Les Editions Nota bene remercient le Conseil des Arts du Canada et la SODEC pour leur soutien financier. Nous reconnaissons l'aide financiere du gouvernement du Canada par ľentremise du Programme d'aide au développement de ľ industrie de ľédition (PADIÉ) pour nos activités ďédition. ) Editions Nota bene, 2006 ISBN: 2-89518-229-9 INTRODUCTION Jean Morency, Jeanette den Toonder etJaap Lintvelt II pensait que, dans l'histoire de ľhumanité, la découverte de ľAmérique avait été la realisation ďun vieux réve. Les historiens disaient que les découvreurs cherchaient des épices, de For, un passage vers la Chine, mais Jack n'en croyait rien. II prétendait que, depuis le commencement du monde, les gens étaient malheureux parce qu'ils n'arrivaient pas á retrouver le paradis terrestre. lis avaient garde dans leur tete ľ image d'un pays ideal et ils le cherchaient partout. Et lorsqu'ils avaient trouvé ľAmérique, pour eux c'était le vieux réve qui se réalisait et ils allaient étre libres et heureux. Ils allaient éviter les erreurs du passé. Ils allaient tout recommencer á neuf. Jacques Poulin, ^.:r\- Volkswagen blues. Le vieux réve du paradis et le désir de « recommencer ä neuf » ont longtemps determine ľimage de ľAmérique en littérature. La littérature québécoise, oú, dans les romans des années 1980, les personnages se mettent souvent en route pour les États-Unis, fait preuve ďun développement interessant en ce qui concerne cette recherche du bonheur dans le recommencement. Cest justement par son appartenance au continent américain que la littérature québécoise explore ľimage des États-Unis. Pour mieux determiner sa part de ľhéritage du Nouveau Monde, eile 5 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES jette un regard á la fois critique et admirateur sur ce voisin puissant. Si, d'une part, ce pays incarne le mythe de ľAmérique qui est celui de la liberté et des possibilités infinies, il représente d'autre part, selon les époques, soit ľirnmoralité et le materialisme, soit un univers caracté-risé par le clinquant et le faux-semblant (Rousseau, 1981 ; Morency, 1994 ; Chassay, 1995 ; Nepveu, 1998 et Lemire, 2003). La Californie surtout symbolise ces valeurs negatives d'une société fausse oú seules les apparences importent vraiment. Pour exprimer, en littérature, certe fascination pour ľespace, le voyage et les possibilités de mobilite, le román québécois a emprunté ä ! un genre américain particulier, celui du road book. En effet, le dualisme \ ancien «nomadisme/sédentarité» (Bureau, 1984; Morency, 1994) j se retrouve dans « une large partie de la production romanesque plus j récente qui met souvent en scéne, non plus un coureur de bois, mais un artiste ou un intellectuel qui parcourt le monde á la recherche de : son moi » (Ouellet, Beaulieu et Tremblay, 1997 : 85). Le román de la i route au Québec exprime, comme son prédécesseur aux États-Unis, les | dimensions de ľespace et ľimpression de vitesse depuis ľépoque de j ľautomobile. Au cours du xxe siecle, ce genre classique a donne lieu au genre du road movie, oú les moyens de transport modernes offrent une nouvelle forme de nomadisme (Petillon, 1979). Si les valeurs inhérentes au nomadisme et ä la sédentarité sont liées á ľhistoire particuliére de ľAmérique du Nord, le voyage est évidemment une experience humaine d'une portée universelle, inspi-rant la quéte ď identite personnelle et culturelle des protagonistes. Eric Landowski signále cette double relation que le voyage entretient avec la quéte ď identite culturelle aussi bien qu'avec la recherche ďidentité personnelle: De ce point de vue, toute construction identitaire, toute « quéte de soi», passe par un proces de localisation du monde - du monde comme altérité et comme presence (plus ou moins « présente ») par rapport á soi. Et inversement, toute exploration du monde, tout« voyage », en tont qu 'experience du rapport ä un ici-maintenant sans cesse ä redéfinir, équivaut á un proces de construction duje (Landowski, 1997 : 91). 6 INTRODUCTION Les déplacements ďun pays á ľ autre incitent les protagonistes á comparer les sociétés et les cultures et les aměnent ainsi á réfléchir á leur propre identite culturelle. Sur le plan de ľ identite personnelle, les protagonistes se transforment de sédentaires en nomades, pour entreprendre un voyage identitaire qui les inspire á découvrir leur voie dans la vie. Comme le voyage a longtemps été ľapanage des hommes, la recherche identitaire était également le privilege du sexe masculin. La littérature contemporaine montre que la femme fait de plus en plus la conquéte de ľespace, ce qui transforme d'une maniere importante les romans et les films de la route. Ces genres offrent de plus en plus de reflexions concernant ľ identite sexuée de genre. Ainsi, les road novels et road movies sont eux-memes caractérisés par un mouvement constant qui s'exprime dans la grande varieté des aspects du voyage identitaire élaborés dans les contributions á cet ouvrage, realise sous ľ egide de la Chaire de recherche du Canada en analyse littéraire interculturelle de ľUniversité de Moncton et du Centre ď etudes canadiennes de ľUniversité de Groningen. SUR LA ROUTE. LE VOYAGE IDENTITAIRE DANS LE ROMAN ET LE CINEMA QUÉBÉCOIS La premiére partie de ľouvrage est composée de six textes qui sont consacrés aux principales manifestations romanesques, mais aussi filmiques, du voyage identitaire au Québec. Dans « Un voyage á travers les mots et les images : sur la piste des romans de la route au Québec », Jean Morency, en esquissant un historique et en déga-geant les principales caractéristiques du road movie et du road book américains, propose un survol et une typologie des romans de la route au Québec depuis 1960, qui ont emprunté simultanément aux deux genres. II montre comment, ä partir des romans programmatiques de Claude Jasmin, de nombreux auteurs québécois ont investi les deux 1 grandes tendances (communautaire et individualiste) des genres de la ^ route, proposant du méme coup une version originale de leur propre américanité. Toujours dans la perspective des transferts culturels, 7 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES Ute Fendler s'intéresse pour sa part aux road movies québécois, en montrant de quelle maniere les cinéastes des trente derniěres années en sont arrives á adapter et ä transformer un genre cinématographique associé généralement á ľexpression des valeurs états-uniennes en le soumettant ä leurs propres interrogations identitaires. Les road movies québécois expriment ainsi davantage une reflexion sur le temps qu'ils ne traduisent une experience de ľespace. Les autres textes sont consacrés aux romans québécois qui racontent un voyage du Québec aux États-Unis. Dans « Le voyage identitaire aux États-Unis dans le román québécois », Jaap Lintvelt présente un panorama du voyage identitaire aux États-Unis dans une douzaine de romans québécois publiés aprés 1980 (romans de Gilles Archambault, Madeleine Monette, Jacques Poulin, Jacques Godbout, Monique LaRue, Lise Tremblay, Roch Carrier et Guillaume Vigneault). Si le voyage aměne les personnages á des reflexions sur ľidentité culturelle québécoise, comparée avec celie de la société des États-Unis, le voyage mime aussi souvent revolution de leur identite personnelle. Le voyage entretient done une double relation tant avec la quéte ďidentité culturelle (la vision du Québec confrontée á celie des États-Unis) qu'avec la recherche ďidentité personnelle, impliquant ľ analyse du motif pour le depart ainsi que les effets du voyage américain. Dans « "Fever, fever, forever". La course á ľaventure au feminin dans Le desert mauve de Nicole Brossard », Karin Schwerdtner s'interesse de facon plus spéciíique aux motifs du voyage au feminin et de la femme aventuriére, illustres de facon remarquable dans le roman de Brossard. En analysant les modalités de ľerrance, de la rupture avec autrui et de ľénonciation dans Le desert mauve, Schwerdtner montre comment le personnage de Melanie déconstruit la figure de ľaventurier traditionnel et met en lumiěre les diverses strategies qui sont mises en oeuvre pour dénoncer le code américain de statisme, de mécanisme, de violence et d'intolérance. Pour sa part, Lucie Guillemette s'interesse á la question du voyage dans les romans pour la jeunesse, romans qui lui permettent une sai-sie originale du phénoměne de ľaméricanité. Dans son texte intitule 8 INTRODUCTION « Parole d'adolescente et quéte identitaire : les possibles de ľ Amérique dans les romans pour la jeunesse de Michéle Marineau », eile explique comment se concretise la relation entre le Québec et les États-Unis dans Cassiopée ou ľétépolonais, un roman publié en 1988, done au moment oú ľengouement pour les États-Unis était ä son apogée dans les lettres québécoises. Ä cet égard, il est interessant de noter que le roman de Marineau propose une vision originale de ľexpérience américaine, oü ľaltérité incarnée par les États-Unis n'entretient plus de rapport ďopposition striete avec le merne, c'est-ä-dire avec le Québec. Un texte de Jeanette den Toonder, « Espace littéraire et voyage identitaire dans ľécriture migrante au Québec : Ying Chen, Dany Laferriére et Regine Robin », vient clore cette premiére partie. Dans cet article, ľ exploration de trois oeuvres publiées par des auteurs venus d'ailleurs qui écrivent en francais montre que le voyage identitaire s'effecrue par des déplacements dans ľespace réel aussi bien que par des mouvances intérieures des personnages. Par consequent, le moi se constitue dans un espace doublement determine : ici et ailleurs, réel et imaginaire sont toujours inseparables, merne s'ils donnent lieu á des conflits intérieurs. Une comparaison entre Pays sans chapeau, de Dany Laferriére, L'immense fatigue des pierres, de Regine Robin et Les lettres chinoises de Ying Chen donne ainsi lieu á une reflexion sur le rapport entre le voyage, la migrance et ľécriture. VOYAGEURS ET VOYAGEUSES DE ĽEXTRÉME FRONTIERE, D'ANTONINE MAILLET Ä NANCY HUSTON La deuxiěme partie de ľouvrage nous propose un parcours d'est en ouest, de l'Acadie jusqu'ä ľ Alberta, des écrivains canadiens de langue francaise qui se sont intéressés á la thématique du voyage identitaire. Ä ľinstar de leurs homologues québécois, ces écrivains se sont montrés attentifs á la question du voyage dans ľespace américain, ce qui tend á montrer que ce schéme narratif déborde largement du contexte québécois et de ses interrogations identitaires. Dans « Pélagie-la-Charrette, road epic de l'Acadie », James de Finney nous présente ainsi une variante singuliěre du motif du voyage. Dans le roman d'Antonine Maillet, le voyage dans ľespace américain, 9 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES directement issu de la memoire collective, est celui du retour, qui conduit les Acadiens, dans le sillage de la charrette de Pélagie, « out of America ». En ceci qu'il est le résultat ďun projet conscient d'af-firmation - et non plus de quéte - identitaire, ce voyage éminemment fondateur trouve naturellement son expression dans un récit qui tient davantage de ľépopée que du roman. Ľespace américain y est fonda-mentalement hostile, comme le suggěre le motif recurrent des marais maléfiques que les exiles doivent traverser, et qui tranchent avec les marais apprivoisés de l'Acadie des origines. De fa9on significative, ce caractěre maléfique de ľespace américain se trouve aussi present dans un roman de l'auteur fřanco-ontarien Maurice Henrie, comme le montre bien Francois Pare dans son texte intitule « Une ville lointaine de Maurice Henrie ou le chemin des disparus ». Une américanité sombre, caractérisée par son effrayant pouvoir ďoccultation, se dégage en effet de ce roman, qui questionne le visage anonyme et la circularité mortifěre de ľespace américain. Un peu á ľimage de Pélagie-la-charrette, Une ville lointaine devient une odyssée de la route, mais une odyssée sans espoir de retour, qui débouche sur le deuil et la disparition, sur la déperdition complete de ľétre dans ľespace du continent. Dans « Le "road book" au feminin du xixe siěcle : La saga ď Eveline de Gabrielle Roy», Lori Saint-Martin nous montre au contraire la fascination exercée par le voyage et les grands espaces de l'Ouest dans ľceuvre littéraire de Roy, et tout particuliěrement dans La saga ď Eveline, un roman ďapprentissage au feminin inspire par ľhistoire de la migration de ses grands-parents du Québec vers le Manitoba. Dans ce roman reste inédit, la traversée des grandes plaines constitue pour Eveline le moment d'une extraordinaire liberté, avant qu'elle ne prenne conscience de sa condition de femme, marquee par la souffrance et la captivité. Toujours dans le contexte manitobain, Benoit Doyon-Gosselin se penche sur un autre type de voyage initiatique, bien contemporain celui-lá. Dans son texte intitule « Le soleil du lac qui se couche de J.R. Léveillé : un roman de la (dé)route », il nous explique comment, dans le roman de ľécrivain franco-manitobain, le voyage participe 10 INTRODUCTION activement á la construction d'une veritable identite métisse. Doyon-Gosselin nous montre bien que la route qui mene de Winnipeg á Setting Lake, dans le nord du Manitoba, n'est pas rectiligne et asphaltée, mais sinueuse et cahoteuse, ce qui fait du Soleil du lac qui se couche un roman de la déroute, au sens oü le chemin pour arriver á une meilleure connaissance de soi comporte des tours et des détours. Dans « Errances, identités et écritures : Marguerite-A. Primeau et Nancy Huston », Pamela Sing vient completer ce tableau de la fran-cophonie canadienne en se penchant sur le motif du voyage dans les ceuvres de deux écrivaines qui sont originaires de l'Alberta mais qui sont aussi caractérisées par la déterritorialisation, ni ľune ni ľautre n'affíchant un attachement particulier á leur province natale qu'elles n'habitent plus. Cela dit, Sing montre bien que le roman « albertain » de chacune, Sauvage-Sauvageon de Primeau etLe cantique des plaines de Huston, s'est avéré ľoccasion á la fois de reconnaitre ľimportance des origines et ď en exprimer le rapport problématique, en réfléchissant justement á la nature des déplacements identitaires. AU-DELÄ DE LA ROUTE : JACK KEROUAC, REGINE ROBIN ET LES NOUVELLES FRONTIĚRES Composée de trois textes, la derniěre partie de l'ouvrage propose un élargissement de la problématique du roman de la route et du voyage identitaire. Dans « Au-dela des fřontiěres: sur la route du cosmo-politisme de Jack Kerouac », Jean-Francois Côté se penche sur ľceuvre de ľécrivain d'origine franco-américaine qui, avec On the Road (1957), a propose l'un des prototypes du genre. Mais Côté propose justement d'aborder ce roman dans la perspective du cosmopolitisme plutôt que dans l'optique traditionnelle faisant de Kerouac le representant par excellence du road book. De « roman de la route », On the Road devient ainsi un « roman de la ville », et plus précisément de la ville-métropole, un espace cosmopolite oú le cosmopolitisme prend un visage radicalement nouveau, que résument bien les figures romanesques du vagabond, du clochard, de l'immigrant ou du marginal. 11 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTIT AIRES Simon Harel pousse encore plus loin cette exploration du monde actuel en étudiant un nouveau genre qui modifie touš les paramětres du voyage identitaire, celui du voyage sur le Web. Dans « Resistances du lieu et empiétements du virtuel Les cybermnésies de Régine Robin », il s'intéresse á ľimaginaire de la virtualité, qui permet ďéchapper aux limitations physiques de la territorialité au moyen de la proliferation des espaces mobiles qui caractérisent le monde contemporain. Les écrits récents de Robin, et tout particuliěrement L 'immense fatigue des pierres et Berlin chantiers, sont révélateurs de ce vagabondage cybernétique. Pour finir, dans « Les romans du voyage et la legitimation des déplacements géo-symboliques », Patrick Imbert nous propose un élar-gissement méthodologique, en montrant que le mythe de ľattachement ä la terre comme source et guide herméneutique, celui de territorialité comme source ďidentité et de signification, subit une variation dans les Amériques. Ne validant plus la poursuite orthodoxe du sens unique et profond d'un texte, le discours littéraire aussi bien que le discours des annonces commerciales travaillent actuellement pour transformer leurs lecteurs/audience en producteurs de significations legitimes et multiples. Cependant, les déplacements qui en résultent ne sont pas identiques dans les deux discours. Les annonceurs sont encore conduits par la promotion de leurs services/produits comme solution unique á un probléme percu, tandis que les textes littéraires continuent á multiplier les problěmes ou les resolutions possibles. Les deux discours transforment les identités en images de soi multiples qui transforment les Amériques en espace oú les cartographies culturelles sont les « frontiéres plus récentes ». INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIE Bureau, Luc (1984),Entre I'Eden etl'Utopie. Lesfondements imaginaires de I 'espace québécois, Montreal, Québec/Amérique. Chassay, Jean-Francois (1995), L 'ambiguité aměricaine. Le román québécois face aux Ětats-Unis, Montreal, XYZ éditeur. Harel, Simon (1989), Le voleur deparcours. Identite et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine, Longueuil, Le Preambule. Landowski, Eric (1997), Presences de ľ autre. Essais de sociosémiotique II, Paris, Presses universitäres de France. Lemire, Maurice (2003), Le mythe de ľAmérique dans ľimaginaire « cana-dien », Québec, Editions Nota bene. MoRENCY, Jean (1994), Le mythe américain dans les fictions d'Amérique. De Washington Irving ä Jacques Poulin, Québec, Nuit blanche éditeur. Nepveu, Pierre (1998), Interieurs du Nouveau Monde, Montreal, Boreal. Ouellet, Real, Alain Beaulieu et Mylěne Tremblay (1997), «Identite québécoise, permanence et evolution », dans Laurier Turgeon, Jocelyn Létourneau, Khadyatoulah Fall (dir.), Les espaces de l'identite, Québec, Les Presses de l'Université Laval, p. 62-98. Petillon, Pierre-Yves (1979), La grand-route. Espace et écriture en Amérique, Paris, Seuil. Poulin, Jacques ([1984] 1988), Volkswagen blues, Montréal/Arles, Leméac/ Actes Sud (Babel). Rousseau, Guildo (1981), L'image des États-Unis dans la littérature québécoise (1775-1930), Sherbrooke, Naaman. i LE VOYAGE IDENTIT AIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS J aap Lintvelt Universitě de Groningen Depuis la rencontre de ľEuropéen avec le Nouveau Monde du continent nord-américain, son experience se caractérise par la dualité de « valeurs antithétiques, entre lesquelles ľhomme blanc semble hésiter » (Morency, 1994 :17). S'il reste encore attache aux valeurs européennes de la stabilite, recherchée dans la sédentarité (de ľ agriculture) et dans la culture, il est également fasciné par les valeurs nord-américaines, representees par la liberté du nomadisme (de la chasse et de la traite de fourrures) et par la nature1. Selon la tradition européenne, il a ľ ambition d'apprivoiser et ďaménager la nature du Nouveau Monde dans la cloture d'un espace planifié comme une « Utopie », mais il est également attiré par ľouverture de la nature sauvage de « l'Éden » (Bureau, 1984 : 12). Jean Morency conclut: La conscience de ľhomme américain apparait done comme déchirěe entre des appels contradictoires (attirance pour ľlndien, pourtant doublée d'une haine envers ce dernier; 1. «d'un côté la femme, la culture, ľesprit européen, le cadastre des terres ; d'un autre côté ľlndien, la nature, ľesprit américain, le monde sauvage » (Morency, 1994: 17). Voir aussi Bouchard (2001, chap. Ill) et Thériault (2002:89-117). 55 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES defense acharnée de la civilisation, en dépit d um grant de méfiance á ľégard de celle-ci), cette hesitation s'incarncunt dans des figures qui expriment la stabilite (le fermier, le citadin) ou qui traduisent ľattrait de ľaventure (le nomacde, le chercheur ď or, le vagabond). Ces appels contradictoir-*es donnent son élan au mythe américain (1994 : 18). Sur le plan de ľidentité culturelle et personnels, ce dualisme ancien se manifeste toujours dans la littérature contemporaine. En efFet, « ľopposition nomadisme/sédentarité » se retrouve « dans une lar-ge partie de la production romanesque plus récente qui met souvent en scene, non plus un coureur de bois, mais un artiste ou un intellecn_ael qui parcourt le monde á la recherche de son moi » (Ouellet, Beauli eu etTremblay, 1997 : 85)2. Le voyage représente ainsi la quéte ďidentité personnelle et culturelle des protagonistes. Je me propose de presenter un panorarma du voyage identitaire aux États-Unis dans une douzaine de romams, parus aprěs 1980. Si le voyage aměne les personnages ä des réflexiowis sur ľidentité culturelle québécoise, confrontée ä celie de la societé des États-Unis, le parcours mime souvent aussi revolution de le=ur 2. Sur le pian de la creation littéraire, Monique LaRue, dans L 'arpent^ur et le navigateur, transpose ces deux personnalités du sédentaire et du noma_de dans les figures de « ľarpenteur » et du « navigateur », qui« seraient en quelc^ue sorte les deux faces de notre identite » (1996 : 23). « Deux personnages se partagent et s'arrachent notre äme, se mit alors á imaginer la romanciěre en moi. L'un est arpenteur et vient du xixe siěcle, et ľautre est navigateur et tíre vers le xxie siěcle. Ľarpenteur est un homme qui a la passion de la mesure, ^un homme qui s'attache á la terre, un homme du territoire. II arpente en European les territoires vierges, les espaces d'Amérique » (1996: 20). «L'arpenteur rend humain le paysage, il le civilise. II approfondit ľidentité de ľhomme et du lieu » (1996 : 20-21). « II en viendra toujours, de ces navigateurs, de c=es explorateurs qui, comme tout artiste veritable, partent vers ľinconnu pc»ur trouver du nouveau, des nomades qui ne s'abaissent pas ä arpenter la terre et qui savent ďautant plus, maintenant que la planete entiěre est arpentée, qzue la terre est á tous. Le monde est pour toujours et depuis toujours pluriel et Mes perspectives, multiples » (1996 : 21-22). 56 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS identite personnelle. Eric Landowski signále cette double relation que le voyage entretient avec la quéte ďidentité culturelle aussi bien qu'avec la recherche ďidentité personnelle : De ce point de vue, toute construction identitaire, toute « quite de soi», passe par un proces de localisation du monde - du monde comme altérité et comme presence (plus ou moins «présente ») par rapport á soi Et inversement, toute exploration du monde, tout « voyage », en tant qu 'experience du rapport ä un ici-maintenant sans cesse ä redéfinir, équivaut ä un proces de construction duje (1997 : 91). Cest souvent aprěs une crise ďidentité au debut du román que les protagonistes se transforment de sédentaires en nomades, pour entreprendre un voyage identitaire qui leur permettra de découvrir leur voie dans la vie. En general, les aspects thématiques suivants seront abordés : ľidentité personnelle (le motif et ľeffet du voyage) et ľidentité culturelle (la vision des États-Unis et la vision du Québec). Aprěs ľanalyse successive des romans, selon ľordre chronologique de leur parution, nous pourrons presenter une synthěse des principales caractéristiques du voyage identitaire. GABRIELLE ROY, DE QUOITENNUIES-TU, EVELINE ? (1982) Comme Gabrielle Roy relie le Québec au Manitoba francophone, j'associe De quoi ťennuies-tu, Eveline ? (paru en 1982, mais ébauché une vingtaine ďannées plus tôt3) ä mon analyse, bien qu'il s'agisse ďun voyage américain du Manitoba ä la Californie. Děs sa jeunesse, Éveline « aurait tout donne pour suivre Majorique » (1982 : 494), son frěre ainé, dans ses voyages. Plus tard, á ľépoque de sa vie oú eile avait la responsabilité de sa famille, son frěre avait bien deviné « qu'elle désirait autre chose que tout ce qu'elle possédait», de sorte qu'il lui avait demandé : « De quoi ťennuies-tu, Éveline ? » 3. Ricard (1996 : 397, 578, note 96 et 515) explique les phases de la composition de ce manuscrit. 4. Dorénavant, les renvois á cet ouvrage seront signalés par la seule mention DQ suivie du numero de la page. 57 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES (DQ : 27) Elle lui avait répondu alors qu'elle aspirait á ľappel de ľailleurs, qu'elle n'avait « pas vu » et qu'elle ne verrait « sans doute jamais » : «toi, tu vas partir bientôt, tandis que moi... »(DQ : 28). En effet, Majorique « menait la vie qu'elle eüt aimée pour elle-méme : partir, connaitre autant que possible les merveilles de ce monde, traverser la vie en voyageur » (DQ : 11). Ä cet ideal d'errance et de liberie du nomadisme masculin s'opposait cependant son enfermement dans la sédentarité feminine du aux contraintes familiales : Toute sa vie d'adulte, captive de son foyer, de ses devoirs, jamais [eile] n 'avait abdiqué son désir de Uberte, et quand la Uberte vint enfin, cefut avec la douleur des separations. Son mori au cimetiěre, ses enfants disperses, eile eut le coeur enchainépar les souvenirs et le chagrin (DQ : 11). Parti depuis de longues années en Californie, son ŕrere (ägé de 76 ans) envoie enfin á Eveline (ägée de 73 ans) un message énigmatique : « Majorique ä la veille du grand depart souhaite revoir Eveline » (DQ:11). Comme « recompense »(DQ : 11) de sa sédentarité forcée, Eveline se transforme de « prisonniěre » en « voyageuse »(Saint-Martin, 2002), pour entreprendre un voyage de six jours depuis Winnipeg jusqu'au petit village de Bella Vista, situé dans «le paradis du monde » (DQ : 58) de la Californie. Dans le bus, eile trouve une compagnie cosmopolite de gens sympathiques. Une Franco-Américaine ďorigine québécoise, un fermier du Wyoming ďorigine norvégienne et un rancher du Montana : « Quelles braves gens, ces Américains » (DQ : 34). II y a juste un Francais prétentieux, qui declare que « nulle ville au monde » ne peut « se comparer ä Paris» (DQ : 43) et que les Américains ne connaissent « rien á la cuisine ni ä Part de vivre » (DQ : 44). Mais, quand Eveline tombe malade, il « veille sur eile comme un bon fils » (DQ : 54). Sa vision optimiste de« ľ extraordinaire bonté du coeur hurnain » (DQ : 47) se caractérise par sa pleine confiance dans 1'humanite : Leplus beau du voyage, de touš les voyages peut-étre, pensa-t-elle, ce ne sont pas les sites, les pay sages, si nouveaux 58 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS soient-ils, mais bien l 'éternelle ressemblance des hommes, sous tous les cieux, avec leur bonté, leur douceur si touchante. De plus en plus eile avait le sentiment que les humains, quepresque tous les humains, aufond, sont nos amis, pourvu qu 'on leur en laisse la chance, qu 'on se remette entre leurs mains et qu 'on leur laisse voir le moindre signe ďamitié (DQ : 34). Lorsqu'elle arrive finalement en Californie, eile apprend que Majorique est déjä décédé. Elle découvre ensuite que son frěre, considéré comme «le voyageur perpétuel» (DQ : 71), s'est enfin transformé de nomade en sédentaire, en rassemblant tous les membres de sa famille dans plusieurs maisons sur une colline (DQ : 69). II y apprécie la pluralite culturelle de sa famille, composée de « ce qu'il y a de meilleur á chaque peuple » : « une petite société des nations » (DQ : 72). A son tour, Eveline admire sa famille nombreuse « aux ramifications norvégienne, hollandaise, irlandaise » (DQ : 75-76): « N'était-ce pas beau, songea Eveline, que ses parents et elle-méme, grace á Majorique, fussent désormais réunis á tout ce monde si loin d'eux ? Voir cela était peut-étre, au fond, ľunique but de son voyage jusqu'ici » (DQ : 76). Les nouveaux habitants du Nouveau Monde sont lies symboli-quement aux autochtones amérindiens par le voeu de Majorique d'etre enterré dans « un vieux cimetiére indien », sur « une colline voisine » (DQ : 89). Son enterrement, auquel assistent tous les membres de sa famille, est realise ainsi comme «le plus beau tour de sa vie » (DQ : 93). Les rôles traditionnels de ľhomme nomade et de la femme sédentaire se trouvent done enfin inverses, puisque le décés de Majorique a permis á Éveline de « faire un beau voyage » (DQ : 87) aux Etats-Unis, oü eile apprécie pleinement le cosmopolitisme de la société américaine á la Campagne californienne. GILLES ARCHAMBAULT, LE VOYAGEUR DISTRAIT (1981) Dans Le voyageur distrait (1981) de Gilles Archambault, Michel n'abandonne qu'ä contrecoeur sa vie sédentaire ďécrivain et de 59 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES professeur en creation littéraire, pour faire un voyage américain sur les traces de Jack Kerouac. Ä ľ instigation d'un ami, qui aimerait marquer « le dixiéme anniversaire de la mort de Kerouac » (1981 : 215) en lui consacrant avec Michel un ouvrage, ce dernier part de « Montreal» (titre de la partie I) pour « Lowell»(II, III),« New York »(IV) et« San Francisco » (V). Le « souhait de revoir Andrée » (VD : 22), son ex-femme, pourrait motiver également son voyage identitaire jusqu'á San Francisco. Ä la fin du roman, il est content de retrouver á « Montreal » (VI) sa vie sédentaire avec sa compagne, Melanie. Ä Lowell, il retrouve la « petite société catholique bien docile » du « Petit Canada » (VD : 55) des années 1930. Afin de comprendre « la fascination de Kerouac » pour les États-Unis et ď« experimenter jusqu'au bout» le « réve américain » (VD : 79), il visitě ensuite New York, « ville hideuse » ou Ton rencontre «la beauté partout», « ville de contrastes étonnants »(VD : 80) qu'il apprécie malgré ses sentiments ambivalents : New York est une ville d'une decadence si monstrueuse qu 'U f aut ľ aimer. On y arrive au reste rapidement Saférocité se tamise de tant de naiveté, son inhumanité s 'adoucit de tant d 'aspects touchants malgré tout qu 'eile nepeut qu 'attirer une Sympathie qui se transforme bientôt en tendresse (VD : 81). Finalement, il se rend encore á San Francisco pour « vagabonder dans la ville qu'il aimait presque autant que Montreal» (VD : 105), et pour y « saluer Lawrence Ferlinghetti ä City Lights » (VD : 113)6. En critiquant la France, Michel souligne son appartenance culturelle au continent nord-américain : «II aimait [...] peu Paris et il ne manquait jamais une occasion de s'en prendre á ce qu'il appelait de facon abusive le colonialisme francais. II acceptait tout de ľ Amérique qu'il opposait toujours á ľEurope » (VD : 52). 5. Dorénavant, les renvois ä cet ouvrage seront signalés par la seule mention VD suivie du numero de la page. 6. La célěbre librairie du poete réapparaitra chez LaRue (1998 : 62) et Poulin (1988: chap. 30). 60 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS Son voyage identitaire sur les « lieux visités dans les pas de Jack Kerouac » (VD : 17) influence sa vie personnelle, qui présente á la fois des contrastes et des analogies avec celle de Kerouac. Soufrrant ďangoisses devant ľidée de la mort (VD : 25, 26, 27, 49, 100, 119, 127), il est attiré par cette « apotheose du désir de vivre » (VD : 27) de Kerouac, qui lui aussi passe pourtant par des crises profondes. Sur le plan littéraire, Michel se compare également ä cet « écrivain de ľimpuissance » (VD : 75). Comme il n'avait plus « entrepris de livre depuis sept ans » (VD : 59), « il ne s'affichait plus comme écrivain » (VD : 90). Son voyage aux États-Unis ľa incite de nouveau á ľécriture, car de retour á Montreal, il « s'est engage ä écrire » une « série télévi-sée »(VD : 141). D'ailleurs, le roman lui-méme est une mise en abyme de ľécriture, puisque Michel y présente sa « lente confession » « sous forme d'un récit de voyage »(VD : 16). Une autre correspondance entre les deux personnalités est le role important joué par la mere dans la vie de Kerouac (VD : 25, 64, 68, 75, 90), aussi bien que dans celie de Michel: « certaines femmes lui reprochaient au moment de la rupture ďavoir cherché en elles une mere », qui« avait fui peu de temps aprěs sa naissance » (VD : 42). Aprés avoir revú ä San Francisco son ex-femme, Andrée, Michel est content de retrouver á Montreal sa conjointe, Melanie, qui ľa « recueilli depuis la rupture de son mariage » (VD : 13) et qui lui a apporté enfin « lapaix » : « Je suis comme Jack Je veux voir le monde sans m 'eloigner de ma mere. Raconter cela ä Melanie dans une lettre. Jamais eile n'acceptera d'etre tenue pour ma mere. Elle s 'en offusquera, me le dira au telephone » (VD : 23). « Compagne tendre » et« femme de carriěre »(VD : 13), Melanie est « engagée dans la vie » (VD : 34). En tant que juriste, eile fait des efforts pour « ľavancement des femmes ou la lutte contre le sexisme » (VD : 142) et - comme femme nomade - eile voyage á Toronto, á New York et ä Calgary. Ä la fin de son voyage aux Etats-Unis, Michel constate qu'il a ľesprit « sédentaire » (VD : 125) et, de retour á Montreal, il conclut qu'il « n'a jamais été si loin du nomadisme » (VD : 142). Conforme á ce que propose ľexergue de Buzzati (« Le concept de maison est pour moi celui ďune forteresse domestique ä ľintérieur de laquelle cherchent ä pénétrer les malheurs en provenance 61 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES du monde extérieur » [VD : 9]), il apprécie alors le « monde fermé, replié sur soi» dans la « paix » de sa vie sédentaire avec Melanie, enfermé dans le « refuge » de leur « maison », qui « protege contre ľenvahisseur » (VD : 13). Tout en appréciant New York et San Francisco, Michel se réjouit de son retour á Montreal. Ä ľ oppose de Kerouac - et de Melanie -, il rejette le nomadisme pour se replier chez lui dans la sédentarité protec-trice. Grace ä son voyage identitaire, Michel a surmonté ses problěmes de creation et reprend enfin ľécriture. MADELEINE MONETTE : PETITES VIOLENCES (1982) Dans Petites violences (1982) de Madeleine Monette, Martine évoque son experience feminine de la ville de New York. Dans le prologue du roman, la protagonisté voyage en train de Montreal ä New York. Dans son compartiment se trouve une femme qui avoue sa peur de retourner auprěs de sa famille aprěs s'étre « sauvée » de son mari et de ses enfants pour obtenir que sa vie lui« appartienne ä nouveau »(1982 : 277). Descendue du train, eile est agressée par son mari qui la tue d'un coup de couteau á la gorge8. Le roman annonce ainsi le theme recurrent de la reflexion sur la violence, en relation avec la sexualite et la dominance masculine. La scene degression présente une analogie avec la vie de Martine, qui est partie de Montreal pour échapper ä la cruauté mentale et physique de son amant, Claude. Elle se sentait« malmenée, subjuguée » (PV : 45) et blessée par sa « presence » obsessive (PV : 61), éprouvée comme « une violation du domicile et tout le reste » (PV : 62). Elle avait alors «planifié ce voyage comme une fugue» (PV: 38), afin de « modifier le cours de [sa] vie » (PV : 39). Son depart de Montreal déclenche le debut de sa recherche identitaire et d'une nouvelle voie 7. Dorénavant, les renvois ä cet ouvrage seront signalés par la seule mention PV suivie du numero de la page. 8. Vu la « propension á fabuler »(PV : 30) de Martine, qui avait« imagine différents scenarios pour cette scene de retour »(PV : 31), on peut se demander avec Jean-Francois Chassay, dans la preface du roman, s'il ne s'agit pas plutôt d'une «projection de la narratrice » (PV : 10). 62 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS dans sa vie : « J'avais eu le courage de rompre avec Claude, mais cela ne voulait pas dire que je m'étais métamorphosée du méme coup » (PV: 47-48). Ä New York, eile renoue avec Lenny, avec qui eile a eu une liaison deux ans auparavant. La personnalité directe de Lenny provoque chez eile le sentiment d'etre « subjuguée par un corps plus entreprenant» que le sien, mais Lenny « n'a rien de dangereux » (PV : 90) et il ľaccueille avec amour et humour : « Contrairement ä Claude qui prenait tout au sérieux, y compris surtout lui-meme, Lenny a le sens de ľhumour et c'est contagieux » (PV : 109). Aprěs avoir poursuivi Martine ä New York, Claude ľimportune ä tel point qu'elle conclut que « c'est fini» (PV: 213). Tandis que Claude retourne ä Montreal, Martine préfere rester ä New York. A la fin du roman, eile partagera encore parfois «le lit avec Lenny », mais eile semble vouloir preserver également son indépendance personnelle, en occupant elle-měme son propre «logis » (PV : 235). A New York, Martine prepare des affiches pour la collection de mode d'amis francais et eile forme le projet de « firmer des productions á petit budget» et ďécrire son « premier documentaire » (PV : 49). Ä la fin du roman, eile est engagée par Allen Reade, qui« finance le tournage d'un documentaire sur "La violence, la fiction et les arts" » (PV : 166). Ä son tour, eile se propose alors de faire un film dans lequel eile veut parier « des agressions de routine et des violences détournées, de celieš que ľon commet par amour et conjugalité » (PV : 234)9. Son depart de Montreal pour New York a ainsi permis ä Martine de donner un nouveau sens ä sa vie, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Ä propos de son identite culturelle, Martine declare qu'elle est «French-speaking» (PV : 42), mais pas « francaise » (PV : 228). Comme eile ne se définit jamais comme une Québécoise, eile se caractérise plus par la langue francophone que par ľaspect sociopolitique du Québec. La violence masculine est décrite comme 9. Les autres personnages montrent aussi leur fascination pour le theme de la violence. Lenny a le projet ďécrire un roman sur un homme accuse « du meurtre d'une prostituée » (PV : 105) et Claude a publié une série ď articles sur « La violence saľutaire » (PV : 130). 63 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES un phénoměne transculturel, nord-américain, qui ne se limite pas aux États-Unis10, puisque Martine ľa éprouvée aussi au Québec, ďabord dans son enfance11 et ensuite dans sa liaison avec Claude. Le contrôleur dans le train décrit New York comme une « ville de fous, une vraie ville de fous... » (PV : 23). Éprouvant á la fois de ľattrait et de la repulsion pour New York, Martine montre des sentiments ambivalents envers cette ville (Gould, 1999 : 88), qui est« décadente et ultra-raffinée » et qui a «le pouvoir á la fois dévastateur et vivifiant des réves » (PV : 39). Contente de se trouver « á cent lieues de [sa] relation avec Claude »(PV : 169), Martine préfere ne « pas retourner ä Montreal» (PV : 170). Constatant que New York convient á son « etat d'esprit» (PV : 232), eile forme le projet de s'installer dans cette ville américaine, « oú le conformisme n'est le plus souvent qu'une mesure de ľexubérance, oü on a ľimpression de vivre á outrance comme nulle part ailleurs, ďétre á la fois dans le coup et parfaitement isolé, coníronté ä ses propres limites ou convié á des réves insensés » (PV : 169). Grace ä son voyage identitaire de Montreal á New York, Martine s'est délivrée de ľemprise obsessive de Claude, qui montre par son comportement agressif que le Québec n'échappe pas plus que les États-Unis á la violence, qui est transculturelle. Ä New York, Martine découvre une nouvelle voie dans sa vie, en combinant son indépendance personnelle et sa liaison avec Lenny. Sur le plan professionnel, eile se renouvelle également, en commencant une carriěre de cinéaste. JACQUES POULIN : VOLKSWAGEN BLUES (1984) Dans Volkswagen blues (1984) de Jacques Poulin, la quote identitaire caractérise également le voyage américain entrepris par Jack Waterman, qui a « ľimpression que tout s'écroule » (1984 : 1212) au 10. Martine s'étonne « du procédé » policier, qui évoque pour eile «les regimes totalitaires » (PV : 201). 11. Le « grand Gilles » soumet les filles « ä la torture » (PV : 119) en leur enfoncant « la pointe de ľépingle sous la peau » (PV : 121). 12. Dorénavant, les renvois á cet ouvrage seront signalés par la seule mention VB suivie du numero de la page. 64 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS moment oú il a atteint« ľäge de quarante ans » (VB : 12). II a peur de la vieillesse et, en outre, il a été abandonné par son épouse (VB : 135, 148). Accompagné de la métisse Pitsémine, le protagonisté, écrivain sédentaire, va entreprendre un long voyage identitaire de Gaspé á San Francisco, en quéte de son fŕere Théo, qu'il considére comme «la partie de [lui-méme] qui a oublié de vivre » (VB : 149). Théo ressemble á son pere et incarne ainsi la masculinité, ľagressivité et ľaméricanité, alors que Jack, qui ressemble plutôt á sa mére, représente la féminité, la douceur et la fŕancité (Roberts, 1997 ; Lintvelt, 2000 : 230-235). Au cours de son voyage, Jack en viendra ä distinguer deux categories de pionniers : ďun côté, les « emigrants » des années 1840 « qui se dirigeaient vers les terres fertiles de ľOregon » (VB : 235) afin de s'y établir comme sédentaires,« pour cultiver la terre et élever des animaux » (VB : 197); de ľautre, les « aventuriers » nomades, les «bums» (VB : 146), qui - aprés 1850 - « s'en allaient chercher de ľor en Californie » (VB : 235) (Miraglia, 1993 : 95-96 ; 147-148 ; 173-175). La piste de ľOregon s'oppose done á la piste de la Californie. Ayant été impliqué dans des affaires criminelles, Théo est considére comme un « bum » (VB : 76, 80, 82), lié ä la violence américaine13: « Cest l'Amérique. On commence ä lire ľhistoire de ľAmérique et il y a de la violence partout. On dirait que toute ľAmérique a été construite sur la violence » (VB : 141). Le « Grand Réve de ľAmérique »(VB : 109), ľespoir des pionniers de trouver « le paradis terrestre » (VB : 109) de la « Terre Promise » (VB : 135), contraste avec le sort tragique que Théo a trouvé ä San Francisco (VB : 307) (Morency, 1994 : 214-215). C'est lá que Jack retrouve finalement son frére, assis dans un « fauteuil roulant» (VB : 312), paralyse, parlant anglais, et incapable de le reconnaitre. Theo est considére par Jack comme un « homme sans identite » (VB : 293), souffrant ďamnésie culturelle (Memmi, 1985 : 122): « sa memoire était atteinte et il ne savait plus trés bien qui il était» (VB : 318). La recherche identitaire par ľintermédiaire de ľunion avec son frére finit done par échouer. 13. Voir Québec vs Detroit (VB : 104) et Chicago (VB : 118). 65 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES Jack fait cependant un grand progres identitaire grace á sa relation avec Pitsémine, qui lui apprendra á mieux se défendre dans la vie— Le voyage sur la piste de ľ Oregon fonctionne comme un apprentissage de la vie et de ľ amour : « Apprendre des choses sur la conquéte de l'Oi*_est. Apprendre ä vivre. Apprendre á aimer »(VB : 175). Ä la derniere p age du román, Jack et Pitsémine constatent, ä leur grande surprise, que Leur union a pleinement réussi. Cette evolution favorable de ľ identite personnelle des deux protagonistes se révěle également dans leur recherche ď ideu. tité culturelle. Pitsémine est double comme métisse, née sur la Côte-N" ord ďune mere indienne et ďun pere blane. Souffrant de problémies ďidentité culturelle, eile préfěre rester encore quelque temps dans la ville cosmopolite de San Francisco : « eile pensait que cette ville, oil les races semblaient vivre en harmonie, était un bon endroit pour essa^yer de faire ľunité et de se réconcilier avec elle-méme » (VB : 317-31_ 8). Pitsémine garde le Volkswagen, qui est décrit comme un espace mimlti-culturel14, reliant le Vieux Monde au Nouveau Monde15. Lorsque Lawrence Ferlinghetti demande á Jack et á Pitsémine s 'ils sont « Francais », Jack répond : « Pas tout á fait. On est QuébécoiiS » (VB : 297). Dans sa quote ďidentité culturelle, la québécité implicque done finalement la fusion de «la fŕancité » et de « ľaméricanitré » (Miraglia, 1991 : 37)16. Au cours de son voyage américaŕn, Jack semTble avoir trouvé son identite québécoise, défmie comme francophone et 14. «II faudrait peut-étre alors concevoir le vieux Volks de Poualin comme une métaphore merne de la nouvelle culture québécoise : indétermirmée, voyageuse, en derive » (Nepveu, 1988 : 217). 15. « le Volks avait été acheté en Allemagne ; il avait parcouru ľEurope et traverse l'Atlantique sur un cargo, ensuite il avait voyagé le long de la c ôte Est, depuis les Provinces Maritimes jusqu'au sud de la Floride »(VB : 85Z). 16. Dans ľentrevue avec Vasseur et Roy, Poulin declare que son román décrit « la situation du Québec en Amérique » et vise á « agrandir, élargiar la conscience américaine des Québécois » (1984 : 50). « Roman ď ouvertuře », Volkswagen blues « permet ďenvisager la possibilité d'une quéte territorL ale qui échapperait au repli nordique caractéristique de beaucoup de romsns québécois » (Harel, 1989 : 164-165). 66 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS nord-américaine, de sorte qu'il peut retourner au Québec pour reprendre sa vie sédentaire. JACQUES GODBOUT : UNE HISTOIRE AMÉRICAINE (1986) Dans Une histoire américaine (1986) de Jacques Godbout, Gregory Francoeur soufŕre d'une double crise identitaire. Dans sa « vie personnelle », il éprouve une « peine ď amour » causée par la separation d'avec son épouse et sur le pian culturel, il soufŕre d'une «peine de politique» (1986 : 1517), resultant du «vote schizophrénique » (UHA: 16) des Québécois lors du referendum sur la souveraineté en 1980. Comme il estimait que « ľavenir du Québec se situait aux États-Unis » (UHA : 17), il est parti pour ľUniversité de Berkeley ä San Francisco pour y témoigner de « la culture francaise en Amérique » (UHA : 21) et pour mener «une enquéte sur ľidée de bonheur » (UHA: 28). Comme il« ne connaissait de la Californie que ses images mythiques » (UHA : 18) de «terre promise » (UHA : 138), il est décu de découvrir en réalité une Californie infernale (Van't Land, 1992 : 254-262). Constatant que «la violence en Californie est demente », il se demande si les « lunatiques de touš les pays » se sont« donné rendez-vous pour gächer les réves paradisiaques »(UHA : 56). Les gens s'enferment dans leurs intéréts prives : « Chacun vivait dans sa bulle, ou dans sa voirure, les yeux fixes sur les feux rouges de ses ambitions personnelles » (UHA : 39). Des contacts humains plus profonds manquent: «lei les échanges se font avec célérité, les communications avec civilité, mais personne ne s'engage au plan personnel» (UHA : 39). La société ne possěde « aucune épaisseur humaine ni surtout aucune culture » (UHA: 61). II dénonce également le role agressif de la police et il critique la « politique américaine », dominée par les «intéréts américains » (UHA : 150). Au nomadisme du voyage succěde la sédentarité de ľécriture en prison. Accuse faussement, Francoeur a été « incarcéré », et c'est la que « ľidée [lui] est venue de rédiger, pour [se] défendre, le récit de cette 17. Dorénavant, les renvois á cet ouvrage seront signalés par la seule mention UHA suivie du numero de la page. 67 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES aventure californienne » (UHA : 178). « Écrire en prison, se demanda-t-il, est-ce produire une littérature ďévasion » ? (UHA : 71). « Cest en écrivant» qu'il « découvre le sens » (UHA : 73). Libéré enfin, a la fin du román, il est content de pouvoir retourner á Montreal, alors que sa partenaire éthiopienne, Terounech, préfěre rester dans la société multiculturelle de Los Angeles. Simon Harel signále que chez Poulin et Godbout, ce sont seulement les « personnages définis comme périphériques », Pitsémine comme métisse et Terounech, l'Ethiopienne, qui désirent rester en Californie (1989 : 193). II suggěre que Jack Waterman et Gregory Francoeur semblent avoir peur de la « pluralite du cosmopolitisme » á cause de la « précarité de ľidentité québécoise »(1989 :188-189). Par consequent, ils préfěrent rentrer au Québec : « ľexpérience californienne ne peut étre que décevante pour les personnages québécois de ces deux romans, échec qui amorce un retour vers le Québec natal, analogue ä un repli territorial » (Harel, 1989 : 193). MONIQUE LARUE, COPIES CONFORMES (1989) Ainsi que Godbout, Monique LaRue présente une vision critique de la société américaine dans Copies conformes (1989). La perception masculine de San Francisco par Gregory Francoeur est complétée ainsí par ľexpérience feminine de Ciaire Dube. En tant que mere d'un fils de cinq ans, eile y a passe six mois, parce que son mari avait des recherches á mener sur ľ« interlangue » á ľ« Universitě de Californie á Berkeley »(1989 : 1318). Lorsque son époux doit retourner subitement á Montreal, il lui demande de récupérer la macro-disquette de son logiciel de traduction. A la fin du livre, eile recoit en effet« une copie conforme » de la plaquette de son mari (180). Le titre du roman ainsi que les correspondances intertextuelles avec Lefaucon maltais de Dashiell Hammett invitent á des reflexions sur le vrai et le faux19. 18. Dorénavant, les renvois á cet ouvrage seront signalés par la seule mention CC suivie du numero de la page. 19. Voir Ireland (1992/1993), Gould (1993), Chassay (1995 : 176-185), Guillemette (2000) et Schwerdtner (2001). 68 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ETATS-UNIS DANS LE ROMAN QUEBECOIS Sur le plan de ľidentité culturelle, ces deux caractéristiques seront illustrées par l'opposition entre Montreal et San Francisco, ainsi que par les contrastes physiques et psychologiques entre la Québécoise Claire Dube et ľAméricaine Brigid O'Doorsey. Au cours de son séjour ä San Francisco, Claire aboutit également á une prise de conscience sur le plan de sa vie personnelle. L'univers factice et faux de San Francisco est caractérisé comme « parfaitement absurde et irréel»(CC : 62). Logée dans une « pompeuse construction á colonnades », envisagée comme une « authentique copie de maison romaine » (CC : 19), Claire se sent « de moins en moins chez [soi] » (CC : 11): « Ici, on était toujours un peu dans un film, de ľautre côté de ľécran. II fallait se cramponner á la realite. Et en realite, la seule chose qui importait, c'était de rentrer » (CC : 24) á Montreal, qui est caractérisé justement par sa realite quotidienne et par la langue francaise du Québec : L 'aérogare minuscule et familiěre, deserte dans la nuit. Quelques douaniers bonasses, I 'accent naif de Montreal, les fautes ďorthographe sur les affiches, lefrancais á la radio, dans la rue. Cela me semblait inatteignable, inimaginable. Que nous venions de lá-bas, soyons nes lä-bas, ayant appris lefrancais lá-bas (CC : 130). Montreal est aussi intimement lié á sa vie personnelle : « Ce n'était pas tellement cette ville que j'aimais mais ma vie, qui m'avait toujours été livrée á travers cette ville » (CC : 126). Mentalement et physiquement, Claire contraste, en tant que Québécoise, avec 1'Américaine Brigid O'Doorsey. Voici comment eile esquisse son autoportrait: « Moi, Claire Dube. Trente-cinq ans, mariée, un enfant. Profession perdue en cours de route. Cheveux blonds, yeux pales. Petits seins, jolies jambes. Taille convenable, hanches convenables, fesses convenables » (CC : 10). Ä cause d'une maladie de son fils, á ľäge d'un an, eile avait du abandonner le journalisme : « Pas de metier, pas de personnalité, pas de carriěre »(CC : 33). Pendant les « six mois » passes á San Francisco, eile s'était « reproché de ne pas avoir su expliquer pourquoi» eile ne travaillerait pas (CC : 43). 69 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES Elle a préféré s'en tenir ä certe « ligne de vie minimaliste, biologique : [son] enfant, [son] mari. Aprěs tout, il y a cinquante ans seulement, un enfant, un mari, suffísaient á faire ľ identite ďune femme » (CC: 65). Son authenticité personnelle s'oppose á ľartificialité de « Brigid O'Doorsey, "trop" californienne... Trop riche, trop maigre pour étre réelle »(CC : 24). Avec son « visage plastifié, momifié »(CC : 41), eile est décrite comme une « droguée du scalpel»(CC : 74), qui« devenait de jour en jour plus artificielle, plus étrange » (CC : 117). Par contre, Claire declare : « Mon visage est mon visage. Je jure qu'aucun scalpel ne le touchera jamais »(CC : 129). Sa vie dans la realite quotidienne de sa famille, comme « mother-woman » avec son ills, est vue par Brigid avec « le regard » d'une actrice de cinéma, celui de « Kim Novak, dans Vertigo. Celui de Mary Astor, dans The Maltese Falcon » (CC : 43). Pourtant, Claire est également fascínée par la personne de Brigid. Pour aller á un rendez-vous avec Zarian, le mari abandonné par Brigid, eile se maquille, peint ses ongles et met « la robe bleu paon de Brigid O'Doorsey» (CC : 75). Ce dédoublement physique et psychologique s'exprime également par le dédoublement narratif, parce que Claire se met á parier á la troisiéme personne de ľ autre moitié de sa personnalité : « Je m'évanouissais de moi-méme. Dans un délicieux effet de fondu enchainé, une femme que je reconnaissais parfaitement montait ä la surface, mains moites, jambes molles » (CC : 96). A cause de sa personnalité dédoublée, dans laquelle Claire ŕusionne avec Brigid, la «friendly khébékwase »(CC : 105) aliénée se laisse séduire par Zarian : Ce corps nouveau, son odeur, sa chaleur, me donnaient le sentiment d'etre moi aussi dans une nouvellepeau. Ses mains [de Zarian] courant sur cette robe qui ne m 'appartenait pas révélaient, comme une décalcomanie, une femme que je n 'étais pas et qui, pourtant, puisqu 'eile habitait mon corps, devait bien étre entree par quelque faille en moi. J'embrassais les lěvres chaudes et satinées de Diran Zarian comme si cela ne devait jamais finir (CC : 96). 70 LE VOYAGE IDENTÍTAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS En se référant aux femmes adultéres d'oeuvres littéraires, Claire commence une courte liaison avec Zarian : Laprincesse de Clěves, Anna Korenine, Emma Bovary, Anne-Marie Stretter, Jeanne Moreau dans Moderato cantabile. Elles étaient en moi, les grandes amoureuses. On verrait bien. Une femme dégagée et libre de son désir suivait un étranger dans une ville étrangěre. Et cette femme était certainement moi. On verrait bien ce que je découvrirais. La passion ? Le grand amour ? Le vrai ? (CC : 104) Elle constate cependant que «tout était faux» (CC : 123). Restant intimement liée á son mari, ainsi qu'á la ville de Montreal, eile conclut qu'elle est«la femme d'un seul homme, la mere d'un garcon de cinq ans »(CC : 129), et eile a « la certitude » ď aimer son mari et de « savoir que c'était la vérité » (CC : 177). Elle se libére alors de son double : «Ľautre femme mourait doucement. Celle qui sommeillait depuis longtemps dans ma téte, dans mon corps, tempétait, dans le grenier de ma cervelle, grugeant ma vie comme un ver solitaire, m'empéchant de sentir ľamour » (CC : 177). Au debut de son séjour en Californie, eile avait« cru, naivement, que ce déplacement [lui] révélerait le sens de [sa] vie. Ľanglais, le climat, la proximité de Hollywood : [eile avait] cru ä la magie du lieu, au miracle du voyage » (CC : 65). Ä la fin du román, eile conclut que son voyage á San Francisco lui a effectivement permis de découvrir sa veritable identite feminine : « Ainsi faut-il se déplacer pour se retrouver. Choisir de rentrer» (CC : 185). Aux derniéres pages du livre, eile retourne avec son fils ä Montreal, pour y retrouver son « amour... ». Représenté par San Francisco et Montreal, ľunivers américain s'oppose done au monde québécois par les caractéristiques suivantes : - faux, factice versus vrai, authentique ; - film, fiction versus histoire, realite ; - langue américaine versus langue fransaise. Sur le pian de sa vie personnelle, sa liaison passagěre á San Francisco s'oppose ä son amour pour son mari, lié á la ville de Montreal, de sorte 71 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES qu'elle aboutit á la conclusion qu'elle est« la femme d'un seul homme et la mere d'un enfant» (CC : 189). Le séjour á San Francisco lui a fait prendre conscience de son identite culturelle de Québécoise, ainsi que de son identite feminine. Artistiquement, ľexpérience américaine de Claire Dube a donne lieu á la narration du récit, qu'elle adresse á son mari, interpellé comme « tu », sous la forme d'un « long discours intérieur» (Guillemette, 1994 : 81). LISE TREMBLAY : LA PÉCHE BLANCHE (1994) Les modes de vie de la sédentarité et du nomadisme sont représentés dans Lapéche blanche (1994) de Lise Tremblay par deux frěres. Alors que Robert est reste sédentaire comme professeur de littérature á ľ Universitě de Chicoutimi, Simon est devenu nomade á cause de son enfance traumatisée. II passe ľhiver á San Diego, dans une chambre « donnant sur le Pacifique »(1994 : 1120), avant de partir au printemps pour Prince-Rupert en Colombie-Britannique au moment de la « reprise du chantier » (PB : 12). Les deux freres ont souffert de leur enfance dans un milieu familial étouffant, domine par un pere brutal et par une mere conformiste, qui « avait peur de tout ce qui était dit»(PB : 36). Ä cause de son infírmité, Simon se sent rejeté par son pere, qui le désignait comme « ľautre » (PB : 27), parce qu'il « ne supportait pas de le voir boitiller comme il le faisait. Cela le dégoutait» (PB : 52). Sa mere aussi« ne voulait plus de chétif »(PB : 57). Comme enfant, il savait déjá « qu'il fallait partir » (PB : 36), afin de pouvoir se libérer : « Les Américains croient qu'iis ont inventé la liberie et c'est vrai » (PB : 15). Pour échapper á cette oppression familiale, Simon était« parti dans l'Ouest», il y a plus de « vingt ans » (PB : 22). C'est á San Diego qu'il « arrive á étre heureux » dans son « délire américain » (PB : 23), malgré les problěmes psychiques, qui reviennent chaque année, entrainés par le symbolique « etat d'hiver » (PB : 15), lie dans son esprit á son enfance horrible. II« souffre toujours 20. Dorénavant, les renvois á cet ouvrage seront signalés par la seule mention PB suivie du numero de la page. 72 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS de rage » (PB : 107) envers son pere : « J'ai réve pendant des années que je remontais l'Amérique lentement, que j'allais me venger, moi et tous les autres. J'allais lui tordre le cou de mes mains. II arréterait de marmonner. J'en réve depuis longtemps, depuis que je suis sur la route » (PB : 76). De son côté, Robert essaie de supporter ses souffrances avec resignation: « Son pere imposait encore le silence. Et Robert s'y résignait» (PB : 27). Avec son épouse, Louise, il ne communique ni verbalement ni physiquement: « Louise croyait toujours qu'on parlait trop. Elle était comme le pere de Robert»(PB : 70). Elle ressemble aussi ä sa mere par son gout du conformisme :« Louise n'aimait pas les gens qui partaient» (PB : 30), comme Simon. « Elle s'en méfiait», car toute « sa famille á eile était installée dans le méme quartier » (PB : 30). Par son respect du conformisme, eile « avait toujours peur » des « écarts » (PB : 72) de Robert, qui sera « puni jusqu'ä tant qu'il fasse comme eux » (PB : 75). Ä ľopposé de la revolte manifestée par son frěre, Robert essaie de garder « ľair résigné, résigné á tout, á ľhorreur, á ľhiver, á son travail, á Louise » (PB : 74). Pour les deux frěres, le Saguenay devient un espace symbolique ďévasion et de liberie. Jeunes enfants, ils y faisaient en cachette des promenades interdites. Dans une lettre á son frěre, Simon se plaint toujours qu'iis n'aient jamais pu voir la péche blanche, aimoncee par le titre du roman : J'ai beaucoup pensé au Saguenay ces derniers temps, aux cabanes de couleurs vives plantées au milieu de la riviere. Je me souviens qu'enfants, nous ne les avons jamais vues. Notre pere refusait de nous y emmener. [...] II a toujours refuse de nous y emmener. Je lui en veux encore (PB : 24). Méme á plus de 40 ans, Robert ressent cet interdit avec tant de force qu'il se croit« coupable » quand il a « passé une heure dans sa voiture pour surveiller les cabanes sur le Saguenay » (PB : 38). Aprěs avoir recu la nouvelle de la mort de son pere, Simon quitte San Diego pour retourner dans sa petite ville natale au nord. Le lendemain des funérailles de leur pere, les deux frěres vont voir ensemble, pour 73 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES la premiere fois de leur vie, «les cabanes de la peche blanche » (PB : 98). « C'était la plus belle vue du monde » (PB : 100). Ils osent enfin transgresser l'interdit de leur enfance : « ils avaient désobéi et ils rirent» (PB : 101). Cest alors seulement qu'ils réussissent á se libérer de ľoppression paternelle. Vers la fin du román, Simon avoue cependant qu'il s'ennuie de son « quai» á San Diego et qu'il se sent un « étranger » (PB : 108) á Chicoutimi. Ne tolerant plus le « nord que dans les livres » (PB : 113), il reprend son « errance » (PB : 116) et va partir pour Vancouver. Avant la mort de son pere, Robert avait dej á été tenté par ľachat ďune « maison rouge », « située au pied des montagnes, au méme niveau que la riviére » (PB : 86). C'est lá que son « frěre et lui avaient passe tout un aprěs-midi assis sur la galerie á regarder le Saguenay » (PB : 86). Bien qu'il sache fort bien qu'il aura á braver «le regard de Louise et ľopinion de ses belles-sceurs »(PB : 86), c'est á la derniěre page du livre qu'il achěte effectivement cette « maison rouge avec ľ argent de son pere »(PB : 117). Depuis ce lieu sédentaire, mais libre et ouvert, en face du Saguenay dans le nord du Québec, il gardera en esprit le contact solidaire avec son frěre nomade, car depuis la fenétre il pourra « voir trěs loin au sud »(PB : 117). Alors que Simon préfére la liberté du nomadisme américain, Robert combine dans sa maison du Saguenay la sédentarité avec ľ evasion imaginaire. ROCH CARRIER, PETIT HOMME TORNÁDE (1996) Dans Petit Homme Tornáde (1996) de Roch Carrier, le voyage américain est de nouveau provoqué par une crise dans la vie personnelle du protagonisté. En instance de divorce, Robert Martin, professeur d'histoire, a quitté Montreal pour aller jusqu'en Arizona, dans l'espoir d'y voir « plus clair » (1996 : 102i) á son retour. II a fui son « enfer conjugal» (PHT : 10), tout comme jadis « ses compatriotes canadiens-francais qui, par centaines de milliers, ont fui 21. Dorénavant, les renvois á cet ouvrage seront signalés par la seule mention PHT suivie du numero de la page. 74 LE VOYAGE IDENTITA1RE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS la misěre de leur terre ingrate du nord. Fascines par les États-Unis oú le réve se transformait en fortune, hypnotises par leur espoir, ils ont suivi les anciens sentiers, ils en ont inventé de nouveaux »(PHT : 12)22. Dans le petit musée d'un village dépeuplé du Colorado, il découvre le nom d'un fermier canadien-francais, Joseph Dubois (PHT : 12). Comme il « n'a rien publié depuis quelques années »(PHT : 13), il espěre pouvoir reprendre « dignement sa place á la tribune des historiens de la nation » (PHT : 20), en écrivant son histoire : « Quelle épopée ! Raconter l'histoire du fermier Dubois raviverait la fabuleuse legende de millions de Canadiens francais emigres aux États-Unis »(PHT : 20). Sous le titre « Le fermier Dubois á la conquéte de l 'Amérique sauvage » (PHT : 72), il« proposera á son petit peuple sans memoire un mythe pour inspirer sa vie quotidienne » (PHT: 71). Parodie de ľuniversité moderne, ses recherches sont ŕmancées par le « service des projets spéciaux de la compagnie » de transport de la dynamique « Miss Camion » (PHT : 100), qui a déjá conclu une entente pour une adaptation télé-visée en devancant la biographie projetée. Comme Martin n'arrive pas á trouver assez de documents écrits, il aboutit enfin á la conclusion : « Dubois n'a pas d'histoire. II est comme l'Amérique. C'est un trou de memoire... » (PHT : 195). II obtient pourtant plus de résultats avec d'autres sujets historiques, tels l'histoire amérindierme transmise par Petit Homme Tornáde et l'histoire amoureuse de Blanche Lariviěre. En Arizona, Robert Martin rencontre Petit Homme Tornáde, vieil Amérindien qui « possěde la memoire de ce qui a été. C'est á lui que l'on demande de raconter le passé » (PHT: 118). Les Blancs l'ont « dépossédé de tout sauf de la memoire de ses ancétres »(PHT : 81) et il désire transmettre cet« heritage des Anciens » (PHT : 119). Martin apprend ainsi, comme historien blanc, l'histoire millénaire des premiers habitants du continent nord-américain. 22. « Des centaines de milliers de Canadiens francais ont emigre aux États-Unis. Les uns sont devenus aventuriers, chercheurs ďor, mineurs, chasseurs, marchands de fourrure, explorateurs ; les autres sont devenus esclaves dans les usines, au service de la mécanisation accélérée de ľépoque » (PHT: 208). 75 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES Robert Martin découvre aussi ľhistoire de Blanche Lariviěre, infirmiere québécoise, qui a soigné Petit Homme Tornáde en France au cours de la Deuxiěme Guerre mondiale. Quand eile le revoit á Paris, au moment de la Liberation, eile lui suggěre que leur rencontre en France symbolise ľunion de leurs races. En tant qu'infirmiere, eile a tenté de réparer les torts de ses ancétres : Nous nous sommes rencontres au pays de mes ancétres qui ont quittě I 'Europe pour aller bätir leur nouveaupays dans le pays de tes ancétres. N'est-ce pas lá un signe ? Mes ancétres ont fait du mal awe tiens mais moi, je ťal aide ä avoir moins mal. N'est-ce pas un signe ? Tu vois, nous sommes unis, toi et moi, par beaucoup de liens (PHT : 116). Blanche essaie de redresser les méfaits commis par les Blancs. Elle réconcilie ainsi les deux races, blanche et rouge, et établit des correspondances entre la destinée des Amérindiens et celie des Canadiens fŕancais : Ma rencontre avec le jeune Indien était un signe. II appartenait, raisonnai-je, ä une race que ľ komme blane a tenté ďéradiquer de l'Amérique. Moi une Blanche portant le nom de Blanche, j'appartenais á la race de ceux qui persévéraient dans la conversion, V assimilation et V extinction de son peuple. Dieu avait-il voulu mefournir I 'occasion d 'une reparation ? Canadienne frangaise de religion catholique en Amérique anglophone et protestante, j 'appartiens aussi ä un peuple qu 'on a tenté de noyer. Quelques siécles plus tar d, l 'Indien et moi avions survécu. Nous étions en Europe. Nos peuples n 'étaient pas éteints. Etions-nous ensemble pour proclamer que ceux qui refusent de mourir ne meurentpas ? (PHT: 153) Cette survivance des Amérindiens et des Canadiens ŕrancais est célébrée par le métissage racial et culturel, realise dans ľunion physique de leur amour: «II y a une cinquantaine ďannées, en Europe, á la fin de la Seconde Guerre mondiale, ľhistoire des Blancs et ľhistoire des 76 LE VOYAGE IDENTIT AIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS Indiens se sont unies dans le corps d'une jolie Blanche de la ville de Québec » (PHT : 222). Comme le catholicisme oppressif qui rěgne alors dans la ville de Québec ne lui permet pas de se marier avec un Amérindien, eile épouse ä son retour un notaire, avant de dormer naissance ä son fils, Jean-René Goupil. Grace á Robert Martin, ce fils de Blanche apprend ses origines métisses et, par son exemple, il montre que «touš les Canadiens ŕrancais ont un peu de sang indien dans les veines » (PHT : 200). Ä la fin du román, Jean-René rencontre son pere amérindien en Arizona, et - á son tour - Petit Homme Tornáde visitě la ville de Québec. Au cours de son voyage identitaire, Robert Martin participe done ä trois fils d'intrigue, qui évoquent ľidentité culturelle en Amérique du Nord. D'abord, il tente de retrouver le passé canadien-francais aux Etats-Unis. La rencontre de Petit Homme Tornáde lui permet ensuite d'apprendre la longue histoire amérindienne. La découverte de la liaison de cet Amérindien avec Blanche Lariviěre montre enfin le métissage nord-américain entre les Blancs et les Amérindiens (Dorion, 1999). ALAIN BEAULIEU, FOU-BAR (1997) Décu par ľéchec du referendum de 1980, le protagonisté du Fou-Bar (1997) ďAlain Beaulieu voit la beauté de la «masse majestueuse » du Saint-Laurent comme «la representation la plus absolue qu'on puisse trouver de ľindépendance que nous ne nous sommes pas encore donnée »(1980 :14623). II dénonce la decadence de la France et il critique les États-Unis, qu'il considére comme un « Etat policier déguisé en democratic » (FB : 140) et qu'il bläme pour leur « étalement guerrier » (FB : 124) pendant la Desert Storm Operation. Cette mise en accusation des États-Unis n'empéche pourtant pas son sentiment ďappartenance ä l'Amérique du Nord. Lorsqu'il part de la ville de Québec pour chercher son amie dans le Maine, il prend 23. Dorénavant, les renvois ä cet ouvrage seront signalés par la seule mention FB suivie du numero de la page. 77 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES í conscience de ses liens intimes avec le continent nord-américain, ainsi qu'avec touš ses habitants, les Amérindiens aussi bien que les Blancs : J'éprouve méme Vintime sensation de rouler sur mes terres, Celles qui m 'ont vu naitre et dans lesquelles je me děcom-poserai aprěs ma mort Je considěre l 'Amérique, nourrice de mes ancétres, les Rouges autant que les Blancs, comme ma premiere mere. Je la partage avec joie et generositě, mais personne ne me fera admettre qu Hl s 'en trouve une partie oil je ne serais pas chez moi. Cela vaut au-delä des modes et des principes ; j'ai tout bétement ce continent dans la peau et, du plus profond de mon etre,j'ai Vintime conviction ď en participer (FB : 121). Par ces paroles, il défínit son identite culturelle par une américanité, qui est proche de celie des personnages de ľoauvre de Poulin, á laquelle il se réfere avec tant de Sympathie. GUILLAUME VIGNEAULT, CHERCHER LE VENT (2001) Dans Chercher le vent (2001) de Guillaume Vigneault, Jacques Dubois, coureur de bois moderne, qui se laisse nommer Jack, est un ancien « pilote de brousse » (2001 : 19724) d'un hydravion. Au debut du roman, il vit une crise personnelle, dont les raisons profondes ne seront dévoilées que progressivement, par des bribes d'information qui provoquent un effet de suspense. II apparait qu'il y a deux ans, son avion s'est écrasé au sol á cause d'une panne de moteur, due á des impuretés dans le reservoir d'essence, dont il avait « retardé le remplacement » (CV : 209). A la suite de cet accident, son épouse, Monica, a fait une fausse couche et - « selon toute probabilitě » - « eile ne pourrait plus avoir d" enfant» (CV : 264). Les suites de cet écrasement dramatique 24. Dorénavant, les renvois ä cet ouvrage seront signalés par la seule mention CV suivie du numero de la page. 78 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS ont fini par provoquer leur divorce. Jack exprime sa perte identitaire en parlant de lui-méme ä la troisiěme personne : Je ne m 'ennuyais pas de voler, enfin, trěspeu. Je m 'ennuyais peut-étre du temps oü je volais. Non, plutôt, je m 'ennuyais d 'étre ce type, Jack, du temps oü il volait, out Le Jack que j'étais ä present ne volait pas, n'avait jamais vole. Comment cela aurait-il pu lui manquer, me manquer ? (CV : 37) Les souvenirs tragiques du passé remontent lorsque Tristan, le frere de Monica, lui apprend qu'elle est enceinte. Souffrant de problěmes psychiques, Jack est tenté de se suicider, mais Tristan lui vient en aide, en ľincitant á partir avec lui dans une « balade thérapeutique » (CV : 57). En cours de route, ils emmenent Nuna, une serveuse catalane, pour «traverser ľAmérique » (CV : 61). Au cours des périples de son voyage américain, Jack apprendra de nouveau ä s'engager dans la vie grace ä l'amour de Nuna, qui fait une « maitrise en bio » (CV : 69). Quand Jack ne supporte plus ce «triangle »(CV : 107) á cause de sa jalousie, il part aprěs une querelle avec Tristan, sans que Nuna puisse le retenir. Ä Bar Harbor, May, qui ľa hébergé, lui conseille cependant, sur la base du «livre des mutations »,« Yi-king », de retourner ä la recherche de Nuna, qui était partie pour la Floride. Son voyage identitaire est suggéré aussi par la reprise du titre aéronautique du roman : « ľimportant est de chercher le vent» (CV : 170). II revoit enfin Nuna ä Disneyworld, mais comme sa personnalité reste encore scindée par ľ amour et par la peur de s'engager, il n'ose pas ľaborder. Ce dédoublement psychologique se manifeste de nouveau par ľautoréférence á la troisiěme personne : Logiquement, quand un type fait deux mille kilometres pour voir unefille et, par une chance inoui'e, la retrouve au beau milieu de Disneyworld, bien, ce type, il lui parle, ä lafille. [...] il attrape lafille par une épaule, savoure son regard meduse, ľembrasse sur la bouche comme un mufle, U ľemmene au Mexique, ľ épouse et lui fait des enfants, si ce n'est pas trop demander. Trois enfants, trois enfants nus, solaires, analphabětes et heureux. II ne la laisse pas disparaitre comme qa, en la regardant s 'eloigner, en murmurant son nom tout 79 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES doucement, comme onfredonne un air de Trenet. Ce type-lä, qui est en train de choisir desprénoms d'enfants, qui tripote un peigne au fond de sa poche, ce type-lá n 'est pas bien. C 'est ä lui que je pensais lorsqueje l'ai perdue de vue (CV : 172). Ce sera au cours de la deuxiěme partie du roman que Jack commencera ä s'engager, en s'effor9ant de sauver le restaurant de Derek pendant ľouragan Felicia á Shell Beach en Louisiana La demolition dramatique du restaurant fait ressurgir les souvenirs tragiques de ľécrasement de ľavion. Vers la fin de cette partie du roman, « Grand-měre Charlotte » lui donne - comme auparavant May - ie sage conseil de renouer sa relation avec Nuna, en lisant sa main : « Good man, but stupid too ! Beautiful... Don't worry, man, she's stronger than you... What you doing here, mister? Ooh... okay. Pride... It's all gonna be fine, but you gotta try... » (CV : 228) La troisieme partie du roman montre les effets bénéfiques du voyage identitaire. Ayant retrouvé son intérét artistique pour la photographic, Jack assiste au vernissage de son exposition de photographies á New York. Nuna y est allée aussi dans ľespoir de le rencontrer et Jack avoue alors : « Elle a fait ce que je n'ai pas eu l'inconscience ou le courage de faire en Floride » (CV : 251) et il ose enfin s'engager pour partager cet amour. Ä la fin du livre, il rend visitě á Monica, qui - aprěs son remariage et ľaccouchement de sa fille - pourra lui pardonner implicitement sa responsabilité de ľécrasement de ľavion. Son voyage identitaire ä travers le continent nord-américain incite Jack á commencer, á son tour, une nouvelle vie avec Nuna. Le roman de Vigneault raconte done une crise existentielle ď ordre universel. Le voyage américain est une quéte ďidentité personnelle, qui ne suscite pas de reflexions sur ľ identite culturelle du Québec par rapport aux États-Unis. II s'agit avant tout ďune experience personnelle de Jack, qui assume ses problěmes psychiques, dus á ľécrasement de ľavion qui avait provoqué la fausse couche de Monica et leur divorce. En cours de route, il apprend ä s'engager de nouveau, d'abord pour aider Derek en Louisiane et ensuite pour commencer une nouvelle vie 80 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS avec Nuna. Le voyage a également eu pour effet de lui faire reprendre sa carriěre artistique de photographe. * * * Ľ analyse du voyage identitaire fait ressortir plusieurs traits typiques, dont je resume les points les plus saillants. Le voyage vers ľOuest américain, la Californie, prédomine largement (Roy, Archambault, Poulin, Godbout, LaRue, Tremblay, Alain Poissant25). Robert Martin (Carrier) rencontre Petit Homme Tornáde en Arizona. Le protagonisté de Beaulieu voyage au Maine et ľitinéraire de Jack chez Vigneault passe par les Etats de l'Est vers la Floride (comme chez Jacques Marchand26) et la Louisiane. La ville de New York est évoquée par Archambault, Vigneault et, en particulier, par Monette. Sur le plan de ľ identite personnelle des protagonistes, le voyage était motive, en general par une crise identitaire. Le divorce, ou plus généralement la rupture d'une relation, en est la cause principále (Monette, Godbout, Carrier, Vigneault, Poissant, Marchand) ou secondare (Archambault, Poulin). Chez Roy, le voyage rut provoqué par la mort du ířěre d'Éveline et chez Tremblay, le protagonisté avait fui le Québec pour échapper ä ses parents oppressifs. Dans touš les romans, le voyage a eu des effets bénéfiques sur le plan personnel - et sur le plan artistique - pour les protagonistes. Avec son 25. Dans Vendredi-Friday de Poissant, le protagonisté, ägé de 42 ans, est «tanné d'aimer Francine » (1988 : 56), quitte sa « femme et trois enfants » (1988 : 21) pour sillonner les États-Unis. Depuis Boisvert, au Québec, il roule vers la ŕrontiere américaine (Premiere partie : Interstate 87 South), puis vers son lieu de naissance, Woonsocket dans le Rhode Island (Deuxiěme partie : Interstate 90 East). Dans la troisiěme partie (Interstate 95 South), son périple le mene ä New York, ä Memphis et ä Saint-Louis, pour aboutir dans la quatriěme partie (Interstate 80 West) ä San Francisco, ä Los Angeles et ä San Diego. La cinquiěme partie (Interstate 15 North) évoque son retour dramatique chez lui, oú il éerase accidentellement son propre fils. 26. Dans Le premier mouvement de Marchand, le protagonisté quitte sa compagne aprěs s'étre « épuisés mutuellement pendant deux ans »(1987 :15), pour partir vers New Hampshire et la Floride. > 81 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES goüt du nomadisme, Éveline, protagonisté du roman de Roy, a pu faire enfin un voyage pour faire la connaissance de sa famille aux Etats-Unis. Voyageant sur les traces de Kerouac, le protagonisté d'Archambault a revu son ex-femme á San Francisco, avant de pouvoir retrouver - á sa grande satisfaction - la vie sédentaire auprěs de sa conjointe á Montreal. Sa randonnée aux États-Unis ľincite ä reprendre goůt á ľécriture, une experience qu'il teňte ďabord dans son récit de voyage et qu'il prolonge ensuite dans son projet ďécrire une série pour la television. Martine, chez Monette, se libére de son amant montréalais et commence une nouvelle vie personnelle et artistique, comme cinéaste, á New York. Jack Waterman de Poulin s'est fortifíé dans la vie au cours de son voyage américain avec Pitsémine. En prison á San Francisco, Gregory Francceur (Godbout) essaie de découvrir le sens de sa vie par son écriture. Claire Dube, chez LaRue, assume son identite feminine, en embrassant pleine-ment sa vie ďépouse et de mere. Sur le plan artistique, son experience américaine donne lieu á la narration de son récit intérieur. Au cours de son périple américain, le protagonisté de Vigneault retrouve également son identite personnelle, s'engage dans une nouvelle vie avec Nuna et reprend goüt á la Photographie artistique. Le survol de la production romanesque montre que la repartition traditionnelle des rôles sexués de ľhomrne nomade et de la femme sédentaire n'existe plus. Les femmes manifestent aussi le goüt du voyage : Melanie (Archambault), Martine (Monette), Pitsémine (Poulin), Terounech (Godbout), Ciaire (LaRue) et Nuna (Vigneault) et parfois plus que plusieurs hommes qui sont contents de pouvoir reprendre leur vie sédentaire (Michel chez Archambault, Jack Waterman chez Poulin et Gregory Francceur chez Godbout). Sur le plan de ľ identite culturelle, les personnages confrontent le Québec aux États-Unis. Si la société des États-Unis se caractérise en general par la violence (Poulin, Godbout, LaRue, Carrier), Monette montre aussi que c'est un phénoměne nord-américain, transculturel. Jack Waterman, chez Poulin, deplore ľéchec humain de Théo á San Francisco. Gregory Francceur, chez Godbout, est désillusionné par le manque de profondeur culturelle et humaine en California Dans ľexpérience feminine de Ciaire Dube, LaRue oppose la ville de Montreal (langue 82 LE VOYAGE IDENTITAIRE AUX ÉTATS-UNIS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS francaise ; vrai, authentique ; histoire, realite) á ľunivers américain de San Francisco (langue américaine ; faux, factice ; film, fiction). La repression policiěre (Godbout, Monette, Beaulieu), la politique étrangěre centrée sur les intéréts américains (Godbout) et ľesprit guerrier (Beaulieu) sont également critiques. Le Grand Réve de ľ Amérique du mythe américain est done souvent démystifié par la réalité concrete. Cette image negative des États-Unis est pourtant nuancée par le protagonisté d'Archambault, qui aime San Francisco et apprécie bien la ville de New York. La protagonisté de Monette est également attirée par ľambiguité fascinante de New York. Chez Tremblay, Simon s'est eníui justement de ľoppression familiale au Québec pour trouver la liberté aux États-Unis. En dépit de critiques parfois sévěres envers les États-Unis, tous les personnages montrent leur américanité par leur appartenance comme francophones du Québec au continent nord-américain. Depuis les années 1980, les romans québécois se caractérisent done plus par leur américanité que par les liens ďorigine avec la France, qui est souvent critiquée. Plusieurs romans racontent des voyages américains sans aborder explicitement des débats ďidentité culturelle (Marchand, Poissant, Vigneault). Poulin et Carrier ne rappellent pas seulement le passé canadien-francais en Amérique du Nord, mais ils évoquent aussi 1'histoire amérindienne. Comme Beaulieu, ils montrent les liens de métissage entre les « Blancs » et les « Rouges », qui peuplent ensemble le continent. Pitsémine (Poulin), Terounech (Godbout), Martine (Monette) et \ Simon (Tremblay) préferent rester aux États-Unis plutôt que de rentrer au Québec. Pitsémine et Terounech apprécient en particulier la société multiculturelle de San Francisco. C'est Roy qui présente ľimage la plus positive du cosmopolitisme ä la Campagne califomienne. La plupart des protagonistes (Archambault, Poulin, Godbout, LaRue, Carrier) sont pourtant fort contents de pouvoir retourner ä Montreal, au Québec francophone. Ce panorama du voyage américain dans le roman québécois depuis 1980 révéle done ses liens avec ľidentité personnelle des protagonistes aussi bien qu'avec ľidentité culturelle du Québec par rapport aux Etats-Unis et au continent nord-américain. 83 ROMANS DE LA ROUTE ET VOYAGES IDENTITAIRES BIBLIOGRAPHIE Archambault, Gilles ([1981] 1988), Le voyageur distrait, Montreal, Typo. Beaulieu, Alain (1997), Fou-Bar, Montreal, Québec/Amérique. 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II n'est pas non plus étonnant que dans les rares occasions oú l&fémme errante se présente dans la littérature états-unienne de cette perióde, eile est souvent reléguée - en tant que figure symbolique de la faute et du dévergondage, selon Jacqui Smyth (1995 : 3) - ä ľarriére-plan de ľintrigue. Ä cette époque, la fiction au Québec met aussi en scéne ce genre de representation, notamment dans la parodie du román de la terre Une saison dans la vie d'Emmanuel (1965) de Marie-Claire Blais, dans lequel Héloise recoit le merne traitement. Or, divers écrivains québécois ont depuis traité différemment la littérature de ľerrance venue des États-Unis, en representant la course 87