Roman québécois Romanciers I. n Hubert Aquin, n Jean Basile, n Gérard Bessette, n Marie-Claire Blais, n Roch Carrier, n Réjean Ducharme, n Jacques Ferron, n Roger Fournier, n Jacques Godbout, n Anne Hébert, Romanciers II. n Gilbert Choquette, n Claude Jasmin, n André Langevin, n André Major, n Louise Maheux-Forcier, n Suzanne Paradis, n Jacques Renaud, n Yves Thériault, n Michel Tremblay. Roman engagé / en joual Gérard Bessette – La bagarre (1958) Gérard Bessette – Le libraire (1960) Hubert Aquin – Prochain épisode (1965) Hubert Aquin – Trout de mémoire (1968) Jacques Renaud – Le cassé (1964, plutôt recueil de nouvelles) André Major – Le cabochon (1964) Claude Jasmin - Pleure pas, Germaine (1965) Roman engagé n Roch Carrier – La guerre, yes sir! (1968) n Roch Carrier - Floralie, ou es-tu? (1969) n Jacques Godbout – L’aquarium (1962) n Jacques Godbout – Le couteau sur la table (1965) n Jacques Godbout - Salut Galarneau! (1967) n Claude Jasmin – La corde au cou (1960) n Claude Jasmin – Ethel et le terroriste (1964) n Jacques Ferron – La charrette (1968) Roman de la transgression n Réjean Ducharme – Avalée des avalés (1966) n Réjean Ducharme – Le nez qui voque (1967) n Réjean Ducharme – L’océantume (1968) n Réjean Ducharme – La fille de Christophe Colomb (1969) n Marie-Claire Blais – Une saison dans la vie d’Emmanuel (1965) n Marie-Claire Blais – David Sterne (1967) n Marie-Claire Blais – Manuscrits de Pauline Archange (1968) n Marie-Claire Blais – Vivre! Vivre! (1969) n Marie-Claire Blais – Apparences (1970) ... De la transgression Victor-Lévy Beaulieu – Race de monde! (1969) Victor-Lévy Beaulieu – La Nuitte de Malcolm Hudd (1969) Victor-Lévy Beaulieu - Jos Connaissant (1970) Jacques Ferron – Le ciel de Québec (1968) Roman du dépassement n Gérard Bessette – L’incubation (1965) n Gérard Bessette – Le cycle (1971) n Claude Jasmin – Et puis tout est silence (1960) n Claude Jasmin – La petite patrie (1972) n Anne Hébert – Kamouraska (1973) n Hubert Aquin – Antiphonaire (1969) n Jean Basile – La jument des Mongols (1964) n André Langevin – L’Elan d’Amérique (1972) n Jacques Ferron – L’Amélanchier (1970) n Jacques Ferron – La chaise du maréchal Ferrant (1972) n Michel Tremblay – La cité dans l’oeuf (1969) n Yves Thériault – Le Temps du Carcajou (1965) n Yves Thériault – Tayaout, fils d’Agaguk (1969) Réjean Ducharme: L’avalée des avalés (1966) n Tout m'avale. Quand j'ai les yeux fermés, c'est par mon ventre que je suis avalée, c'est dans mon ventre que j'étouffe. Quand j'ai les yeux ouverts, c'est par ce que je vois que je suis avalée, c'est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mere. Le visage de ma mere est beau pour rien. S'il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent `a rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespere. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j'aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n'y a plus assez d'air tout `a coup, mon cœur se serre, la peur me saisit. n L'été, les arbres sont habillés. L'hiver, les arbres sont nus comme des vers. Ils disent que les morts mangent les pissenlits par la racine. Le jardinier a trouvé deux vieux tonneaux dans son grenier. Savez-vous ce qu'il en a fait ? Il les a sciés en deux pour en faire quatre seaux. Il en a mis un sur la plage, et trois dans le champ. Quand il pleut, la pluie reste prise dedans. Quand ils ont soif, les oiseaux s'arretent de voler et viennent y boire. L’avalée des avalés – identité troublée n Mon pere est juif, et ma mere catholique. La famille marche mal, ne roule pas sur des roulettes, n'est pas une famille dont le roulement est `a billes. Quand ils se sont mariés, ils se sont mis d'accord sur une sorte de division des enfants qu'ils allaient avoir. Ils ont meme signé un contrat `a ce sujet, devant notaire et devant témoins. Je le sais : j'écoute par le trou de la serrure quand ils se querellent. D'apres leurs arrangements, le premier rejeton va aux catholiques, le deuxieme aux juifs, le troisieme aux catholiques, le quatrieme aux juifs, et ainsi de suite jusqu'au îrente et unieme. Premier rejeton, Christian est `a Mme Einberg, et Mme Einberg l'emmene `a la messe. Second et dernier rejeton, je suis `a M. Einberg, et M. Einberg m'emmene `a la synagogue. Ils nous ont. Ils sont surs qu'ils nous ont. Ils nous ont, ils nous gardent. Mme Einberg a Christian et elle le garde. M. Einberg m'a et il me garde. J'ai mis du temps `a comprendre ça. Ça n'a pas l'air difficile `a comprendre, mais, quand j'étais plus petite, je trouvais que ça ne tenait pas debout, que c'était impossible que mes parents ne puissent pas s'aimer et nous aimer comme je les aimais. L’avalée des avalés – la solitude n Je trouve mes seules vraies joies dans la solitude. Ma solitude est mon palais. C'est l`a que j'ai ma chaise, ma table, mon lit, mon vent et mon soleil. Quand je suis assise ailleurs que dans ma solitude, je suis assise en exil, je suis assise en pays trompeur. Je suis fiere de mon palais. J'ai `a cœur de le garder chaud, doux et resplendissant, comme pour y recevoir des papillons et des oiseaux. Si j'avais plus d'orgueil, j'anéantirais par des meurtres ceux qui compromettent le bien-etre de ma solitude, ceux qui font gronder de la haine dans sa cheminée, ceux qui tendent de la tristesse `a ses fenetres. Je tuerais Einberg et sa femme. Je tuerais Christian et Constance Chlore. Je suis seule. Parfois, je suis absente de mon palais. Alors il y en a qui en profitent pour s'y glisser. Je les chasse, aussitôt que je rentre. Quand quelqu'un est entré dans mon palais, c'est parce que j'ai manqué de vigilance ; et j'en ai honte. C'est dur de mettre Constance Chlore `a la porte, de flanquer Christian dehors. Mais mon palais est trop fragile pour que je puisse y recevoir des amis. Quand un ami marche dans mon palais, les murs tremblent, l'ombre et l'angoisse s'engouffrent par les fenetres de lumiere et de silence que chacun de ses pas brise. L’avalée des avalés – le bérénicien n Je hais tellement l'adulte, le renie avec tant de colere, que j'ai du jeter les fondements d'une nouvelle langue. Je lui criais : « Agnelet laid ! » Je lui crids : « Vassiveau ! » La faiblesse de ces injures me confondait. Frappée de génie, devenue ectoplasme, je criai, mordant dans chaque syllabe : « Spétermatorinx étan-globe ! » Une nouvelle langue était née : le bérénicien. J'ai fait des emprunts aux langues toutes faites, de rares. Deux amis qui se sont éloignés l'un de l'autre en foret ne se voient plus et cherchent `a se retrouver, répondent `a l'appel l'un de l'autre par un autre appel. « Nahanni » est un appel `a un appel. Quand Constance Exsangue m'appelle, je réponds : « Nahanni ! », prolongeant les syllabes, isolant les syllabes. Le bérénicien compte plusieurs synonymes. « Mounonstre béxéroorisiduel » et « spétermatorinx étanglobe » sont synonymes. En bérénicien, le verbe etre ne se conjugue pas sans le verbe avoir. Le nez qui voque (1967) - préface n GLANÉ AU HASARD DE LEURS ŒUVRES n POUR L'ÉDIFICATION (ÉRECTION) n DES RACES (D'ÉRASME) n « Ah comme la neige a neigé, n Mon cœur est consumé de givre. n Qu'est-ce que le spasme de vivre __ n A la douleur que j'ai, que j'ai ? » (Emile Nelligan, de mémoire.) n « Ah ! » (Colette.) n « Je me... » (Barrés.) n « Oh ! » (Kierkegaard.) n « Ah ! » (Platon.) n « Sur la... » (Mauriac.) n « Ich... » (Hitler.) n « Ils... ne... la... votre... votre... leur... » (Musset.) n « Ah ! » (George Sand.) n « II fait... » (Gide.) n « Les Messieurs de vos a semblez... » (Iberville.) n « Un estourdi plein de présomption angloise... » (Iberville.) n « Nous rencontrâmes un baleinier Américain qui faisait la peche `a la baleine. » (Léandre Ducharme.) n « L'auteur sollicite l'indulgence pour la qualité de cette production. » (Léandre Ducharme.) n « Le beau n'est pas nécessairement difficile `a faire. Le beau n'est pas nécessaire. Le beau n'est pas. Le beau nez ! » (Auteur imaginaire.) Le nez qui voque (1967) n Quel est celui de ces deux pronoms démonstratifs qui est le meilleur : cela, ça ? Si c'est ça ce n'est pas cela et si c'est cela ce n'est pas ça. n Un ciel de lit regarda un ciel et lui dit : n —Je ne suis pas un ciel de lit. Je suis un ciel. n Un ciel, qui ne voulait pas etre pris pour un ciel de lit par les autres ciels, regarda les autres ciels et leur dit : n —Je suis un ciel. Je ne suis pas un ciel de lit. n Je ne suis pas un homme de lettres. Je suis un homme. Nez qui voque n Le soir de la reddition de Bréda, Roger de la Tour de Babel, avocat au Châtelet, prit sa canne et s'en alla. En 1954, `a Tracy, Maurice Duplessis, avocat au Châtelet, mourut d'hémorragie cérébrale ; célebre et célibataire. J'ai seize ans et je suis un enfant de huit ans. C'est difficile `a comprendre. Ce n'est pas facile `a comprendre. Personne ne le comprend excepté moi. N'etre pas compris ne me dérange pas. Cela ne me fait rien. Je m'en fiche. Moi, je reste le meme. Je ne veux pas aller plus loin : je reste donc arreté. Je ne veux pas continuer car je ne veux pas finir fini. Je reste comme je suis. Je laisse tout, s'avilir, s'empuantir, se dessécher. Je les laisse tous vieillir, loin devant moi. Je reste derriere, avec moi, avec moi l'enfant, loin derriere, seul, intact, incorruptible ; frais et amer comme une pomme verte, dur et solide comme une roche. C'est important comme le diable ce que je dis l`a. C'est tout pour moi. Il faut qu'il y ait quelqu'un avec moi l'enfant, quelqu'un qui le garde ; qui le protege du tragique du monde, qui est ridicule et qui rend ridicule. Je ne peux pas laisser moi l'enfant seul dans le passé, seul présent dans toute l'absence, `a la merci de l'oubli. Je le veille loin derriere. Je veille, le ventre dans toute la cendre, avec des cadavres qui me laissent tranquille, avec tout ce qui est cadavre, seul avec l'enfant moi, seul avec une image dont le tain s'use sous mes doigts. Je ne veux pas changer. En secret, je continue de courir avec mes chiens, de porter la culotte courte, de pecher des tetards avec Ivugivic. Nez qui voque - extraits n Le mot Canada serait né des mots espagnols aca et nada qui signifient : rien ici. Je ne sais pas ou ranger la bicyclette. n L'homme en automobile est l'homme supérieur que Nietzsche appelait. Hélas, cet homme supérieur est plus supermachine que superhomme. Combien une hommiliste ordinaire peut-elle contenir d'automobiles ? Six. J'y reviendrai. Pauvre Mille Milles ! tout dépaysagé, tout désorientalisé, tout désillusionnismisé ! Canada – un territoire fantaisiste n De quoi a-t-il l'air, le Canada, avec la pointe du Maine entrée jusqu'`a Saint-Éleuthere, jusqu'au cœur, jusqu'`a l'eau de la vallée du Saint-Laurent, comme un coin dans une buche ! C'est pire que pire. Qui a vendu la Louisiane, toute la vallée de ce Mississippi que Cavelier de La Salle descendait en canot ? n Mille Milles est de la race des seigneurs. Il ne fera pas d'aplaventrisme devant l'automobilisme. Ce Maine, devant mes yeux, sur la carte ! Quelle horreur ! Ce Labrador en vert couché comme un violeur sur le Québec en blanc ! Qu'il est laid et constipant ce vert ! Aussitôt que j'en aurai le temps, je partirai `a la reconquete du Maine et du Labrador. Au Labrador, il suffira de prendre Goose Bay. Au Maine, il suffira d'incendier Millinocket et Bangor. Patriotisme ironique n Le Français a fini par nous rendre nos bicyclettes. —Merci, nous a-t-il dit. —Bienvenue, lui ai-je répondu `a voix pâle. S'il n'y avait pas de Français de France ici, il n'y aurait pas de cinéma ici. Acclamons le civilisateur. Réjouissons-nous. Il vient ici pour déniaiser les masses qui sont niaises et qui ne savent pas dire con. Lisons. Allons au cinéma. Achetons des livres cochons. Achetons des livres qui se lisent vite. Repoussons l'envahisseur. Débauchons-nous. Marchons les fesses serrées et les pieds en dedans. Portons des pantalons serrés et achetons des automobiles sexuelles. Allons faire un stage `a la Sorbonne. Fréquentons les désuniversités françaises et ayons honte de n'avoir fréquenté que la désuniversité de Montréal. Cachons-nous, si nous n'avons fréquenté qu'une école technique. Laissons-nous pousser la barbe et ne la rasons pas. Car ils croiront que nous sommes des désintellectuels quand nous passerons sur le trottoir comme des péripatéticiennes. Repoussons l'Italien, vulgaire profiteur qui ne pense qu'`a sa famille et qui passe son temps `a rire et `a danser avec elle. Employons le mot con. Parlons français. Ne souffrez pas de substitut du mot con. n De quoi a l'air un pissenlit qui se donne des airs de dahlia ? Ce pissenlit a l'air d'un Canadien français qui se donne des airs de héros de films d'avant-garde made in France. Restons en arriere, avec Crémazie, avec Marie-Vic-torin, avec Marie de l'Incarnation, avec Félix Leclerc, avec Jacques Cartier, avec Iberville et ses freres héroiques. Restons en arriere. Restons ou nous sommes. N'avançons pas d'un seul pas.