Document : extrait de Francard M., Le français en Wallonie in Blampain D., Goosse A., Klinkenberg J.-M., Wilmet M., Le français en Belgique, Bruxelles, 1999, pp. 232-236[1]. En regard des inventaires de particularités dressés pour d’autres aires francophones, le français parlé et écrit en Wallonie présente un faible taux de différence « objective » avec le français en usage dans l’Hexagone. Or, de nombreux francophones wallons ont le sentiment que la France et la Belgique sont « deux pays qu’une meme langue sépare ». C’est donc essentiellement dans l’imaginaire linguistique des Wallons que se nourrit et se conforte le sentiment d’une distance entre ceux pour qui le français est une composante du patrimoine national (« le français, c’est la langue des Français ») et ceux qui n’en sont que les dépositaires, parfois bien maladroits (le Belge a beaucoup dévié la langue française »). […] La distance que perçoivent les Wallons entre leur français et celui des « Français de France » pose la question de la légitimité linguistique des usages avérés – ou supposés – non conformes avec ceux de l’Hexagone. Les réponses apportées par les locuteurs s’élaborent sur fond d’une réelle insécurité linguistique, que des études récentes sur les représentations linguistiques des Belges francophones permettent d’appréhender en quelques traits. La sujétion linguistique `a la France est l’une des attitudes les plus souvent observées. Elle s’accompagne généralement d’une autodépréciation des façons de parler ressenties comme non légitimes par rapport `a la norme « française », en d’autres termes, celle qui sont perçues comme « régionales ». […] Le sentiment d’insécurité linguistique n’est pas spécifique `a la Wallonie : il est largement partagé par d’autres communautés francophones « périphériques » : Canada – surtout en Acadie – Suisse, Afrique et meme dans les régions de France éloignées du centre de l’Hexagone. Mais d’ou provient ce sentiment ? Qui le propage ? Chacune de ces questions demanderait des réponses nuancées et prudentes. Il paraît cependant assuré que l’insécurité linguistique n’est pas une fatalité mais une conséquence directe de la pédagogie du français telle qu’elle a été longtemps pratiquée en Wallonie, en Acadie et en Afrique, et qui avait pour caractéristique essentielle d’installer les enfants, des leurs premiers contacts avec l’institution scolaire, dans une relation d’extranéité[2] vis-`a-vis de la variété linguistique pratiquée au sein du milieu familial : l’école était le lieu ou l’on apprenait `a parler et `a écrire le « bon » français. Aujourd’hui encore, l’apprentissage du français, tant `a l’oral qu’`a l’écrit, se voit parfois assigner comme objectif majeur d’assurer une progressive conformité avec un français normatif que l’on appelle selon les terminologies, français standard, français central, français de France, ou encore français de référence, français légitime, etc. En d’autre termes, il faut éliminer progressivement les variations langagieres des francophones, qu’ils soient de Liege, de Namur, de Montréal, de Kinshasa, et le français « normatif ». Une telle conception de la langue, régie par des normes, exclusivement exogenes, ne favorise évidemment pas son appropriation identitaire par les locuteurs. […] Alors que, du point de vue des pratiques linguistiques « objectives », la grande majorité des Wallons pratiquent le français comme langue maternelle, leurs sentiments `a l’égard de cette langue sont loin de révéler un attachement « patrimonial » ou identitaire aussi fort que celui qu’on observe généralement chez les Français de France. Questions : § définissez le concept d’insécurité linguistique § Chez quels locuteurs le sentiment d’insécurité linguistique se manifeste-t-il ? § Quelle est, selon le texte, une des principales causes de ce sentiment ? Document : cfr Denis B., Klinkenberg J.-M., La littérature belge, précis d’histoire sociale (Espace Nord, 221), Bruxelles, 2005. Jean-Marie Klinkenberg, et Benoît Denis distinguent trois phases d’une histoire dominée par les rapports `a son voisin français et son champ littéraire : 1. 1830-1918 : période « centrifuge »/« these ». Cette phase se caractérise par la volonté de construire une littérature nationale distincte de celle de la France. La notion de « l’âme belge » est définie par Edmond Picard : c’est le mélange de tempéraments latin et germanique qui se rencontrent sur son territoire. La Belgique se distinguerait donc par une « nordicité » qui imprégnerait toute la production littéraire. Cela conduira `a une survalorisation paradoxale de la composante culturelle flamande du pays, sans cesse convoquée comme définitoire d’une identité belge qui ne trouve pourtant son expression légitime qu’en français. 2. 1918-1960 environ : période « centripete »/« antithese ». Sous la pression des revendications politiques et culturelles flamandes, la façade unitaire du pays va s’effriter de plus en plus ; la Belgique est désormais divisée en deux communautés linguistiques et le mythe nordique vole désormais en éclat (accentué par la tragédie de la 1ere GM). Sans le secours de l’âme belge, les écrivains se tournent alors vers Paris et la France, source de leur identité culturelle et littéraire. La littérature belge devient alors partie intégrante du domaine français comme l’affirme le Manifeste du Groupe du Lundi en 1937, le texte le plus représentatif de cette tendance. 3. Fin des années ’60/ « synthese » ? Le processus de fédéralisation est en marche ; les francophones recherchent des institutions politiques capables de leur faire prendre leur avenir en main ; retour des préoccupations identitaires. Cette situation ne se traduit pas en littérature par un repli sur soi mais génere une attitude mixte, dialectique, ou l’on retrouve des traits des deux phases précédentes : le marquage identitaire, formulé la plupart du temps sous une forme interrogative, n’exclut pas la volonté d’insertion dans l’espace français, lui-meme plus ouvert `a l’altérité culturelle. ------------------------------- [1] L’ouvrage est disponible `a l’Alliance française de Brno. [2] Caractere de ce qui est étranger.