FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 VIII) LE THEATRE DE 1919 á 1939 VIII) LE THEATRE DE 1919 A 1939........................................................................................................................1 Jacques Copeau et le Theatre du « Vieux-Colombier ».................................................................................................2 Le « Cartel des quatre »................................................................................................................................................2 La TRADITION................................................................................................................................................................3 La tradition du comique boulevardier...........................................................................................................................3 La tradition de la farce..................................................................................................................................................3 La tradition de la comédie satirique..............................................................................................................................3 La tradition du theatre psychologique...........................................................................................................................4 La tradition de la tragédie.............................................................................................................................................5 L'INVENTION..................................................................................................................................................................5 Les précurseurs..............................................................................................................................................................5 Dada et le theatre..........................................................................................................................................................6 Le surrealisme et le theatre...........................................................................................................................................7 Theatre et écriture automatique.....................................................................................................................................................8 Theatre et réve...............................................................................................................................................................................8 Theatre et inconscient....................................................................................................................................................................8 Roger Vitrac (1899-1952)..............................................................................................................................................8 Antonin Artaud (1896-1948)..........................................................................................................................................9 Le theatre delacruauté.................................................................................................................................................................9 Renouveau des techniques...........................................................................................................................................................10 BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................................................10 La coupure des deux guerres mondiales est particuliěrement sensible pour la production théätrale qui, plus que tout autre secteur de la creation littéraire, est tributaire de ľévénement : fermeture des salles de spectacle en 1914, censure sous l'occupation allemande des années 40. Le retour de la paix, en revanche, semble coincider avec une renaissance du theatre á laquelle, á ľavance, le Directeur de la troupe nous invite á assister — tout autant qu'á la piece — dans le Prologue qu'écrivit Apollinaire pour Les mamelles de Tirésias : Me voici done revenu parmi vous J'ai retrouvé ma troupe ardente... Fallait-il recommencer comme avant ? C'est avec douleur qu'APOLLINAIRE retrouvait « L'art théätral sans grandeur sans vertu / Qui ruait les longs soirs d'avant-guerre ». Dans ce nouveau debat entre la « tradition » et ľ« invention », ľ« ordre » et ľ« aventure »*, les écrivains n'avaient pas seuls leur mot á dire. Essentiel devait étre le role des animateurs. Regrettant ďavoir fait sa piece pour une « scéne ancienne », Apollinaire, dans le merne Prologue, en vient á réver ďun theatre nouveau : Un theatre rond ä deux scenes Une au centre ľautre formant comme un anneau Autour des speetateurs et qui permettra Le grand déploiement de notre art moderne Mariant souvent sans lien apparent comme dans la vie Les sons les gestes les couleurs les cris les bruits La musique la danse ľacrobatie la poésie la peinture Les chceurs les actions et les décors multiples. Sans aller jusqu'á des changements aussi radicaux, les metteurs en scene ont, dans ľentre-deux-guerres, contribué á transformer les conditions du spectacle. 1 Apollinaire, « La jolie rousse», dans Calligrammes. 1 FJIA022 Littérature francaise HI (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 Jacques Copeau et le Theatre du « Vieux-Colombier » ANTOINE2 et LUGNE-POE avaient déjá travaillé en ce sens, chacun á sa maniere. Bientôt á leurs noms s'était joint celui de Jacques COPEAU3 (1879-1949), ľun des fondateurs de LaNouvelle Revue Francaise en 1909. En 1913 il avait renoncé á la direction de la revue pour se consacrer á une experience nouvelle, au Theatre du Vieux-Colombier : « élever un theatre nouveau sur des fondations intactes et débarrasser la scéne de ce qui ľopprime et la souille ». Aprěs ľinterruption de la guerre, la salle redevient le sanctuaire du theatre. Copeau se retire en 1924 ; mais ses disciples, les « Copiaux » ou « Compagnie des Quinze », continuent ľexpérience. Proscrivant les « vedettes », les « monstres sacrés » qui avaient fait les beaux soirs du theatre d'avant-guerre, COPEAU impose á la troupe une discipline striete pour obtenir une representation plus homogene et une interpretation plus transparente, plus « sincere », du texte. Un jeu sobre, une mise en scene dépouillée, réduite á des elements stylisés, mais oú ľéclairage fait tout, doivent permettre ďatteindre á une vérité théätrale qui n'a rien á voir avec ce que Copeau appelle le « vrai vital » — le fourmillement du réel. Dépoussiérant le repertoire classique (en particulier Moliére), introduisant le repertoire étranger, Copeau a également tenú á servir les auteurs ses contemporains : Claudel (L'échange), Gide (Saül), Schlumberger, Vildrac, Ghéon4, et son ami Roger Martin du Gard. Le « Cartel des quatre » Aprěs Copeau, quatre metteurs en scene se groupěrent en 1926 pour une commune defense de leur art, tout en poursuivant séparément une tentative originale. De 1936 á 1940, ils contribuěrent á la renovation de la Comédie Francaise qu'administrait alors le dramaturge Edouard Bourdet. Ľainé, Georges PITOĚFF (1884-1939), admirablement secondé et servi par sa femme, la grande actrice Ludmilla Pitoěff, a tantôt á la téte de sa propre compagnie, tantôt dans divers theatres, défendu les oeuvres étrangěres, en particulier celieš des Russes. II n'a pas négligé pour autant le theatre francais de son temps (Gide, Lenormand, Steve Passeur). Son désir essentiel est de « remonter jusqu'ä ľ inspiration premiere de ľauteur, de pénétrer son des sein, ses intentions ». II compte, pour atteindre ce but, sur un long travail ďimprégnation, sur une mise en scene dépouillée oú les objets prennent valeur de symboles, sur une interpretation d'autant plus émouvante qu'elle est exempte de cabotinage. Charles DULLIN (1885-1949), lancé comme acteur par Copeau, fonda en 1922 le Theatre de ľAtelier oú il entreprit des réformes hardies. Plus heureux sur ce plateau rond, exigu que dans la salle plus vaste oú il se transporta par la suite (le Theatre Sarah-Bernhardt devenu Theatre de la Cite)3, il a servi les classiques et les modernes, contribuant en particulier á imposer le nom d'Armand Salacrou. Considérant le spectacle comme un spectacle total oú interviennent la danse, la musique et la pantomime, il cherche á créer une emotion poétique qui lui importe plus que la stricte expression de la realite. « II faut », disait-il, « partir de ľintérieur et obtenir des comédiens qu'ils restent des étres humains, pour mieux servir et mettre en valeur les elements dramatiques du spectacle. » Gaston BATY (1885-1952) découvrit, á la lecture des romantiques allemands, que « la vie est 2 ANTOINE (André) (Limoges, 1858 - Le Pouliguen, 1943), acteur, metteur en scéne, fondateur du Théätre-Libre (1887) et cinéaste. COPEAU (Jacques) (Paris, 1879 - Beaune, 1949), écrivain, acteur et directeur de théätre francais. En 1913, il créa le théätre du Vieux-Colombier. Henri GHEON (1875-1944), converti au catholicisme, a tenté de reprendre les traditions du théätre religieux du Moyen Age dans des mystěres comme Le pauvre sous ľescalier (1920) ou Le martyre de saint Valerien (1922). 5 Aujourďhui Théätre de la Ville. 2 Trois membres du « cartel » : en haut, ä gauche Louis Jouvet, ľ incomparable interprete de Jean Giraudoux. En haut, a drone, Georges Pitoeff. En bas, Charles Dullm joue le röle d'Har- pagon. dans U Avare de Moliere . une creation moubhable. FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 faite pour étre révée ». Successivement directeur du Studio des Champs-Elysees (1924) et du Theatre Montpamasse (1930), qu'il inaugura avec Lopera de quat'sous de Brecht, il fut un admirable metteur en scene pour les pieces de Musset. Derriěre le texte, il voulait découvrir la presence d'une autre zone, « une zone de mystěre, de silence », « cette marge que les mots seuls ne peuventpas rendre ». Pour cela, il compte sur la magie des couleurs, sur lejeu des ombres et des lumiěres, sur la presence de la musique. II donne du Simoun, de Lenormand, une representation exemplaire. Louis JOUVET (1887-1951) fut, comme Pitoeff et Dullin, un grand acteur, ľinterpréte ideal de Giraudoux, mais aussi de Knock ou de Jean de la lune. Issu du Vieux-Colombier, il dirigea la Comédie des Champs-Elysees et, á partir de 1934, l'Athénée. Technici en du theatre, il a eu la passion du travail fignolé et lucide. Contrairement á Baty, il considére que « le grand theatre, c'est ďabord le beau langage » et que le respect du texte permet ďatteindre au maximum ďefficacité. C'est dire qu'il se range du côté de la tradition. La TRADITION Pármi les auteurs nouveaux, le plus grand nombre suit les directions traditionnelles en s'efforcant parfois de rajeunir les anciennes formules. La tradition du comique boulevardier La vogue du theatre de Boulevard n'a pas disparu. Un public élargi augmente le champ des complaisances. Sacha GUITRY (1885-1957) a cru échapper á la vulgaritě en brodant, á partir d'une « trěs petite idée », un dialogue ou fusent les mots d'esprit. Aujourd'hui sa faconde, qui n'eut ďégale que sa recondite, nous semble bien lassante, et ľon s'étonne qu'il ait été l'auteur le plus adulé de son temps. Jacques DEVAL (né en 1895) a peut-étre eu le tort d'emprunter la voie de la facilité, - celie de Sacha Guitry - au lieu de suivre la pente naturelle de son talent satirique. On s'explique ainsi qu'il ait délaissé la caricature du monde bourgeois (Etienne, 1930; Mademoiselle 1932) au profit des princes russes exiles devenus domestiques ďun politi cien parvenu (Tovaritch, 1934). La tradition de la farce La farce est une vogue plus récente, qu'explique peut-étre le besoin de detente éprouvé par le public aprěs la guerre. Ni CLAUDEL avec les deux versions de Protée (1913, 1926), et les scenes burlesques du Soulier de satin, ni MARTIN DU GARD avec ses farces paysannes6 n'ont dédaigné de s'y essayer. Au moment oú COPEAU se plait á ressusciter les cocus de Moliěre, Fernand CROMMELYNCK (1888-1970) aměne son Cocu magnifique (1921) á offrir sa femme pour échapper au doute qui le ronge. On peut opposer á ľépaisseur flamande de cette ceuvre les farces poetiques de Marcel ACHARD (né en 1899) premiére maniere qui, dans Jean de la lune (1929), habille á la moderne les personnages de la comédie italienne, et les fait vivre entre ciel et terre dans un univers funambulesque. La tradition de la comédie satirique Copeau a félicité Jules ROMAINS d'avoir « revigoré sur notre scéne le rameau d'une comédie claire, directe, de tradition toute latine et francaise, inspirée par ľesprit du temps, ses caractěres, ses ridicules, sa vie sociale et ses mceurs politi ques ». Romains fait moins la caricature de la réalité qu'il ne montre comment la caricature devient réalité : la mystification du docteur Knock réussit si bien qu'il finit par en étre dupe {Knock, 1923), et la ville imaginée par ľéminent géographe Le Trouhadec surgit du desert, permettant á l'imposteur de voir s'ouvrir devant lui les portes de l'lnstitut (Dono-goo, 1930). Aprěs avoir fustigé les profiteurs de guerre dans Les marchands de gloire (1925; piece écrite en 6 Le testament du pere Leleu (1913), La gonfle (1924). Martin du Gard est également l'auteur ďun drame, Un taciturne, qui fut joué en 1931 á la Comédie des Champs-Elysees par Louis Jouvet. 3 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 collaboration avec Paul Nivoix), Marcel PAGNOL (né en 1895) montre dans Topaze (1928) que les affairistes véreux sont plus respectés qu'au temps de Lesage ou méme d'Henry Becque. Dans Les temps difficiles (1934) d'Edouard Bourdet (1887-1945), la satire de la grande bourgeoisie se fait plus apre. Le manage d'argent n'est plus seulement risible, comme dans Le sexe faible (1929), il est odieux : les Antonin-Faure, pour sauver leurs usines, marient leur fille cadette á un idiot congenital, héritier d'une immense fortune. Armand SALACROU (né en 1899), qui fut quel que temps inscrit au Parti communiste avant de faire fortune dans une entreprise de publicite, n'a pas voulu faire un theatre commercial, mais un theatre de combat. II se plait á dénoncer les grands bourgeois de sa Normandie natale, comme les distilleurs de L'archipel Lenoir oú le dieu de la comédie parvient pourtant á égarer la balle de revolver et á éviter un sombre denouement: signe ďindulgence involontaire, peut-étre, de la part d'un auteur au talent trop divers pour ne pas étre hesitant. La tradition du theatre psychologique En accordant la primauté au caractěre sur le role, le theatre psychologique de ľentre-deux guerres reste dans la ligne d'une tradition. Les efforts de renouvellement sont pourtant sensibles avec le theatre intimiste et le theatre violent. Le theatre intimiste. S'efforcant de renoncer aux artifices et aux exces du theatre déclamatoire, il veut étre « ľécole de ľinexprimé » ou « du silence». Pour cela, il se contentera de personnages ordinaires, ďactions simples. II préférera la suggestion á ľexplication et substituera á la « scéne á faire » la « scéne á taire ». La formule a été illustrée en particulier par Charles VILDRAC (1882-1971) qui puise dans « cette inépuisable reserve de valeur humaine » : le peuple. Aux oisifs de la Belie Époque succédent les deux ouvriers typographes du Paquebot Tenacity (1920), Basti en et Segard, épris de la méme servantě ďauberge. La situation se réduit á une crise simple qui permet ďaller au fond des ämes : La brouille (1930), 1'autre grand succěs de Vildrac, en serait la meilleure illustration. Paul GERALDY (né en 1885) met en scéne ľamour aprěs ľavoir chanté, sans toujours éviter la miěvrerie ou le pathos. Denys AMIEL (né en 1884) a voulu montrer que le bavardage pouvait étre un silence angoissant. Jean-Jacques BERNARD (1888-1972) - le fils de Tristan - écarte le « dialogue entendu» pour faire apparaitre le «dialogue sous-jacent». Des phrases insignifiantes, ou suspendues, pleines de mille reticences, disent mieux que de longs discours les souffrances de Martine (1922), la « petite paysanne qui aime et qui souffre, mais ne peut confier á personne son amour ni sa souffrance ». La formule était limitée. On ne peut dire non plus qu'elle était neuve : Marivaux, plus pres de nous Maeterlinck et Tchékhov (qu'au méme moment Pitoěff révélait au public francais) ont su - pour reprendre une expression de Giraudoux - faire « affleure[r] » les propos « de la zone des silences ». Le theatre violent De méme, le genre brutal était deja apparu sur scene avec le theatre naturaliste. L'ceuvre du dramaturge suédois STRINDBERG en constituait sans doute l'exemple le plus haut. Henri-René LENORMAND (1882-1951) a été trop facilement pris pour un nouveau Strindberg. II a voulu, explique-t-il lui-méme, « en finir avec ľhomme des périodes classiques, ľarchétype de la dramaturgie nationale» et le «livrer aux puissances dissolvantes qui émanent de son inconscient» (le désir incestueux qui pousse Laurency vers sa fille Clotilde dans Le simoun, 1920). Exploitant d'une maniere assez systématique les données de la psychanalyse freudienne (en particulier dans Le mangeur de reveš), il a ajouté aux fatalités internes les fatalités extérieures qui pésent sur ľhomme, «les mystéres du temps et de ľespace ». Ses drames, morcelés en tableaux multiples, doivent leur unite á un sentiment d'angoisse qui croit au fur et á mesure que l'engrenage terrible happe les étres. On peut leur reprocher une complaisance excessive pour la névrose, que ľauteur a tenté de justifier par une catharsis personnelle et un didactisme assez maladroit. Chez Steve PASSEUR (1899-1966), la brutalite du langage, les revirements inattendus dans la conduite des personnages, le caractěre paradoxal des situations paraissent d'une outrance souvent 4 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 gratuite L'acheteuse (1930), Elisabeth Fontanelle, « se paye un man comme eile se payerait une auto » et se plait ensuite a torturer longuement cet étre veule et passif, comme touš les protagonistes masculins du theatre de Passeur. La violence de Paul RAYNAL (1885-1971) se traduit surtout par un deluge verbal qui recouvre des situations simples, resserrées autour d'une crise. Si Lenormand et Steve Passeur nous rappellent bien souvent la tradition du theatre passionnel d'avant 1914, M. Raynal a I'ambition de remonter a une tradition plus ancienne et plus haute celle de la tragédie classique. C'est pourquoi il choisit généralement des sujets historiques {Napoleon unique, 1936) méme s'ils sont le plus souvent rattaches a l'histoire encore récente de la Premiére Guerre mondiale {Le tombeau sous l'Arc de Triomphe. La Francerie, Le materiel humain). C'est pourquoi aussi il s'astreint á respecter la regie des trois unites. La tradition de la tragédie Cette ambition d'un retour á la tragédie, Raynal la partage avec d'autres écrivains de son temps, et non des moindres. II semble que, dans ľentre-deux-guerres, le vent souffle á l'antique. C'est en 1931 que Gide donne son CEdipe comme dans ses pieces antérieures. Saül (1896), Le roi Candaule (1901), il cherche á exprimer, sous le couvert de la table, ľessentiel de sa pensée, telle cette double affirmation de l'humanisme et de ľexpérience individuelle qu'il préte au héros vainqueur du Sphinx : CEdipe -[...] J'ai compris, moi seul ai compris que le seul mot de passe, pour n'étre pas dévoré par le sphinx, c'est l'Homme. Sans doute fallait-il un peu de courage pour le dire, ce mot. Mais je le tenais prét děs avant d'avoir entendu ľénigme, et ma force est que je n'admettais pas ďautre réponse, á quelle que pút étre la question. Car, comprenez bien mes petits, que chacun de nous, adolescent, rencontre, au debut de sa course, un monštre qui dresse devant lui telle énigme qui nous puisse empécher d'avancer. Et, bien qu'á chacun de nous mes enfants, ce sphinx particulier pose une question différente, persuadez-vous qu'á chacune de ses questions la réponse reste pareille oui, qu'il n'y a qu'une seule et méme réponse á de si diverses questions, et que cette réponse unique, pour chacun de nous, c'est Soi. Entre tant de tentatives diverses, la plus durable, chez Jean COCTEAU, fut sans doute l'adaptation des mythes grecs Antigone (1922) Orphée (1926), La machine infernale (1934), CEdipe-Roi (1937). Pour les réinventer « au rythme de notre époque » il resserre faction ou au contraire il invente des prolongements nouveaux (CEdipe aveugle est conduit par le fantóme de Jocaste). En rappelant la toute-puissance du destin, « une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour ľanéantissement mathématique d'un mortel», Cocteau semble lancer une plainte contre les dieux « qui sont le diable» et ne proposer comme issue qu'une region abstraite ou les choses de la terre n'ont plus d'importance. II a eu le mérite de proposer une formule nouvelle pour un theatre poétique, non point de Le dieu-chacai Anubis dam La « la poésie au theatre », « dentelle delicate impossible á voir de loin », mais AfaA^m^jejeanCocteau Le Sphinx, las d égorger les de « la poésie de theatre » « une grosse dentelle, une dentelle en cordage, humams est devenu une simple un navire sur la mer ». jeunesiie. U INVENTION L'esprit nouveau se manifeste d'une maniere sporadique et á l'occasion de representations qui tiennent parfois plus du chahut que du spectacle organise. Mais c'est ainsi peut-étre que resurgit la vente du theatre, si du moins il peut exister une vérité en ce domaine. Les précurseurs Raymond ROUSSEL (1877-1933) avait des 1911 porté á la scéne ses Impressions d'Afrique. La 5 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 quéte de la gloire, dont il a eu la revelation éblouissante á ľäge de dix-neuf ans ľamene á renouveler ľexpérience. Mais en 1922, l'adaptation de son roman Locus Solus, qu'il a confiée á Pierre Frondaie, n'a pas le succěs souhaité. Roussel decide done ďécrire des pieces originales, L'étoile au front (1924), La poussiere des soleils (1926) oú ľon retrouve les caractéristiques majeures de son art si étrange un univers magique la construction minutieuse ďune mécanique precise, mais gratuite, qui semble fonetionner á vide, « un langage doublant et dédouble avec le matin dans sa pure origine » dont ľabsence essentielle est symbolisée par le soleil, toujours lá et toujours en défaut.7 Pierre AIBERT-BIROT (1876-1967), le fondateur de la revue Sic, veut, en octobre 1916 fonder le « theatre nunique »8 qui doit étre « un grand tout simultane, contenant tous les moyens et toutes les emotions capables de communiquer une vie intense et enivrante aux spectateurs». Le « polydrame » Larountala (1917-1918) en est la premiere illustration une multiplicité d'intrigues secondaires sans veritable intrigue principále, un grand nombre ďacteurs évoluant simultanément sur deux scenes dont l'une contient l'autre. L'ensemble a quelque chose d'un peu inquiétant et Albert-Birot semble avoir été lui-méme comme effrayé de son audace Matoum et Tevibar (1919), « histoire édifiante et recreative du vrai et du faux poete », Le bon dieu (1920) ou, sous la conduite d'un Dieu ennuyé par sa propre creation, on s'emploie á tout casser, sont des ceuvres plus oubliables. Et dans la Preface des Femmes pliantes (1921), l'auteur semble se renier lui-méme. Le nouveau theatre dont APOLLINAIRE se fait le propagandiste dans le Prologue des Mamelles de Tiresias doit beaucoup á Albert-Birot, qui l'avait d'ailleurs incite á écrire ce « drame surrealisté ». La premiere, qui eut lieu le 24 juin 1917, avait été organisée par la revue Sic et déchaina un beau tumulte. Fallait-il prendre au sérieux la grave invitation lancée par l'auteur á faire des enfants pour repeupler la France en imitant la prodigieuse recondite du mari de Thérěse devenu femme9. L'essentiel, á n'en pas douter, était ailleurs dans ľesthétique de la surprise, dans ľappel á la participation du public, dans ľ effort pour retrouver, par le mythe de Tiresias, la zone de l'inconscient collectif Comme Apollinaire, Ivan GOLL (1891-1950) a été le pionnier d'un surrealisme qui n'a rien a voir avec celui dont Breton présentera bientôt le manifeste. II rejoint bien plutôt le symbolisme dans son désir de faire apparaitre la réalité sous le masque de l'apparence. Son drame satirique Mathusalem ou ľéternel bourgeois, écrit en 1919, publié en 1923 et joué en 1927 cherche en tout cas á mettre á nu les instincts de ľhomme. Mathusalem, roi de la chaussure, veut marier sa fille á ľhéritier d'un autre magnát. Mais eile s'est éprise d'un étudiant révolutionnaire. Alertée, la famille tue ľétudiant qui ressuscite et tue Mathusalem, lequel ressuscite á son tour et s'empresse de lancer une nouvelle marque de souliers. Réduite á ce canevas, l'intrigue n'est pas sans analogie avec Les temps difficiles, d'Edouard Bourdet. Mais la mise en ceuvre oú ľalogique a un role essentiel á jouer est entiěrement différente. Dada et le theatre II peut sembler étonnant de parier de « theatre dadaiste », puisque dans la vaste destruction dont Dada est le mot ďordre9, ľceuvre littéraire est l'une des premieres victimes. Pourtant dada vient du spectacle. Qu'on songe aux fameuses soirees qui firent scandale á Zürich en 1916, et a Paris á partir de 1919 c'est bien de theatre qu'il s agit, avec un décor déconcertant, la succession de declamations syncopées, et un public que ľon cherche á mettre hors de lui pour ľinviter á partieiper á son tour. Bien plus, la premiére «ceuvre » née de dada a été concue pour le theatre. C'est La premiere aventure celeste de M. Antipyrine (1916), representee le 27 mars 1920. Suivant son auteur, Tristan TZARA, « la pensée se fait dans la bouche ». De fait, les mots semblent ici jaillir librement, sans souci ni de la logique ni de la syntaxe. Cette méme volonte de spontanéité preside á La deuxiěme aventure celeste de M. Antipyrine et au Cceur á gaz dont une representation, en 1923, fut le signal de la declaration de guerre entre dadaistes et surréalistes. Cette derniére ceuvre, que Tzara lui-méme 7 Michel Foucault, Raymond Roussel, Gallimard, 1963, pp. 204, 208 8 « vuv » nun, en grec, signifie « maintenant». 9 Comme le fait remarquer Henri Behar, dans son Etude sur le theatre dada et surrealisté (Gallimard, 1967) dont nous tirons ici l'essentiel de notre information. 6 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 appela «la plus grande escroquerie du siěcle », fait dialoguer des personnages qui représentent les différentes parties du corps humain. Mais l'ceuvre majeure de Tzara au theatre est certainement Mouchoir de nuages (1924), « tragédie ironique » ou « farce tragi que en 15 actes courts, séparés par 15 commentaires ». Si l'intrigue est volontairement conventionnelle, la technique fait briller mainte trouvaille : l'utilisation des procédés du cinema et une pratique du « collage » qui est l'un des moděles du genre. Les editions « Au Sans pareil » publiaient en 1921, comme numero 1 de la collection « Dada», L'empereur de Chine, une piece que Georges RIBEMONT-DESSAIGNES (né en 1882) avait composée en realite avant de connaitre dada, pendant la guerre. Ecrite en vers libres, l'ceuvre, foisonnante, est pourtant remarquablement construite. Au premier acte, le gouverneur de la Chine, Espher, se tue alors qu'il accede au tróne imperial. L'acte II suit la quéte d'Onane, la fille d'Espher, partie á la recherche de son pěre-époux. Au troisiěme, les barbares envahissent ľempire, sous la conduite du mercenaire Verdict qui égorge Onane et semble vouloir tout anéantir : Destruction de ce qui est bon et pur Car le beau, le bon et le pur sont pourris. Le serin muet, du méme Ribemont-Dessaignes, fut joué au cours ďune manifestation dada, le 27 mars 1920, avec Breton et Soupault dans les rôles masculins. Les deux époux, Riquet et Barate, sont prisonniers de leur univers imaginaire : ľun, perché sur une échelle (le seul element du décor), réve de dominer le monde; l'autre, de prodiguer ses charmes de Messaline. Survient le negre Ocre, qui se prend pour Gounod et a appris toutes ses belles compositions á un serin muet qui les chante á merveille sans toutefois émettre un son. II suit Barate dans un buisson. Riquet, les prenant pour des panthěres, les abat d'un coup de fusil. Dans Le bourreau du Perou (1926) M. VICTOR, que ses tueries ne parviennent pas á rassasier, se tue lui-méme. II est vrai que son secretaire, Amour, va s'empresser de le remplacer. Comme dans la plupart de ses ceuvres de certe perióde, Ribemont-Dessaignes semble se demander oú conduit le pouvoir ďun hystérique conscient de son hystérie. Ses personnages font tout pour assouvir leur désir au risque de tout anéantir, y compris eux-mémes. Telies seront les derniéres paroles de son Faust (1931): Tu voulais ľabsolu Nous ľavons II n'y a qu'un seul démon, c'est celui qui nous conduit par la main jusqu'au néant de la mort. Le surrealisme et le theatre Lapport du surrealisme au theatre n'est pas moins paradoxal que celui de dada. En effet, au point de depart, il existe seulement des « textes » surréalistes, sans distinction de genres. Bien plus, Breton condamne le theatre, comme il a condamné le roman. « O Theatre éternel », s'écrie-t-il dans Point du jour, «tu exiges que non seulement pour jouer le role d'un autre, mais encore pour dieter ce role, nous nous masquions á sa ressemblance, que la glace devant laquelle nous posons nous renvoie de nous une image étrangěre. L'imagination a touš les pouvoirs, sauf celui de nous identifier en dépit de notre apparence á un personnage autre que nous-méme. » On sait qu'il exclura du groupe Antonin Artaud et Roger Vitrac. Pourtant Breton lui-méme a participé aux spectacles dada; il apprécie le geste surrealisté ; il reconnait méme, dans le Premier manifeste, que c'est encore au dialogue que les formes du langage surrealisté s'adaptent le mieux, á condition toutefois qu'il soit« rétabli [...] dans sa vérité absolue, [...] en dégageant les deux interlocuteurs des obligations de la politesse ». On comprend qu'il ait fini par reconnaitre, aprěs la Seconde Guerre mondiale, l'existence d'un theatre surrealisté, celui de Julien Gracq et de Georges Schéhadé. En tout cas, «l'usage surrealisté » du langage qu'il avait préconisé était un singulier ferment pour le theatre et une chance sérieuse de renouvellement. 7 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 Theatre et écriture automatique A ses debuts, BRETON a collaboré á des pieces, des sketches plutôt, écrits en collaboration avec SOUPAULT (S'il vous plait, Vous m'oublierez, 1920) ou avec DESNOS et PERET (Comme U fait beau, 1923). II s'agit lá de textes présurréalistes qu'il est assez difficile de distinguer de ľexpérience dada. lis illustrent assez bien les incertitudes de ľécriture automatique dont ils sont censés procéder, mais dont une volonte concertée semble bien souvent limiter les effets, jusque dans le parti pris trop evident ďincohérence. Le dialogue y apparait la plupart du temps comme la poursuite parallele de soliloques, « les mots, les images ne s'offr[ant] que comme tremplins á ľesprit de celui qui écoute » (Breton). Le langage bafoue la raison, mais respecte la syntaxe, et se charge ďimages en liberté. Comme le constate ľaraignée dans Comme ilfait beau, « il souffle sous ces arbres un vent de poésie absolument irrespirable ». Theatre et réve Le réve se trouve introduit sur scene pour lui-méme, en raison de la force emotive dont il est chargé. Si Georges Neveux, dans Juliette ou la cle des songes (représenté en 1930), croit devoir expliquer, dans un troisiéme acte, le réve dont il a rempli les deux premiers (la recherche par un jeune homme, dans un pays inconnu, d'un visage entrevu jadis), Roger Vitrac, dans Entrée libre, se contente de représenter symboliquement, pour chaque tableau, le visage du dormeur dont il reproduit le réve. Non sans quelque inquietude, ďailleurs, sur la nécessité du theatre : car « pourquoi tirer un dráme de REVE authentique [...]? Pour montrer que la vie et le theatre sont deux ? Nallez pas au spectacle. Couchez-vous ». Theatre et inconscient D'une maniere plus large, c'est l'inconscient que veut reveler le theatre surrealisté. Artaud le proclame nettement dans son « Manifeste pour un theatre avorté » : Tout ce qui appartient á ľillisibilité et á la fascination magnétique des réves, tout cela, ces couches sombres de la conscience qui sont tout ce qui nous préoccupe dans ľesprit, nous voulons le voir rayonner et triompher sur une scéne, quitte á nous perdre nous-mémes et á nous exposer au ridicule d'un colossal échec. Les acteurs du Theatre Alfred-Jarry, qu'il fonda avec Vitrac et Robert Aron (Max Robur) en 1926, devaient par un jeu serré, attentif aux lapsus et aux actes manques, procéder á une veritable psychanalyse du personnage, qu'il s'agit d'un texte de Strindberg {Le songe), de Claudel (un acte de Portage de midi joué sans l'aveu de l'auteur) ou de Vitrac lui-méme. Roger Vitrac (1899-1952) Roger VITRAC a probablement donné au theatre surrealisté son ceuvre la plus representative avec Victor ou les enfants aupouvoir qui fut, en 1928, le quatriěme et dernier spectacle du Theatre Alfired-Jarry. Ce drame bourgeois en trois actes met en scene des enfants géants, Victor et son amie Esther, qui assistent á ľabétissement de leur entourage. La mere d'Esther est la maitresse du pere de Victor. Et Victor lui-méme est initié par une amie de la famille, Mme Ida Mortemart, qui est affligee de pétomanie. Tout s'acheve dans une hécatombe. Victor, terrassé par d'atroces coliques, meurt en fait de la sottise et de l'abjection du monde des adultes. C'est au langage des adultes que s'en prend aussi Vitrac, quand il en répěte, pour les dénoncer, les expressions vides de sens. Mais les monologues délirants de Victor sont de véritables morceaux de poésie surrealisté qui arrachent ľceuvre au vaudeville. Artaud avait déjá senti pourtant que Vitrac n'était pas tout á fait insensible á la tentation du Boulevard. Aprěs 1930, on a l'impression que cette tentation s'empare de celui en qui Breton avait vu l'un des surréalistes les plus doués. Son amitié et sa collaboration avec Anouilh indiquent suffisamment qu'il a change de camp. 8 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Lhéätre de 1919 ä 1939 Antonin Artaud (1896-1948) On a tendance aujourďhui á ne voir en Artaud qu'un théoricien du theatre. Et il est vrai que son influence a été decisive sur l'orientation des recherches dramaturgiques les plus immédiatement contemporaines. Acteur, metteur en scene, auteur, il a surtout été, comme ľa dit Jean-Louis BARRAULT, un « homme-théätre » et son « theatre de la cruauté » est inseparable de ce qu'il a lui-méme appelé son « destin cruel ». Un destin cruel En effet, chez Antonin Artaud, tout commence et tout finit par la souffrance. II meurt d'un cancer. Děs ľenfance, il souffrait de troubles d'origine nerveuse qui lui causaient d'effroyables douleurs. Trěs tôt, il a été oblige de prendre de ľopium sur prescription médicale jusqu'au moment oú, ľopium ne süffisant plus, il est parti pour le Mexique, en 1936 chez les Indiens Tarahumaras, á la recherche du peyotl10, « en désespéré qui veut enlever de soi encore un dernier lambeau ďespérance, detacher la derniěre petite fibre rouge de ľespérance spirituelle de la chair ». Car cette souffrance du corps est inseparable de la souffrance de ľäme (Artaud d'ailleurs se refusera á maintenir cette dualité). Děs 1923-1924 il ľexprime ďune maniere bouleversante dans ses Lettres ä Jacques Riviere11 : Je souffre d'une effroyable maladie de ľesprit. Ma pensée m'abandonne á touš les degrés. Depuis le simple fait de la pensée jusqu'au fait extérieur de sa materialisation dans les mots. Mots, formes de phrases, directions intérieures de la pensée, reactions simples de ľesprit, je suis á la poursuite constante de mon étre intellectuel. C'est ľattitude d'un spectateur qui, comme il le dit lui-méme, « [s']assiste, assiste á Antonin Artaud »12. Ľattitude du créateur n'est pas fonciěrement différente, qui consiste á montrer « le rétrécissement intime de [s]on étre et le chätrage insensé de [s]a vie »13. Ce conflit intérieur permanent, il veut á la fois le montrer et le surmonter. Poussé par un furieux besoin de communiquer, mais aussi par le désir de trouver sa propre unite dans la reconciliation de la pensée et du corps, il a tenté de ranimer « la vieille tradition mythique du theatre, oú le theatre est pris comme une thérapeutique, un moyen [de] guérison comparable á celui de certaines danses [des] Indiens mexicains »14. Le theatre de la cruauté. Cette tentative est celie du « theatre de la cruauté » dont les essais réunis en 1939 sous le titre Le theatre et son double donnent la plus complete description. II faut entendre par lá non point nécessairement un theatre du « sang versé », de la « chair martyre », de ľ« ennemi crucifié » (la confusion était d'autant plus tentante que les mythes repris par Artaud Les Cenci15 ou Héliogabale16 sont des mythes sanglants), mais plutôt ľécrasement de ľ honí me sous son destin. « II ne s'agit dans cette cruauté ni de sadisme ni de sang, du moins pas de facon exclusive », précisait-il á Jean Paulhan : «je ne cultive pas systématiquement ľhorreur. Ce mot de cruauté doit étre pris dans un sens large, et non dans le sens materiel et rapace qui lui est prété 10 Plante du Mexique (Cactées) scientifiquement appelée echinocactus Williamsii. Le peyotl contient un alcaloide, la mescaline, qui a la propriété de provoquer des hallucinations. 11 Artaud avait adressé des poěmes á Riviére, alors directeur de la N.R.F., qui dut les refuser. Artaud tenta, dans une série de lettres, d'expliquer pourquoi il « proposait malgré tout ces poěmes á ľexistence ». La lettre que nous citons est la premiére, datée du 5 juin 1923. 12 Le pěse-nerfs (1925). 13 Ľombilic des limbes (1925). 14 Brouillon d'une lettre de 1935; citée dans Alain Virmaux, Antonin Artaud et le theatre, p. 25. 15 Adaptation ďaprés Shelley et Stendhal, representee pour la premiere fois» le 6 mai 1935 au Theatre des Folies-Wagram. 16 Héliogabale ou ľanarchiste couronné (1934). 9 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 habituellement »17. II s'agit plutôt ďune sorte de « curation cruelle » ou, comme l'explique Alain VIRMAUX18, ľacteur j oue sa vie tandis que le spectateur doit y avoir les nerfs broyés. Cest dire quArtaud rompt á la fois avec le théätre-divertissement et avec le theatre psychologique pour retrouver « un theatre qui nous reveille : nerfs et cceur » et« cette action immediate et violente » qu'il doit posséder : Tout ce qui agit est une cruauté. Cest sur cette idée ďaction poussée ä bout, et extréme, que le theatre doit se renouveler . Renouveau des techniques. Ce spectacle total, ce spectacle de masses, Artaud le concoit comme « une veritable operation de magie », et il s'efforce done de « permettre aux moyens magiques de ľ art et de la parole de s'exercer organiquement et dans leur entier, comme des exorcismes renouvelés »20. Le langage théätral ne se confond pas avec les mots. II faut « rompre l'assujettissement du theatre au texte» en faisant intervenir, á côté du «langage auditif» des sons, le «langage visuel» des signes, notes minutieusement par un systéme de hiéroglyphes. De ce langage méme il faut faire un usage « oriental». Artaud a été fasciné par les danseurs balinais, et il veut retrouver le magnetisme de leurs rythmes et de leurs rites. Ľacteur doit tendre vers ľétat de transe, mais de transe contrôlée qui impose une lecon de spiritualite. Car, « arrach[é] á son piétinement psychologique et humain », ce theatre tentera de « créer une métaphysique de la parole, du geste, de ľexpression ». Si ľon discerne des constantes dans les exigences dArtaud (ľexploitation du théme de ľinceste, par exemple, ou le recours aux mannequins géants), il est juste de faire observer que sur d'autres points il n'est pas toujours en accord avec lui-méme (l'usage des machines, ľorganisation de la mise en scene, la transformation de la salle, l'intervention du hasard), et que ni lui ni ses successeurs n'ont vraiment été fidéles á ses theories. Mais il convient de dépasser le point de vue du technicien. L'échec dArtaud prouve que le theatre de la cruauté était un theatre impossible. Cest pourquoi, au lieu de le faire hors de lui, il ľa fait finalement en lui (sa folie). Ce qui reste, comme le note Jacques Derrida, c'est« ľidée dArtaud sur le theatre ». Si « eile ne nous aide pas á regier la pratique théätrale », eile « nous perm et peut-étre d'en penser ľorigine, la veille et la limite, de penser le theatre aujourd'hui á partir de ľouverture de son histoire et dans ľhorizon de sa mort »21. BIBLIOGRAPHIE • Editions: o Dans la coll. « Folio », Knock de Jules Romains (n° 60); o en Livre de Poche, Topaze de Marcel Pagnol (n° 294); Saul de Gide (n° 2586); La machine infernale de Jean Cocteau (n° 854). o En « Idées NRF », Le theatre et son double d'Antonin Artaud o CEuvres de Raymond Roussel aux éd. J.-J. Pauvert, o de G. Ribemont-Dessaignes et d'Antonin Artaud aux éd. Gallimard. • Études: o Paul Surer, Le theatre frangais contemporain, S.E.D E.S., 1964 (pour la «tradition ») 17 «Premiere lettre sur la cruauté» (13 septembre 1932) dansZe theatre et son double. 18 Op. cit. 19 « Le theatre et la cruauté », ibid. 20« Le theatre de la cruauté », premier manifeste, ibid. 21 1. "Le theatre de la cruauté et la cloture de la representation » dans Critique n° 230, juillet 1966. 10 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěcle) VIII. Le Theatre de 1919 ä 1939 o Henri Béhar, Etude sur le theatre dada et surrealisté, Gallimard, 1967 (travail remarquable qui nous a révélé un « theatre » inconnu et ses problěmes) ; Roger Vitrac, un réprouvé du surrealisme, Nizet, 1966 o Alain Virmaux, Antonin Artaud et le theatre, Seghers, 1971 (etude riche, un peu morcelée, qui s'étend á ľinfluence ď Artaud sur le theatre contemporain). 11