L e g o n 1 Les modes Introduction Le verbe se distingue de toutes les autres categories par ses marques morpho-logiques : c'est le seul mot á voir varier sa terminaison (sa desinence) selon ce que ľ on appelle communément le temps et la personne. Ainsi : (II) dort {-t : present, 3e personne du singulier) (II) dormait {-ait : imparfait, 3e personne du singulier) (Nous) dormions {-ions : imparfait, lre personne du pluriel) Le radical est le lexeme, qui comporte pour dormir deux formes : dor- ou dorm-, et la teiminaison correspond á deux morphemes (le temps et la per sonne). Dire que le verbe varie en temps et en personne est néanmoins trop simple, meme si cela suffit, dans un premier temps, á caractériser le verbe par rapport aux autres parties du discours, c'est-á-dire le nom, l'adjectif, le determinant, le pronom, la conjonction, la preposition, ľinterjection1 : le verbe en effet relěve aussi du mode et de ľ aspect. Nous traiterons ici du mode. On peut sommairement définir le mode comme la facon ďappréhender ou de presenter le proces (« etat » ou « action ») exprimé par le verbe (nous reviendrons sur le sens des modes dans la lecon 3). Ainsi, dormir (mode infinite) ne permet guěre que la designation d'un concept (ľidée de « dormir » par opposition ä celie de « courir » par exemple) ; c'est d'ailleurs la forme adoptee par les dictionnaires pour presenter les verbes, et par les grammaires pour indiquer les types de conjugaison. En revanche dormait (mode indica- 1. Les termes partie du discours et catégorie sont equivalents : ils indiquent la nature du mot selon l'analyse grammaticale, c'est-a-dire la classe dans laquelle il est range par la grammaire. r 20 Grammaire du verbe frangais: des formes au sens tif) porte la personne et le temps : ľappréhension de ľidée verbale est done ici beaueoup plus precise, puisqu'elle est affectée á une certaine personne et inscrite dans une certaine époque. Si je dis seulement Dormir ! on ne peut savoir de qui il s'agit (Moi ? Dormir ! ou Toi ? Dormir ! ou Lui ? Dormir !, etc.) ni situer ľévénement temporellement (on peut dormir main-tenant, ou dormir jusqu'ä demain, ou dormir demain, ou dormir depuis deux heures, etc.). Les grammaires distinguent traditionnellement les modes : Infinitif Conditionnel Participe Indicatif Subjonctif Impératif ... mais attention ! une forme peut en cacher une autre ! 1. L'infinitif Puisque le mode est caractéristique du verbe, on ne parlera de l'infinitif comme mode que lorsqu'il est effectivement une forme verbale. Les grammaires distinguent en effet deux emplois possibles. 1.1. L'infinitif comme forme nominale L'infinitif n'est pas une forme verbale dans des phrases telies que : Les vivres vinrent á manquer Le savoir de cet homme est immense Elle m'a fait un beau sourire ou l'infinitif est employe comme un nom, ainsi que le montrent la presence de Particle, la marque du pluriel en -s ou la possibilité d'avoir un adjectif. Mais l'infinitif peut etre une forme nominale meme en dehors de ces contex-tes syntaxiques ; ce qui permet alors de le repérer, e'est qu'il occupe une fonc-tion qui est celle d'un nom : sujet, complement, apposition ou attribut. Par exemple : Vivre lui est devenu insupportable (yivre est sujet) Elle veut vivre (vivre est complement ď objet direct) // consent ä vivre (vivre est complement d'objet indirect) Elle parle de sa difficulté a vivre (vivre est complement du nom difficulté) II est heureux de vivre (vivre est complement de l'adjectif heureux) Elle ne veut qu'une chose : vivre (vivre est en apposition ä chose) Végéter ainsi n 'est pas vivre (vivre est attribut de végéter) II était morí avant de vivre (vivre forme avec la preposition un complement circonstanciel de temps) 1 les modes 21 1.2. L'infinitif comme forme verbale Mais alors, quand l'infinitif est-il une forme verbale ? Lorsque, tel un verbe conjugué, il a un sujet. On peut distinguer deux cas. 1.2.1. Les propositions infinitives Aprěs des verbes comme faire, laisser, voir, regarder, entendre, écouter, sen-tir, on rencontre une proposition complement d'objet á ľintérieur de laquelle l'infinitif a son propre sujet : Je fais travailler les enfants Laisse-moi me reposer On voit danser la mer II regarde le train partir Ce sont les enfants qui travaillent : les enfants est sujet de travailler. De méme, moi est sujet de (me) reposer, la mer sujet de danser, le train sujet de partir. Cette analyse traditionnelle pose toutefois un probléme, e'est que les grammairiens ne parlent pas toujours2 de proposition infinitive dans des phrases telies que : Je demande a Jean de partir Certes, Jean est le complement d'objet indirect de demande, mais ne désigne-t-il pas aussi celui qui part ? Done n'est-il pas le sujet de partir ? Dans : // regarde le train partir le train, analyse comme le sujet de partir, n'est-il pas aussi ce qu'il regarde, done le complement d'objet de regarde ? On peut essayer de résoudre ce probléme en examinant les propriétés de Jean et partir par rapport ä demande, comparées aux propriétés de le train et partir par rapport á regarde ; on constate en effet que Jean et partir peuvent chacun étre remplacés par un pronom : Je demande ä Jean de partir3 ' = le ■ '■'" ■ - -■ -* Je le demande á Jean Je demande ä Jean de partir = lui ■-■•/■■• ;. -* Je lui demande de partir 2. Ne croyez pas que « la grammaire » représente une doctrine homogene ! Les descriptions different, comme les choix dans les analyses, ou les etiquettes. 3. Remarquez que, malgré la preposition, de partir est complement d'objet direct puisqu'il est remplacé par le, ou dans une question, par le pronom interrogatif que (qu'est-ce que) et non de quoi: Que demandes-tu ä Jean ? De partir. Les grammaires parlent alors de preposition vide. 22 Grammaire du verbe frangais: des formes au sens En revanche, si l'on a bien . II regarde le train partir = le -* II le regarde partir on n'a pas : II regarde le train partir = le -**l\le regarde le train On peut done faire ľhypothese que dans Je demande ä Jean departir, demande est suivi de deux complements autonomes, chacun étant pronominalisable ; tandis que dans 7/ regarde le train partir, regarde est suivi d'un seul complement (la proposition infinitive) oú partir est étroitement dependant de train (puisqu'il ne peut pas etre pronominalisé). Notons que ľinfinitif ne devient pas pronominalisable si son sujet, different de celui du verbe conjugué, est absent. Ainsi, dans des phrases comme : J'entends marcher dans le jardin... Ses enfants orient, et il laisse faire ! II fait repeindre sa cuisine le sujet de ľinfinitif n'est pas realise mais sa presence implicite bloque tou-jours la pronominalisation de ľinfinitif : Je ľentends dans le jardin / Je ľentends ne correspond pas á J'entends marcher dans le jardin ni II le laisse ä II laisse faire ni * II le fait sa cuisine ä II fait repeindre sa cuisine La proposition infinitive á sujet absent4 se distingue done de ľinfinitif complement ďobjet, qui, lui, peut étre remplacé par un pronom : Je souhaite marcher dans le jardin -* je le souhaite repeindre ma cuisine . 1.2.2. Les periphrases verbales Ne concluez pas de ľexemple Elle veut vivre, oú vivre est analyse comme forme nominale, étant complement ďobjet, que tout infinitif suivant un verbe 4. Certains disent sujet efface, d'autres sujet zero (ce qui peut etre note sujet 0) ; on peut encore parier d'ellipse du sujet. Les modes 23 conjugué est une forme nominale complement ďobjet ! Comparons les deux phrases suivantes : (1) Max veut grossir (2) Max va grossir Ľinfinitif n'a pas les mémes propriétés en (1) et en (2) ; par exemple on a bien : mais on n'a pas : Grossir, Max le veut * Grossir, Max le va Que veut Max ? — Grossir * Que va Max ? — Grossir Ce que veut Max, c'est grossir * Ce que va Max, c'est grossir En (1), ľinfinitif a done les propriétés ďun complement ďobjet ; comparons avec Max veut le gäteau, oú le complement ďobjet le gäteau per-met aussi : Le gäteau, Max le veut v Que veut Max ? — Le gäteau Ce que veut Max, c'est le gäteau Mais en (2), ľinfinitif n'est pas un complement ďobjet. Qu'est-il done ? C'est le verbe lui-meme ! Et aller qui le precede est un auxiliaire indi-quant le futur (nous reviendrons sur les auxiliaires et ľinfinitif dans la lecon 4, oú nous montrerons en particulier que vouloir peut étre analyse autrement). Résumons ! Vérifiez que vous ětes capable du schéma suivant : de développer chaeune des indications s Forme nominale : ľinfinitif a la fonetion d'un groupe du nom lnfinitif