Paul Claudel VI. LE SACRIFICE • O que la passion n'a nu obtenir, c'est au sacrifiee de le ríaliser. > 11. La prioro do Dona Prouhéze á la Vierge avant ľépreuve. Le Soulier de salin (Prcmiirc journóe), Gallimard od. SCĚNE V DONA PROUHÉZE, DON BALTHAZAR Meine Heu lez pas, Seigneur, ct donnez-moi iilulôt ce papier que je vois tout pret dans votre main. DON baltiiazah. — l^isez-le, je vou3 prie et veuillez y iiiettre votre seing ä la marque que j'ai faite. Oui, je me suis sent i tout soulagé depuis que j'ai couche ainsi mes ordres sur ce papier. C'csl lui qui nous commandcra a touš désonnais, moi le premier. Vous y trouverez toute chose bien indiquce, les etapes, Ics heures du dé part et des repas, Et ces moments aussi oü vous auře/, permission dc m'entretenir, car je sais qu'on ne saurait condamner lea femmes au silence. Alors je vous raconterai mes campagnes, les engines de ma famille, les mesurs de la Flandre, mon pays. dona prouhéze. — Mais moi aussi, n*aurai-je pas h'cence de dire un mot parfois? don Balthazar. — Sirene, je ne vous ai přete dejá lea oreifles que trop! dona prouhéze. — Est-il désagr-eable de penser que pendant quelques jours mon sort et ma vie ne seront pas rnoins pour vous que voire propre vie: Et qu'ótroitement associés, vous sentirez bien ä chaque minute que j'ai pour défeuseur vous seid! DON Balthazar. — Je le jure! on ne vous tirura pas ďentrc mes mains. dona phouhěze. — Pourquoi cssayerais-ju dc fuir alora que vous me conduisez la précísément oi'i je voulais aller? DON Balthazar. — Et ce que j'avais refuse, c'est votre époux qui me I'cnjoint! dona prouhéze. — Si vous rn'avicz refuse, alors je serais partie seule. Ouí-dä, j'aurais Irouvé quelqne moyen. DON Balthazar. — Dona Merveitle, je suis fache cľc-n-tendre ainsi parier la fillc de votre pere. DONA prouhzke. — Éraiťce un homme qu'on avait l'habi-tude de contrarier en ses desscins? don Balthazar. — Non, pauvre Comic. Ab! quel ami j'ai perdu! Je me resseria encore de ce grand coup ďepée qu'il me f 73 Paul Claudel don Balthazar. — Ce corps au* yeux de Rodriguc n'cst-il que votre prison? dona prouhéze. — Ah! c'est unc dcpouille qu'on jette AUS pieds de celui qu'on aimc! DON BALTHAZAR. — Vous le lui donneriez done si vous le pouviez? dona prouhéze. — Qu'ai-jc á moi qui ne lui appartienne? Je lui donnerais le inoiide cnticr si je le pouvais. don Balthazar. — Partez. Kcjoignez-le! dona prouhéze. — Seigneur, je vous ai déjä dit que je me suis placce non plus en ma propre garde, mais en la votre. don Balthazar. — Cest Don Pelage seul qui est voire gardien. dona prouhéze. — Parlez. Ditcs-lui tout. don Balthazar. — Ah! pourquoi vous ai-je donné si vile ma parole? dona prouhéze. — Quoi, la confiance que j'ai misc en vous, n'en étes-vous pas louche? Ne me force» pas ä avouer q u fl y a des choscs que je ne pouvais dire qu'á vous seid. don Balthazar. — Apres tout, je ne fais qu'obéir a Don dona prouhéze. — Ah! que vous allez bien me garder et que je vous aime! Je n'ai plus rien ä faire, on peul s'en remettre á vous. Et déjá je concerie dans mon esprit milic ruses pour vous échapper. don Balthazar. — II y aura un autre gardien qui m'ai-dera et auquel vous n'échapperez pas si aisément. dona prouhéze. — Lequel, Seigneur? don Balthazar. — ĽAnge que Dieu a place pres de vous, děs ce jour que vous étiez un pelit enfant innocent. dona prouhéze. — Un ange conlre Ics demons! el pour me défendrô contre les hoinmcs il me faut une lour corurae mon ami Balthazar, La Tour et ľEpée cheminant d'un seul morccau, ct cette belle barbe dorce qui montre de loiu oü vous čteš! don Balthazar. — Vous ctes restce Francaise. 776 Textes choisis dona prouhéze. — Comme vous ctes reste Flainaud; n'est-ce pas joli mon petit accent de Franche-Comté? Ce n'est pas vrai! mais touš ces gens avaient bicn besoin de nous apprendre ä étreEspagnols,ils savent si peu s*y prendre! don BALTHAZAn. — Comment voire mari a-t-il pu vous épouser, lui vieux dejá, et vous si jcunc? dona prouhéze. — Je m'arrangeais sans doute avec les parties de sa nature les plus séveremeiit maintenues, les plus sceretement choyées. De sorle que quand j'accompagnais mon pere á Madrid oü les affaires de sa province ľappelaient, Ľaccord ne fut pas long ä s'établir enlre les deux hauts seigneurs, Que j'aimasse Don Pélage aussitot qu'on me l'aurait presents, par-dessus toule chose et pour tous Ics jours dc ma vie, commc ccla est legal et obligatoirc enlre mari et femme. don Balthazar. — Lui, du moins, vous nc pouvcz pas douter qu'il no remplisse pas envers vous sa part. dona prouhéze. — S'il m'aime, je n'élais pas sourdc pour que je ľcnlende me le dire. Oui, si bas qu'il mo l'aurait avoué, un seul mot, j'avaia ľoreille asscz fine pour le eomprendre. Je n'étais pas gourde pour entendre cc mol auquel mon cceur éUiil altcntif. Bien des fois j'ai cru le saisir dans ces yeux donl le regard changeait dčs que le mien voulait y pcnclrer. J'interprélais celte main qui se posait une seconde sur la micniic. Hélas! je sais que je ne lui sers de ricn, ce que je fais jamais je nc suis sôre qu'il ľapprouve. Je n'ai memo pas etc capable de lui dormer un fils. Ou pcul-Plre, ce qu'il éprouve pour moi, j'essaye parfois de le croire, C'cst chose tellement sacrée peut-faro qu'il faut la laisser s'exhaler seule, il ne faut pas la déranger avee Ics choses qu'on y met trait. Oui, il m'a fait entendre quelque chose de ce genre uno fois, á sa maniere étrange et détournec. 777 Paul Claudii Textes choisis O» pcul-fitre est-il si fier que pour que je ľaime U dédaigne de faire appel ä autre chose que la véríté. Je Ie vols si peu souvenl! et je suis si iiitimidce avec lui! El ceperidant longtcmps je n'imaginais pas que je pouvais etre ailleurs qu'ä son ombre. Et vous voycz que e'est lui-mfiiiic aujourd'hui qui me congédíe et non pas moi qui ai voulu le quitter. Presque tout 1c jour il me laisse sculo, et e'est bien lui cette maisoii deserte et sombre ici, si pauvre, si here, Avec ce tuant soleil au-dehors et cette odeur dělícieuse qui la remplil! Oui, on dirait que e'est la mere qui l'a laissée ainsi dans un ordre severe ct qui víent de partir a ľinstant, Une grande dame infiniment noble ct qu'on oserail ä peine regarder. DON Balthazar.—-Sa mere est morte en lui donnant la vie. Duna phouhěze, montrant la statue au-dessus de laporte, — Peut-fitre est-ce de ccUc-ci que je parle. Don Balthazar ôtč gravement son clui-peuu. Tons deux regardent gravement la statue de la Viefge en silence. dona phouhěze, comme saisie ď une inspiration. — Don Balthazar, voudriez-vousme rondre le service de tenir cette mule. Don Balthazar dent la těte de la mule. Prouhdze monte debout sur la seile et sc déchaussanl eile mel son Soulier de salin entre les mains de la VUrge. DONA prouhěze. — Vicrge, patronne ct měře dc cette maison, liépoudante et protectrice de cet homnie dont le cceur vous est penetrable plus qu'ä moi et compagne de sa longue solitude, Alors si ce n'est pas pour moi, que ce soit ä cause de lui, Puisquc cc lien entre lui el moi n'a pas etc mon fait, niais voire volonte intervenante : 178 Empcchez que je sois ä cette maison dont vous gardez la porte, auguste touriěre, une cause dc corruption! Que je manque á ce nom que vous m'avez donne ä porter, et que je cesse d'etre honorable aux yeux de CCUX qui m'siimcnt. Jc nc puis dire que je comprends cet homme que vous nťavez choisi, mais vous, je comprends, qui files sa mere comme la iniennc. Alors, pendant qu'il est encore temps, tenant mon cceur dans une main ct mon Soulier de ľautre. Je me remets ä vous! Vierge mere, je vous donne man Soulier! Vicrgc mere, gardez dans voire main mon malheureux petit pied! Jc vous průviens que tout a ľheure je ne vous verrai plus et que je vais tout mettre en ceuvrc contre vous! Mais quantl j'essaienti de m'élancer vers le mal, que ce soit avec un pied boiteux! la barrierc que vous avez mise, Quand je voudrai la franchir, que ce soit avec une aile rognee! J'ai fin i ce que je pouvais faire, et vous, gardtjz mon pauvre petit Soulier, Gardcz-lc conlre voire cceur, ô grande Maman eflrayantc! Paul Claudel fournit au travers du corps un malin do carnavaf. Cest júnsi que commenca notre fraternity. Il mc sembte que je le rcvois quand jc vols vos yeux, vous y étiez dejä. noNA phouhěze. — Je ferais mieux de ne pas vous dire que j'ai cnvoyé celte lettre. DON Balthazar. — Une lettre ä qui? dona prouhěze, — A Don Rodríguc, oui, pour qu'il vienne me fetrouver en cette auborge preeiséraeut oů vous allez me conduire. don daltHazaR. —■ Avez-vous fail cette folie? dona proihiezE. — Et si je n'avais pas profite de ľocca-sion inouTe de cette gitane qui gagnait direetement Avila ou je sais qu'est id residence do ce cavalier, N'aitnut-ce pas etc un péché, comme disent les Italiens? DON balthazab. — Ne blaspliémcz-pas. — Et veuiliez ne pas me regarder ainsi, je vous prie, fi! fs'avcz-vous point ver- gogne de voire conduitc? et aucune crainte de Pon Pelage? que ferail-il s'il venait ä I'apprendre? dona prouhěze. — Il me tucrail, nul doute, saris hüte comme il fait lout et aprôs avoir pris íe temps de considérer. don Balthazar. — Aucune craitite de Uicu? dona prouhěze. — Je jure que je ne veux point faire le mal, e'est pourquoi je vous ai tout dil. Ah! ce fut dur dc vous oiivrir mon cosur el je crains que vous n'ayez rien compris, Ricn que ma bonne affection pour vous. Tan t pis! Main-tenant, e'est vous qui ßtes responsable ct chargé de me dcTendre. DOiv Balthazar, — ll faut in'aider, Prouhěze. dona phouhěze. — Ah! ce scraii trop facile! Jo ne cherche point d'occasion, i'attends qu'elle vienne mc trou ver. Et je vous ai loyalemeut averti, la Campagne s'ouvre. Cest vous qui ětes mon défenseur. Toul ce que je pounni faire pour vous échapper et pour rejoindrc Rodrigue, Je vous donne avertissement que je le lerai, don Balthazar. — Vous voulcz cetle chose detestable? dona prouhěze. — Ce n'csl poinl vouloir que prévoir. Et vous voyťz que je me derie tellement de ma liberie quo je ľai remise enlre vos mains. m Textes choisis don Balthazar. — N'aimcz-vous pas voire mari? dona PROUHEZE, — Je ľaime. DON Balthazar. — Ľabandonnerícz-vous ä cette heure OŮ lc roi lui-mcme ľoublie, Tout seul sur cetle cole sauvage au milieu des infideles, Sans troupes, sans argent, sans sceurité d'aucune sorte? dona PROUHEZE. — Ah! cela mc louche plus que tout le reste. Oui, ľidée de Iralúr ainsi ľAfrique et notre pavillou, Ľt ľhonneur du nom de mon mari, je sa» qu'il ne peut sc passer de moi, Ces tristes enfants que j'ai recueillis, ä la place dc ceux que Dieu ue m'a pas donncs, ces femmes qu'on soigne ä ľinnrmcric, ces partisans rares ct pan vres qui se sont donnés ä nous, aban-donner tout cela, Je vcux dire que cela me fait horreur. DON Balthazar. — Et qu'est-ce done qui vous appelle ainsi vers ce cavalier? dona pnoL'HEzE. —Sa voix. don Balthazar. — Vous ne ľavez conriu que peu dona PROUHEZE. — Sa voix, je ne cesse de ľentendre. don BALTHAZAR. — Et que vous dit-ellc done? dona prouhÉze. — Ah! si vous voulez m'empecher d'aller ä lui, Alors du moina Hez-moi, ne me laisaez pas cette cruelle Uberte! Mettez-moi dans un cachot profond derriěre des barres de fer! Mai» quel cachot serait capable de me retenir quand celu i račme de mon corps menace de so décliirer? Hélas! il n'est que trop solide, et quand mon maitre m'appelle, il ne suffil que trop ä retenir cette áme, contrc toul droit, qui est ô lui. Mon árnc qu'il appelle et qui lui auparlicnt! DON Balthazar. — Lame et le corps aussi? dona prochěze. — Que parlcz-vous de cc corps quand c'cst lui qui est mon enncmi ct qui m'empPche de voler d'un trait ju-^qu'ä Rodríguc? 175