"Si le gouvernement du Canada a choisi de saisir la Cour supreme de questions qui concernent l'avenir du Quebec et deformuler trois questions qui ont choqué et trouble le president de la Commission du droit international des Nations unies, Aľ Alain Pellet, et je le cite: "par lafagon Partisane dont elles sont posées», ce n'est pas parce que ce gouvernement voulait éclairer ľétat du droit et se faire champion de ľétat du droit ou de la "rule of law» comme le pretend le ministře des Affaires intergouvernementales. - "Non, cette manoeuvre estpoliticienne. Elle est sipoliticienne cette manoeuvre qu'elle risque ďentacher la crédibilité de cette měme Cour ainsi prisonniěre de la legalite, selon ľéminent juristefacques-Yvan Morin. Cette stratégie vise principalement ä infléchir l'opinion des Québécois et ä les inciter ä nepas choisir au moment venu la voie de la souverainetéparce qu 'eile sera it illéga le». Daniel Turp Débats des communes, 10 février 1998, 3675. Transformation du nationalisme au Québec : Le grand tournant des années soixante Yvon Savoie1 Introduction Du nationalisme canadien francais au nationalisme québécois, on est passé ďun nationalisme culturel ä un nationalisme politique. Examinons ensemble le nationalisme dans une perspective historique. Genese du nationalisme Balthazar affirme que : «les fondements d'une conscience nationale canadienne remontent au XVIIe siěcle»2. Ces propos rejoignent ceux de Fernand Dumont qui constate en Nouvelle-France une espěce de sentiment national. II existe toutefois plusieurs theses offrant des interpretations différentes de la question. Ainsi, plusieurs historiens, dont les membres de la célěbre École de Montreal (Séguin, Frégault et Brunet), n'hésitent pas ä voir en Nouvelle-France ľétablissement d'une nation nouvelle. Toutefois, Fernand Dumont y va d'une analyse beaucoup plus raffinée. Dans Genese de la société québécoise, il se questionne sur la presence d'une conscience nationale en Nouvelle-France. II arrive ä la consta-tation suivante:«En somme, les conditions ne sont pas réunies pour que puissent se former une conscience politique et une conscience nationale3». 1. Candidat ä la maltrise en sociologie á l'Université du Québec á Montreal. 2. Louis Balthazar, Bllan du nationalisme au Québec, Montreal, ĽHexagone, pp.37-38. 3. Fernand Dumont, Genese de la société québécoise, Montreal, Boréal Compact, p. 86 ĽACTION NATIONALE • 65 Nous retrouvons, en Nouvelle-France, ce que Dumont a designe comme un sentiment national. D'ailleurs, il voit la Conquéte comme la rencontre brutale de l'autre, mais il pose 1'Acte d'Union comme ľévéne-ment ä la base du nationalisme, car si la Conquéte représente la rencontre de l'autre, ce n'est qu'á l'LJnion des deux Canadas (1840) que les Anglais seront percus comme une menace d'assimilation. La, va naitre le nationalisme, un nationalisme axé sur la survivance culturelle. Le nationalisme canadien Avec l'Acte constitutionnel de 1791, le Bas-Canada se voit accorder une Chambre ďassemblée. Cette Chambre va rapidement étre envahie par la petite bourgeoisie francophone qui embrasse les professions liberales et envahit la politique, l'un des seuls domaines d'emploi possible. Le Parti canadien est constitué. II deviendra en 1826 le Parti patriote. -Cest done ä la faveur de la montée d'une nou-velle classe sociale et dans une atmosphere de participation populate ä la chose politique que se développe, au Bas-Canada, le nationalisme».4 Ce nationalisme s'articule autour ďun liberalisme politique en opposition avec l'Église. II s'exprime aussi dans une rencontre conflictuelle de la Chambre ďassemblée avec la bourgeoisie anglaise et le Conseil législatif. Ainsi les membres du Parti patriote manifestem leur mécontentement ä ľégard de certains privileges accordés par le Gouverneur aux membres non élus du Conseil législatif et du Conseil exécutif, Ce conseil servait surtout les intéréts des marchands anglais établís en grand nombre ä Montreal. Le Parti patriote revendique aussi le gouverne-ment responsable. II legitime sa requéte sur le fait que les membres de la Chambre d'Assemblee sont élus; ils parlent au nom du peuple. En ce qui a trait au la'icisme du Parti patriote, il s'exprime dans les reproches faits ä l'Église sur son trop grand intérét envers le pouvoir temporel, alors qu'elle devrait se limiter ä son champ de competence, le domaine spirituel. Comme les membres du Parti patriote sont, pour la plupart, des catholiques pratiquants, on peut dire, comme ľa fait Balthazar que: - le nationalisme canadien est done demeuré, en dépit de ses traits libéraux, profondément attache ä une tradition»5, la religion. Le discours des Patriotes est porteur d'une ambigu'ité; il 4. Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec, Montreal, LHexagone, 1986, p.54 5. Ibid., p.57 66 • ĽACTION NATIONALE demeure conservateur en matiěre sociale et économique et liberal au niveau politique. La resistance au progres en matiěre économique et sociale prend son expression par le rejet massif des changements proposes par les marchands anglais. Balthazar en fait ľénumération suivante: «abolition du regime seigneurial et institution d'un regime moderne de pro-priété privée, établissement de bureaux d'enregistrement des achats et ventes, creation de banques, construction de routes et de canaux pour faciliter le transport commercial »6. Les changements ne s'adres-saient que trěs peu aux Canadiens francais; ils favorisaient la bourgeoisie marchande ä majorite anglaise. Ä propos du nationalisme de cette perióde, les propos de Maurice Séguin sont intéressants; il va qualifier le nationalisme d'avant 1837 de -séparatisme dans 50 ou 100 ans»7. Mais alors, qu'est-ce qui va conduire aux rebellions de 1837-38? Une partie de la réponse reside dans la relative paralysie des instances politiques. Le Conseil législatif et la Chambre ďassemblée sont en constante opposition et la plupart des decisions émanent de la seule volonte du Gouverneur; les institutions politiques ne sont, ni plus ni moins, que des «coquilles vides». Le Parti patriote ne se fera pas tendre ä l'endroit du gouvernement colonial qui sera accuse de touš les maux. Au lendemain de l'adoption des quatre-vingt-douze resolutions de 1834, le mouvement patriote se fait plus radical. II en résulte une division du mouvement, duquel s'écartent les müderes. Cette division et le manque ďorganisation expliquer en partie ľéchec des insurrections. Si les rebellions sont un échec, il n'en demeure pas moins que la menace est reelle. La réponse de Londres ne se fait pas attendre. On dépéche sur place Lord Durham. Celui-ci remet son célěbre rapport qui recommande l'assimilation des Canadiens francais. Cest ä la suite du rapport Durham que les Canadiens deviennent des Canadiens francais, qu'ils deviennent ce peuple ä assimiler au sein ďun seul et unique Canada uni. La recommandation de Durham est ďunir les deux Canadas, de lui donner un seul parlement oú siěgent un nombre egal de deputes representant le Haut et le Bas-Canada. Ce fait est non négligeable si ľon considěre la supériorité numérique 6. Ibid., p. 57 7. Maurice Séguin, L 'idee ďíndépendance au Québec, Montreal, Boréal Express, p. 21 ĽACTION NATIONALE • des Canadiens francais au Bas-Canada. Ainsi les Canadiens francais passent de ľétat de majorite au Bas-Canada á celui de minorite au sein d'un Canada uni. En fait, -les 400 000 Britanniques du Haut-Canada s'unissent aux 150 000 Britanniques du Bas-Canada pour former une majorite de 550000 au-dessus ďune minorite canadienne-francaise de 450 000-8. Ä la suite de la mise en minorite des Canadiens francais, il devient evident que Londres ne résiste pas longtemps aux pressions exercées par sa colonie pour ľobtention du gouvernement responsable. Le Canada obtient le gouvernement responsable en 1848. Děs lors, les forces en presence vont se redéfinir par rapport ä ce nouvel État. On assiste ä la naissance du conflit entre le Rougisme et l'Ultramontanisme. Le Rougisme, pour la plupart ďanciens patriotes, milite en faveur de ľanticléricalisme en soutenant des valeurs comme le travail, le progres et la liberté. Le Rougisme soutient que la religion est une affaire privée et que ľÉglise n'a rien ä voir dans le domaine temporel. Le nationalisme des rouges, qui sont ä la recherche d'une certaine autonomie nationale, diffěre grandement de celui des Ultramontains. Bien que les rouges aillent un temps «flirter ■ avec la possibilité d'une annexion aux États-Unis, leur position nationaliste s'oppose surtout ä l'Union. Dans le merne ordre d'idées, les Rouges s'opposent au projet de la Confederation. Pour sa part, l'Ultramontanisme prône la dominance de ľÉglise sur l'État, Les Ultramontains s'attaquent au capitalisme, au materialisme et militent en faveur d'une hiérarchisation des rapports sociaux. Leur principal argument est que tout cela est voulu par Dieu. Ľéchec des rebellions et leurs consequences (l'Acte d'Union), ont un impact important sur la perception des gens sur les hommes poli-tiques. La petite bourgeoisie va perdre de plus en plus de son influence au profit de ľÉglise. Malgré ľopposition des Rouges ä la Confederation, celle-ci sera effective moins de vingt ans aprěs l'ac-quisition du gouvernement responsable. Ainsi, les Rouges, comme leurs prédécesseurs, les Patriotes, se retrouvent en marge du pouvoir politique. Vers 1870, le conflit résulte par une nette victoire de l'Ultramontanisme. Du môme coup, celuí-ci transforme le nationalisme. SÍ 8. Maurice Séguin, Ľidée ďindépendance au Québec, Montreal, Boréal Express, 1977, p. 38. 68 • ĽACTION NATIONALE le nationalisme des Patriotes et des Rouges a des visées indépen-dantistes, s'il fait usage de la politique et s'appuie sur un territoire, il n'en demeure pas moins un nationalisme ä mi-chemin entre le nationalisme moderne et traditionnel; il en est tout autrement du nationalisme des Canadiens francais qui, sans I'ombre d'un doute, est range dans la catégorie de nationalisme traditionnel. Le nationalisme canadien-fran<;ais Dans la perióde suivant l'Union, de 1840 á la Revolution tran-quille, ľÉglise exerce une veritable hegemonie sur l'institutionnali-sation des rapports sociaux et sur les ideologies. Ainsi, au Québec, tout ce qui relěve des services sociaux et qui n'est pas directement pris ä charge par les families, est contrôlé par ľÉglise, Nous sommes alors, au Québec, en presence d'une Église omniprésente qui soigne, éduque et fournit l'assistance publique. Pour consolider ses acquis, ľÉglise s'allie aux hommes politiques. Ä la suite de pressions inces-santes de sa part, le ministere de l'Instruction publique est aboli en 1875. Une abolition qui ne fera que renforcer ľemprise de ľÉglise sur ľéducation. «La pratique religieuse elle-méme, en general assez reguliere, constitue un moyen de contrôlé exceptionnel pour le clergé»9. La messe dominicale, les sacrements de la naissance á la mort, les nom-breuses fetes religieuses et toutes sortes ďactivités organisées autour de la vie religieuse sont des elements de contrôlé exceptionnels sur ľidéologie des Canadiens francais, C'est ä ce point vrai qu'il est alors impossible, pour un Canadien francais, de se presenter autrement qu'en tant que Canadien francais catholique. Cependant, si ľÉglise a occupé une place aussi importante en matiěre de regulation des rapports sociaux, ä cause de l'État liberal qui se fait trěs peu interventionniste, il ne faut pas négliger l'impact de la forme de regime sur cette dynamique. Ainsi, la Confederation va donner des pouvoirs qui paraissaient, ä ľépoque, comme relativement peu importants, mais qui permettront aux provinces de reproduire un discours idéologique particulier. Et plus tard, ces mémes pouvoirs (contrôlé sur ľéducation, la regulation des rapports sociaux et la possibilité de prélever des impôts sur le revenu, etc.) permettront aux provinces de s'ériger en quasi-État. 9. Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Québec, Montreal, L'Hexagone, 1986, p.71 ĽACTION NATIONALE • 69 De plus, cette periodě, marquee par la predominance du discours ultramontain, correspond ä une transformation importante du nationa-lisme. Nous n'assistons pas, ä ľépoque, ä une simple transformation lexicale, mais ä une reelle transformation de la representation que ce peuple se fait de lui-méme. Ainsi, c'est en tant que Canadiens francais catholiques que va, environ pour les cent prochaines années, se forger le rapport au monde de cette collectivité. Une collectivité dont le nationalisme peut, sans hesitation, étre qualifié de nationalisme culturel. Mgr Laflěche va méme jusqu'ä énoncer qu'un organisme politique n'est pas nécessaire ä la nation: «... les Irlandais, et les Indiens ne sont-ils pas, comme les Canadiens francais, sous la tutelle de gou-vernement étranger? Ľessentiel, ce sont les mceurs, les coutumes, la langue et, en une espéce de synthěse, la religion. »10 Les propos de Mgr Laflěche me semblent exagérés et guides davantage par un idéal visé par les religieux que par la realite effective de la situation politique. De fait, on constate méme que Mgr Bourget, qui devient évéque de Montreal en 1840, va jusqu'ä concocter une alliance avec le parti de Lafontaine. Bien que la doctrine ultramontaine prone la predominance du religieux sur le tem-porel, eile ne néglige pas les appuis politiques offerts, par exemple, par le parti de Lafontaine. Méme si la bourgeoisie canadienne-francaise demeure fortement présente au niveau politique, il n'y a plus, comme au temps du Rougisme, d'opposition idéologique entre le clergé et certains hommes politiques. Le nationalisme de ces derniers sera d'ailleurs organise autour de ľidentité canadienne-francaise. Pour illustrer ces propos, je propose ľexemple d'Honoré Mercier. Le nationalisme d'Honoré Mercier, au sein du Parti national, demeure profondément ancré au nationalisme canadien-francais, méme si Mercier se fait un ardent défenseur de l'autonomie des provinces. De plus, on observe que Mercier, contrairement aux Rouges dont il provient, cherche constamment ä demeurer dans les bonnes graces de l'Église, dont il ne remet jamais en question la forte predominance. II ira méme jusqu'ä nommer un clerc, le cure Labelle, sous-ministre. Malgré la presence d'un certain nationalisme dans la vie politique, il est clair que celui-ci est, á ľépoque, organise autour de la culture 10. Fernand Dumont, Genese de la société québecoise, Montreal, Boreal Compact, 1993, p.228 70 • L'ACTION NATIONALE commune aux Canadiens francais. Louis Balthazar affirme: «Au tour-nant du siěcle, la partie est gagnée. ĽÉglise catholique est omniprésente dans la société québecoise. Cette société n'a d'autre veritable point de ralliement que son nationalisme de «survivance» animé par les leaders religieux».11 Le nationalisme des Canadiens francais n'est pas organise autour et par les institutions politiques. La méme observation s'applique au nationalisme de Lionel Groulx, qui est un excellent exemple de nationalisme culturel. Dans la foulée du nationalisme canadien-francais défendu par ses prédécesseurs, le nationalisme de Groulx s'articule comme clérico-nationalisme et il transcende ainsi toute frontiěre géographique. En fait, il propose l'État francais, un espace territorial mal défini, comme lieu de realisation de son nationalisme. Toutefois, malgré ľambiguľté de sa definition de l'État francais, l'apport de Groulx est fort significatif. II fut longtemps un maítre ä penser qui exerca une profonde influence sur la formation de nom-breux intellectuels québécois. Méme si sa conception de l'État demeure vague, il a le mérite d'avoir attiré ľimportance de ses contemporains sur le role que devait jouer l'État dans ľaffirmation nationale des Canadiens francais. En résumé, nous pouvons affirmer que le nationalisme des Canadiens francais peut étre catalogue comme un nationalisme tra-ditionnel, organise autour d'une survivance culturelle, dominé par l'Église qui exerce une hegemonie en matiěre de regulation des rapports sociaux. Malgré leur forte presence au sein de la société, les politiciens s'appuient sur un Etat dont le budget est infime. Un budget qui depend, pour une large part, de subventions du federal. Ainsi, comme le dit Dumont: «le politicien est omnipresent, mais l'État est absent: tel est le paradoxe avec lequel la société québecoise se débattra pendant longtemps».12 Mon attention se tourne maintenant vers une autre époque de notre histoire. La periodě 1944-1960 est la periodě duplessiste. Ainsi, la Revolution tranquille sera pour le Québec une entrée dans la modernitě. Une these qui, si eile est abondamment reprise (Voir les 11. Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Quebec, Montreal, UHexagone, 1986, p. 82. 12. Fernand Dumont, Genese de la société québecoise, Montreal, Boréal Compact, 1993. p. 220. Vous noterez que j'emploie cette citation en guise d'image, de métaphore. Elle me semble illustrer assez bien que le nationalisme des Canadiens francais ne repose pas sur l'État. L'ACTION NATIONALE • 71 travaux de Fernand Dumont, 1971; Nicole Laurin-Frenette, 1978; Hubert Guindon, 1990, etc.), demeure une representation peu fidele de la réalité. En fait, «La grande noirceur» demeure un mythe trěs proche du sens commun. D'ailleurs, c'est souvent ä Duplessis lui-méme que l'on reproche d'etre la cause d'un profond retard du Québec en matiěres économique et sociale. La Periode 1944-60: le duplessisme et ses critiques Le duplessisme a été marqué par une certaíne permanence du vieux nationalisme au Quebec. Les structures mises en place au cours des 100 derniěres années demeurent relativement inchangées, mais cette periodě est marquee par un désenchantement vis-ä-vis le nationalisme traditionnel. Comme le denote Louis Balthazar:«...c'est aussi une periodě d'effervescence sans precedent si l'on tient compte du bouil-lonnement des idées, des projets, des volontés de réformes exprimées par une elite intellectuelle qui se manifeste de plus en plus»13. "Vbila pourquoi nous avons choisi de parier du duplessisme. Ce bouillonnement des idées dont parle Balthazar engendre un veritable mouvement de contestation. Bien entendu celui-ci n'a pas de pendant politique significatif, mais il ne se fait pas, pour autant, moins virulent. II lui aurait été difficile de se retrouver en politique, car la scene politique provinciale est dominée (de 1944 ä I960) par l'Union nationale qui ne sera jamais reconnue comme un parti nationaliste. Et ce, malgré les lüttes de Duplessis avec le gouvernement federal ä qui il reproche ses tendances centralisatrices. Notons que ces lüttes résultent en un refus systématique d'intervention du federal au sein de champs de competence provinciaux. Et ce, sans rien créer d'équi-valent ä ce qui est propose par le federal. Au cours de la perióde 1944-1960, les institutions du domaine social sont débordées et l'Église catholique n'a pas les ressources pour répondre ä la demande. Dans le domaine de la santé, on constate une insuffisance de lits, une mauvaise repartition territoriale des hôpitaux, une insuffisance de personnel et une absence de planifi-cation des ressources de santé. Le Québec de 1945 est aux prises avec de sérieux problěmes sociaux en matiěre d'éducation, de logement et de santé. Un triste constat qui colle trěs bien ä une regulation liberale des rapports sociaux. 13. Louis Balthazar, Bilan du nationalisme au Quebec, Montreal, L'Hexagone, 1986, p. 82. 72 • L'ACTION NATIONALE On voit alors au Québec s'organiser un mouvement de contestation. Celui-ci, forme principalement ďintellectuels, s'organise autour de deux axes: les néo-nationalistes et les fédéralistes keynésiens. Le nationalisme traditionnel, fortement associé au duplessisme, soulěve un mécontentement chez plusieurs intellectuels, peu importem les allégeances politiques de ceux-ci (mis ä part les unionistes, bien súr). Chez les néo-nationalistes (Laurendeau, Filion, Drapeau, ľécole de Montreal formée de Séguin, Frégault et Brunet etc.) on se fait les chantres ďun nouveau nationalisme, on prône ľémancipation du Québec. En fait, on peut dire sans peur de se tromper que le message véhiculé est le suivant: • il faut engager cene nation-lä, ľengager comme acteur politique». II en résulte que les membres de l'École de Montreal vont tenter de modemiser et de la'iciser le nationalisme qui leur ŕut transmis par Lionel Groulx. C'est dans cette perspective que Michel Brunet va dénoncer ce qu'il appelle les mythes de ľagriculturisme, de ľanti-étatisme et du messianisme. Ainsi, il dénonce la representation iden-titaire que les Canadiens francais se font ďeux-mémes. Brunet dira que le fait que les Canadiens francais se représentent comme les membres ďune culture investie ďune mission contribuera ä les paralyser, ä les empécher de s'engager politiquement. De leur côté, André Laurendeau et Gérard Filion, respectivement directeur et rédacteur en chef au Devoir, vont s'opposer avec vehemence au nationalisme traditionnel. Ils vont évoquer que les Canadiens francais forment autre chose qu'une simple culture. II est ä noter que cette opposition du Devoir au nationalisme traditionnel n'est pas sans importance, car eile émane ďun quotidien qui fut longtemps le promoteur du nationalisme traditionnel. En fait: -Vers la fin des années quarante, les institutions privilégiées du nationalisme traditionnel sont pour ainsi dire investies par de nouvelles écoles de pensée...-14. Ces écoles de pensée, que nous regroupons sous ľ etiquette de néo-nationalistes, vont véhiculer un message simple, mais fort important: II faut utiliser l'État que nous laisse la Confederation de 1867; il faut ľinvestir, exploiter les champs de juri-diction qui sont les nôtres afin de s'émanciper. Bien que les néo-nationalistes aient été importants, on ne saurait imputer une transformation du nationalisme au simple fait qu'un groupe ďintellectuels s'engageait contre le traditionalisme associe au 14. Idem p.116 TACTION NATIONALE • 73 nationalisme. Ce serait commettre une erreur pour un sociologue. Ainsi, au bouillonnement intellectuel qui a cours ä la fin des années cinquante s'ajoutent de nombreux mouvements de revendication. Le mouvement des femmes et le mouvement ouvrier ne sauraient étre négligés. Ces mouvements revendiquent afin ďobtenir des conditions de travail et des programmes sociaux, ce qui s'accorde mal avec un Etat de forme liberale. Le duplessisme se retrouvait remis en question et soulevait le mécontentement. La table était mise pour la Revolution tranquille. D'un nationalisme culturel á un nationalisme politique La Revolution tranquille est Fun des moments fondamentaux de l'histoire du Québec. Cette periodě d'effervescence sera marquee par une transformation importante de la société québécoise qui sera tra-versée par une modernisation rapide (le Québec est alors une société deja moderne) de ses diverses institutions. La Revolution tranquille marque au Québec le passage ä cette nouvelle forme de regulation des rapports sociaux qu'est ľÉtat providence. Un Etat qui se fera plus interventionniste que l'État liberal. En fait, l'État providence québécois sera trěs interventionniste en matiěre économique et sociale. II en résultera des transformations majeures ä touš les niveaux de la société québécoise. Le gouvernement du Québec devient un levier économique des plus importants. Pensons aux nombreuses sociétés d'État alors créées: Hydro-Québec et la Caisse de dépôt en tete. En matiěre politique et sociale, on assiste, au Québec, á une veritable actualisation des notions de démoeratie, de justice sociale, de liberté et ďégalité. Ľaccessibilité ä des soins de santé et ä une education de qualité est percue comme un droit. Le réseau de ľUniversité du Québec et l'assurance-maladie en sont deux realisations concretes. Ces grandes realisations ne sont pas le seul fruit du gouvernement. Ce serait négliger l'influence manifeste des revendications grandissantes faites par les différents acteurs sociaux. Notamment Celles provenant du mouvement ouvrier et de celui des femmes. La periodě pré-Révolution tranquille est marquee par ľémer-gence du néo-nationalisme. Celui-ci qui avait pour objeetif principal de dénoncer le duplessisme se fera le chantre d'un nouveau nationalisme. Mais en quoi est-il nouveau ? 74 • L'ACTION NATIONALE Vers I960, on passe de la representation identitaire de Canadien francais ä celie de Québécois. Cest lá une transformation importante, car le nationalisme s'articule alors autour ďun espace territorial precis, le Québec. C'est different du nationalisme canadien francais qui, organise autour de dimensions essentiellement culturelles comme la religion catholique et la langue, n'est pas doté d'un espace territorial precis qu'il peut investir politiquement. Or, les Québécois qui se distinguent maintenant des francophones hors Québec, forment la nation québécoise. Le principe du regroupement collectif passe du culturel au politique. De fait, cette politisation sera si importante que bon nombre de Québécois s'identifient membres de la nation québécoise. Ce mouvement nationaliste prend forme děs le debut des années soixante. On peut méme dire que la Revolution tranquille s'est faite sur un fond de nationalisme qui découle de l'histoire particuliěre du Québec. Pensons au net succěs du gouvernement Lesage et de son slogan "MaTtres chez nous». Un net changement quand nous pensons au nationalisme canadien-francais qui se contentait d'un repli sur les dimensions culturelles communes aux membres de la nation cana-dienne-francaise. De plus, au fur et ä mesure que les Québécois vont obtenir un certain succěs économique, ils vont se définir comme compétents. Une competence qui va venir renforcer le nationalisme en lui servant de soutien. Des succěs sont en grande partie attribuables aux institutions de soutien économique créées par l'État québécois. En résumé, la transformation majeure du nationalisme s'organise comme le passage d'un nationalisme culturel vers un nationalisme politique. Un nationalisme qui va avoir un impact majeur sur la suite du développement de la question nationale. Děs lors, emerge la pos-sibilité d'une eventuelle indépendance nationale du Québec qui verra, ä la fin des années soixante, apparaltre le Mouvement Souveraineté Association et le Rassemblement pour ľlndépendance nationale. Deux partis politiques qui s'avéreront des acteurs poli-tiques importants. On pourrait dire qu'ä la suite de la Revolution tranquille, les Canadiens francais voient leur nationalisme se transformer et passer d'un nationalisme culturel ä un nationalisme politique. Un nationalisme politique qui s'est grandement appuyé sur la mise en place de l'État-Providence. Plus encore, ce nationalisme politique n'est plus celui des Canadiens francais, mais celui des Québécois. L'ACTION NATIONALE • 75 Conclusion Du nationalísme canadien-francais au nationalisme québécois, on est passé ďun nationalisme culturel á un nationalisme politique. Le nationalisme québécois, ce fruit d'un long travail de ľhistoire, vient-il ä contresens de ľhistoire ? Aprěs múre reflexion, il me semble que cette question peut paraítre interessante ä premiére vue. Elle mérite qu'on la nuance et qu'on ľinterroge. Le nationalisme est-il un mou-vement rassembleur, porteur d'une identite collective? Ainsi: «Le lien identitaire représenté par le nationalisme est peut-étre davantage porteur d'avenir sur le pian d'une refondation du lien social que ne ľest la poursuite individualiste des droits, plus spontanément asso-ciée ä la dynamique de la modernitě que ne le sont les relents de traditionalisms que porterait avec lui le nationalisme»15. ♦ 15-Jacques Beauchemin, "Nationalisme québécois et crise du lien social-, in Les cahíers de recherche sociologtque, no 25, automne 1995. Pour aider á lire le present et á imaginer ľavenir Les Cahiers cľhistoire du Québec au XXe siede Revue semestrielle (printemps-automne) organe du Centre de recherche Lionel-Groulx Abonnement annuel: 35 $ ; le numero 19,95 $ Telephone: (418) 643-5150 ou 1 800 561-3479 Diffuseur: Les Publications du Québec 76 • ĽACTION NATIONALE ĽHistoire ä la television Yannick Proulx1, Louis-Martin McArdle2 En ľautomne 1997, le Conseil de la Radiodiffusion et des Telecommunications canadiennes (CR.T.C) recevait les demandes de différents groupes et organismes pour de nouvelles chalnes télévisées dans le secteur Histoire. Deux groupes ont fait une demande officielle pour un réseau consacré ä 1'Histoire: la Société Radio-Canada et les réseaux Premier-Choix et Alliance Communications. Nous croyons que la Société Radio-Canada ferait une utilisation dangereuse de son permis. Depuis ľarrivée au pouvoir du Parti liberal du Canada, vous savez comme nous que la ministře du Patrimoine canadien, madame Sheila Copps, a fait plusieurs interventions pour promou-voir 1'unité canadienne, dont plusieurs dans les sociétés d'État. Nous estimons plus que probable que Radio-Canada utiliserait un réseau d'Histoire pour faire la promotion du Canada. D'autant plus que ľon prévoít un vaste programme de diffusion ďémissions tirées de cette chaíne dans les écoles. Ce qui signifie que les jeunes Québécois seraient soumis ä une histoire ne reflétant pas la realite québécoise mais plutôt le point de vue canadien et tněme federalists. Nous doutons que ces emissions soent objectives et nous craignons que les faits historique> scient 1. President du Pani québécois, circonscription de Marquette f Lachine; 2. Representant jeuncssc du Parti québécois, circonscription de Marquette (Lad ĽACTION NATIONALE • 77