Commentaire de l’extrait de L’Enragé de Dominique Rolin Dans L’Enragé, la romanciere Dominique Rolin imagine la biographie du peintre Pieter Breughel dont la vie est, en réalité, tres peu connue. L’extrait qui nous est présenté est tiré du début du livre alors que l’auteur nous conte l’enfance du peintre. Plus précisément, `a cet instant fabuleux, l’enfant de « cinq ou six ans » « couché au milieu des prés » se rend compte que la nature entre dans une danse dont les mouvements et les couleurs « restent cloués au fond de sa tete » et ou il comprend qu’il va, lui, etre « chargé de saisir [cette nature] et l’exprimer ». L’auteur nous donne `a lire et `a voir la naissance de la vocation du peintre `a travers divers procédés. Il est important de noter que, selon la modalité de narration choisie par l’auteur, `a savoir la focalisation interne, nous, lecteurs, nous vivons cette scene `a travers le regard du narrateur, qui est le peintre lui-meme. Le récit se fait donc `a travers un « je » pseudo-autobiographique, ce qui augmente le degré de réalisme de la scene décrite. Un autre élément contribue `a donner une vive impression sur le lecteur : l’emploi de l’indicatif présent pour introduire l’extrait (« Ma mémoire est d’abord un ciel »). Le narrateur passe ensuite au passé en usant principalement de l’imparfait car le passage évoque un souvenir. Il est également intéressant de constater que le peintre, qui, comme nous l’avons déj`a dit, n’est alors qu’un enfant, nous livre son expérience hautement existentielle `a travers un langage `a la fois simple, fait de phrases breves, peu complexes, mais en meme temps éminemment poétique. N’oublions pas que le peintre, bien que d’origine paysanne et dénué d’éducation, va se distinguer par un génie hors du commun. L’auteur peut des lors se permettre de lui preter un génie du langage. La poésie du langage est perceptible `a travers de nombreuses figures de style telles que les métaphores – « Ma mémoire est un ciel », « C’est ainsi que mon tout premier souvenir de petit garçon (…) est resté cloué dans le fond de ma tete » – mais aussi les hypallages qu’ils utilisent pour parler de ces oiseaux noirs qui volent dans le ciel (probablement des corneilles) – « un vol d’oiseaux qui ne cessait de décrire l`a-haut de grands cercles noirs », « le manege noir des oiseaux », Breughel fut un peintre qui se fit l’interprete sur la toile d’une nature qu’il sut rendre dans ses couleurs et son dynamisme. En regardant ces œuvres, on se rend compte que Breughel se voyait comme « l’œil » qui allait pouvoir traduire la magie de la « vieille nature ». L’extrait parvient `a rendre par écrit cette façon particuliere qu’a eu le peintre d’aborder ses sujets. En effet, l’enfant « couché au milieu d’un pré » « [suit] un vol d’oiseaux qui ne [cessent] de décrire (…) de grands cercles noirs ». Par cette phrase, on voit que dans son immobilité, le jeune garçon devient réceptif aux mouvements qu’il perçoit dans le ciel. Breughel devient « l’œil » qui va capter le vol des oiseaux : l’accumulation de verbe dans la phrase « Ça montait ou descendait librement, se croisait, s’écartait, se serrait, se rapprochait, sans interruption, revenait en arriere avant de bondir de nouveau » a pour but de rendre saisissant le bal des oiseaux, que l’auteur désigne également par le groupe de mots « animaux volants » : cette périphrase a l’avantage d’introduire le verbe « voler » et donc renforcer le dynamisme de la scene. Mais loin de se contenter d’une banale description de ce vol de corneilles, Dominique Rolin donne une autre dimension `a cette relation. En effet, pour l’occasion, les oiseaux semblent « [apprendre] `a écrire sur un tableau blanc » ; ils décrivent des « cercles » qui « griffaient le ciel ». Ainsi, par un jeu subtil fait `a partir de mots, Dominique Rolin montrent les corneilles comme désireuses d’écrire, de dessiner sur ce « tableau blanc », métaphore qui désigne, bien sur, le ciel. Qui sait si elles ne veulent pas envoyer un message `a qui sait les regarder ? Le petit Breughel est vivement impressionné, et, lui, enfant, compare ces tracés, ces « lettres » `a son apprentissage de l’écriture « sur un tableau noir `a l’école ». Tableau noir, tableau blanc : la comparaison est flagrante et renforcée par l’antithese noir/blanc. L’enfant serait donc en train d’apprendre une autre écriture, beaucoup plus cruciale pour lui : en effet, il se rend compte qu’« au fond de [sa] tete le manege noir des oiseaux se maintenait extraordinairement souple, vivant et fort ». La nature, qui s’exprime `a travers ces oiseaux noirs volant sur le ciel blanc, enseigne donc au petit garçon l’écriture du mouvement et de la couleur. Il réussira `a maîtriser ces deux éléments, devenant, par ce fait, « responsable (…) de la vieille nature (…) chargé de la saisir et l’exprimer » tel qu’il en eut l’intuition au moment de la découverte de sa vocation, moment que tente d’imaginer Dominique Rolin dans ce passage. A travers ce bref extrait, l’auteur parvient `a nous faire vivre le moment décisif ou la destinée de Breughel s’est révélée `a lui, celle d’etre le messager de la nature, c’est-`a-dire celui qui serait chargé de rendre ses couleurs et son dynamisme sur ces autres tableaux blancs que sont les toiles… Dominique Rolin nous livre ici un texte vivement impressionniste qui ne donne qu’une envie : nous replonger dans les œuvres du maître de Breda pour nous sentir ravi par le dynamisme des mouvements et la vivacité des couleurs que Breughel sut si bien rendre…