1925-1971 Claude Gauvreau Né en 1925, Claude Gauvreau étudie au College Sainte-Marie, puis ä l'Université de Montreal oů il termine un baccalauréat en Philosophie. II commence ä écrire děs 1944 et signe le manifeste Refus global. II devient par la suite un ardent défenseur de ľau-tomatisme. Plus tard, il fait jouer ses premieres pieces radio-phoniques, dont quelques-unes sont écrites en collaboration avec Muriel Guilbaulť, dont il était amoureux. Le suicide de cette femme produit un effet dévastateur sur Gauvreau et il séjourne plusieurs fois dans un hôpital psychiatrique. II écrit néanmoins une ceuvre composée de poěmes, ďun román, de textes radio-phoniques et dramaturgiques. Ä partir de 1967, ľauteur travaille ä ses CEuvres créatrices completes qui ne verront le jour qu'en 1977, plus de six ans aprěs son suicide. Á Portrait: Claude Gauvreau (Montreal, Bibliothěque nationale du Québec). Comedienne et auteure d'ceuvres dramatiques pour la radio (1922-1952), Guilbault a créé le personnage de Marie-Ange dans Tit-Coq, la piece de Gélinas. Elle était con-sidérée comme ľune des meilleures comediennes de sa generation. La charge de ľorignal épormyable — 1956 « Je suis innocent. Je ne reconnais pas la competence des juges intéressés... » Ecrite en 1956, La Charge de ľorignal épormyable sera lue en public douze ans plus tard, et jouée pour la premiére fois en 1970. La representation sera interrompue au deuxieme acte, les acteurs refusant de jouer devant un public compose de seize spectateurs. La piece est finalement representee au theatre du Nouveau Monde (TNM), en 1974, dans une mise en scéne de Jean-Pierre Ronfard (»> p. 330). Aprés avoir chante sur le mode surrealisté ľamour fou dans Beauté baroque (1952), Gauvreau dénonce ici la perversion et le sadisme de la société. Cette derniére enferme a double tour le créateur, éternel marginal, le reléguant ä ľasile. Acte II LAURA PA. — C'est un hystérique. MYCROFT MIXEUDEIM. — C'est malgré moi. On me coupe du monde. C'est malgré moi. On me fait un proces. Des justiciers ridicules, élus par eux-mémes, me font un proces. Des moralisateurs insincěres se 5 reconnaissent le droit de me juger. Des conformistes drapes me jugent, profitant de ma lethargic Procuste m'a jugé, m'a condamné. Procuste inquisiteur, Procuste vaniteux et impotent et suiveur et sournoisement envieux. Le jugement de celui qui ne sait pas faire et qui ne sait qu'essayer ďempécher ľautre de faire ! Celui qu'on déprime et qui déprime ! Procuste 10 empereur ! Les ongles ont inscrit sur ma face le signe du mépris : sillons du pouilleux-purulent! Mais il y a des dentelles roses. II y a la paix de ces jambes souples qui ne refusent pas de s'entrouvrir. Courroucé ! le vaincu est courroucé ! On ľa frappé dans sa poignée de chair sensible. Le dogue mon-tre les dents ; il est un chat-chien qui fait pleuvoir du crachat. Et pendant 15 ce temps, les travailleurs marchent calmement. Le labeur abouti tisse une couverte sur 1'univers existant. Les amoureux, main dans la main, se noient dans la pelure nacrée ďune lumiěre. Je suis innocent. Je ne reconnais pas la 233 culpabilité qu'on m'impose de force. Je ne reconnais pas la competence des juges intéressés. Je ne reconnais pas ľamour des assassins guétrés de stupi- 20 dité. Je ne reconnais pas la lucidité des vengeurs qui n'ont rien com-pris. Le lac-bolide fuse, ondée ver-ticale et parabolique! LAURA PA. — Cest un hys-25 térique. LONTIL-DÉPAREY. — Hysterie conversante. MYCROFT MIXEUDEIM. — Dérision. II n'y a pas de commune 30 mesure entre la densité et la tiěde sagesse. Oh oh ! la robe verte a des charmes en forme de glands. Pustules-bonté ! On a vole le manuscrit. Pour qu'il ne puisse pas 35 rouspéter, on a pris son ceuvre comme otage. « Tais-toi, pendant que nous ferons les cons ; sinon, nous saccagerons ton bien ». Le léthargique se meurt, et on ľaide ä 40 mourir. Parfois, on a besoin de lui et on souhaite qu'il meure un peu plus tard. Cest rare. D'oü vient la léthargie ? Qui ľa souhaitée secrě-tement, et en a fait une flěche flui-45 dique ? Qui a englué le corps ďune couche de farine mouillée ? Qui l'a voulu ? Qui ľa laissé faire ? Qui ľa approuvé ? Des diamants rient ä gorge déployée dans les 50 vitrines. Main tenant les drapeaux ont des queues de misěre. Derriěre tout blane. Noces lyriques de ľado-lescence. Mariage illegal de la maturite. Synthese coriace de la 55 decadence. Désarmement obliga-toire. Les caves jubilent ! Les mijaurées se donnent du plaisir, le but est atteint! Les allies se pro-sternent, baisent leur propre futi-60 lité. « II faut les baillonner ! » « Rappelons-lui ses injustices ! » Les pleutres armés de pleutrerie montent ä l'assaut du lion éerasé. Des guirlandes ďhosťies jettent une note de bleuätre dans le ciel tranquille. Les hommes se donnent la main. Les femmes se don-65 nent le pouce. Un univers se lěve sur une aurore courbe. LAURA PA. — II est hystérique, incontestablement. Je le vois main-tenant. BECKET-BOBO. — Cest un hystérique. Á Gordon Rayner (né en 1935), Hommage ä la Revolution francaise, 1963 (huile et acrylique sur bois, 179,1 X 114,3 cm Toronto, Musée des beaux-arts de ľOntario). 234 4. De la liberation ä la Uberte. 7. Le theatre : realisme et automatisme. GAUVREAU. M. J. COMMODE. — Cest un hystérique. 70 LONTIL-DÉPAREY. — Cest un hystérique. Acte IV MYCROFT MIXEUDEIM. — (Mourant.) Ľormelladbelsan croise vic-torieusement le fer avec des fleurs aux pustules jaunes. Des sourires de ^ bravade entrouvent le guichet des biftecks aux rainures mordorées. Il n'y a 75 pas de fraternel, il n'y a pas ďému réchauffant. Le glauque et la pénombre ' annoncent le triomphe de ce qui est tramé dans ľacier. Les coudes sont ser-rés, les coudes des mordicités. Lhorrible plane et déverse sa lumiére, il n'y a pas d'entrailles d'arborescences de verre, je n'en vois pas. Tout a été occis de ce qui réverbérait du clair. L'espoir est tranche et ses tranches ont la minceur 80 de l'invisible. Ceci a la similitude de la mort dans le vil. Et pourtant... rés-. s cacor dibitlef théosmune. A travers des boréalités de névés-dentelures, un V charme plus jeune que moi semble rallier des poignées d'idéal. Un nombril de brume, dans le trés loin d'un prophétique fumet, fait penser ä des cceurs hachés regroupés. II y a le surlendemain inespéré aprěs le demain du triom-85 phe du glapir. Semblent foisonner, dans ľimmémorial du futur, sur la pente de la revanche, les uniformes des orange justiciers. Phinncouxlix, l'abreuvoir miroitant d'une beauté impensée. Le possible est tue, mais une goutte de sang, échappée sur la terre, a la discrete racine d'un germe phosphorescent. La liberté naítra, corps adulte accouché par ľinfiniment petit piétiné. Le ' - 90 grossier a des membres, le grotesque a des bras ; reel sans lourdeur appre- ciable, reel inapercu que l'on neglige. Ce qui n'a pas été vu, ce qui ne sera pas vu facilement grossira sous forme de soleil. Les armées du désir purifi-ant, panorama intangible d'une précursion intuitive. Fédralbor turiptulif, corne de muse agrippée au cosmos. Libualdivane, drétlôdô cammuef; 95 ľélixir des archanges toisonne au fond des crétes. Liberté-rides aqueuses... Mycrofi Mixeudeim meurt. GAUVREAU, Claude, Qiuvres créatrices completes, © parti pris, 1977, p. 85-87, 206-207. LECTURE MÉTHODIQUE 1. Par ľétude du champ lexical, plus particuliěrement judi- 3. Ä partir du langage et des images dont le poete se sert, ciaire, du mythe de Procuste, montrez comment le poete expliquez comment, progressivement, le sens des mots est Mycroft Mixeudeim prodáme son innocence. sapé par leur sonorité pour devenir du pur son. 2. En pensant au suicide de Gauvreau, commentez cette phrase de Laura Pa :« il faut le suicider » (Claude Gauvreau, CEuvres créatrices completes, ibid., p. 206). 235 Michel Tremblay Michel en quéte d'un « metier » Michel Tremblay est né sur le plateau Mont-Royal, ä Montreal. II quitte ľécole en onziěme année pour entreprendre des études ä ľlnstitut des arts graphiques. De 1964 ä 1966, il pratique comme son pere le metier de typographe ä ľlmprimerie judi-ciaire. Peu apres, il est magasinier au departement des costumes ä Radio-Canada. La bombe des ße//es-Soeurs Ä la merne époque, il commence ä écrire et ä publier des con-tes et des pieces de theatre. Sa célěbre piece Les ße//es-Soeurs marque un moment important du theatre québécois. Tremblay continue ä écrire pour le theatre, magistralement servi par André Brassard, le metteur en scene auquel son nom est désormais associé. Plus tard, il se tourne vers le roman et signe les « Chroniques du plateau Mont-Royal », dont La grosse femme ďa côté est enceinte et Thérěse et Pierrette á ľécole des Saints-Anges. II s'intéresse également au récit autobiographique. II écrit une comédie musicale, Demain matín, Montreal m'attend (1972), ainsi qu'un livret ďopéra, Nelligan (1990), mis en musique par André Gagnon. Les Belles-Sceurs —1968 < Chus tannée de mener une maudite vie plate !... » Apres avoir gagné un million de timbres-primes, Germaine Lauzon invite ses belles-sceurs et ses voisines h un «party de collage de timbres». D'emblée, comme dans une tragédie gre c que, un choeur de cinq femmes dénonce la « maudite vie plate ». Acte I Pendant ce monologue, Gabrielle Jodoin, Rose Ouimet, Yvette Longpré et Lisette de Courval ont fait leur entrée. Elles se sont installées dans la cuisine sans s'oc-cuper de Marie-Ange. Les cinq femmes se lévent et se tournent vers le public. LES CINQ FEMMES (ensemble). — Une maudite vie plate ! Lundi! LISETTE DE COURVAL. — Děs que le soleil a commence á caresser de ses rayons les petites fleurs dans les champs et que les petits oiseaux ont ouvert leurs petits bees pour lancer vers le ciel leurs petits cris... LES QUAERE AUTRES. — Jme lěve, pis j'prépare le déjeuner ! Des toasts, du café, du bacon, des ceufs. J'ai ďla misěre que ľyable á réveiller mon monde. Les enfants partent pour ľécole, mon mari s'en va travailler. MARIE-ANGE BROUILLETTE. — Pas le mien, y'est chômeur. Y reste couché. LES CINQ FEMMES. — Lá, lá, j'travaille comme une enragée, jusqu'ä midi. J'lave. Les robes, les jupes, les bas, les chandails, les pantalons, les can-ne^ons, les brassieres, tout y passe ! Pis frotte, pis tord, pis refrotte, pis 4. De la liberation a la Uberte. 7. Le theatre : realisme et aittomatisme. TREMBLAY. rince... C'ťécceurant, j'ai les mains rouges, j'ťécoeurée. J sacre. Á midi, les enfants reviennent. Ca mange comme des cochons, 9a revire la maison a 15 l'envers, pis 9a repart! Ľapres-midi, j'étends. Ca, c'est mortel! J'hai's 9a comme une bonne ! Aprěs, j'prépare le souper. Le monde reviennent, y'ont Fair bete, on se chicane ! Pis le soir, on regarde la television ! Mardi! LISETTE DE COURVAL. — Děs que le soleil... 20 LES QUATRE AUTRES FEMMES. — J'me lěve, pis j'prépare le dejeuner. Toujours la méme maudite affaire ! Des toasts, du café, des oeufs, du bacon... J'réveille le monde, j'les mets dehors. La, c'est le repassage. J'travaille, j'travaille, j'travaille. Midi arrive 25 sans que je le voye venir pis les enfants sont en mau-dit parce que j'ai rien prepare pour le diner. J'leu fais des Sandwichs au balone. J'travaille toute ľapres-midi, le souper arrive, on se chicane. Pis le soir, on regarde la télévison ! Mercredi! Cest le jour 30 du mégasinage ! J'marche toute la journée, j'me donne un tour de rein ä porter des paquets gros comme 9a, j'reviens a la maison crevée ! Y faut quand méme que je fasse ä manger. Quand le monde arrivent, j'ai fair bete ! Mon mari sacre, les 35 enfants braillent... Pis le soir, on regarde la television ! Le jeudi pis le vendredi, c'est la méme chose ! J'm'esquinte, j'me désáme, j'me tue pour ma gang de nonos! Le samedi, j'ai les enfants dans les jambes par-dessus le marché ! Pis le soir, on regarde la télévi- 40 sion ! Le dimanche, on sort en famille : on va souper chez la belle-mére en autobus. Y faut guetter les enfants toute la journée, endurer les farces plates du beau-pěre, pis manger la nourriture de la belle-mere qui est done meilleure que la mienne au dire de tout 45 le monde ! Pis le soir, on regarde la television ! Chus tannée de mener une maudite vie plate ! Une maudite vie plate ! Une maudite vie plate ! Une maud... 'devient normal. Elks se rassoient brusquement.) TREMBLAY, Michel, Les Belles-Sosurs, Montreal, Leméac, 1972, p. 22-24. A Jean Dallaire (1916-1965),.M>, 1957 (huile sur masonite, 183,2 X 91,2 cm; Quebec, Musée du Québec; photo Patrick Altman). LECTURE HETHODIQUE 1. Par quels precedes stylistiques et dramatiques 1'auteur parvient-il á exprimer belles-sceurs? 2. Analysez la fonction du chceur dans ce texte. ľennui, ľécceurement des 237 « Maudit cul! Ah ca, y le disent pas dans les vues par exemple !... » \ Rose Ouimet termine brutalement un « placotage » sur les vertus et les vices des films francais et anglais, en parlant de sa vie qui est loin d'etre du cinema. Deuxiěme acte (Projecteur sur Rose Ouimet.) ROSE OUIMET. — Oui, la vie, c'est la vie, pis y a pas une crisse de vue francaise qui va arriver ä décrire ca ! Ah ! c'est facile pour une actrice de faire pitié dans les vues! J'cré ben ! Quand a'ľa fini de travailler, le soir, a rentre dans sa grosse maison de cent mille piasses, pis a se couche dans son lit deux 5 fois gros comme ma chambre ä coucher ! Mais quand on se reveille, nous autres, le matin... (Silence.) Quand moé j'me reveille, le matin, y'est tou-jours la qui me r'garde... Y m'attend. Touš les matins que le bonyeu em-měne, y se reveille avant moé, pis y m'attend ! Pis tous les soirs que le bonyeu emměne, y se couche avant moé, pis y m'attend ! Y'est toujours la, y'est tou- 10 jours aprés moé, collé apres moé comme une sangsue ! Maudit cul! Ah ! ca, y le disent pas dans les vues, par exemple ! Ah ! non, c'est des choses qui se disent pas, 5a ! Qu une femme soye obligée ďendurer un cochon toute sa vie parce qu a ľa eu le malheur ďy dire « oui » une fois, c'est pas assez interessant, ca ! (Silence.) J'ľai-tu assez r'gretté, mais j'ľai-tu assez r'gretté. J'arais 15 jamais dů me marier ! J'arais du crier « non » ä pleins poumons, pis rester vieille fille ! Au moins, j'arais eu la paix ! C'est vrai que j'étais ignorante dans ce temps-lä pis que je savais pas c'qui m'attendait! Moé, ľépaisse, j'pensais rien qua « la Sainte Union du Mariage » ! Faut-tu étre bete pour élever ses enfants dans l'ignorance de méme, mais faut-tu étre béte ! Ben, moé, ma 20 Carmen, a s'f'ra pas poigner de méme, ok ? Parce que moé, ma Carmen, 9a fait longtemps que j'y ai dit c'qu'y valent, les hommes! Ca, a pourra pas dire que j'ľai pas avartie ! (Au b ord des larmes.) Pis a finira pas comme moé, ä quarante-quatre ans, avec un p'tit gars de quatre ans sur les bras pis un écoeurant de mari qui veut rien comprendre, pis qui demande son du deux 25 fois par jour, trois cent soixante-cinq jours par année ! Quand t'arrive a qua-rante ans pis que tu t'aparcois que t'as rien en arriére de toé, pis que t'as rien en avant de toé, 9a te donne envie de toute crisser la, pis de toute recom-mencer en neuf! Mais les femmes, y peuvent pas faire 9a... Les femmes, sont pognées ä'gorge, pis y vont rester de méme jusqu'au boute ! {Éclairage general.) TREMBLAY, Michel, Les Belles-Sceurs, Montreal, Leméac, 1972, p. 101-102. LECTURE MÉTHODIQUE VERS LA DISSERTATION 1. Montrez comment s'opposent ici le cinema et la « vraie En pensant ä Tit-Coq, ä Un simple soldát et aux Belks-Soeurs, ana-vie » de Rose Ouimet. lysez comment ces pieces mettent en cause un aspect spécifi- 2. Expliquez comment Rose Ouimet fait le proces du mari et que de la famille. du mariage. 238 Marcel Dube Un theatre populaire Né ä Montreal, Marcel Dube étudie au College Sainte-Marie : de 1943 ä 1951. Avant la fin de ses études, il fonde une troupe ■ de théätre, La Jeune Scéne, avec Guy Godin, Robert Rivard et Monique Miller. Présentée en 1953, Zone lui vaut le premier prix du Festival national dramatique. Avec Dube, théätre et television C s'amalgament, la plupart de ses pieces étant concues pour la television. D'une trěs grande fécondité (quarante-deux pieces .-i- • - ".'< écrites entre 1952 et 1962), ce dramaturge introduit au théätre le milieu populaire québécois, précédant en cela Michel Tremblay. Drames bourgeois Avec les années I960, devant ľémergence du joual dans le théätre de Tremblay, la dramaturgie de Dube prend une nouvelle orientation sociologique : eile se tournera vers le dráme bourgeois. Au cours de cette perióde, ľauteur écrira ses pieces les plus caractéristiques: Les ßeaux Dimanches, Au retour des oies blanches. Récipiendaire du prix David pour ľensemble de son oeuvre en 1973, il obtient également le prix Molson en 1984. Lors de la soirée des Masques, en novembre 1995, le milieu théätral lui rend un hommage particulier. Dube est actuellement secrétaire-adjojnt ä la francophonie, au Conseil de la langue francaise. í y Ün simple soldát — 1957 « Je suis un bon-ä-rien... » Revenu de ľarmée, ä la fin de la Seconde Guerre mondiale, le « simple soldát» Joseph Latour est profondément revolte contre Bertha, sa belle-mere. II vient d'avoir un accident de voiture, dont son pere couvre les dommages par un emprunt. Aprés s'étre dispute pour la premiere fiois avec son pere, le « bon-ä-rien » quitte le foyer familial pour s'enrôler de nouveau dans ľarmée. U mourra ä la guerre de Corée. Quatriéme acte, scene XX Quelques secondes plus tard. Le living-room est sombre. Edouard y est assis, seul. Entre Joseph dans la rue du côté droit. Iltitube et continue de chanter: « T'as perdu ton innocence... ».Ä plusieurs reprises, il risque de s'effrondrer sur le trottoir. Ilse rendjusqu'auperron avec beaucoup de dijficulté. Dans le living-room, Upere se Uve des qu'il entend la voix de Joseph. II se tient debout, tres droit, immobile pres de ľentrée du vestibule. Joseph réussit ä ouvrir la porte etpénétre ä ľintérieur de la maison. Et comme il va passer au living-room en chantant, il trébuche et tombe par terre juste aux pieds dEdouard. U cesse de chanter pour éclater de rire. Mais son rire se fige lorsquil découvre les pieds de son pere prés de lui. S'agrippant auxjambes dEdouard, tant bien que mal, il commence ä se Uver. JOSEPH, enfin debout. — B'soir p'pa... B'soir p'pa. Son pere le regarde et ne répondpas. 4. De la liberation ä la Uberte. 7. Le theatre : realisme et automatisme. DUBE. JOSEPH. — Tu pourrais me dire bonsoir le pere ! Cest vrai! Je suis poli, moi! Tu pourrais étre poli, toi aussi!... Penses-tu que je suis surpris de te voir ? Je suis pas surpris une miette !... Je savais que tu serais debout, je 5 savais que tu m'attendrais... Je ľai dit ä Emile, tu peux lui demander ; j'ai dit: Emile, je te gage cent piastres que le pere va m'attendre. Eveillépar les voix, Armandparait dans saporte de chambre. IIfait de la lurniere. JOSEPH. — Armand aussi, je le savais ! Je savais que vous seriez pas capables de vous endormir avant que j'arrive. Je me suis pas trompe, je me suis pas trompe, le pere. On aurait dit que c'était tout arrange d'avance. 10 Ouais ! Parce que vous deviez avoir häte de savoir si j'allais apporter mes quarante piastres... Parlez ! parlez, maudit!... Dites quelque chose ! Restez pas la, la bouche ouverte comme des poissons morts. Vous m'attendiez ou bien vous m'attendiez pas ? BERTHA, qui parait ä son tour dans sa porte de chambre. — Qu'est-ce que 15 t'as á crier comme ca toi ? As-tu perdu la boule ? Veux-tu réveiller toute la rue ? JOSEPH. — Toi, je ťai pas adressé la parole, Bertha. Rentre dans ta chambre et dis pas un mot. La, je suis en conference avec le pere et Armand. ARMAND. — On parlera de tes affaires demain, Joseph. II est trop tard pour discuter de ca, ce soir. 20 JOSEPH. — Trouves-tu qu'il est trop tard, le pere ? T'étais lä, debout cómme un brave, quand je suis rentré ! Trouves-tu qu'il est trop tard ? \ BERTHA. — Armand a raison, va te coucher, espěce d'ivrogne ! j JOSEPH. — Certain qu'Armand a raison. II a toujours eu raison le p'tit .-gars ä sa mere ! (II fonce en direction de Bertha.) Certain que je suis rien 25 qu'un ivrogne !... Mais j'ai pas ďordres ä recevoir de toi, la grosse Bertha. T'es pas ma mere ! Tu seras jamais une mere pour moi. BERTHA. — Je voudrais pas avoir traíné un voyou comme toi dans mon ventre ! JOSEPH. — J'aime autant étre un voyou, Bertha, et pouvoir me dire 30 que ta fille Marguerite est pas ma vraie sceur. BERTHA. — Touche pas ä Marguerite ! JOSEPH. — Si c'était une bonne fille comme Fleurette, j'y toucherais pas, mais c'est pas une bonne fille... Je sais ce quelle est devenue Marguerite, tout le monde de la paroisse le sait, et si tu le sais pas toi, je 35 peux te l'apprendre. ARMAND. — Marguerite est secretaire dans une grosse Compagnie, laisse-la tranquille. JOSEPH. — Si Marguerite est secretaire, moi je suis premier ministře ! La vérité va sortir de la bouche ďun ivrogne, de la bouche ďun 40 voyou, Bertha. En quatre ans, ta fille Marguerite a fait du chemin, Bertha. Ca lui a pris quatre ans mais eile a réussi. Elle a jamais été secretaire de sa maudite vie par exemple ! Mais fille de vestiaire, ah ! oui ! Raccoleuse dans un club ensuite, ah ! oui ! certain ! et puis maintenant, eile gagne sa vie comme putain dans un bordel. 45 BERTHA, me. — Mets-le ä la porte, Édouard, mets-le ä la porte ! JOSEPH. — Pas dans un bordel de grand luxe ! Mais dans tout ce qu'on trouve de plus « cheap » rue De Bullion. ARMAND. — Repete plus 9a, Joseph, repete plus jamais ca ! Armand léve la main mais Joseph le repousse violemment. JOSEPH. — Essayez de me prouver que c'est pas vrai si vous étes capa-50 bles, essayez ! Bertha s'enferme dans sa chambre avec furie. ARMAND. — Y est devenu dangereux, le pere, reste pas avec lui, écoute-le plus. 231 LECTURE MÉTHODIQUE 1. Joseph se sent trahi par le second mariage de son pere. Analysez les termes et les causes du conflit qui oppose Joseph ä Bertha. 2. Relevez les différents types de provocations que Joseph, révolté, lance ici aux membres de sa famille. Et il entre lui aussi dans sa chambre apeuré. JOSEPH. — La non plus, tu dis rien, le pere ? C'est parce quelle a honte, Bertha, quelle va se cacher. Tu ľas vue sa honte montér dans son vi- 5 sage ? L'as-tu vue ?... Je gagerais n'importe quoi avec toi quelle le savait pour Marguerite. Quelle ľa toujours su... Tu dis rien ? Ca ťest égal ? Je te comp rends un peu ! C'était pas ta fille aprěs tout!... Parle ! Parle done ! Tu le dis pas pourquoi t'es reste debout a m'attendre ? Es-tu comme eux autres, toi aussi ? As-tu peur de voir la vérité en pleine face ?... La vérité, c'est que D j'ai pas tenu ma promesse, le pere ! La vérité, c'est que j'ai bu la moitié de ma paye et que j'ai flambé le reste dans une barbotte !... Es-tu content ? Es-tu content, la ?... Et puis 9a, c'est toi qui l'as voulu, le pere ! C'est de ta faute. Rien que de ta faute. T'avais seulement qua pas me faire promettre. T'avais seulement qua pas me mettre de responsabilités sur les épaules. j T'avais rien qua me laisser me débrouiller tout seul, y a deux mois, quand je me suis retrouvé a ľhôpital avec ma jambe cassée... Tu devrais pourtant étre assez vieux pour savoir qu'on rend pas service ä un gars comme moi. Qu'un gars comme moi, c'est pas fiable pour cinq « cennes » !... Tu le savais pas, ca ? Tu le sais pas encore ? Réveille-toi! Réveille-toi done ! Je m'appelle ) pas Armand, moi, j'ai pas ďavenir, j'ai pas de « connection », j'ai pas de protection nulle part! Je suis un bon-ä-rien, un soldát manqué qui a seulement pas eu la chance d'aller crever au front comme un homme... Parle ! C'est ton tour, Christ! Parle ! [...] ÉDOUARD. — Je te parlerai pas longtemps, je te crierai pas par la téte 5 non plus, je suis un peu plus civilise que toi. JOSEPH. — Tu vois ? Tu commences ä prendre des détours. Qu'est-ce que ca donne de passer par quatre chemins ? EDOUARD. — Ferme ta gueule ! JOSEPH. — Tu cries autant que moi aussi ! Ca sert ä rien, tu peux pas ) t'empecher de me ressembler. Fleurette parait dans le living-room. EDOUARD, fait un autre pas vers Joseph. — Si j'ai erié c'est parce que c'est la seule facon de te faire comprendre. Je m'apercois que t'as pas grand-chose au fond de la caboche mon p'tit gars... La premiere chose que tu feras quand je t'aurai parle, ce sera de passer la porte. Et on espěre s tout le monde qu'on te reverra plus. Le seul souvenir qui va rester entre toi pis moi c'est l'emprunt que j'ai fait et que t'as pas été capable de respecter. Ä chaque fois que tu feras comme hier, que tu rencontreras pas tes obligations, je me rendrai ä la Caisse Populaire moi-méme, les ren-contrer ä ta place. Mais pas parce que je continue de te considérer encore ) comme mon garcon, 9a c'est fini, pour moi t'es plus personne ; mais parce qu'un jour j'ai fait la folie de penser que tu pouvais agir comme un homme. Et puis parce que, jeune, j'ai appris ä étre honnéte, ä respecter mes engagements. Parce que je me suis rendu compte qu'Armand pis Bertha ont toujours eu raison de dire que ťétais un sans-cceur et un rate. 5 C'est tout, j'ai fini ! JOSEPH. — C'est comme ca que je t'aime, le pere. Un bon boxeur co-gnerait pas mieux que toi. // tourne le dos ä Édouard, va ramasser sa vareuse de soldát et fait face de nou-veau ä son pere. JOSEPH. — C'est tout ce que je prends comme bagage... (A Bertha.) Le reste de mon linge, tu le vendras aux pauvres qui passent, Bertha. DUBÉ, Marcel, Un simple soldát, Montreal, © TYPO, 1993, p. 124-127, 131. 232