coup d’Etat de Napoléon Bonaparte, en 1799, les exactions anti-cléricales se poursuivent en Belgique : suppressions des ordres religieux, confiscations de leurs biens, destruction des abbayes et de la cathédrale Saint-Lambert `a Liege. En outre, les provinces belges sont soumises `a des impôts exorbitants, et les jeunes hommes sont enrôlés de force dans l’armée de la République. La révolte éclate, successivement dans le Brabant, en Campine, et au Luxembourg. Mais en 1799, la répression avait brisé toutes les oppositions. B. Napoléon Bonaparte Le Consulat (1799-1804) de Napoléon Bonaparte, puis l’Empire (1804-1814), mirent fin `a la persécution religieuse. Les bourgeois furent associés `a l’action gouvernementale, et un relevement de l’économie s’amorça. La population belge, tout d’abord favorable `a Napoléon, se retourna contre l’Empereur lorsque les effets paralysants du blocus continental mené contre les Anglais se firent sentir, et lorsque la jeunesse fut une fois de plus enrôlée de force dans les armées. Bien vite, les Belges frauderent pour contourner le blocus et trois quarts des conscrits levés dans les départements belges déserterent. A la fin de 1813, le préfet du département de la Dyle prévoyait « une grande insurrection » tant la situation était mauvaise en Belgique. Mais l’avancée des troupes alliées contre l’Empire rendit superflue toute révolte. Alors que Guillaume d’Orange, souverain des Pays-Bas, administrait la Belgique au nom des puissances victorieuses et que le Congres de Vienne décidait du sort du pays, Napoléon prépare son retour. Un retour de courte durée, puisque, `a l’issue de l’épisode des Cent-Jours, il est battu en 1815, `a Waterloo, en Brabant wallon, par les armées de Wellington, Blücher et Grouchy. C. Le bilan de l’occupation française L’occupation française, qui en définitive dura moins de 25 ans, est, du point de vue économique, une ere en demi-teinte. Bruxelles, devenue préfecture de département, voit sa population tomber de 74.000 `a 60.000 habitants. Pourtant, les guerres napoléoniennes favorisent l’essor de certaines industries, comme celle du coton `a Gand, celle du drap `a Verviers, les charbonnages dans le Hainaut et dans le pays de Liege, et bien sur, la construction mécanique et l’armement. Mais c’est d’un point de vue institutionnel que le passage des Français fut marquant. Désormais, les anciens Pays-Bas méridionaux et la principauté de Liege font partie d’un meme ensemble... mais cet ensemble, c’est la France ! L’autonomie des provinces, leurs privileges et institutions sont supprimés, en meme temps que disparaissent leurs noms féodaux. Les limites des « neufs départements nouvellement réunis » sont tracées sans tenir compte de l’Histoire, sauf dans le choix des chefs-lieux. La Belgique, administrativement, disparaît pendant cette période : elle n’est ni un protectorat, ni une colonie, mais une partie comme une autre de la France. Pourtant, le sentiment national, qui n’est pas combattu par les Français, demeure présent dans les esprits. Au niveau local, chaque commune a son maire, son adjoint au maire et son conseil communal. Ils sont nommés par le gouvernement français pour les agglomérations de plus de 5.000 habitants, par le préfet de département ailleurs. Cette pratique, qui heurte trop la tradition communale du pays, ne subsistera pas. Le systeme judiciaire implanté par les Français, en revanche, est pratiquement inchangé jusqu’`a nos jours, de meme qu’ont été conservés la majorité des codes publiés entre 1804 et 1810. Il s’agit des Code civil, Code des procédures civiles, Code du commerce, Code d’instruction criminelle et Code pénal. Un autre effet du régime français est la francisation de la partie flamande du pays. Le flamand littéraire, autrefois utilisé dans l’administration, y disparaît presque totalement : la seule langue de l’administration, de la justice, de l’enseignement, est le français. Et avec ceux qui sont incapables de la parler, les fonctionnaires ont recours au dialecte flamand local. Cette situation, qui dure pendant 20 ans, acheve le processus de francisation de la Flandre, dont les élites avaient adopté la langue de Moliere des les XVIIeme et XVIIIeme siecle. Désormais, toute la bourgeoisie parle français, et utilise le dialecte avec le peuple. Mais le flamand littéraire ne survit plus que tres artificiellement. Avant la renaissance des lettres flamandes, amorcée dans les années 1840, un Anversois et un Brugeois sont obligés de parler français ensemble, car ils ne maîtrisent plus leur langue littéraire, et en dialecte, ils ne se comprennent pas ! Enfin, dernier héritage du régime de Napoléon, qui était, ne l’oublions pas, une dictature, les Belges ont appris l’obéissance, voire l’apathie… Pour la premiere fois depuis bien longtemps, ils se sentent véritablement sous domination étrangere, et cette domination est forte, impossible `a renverser. Ceci explique la passivité de la population et de la classe politique lorsque, apres la chute du régime français, les alliés occupent la Belgique. Si le pays avait du etre démembré, les Belges en auraient été désolés, mais ils n’auraient sans doute pas réagi : ils ne croyaient pas, `a ce moment, en leur capacité `a influer sur leur destin. C’est finalement, et de maniere fort paradoxale, Guillaume d’Orange qui sauve l’unité nationale en réclamant l’ensemble de nos territoires pour la couronne des Provinces Unies des Pays-Bas. 8. 4. La Culture au XVIIIeme siecle Si les provinces belges ont presque toujours joué un rôle important dans le développement de la culture occidentale, `a la fin de l’Ancien Régime et sous l’occupation française, elles connaissent un déclin évident. Pourtant, sous Marie-Thérese, la suppression de l’ordre des Jésuites donne l’occasion de mettre en place un systeme d’enseignement impérial. Une Académie des sciences est également fondée, et une bibliotheque impériale est ouverte au public. L’enseignement supérieur reste le privilege de l’Université de Louvain, qui connaît un déclin. C’est cependant dans ses laboratoires que le physicien Minckeleers découvre les principes du gaz d’éclairage. En littérature, on retiendra pourtant le nom de Charles-Joseph Lamoral, prince de Ligne (1735-1814), `a l’aise dans la société mondaine partout en Europe, « Autrichien en France, Français en Autriche, l’un ou l’autre en Russie ». Ses écrits montrent une connaissance du monde et une finesse d’analyse remarquables. En musique, le Liégeois André-Modeste Grétry (1741-1813) fut le principal compositeur de l’opéra-comique français de son époque. Il était tres admiré de Robespierre, puis de Napoléon, qui lui alloua une pension. La sculpture et la peinture témoignent d’une maîtrise certaine, mais aucun génie créateur ne se dégage. En architecture, l’influence du style français classique s’affirme, mais est ensuite dépassé par le gout de l’asymétrie qui caractérise le palais de Charles de Lorraine `a Bruxelles. On a parlé, `a propos de certains édifices construits `a cette époque (château de Seneffe, hôtel de ville de Tournai), d’un « style Louis XV austro-belge ». 8. 5. Le congres de Vienne et la réunification des Pays-Bas Le Congres de Vienne (septembre 1814 – février 1815), une des plus grandes conférences diplomatiques du XIXeme siecle, est l’occasion pour les puissances européennes de l’époque de redessiner la carte de l’Europe apres la victoire sur Napoléon. L’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse tentent toutes de tirer un maximum de profit de l’occasion. Mais leur but commun est aussi de créer une zone-tampon autour de la France, toujours considérée comme une menace potentielle. Ainsi, `a l’Est, la Confédération Helvétique réunit ses cantons et devient indépendante et neutre ; au Sud, le Piémont[56], rétrocédé[57] au roi de Sardaigne (avec la Savoie, Nice et Genes), constitue la piece méridionale du dispositif anti-français, en tant que royaume de Piémont-Sardaigne, et au Nord, les anciens Pays-Bas autrichiens sont réunifiés aux Provinces-Unies des Pays-Bas pour former le royaume unique des Pays-Bas (indépendant et gouverné par la maison d'Orange). L’amalgame des Pays-Bas septentrionaux et méridionaux est stratégiquement et économiquement prometteur : la Belgique avait une agriculture avancée, des richesses minieres considérables et une main-d’oeuvre de qualité, la Hollande possédait une marine nombreuse, des colonies, et des relations commerciales solidement établies. Mais la réunification des Dix-Sept Provinces de Charles Quint, si elle correspond `a un certain idéal historique, ne tenait pas compte des divergences nées de deux siecles de vie en séparation. Les Hollandais étaient protestants, les Belges étaient catholiques. Les moeurs, les mentalités et les sentiments nationaux avaient évolué selon des voies totalement différentes. La fermeture des bouches de l’Escaut, la défense d’intérets économiques opposés, des guerres, avaient souvent renvoyé dos `a dos Belges et Hollandais, au point de les rendre ouvertement rivaux. Enfin, du point de vue linguistique, la fusion des deux pays assurait la prédominance du néerlandais, alors qu’en Belgique, toute la noblesse et toute la bourgeoisie s’exprimait en français, meme en Flandre. Il n’y aura donc jamais d’union nationale, de nouveau sentiment national, mais bien une opposition permanente et systématique entre Belges et Hollandais, car les Belges considerent que cet Etat, dont ils font juridiquement partie, n’est pas moralement le leur. Pourtant, en homme d’affaire avisé, Guillaume Ier est sincerement désireux de faire progresser l’économie des provinces du Sud. Il y fait réaliser de grands travaux d’infrastructure (creusement de canaux, construction de routes, développement du port d’Anvers), il crée `a Bruxelles la « Société générale des Pays-Bas pour favoriser l’industrie nationale », ainsi qu’un « Fonds de l’Industrie ». Ces mesures encouragent efficacement la progression dans les secteurs textile et verrier, tandis que la collaboration entre l’Etat et les grands patrons de l’industrie, dont les Cockerill, permettent la mise en valeur des hauts-fourneaux[58] `a coke[59] et la fabrication de machines `a vapeur. Mais d’autre part, d’un point de vue politique et administratif, le roi Guillaume Ier mene une politique discriminatoire[60]. Les fonctionnaires royaux hollandais (des provinces du Nord) ont la mainmise sur l’administration. La Belgique se voit contrainte de prendre `a sa charge une partie de la dette hollandaise. Les libertés sont réduites et la presse est censurée. Enfin, Guillaume heurte les catholiques par sa politique anti-cléricale, notamment en imposant un contrôle de l’État sur l’enseignement. 8.6. Le Luxembourg en route vers l’indépendance En 1715, le pouvoir autrichien est confirmé. Par rapport au siecle précédent, le XVIIIeme s. forme un contraste saisissant : le Luxembourg va connaître une période de paix. Le duché va voi sa situation s’améliorer tout au long du siecle. Sous la domination autrichienne (1715-1795), le Luxembourg garde son importance stratégique traditionnelle. Les Autrichiens continuent `a renforcer la forteresse par un élargissement du périmetre défensif : sont construits toute une série de forts, bastions, contre-gardes, casemates. Les Français se sentent visés par cette politique défensive. Quand la France entre dans le conflit pour la succession d’Autriche (1744) du côté de la Prusse, elle porte son effort sur les Pays-Bas au nord des Ardennes et non sur le Luxembourg. Argument invoqué : le siege de la fortresse demanderait trop d’homme et la « stérilité du pays » ne permettrait pas d’entretenir les soldats. La pauvreté a du bon. Finalement un traité d’alliance et d’amitié est signé entre la France et l’Autriche en 1756. Avec la Révolution française, la nature des hostilités change : le traditionnel conflit dynastique est remplacé par un combat idéologique entre le droit des peuples `a disposer d’eux-memes et le principe monarchique. Le Luxembourg redevient un théâtre de guerre car la révolution vise le Rhin, c’est-`a-dire les frontieres naturelles. Mais surtout les incursions françaises visent `a immobiliser les troupes autrichiennes. Les Français parviendront `a prendre le Luxembourg apres un blocus de six mois (entamé le 21 novembre 1794). Le Luxembourg est alors intégré `a la République française : le duché devient un département français (le département des Forets). La France instaure son systeme administratif. Mais tout se fait tres vite et la population n’est pas préparée `a recevoir cette révolution. Profondément attachée au culte, elle voit bien que le clergé est heurté par les pratiques des conquérants qui suppriment les couvents, interdisent les processions et imposent un nouveau calendrier perçu comme une mesure de déchristianisation. Par ailleurs, les Luxembourgeois, `a l’instar des belges, ressentent la dommination françasie comme la domination d’étrangers. En outre, beaucoup de fonctionnaires français ne connaissent pas l’allemand indispensable pour administrer la partie orientale germanophone du département des Forets. La méfiance face `a l’oeuvre révolutionnaire va, petit `a petit, se muer en franche hostilité, celle-ci s’expliquant par le sentiment qu’ont les Luxembourgeois d’etre dominés par des étrangers et surtout par la politique franchement anticléricale menée par les Français. En 1798, en raison de l’introduction de la conscription[61] dans l’ensemble des départements français, des troubles éclatent prenant, dans certaines parties du département des Forets, des allures de soulevement. Pourquoi une telle réaction ? Il y a plusieurs facteurs qui l’expliquent : d’une part les mesures anticléricales ont excédé la population ; d’autre part, les Luxembourgeois n’étaient pas habitués `a un service militaire obligatoire. En outre, les jeunes sont enrôlés pour aller servir loin de leur pays. Par ailleurs, l’absence de ces hommes se fait sentir de façon aigue. Enfin, le fait que ces hommes soient obligés d’aller défendre un régime que leurs parents désapprouvnt rend la conscription inacceptable… Ce soulevement est parallele `a ceux observés en Belgique `a la meme époque. Et comme dans ce dernier territoire, la répression se fait sévere au Luxembourg. Ce soulevement sera baptisé Kleppelkrich (guerre des gourdins), allusion `a l’armement primitif des insurgés et `a l’origine paysanne des insurgés. Le Kleppelkrich est l’unique soulevement de masse luxembourgeois. En tant que tel, il eut un fort impact sur l’imaginaire populaire apres la déclaration d’indépendance du Grand-Duché et a servi `a construire un sentiment national luxembourgeois. Trosi ans apres ces événements, en 1801, Napoléon Bonaparte conclut un concordat avec l’Église rétablissant la paix religieuse. Des lors, la population acceptera (mais sans enthousisasme) le nouveau régime. A la chute de l’empire, le Congres de Vienne (1815) éleve l’ancien duché du Luxembourg au rang de grand-duché mais l’ampute des territoires se trouvant `a l’est d’une ligne fluviale formée par (du sud au nord) la Moselle, la Sure et l’Our, ainsi que de ceux situés dans l’Eifel (Bitbourg, Saint Vith, Schleiden). Ce démembrement fait perdre 2280 km^2 et 50 000 habitants au Luxembourg. Ce grand-duché est attribué `a Guillaume Ier d’Orange-Nassau en tant que patrimoine. Le roi des Pays-Bas acquiert ainsi le titre de grand-duc du Luxembourg, car ce teritoire constitue en principe un état `a part. On peut parler d’union personnelle entre les deux pays. N’ayant pas confiance dans les capacités militaires du grand-duché, ils le font entrer dans la Confédération germanique, association de 39 États, et une garnison prussienne s’installe dans la forteresse[62]. Le statut international du Luxembourg est assez compliqué puique Guillaume Ier a tendance `a assimiler le Luxembourg comme dix-huitieme province de son royaume. De la meme façon qu’en Belgique Guillaume Ier va s’aliéner les Luxembourgeois. Ceux-ci reprochent `a leur grand-duc de manquer d’intéret pour le développement économique de cette partie de son royaume et sont, en outre, lassés de l’absolutisme de Guillaume Ier Dans ces conditions, les Luxembourgeois se solidarisent avec les Belges et se révoltent en 1830. IX. La Belgique indépendante ; le regne de Léopold Ier Des 1828, dans les Provinces du sud des Pays-Bas, on remarque des volontés de coalition contre le roi : les catholiques et les libéraux forment une union des oppositions afin d’obtenir « la liberté en tout et pour tout[63].» Mais le roi ne faisant aucun cas des récriminations de ses sujets du sud, la révolution devient inévitable… Par ailleurs, toute l’Europe connaît `a l’époque une vague de mouvements révolutionnaires, par lesquels les peuples montrent leur mécontentement par rapport `a l’oeuvre du congres de Vienne. En France, en Pologne, en Allemagne, en Suisse, les monarques imposés en 1815 sont renversés. Mais seule l’insurrection belge va aboutir completement. Il faut également mentionner que, passifs en 1815 apres le régime de Napoléon, les Belges ont appris, en 15 années de cohabitation forcée avec les Hollandais, `a reprendre leur destinée en main : ils ont eu plus de liberté (meme si pas encore assez `a leur gout), donc plus souvent l’occasion de s’exprimer, et ils ont conscience de se mesurer avec un peuple et un régime dont ils peuvent arriver `a bout (les 2,5 millions de Hollandais et le régime de Guillaume Ier, ce n’est pas la grandeur de la France et la poigne de fer de Napoléon). Ainsi, n’ayant pas eu droit au chapitre en 1815, les Belges vont faire entendre leur voix : la Belgique va naître d’un opéra. 9.1. La révolution belge Le 25 aout 1830, au théâtre de la Monnaie, `a Bruxelles, on donne une représentation de La Muette de Portici, opéra d’Auber qui évoquait la révolte du peuple napolitain contre le roi espagnol Philippe IV. Lors du quatrieme acte, le ténor commence `a chanter : « Amour sacré de la patrie Rends-nous l’audace et la fierté A mon pays, je dois la vie Il me devra la liberté » La salle, qui est comble, se laisse gagner par l’enthousiasme du chant et se déchaîne. Les désordres gagnent toute la ville et toutes les couches sociales : les bourgeois comme les ouvriers. Le lendemain, les bourgeois sont rentrés chez eux mais les couches populaires continuent `a agir : elles vont détruire les machines des usines de la région et piller les magasins de nourriture. Les autorités ne réagissant pas, les bourgeois, qui craignent pour leurs biens, organisent une garde armée qui adopte le drapeau noir, jaune, rouge[64]. Ils finissent par rétablir l’ordre. Mais, au lieu de restaurer la municipalité dans ses pouvoirs, ils en profitent pour prendre en main la direction des affaires qu’ils confient, le 28 aout, `a 50 d’entre eux : c’est le conseil des notables. Guillaume envoie alors ses fils, Guillaume et Frédéric, en Belgique pour étudier la situation. Le constat est clair : les Belges ne veulent pas etre hollandais. Les troupes hollandaises se replient sur Anvers tandis que Guillaume part exposer le probleme `a son pere en Hollande. Cependant, le mouvement gagne l’ensemble du pays. A Bruxelles, le peuple parvient `a se rallier les bourgeois modérés et, le 20 septembre 1830, les Bruxellois prennent l’Hôtel de Ville, en chassent les notables et désarment la garde bourgeoise. Le roi Guillaume Ier, apprenant l’insurrection populaire, envoie son fils Frédéric `a la tete de 14 000 hommes. Entrés dans Bruxelles le 23 septembre, les Hollandais sont vaincus le 27 septembre, apres 4 jours de combats, par les insurgés parmi lesquels on compte des Bruxellois, des Louvanistes, des Tournaisiens et des Liégeois! Le 4 octobre1830, un gouvernement provisoire proclame l’indépendance de la Belgique ; les Hollandais sont chassés du pays. Fin octobre, l’ensemble du territoire belge est vidé de ses occupants hollandais, mis `a part Anvers et Maastricht. Le 3 novembre 1830, un Congres national (comprenant 200 membres) remplace le gouvernement provisoire afin d’élaborer une nouvelle constitution. Les membres de ce conseil décident de faire de la Belgique une monarchie constitutionnelle, parlementaire et héréditaire. Alors que l’élaboration de la constitution est entamée, le 4 novembre 1830, les 5 puissances européennes (France, Angleterre, Autriche, Prusse et Russie) ouvrent la conférence de Londres afin de régler le sort de la Belgique : l’indépendance est reconnue grâce au soutien de la France et de l’Angleterre. Cependant, l’Angleterre impose `a la Belgique une neutralité perpétuelle qui doit garantir l’équilibre européen. Le 7 février 1831, la Constitution est achevée par le Congres national. La Belgique doit également se choisir un roi. Au départ le choix se porte sur le duc français Louis de Nemours, fils de Louis-Philippe, mais celui-ci refuse en raison de l’opposition des Anglais face `a ce projet. Les Belges décident d’attendre un peu avant d’élire leur roi et se donnent un régent : le baron Surlet de Chokier. Finalement, le prince Léopold de Saxe-Cobourg Gotha, Allemand d’origine mais naturalisé anglais, se voit offrir la couronne. Alors qu’il avait refusé la couronne de Grece, Léopold accepte de devenir « roi des Belges » et non roi de Belgique. Il prete serment sur la Constitution le 21 juillet 1831[65]. Devant l’incapacité des ministres de l’époque, il s’attribuera des pouvoirs tres étendus. 9.2. La Constitution La constitution belge est une synthese des constitutions françaises de 1791, 1814, 1830, de la constitution néerlandaise de 1814 et du droit constitutionnel anglais. La constitution n’est cependant pas un amalgame juridique artificiel mais bien une création originale. Ses principes élémentaires sont toujours appliqués aujourd’hui. La Belgique devient une monarchie parlementaire. Le principe de base de la constitution est la séparation des pouvoirs. Les trois pouvoirs distincts sont : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire. Elle proclame l’égalité de tous devant la loi et les grandes libertés de conscience, d’enseignement, de presse, d’association et de l’emploi des langues. La nouvelle Constitution du pays est extremement libérale. La monarchie constitutionnelle accorde en effet au Parlement l'essentiel des pouvoirs (contrôle des ministres, vote des lois et du budget), impose un cens électoral (conditions requises par la loi – revenus, niveau d’éducation – pour qu’une personne puisse etre électeur) modéré et accorde de nombreuses libertés : § liberté individuelle : droit de disposer entierement de sa personne, de ses biens, de ses loisirs, en respectant toutefois les droits d’autrui. § inviolabilité du domicile : interdiction `a quiconque de pénétrer dans une maison privée sans mandat de perquisition. § droit de propriété : respect de la propriété de chacun, aussi bien par autrui que par les pouvoirs publics. L’expropriation doit se faire moyennant une juste et préalable indemnité. § liberté des cultes et des opinions : liberté pour chacun de croire ou de ne pas croire, garantie aux croyants de pouvoir pratiquer leur religion, liberté d’exprimer sa pensée. § liberté d’enseignement : n’importe qui peut ouvrir une école et chacun a le droit de fréquenter l’école de son choix. § liberté de presse : interdiction de la censure des livres, revues, brochures, journaux, et affiches. Ces documents doivent porter le nom de l’éditeur qui en prend la responsabilité. § liberté de réunion et d’association : droit de se réunir, de se grouper en sociétés ou de s’affilier `a un parti politique. § liberté de l’emploi des langues : les langues usitées en Belgique sont le français, le néerlandais et l’allemand (en fait, le français est en 1831 la langue officielle). La premiere constitution est extremement centralisatrice, c’est-`a-dire qu’elle dote l’État central d’un pouvoir fort, afin de contrer les particularismes et de renforcer l’unité du pays. 9.3. La réaction hollandaise Le 2 aout 1831, Guillaume Ier, roi de Hollande, déclare la guerre au roi des Belges et envahit la Belgique qui subit deux défaites militaires. Le roi Léopold lance un appel `a l’aide aux Français qui, avec l’accord des Anglais, envoient un corps expéditionnaire de 50 000 hommes dirigé par le maréchal Gérard qui parvient `a arreter les Hollandais avant leur entrée dans Bruxelles. Un armistice[66] leur est imposé. Le 14 octobre 1831, la seconde conférence de Londres va régler définitivement les questions du partage de la dette hollandaise et des limites du territoire belge par le traité des XXIV articles : § la Belgique doit renoncer au Limbourg oriental (comprenant Maastricht) et `a la partie germanophone du Luxembourg, qui retournent `a la couronne hollandaise. § la Hollande qui contrôle les bouches de l’Escaut peut percevoir des droits sur les bateaux entrant en Belgique § le pourcentage de la dette `a payer par la Belgique `a la Hollande est alourdi La Belgique, qui s’était montrée incapable de se défendre seule, est obligée d’accepter ce traité tres désavantageux pour elle. Cependant, Guillaume Ier n’est pas d’accord avec ce traité et le repousse, ce qui permet aux Belges d’administrer provisoirement les territoires contestés au Limbourg et au Luxembourg. En 1832, les Hollandais évacuent Anvers, suite `a une intervention française qui avait été décidée lors de la conférence de Londres. Ce n’est qu’en 1838 que Guillaume acceptera les clauses du traité des XXIV articles. En 1839, le traité définitif sera finalement signé par les Pays-Bas, la Belgique et les cinq États qui se portent garants du statut de la Belgique et lui garantissent l’inviolabilité : la France, l’Angleterre, la Prusse, la Russie et l’Autriche. L’État belge doit abandonner alors ses vues sur le Limbourg oriental et le Luxembourg oriental (grand-duché). Mais politiquement sa situation est consolidée alors qu’au départ de nombreux sceptiques accueillaient la création de ce nouvel État. En Belgique meme, orangistes (partisans au rattachement `a la Hollande) et réunionistes (partisans au rattachement `a la France) avancent comme principal argument en faveur d’un rattachement au voisin du nord ou du sud la nécessité de la rendre viable au niveau économique. A l’extérieur, ce sont surtout les Français qui doutent de la crédibilité de la Belgique qu’ils considerent comme un territoire sans nationalité, sans avenir si ce n’est rattaché `a la France… 9.4. La politique intérieure sous le regne de Léopold Ier Les circonstances, mais aussi le manque de compétence des ministres belges en politique étrangere et de défense permirent `a Léopold Ier d’exercer des pouvoirs tres étendus en ces domaines. Personne ne s’en indignait : le roi possédait une expérience militaire certaine, avait énormément voyagé, et connaissait toutes les cours d’Europe et leurs souverains. Le penchant naturel du roi le poussait `a jouer également dans la politique intérieure du pays un rôle plus important que celui prévu par la lettre et l’esprit de la Constitution. S’il eut une influence non négligeable, il se heurta régulierement aux ministres et parlementaires, souvent prets `a lui rappeler qu’en Belgique, « le roi regne mais ne gouverne pas ». A. L’unionisme Dans un premier temps, la Belgique connut des gouvernements d’union nationale entre les deux courants politiques en présence, les catholiques (la droite), et les libéraux (la gauche). Les premieres années furent avant tout consacrées au parachevement de l’organisation de l’État, avec la mise au point de la loi communale et de la loi provinciale. Si les débats opposaient conservateurs et progressistes, jamais tant que la menace hollandaise était bien réelle (c’est-`a-dire jusqu’en 1839) l’union nationale ne fut menacée. Dans ce contexte, le roi jouait un rôle de régulateur et de conseiller, soutenant tout ce qui concourrait `a la bonne gestion du pays et `a sa prospérité grandissante. La Belgique devait etre le premier Etat du continent `a se doter d’une ligne de chemin de fer, en 1836, entre Bruxelles et Malines. Ce premier tronçon devait faire partie d’un ensemble conçu pour relier le Rhin `a Ostende et les Pays-Bas `a la France. En quelques années, le commerce et l’industrie avaient repris de l’activité, et la confiance renaissante incita `a la création de nombreuses sociétés anonymes – pour un capital nominal de 37 millions en 1834 et de 145 millions en 1836. La Société Générale, créée en son temps par Guillaume Ier, et la Banque de Belgique se lançaient dans d’audacieuses entreprises. Peu `a peu, la Belgique se faisait une place parmi les nations les plus riches et les plus actives en Europe. B. La fin de l’unionisme et la question scolaire L’organisation de l’enseignement avait déj`a opposé catholiques et libéraux en 1834. Alors que les éveques de Belgique annonçaient la création d’une université « sur le plan et la forme de l’ancienne Université de Louvain », la loge maçonnique des « Amis philanthropes », présidée par Théodore Verhaeghen, décide de la fondation `a Bruxelles d’une université libre, basée sur les principes du libre examen. Apres la période d’unionisme, lorsque les gouvernements furent constitués de maniere homogene de catholiques ou de libéraux, c’est la question scolaire qui enflamma souvent les débats. Les libéraux de toutes nuances, réunis en congres en 1846 pour établir les bases d’un programme commun et lancer un véritable parti, réaffirmerent l’indépendance du pouvoir civil : « l’Église dans l’État, et non pas l’État dans l’Église ». Leur doctrine économique (« laissez faire, laissez passer »), leur valut la sympathie des industriels de plus en plus en nombreux, et le parti libéral domina la vie politique jusqu’au début des années 1870. Par ailleurs, le parti catholique ne se structura formellement qu’en 1884. Apres la tourmente révolutionnaire qui secoua l’Europe en 1848 mais au cours de laquelle la Belgique garda la tete froide, la question scolaire cristallisa les oppositions idéologiques en 1850. Un projet de loi présenté par les libéraux marquait un important progres pour l’enseignement public. Ce projet, qui fut voté, réorganisait les niveaux d’enseignement, prévoyait la création de 50 écoles moyennes et 10 athénées ne pouvant recevoir que des éleves externes, et précisait que l’enseignement de la religion faisait partie de l’instruction moyenne, mais qu’il pouvait éventuellement se faire contre le gré des ministres du culte. Les catholiques accuserent alors les libéraux de vouloir ré-instaurer le monopole d’Etat sur l’enseignement imposé par Guillaume Ier. C. Les questions sociales Dans la deuxieme moitié de la décennie 1840, la Belgique connut une crise économique grave. La politique douaniere des Etats voisins était défavorable `a la Belgique, l’industrie liniere flamande sombrait alors que la filature mécanique du textile faisait d’énormes progres `a l’étranger. Les salaires s’effondrerent jusqu’`a 18 centimes par jour en 1848, et simultanément, les mauvaises récoltes céréalieres et la maladie de la pomme de terre diminuaient considérablement les ressources alimentaires. Dans les classes les plus défavorisées, on en fut réduit `a manger de la soupe faite de verdure de navet et de farine, `a acheter sur les marchés des peaux, tetes et entrailles de poisson. La nuit, les plus pauvres allaient déterrer pour les manger les cadavres de betes mortes d’épizootie[67]. En outre, une épidémie de typhus toucha le pays en 1847. Malgré ces conditions de vie désastreuses des ouvriers non qualifiés et des paysans, le jeune État belge échappa `a la vague révolutionnaire de 1848, probablement grâce `a l’apathie générale et au catholicisme tres ancré dans les couches les plus pauvres de la population. Mieux, la Belgique hébergeait fréquemment les démocrates, utopistes, et socialistes de la premiere heure chassés de leur pays d’origine. C’est ainsi que les idées sociales de Saint-Simon et de Fourier trouverent la liberté nécessaire pour se développer chez nous, au travers de l’action de nombreux disciples des deux philosophes français. En 1845, Karl Marx reçut l’autorisation de résider en Belgique apres avoir signé la déclaration suivante : « Je consens sur mon honneur `a ne publier en Belgique aucun ouvrage sur la politique du jour ». C’est `a Bruxelles que fut publié le célebre Manifeste du Parti Communiste. 9.5. L’émancipation culturelle du pays Lentement, les arts et les lettres belges sortirent de l’inertie qui les avait caractérisés au XVIIIeme siecle. Les premiers peintres belges, Wappers, Gallait, Wiertz, oscillerent entre romantisme et réalisme avec plus ou moins de bonheur. Les lettres flamandes furent les premieres `a se révéler, sans doute par réflexe de survie et de défense de la langue néerlandaise, menacée et déconsidérée apres la déroute des Hollandais en 1830. De plus, au contraire des écrivains s’exprimant en français, les Flamands n’avaient aucun complexe face `a une littérature étrangere prestigieuse. Deux précurseurs, Jan Frans Willems et Jan Baptist David, ont par leur activité philologique et par la création de deux fonds, le Willemsfonds (libéral) et le Davidsfonds (catholique), contribué `a favoriser la renaissance des lettres flamandes. Ce sont les romans de Hendrik Conscience, dont son Leeuw van Vlaanderen (Le Lion des Flandres, 1838) qui eurent les premiers un véritable succes populaire. On dit de Conscience « qu’il a appris `a lire `a son peuple » (Hij leerde zijn volk lezen). Ensuite, le pretre-poete Guido Gezelle forgea pour sa poésie inspirée de la nature, de l’homme et de Dieu une langue neuve, fraîche et mélodieuse. La situation des lettres francophones était nettement moins brillante. Pendant des années, les écrivains tombent volontairement ou non dans le piege de l’imitation des Français. La bourgeoisie au pouvoir appelle `a la création d’une littérature nationale spécifique, élément de cohésion, d’identification : les auteurs vont rechercher dans le passé tout ce qui peut etre assimilé `a l’histoire de la Belgique, et idéalisé par la littérature. Mais ils puisent aussi leur inspiration chez les romantiques étrangers : Byron, Scott, Goethe, Hugo, Lamartine… en ne retenant toutefois du romantisme que la mollesse et la mélancolie, ses autres aspects étant jugés dangereux pour les moeurs…Apres le coup d’Etat de Napoléon III en France, de nombreux écrivains français s’installent `a Bruxelles, et regnent sur le milieu littéraire, influençant grandement la jeune génération.. Dans l’ensemble, les tentatives de créer une littérature nationale sont tres peu convaincantes. Aucune originalité dans le théâtre d’Edouard Wacken, applaudi par les bourgeois, qui ne se lassent pas d’entendre retentir le mot liberté. Du romantisme tres conventionnel chez Octave Pirmez, qui publie ses Jours de solitude `a la meme époque que les Fleurs du Mal de Baudelaire. Théodore Weustenraad, quant `a lui, écrit des vers `a la gloire des progres techniques et industriels du nouvel Etat (Le Remorqueur, Le Haut-Fourneau). Partout, le conformisme social et le manque d’audace littéraire freinent le véritable envol des lettres belges francophones. Il fallut attendre 1867 pour que paraissent une oeuvre qui peut etre qualifiée de fondatrice : La légende et les aventures héroiques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et d’ailleurs, de Charles de Coster. 9.6. La période belge du Luxembourg : vers l’indépendance En 1831, la Belgique devient un royaume autonome. Selon la conférence de Londres, le jeune Etat belge est souverain sur le Luxembourg et le Limbourg oriental, en vertu du Traité des XVIII Articles. Mais Guillaume Ier ne signe pas le traité, et poursuit la lutte, brievement sur le plan militaire (été 1831), plus longuement sur le plan diplomatique. Il en résulte une situation confuse. La Conférence de Londres, `a nouveau réunie, propose le Traité XXIV Articles, en vertu duquel le Limbourg oriental est rendu aux Pays-Bas et la Belgique ne conserve que cinq districts luxembourgeois sur huit. Pendant longtemps, Guillaume Ier refuse de signer ce nouveau traité, mais il s’y résout en 1839. Le Luxembourg est alors divisé en deux, dont une partie reste dans le giron belge. Et l’autre retourne aux Pays-Bas. C’est donc `a ce moment que le territoire luxembourgeois prend sa forme actuelle. Amputé de sa partie germanophone, le Luxembourg devient une nation germanophone : les autochtones, entre eux, s’expriment en luxembourgeois, mais recourent `a l’allemand pour les besoins de l’administration et de la culture. Dans les élites, on continue `a utiliser le français. De 1840 `a 1849, le Luxembourg est administré par Guillaume II. Sous son regne, le pays participe `a l’Union douaniere allemande (Zollverein) gérée par la Prusse. L’abolition des barrieres douanieres entre les États allemands facilite l’accession du Luxembourg au rang de nation industrielle. Guillaume II, farouche partisan de l’indépendance du Luxembourg, défend le pays contre les tentatives d’annexion de ses puissants voisins, la France et la Confédération germanique. Durant cette période, on assiste `a la mise en place d’un État. Le pays se dote d’une administration. Une série de lois, adaptées aux mentalités et aux besoins du pays, sont élaborées : sur l’organisation communale, sur la justice (avec maintien du Code Napoléon), sur la bienfaisance publique, sur l’enseignement moyen et primaire. La vie politique s’organise autour de la charte accordée par Guillaume II aux Luxembourgeois en 1841. Cette charte est peu libérale et installe le pouvoir absolu de Guillaume II. Néanmoins, cela permet aux hommes politiques de faire leurs premieres armes en politique. En 1849 meurt prématurément Guillaume II : lui succede son fils Guillaume III qui ne partage pas du tout les conceptions libérales de son pere. En 1853, il met en place un gouvernement `a sa dévotion et, en 1856, il impose une Constitution autoritaire qui affirme fortement le principe monarchique. Mais la Chambre affirme tres clairement son attachement au modele politique libéral ; tout au long du XXeme s., le Luxembourg restera attaché `a cette conception. Une difficile collaboration s’instaure entre une Chambre récalcitrante et un pouvoir qui n’ose aller jusqu’au bout de sa politique. Lentement, on s’oriente vers une conciliation, facilitée par les événements extérieurs : la guerre austro-prussienne, qui se termine par la victoire de la Prusse (Sadowa, 1866) et entraîne la dissolution de la Confédération germanique. L’éclatement de cette Confédération paracheve le processus d’indépendance. Le Traité de Londres de 1867 affermit le statut international du Grand-duché et garantit une indépendance perpétuelle `a un Luxembourg neutre. X. Le regne de Léopold II (1865-1909) Dans les dernieres années de son regne, Léopold Ier remporte deux victoires qui seront essentielles pour l’avenir de la Belgique. En 1863, il pese de tout son poids politique sur le gouvernement libéral pour le pousser au rachat des droits néerlandais sur l’embouchure de l’Escaut. Moyennant la somme de 17 millions de florins, Anvers se libere de l’étreinte de ses voisins du Nord et peut redevenir l’un des plus grands ports européens et « l’ouverture naturelle » de la Belgique sur le monde. D’autre part, le souverain comprend vite le projet de Napoléon III de reporter la frontiere française sur le Rhin. Il alerte l’Europe, obtient des garanties pour la défense de la neutralité belge, et met tout en oeuvre pour faire moderniser une fois de plus l’armée belge, faisant également passer ses effectifs de 80.000 `a 100.000 hommes. Cette prudence diplomatique et militaire permet `a la Belgique d’échapper `a la guerre de 1870. Apres trois ans de lutte contre la maladie, le roi Léopold Ier meurt au palais de Laeken en décembre 1865. Son fils aîné impressionne par sa stature et son air sévere. Il se révelera etre un souverain visionnaire, souvent mal compris de son peuple. Réformateur, colonisateur, urbaniste, diplomate avisé, Léopold II sera « un géant dans un entresol », `a l’étroit dans son royaume de Belgique. A propos de son Etat, on lui prete cette parole amere : « Petit pays, petit esprit ». 10.1. L’expansion coloniale De ses années de formation, pendant lesquelles il a beaucoup voyagé – Afrique du Nord, Indes, Asie Mineure, Extreme-Orient – Léopold II, qui a trente ans lorsqu’il monte sur le trône, s’est forgé la conviction que son pays devait « s’étendre au-del`a des mers », comme il le dit en 1860 déj`a dans un discours au Sénat. Cependant les circonstances ne laissent pas, dans un premier temps, la possibilité au souverain de réaliser ses projets. Les visées expansionnistes de Napoléon III sur la Belgique, puis la guerre de 1870, obligent le roi `a penser avant tout `a la défense de son pays et `a concentrer toute son énergie sur la diplomatie européenne… tâches malaisées car la majorité parlementaire est farouchement anti-militariste. A. De la Conférence internationale de géographie `a la Conférence de Berlin Moins pressé par les événements, Léopold II porte son regard vers l’Afrique centrale et ses vastes zones encore inexplorées. En septembre 1876, il inaugure `a Bruxelles une conférence internationale de géographie en vue de coordonner l’activité des explorateurs. Il fait valoir que la Belgique, Etat neutre, est le lieu idéal pour une telle conférence, et nie toute ambition personnelle sur le résultat des explorations… La conférence aboutit `a la création d’une Association internationale africaine, dont Léopold II assume la présidence du comité exécutif. Une mission belge part en Afrique centrale, mais le roi apprend sur ces entrefaites qu’un journaliste américain d’origine anglaise, Stanley, vient de traverser le coeur du continent noir `a la recherche du missionnaire écossais Livingstone. Lorsque Stanley rentre en Europe, il offre ses services au gouvernement britannique, mais apres six mois de démarches infructueuses, il se présente chez Léopold II, qui l’avait contacté depuis son retour. A l’issue de l’entrevue, en novembre 1878, est créé un organisme exclusivement belge, le Comité d’études du Haut-Congo, pour le compte duquel Stanley repart en Afrique. En deux campagnes, réparties sur les années 1879-1883, menées en collaboration avec l’armée belge, Stanley établit des dizaines de stations, signe des centaines de traités avec les chefs indigenes du bassin fluvial du Congo, et prend de vitesse l’explorateur français Savorgnan de Brazza, qui opere sur la rive droite du fleuve. B. Léopold II, souverain de l’Etat indépendant du Congo A l’ouverture de la Conférence de Berlin, convoquée par Bismarck en novembre 1884, Léopold II est dans la position idéale pour faire valoir ses droits. Par l’Acte général de la conférence, les représentants des 14 pays présents le reconnaissent souverain de l’Etat indépendant du Congo. En compensation, le commerce sur le fleuve est déclaré libre `a toutes les nations. Sans enthousiasme, le parlement belge, qui comprend mal les grandes ambitions du roi, accorde `a Léopold II le droit de devenir le chef de l’Etat fondé en Afrique, étant bien entendu que cette union serait « strictement personnelle » : rien ne lie l’Etat belge et le Congo. On ne connaissait alors qu’une petite partie du territoire du nouvel Etat, dont l’Acte de la Conférence de Berlin ne précisait pas les frontieres, et la véritable conquete restait `a faire. Elle s’étendit sur 10 ans, au terme desquelles les frontieres du Congo furent fixées. La colonie personnelle de Léopold II était d’une superficie 80 fois supérieure `a celle de la Belgique ! Toute la fortune de Léopold II y passa, et elle ne suffit pas : bientôt le souverain croulait sous les dettes et devenait célebre pour son avarice… Mais le roi venait de réussir l`a ou sans doute son gouvernement aurait échoué. Premierement parce qu’il aurait été difficile de faire voter au parlement les budgets nécessaires `a une telle entreprise, et ensuite parce que la Belgique se serait heurtée `a l’opposition des grandes puissances. Agissant seul, en toute liberté, sans devoir rendre de comptes `a personne, le roi avait échappé aux pressions diplomatiques et avait su jouer des ambitions contradictoires de la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. C. La lutte contre la traite des Noirs et l’organisation du nouvel État Dans les années 1890, fut lancée la lutte contre la traite des Noirs, pratiquée systématiquement par les sultans arabes depuis les années 1830. Les marchands d’esclaves vendaient au port de Zanzibar leur cargaison humaine, ramenée de razzias sanglantes `a l’intérieur du continent. La guerre menée contre les esclavagistes fut sans merci, et plusieurs officiers militaires belges directement employés par Léopold II y trouverent la mort. Les négriers une fois mis en échec, il restait `a organiser économiquement et administrativement la colonie. Des missionnaires, pour la plupart catholiques, apporterent aux indigenes « la civilisation » (on ne la concevait qu’européenne `a cette époque), et organiserent des campagnes sanitaires pour lutter contre les maladies. Une voie de chemin de fer de 400 km fut posée entre Matadi, `a l’embouchure du fleuve, et Léopoldville (actuelle Kinshasa). Mal aidé par l’État belge, Léopold II dut vivre des ressources que lui offrait le Congo meme, et appliqua un systeme d’impôt perçu sous forme de travail de la population locale. D’autre part, certains agents des compagnies commerciales implantées dans la colonie exploitaient abusivement les indigenes, ce qui provoqua une virulente campagne, nationale et internationale, dirigée contre le souverain de l’État indépendant. D. Le Congo, colonie belge A l’époque de cette campagne dirigée contre le roi, le milieu politique belge s’intéressait de plus en plus au Congo. Léopold II avait légué sa colonie personnelle par testament `a sa « patrie bien-aimée » des 1890 et le parlement avait accepté ce legs. La Belgique avait du reste fini par accorder des crédits considérables `a l’État indépendant. La campagne anti-congolaise eut des lors un effet tres différent de celui souhaité par ses inspirateurs : elle hâta la reprise du Congo par la Belgique, ce qui fut fait en 1908. Du jour au lendemain et presque sans l’avoir voulu, la Belgique devenait une puissance coloniale parmi les plus importantes. La possession du Congo eut pour effet triple de donner `a la Belgique d’importants revenus matériels, de lui assigner « une mission », celle d’améliorer le sort moral et physique de la population colonisée, et de la décomplexer par rapport `a la petitesse de son territoire national… 10.2. La politique intérieure Le pays est gouverné par les libéraux jusqu’en 1870 ; en 1870, ils sont battus par les catholiques qui restent au pouvoir jusqu’en 1878. De 1878 `a 1884, la Belgique retrouve un gouvernement libéral, auquel fait suite, de 1884 `a1904, un ministere catholique. Au cours de cette période, les discussions porterent principalement sur cinq grands problemes : la question scolaire, le probleme social, le probleme électoral, le probleme linguistique, la question militaire. A.La guerre scolaire Revenus `a la tete du gouvernement, les libéraux montrent une volonté de développer l’instruction populaire et créent un ministere de l’Instruction Publique. Des 1879, ils promulguent une loi organique[68] de l’enseignement primaire qui impose aux 2600 communes de Belgique d’ouvrir au moins une école primaire neutre et laique ou le cours de religion catholique était remplacé par un cours de morale[69]. Les éleves qui le souhaitaient pouvaient recevoir un cours de religion donné par un pretre mais en dehors des heures de classe. L’application de cette loi appelée loi « de malheur » par un journal catholique provoque alors une véritable guerre scolaire. Celle-ci est le point culminant du conflit entre libéraux et catholiques. Apres le vote de la loi, les éveques interdisent d’enseigner dans ces établissements ou d’y envoyer leurs enfants sous peine d’excommunication[70]. Par ailleurs, ils décident d’ouvrir un grand nombre d’écoles confessionnelles qui vident les écoles publiques. Des 1880, les tensions s’aggravent : le gouvernement rompt toute relation diplomatique avec le Vatican qui soutient l’épiscopat de Belgique. Le calme ne reviendra que plusieurs mois apres la victoire électorale des catholiques en 1884. Des que ceux-ci accedent au pouvoir, ils rétablissent les relations avec le Vatican et, par une nouvelle loi, ils permettent aux communes qui le désirent d’adopter une école libre (=catholique) et de supprimer l’école laique. Des centaines d’instituteurs perdent ainsi leur emploi du jour au lendemain. Catholiques et libéraux `a Bruxelles s’opposent dans des batailles de rues qui font de nombreux blessés. Quelques années apres, le cours de religion est rendu de nouveau obligatoire. B.L’essor économique Grâce au progres des machines, `a l’application de découvertes scientifiques `a l’agriculture et `a l‘industrie et grâce aux moyens de communication, la Belgique va connaître un développement foudroyant et devenir rapidement l’une des principales puissances économiques du monde. Selon un classement économique de la fin du XIXeme siecle, la Belgique occupe le deuxieme rang mondial, derriere la Grande-Bretagne, place qu’elle partage avec les Etats-Unis jusqu’en 1900. L’agriculture est surtout le fait des Flamands. Elle connaît un maximum de rendement grâce `a des méthodes (notamment l’utilisation de l’engrais chimique) et un outillage nouveau, grâce `a des encouragements divers, tels que foires, concours, expositions, création d’un ministere de l’Agriculture et d’un enseignement agricole. Ces diverses raisons font de la Belgique le pays le plus productif d’Europe. Si la Flandre développe son agriculture, la Wallonie, elle, s’attache `a développer son industrie qui connaît un essor incroyable. Plusieurs facteurs contribuent `a ce développement : tout d’abord, l’invention de la dynamo inventée par un Liégeois, Zénobe Gramme ; ensuite, le moteur `a gaz et `a pétrole créé par un Luxembourgeois, Étienne Lenoir. La production des industries commence `a devenir énorme. De nombreuses usines sont créées. Verviers (région de Liege) reste le grand centre de l’industrie lainiere qu’il était depuis quatre siecles. Les richesses minieres des bassins de la Sambre `a Charleroi et de la Meuse `a Liege favorisent le développement de la sidérurgie moderne. On crée aussi des sucreries, des brasseries… Cet essor industriel va avoir pour effet direct de stimuler l’activité commerciale. Le commerce tire profit de la multiplication des moyens de transport (automobiles, tramways électriques, locomotives) et de communication (télégraphe, téléphone[71]). Les infrastructures portuaires et ferroviaires de la Belgique sont `a la pointe de la modernité ; Anvers retrouve son rôle et son importance d’antan ; le pays est tout entier tourné vers l’extérieur et exporte un tiers de sa production industrielle. Les importations de produits étrangers vers le pays augmentent également dans des proportions impressionnantes. A cette époque « la Belgique est dans le monde et le monde est dans la Belgique ». Les grandes phases de l’expansion économique belge se situent de 1850 `a 1874 et de 1895 `a 1914. La dépression d’une vingtaine d’années met en évidence les conditions de vie déplorables de la classe ouvriere et le besoin urgent d’y remédier. C. Le probleme social Alors que les industriels sont `a la tete d’énormes fortunes, la situation du prolétariat[72] reste précaire. Des 1843, une enquete, réclamée par les Chambres, avait révélé la dureté des conditions de vie des ouvriers : journées de travail tres longues meme pour les femmes et les enfants, qui étaient obligés de travailler en raison du salaire faible (d’ailleurs souvent payé en nature[73]) rapporté par le mari, logements étroits et insalubres[74], conditions de travail déplorables et horaires trop lourds qui ne font l’objet d’aucune réglementation… L’alimentation n’était pas suffisante pour faire face `a un travail lourd : le pain de seigle était l’aliment principal et l’on n’y retouvait aucun fruit, légume ou produit laitier. L’alcoolisme sévit car, dans l’alcool, l’ouvrier tente d’oublier sa misere. Aucune loi ne protege les chômeurs, les malades, les vieillards. Des le milieu du XIXeme siecle, un mouvement ouvrier revendicatif et un courant idéologique réformateur de tendance socialiste prennent une certaine ampleur. Le mouvement ouvrier prend la forme de sociétés d’entraide légalisées en 1851. Certaines de ces mutuelles vont agir pour des objectifs professionnels comme la défense des salaires. Dans les années 1860, on voit s’ouvrir des coopérations de consommation qui doivent fournir des produits bon marché. Mais ces mesures restent, dans l’ensemble, insuffisantes. En 1885, les délégués des groupements ouvriers belges se rassemblent et fondent le P.O.B., le Parti Ouvrier Belge, qui adopte comme moyen d’action la propagande[75], la greve et l’organisation d’institutions sociales. Des 1886, des émeutes ouvrieres éclatent dans les régions de Liege et du Hainaut : l’armée ne put les disperser qu’au bout de quelques jours. Ces émeutes font comprendre aux classes politique et bourgeoise la nécessité d’une législation sociale. Léopold II lui-meme, lors de son discours du trône en 1866, avait déclaré que le devoir de la législature était de chercher `a améliorer le sort des classes les plus pauvres, et que, le principe si fécond de liberté ne pouvant suffire, il était juste que la loi entoure d’une protection plus spéciale les faibles et les malheureux. Le gouvernement va alors proposer de nombreuses réformes : interdiction du paiement du salaire en nature, réglementation du travail des femmes et des enfants, fixant `a 12 ans l’âge d’admission dans les usines, interdiction de la main-d’oeuvre féminine dans les mines. L’État décide de subventionner les mutuelles qui garantissent les risques de maladie, infirmité, retraite. Comme l’adhésion `a ces mutuelles n’est pas obligatoire, certains ouvriers ne sont pas couverts. A la veille de la guerre, un projet envisage l’assurance obligatoire pour les plus démunis mais le conflit social empeche son adoption. Parallelement, on voit s’organiser un mouvement ouvrier chrétien, soutenu par le pape Léon XIII. Les défenseurs de ce mouvement constituent la jeune droite. Pour combattre l’influence du P.O.B., les démocrates chrétiens présentent aussi un programme de législation sociale et organisent des mutuelles et des coopératives. D. Le probleme électoral Pour établir l ‘égalité politique, il reste un défi `a relever : substituer au régime censitaire le suffrage universel, c’est-`a-dire, en d’autres termes, accorder le vote non plus aux citoyens bien nantis (aristocratie, bourgeoisie fonciere et industrielle), comme le stipule la Constitution, mais `a tous les citoyens. Des 1885, les socialistes du POB soutiennent les libéraux progressistes dans leurs revendications et, en 1890, le chef du gouvernement, Beernaert, se décide `a voter une réforme de la constitution. En 1893, la Chambre se prononce pour le suffrage universel plural : tous les Belges de 25 ans, de sexe masculin, peuvent désormais voter aux élections législatives mais on octroie une ou deux voix supplémentaires `a certains électeurs d’apres leurs conditions de famille, de fortune et d’instruction. Par cette réforme, le nombre d’électeurs passa, sur une population de plus de 6 millions d’habitants, de 136 000 `a 1 360 000. E. Le probleme linguistique Le Mouvement flamand acquiert sous Léopold II une grande ampleur : il devient un des facteurs les plus importants de la politique de l’époque. Ce sont surtout les catholiques flamands qui le forment : ils défendent la langue et la culture flamandes. Il faut rappeler qu’`a l’époque, le flamand n’est pas reconnu comme langue officielle de la Belgique. C’est en 1898 que la loi De Vriendt-Coremans rend au flamand son rang de langue officielle dans l’État belge tout entier. Désormais le roi doit preter serment dans les deux langues nationales, l’administration est bilingue ; les actes législatifs, les inscriptions sur les timbres et les édifices publics sont en français et en flamand. En réaction devant le Mouvement flamand, entre 1890 et 1905, on voit naître un Mouvement wallon qui, des 1898, devient anti-flamand. F.La question militaire La Belgique, forte de sa puissance coloniale et économique, comme de ses réformes sociales, n’étaient pourtant pas `a l’abri de tout danger. En 1904, Léopold II rencontra Le Kaiser Guillaume II `a Berlin. Celui-ci lui rappela la gloire des Ducs de Bourgogne, puis lui offrit la Flandre française, l’Artois et l’Ardenne. Le roi, abasourdi, comprit que Guillaume II voulait prendre sa loyauté en défaut, et lui répondit que jamais la Belgique ne s’associerait `a pareil projet. Le Kaiser, ne se contrôlant plus, menaça alors la Belgique de la puissance militaire allemande. C’est un Léopold II sous le choc qui reprit le train vers Bruxelles. Des lors, le roi s’attacha `a renforcer la défense de son pays. Il devenait nécessaire de perfectionner les voies de communication et d’instaurer le service militaire généralisé. Mais le Parti catholique, majoritaire et anti-militariste, s’opposa pendant longtemps `a cette réforme, et ce n’est qu’en 1909 qu’un Premier ministre issu de l’aile progressiste du parti, eut le courage de s’atteler `a la question de la défense nationale. La loi instaurant le service militaire obligatoire `a raison d’un fils par famille fut signée d’une main tremblante par Léopold II le 14 décembre 1909. « Le roi est content » murmura-t-il. Il mourut trois jours plus tard. 10.3. Le tournant culturel de 1880 Le regne de Léopold II correspond `a une efflorescence culturelle dans tous les domaines dans le pays. Enfin libérées de leur torpeur par l’oeuvre fondatrice qu’est La légende et les aventures héroiques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et d’ailleurs, de Charles De Coster (1867), les lettres francophones font preuve de vigueur, et s’émancipent avec l’action de Camille Lemonnier, le premier écrivain belge reconnu de son vivant dans son pays et `a l’étranger, et considéré comme chef de file par les auteurs de la jeune génération, qu’il influencera grandement. Naturaliste, Lemonnier se fait connaître en France mais il ne quittera pourtant jamais la Belgique pour Paris. Restant `a Bruxelles, dirigeant des revues et collaborant `a d’autres, il joue en quelque sorte le rôle de relais entre les mondes littéraires belge et français de l’époque. Il sera affectueusement appelé « Maréchal des lettres belges » par les écrivains de son temps. Naturalisme et symbolisme, pourtant en principe opposés, s’entremelent en Belgique dans les années 1880. Les revues littéraires, dont la Jeune Belgique et l’Art Moderne jouent un rôle essentiel de catalyseur des débats d’idées, des échanges artistiques. Toute une génération d’artistes se révele et théorise son action, n’hésitant pas `a revendiquer son originalité dans le concert des lettres européennes. Le symbolisme, particulierement riche en Belgique, est représenté par de nombreux poetes : Emile Verhaeren, chantre de la Flandre, de l’Escaut, mais aussi plus tard de la modernité et du progres, Maurice Maeterlinck, prix Nobel de littérature en 1911 et chef de file du théâtre symboliste (Pelléas et Mélisande, La Princesse Maleine), Max Elskamp, Georges Rodenbach, Charles Van Lerberghe. En peinture, Félicien Rops fonde avec De Coster la revue Uylenspiegel, en 1856. Il illustrera Les Fleurs du Mal de Baudelaire, et La Légende d’Ulenspiegel de De Coster. Il laisse des oeuvres sataniques et érotiques `a connotation symboliste, comme Pornokrates. Fernand Khnopff se fait, quant `a lui, peintre de la femme ange ou démon, qui prend souvent les traits de Margueritte, sa soeur, qui est aussi son modele de prédilection. Khnopff décore le plafond de la salle des mariages de l’Hôtel de ville de Saint-Gilles et réalise quelques oeuvres pour la salle de musique du palais Stoclet (Bruxelles). Le climat mystérieux et hermétique de ses tableaux témoigne de son gout du fantasme et du reve. Parmi ses oeuvres, on peut citer Les Caresses et Who shall deliver me. Jean Delville, peintre, poete et théoricien fonde en 1896 le groupe l’Art idéaliste. En 1900, il publie La mission pour l’art, un ouvrage théorique. Il réalise de grandes toiles allégoriques mais son chef-d’oeuvre est sans aucun doute L’Amour des Ames, une toile dans laquelle il révele son grand sens de la composition. En musique, César Franck, compositeur romantique né `a Liege et ayant pris la nationalité française, donne ses plus belles oeuvres dans les années 1880, dont sa Symphonie en ré mineur et ses Variations symphoniques pour piano et orchestre. Dans le domaine de l’architecture, Victor Horta et Henry Van de Velde sont les pionniers du style Art nouveau, délaissant le néo-classicisme en vigueur `a l’époque. Les réalisations majeures de Victor Horta se caractérisent par une structure visible en acier et un plan original. Horta supervise également la décoration intérieure de ses bâtiments : sur les décorations murales, portes et cages d'escalier, il multiplie les lignes ondoyantes inspirées du monde végétal. Pour les bâtiments publics, comme la Maison du peuple (1899, détruite en 1964), le siege du Parti ouvrier belge, Horta réalise une façade de verre et d'acier considérée comme l'une des plus audacieuses de son époque. XI. Le regne Albert Ier (1909-1934) Lorsqu’il meurt en décembre 1909, Léopold II ne laisse aucun héritier mâle, et c’est son neveu, Albert, expressément formé pour monter sur le trône, qui lui succede en toute logique. Albert Ier ne ressemble guere `a son oncle, si ce n’est par la taille. Il semble tres préoccupé par les questions sociales, et considere comme inévitable `a terme l’instauration du suffrage universel. Né en 1875, il a reçu un enseignement privé avant de rejoindre l'école militaire. Dans les années qui ont précédé son regne, il a effectué, parallelement `a des études d'économie et de sciences politiques, plusieurs voyages `a l'étranger, dont un aux États-Unis et une grande tournée au Congo belge. En 1900, il a épousé Élisabeth de Baviere. 11.1. Politique intérieure : un début de regne difficile Dans les premieres années du regne d’Albert Ier, les gouvernements belges butent sur trois questions fondamentales, qui divisent les partis aussi bien que l’opinion publique : l’éternel probleme scolaire, le suffrage universel pur et simple, et enfin, la question militaire. La majorité catholique sortie des urnes en 1910 croit pouvoir régler la lutte scolaire, toujours d’actualité, en s’assurant le soutien d’une partie des socialistes et des libéraux, qu’elle espere séduire par l’instauration de l’enseignement primaire obligatoire. En contre-partie, et pour mettre `a égalité les écoles libres et officielles, le Premier ministre imagine un systeme de « bons scolaires », remis par le chef de famille `a l’école ou il place ses enfants. Les subventions des provinces et des communes seraient ensuite répartis au prorata des bons recueillis. Mais les gauches ne se laissent pas tenter par le projet, perçu comme un moyen d’avantager les écoles libres dans les communes dirigées par des libéraux et des socialistes ; l’aile conservatrice du parti catholique n’approuve pas la loi non plus… et le gouvernement tombe. Un nouveau gouvernement catholique, constitué des personnalités progressistes du parti, fort d’une plus large majorité, se consacre avant tout `a la question militaire. Le jeu des alliances européennes (France – Angleterre – Russie / Allemagne – Autriche-Hongrie – Italie), la course `a l’armement et le climat de nationalisme exacerbé sont autant de signes d’une guerre imminente. En avril 1913, le service militaire général et obligatoire est voté. En novembre de la meme année, le roi Albert a l’occasion de se rendre compte de l’opportunité de cette mesure lors d’une visite `a Berlin. A la faveur d’une rencontre diplomatique, le Kaiser Guillaume II lui tient le meme langage ouvertement menaçant qu’`a Léopold II neuf ans plus tôt, avec pour toute réponse un froid regard de désapprobation. En ce qui concerne la politique scolaire, un terrain d’entente est trouvé pour rendre l’instruction obligatoire jusqu’`a l’âge de 14 ans. Des subsides de l’Etat sont accordés aux écoles libres reconnues, et le néerlandais devient langue de l’enseignement moyen. Dans le meme temps, le parti socialiste milite en faveur du suffrage universel pur et simple, et agite les foules en ce sens. Le roi est favorable `a la mesure, et les ministres du gouvernement catholique n’y sont pas formellement opposés. On semble donc tout pres de la concrétisation, mais le 02 aout 1914, l’ultimatum allemand remet sine die toutes les questions de politique intérieure… 11.2. La Belgique précipitée dans la Premiere Guerre mondiale A. La guerre de mouvement Cet ultimatum est simple : soit les troupes belges laissent passer l’armée allemande vers la France, soit c’est la guerre. La réponse ne se fait pas attendre : le gouvernement belge ne veut pas trahir ses devoirs vis-`a-vis de l’Europe. Le 04 aout, alors que le roi Albert prononce, en tenue militaire, un discours devant les chambres réunies, les Allemands franchissent la frontiere. Disposant en théorie de 270.000 hommes, Albert Ier sait qu’il n’est pas réalisable, dans la pratique, de mobiliser sur-le-champ plus de la moitié de ses troupes. Il prend lui-meme le commandement des forces belges, interprétant la Constitution `a la lettre, comme l’avait fait avant lui Léopold Ier. Son premier but est d’arreter l’envahisseur aussi longtemps que possible, sans trop entamer les forces de son armée. Le fort de Liege résiste jusqu’au 16 aout, déconcertant les Allemands, qui projetaient une foudroyante offensive sur la France. La ligne de front recule lentement, malgré la résistance héroique des troupes belges en certains endroits. Face au demi-million d’hommes mobilisés par le Reich, Albert Ier ne veut pas prendre le risque de sacrifier inutilement son armée et de se faire couper de ses arrieres. Il fait donc replier l’armée belge sur Anvers. Au fur et `a mesure que l’armée allemande progresse, elle commet des massacres de civils et se livre `a des destructions systématiques, exprimant ainsi sa rage de ne pas pouvoir avancer plus rapidement. Alors que deux tiers de la Belgique sont envahis, l’armée se donne comme nouvel objectif de fixer un maximum de troupes allemandes, pour laisser se développer une contre-offensive franco-britannique. Le mérite de cette stratégie est de diviser les ressources de l’ennemi, qui ne progresse que tres lentement en France. Apres un mois et demi de siege, celui qu’on appelle déj`a « le roi chevalier » ou « le roi soldat » ordonne l’évacuation d’Anvers, et un repli sur l’Yser par Bruges. Lors d’une conférence `a Ostende, les 10 et 11 octobre, les Français et Britanniques demandent au roi Albert de déléguer le commandement de ses troupes `a un général et de se réfugier en Angleterre. Mais le souverain refuse : il entend partager le sort de son armée et rester `a sa tete, quel que soit son effectif. Le roi refuse toute combinaison stratégique qui imposerait un abandon du territoire belge. B. La guerre des tranchées[76] A la mi-octobre, la bataille de l’Yser s’engage. L’armée belge est réorganisée en ligne de front improvisée le long du troisieme fleuve du pays. Pendant sept jours, les Allemands se ruent sur les positions belges sans égard `a leurs pertes. Alors que les troupes ennemies avaient finalement percé les lignes belges, et se dirigeaient vers Dixmude et Nieuport, et que 12.000 hommes avaient été tués ou blessés en 9 jours, le génie civil eut l’idée d’ouvrir les écluses pour inonder la plaine de l’Yser. Les Allemands s’embourberent dans ce champ de bataille envahi par les eaux et en proie aux marées. Toute tentative d’avancée éclair était désormais vouée `a l’échec. La bataille de l’Yser était gagnée. Le front de l’Ouest stabilisé, la guerre des tranchées commençait. L’armée belge une nouvelle fois réorganisée, il lui fallut faire preuve d’un héroisme tout différent de celui des journées décisives d’aout `a octobre 1914. Une guerre d’usure, dans le froid, l’humidité, les attaques surprises et les bombardements, puis les gaz, commençait pour quatre ans. C. La situation en Belgique occupée La plus grande partie de la Belgique est occupée pendant les quatre ans de conflit. L’occupant allemand, personnalisé par le gouverneur général von Bissing, tente d’utiliser `a son profit les divisions linguistiques en établissant des administrations flamandes et wallonnes indépendantes. Ces initiatives ne trouvent aucun soutien chez des populations civiles traumatisées, l’Allemagne refusant de subvenir aux besoins alimentaires de la population belge. Un million de civils se réfugient en France. La Belgique se voit imposer des réquisitions de matiere premiere et d’écrasantes contributions de guerre. De nombreuses personnalités sont déportées, et les tribunaux allemands en envoient d’autres au poteau d’exécution. Les grands industriels comme Ernest Solvay et Emile Francqui organisent un Comité national de secours et d’alimentation, et obtiennent une aide matérielle américaine. Le sort du pays est la premiere préoccupation du roi, toujours fidele `a son poste sur le front de l’Yser, et du gouvernement, réfugié au Havre, en France. En 1916, l’occupant assujettit[77] les hommes valides au travail obligatoire en Allemagne, mais parallelement, des réseaux des milliers de jeunes gens parviennent `a fuir par la Hollande pour aller s’engager aux côtés de leurs compatriotes dans les tranchées inondées. D. Patience et fermeté menent `a la victoire Durant toute la guerre, Albert Ier refusa d’aligner totalement sa politique sur celle des alliés, qui, `a son sens, ne tenaient pas assez compte des intérets de la Belgique, alors meme que celle-ci avait été d’une loyauté indéfectible et avait grandement participé `a ralentir l’armée allemande. Le roi s’est toujours opposé avec fermeté `a toute offensive alliée `a travers la Belgique, qui aurait signifié la destruction totale du pays. De meme, il n’était pas question pour lui d’engager ses troupes dans des offensives presque certainement vouées `a l’échec, comme celles de Verdun ou de la Somme. Selon lui, mieux valait attendre que les forces allemandes s’épuisent sur les divers fronts ou elles étaient engagées. C’est ce qui finit par arriver en 1918. L’entrée des Etats-Unis dans la guerre compense largement la défection de la Russie, en pleine révolution. Depuis avril 1917, l’aide américaine, en hommes comme en matériel, grandissait de semaine en semaine, et l’état-major allemand savait qu’il devait agir vite s’il voulait emporter la victoire. L’attaque fut lancée en mars 1918, mais les Belges réussirent `a garder leurs positions sur le front de l’Yser. Ensuite fut engagée la seconde bataille de la Marne, qui permit aux Alliés de reprendre l’initiative des opérations. C’est sur cet acquis que se développa la reconquete du territoire belge, `a partir de septembre 1918. Pour l’assaut final, le roi Albert Ier avait accepté l’intégration de son armée dans le commandement unique allié, mais il était devenu le commandant du Groupe des Armées des Flandres, qui se composait de troupes belges, françaises, britanniques et américaines. Le 11 novembre 1918, comprenant qu’elle était vaincue, l’Allemagne demanda l’armistice, et évacua la partie du territoire belge qu’elle contrôlait encore. 11.3. La reconstruction, dans l’instabilité gouvernementale A la fin de la guerre, la Belgique eut du mal `a faire entendre sa voix lors des négociations du Traité de Versailles, mais elle arriva `a faire abroger sa neutralité perpétuelle et imposée, ce qui lui permit bientôt d’entrer `a la Société des Nations (SDN). Les cantons germanophones d’Eupen, Malmédy et Saint-Vith, détachés des territoires belges en 1815, furent restitués, ainsi que les documents et oeuvres d’art volés par l’armée allemande. La part des indemnités de guerre accordée `a la Belgique fut fixée `a 8%, et le pays reçut aussi le mandat d’administrer les anciennes colonies allemandes du Ruanda-Urundi, en Afrique centrale. En matiere de politique intérieure, la guerre avait profondément modifié la société belge, qui en outre, était économiquement `a la dérive : infrastructures détruites, 850.000 chômeurs, 2 millions de personnes assistées. Des la signature de l’armistice, le roi convoqua les grandes personnalités du pays et les consulta sur les mesures `a prendre. Un gouvernement d’union nationale fut formé pour mettre en oeuvre toutes les réformes sociales et économiques qui s’imposaient. Une des priorités était la reconnaissance du néerlandais comme langue de l’administration, de la justice, et de l’enseignement supérieur en Flandre et `a Bruxelles. L’autre priorité était le suffrage universel pur et simple, qui fut utilisé pour les élections de novembre 1919, avant meme la réforme constitutionnelle. Les socialistes remporterent une grande victoire `a la chambre, se plaçant juste derriere le parti catholique. Lors de la réforme constitutionnelle, le suffrage féminin fut repoussé par 90 voix contre 74, mais on décida qu’une simple loi suffirait pour l’accorder. Le gouvernement d’union nationale réussit `a faire voter d’importantes lois sociales, comme la création d’une Société nationale des habitations `a bon marché, l’établissement d’une pension de vieillesse gratuite, la progressivité de la taxe sur les revenus, la journée de huit heures et la semaine de six jours. D’un point de vue économique, une union douaniere fut signée avec le Grand-Duché de Luxembourg en 1921. Mais bien vite, la vie des partis et leurs luttes reprit ses droits, et le gouvernement d’union nationale s’effondra en aout 1920. S’ensuivit une grande instabilité politique (18 gouvernements entre novembre 1918 et septembre 1939). La scene politique intérieure était d’autant plus agitée que la situation internationale était trouble. Liée par un accord militaire `a la France en 1920, la Belgique dut faire participer son armée `a l’occupation du bassin industriel de la Ruhr en 1923-1925, opération visant `a obliger l’Allemagne `a payer ses dommages de guerre, mais qui ne fut pas un succes. 11.4. De la grande prospérité `a la crise économique mondiale La restauration de l’appareil industriel belge étant achevé en 1924, le pays se trouvait en bonne position pour profiter du boom économique mondial. Entre 1925 et 1929, la production industrielle augmenta spectaculairement dans tous les secteurs. Dans le meme temps, le commerce extérieur fit un bond impressionnant, doublant de volume aussi bien pour les importations que les exportations. Le Congo belge connaissait le meme essor `a la meme époque. Le gouvernement entreprit de grands travaux publics : augmentation de la capacité du port d’Anvers, achevement du port maritime de Gand, creusement du canal Albert, pour relier Anvers `a la Meuse. Dans le domaine de l’industrie automobile, la Belgique brillait également `a cette époque. Le progres économique allait désormais de pair avec les réformes sociales, comme la loi sur les maladies professionnelles et les allocations familiales. Cette période de prospérité ne dura malheureusement que quelques années, car des 1930, la Belgique eut `a souffrir, comme toute l’Europe, des conséquences du krach boursier de l’automne 1929. Chaque pays avait mené sa politique économique selon sa propre initiative, on était partout en situation de surproduction, et rapidement, alors qu’il devenait impossible de vendre les stocks, des dizaines d’usines durent fermer, et des milliers d’ouvriers se retrouverent au chômage. Petit pays presque sans marché intérieur, la Belgique fut frappée de plein fouet par les mesures protectionnistes de ses voisins : barrieres douanieres, licences, nationalisme économique… En 1932, les exportations avaient diminué de moitié par rapport `a 1929. Les remedes économiques appliqués par l’Etat – impôts nouveaux, taxe de crise, réduction des dépenses – permirent de garder un budget équilibré mais pas vraiment de relancer l’économie. Le repli économique des pays voisins se poursuivit, doublé d’un nouvel acces de nationalisme, notamment avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne en 1933. C’est dans ce climat économique peu favorable que le roi Albert Ier mourut accidentellement, en février 1934, d’une chute d’escalade, `a Marche-les-Dames, dans la vallée de la Meuse, pres de Namur. Le roi chevalier fut enterré comme un soldat, devant un million de personnes accourues de tous les coins du pays et 15.000 combattants français venus une derniere fois saluer leur chef. 11.5. La vie culturelle pendant le regne d’Albert Ier Le roi Albert Ier, soldat, mais aussi préoccupé par les problemes sociaux, n’était pas insensibles aux questions culturelles. C’est pendant son regne que fut créé, en 1928, le FNRS, Fonds national de la recherche scientifique, et que se développa l’activité d’hommes de science, comme entre autres les médecins Jules Bordet et Albert Brachet, respectivement auteurs de recherches sur l’immunologie et l’embryologie. Les lettres flamandes s’illustrent avec le mouvement Van nu en straks, qui prend pour devise « Nous voulons etre flamands pour devenir Européens ». Les poetes de ce mouvement, comme Prosper Van Langendonck et Karel Van de Woestijne, arriverent `a un niveau universel grâce `a cette double démarche d’introspection et d’ouverture `a l’autre. Mais les romanciers ne furent pas en reste, comme le démontrent, par la richesse et la maturité de leurs oeuvres, les écrivains Marnix Gijsen, Auguste Vermeylen, et Cyriel Buysse. L’Académie royale de langue et de littérature française fut fondée par un arreté royal de 1920. Libérées par l’éveil culturel de 1880, les lettres belges francophones s’épanouissaient pleinement, et ce dans tous les genres. Le roman est représenté par André Baillon, Constant Burniaux, Hubert Krains, Franz Hellens, Marie Gevers, Charles Plisnier, Albert Ayguesparse. Georges Simenon se taille une réputation mondiale avec son personnage Maigret, et au théâtre, Fernand Crommelynck et Michel De Ghelderode occupent le devant de la scene. Apres la guerre, le surréalisme connaît un développement remarquable en Belgique, notamment avec les poetes Clément Pansaers, Paul Neuhuys, Paul Nougé, Camille Goemans, et les peintres René Magritte et Paul Delvaux. Auparavant, la peinture belge était passée par l’impressionnisme, avec les oeuvres de Théo Van Rysselberghe et de Rik Wouters. L’expressionnisme prend des formes différentes selon qu’il émane du génial peintre ostendais qu’est James Ensor, ou des artistes de l’école de Laethem Saint-Martin, tel Constant Permeke et Gustave de Smet. En architecture, l’art nouveau continue de s’épanouir, tandis que Joseph Poelaert donne `a la ville de Bruxelles son bâtiment le plus gigantesque : le Palais de Justice. Plus tard, le fonctionnalisme architectural prendra ses droits, avec Victor Bourgeois, qui propage en Belgique les idées du Français Le Corbusier. L’épouse du roi, Élisabeth, est grand amateur de musique. En 1937, patronné par la Fondation musicale reine Élisabeth, a lieu le premier Concours international de musique Eugene Ysaye, du nom d’un compositeur et violoniste virtuose belge. Ce concours devient, en 1950, le Concours international de musique reine Élisabeth. En 1939, la souveraine fonde la Chapelle musicale reine Élisabeth d’Argenteuil, non loin de Bruxelles. XII. Les péripéties du regne de Léopold III La mort tragique du roi Albert Ier fut certes un traumatisme pour l’ensemble des Belges, mais du point de vue politique, elle ne représenta pas une coupure : rien de fondamental ne distingue les dernieres années du regne d’Albert Ier des premieres années de son fils aîné, Léopold III, sur le trône. Léopold III, né en 1901, marié depuis 1926 `a Astrid de Suede, devient donc roi `a 33 ans. Son pere sera son éternel modele. 12 .1. Politique intérieure : les difficultés économiques provoquent des troubles politiques Alors que la Belgique est en proie `a de grandes difficultés économiques, le régime parlementaire présente des symptômes de grande fatigue, principalement par la faute des hommes politiques qui l’incarnent. De nouvelles formations politiques, extrémistes (nationalistes flamands, communistes, rexistes) s’engouffrent dans la breche du mécontentement populaire et s’attaquent aux institutions du pays. A. Économie : le temps des protectionnismes et des déséquilibres Dans ces temps de crise économique, les nations européennes ne font preuve que d’un égoisme qui ne résout rien `a long terme : l’Allemagne s’organise en autarcie, tandis que la France elle aussi tente de se suffire `a elle-meme, et que la Grande-Bretagne forme avec ses colonies un circuit fermé, dans lequel tentent de s’immiscer les Pays-Bas. Partout les barrieres douanieres se dressent, frappant cruellement la Belgique, petit pays, carrefour naturel, qui a besoin de la liberté des échanges pour se développer. Deux équipes catholiques-libérales successives tentent, en 1934-1935 une politique déflationniste (augmentation du pouvoir d'achat de la monnaie en biens et services) pour résorber la crise économique. On comprime les prix de revient, on baisse les salaires et les pensions, et le franc belge se maintient, mais au prix d’une perte en pouvoir d’achat pour la population. Parallelement, des scandales sont découverts qui melent les milieux politiques et financiers, des banques font faillite et une large partie de la presse mene une campagne en faveur de la dévaluation du franc. Vient un moment ou la population s’affole et retire ses capitaux des banques : du 21 janvier au 5 mars 1935, 500 millions de francs-or sont retirés, puis au mois de mars, l’hémorragie de capitaux prend des proportions catastrophiques : en une semaine, pres d’un milliard de francs-or s’écoulent des banques belges. Le gouvernement belge décide alors de laisser la monnaie perdre sa parité or `a l’étranger, puis démissionne. Un gouvernement d’union nationale tripartite est alors formé, avec `a sa tete l’économiste Paul Van Zeeland, professeur d’université, vice-gouverneur de la Banque Nationale, personnalité au-dessus des partis, qui en impose par son calme et ses compétences. Des le début de son mandat, le gouvernement Van Zeeland se fait attribuer les pouvoirs spéciaux pour un an. Par cette procédure, l’exécutif peut prendre des arretés royaux, légiférant ainsi avec une extreme rapidité, dans des domaines déterminés par le parlement. Le franc belge est dévalué de 28%, ce qui permet une relance de l’économie et favorise les retours de capitaux « en fuite » dans le pays, un crédit abondant et `a bon marché (4%) est organisé, le budget pour 1936 est en équilibre, le nombre de chômeurs se réduit progressivement, et les exportations reprennent. Malgré ses succes économiques, le Premier ministre, qui doit sans cesse concilier les positions opposées des libéraux et socialistes, songe vite `a quitter le pouvoir. Il est tout pres de le faire, lorsque le 7 mars 1936, le IIIeme Reich fait passer ses armées sur la rive gauche du Rhin, qui, en vertu du pacte de Locarno (1925), devait rester zone démilitarisée. Estimant la Belgique en danger, Léopold III prie Paul Van Zeeland de rester au pouvoir jusqu’aux élections, prévues fin mai 1936. B. La poussée de fievre rexiste En 1930, le secrétariat de l'Action catholique avait créé, `a Louvain, une maison d'édition appelée Christus Rex (Christ roi). La direction en était confiée `a un jeune militant, Léon Degrelle. Fortement marqué par les théories nationalistes développées en France, Degrelle fait évoluer la maison d'édition vers une activité toujours plus politique, notamment `a travers la revue Rex, mensuelle puis hebdomadaire des 1931. La rupture avec l'Église, qui le condamne de fait, intervient en 1932. Degrelle fonde ainsi un mouvement politique qui est désormais ouvert `a tous et non plus seulement aux croyants. L'ascension est rapide. Grâce `a une grande série de meetings `a travers toute la Wallonie, le Front populaire de Rex connaît un succes facile. A l'origine, la force du rexisme réside dans sa critique virulente du parlementarisme et des partis traditionnels. La propagande rexiste exploite ainsi les nombreux scandales politico-financiers qui agitent la Belgique. En outre, Degrelle soutient, en Flandre, le mouvement nationaliste flamingant avec lequel il passe une alliance. Les élections du 24 mai 1936 sont pour le rexisme, alors `a son apogée, un succes sans précédent. Le mouvement, qui dispose de plusieurs journaux, dont Le Pays réel en Wallonie et le De Nieuwe Staat en Flandre, compte 21 députés et 12 sénateurs. Au lendemain de ces élections, les partis traditionnels ont du mal `a se remettre du choc. Une nouvelle équipe dirigée par Paul Van Zeeland lance un programme social (semaine des 40 heures, loi sur les congés payés), et des commissions se penchent sur la réforme de l’Etat, les questions financieres et commerciales, dans un vaste mouvement de renouveau moral. Ce redressement intérieur, qui s’accompagne d’une grande lucidité en politique extérieure alors que les menaces de guerre se précisent, ne calme pourtant pas les élus rexistes, toujours plus extrémistes. Ce faisant, ils perdent une partie de leur électorat modéré. Le reflux du mouvement se fait sentir des l’élection législative partielle du 11 avril 1937 ou le Premier ministre, Paul Van Zeeland, soutenu par tous les partis démocratiques, est élu député de Bruxelles avec 276 000 voix, contre seulement 69 250 `a Léon Degrelle. Le déclin s'accélere. Condamné en juillet 1937 `a quatre mois de prison avec sursis pour diffamation, Léon Degrelle enregistre une sévere défaite lors des élections municipales d'octobre 1938. Le rexisme se radicalise alors. Comme certains partis français, il prônera, au lendemain de l'invasion de la Belgique par les armées allemandes, en juin 1940, la collaboration avec le Reich nazi. 12.2. Politique extérieure : la Belgique dans la Deuxieme Guerre mondiale A. Dans l’antichambre de la guerre Le traité de Versailles, signé en 1919, humiliant et économiquement tres lourd pour l’Allemagne, était dans la pratique impossible `a faire appliquer. Mais c’est pourtant en le prenant pour base que la France, aidée de la Belgique, se lance dans l’occupation du bassin industriel de la Ruhr en 1923-1925, pour obliger l’Allemagne `a payer ses dommages de guerre. Le nationalisme allemand ne s’en trouve que renforcé, et la République de Weimar (le régime politique allemand depuis 1919) s’écroulera finalement avec l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir en 1933. Parallelement, en Italie, Mussolini est au pouvoir depuis 1922, et lorsque son régime fait envahir l’Ethiopie en 1935, la SDN se montre incapable de faire respecter le droit international. En 1936, les armées allemandes prennent position sur la rive gauche du Rhin, et Franco lance la guerre qui le mettra au pouvoir en Espagne 3 ans plus tard. Enfin, sous Staline, l’URSS s’est dangereusement militarisée. Devant ces menaces de plus en plus précises, le roi Léopold III encouragea les membres de ses gouvernements de la fin des années 30 `a renforcer la défense nationale (600.000 hommes mobilisables) et `a réaffirmer une politique « d’indépendance » pour le pays sur la scene mondiale. Comprenant les inquiétudes de leur voisin, la France et la Grande-Bretagne répéterent leurs promesses d’assistance en cas d’invasion. Apres le redressement économique des années 1935-1937, ce fut une nouvelle dépression en 1938, face `a la menace hitlérienne : en cette année, le Reich envahissait l’Autriche, puis les Sudetes, sans réaction militaire des autres pays européens. Politiquement, la Belgique semblait de plus en plus ingouvernable : il y eut pas moins de 5 gouvernements entre novembre 1937 et septembre 1939. B. Le répit de la neutralité En aout 1939, tout semble joué : von Ribbentrop et Molotov signent le pacte germano-soviétique, qui libere Hitler de la menace militaire de l’URSS et lui laisse donc les mains libres pour agir. Le 1^er septembre 1939, les armées allemandes envahissent la Pologne. La France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre au Reich deux jours plus tard mais ne passent pas encore `a l’action, car elles ont un retard considérable `a combler au niveau de leur armement. La Belgique réaffirme sa neutralité dans une déclaration en 19 points, et Léopold III prie son Premier ministre Hubert Pierlot de former un gouvernement d’union nationale. Les troupes belges - 650.000 hommes ! - sont mobilisées, les ouvrages de défense sont parachevés, et le haut commandement de l’armée est en contact permanent avec les armées franco-britanniques. C. La campagne des 18 jours Le 10 mai 1940, sans déclaration de guerre, l’aviation allemande anéantit les aérodromes et bombarde les centres ferroviaires. Le ministre des Affaires étrangeres, Paul-Henri Spaak, notifie l’indignation générale `a l’ambassadeur d’Allemagne : « C’est la deuxieme fois en 25 ans que l’Allemagne commet contre la Belgique, neutre et loyale, une criminelle agression… La Belgique est résolue `a se défendre. Sa cause, qui se confond avec celle du droit, ne peut etre vaincue ». Au meme moment, le roi Léopold III, qui avait pris le commandement de l’armée, proclame : « Entre le sacrifice et le déshonneur, le Belge de 1940 n’hésite pas plus que celui de 1914 ». Répondant `a l’appel du gouvernement, les forces françaises et anglaises se portent au secours du pays. Les troupes belges livrent une bataille de position sur leurs lignes défensives, et résistent tant bien que mal `a la puissance de feu de l’ennemi. Pour une plus grande efficacité, le haut commandement belge accepte de « conformer la conduite des opérations aux instructions que lui fera parvenir le généralissime des armées alliées ». Dans la nuit du 14 au 15 mai, la position française de Sedan saute sous la pression de l’ennemi. Soixante divisions blindées allemandes s’engouffrent dans la breche, et arrivent `a gagner la Manche, encerclant ainsi les armées alliées qui combattent en Belgique et qui avaient été contraintes de reculer au fil des jours. La zone de repli, plaine vulnérable exposée aux raids de l’aviation allemande, encombrée de blessés et de réfugiés, semble devoir tomber tôt ou tard. Le 28 mai, l’armée belge capitule, le gouvernement et son chef, Hubert Pierlot, se retirent `a Londres, apres un passage par la France. Le roi Léopold III, qui tenait `a partager le sort de ses troupes, se constitua prisonnier, pour la plus grande incompréhension de ses ministres. D. L’attitude du roi pendant la guerre L’attitude du roi Léopold III pendant la guerre a été source d’incompréhension, voire de colere, pour le gouvernement et la population belge. Rétrospectivement, on peut dire que le roi commet trois erreurs principales. Tout d’abord, il tient `a rester sur le territoire belge, puis il se constitue prisonnier. Il entend ainsi rester aux côtés de ses soldats, comme l’avait fait son pere en 1914-1918. Mais la situation n’est pas la meme. Albert Ier était actif, combattant parmi ses troupes, tandis que Léopold III se met hors-jeu : prisonnier, il est de fait inutile, impuissant. De plus, le roi ne sera jamais un prisonnier parmi d’autres (ce qu’il aurait pu etre s’il avait été dans un camp avec les officiers supérieurs). Il est assigné `a résidence dans son château de Laeken, puis dans un autre château en Allemagne. Et, lui qui voulait partager le sort des militaires, il se remarie en 1941, avec une roturiere. Cet événement est tres mal vécu par les Belges, dont les familles sont le plus souvent divisées par la guerre, et qui sont privés de vie conjugale. L’opinion publique continuait également `a vouer un véritable culte `a la reine Astrid, six ans apres sa mort tragique dans un accident de voiture (1935). Deuxiemement, le roi, des la capitulation, considere que la guerre est finie, alors que pour le gouvernement, elle ne fait que commencer. Le souverain entend gérer la défaite, et veut adoucir les maux de la population. Il plaide lui-meme la cause de son peuple aupres des dirigeants nazis en novembre 1940 (il rencontre Hitler en personne), et il obtient une amélioration du ravitaillement, qui se maintient, avec des hauts et des bas, jusqu’en 1944. Léopold III considere que, la Belgique étant neutre avant le début des hostilités, elle n’a pas, apres sa défaite, `a prendre parti pour les alliés contre l’Allemagne nazie. Pour les ministres, comme pour la majorité de la population, il n’est en revanche pas question de pactiser avec l’ennemi nazi, et la lutte continue aux côtés des alliés. Enfin, le roi n’a malheureusement pas été insensible aux idées de « l’ordre nouveau » qui sont celles du régime nazi, et sont relayées par certains hommes politiques belges, dont Henri De Man, un socialiste « converti » qui est sa véritable « éminence grise » dans les mois qui suivent la défaite. Il s’en est fallu de peu pour que la Belgique ait un nouveau gouvernement, approuvé par le roi, remplaçant les ministres en exil, et qui aurait été dans la droite ligne du régime national-socialiste. E. L’occupation, la collaboration, la résistance La capitulation n’était qu’un acte militaire qui concernait exclusivement les armées encerclées en Flandre. Les troupes belges se trouvant ailleurs, et plus particulierement au Congo, continuerent la guerre. L’apport économique congolais – caoutchouc, huile, cuivre, uranium – fut d’ailleurs mis `a la disposition des Alliés. La population belge connut une nouvelle fois les affres de l’occupation allemande, et son cortege de famine, arrestations, déportations, assassinats. L’occupant, des son arrivée en Belgique, réquisitionna les vivres et le matériel industriel. Dans les derniers mois de 1940, l’organisme de charité Secours d’Hiver dut assister 1.768.000 personnes, soit un cinquieme de la population. Le Service du travail obligatoire fut instauré, et des centaines de milliers de jeunes gens furent contraints d’aller travailler en Allemagne ou en Autriche. Malgré cette occupation implacable, certains mouvements fascistes comme celui de Léon Degrelle ou les nationalistes de la Ligue nationale flamande de Staff De Clerq soutiennent l’occupant et se prononcent pour l’intégration `a l’Allemagne ; certains vont jusqu’`a intégrer les rangs de légions qui partent se battre sur le front de l’Est, contre les Soviétiques. Les Allemands font par ailleurs tout ce qu’ils peuvent pour introduire des rexistes ou nationalistes flamands dans l’administration. A l’opposé, les groupes de résistants se multipliaient avec les années, et se spécialisaient dans le sabotage, les renseignements aux Alliés, le passage de volontaires en Angleterre via la France ou l’Espagne, l’aide aux aviateurs de la RAF tombés sur le sol belge. F. Les multiples problemes de la libération Apres les échecs de la bataille aérienne d’Angleterre et de la guerre contre l’URSS, le IIIeme Reich chancelle sur le front de l’Ouest face `a la réussite des débarquements alliés. C’est bientôt la déroute, et le 8 septembre 1944, le gouvernement Pierlot rentre dans Bruxelles libérée apres plus de 4 ans d’occupation. Le roi Léopold III, toujours prisonnier des Allemands, est déclaré « dans l’impossibilité de régner » en vertu de la Constitution. Son frere, le prince Charles, est élu régent du royaume par le parlement. Le gouvernement Pierlot est remanié pour y intégrer des Belges restés au pays pendant l’occupation, dont trois communistes. Les trois tâches du gouvernement sont la répression organisée de l’incivisme (la collaboration), l’assainissement financier et la poursuite de la guerre. Improvisée sur la base d’un article du code pénal, la chasse aux inciviques prit hélas des allures de vengeance, et dépassa en tout cas la mesure d’une justice sereine, et ce sous la pression des groupes de résistants. 346.000 dossiers furent constitués, dont presque 85% se clôturerent par un non-lieu. Plus de 50.000 condamnations `a des peines de détentions furent prononcées, ainsi que 1247 condamnations `a mort, et 242 exécutions eurent réellement lieu. Léon Degrelle, chef du parti Rex, fut condamné `a mort par contumace, mais, réfugié en Espagne, il ne fut jamais arreté. 12.3. Politique intérieure d’apres-guerre : question royale et reconstruction A. La question royale Des la capitulation se posa le probleme connu sous le nom de « question royale ». Ses origines remontent au comportement du roi en 1940, mal compris, voire pas accepté par le gouvernement et la population belges, qui accusent plus ou moins ouvertement leur souverain d’avoir failli `a ses devoirs. L’opinion belge, la presse, les groupes et sous-groupes politiques sont secoués par la recherche de la « vérité » sur l’action et les intentions du roi, et lorsque Léopold III annonce son intention de rentrer en Belgique, le 15 juin 1945, le gouvernement lui oppose « le refus de prendre la responsabilité des événements qui vont inévitablement se dérouler dans le pays, des le retour du roi ». De 1945 `a 1949, sept gouvernements se succéderent sans pouvoir résoudre la question royale. Par moments, les tensions entre royalistes (principalement flamands et catholiques) et anti-royalistes (principalement wallons et socialistes) tournerent `a l’émeute. En 1949, un nouveau gouvernement, social chrétien-libéral, sorti des urnes apres les premieres élections au suffrage universel masculin et féminin, opte pour la consultation populaire. Cette consultation, organisée le 12 mars 1950, dégage une majorité de 57,7% en faveur du retour du roi. Mais `a l’analyse, il apparaît qu’elle a été acquise en Flandre (72%), alors qu’`a Bruxelles et en Wallonie, c’est le « non » qui dominait (avec 52 et 58%). Les clivages flamands/wallons, ville/campagne, et gauche/droite ont été déterminants, et la société belge apparaît divisée. Pourtant, le gouvernement invite le roi, installé en Suisse, `a rentrer `a Bruxelles. Le parti socialiste refuse de le reconnaître comme roi des Belges, les manifestations se succedent, tournent `a la bataille de rue, la greve générale est déclarée en Wallonie, les provinces de Hainaut et de Liege proclament la rébellion, et la répression fait trois morts. Ne voulant pas etre la cause d’une guerre civile, le roi Léopold III confie ses pouvoirs `a son fils aîné, Baudouin, qui reçoit le titre de Prince royal, dans la nuit du 31 juillet au 1^er aout 1950. Il annonce son intention d’abdiquer si la réconciliation nationale se fait autour de l’héritier du trône. Les trois partis nationaux encouragent cette réconciliation, et le 17 juillet 1951 a lieu la prestation de serment de Baudouin Ier. B. La reconstruction Malgré les troubles politiques, la Belgique opéra un redressement économique sans pareil parmi les Etats occupés par l’Allemagne pendant la guerre. L’économie du Congo, restée intacte, et capable de fournir des matieres premieres `a la Belgique et sur les marchés internationaux, explique en partie ce succes. A partir de 1947, la Belgique profita aussi, comme beaucoup d’Etats d’Europe occidentale, du Plan Marshall, programme américain d’assistance économique, du nom du secrétaire d’Etat qui l’avait imaginé. La Belgique et le Luxembourg obtiennent ainsi `a deux 546 millions de dollars de crédits particulierement avantageux. Bientôt, les progres économiques sont tels que la Belgique manque de main d’oeuvre, et que les syndicats arrivent `a concrétiser de nombreuses revendications sociales : la rémunération du travail est indexée sur le cout de la vie, les conseils d’entreprises associent les travailleurs `a la gestion. 12.4. Une politique extérieure engagée Au lendemain de la Deuxieme Guerre mondiale, la Belgique s’engage sans hésiter dans la voie de la collaboration internationale. Le pays participe activement `a la conférence de San Francisco, qui crée l’Organisation des Nations-Unies. En 1946, une convention douaniere avec les Pays-Bas et le Luxembourg est signée. De cette entente naîtra le Benelux en 1958. Mais non contents de collaborer économiquement, les trois pays menent une politique étrangere commune, en adhérant en bloc au traité de Bruxelles (1948) et au traité de Londres (1949) qui fixent les statuts du Conseil de l’Europe, puis au pacte de l’Atlantique Nord, qui groupe les Etats-Unis, le Canada, et 10 pays d’Europe occidentale, en vue de constituer une force armée sous commandement unique. XIII. La Belgique d’apres-guerre : les regnes de Baudouin Ier et Albert II Apres un an passé en tant que prince royal, Baudouin Ier, âgé de 21 ans seulement, succede officiellement `a son pere Léopold III le 16 juin 1951. Son regne sera décisif pour la Belgique, puisqu’il verra la signature d’un pacte scolaire, l’indépendance de la colonie du Congo, le processus d’intégration européenne, et la fédéralisation du pays. 13.1. Derniers soubresauts de la guerre scolaire et signature d’un pacte En 1951, le ministre social-chrétien de l’instruction publique fait voter une loi accordant `a l’enseignement libre d’importantes subventions annuelles. L’opposition socialiste et libérale s’insurge contre ce soutien financier `a l’enseignement catholique, ainsi que contre les « commissions mixtes » créées en 1952 avec comme mission de donner leur avis sur les questions pédagogiques et les programmes `a appliquer aussi bien dans l’enseignement officiel que dans l’enseignement libre. Il s’agit aux yeux de l’opposition d’une intervention de l’Eglise dans les écoles de l’Etat. En 1954, les sociaux-chrétiens sont renvoyés dans l’opposition, et le nouveau ministre socialiste de l’instruction publique réduit les subventions de l’enseignement libre et licencie bon nombre de professeurs intérimaires catholiques travaillant dans les écoles officielles. Une nouvelle « guerre scolaire » est déclenchée. En 1955, le meme ministre dépose un projet de loi organique sur l’enseignement prévoyant que les subventions ne seront accordées aux écoles que selon leurs besoins économiques et sociaux réels. La meme loi prévoyait que les diplômés des écoles normales (pédagogiques) libres ne pourraient enseigner qu’apres la réussite d’un examen passé devant un jury composé de moitié d’enseignants de l’État. Pour les catholiques, c’en est trop, et un « Comité national de défense des libertés démocratiques » est créé. Toutes les structures chrétiennes du pays menent une lutte sans merci : manifestations violentes `a Bruxelles, greves dans les écoles. En 1958, les socialistes perdent les élections : la population a désavoué la politique scolaire. Le gouvernement de coalition social-chrétien et libéral a la sagesse d‘éviter une politique de représailles. Le ministre responsable réussit, en novembre 1958, `a faire signer un pacte scolaire par les représentants des trois grands partis nationaux. Le parlement accepta le pacte en votant les textes qui en faisaient une loi. Le pacte scolaire instaure la gratuité des études dans les deux réseaux (subventions de l’Etat pour les formes reconnues valables d’enseignement), il confie `a l’Etat le paiement de tous les professeurs, et il reconnaît, dans les écoles officielles, le libre choix entre la morale non confessionnelle et la religion (catholique, protestante, israélite, puis musulmane). Ces cours « philosophiques » sont obligatoires `a raison de deux heures par semaine. Le prix `a payer par le budget de l’Etat est immense, mais le pacte scolaire permet d’atténuer le vieux clivage confessionnel traditionnel en politique belge. 13.2. La décolonisation du Congo Quelques semaines apres la signature du pacte scolaire, le gouvernement se trouva contraint d’amorcer le processus de décolonisation du Congo, alors que personne en Belgique ne s’y attendait vraiment. A. Des premieres revendications `a l’indépendance En 1955, alors que montaient les revendications indépendantistes de l’Abako (Association des Bakongos), fondée cinq ans auparavant par Joseph Kasavubu, et du mouvement « Conscience africaine », créé en 1951, le roi Baudouin Ier fit un voyage triomphal au Congo (on l’appela le « bwana kitoko », « gentil blanc ») et il lança l’idée d’une communauté belgo-congolaise. Un plan fut proposé par le gouvernement belge, qui prévoyait de former les élites congolaises `a l’administration. Cependant, apres l’interdiction d’une réunion de l’Abako, des émeutes éclatent `a Léopoldville, en janvier 1959, et font 41 morts et plus de 2000 blessés. Le gouvernement belge annonce l’organisation d’élections locales, s’engageant `a conduire le pays vers l’indépendance « sans atermoiements funestes mais sans précipitation inconsidérée, dans la prospérité et la paix ». Mais les dissensions entre les formations politiques se multiplient, les unes, tel le Mouvement national congolais (MNC) dirigé par Patrice Lumumba, défendant la constitution d’un État fédéral, les autres, tel l’Abako de Joseph Kasavubu ou, poussée par les intérets miniers, la Conakat (Confédération des associations katangaises) demandant la création d’un État confédéral. Les tensions augmentent au Congo `a la fin de l’année 1959 : des conflits raciaux éclatent, les heurts violents se multiplient, ainsi que les arrestations. Une table ronde[78] réunissant `a Bruxelles les dirigeants des partis politiques congolais, les chefs coutumiers et les représentants du gouvernement belge, en janvier et en février 1960, fixe au 30 juin de la meme année l’indépendance du Congo. La Loi fondamentale, qui est promulguée ensuite, ne tranche cependant pas la question du fédéralisme. En mai 1960, les élections donnent la victoire au MNC de Lumumba, qui cede cependant la présidence `a Kasavubu, apres la proclamation de l’indépendance, `a Léopoldville, le 30 juin 1960. B. L’indépendance dans le sang et la sécession du Katanga Des cette date, les violences se multiplient, tandis que les partis exclus du gouvernement contribuent également aux troubles et que les forces armées congolaises se révoltent. Afin de ramener le calme et de protéger les Européens toujours présents dans le pays, les forces belges demeurées sur le territoire sont renforcées par des troupes venues de Belgique. La population interprete ces opérations comme une tentative de retour de la puissance coloniale. S’ensuivent des actes de violence contre les Européens, `a Léopoldville. Le désordre s’accroît lorsque, le 11 juillet, Moise Tschombé proclame l’indépendance de sa province du Katanga avec l’appui de l’Union miniere et demande l’aide militaire belge. Répondant `a l’appel du Premier ministre Lumumba, le Conseil de sécurité des Nations unies demande le retrait des Belges et décide d’envoyer des Casques bleus rétablir l’ordre au Congo. La force de l’ONU remplace progressivement les troupes belges, mais n’intervient pas directement. Lumumba se tourne alors vers les Soviétiques. Le 5 septembre 1960, le président Kasavubu annonce qu’il destitue Lumumba, lequel dépose `a son tour Kasavubu. Cependant, l’armée congolaise dirigée par le colonel Mobutu, partisan de Kasavubu, prend le contrôle du gouvernement. Le 29 septembre, le président Kasavubu transfere son autorité `a un gouvernement provisoire dirigé par Mobutu. Lumumba est incarcéré, puis assassiné le 17 janvier 1961, dans la province du Katanga, ou il a été transféré. En janvier, le président Kasavubu forme un nouveau gouvernement provisoire composé de membres de l’ancien Parlement, les partisans de Lumumba faisant de meme `a Stanleyville. Le 21 février 1961, le Conseil de sécurité autorise l’ONU `a recourir `a la force, afin d’éviter une guerre civile au Congo. A la fin de l’année, l’armée nationale congolaise et les troupes de l’ONU lancent une attaque militaire contre celles de Tschombé. Alors qu’il négocie un cessez-le-feu entre les troupes de l’ONU et les forces katangaises, le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, trouve la mort dans un accident d’avion, dont les circonstances n’ont jamais été élucidées. En décembre 1962, les forces de l’ONU prennent le contrôle d’Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi). Tschombé prend la fuite et le 15 janvier 1963, il se rend et obtient l’amnistie pour lui-meme et ses partisans. Si la sécession katangaise a pris fin, la rébellion des lumumbistes se poursuit : en aout 1964, les rebelles prennent Stanleyville (aujourd’hui Kisangani). Le gouvernement dépeche des troupes régulieres, qui, appuyées par des mercenaires européens et sud-africains, tentent de reconquérir la ville. Devant la menace des rebelles d’exécuter des otages européens, des parachutistes belges, transportés par des avions américains, sautent sur Stanleyville, qu’ils reprennent le 24 novembre. C. L’ere Mobutu A partir de 1965, le général Mobutu prend le pouvoir, ayant déposé Kasavubu, et se proclame président. En 1966, il instaure un régime autoritaire de type présidentiel, s’appuyant sur un parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), entériné par une nouvelle Constitution l’année suivante. Les mines exploitées par des sociétés étrangeres sont nationalisées. En 1970, Mobutu, élu pour un mandat présidentiel de sept ans, lance un vaste programme d’africanisation et de « retour `a l'authenticité ». En 1971, Mobutu décide de changer le nom du pays qui devient le Zaire. Considéré par les Occidentaux comme un allié dans la lutte contre la progression du communisme en Afrique, le président du Zaire a longtemps bénéficié de l'aide financiere des services secrets américains et du soutien de la Belgique et la France. Puis, par l'instauration d'un systeme de détournement des fonds de l'aide internationale et par le pillage systématique des richesses de son pays, il a amassé une fortune personnelle colossale, de plusieurs milliards de dollars. Mobutu tiendra toujours les renes de son pays avec une main de fer, et se maintiendra au pouvoir contre vents et marées. Au début des années 90, sous la pression de ses opposants politiques, il ouvre – en apparence seulement – le pays au multipartisme. Il sera finalement renversé par un mouvement de rébellion mené par Laurent-Désiré Kabila, en 1997. Le nouvel homme fort de Kinshasa fait alors appeler le pays République démocratique du Congo. 13.3. La longue marche vers le fédéralisme A. Le mouvement flamand Au sortir de la révolution de 1830, la population flamande s’estimait libérée du calvinisme néerlandais mais menacée par la position d’infériorité de la langue néerlandaise dans le nouvel Etat. Depuis longtemps, les bourgeois francisés de Flandre maintenaient le néerlandais `a l’état de langue populaire, sans plus, et cette situation était encore aggravée par l’existence des multiples formes dialectales de la langue. La seule langue de l’administration, de la justice, de l’enseignement, est donc dans un premier temps le français, langue de l’élite qui se maintient au pouvoir grâce au systeme du suffrage censitaire. Deux organisations contribuent `a rendre vigueur `a la langue néerlandaise : le Davisfonds et le Willemsfonds. Le Leeuw van Vlaanderen, roman de Henri Conscience joue un rôle dans la prise de conscience culturelle du peuple flamand. Les premiers objectifs culturels du mouvement flamand sont atteints sous le regne de Léopold II : création d’un théâtre flamand `a Bruxelles et `a Anvers, installation d’un opéra flamand `a Anvers et `a Gand, création d’une Académie royale de langue et littérature néerlandaise. Parallelement, le néerlandais devient, en plus du français, langue des tribunaux et de l’administration en Flandre, et langue de l’enseignement moyen. A partir des années 1890, se crée un mouvement lancé par une nouvelle bourgeoisie intellectuelle flamande, qui demande la reconnaissance du néerlandais comme langue officielle de l’Etat. La loi dite « d’équivalence » est signée par Léopold II en 1898. C’est aussi l’époque du suffrage universel plural (1893), qui enleve le monopole du pouvoir `a l’élite francophone du pays. Au cours des années qui précedent la Premiere guerre mondiale, les revendications flamandes se concentrent sur l’instauration d’un enseignement universitaire en néerlandais. Pendant la guerre de 1914-18, le gouverneur général en Belgique occupée, von Bissing, reprend sournoisement des revendications flamandes, et sépare la Belgique en deux zones linguistiques. Mais cette politique menée de l’extérieur se heurte `a la résistance des chefs du mouvement flamand. Sur le front de l’Yser, les trois quarts des soldats sont flamands, alors que les officiers sont en majeure partie francophones. Cette situation était sans effet sur la combativité et l’efficacité des troupes, mais elle fut exploitée par des activistes, qui en profiterent pour entretenir un sentiment d’injustice du côté néerlandophone. En 1919, le suffrage universel pur et simple démocratise encore un peu plus la Belgique. Dans les années 1930, de nombreuses revendications flamandes sont satisfaites, entre autres la flamandisation de l’université de Gand. En 1932, le gouvernement institue l’unilinguisme : les administrations nationales sont divisées en deux sections, l’une de langue néerlandaise, l’autre de langue française. A l’armée, il y aura désormais des unités néerlandophones et d’autres francophones. L’enseignement et l’administration locale seront unilingues : de langue française en Wallonie, de langue néerlandaise en Flandre. Le bilinguisme est instauré `a Bruxelles. B. Le mouvement wallon Le mouvement wallon n’apparaît que tardivement. Dans les premieres années de la Belgique, quelques intellectuels francophones, par romantisme, craignent la disparition des dialectes flamands sous la pression du français, mais il ne leur vient pas `a l’idée de remettre cette langue en question. En fait, le mouvement wallon s’esquisse, tout d’abord `a Bruxelles, `a partir des lois linguistiques qui tendent `a limiter l’infériorité juridique du néerlandais. Les fonctionnaires d’origine wallonne, fort nombreux, redoutent le bilinguisme. Mais la population wallonne restait indifférente aux débats linguistiques ou il était presque exclusivement question de l’usage des langues en Flandre et `a Bruxelles. Les premiers congres wallons attirent donc peu de participants. A la phase bruxelloise du mouvement succede la phase liégeoise, et en 1887, Albert Mockel, fondateur de la revue littéraire La Wallonie écrit un article dans lequel il préconise une solution fédérale « aux problemes de races et de langues en Belgique ». Mais cet article passe presque inaperçu. En 1905, le Congres wallon de Liege recueille enfin des adhésions significatives : de nombreux parlementaires et professeurs d’université sont membres du comité organisateur. Il est révélateur qu’une vingtaine de rapports présentés `a ce congres tentaient de définir l’originalité wallonne, son identité ethnique et culturelle : la Wallonie « se cherche ». Par la suite, le mouvement wallon réagit fréquemment en s’opposant aux revendications linguistiques flamandes : on craint, en Wallonie, la fin de la suprématie intellectuelle du français. Dans les années 1910, le socialiste Jules Destrée devient chef charismatique du mouvement. En 1912, il publie une Lettre au roi dans laquelle on trouve ces mots célebres « Sire, il y a en Belgique, des Wallons et des Flamands. [...] Il n’y a pas de Belges ». Face `a la montée du mouvement flamand, il y plaide la séparation administrative de la Belgique, afin de préserver l’identité wallonne, tout en craignant des revendications d’indépendance. Ce texte aura un énorme retentissement. La meme année, une Assemblée wallonne est réunie sous le signe de la défense des intérets wallons, dont l’embleme sera le coq. Destrée en est le Secrétaire général jusqu’en 1919. C. Le tournant des années 1960 La consultation populaire du 12 mars 1950 avait montré un clivage entre flamands et wallons, divisés sur la question du retour du roi Léopold III en Belgique. A l’analyse, il était apparu que le « oui » dominait en Flandre (72%), alors qu’`a Bruxelles et en Wallonie, c’est le « non » qui l’emportait (avec 52 et 58%). Ensuite, les tensions se focaliserent `a nouveau sur le différend idéologique, avec le dernier épisode de la guerre scolaire. Mais le pacte scolaire de 1958 ramena le calme entre croyants et non-croyants. Enfin, il semble que la perte du Congo, en 1960, ait privé les Belges d’une mission commune, voire d’intérets communs. En outre, depuis la fin de la Deuxieme guerre mondiale, la Wallonie est entrée dans une phase de récession : elle n’arrive pas `a réformer sa vieille économie basée sur le charbon, l’acier et le verre, les syndicats défendent pied `a pied les droits acquis des travailleurs, et les patrons manquent d’esprit d’initiative. La dénatalité, en Wallonie, fait que les Wallons ne représentent plus que 33,6% de la population belge. Au contraire, la population flamande augmente, et l’économie flamande prospere grâce `a des industries nouvelles : constructions métalliques, chimie, pétrochimie, assemblage automobile, électronique. Les entrepreneurs sont dynamiques et les investisseurs étrangers attirés par cette région qui connaît si peu de troubles sociaux. Fait paradoxal, la logique d’affrontement est lancée par une loi qui n’a pas de caractere linguistique : il s’agit de la « loi unique » de 1960, une loi instituant de nouveaux impôts et réduisant les dépenses publiques dans la sécurité sociale et l’enseignement, ce `a cause « des dépenses provoquées par les événements africains ». Le secrétaire général de la FGTB, Fédération générale du Travail de Belgique, syndicat socialiste, lance alors un mot d’ordre de greve générale, contre ce qu’il appelle la « loi inique » ( = injuste). Mais la greve n’est suivie qu’en Wallonie, ou elle prend rapidement un caractere violent, car le syndicat chrétien, majoritaire en Flandre, s’en désolidarise. Apres cet épisode, il apparaît évident que les comportements ne sont pas les memes au sud et au nord du pays, et que la solidarité entre les travailleurs flamands et wallons n’existe plus. De plus, une idée nouvelle est lancée, la revendication du « droit pour la Wallonie `a disposer d’elle-meme et de choisir les voies de son expansion économique ». Cette idée rejoint celle du parti nationaliste flamand, la Volksunie, depuis toujours en faveur du fédéralisme. Le gouvernement suivant fait voter trois lois linguistiques, qui font entre autres de Bruxelles une capitale bilingue limitée aux 19 communes, mais prévoit des « facilités » linguistiques dans les rapports avec l’administration pour 6 communes flamandes de la périphérie bruxelloise, peuplées majoritairement de francophones. Aux extrémités est et ouest du pays, les communes de Mouscron et Comines, en Flandre mais majoritairement francophones, sont rattachées `a la province du Hainaut, tandis que les communes de Fourons, en Wallonie mais habitées par une population qui parle un dialecte bas-allemand, sont rattachées au Limbourg. En outre, le régime linguistique de l’enseignement est réorganisé. Il faut ensuite, pour lancer une véritable réforme institutionnelle, une majorité spéciale de deux tiers des voix `a la Chambre et au Sénat. Tant que cette majorité n’existe pas, la réforme est retardée (on parle d’une « mise au frigo »), et les mécontentements s’amplifient. S’estimant menacés par les Flamands, des intellectuels francophones créent un parti nouveau : le FDF, Front démocratique des Bruxellois francophones. Ils s’allient au parti communautaire RW (Rassemblement Wallon). En Flandre, la Volksunie et les fondations culturelles obligent les sociaux-chrétiens flamands `a durcir leurs positions. L’occasion leur en est fournie avec l’affaire de l’Université catholique de Louvain (Leuven), dont les éveques proclament encore l’unité en 1966. Mais bientôt, les Flamands réclament, au cri de Walen buiten (les Wallons dehors) le déménagement forcé de la section francophone. Celle-ci se réinstalle sur un site vierge, dans le Brabant Wallon : le site de Louvain-la-Neuve. Il en coutera des dizaines de milliards de francs belges. C’en est trop pour les catholiques francophones, qui prennent leurs distances avec leurs homologues flamands. En 1968, le Parti social-chrétien unitaire éclate et se « communautarise ». Ce sera le tour du Parti libéral en 1972, et ensuite du Parti socialiste en 1978. D. Les grandes étapes de la fédéralisation De plus en plus, une réforme institutionnelle et constitutionnelle semble la seule solution envisageable. La premiere étape de cette réforme aura lieu sous le gouvernement de Gaston Eyskens, en 1970 ; une majorité des deux tiers est trouvée, et la Belgique unitaire disparaît. La Constitution révisée reconnaît officiellement trois communautés : la Communauté culturelle française, la Communauté culturelle néerlandaise et la Communauté culturelle allemande, chacune avec leurs conseils, agissant par décrets dans leurs domaines de compétence (matieres culturelles, enseignement). La Constitution crée aussi trois régions, la Région flamande, la Région wallonne et la Région bruxelloise, et ébauche aussi leurs institutions. En 1974, une loi crée des conseils régionaux et définit les compétences des régions (aménagement du territoire, urbanisme, logement, politique économique régionale, politique de l’eau…) La deuxieme grande étape intervient en 1980, alors que Wilfried Martens est Premier ministre. Les compétences des communautés sont élargies aux matieres dites « personnalisables », c’est-`a-dire qui sont étroitement liées aux personnes dans leur épanouissement personnel et social. La Communauté flamande fusionne avec la Région flamande, alors que la Communauté française reste distincte de la région wallonne. Les compétences des Régions flamande et wallonne sont précisées et étendues par rapport `a celles prévues par la loi de 1974. Les régions deviennent des entités autonomes, avec leurs propres assemblées et exécutifs. Les décrets communautaires et régionaux sont équivalents `a la loi. La troisieme étape de la révision constitutionnelle a lieu en 1988. Celle-ci attribue `a la Région de Bruxelles-Capitale un Conseil et un organe exécutif. La Région de Bruxelles-Capitale a les memes compétences que les Régions flamande et wallonne, mais elle les exerce par le biais d’ordonnances. Dans cette nouvelle version, la Belgique est déj`a, de facto, un État fédéral, mais la Constitution ne le dit pas. C’est au terme d’une quatrieme grande révision constitutionnelle qu’elle le deviendra officiellement, comme le proclame le premier article de la nouvelle Constitution votée en 1993 et entrée en vigueur au 1^er janvier 1995. Il n’y a plus eu de grande réforme constitutionnelle depuis. 13.4. La Belgique dans le processus d’intégration européenne Malgré des pertes humaines considérables, la Belgique se releve tres vite apres la guerre, l’infrastructure industrielle ayant été relativement épargnée. L’apport économique du Congo, l’aide américaine du plan Marshall et une politique d’intégration économique au sein de l’Europe portent rapidement leurs fruits. En effet, les années cinquante sont marquées par les efforts conjoints des dirigeants européens désireux de réaliser une union politico-économique des nations d’Europe de l’Ouest. L’idée d’une Europe unie avait été formulée des les années vingt par des diplomates et hommes politiques. Elle est reprise par ceux qui esperent ainsi empecher tout risque de guerre et redonner `a l’Europe un rôle de premier plan. En septembre 1946, dans son discours de Zurich, Winston Churchill, ancien Premier ministre britannique, lance un appel `a la création des « États-Unis d’Europe ». Cependant, des 1946, l’installation d’un climat annonçant la guerre froide, qui verra la confrontation entre le bloc occidental et le bloc soviétique, semble compromettre définitivement l’idée d’une Europe unifiée. Deux Français, Jean Monnet, commissaire général au plan, et Robert Schuman, ministre des Affaires étrangeres, relancent la construction européenne en 1950 : pour eux, l’intégration au sein d’un ensemble commun doit se faire non pas globalement, ce qui ne serait pas acceptable politiquement, mais par secteurs économiques, afin de créer, selon la célebre formule, des « solidarités de fait ». Le 9 mai 1950, Schuman suggere la création d’une autorité commune qui contrôlerait l’industrie du charbon et de l’acier en Allemagne de l’Ouest et en France. L’adhésion `a cette autorité est également ouverte `a d’autres pays d’Europe occidentale. La proposition est favorablement accueillie par le gouvernement d’Allemagne de l’Ouest, ainsi que par les gouvernements de la Belgique, de l’Italie, du Luxembourg et des Pays-Bas. Ces cinq pays, ainsi que la France, signent le traité de Paris le 18 avril 1951, et la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) entre en vigueur le 25 juillet 1952. Son siege est `a Luxembourg. Dans un meme temps, la Belgique, dans le cadre du Benelux, mis en place des 1948, consent `a de gros efforts pour supprimer progressivement les barrieres douanieres avec deux de ses voisins : les Pays-Bas et le Luxembourg. En 1954, apres le refus de la France de ratifier le traité établissant la Communauté européenne de défense (CED), le ministre belge des Affaires étrangeres, Paul Henri Spaak, est l’initiateur du second « lancement de l’Europe ». On peut véritablement dire que comme Monnet ou Schuman, Paul Henri Spaak est l'un des « peres de l'Europe ». Président de l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe de 1949 `a 1951, puis de celle de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) de 1952 `a 1954, il reçoit `a la conférence de Messine de juin 1955 la présidence d'un comité chargé de faire des propositions pour relancer la construction européenne, afin de ne pas rester sur l’échec de la Communauté européenne de défense (CED). Le rapport Spaak prépare les traités de Rome, signés le 25 mars 1957 et instituant la Communauté économique européenne. Bruxelles devient le siege de l’exécutif et d’une grande partie des services administratifs de la CEE. Par ce meme traité, la Belgique adhere `a la Communauté européenne de l’énergie atomique, l’Euratom. La Belgique, petit pays par la taille et la population, a continué `a jouer un rôle moteur dans le processus de construction européenne. La culture du compromis propre au pays a de nombreuses fois permis de sortir les délégués européens de l’impasse, `a tous les niveaux. La Belgique a toujours été le porte-parole des « petits » pays de l’Europe, s’insurgeant contre toute tentative de monopole ou de détournement des institutions par les « grands ». Bruxelles, qui accueille la Commission européenne, le Conseil des ministres, ainsi que certaines sessions du Parlement, joue véritablement le rôle de capitale européenne. Histoire du Grand-Duché de Luxembourg indépendant 1.1. Le Luxembourg indépendant En 1867, `a la suite des tentatives de la France d’acheter le Luxembourg, qui provoquerent une grave crise dans les relations franco-prussiennes, le Luxembourg devint une nation souveraine dont l’indépendance fut garantie par un nouveau traité signé `a Londres, qui prévoyait une neutralité désarmée et perpétuelle du pays. En 1868, le Grand-duché, doté d’une Constitution fut completement indépendant. En 1890, `a la mort de Guillaume III, l’union personnelle du Luxembourg et des Pays-Bas prit fin ; la couronne grand-ducale revint `a Adolphe de Nassau. En 1907, son héritier, Guillaume IV, abolit la Loi salique, qui empechait les femmes de monter sur le trône. Ses deux filles, Marie-Adélaide (1912-1918) et la Grande-Duchesse Charlotte (1919-1964), purent ainsi régner, et le pays se dota alors d’une Constitution démocratique. En 1918, apres la défaite allemande, l’union douaniere du Zollverein fut dénoncée. Dans les années vingt, le Luxembourg s’orienta vers une nouvelle politique d’union économique avec ses pays voisins ; l’Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL) fut signée en 1921. Mais c’est surtout apres la Seconde Guerre mondiale que ce mouvement s’accéléra. En effet, des 1944, une premiere convention établit une union douaniere avec la Belgique et les Pays-Bas ; celle-ci fut confirmée en 1946, avant d’entrer en application en 1948. Enfin, le traité de La Haye compléta cette union le 3 février 1958 et institua le Benelux. La participation du Luxembourg dans le processus de la construction européenne s’inscrit dans la politique étrangere luxembourgeoise, faite de participation et d’ouverture, surtout apres l’abandon de la neutralité en 1948. En 1949, le Luxembourg est membre fondateur du pacte de Bruxelles et de l’OTAN. En 1952, la ville devient le siege - provisoire, dans un premier temps - de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), et ainsi la premiere capitale de l’Europe. La CECA sera `a la base d'une nouvelle période de croissance, et l'adhésion `a la CEE le point de départ d’une expansion économique et d'une hausse de l'immigration. Sur le plan intérieur, le 4 mai 1961, le prince Jean, héritier présomptif, fut proclamé gouverneur par sa mere, la Grande-Duchesse Charlotte. Celle-ci abdiqua le 12 novembre 1964 et, aussitôt apres, Jean devint Grand-Duc. Apres 1945, le Luxembourg se caractérisa par une politique consensuelle de coalition et une stabilité de la représentation parlementaire comme en témoignent les longs mandats des Premiers ministres. Pierre Werner a dirigé, de 1959 `a 1974, les gouvernements de coalition réunissant son parti, le Parti social-chrétien et le parti des Démocrates (1959-1964, 1968-1974) ou le Parti socialiste des travailleurs (1964-1968). Aux élections générales de 1974, le Parti social-chrétien perdit sa suprématie, pour la premiere fois depuis 1919. Une coalition de centre-gauche formée par les démocrates et le Parti socialiste des travailleurs arriva au pouvoir avec Gaston Thorn, un démocrate, comme Premier ministre. Werner et le Parti social-chrétien retrouverent la majorité en 1979 en constituant une coalition avec les démocrates. Ils durent imposer au pays les mesures d’austérité dictées par une récession économique durable. Werner démissionna finalement avant les élections de 1984, Jacques Santer lui succédant `a la tete du Parti social-chrétien. La réaction de l’électorat aux mesures d’austérité permit au Parti socialiste des travailleurs de progresser sensiblement aux élections de 1984. Une coalition de socio-chrétiens et de socialistes, dirigée par Jacques Santer, reprit les renes du pouvoir, malgré des majorités réduites, aux élections de juin 1989 et juin 1994. Jacques Santer fut remplacé par le chrétien-social Jean-Claude Juncker quand il devint président de la Commission européenne. 1.2. Chronologie 1867 : le Traité de Londres fait du pays un État neutre 1868 : le Luxembourg se dote d'une constitution 1890 : mort de Guillaume III. L’union personnelle du Luxembourg et des Pays-Bas prend fin ; la couronne grand-ducale revient `a Adolphe de Nassau. 1907 : Guillaume IV abolit la Loi salique, qui empechait les femmes de monter sur le trône 1948 : le Grand-Duché devient membre du Benelux. Abandon de la neutralité 1949 : adhésion `a l'O.T.A.N 1952 : la ville de Luxembourg devient le siege de la C.E.C.A 1957 : Traité de Rome et adhésion du Luxembourg 1 .3. Le systeme politique A. Le pouvoir législatif Le pouvoir législatif repose sur l'action conjointe de la Chambre des députés, du gouvernement et du Conseil d'Etat. La Chambre des députés, composée de 60 députés élus pour 5 ans au suffrage universel pur et simple et `a la proportionnelle, a pour principale fonction de voter les projets de loi. Ses membres possedent également un droit d'initiative parlementaire qui s'exerce par la présentation de « propositions de loi », mais qui demeure modérément utilisé. Le gouvernement a un droit d'initiative en matiere législative appelé « initiative gouvernementale », qui lui permet de présenter des « projets de loi ». Apres consultation du Conseil d'Etat, les projets de loi sont soumis `a la Chambre des députés, au sein de laquelle le gouvernement dispose normalement d'une majorité. Apres le vote de la Chambre, le Grand-Duc exerce ses droits de sanction et de promulgation. La procédure législative est close par la publication du texte de loi dans le recueil de législation appelé « Mémorial », acte par lequel le texte acquiert force obligatoire. Le Conseil d'État est composé de 21 conseillers, formellement nommés et démissionnés par le Grand-Duc, suivant les propositions faites alternativement par le gouvernement, la Chambre des Députés et le Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat est obligatoirement appelé `a émettre son avis sur l'ensemble de la législation, c'est-`a-dire sur tous les projets et propositions de loi présentés `a la Chambre, ce préalablement au vote des députés. Son rôle est celui de persuader et non d'imposer, c’est donc un organe consultatif. B. Le pouvoir exécutif Le Grand-Duc est le chef de l'État. Comme dans toute monarchie constitutionnelle, son irresponsabilité politique est complete et implique la responsabilité des ministres. En effet, toute mesure prise par le Grand-Duc dans l'exercice de ses pouvoirs politiques doit etre contresignée par un membre du gouvernement, qui en assume l'entiere responsabilité. En outre, tout acte qui acquiert la signature du Grand-Duc doit au préalable avoir été soumis `a la délibération du gouvernement. Formellement, la Constitution accorde au Grand-Duc le droit d'organiser librement son gouvernement. Dans la pratique, le Grand-Duc choisit sur la base des résultats des élections l'informateur et/ou le formateur du gouvernement, qui devient en général Premier ministre. Le formateur présente au Grand-Duc l'équipe des membres du gouvernement. Le gouvernement nommé présente son programme politique devant la Chambre des Députés qui, par un vote positif, lui exprime sa confiance. Le gouvernement dispose ainsi d'une majorité au Parlement sur laquelle il peut s'appuyer. En vertu de la Constitution, le Grand-Duc a le droit de révoquer `a tout moment un membre du gouvernement, mais, en pratique, la démission d'un ministre ou du gouvernement entier est présentée par le Premier ministre. C. Le pouvoir judiciaire Les cours et tribunaux sont chargés par la Constitution d'exercer le pouvoir judiciaire. Ils sont totalement indépendants dans l'exercice de leurs fonctions. Il y a au Luxembourg deux ordres de juridictions: celles relevant de l'ordre judiciaire et celles relevant de l'ordre administratif. D. Les partis politiques Les principaux partis politiques luxembourgeois sont : PCS, Parti Chrétien Social POSL/LSAP, Parti Socialiste Ouvrier Luxembourgeois PD/DP, Parti Démocratique (Libéral) DÉI GRÉNG, Parti Vert DÉI LÉNK - La Gauche Depuis les élections du 13 juin 1999, le gouvernement luxembourgeois est composé d´une coalition entre le PCS (parti chrétien-social) et le PDL (parti démocratique). 1.4. Les divisions administratives actuelles D’un point de vue administratif, le territoire est divisé en trois districts (Luxembourg, Diekirch et Grevenmacher), 12 cantons, et 118 communes. A. Les districts Le district de Luxembourg comprend les cantons de Luxembourg, Capellen, Esch-sur-Alzette et Mersch. Le district de Diekirch comprend les cantons de Diekirch, Clervaux, Redange, Vianden et Wiltz. Le district de Grevenmacher comprend les cantons de Grevenmacher, Echternach et Remich. Il y a dans chaque district administratif un commissaire de district nommé par le Grand-Duc. Les commissaires de district sont des fonctionnaires de l'État, placés sous l'autorité directe du Ministere de l'Intérieur, qui ont des compétences de surveillance et sont des intermédiaires entre le gouvernement et les autorités locales. Ils veillent `a l'exécution des lois et des reglements grand-ducaux. Ils surveillent l'administration réguliere des biens et revenus des communes. Ils examinent les budgets et comptes des communes. B. Les cantons Les 12 cantons ne disposent pas d'une structure administrative propre. La division remonte `a l'époque de l'occupation française sous la Révolution française, lorsque le Luxembourg était le "Département des Forets". 1.5.Quelques grands traits spécifiques du Grand-Duché de Luxembourg Le Luxembourg est l’un des pays au monde les plus développés et se situe au deuxieme rang mondial apres la Suisse pour le niveau de vie de ses habitants. Avec un taux de croissance élevé (4,1 p. 100 en 1998 contre 3,6 p. 100 en 1997 et 2,4 p. 100 en 1996), une inflation (1,4 p. 100) et un chômage (environ 3 p. 100 de la population active en 1997-1998) faibles, un endettement public réduit et un excédent budgétaire, le Luxembourg jouit d’une excellente santé économique. Le régime fiscal luxembourgeois, plus clément que celui des pays limitrophes, assure pour une bonne part la santé économique du pays. La TVA et l’impôt sur les sociétés sont inférieurs `a la moyenne européenne. Le secteur bancaire représente environ 15 p. 100 de l’économie. L’impôt sur les dividendes du capital est moins élevé que dans les pays frontaliers. La présence d’une partie des institutions de l’Union européenne accroît également la part du secteur tertiaire. Le Luxembourg possede l’un des plus faibles taux de croissance de la population en Europe (1,26 p. 100 entre 1990 et 1995), qui entraîne un déficit chronique de main-d’oeuvre, compensé par l’immigration. Ainsi, en 1995, 58 p. 100 des emplois salariés étaient détenus par des étrangers. De nombreux Belges, Français et Allemands habitant non loin du Luxembourg viennent y travailler chaque jour. Aujourd’hui, 28,6 p. 100 de la population est d’origine étrangere, en provenance surtout des pays de l’Union européenne (Portugal, France). Le Luxembourg, membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), a supprimé en 1967 le service militaire obligatoire et entretient une petite armée de 899 volontaires. Les dépenses de défense représentent 0,8 p. 100 du produit intérieur brut (PIB). La situation linguistique au Luxembourg se caractérise par la pratique et la reconnaissance de trois langues officielles : le luxembourgeois, le français et l’allemand. Le plurilinguisme du Luxembourg est issu de la coexistence de deux groupes ethniques, l’un roman et l’autre germanique. Il faut cependant noter que le luxembourgeois (« Lëtzebuergesch »), un dialecte francique-mosellan, a longtemps revetu une position subalterne. Son enseignement n’a été introduit `a l’école primaire qu’`a partir 1912. Le français reste la langue privilégiée de la législation et de l’administration, ce qui est du `a l’application du code civil napoléonien. Au niveau universitaire, le bilinguisme permet aux étudiants luxembourgeois de poursuivre les études universitaires dans tous les pays francophones, germanophones ou anglophones. L’anglais est, en effet, enseigné de maniere tres poussée `a l’école secondaire ainsi que, au choix, le latin, l’espagnol ou l’italien. Il n’y a pas d’université au Grand-Duché de Luxembourg. Le trilinguisme implique aussi une intégration plus aisée des étrangers, qui peuvent vivre au Luxembourg en parlant le français ou l’allemand. Le trilinguisme représente ainsi l’ouverture vers l’extérieur et la volonté d’accueillir l’extérieur au Luxembourg. Bibliographie Ouvrages généraux Beaufils T., Les Belges (collection Idées Reçues, Histoire 66), Paris, 2004. Bitsch M.- T., Histoire de la Belgique de l’Antiquité `a nos jours (collection Questions `a l’histoire), Bruxelles, 2004. Dorchy H., Histoire des Belges des origines `a 1991, Bruxelles, 1991. Dumont G.- H., Histoire de la Belgique, des origines `a 1830, Bruxelles, 2005. Dumont G.- H., La Belgique (Que sais-je ?, 319), Paris, 2002^3. Galloy D., Hayt F., La Belgique. Des tribus gauloises `a l’État fédéral, Bruxelles, 2001. Encyclopédie de la Belgique, dossier paru dans le journal Le Soir, Bruxelles, 2005. Morelli A. (dir.), Les grands mytes fondateurs de l’histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Bruxelles, 1995. Mourre M., Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, 1996. Roegiers P., La Belgique, le roman d’un pays (Découvertes Gallimard, Culture et Société, 466), s. l., 2005. Trausch G. (dir.), Histoire du Luxembourg. Le destin d’un petit pays, Toulouse, 2003. ------------------------------- [1] Secteur tertiaire : secteur comprenant toutes les activités qui n'appartiennent pas aux secteurs primaire (agriculture, peche, exploitation des forets…) et secondaire (industries) ; secteur des services. [2] AC signifie ante Christum, avant Jésus-Christ [3] Septentrional = du nord [4] Sorte de pierre grâce `a laquelle on pouvait faire du feu. [5] Côté mince destiné `a couper d’un instrument destiné `a cet effet [6] L’homme de Néandertal apparaît vers 300 000 AC et occupe le Proche-Orient et l’Europe. [7] Cfr grotte de Spy ou plusieurs indices confortent l’idée d’une sépulture pour au moins un des squelettes. [8] Fait de vivre en un endroit fixe [9] Abri tres simple (fait de bois, de terre, de paille) servant parfois d’habitation [10] Boue mélangée `a de la paille coupée en tres petits morceaux [11] Agglomération de quelques maisons rurales situées `a l'écart d'un village, et ne formant pas une commune [12] Clôture [13] Lame métallique triangulaire qui tranche horizontalement la bande de terre [14] Réincarnation [15] Ainsi appelée car les hommes portaient des cheveux longs, parfois rougis `a l’eau de chaux et des moustaches tombantes. [16] On constate, en lisant la suite du texte, que la bravoure des Belges ne réside pas tant dans leurs qualités de combattants que dans leur courage d’habiter des régions vraiment peu civilisées ! A propos de cette phrase, voir Morelli, Les grands mythes, p.21-31 et particulierement, p. 31 : « Mythe fondateur de l’histoire de Belgique, l’affirmation de la bravoure des Belges n’apparaît-elle pas en derniere analyse comme une sorte de prix de consolations visant `a lever les angoisses d’un petit pays incapable de résister `a quiconque et dont le plus grand titre de gloire fut d’adapter avec constance la fragilité de son existence aux tribulations de l’histoire ? ». Voir également, Beaufils, Les Belges, p. 19-24. [17] Tribu située entre la Meuse et le Rhin [18] C’est-`a-dire paix romaine. Cfr Mourre, Dictionnaire, s. v. pax romana : « Expression par laquelle les contemporains exprimerent le sentiment de sécurité, d’ordre, de prospérité éprouvée par tous les peuples de monde méditerranéen `a l’ombre de l’autorité romaine, aux Ier et IIeme siecles de notre ere… ». [19] Groupe d'individus unis par la meme profession, les memes intérets [20] PC signifie post Christum, apres Jésus-Christ [21] Circonscription ecclésiastique placée sous la juridiction d'un éveque ou d'un archeveque. [22] Enlumineur = artiste qui illustre les manuscrits [23] Châsse et réceptacle = deux types d’objet destinés `a recevoir les reliques (restes) de saints. [24] Ce n’est qu’au Vieme s. que les prélats francs prennent définitivement la place des éveques pour cette fonction. [25] Les abbayes, tout comme les comtés étaient cédés en fiefs par les rois et les empereurs, qui se forgeaient ainsi une clientele. Ces abbés laiques laissaient le soin des affaires religieuses `a des prévôts religieux. [26] Notamment au palais impérial de Thionville, `a mi-distance de Metz et de la ville de Luxemboug [27] C’est-`a-dire qu’il forme des armées pour mener des combats de son côté. [28] Conflit qui, aux XIeme et XIIeme s., opposa le pape avec les empereurs allemands au sujet de la nomination des éveques et des abbés. En effet `a partir du IXeme s., les rois et les puissants suzerains (pour la définition du terme, voir ci-dessous) avaient pris l’habitude de nommer les abbés (= dirigeants des monasteres) et les éveques, en leur confiant l’autorité temporelle (= sur des biens matériels) mais aussi spirituelle, par la crosse et l’anneau, symboles de la juridiction sur les âmes. Cette pratique entraîna la décadence morale de l’Église aux IXeme et Xeme s. En 1075, cette pratique est condamnée par le pape Grégoire VII. Les empereurs allemands s’opposerent violemment `a ce décret : en effet, l’Église allemande était tres féodalisée. Une lutte entre empereurs allemands et papes commença… Ce n’est qu’en 1122 que la querelle s’apaisa grâce au concordat de Worms. Selon ce concordat, l'Église avait le droit d'élire les éveques, et l'investiture par l'anneau et la crosse serait effectuée par le clergé. Cependant, les élections se dérouleraient en présence de l'empereur, qui conférerait les terres et revenus attachés `a l'éveché `a travers l'investiture par le sceptre, symbole sans connotation spirituelle. [29] Proches du français. [30] Terre que le vassal reçoit de son suzerain [31] C’est-`a-dire de la Meuse [32] Des le XIeme s., la ville de Gand organise une foire tres importante. Quant `a Bruges, sa foire de mai contribue `a sa prospérité au XIIIeme s. [33] Les corporations vont apparaître vers les XIIeme-XIIIeme siecles. Il ne faut pas les confondre avec les guildes. Elles ont été créées apres ces dernieres et regroupent les artisans par corps de métiers. [34] Piece de métal, composée de deux branches, fixée au talon du cavalier et terminée par une roue `a pointes, qui sert `a aiguillonner le cheval en lui piquant les flancs. [35] Nom donné `a la période de campagnes militaires, entrecoupées de treves et de traités de paix, qui ont opposé l’Angleterre et la France, les deux grandes puissances européennes de la fin du Moyen Âge, entre 1337 et 1453. [36] Combustible. [37] Laique qui était chargé par les seigneurs ecclésiastiques de défendre les droits des églises ou abbayes. [38] Nom de certains religieux réguliers, dépendant d'une église. [39] Il se battit avec tant de fougue qu’on le surnomma « sans Peur ». [40] Qui appartient `a la vie laique [41] État pathologique entraîné par les processus régressifs de vieillissement, caractérisé par une atteinte irréversible des facultés physiques et intellectuelles. [42] Completement rempli, qui ne peut contenir plus. [43] Cela signifie que les terres cultivables sont divisées en trois parcelles. Chaque année, une parcelle reste en jachere. Sur la deuxieme, on seme des céréales de printemps (avoine et orge) et sur la troisieme, des céréales d'hiver (blé et seigle). Cette rotation appauvrit moins le sol et protege mieux le paysan contre une éventuelle mauvaise récolte. [44] État d'une terre labourable qu'on laisse temporairement reposer en ne lui faisant pas porter de récolte. [45] Aller `a sa ruine, `a sa fin (en parlant des choses et surtout des affaires). [46] Ouvrage d'art en tissu, effectué au métier et manuellement, et qui est destiné `a former des panneaux* verticaux. [47] Illustration placée en regard de la page titre d’un livre, gravure placée face au titre [48] Au grand dam de quelqu’un : au détriment de quelqu’un [49] C’est-`a-dire ceux qui ont adhéré `a la Réforme de Luther, le protestantisme. [50] Qui ne transige pas, n'admet aucune concession, aucun compromis. [51] Sorte de sac d'une matiere souple, long, ouvert par le milieu et dont les extrémités forment deux poches. [52] Assiette large et creuse. [53] Hollande, Zélande, Frise, Overijssel, Utrecht, la Guledre, Groningue [54] Ainsi appelé pour le différencier de Pierre Breughel le Jeune (1564/65-1637/38), fils aîné de Pierre Breughel l'Ancien. [55] Séculariser : faire passer `a l'état séculier (c’est-`a-dire « qui appartient `a la vie laique (par oppos. `a ecclésiastique) ; faire passer de l'état ecclésiastique `a l'état laique. [56] Région au nord de l’Italie [57] Rétrocéder ; rendre [58] Grand four `a cuve destiné `a fondre le minerai de fer et dans lequel le combustible est en contact avec le minerai [59] Résidu solide de la carbonisation ou de la distillation de certaines houilles grasses (houille : combustible minéral de formation sédimentaire, généralement noir). [60] Qui tend `a distinguer une personne, un groupe humain des autres, `a son détriment. [61] Inscription, sur les rôles de l'armée, des jeunes gens qui ont atteint l'âge fixé par la loi pour le service militaire. [62] Ce sont des considérations militaires et non linguistiques qui expliquent le rattachement du Luxembourg `a la Confédération germanique. [63] Liberté de la presse pour les libéraux et liberté de l’enseignement pour les catholiques [64] Noir et jaune pour la Flandre et le Brabant, rouge pour le Hainaut [65] Le 21 juillet est devenu jour de fete nationale en Belgique. [66] Convention qui suspend les hostilités [67] Épidémie qui touche les animaux [68] Qui est lié `a la structure de quelque chose (ici, de l’enseignement primaire) [69] Étude du bien et du mal. [70] Excluson de l’Église catholique [71] Le téléphone fut conçu par l’Américain Graham Bell. Des 1884, le Gantois François Van Rysselberghe créa lui le premier téléphone public interurbain. Deux ans plus tard, Bruxelles put correspondre avec Paris : c’est la premiere ligne internationale. [72] Classe des prolétaires (prolétaire : personne qui exerce un métier manuel ou mécanique, qui ne possede pour vivre que la rémunération, généralement peu élevée, que lui alloue celui `a qui il vend sa force de travail). [73] Etre payé en objets et non en argent [74] Nuisible `a la santé [75] Action systématique exercée sur l’opinion publique pour l’amener `a accepter certaines idées ou doctrines [76] Tranchée : fossé allongé, creusé pour s'approcher `a couvert d'une place, dans la guerre de siege [77] Forcer, contraindre [78] Table ronde : réunion, caractérisée par le principe d'égalité entre participants `a l'image de la table ronde autour de laquelle peuvent s'asseoir les convives, sans hiérarchie ni préséance, pour discuter de questions d'intéret commun, généralement litigieuses, d'ordre international