Chapitre XII FORMES PASSIVES Étudiez les formes passives du texte suivant: « La mort de Charles íe Téméraire » 1 II avait été bien maltxaité. ü avait une grande plaie ä la téte, une blessure qui percait les cuisses, et encore une au fondement. íl n'était pas facile ä reconnaítre. En dégageant sa tete de la glace, la peau s'était enlevée. Les loups et les chiens avaíent commence ä dévorer 5 ľ autre joue. Cependant ses gens, son médecin, son valet de chambre et sa lavandiěre, Ie reconnurent ä sa blessure de Montlhéry, aux dents, aux ongles et ä quelques signes caches. II hit reconnu aussi par Olivier de la Marche et plusieurs autres des principaux prisonniers. « Le due René les mena veoir le due de Bour- 10 gogne, entra le premier, et la téte desfula (découvrit).,. A genoux se mirent: "Hélas, dirent, voilä nostres bon maitre et seigneur..." Le due fit crier par toute la ville de Nancy que tous chefs d'hostel chascun eus-sent un cierge en la main, et ä Saint-Georges fit preparer tout ä ľenviron des draps noirs, manda les trois abbés... et tous les prebstres 15 des deux lieues ä l'entour. Trois haultes messes chantirent. » René en grand manteau de deuil, avec tous ses capitaines de Lorraine et de Suisse, vint lui jeter l'eau bénite, « et lui ayant pris la main droite, par-dessous le poéie », ií dit bonnement: « Hé dea ! beau cousin, vos ämes ait Dieu ! Vous nous avez fait moult maux et douleurs. » 20 II n'était pas facile de persuader au peuple que celui dont on avait tant parle était bien vraiment mort... II était cache, disait-on, il était tenú enfermé; il s'était fait moine; des pělerins ľavaient vu en Alle-magne, ä Rome, ä Jerusalem; ií devait reparaitre tôt ou tard, comme le roi Arthur ou Frederic Barberousse, on était sGr qu'il reviendrait. II 2.5 se trouv3.it ues marcnanos qui venuaieni a credit, pour etre payés au double, alors que reviendrait ce grand due de Bourgogne. On assure que le gentilhomme qui avait eu le malheur de le tuer sans le reconnaítre ne s'en consola jamais, et qu'il en mourut de chagrin. S'il fut ainsi regretté de l'ennemi, combien plus de ses serviteurs, 30 de ceux qui avaient connu sa noble nature avant que le vertige lui vint et le perdít! Michelet, Histoire de France, Moyen Age, XVII, 3 (1844). Formes passives 169 PRÉALABLES Connaissances requises Lecture: G.M.F., chap. VII: « Le groupe verbal», § 2.2.4. (et 2.2.5.2. pour les constructions pronominales dites «passives»), p. 254-260, et surtout chap. XI: «Les types de phrase», § 7, p. 433-444. Le schéma structurel des formes passives, [etre + participe passé (+complement d'agent)], et le rapport systématique des phrases passives avec les phrases actives correspondantes, [GN1 + Vtrans. + GN2] <-> [GN2 + Vpassif(+ par + GN1)], sont trop connus pour qu'on y insiste. Pourtant, le passif n'est pas sans poser des problěmes délicats. La question des verbes transitifs directs qui ne sont pas passiva-bles n'aura pas en principe ä étre traitée dans une analyse de texte, oú on ne trouvera évidemment que des formes effectivemcnt réali-sées. Et le cas des formes passives resultant de la passivation de verbes qui ne sont pas transitifs directs ne concerne qu'un tout petit nombre de verbes (pardonner, obar). En revanche, de probléme posé par ľabsence ou la presence de complement ďagent, avec les consequences que cela peut avoir sur ľinterprétation (notamment quant ä la reference tcmporclle, ou, si l'on préfere, á ľopposition action/résultat) renvoie ä la classification sémantique des verbes en perfectifs et imperfectifs (XI: 7.3.2. et VII: 2.3.3.2., p. 292 sq.); ľeffacement du complement d'ageht a, en effet, la propriété de changer la valeur temporelle du passif des verbes perfectifs. D'autre part, introduction du complement d'agent ä ľ aide de la preposition de (au lieu de par, plus general) renvoie á une autre classification sémantique des verbes en sta-tifs et dynamiques (XI: 7.3.1.), de n'est une variante de par, dans la fonetion de preposition introduisant le complement d'agent, que si le verbe est statif. Autre probléme: en ľabsence de complement ďagent, une 170 Types et formes de phrase phrase contenant la sequence [verbe etre + participe passé]' doit-elle etre interprétée comme passive ou attributive, avec un participe passé employe comme adjectif? Le principe est que la phrase passive peut étre mise en correspondance avec une phrase active. En revanche, la phrase attributive se reconnaitra á ces quelques tests : la possibilité de substituer au verbe etre, si c'est un verbe attributif et non un auxiliaire de conjugaison, une de ses variantes modales {sembler ou tester, par ex.); l'adjonction possible d'un adverbe modiflcateur typique des qualificatifs, qu'il est impossible de rencontrer comme modificateur d'une forme verbale (trěs, par ex.); ľimpossibilité d'introduire un complement d'agent; ou encore le couplage par coordination de la forme ä analyser avec un adjectif qualificatif non suspect d'etre un participe passé (XI: 7.3.2.). En sens inverse, lä oú il n'y a pas de phrase passive au sens défíni plus haut, il est possible de reconnaítre des tournures équivalentes du point de vue des propriétés interprétatives et des usages discursifs (XI: 7.5.). II s'agit des formes pronominales de sens passif (VII: 2.2.5.2.), des constructions intransitives des verbes reversibles (VII: 1.4.6.), et enfin des « passifs périphrastiques » cons-truits avec les expressions se voir, s'entendre, se hisser, se faire + VInf (VII: 1.4.7.). Enfin, ayant á étudier le passif, on doit aborder, mais avec prudence, la question des mots de sens passif. On peut opposer, pour la méme construction comportant un infinitif de forme simple, une orientation active {un komme á tout faire) et une orientation passive {un komme ä abattre); il existe des couples de noms oü l'un est le « passif» de ľautre {vainqueur/vaincu), etc. (XI: 7.5.). II ne fait pas de doute que les participes presents (formes en -ant) sont des formes d'actif d'aspect inaccompli (plus encore que de present), alors que les participes passes, méme employes sans le verbe etre, en position 1. U faut commencer par excíure le cas des verbes intransitifs conjugués avec ľauxiliaire étre aux temps composes de ľactif. C'est ici le cas de « était mort» (1. 24). II s'agit d'un plus-que-parfait actif, le verbe mourir n'ayant pas de passif. Certains gramrnai-riens préfěrent dire que c'est un verbe passif qui n'a pas d'actif, son sujet étant (et pour cause !) comme celui des formes passives un pur patient, mais c'est aussi le cas de bien des verbes actifs qui se conjuguent avec ľauxiliaire avoir, comme soujfnr. Le raisonnement ne vaut d'ailleurs pas pour sortir, qui se conjuguc pourtant lui aussi avec ľauxiliaire etre. Formes passives 171 ďépithětes par exemple, sont passifs et d'aspect accompli (plus que passes), sauf pour les verbes intransitifs dont ľauxiliaire de conjugaison est etre {parti de grand matin). Mais quand on passe du participe au simple adjectif verbal, ľopposition actif/passif semble le plus souvent s'évanouir1. A moins de donner au terme passif un sens si étendu qu'il ne voudrait plus rien dire : á ce compte seraient «passifs» nombre de qualificatifs, děs lors qu'ils sont formes sur une base qui sert par ailleurs ä former des verbes et qu'ils se rapportent ä des noms d'etres qui sont les patients ou les sieges des proces exprimés par ces verbes2. Repérage des occurrences Écartons d'abord toutes les citations d'une vieille chronique, elles ne contiennent pas de formes passives3. Le texte de Michelet se trouve étre assez riche en passifs, ce qui n'est guěre courant. Ce n'est pas une raison pour en voir oü il n'y en a pas. La oú ľ on trouve une sequence [etre + participe passé + GP introduit par la preposition par ou de\, le repérage est facile (1. 8-9 et 29-31). II est plus délicat si ľon a settlement [étre + participe passé]. Peut-on alors restituer un complement d'agent, inferable ä partir du contexte ? ou encore, peut-on, si ľon remonte ä la forme active, restituer un sujet comme on ou fa, qui se trouve réguliěrement efface au passif? (1. 1, 21-22, et 25). Dans quelques signes caches (1. 7), on voit mal comment pourrait etre invoqué d'une facon quelconque le proces qu'exprime le verbe cocker. Rien ne cache actuellement ces signes (passif-action), rien n'a 1. Par exemple, il n'est pas possible de considérer systémaliquement les adjeetifs verbaux en -ant (variables) comme des formes actives. Une. rue. passante n'est pas une rue qui /jftt.ici-mais..Oii Con.passe. . 2. Vieux, múr ou chaud par exemple. Et les adjeetifs verbaux correspondants retien-nent bien ľidée qu'un proces a eu lieu, mais sont-ils actifs ou passifs ? Vieilli - qui a vieiili ou qui est vieilli ? Mud = qui a muri ou qui est muri ? Chauffe = qui a chauffe ou qui est ou a été. chauffe ? 3. II y en aurait eu un exemple un peu plus haut dans le texte, et qui nous aurait propose un témoignage interessant sur ľordre des mots en moyen francais, ainsi qu'un probléme concernant ľemploi des temps : Quand le due ouyt que trouvé estoit, bienjoyeux enfiit (« Quand le due René entendit que le corps du due de Bourgogne avait etc décou-vert... »). 172 Types et formes de phrase entrepns dans le passé de les cacher de maniere á obtenirle résultat qui est constaté (passif ďétat). En revanche, caches pourrait étre modine par un adverbe ďintensité comme trés, si, ou plus, ou pourrait étre coordonné avec un adjectif qualificatíf indiscutable : quelques signes secrets et trés caches. Ce participe est devenu ici un pur et simple qualificatíf. N'excluons pas la possibilité de trouver dans le texte un pronominal passif, voire un infinitif de forme active et de sens passif. ANALYSE PROPOSES L Les phrases passives achevées a) 11 fat reconnu... par Olivier de la Marche et plusieurs autres... (1. 8-9). Nous avons ici la forme prototypique de la phrase passive. Rien de plus facile que de remonter ä la phrase active : Olivier de la Marche et plusieurs autres le reconnurent (voir plus haut: ses gens... le reconnurent, et noter que aussi sert de relais entre les deux faits, qui sont ľun et ľautre au passé simple). Le verbe a ici un sens dynamique, autrement dít il représente une action, et non un état: aussi, ä la difference de connaíire («il était connu de tous»), il pourrait diíficilement étre suivi ďun complement ďagent introduit par de, car les complements ďagent dont il est question se sont montrés remarquablement actifs, ďautant plus que, comme le precise Michelet, il (le due) n'était pas facile á reconnoitre (1. 2-3). D'autre part, c'est un verbe perfectif, c'est-á-dire que Taction de reconnoitre ne peut qu'aller jusqu'au bout d'elle-méme, jus-qu'á ľidentification du corps; aussi la suppression du complement d'ageht aurait-elle en principe pour eífet de rendre possible une lecture « accomplie » ou « résultative ». Une telle interpretation serait possible au present: avec un complement d'agent, on aurait le passif-action il est reconnu par Olivier de la Marche ( « Olivier est en train de le reconnaitre » ); sans complement, le passif d'état il est reconnu ( « ca y est, on ľa reconnu »). Mais eile est improbable lorsque ľauxiliaire de passif (/kí) est au passé simple, temps du récit par excellence. Formes passives 173 b) IIfit... regretté de ses ennemis, de ses sewiteurs, de ceux qui avaient connu sa noble nature... (I. 29-31). Regretter est un verbe statif, dénotant un sentiment, aussi n'est-il pas étonnant de trouver un complement d'agent introduit par de {par reste tout de méme possible). D'autre part, le temps resterait le méme (le passé simple) si ce complement d'agent n'était pas exprimé, car le verbe est assurément imperfectif: la phrase réalisée correspond ä la phrase active : Ses ennemis, ses sewiteurs, ceux qui avaient connu sa noble nature le regretterent. II fit regretté (tout court) correspondrait aussi á la phrase au passé simple on le regretta. Dans les deux exemples étudiés, le sujet (agent ou patient) et l'objet du verbe actif sont tous les deux des étres animés humains. La presence d'un objet humain facilite l'usage du passif, car on sait qu'il est assez peu frequent de trouver un passif dont le sujet serait un inanimé et le complement d'agent un animé humain ; s'il y a un contraste de ce type, ľ animé humain est fréquemment le theme, et done le sujet grammatical le plus probable. Mais la tournure passive a surtout ici pour intérét, de méme que dans quelques autres exemples qui seront étudiés plus loin, de maintenir dans le role de theme le personnage principal de ľhistoire, Charles le Térnéraire, malgré sa mort. 2. Les phrases passives inachevées A / Au passif proprement dit a) II avait été bien maltraité (1. 1) résulte, semble-t-il, de la tranfor-mation passive de on ľavait bien maltraité. Toutefois, rien n'assure que l'agent soit bien un étre humain ou des étres humains. Le texte met en cause un peu plus loin les hups et les chiens, qui en toute rigueur ne pourraient étre représentés par on. L'effacement de l'agent correspond ä ľintention du narrateur de laisser dans le doute le responsable de cet etat de choses, autant qu'ä celie de mettre en evidence comme thěme le héros malheureux de ľhistoire. Le verbe est imperfectif (son sémantisme ne comporte pas en lui-méme une limite finale), aussi ľabsence de complement d'agent ne change-t-elle pas la reference temporelle de la forme verbale. Nous 174 Types et formes de phrase pouvons essayer de verifier ľidentité entre phrase passive achevée et phrase passive inachevée dans le cas du verbe malträtier en transpo-sant ľénoncé á un autre temps, par exemple ä ľimparfait. II était bim maltraité pourrait également se lire, au moins facultativement, de ía merne facon que il était bim maltraité par les hups, comme un inaccom-pli, une action en cours par rapport au temps de reference, corres-pondant k on le maltraitait / les loups le maltraitaimt. Certes la lecture résultative n'est pas alors totalement exclue : ä ce momenťlä, il était (déjä) bien maltraité. Mais en ce qui concerne le plus-que-parfait du texte il avait été bien maltraité, il ne peut renvoyer qu'ä un proces anté-rieur au moment de la découverte du corps, et non ä un état anté-rieur ä cette découverte. Ou, si ľon préfére, les deux se confondent, dans la mesure oú ľaspect accompli de la forme composée est interprete comme un rapport chronologique (VII: 2.3.3.2.). b) II était tenú enfermé (1. 21-22)' contient, non pas une forme passive, mais deux! Tout ďabord, nous avons le passif du verbe tenir: cette phrase résulte de la transformation passive de la phrase active : on le tenait enfermé / on tenait le due enfermé, qui comporte une des constructions habituelles du verbe tenir, avec attribut du C.O.D. (VII: 1.5.3.). On constate en effet, justement dans notre texte méme, oú le C.O.D. est pronominalisé, que enfermé ne fait pas partie du méme syntagme que le (due). Du point de vue sémantique, c'est avec le verbe tenir que enfermé fait corps, les deux mots impliquant la méme idée de sequestration, et ľensemble forme par les deux termes peut étre considéré comme la paraphrase du mot emprisonner (pris dans le sens statif et non dynamique). En second lieu, nous avons ici le passif du verbe enfermer. Dans la construction avec attribut du C.O.D., le rapport entre le C.O.D. et son attribut est de méme nature qu'entre un sujet et son attribut. Autrement dit, cette phrase implique «il (le due) était enfermé». En effet, nous sommes ici dans le méme cas que celui des verbes occasíonnellcment attributifs (de il untre iure on infére nécessairement il est iure, VII: 1.5.2.2. et 1.5.2.3.). Dans Ies deux cas (il était tenú enfermé et il était enfermé), le sujet grammatical de la phrase passive est le méme, et ľagent efface qui «Yenfermait» et 1. Gette proposition fait partie, notons-le au passage, d'un discours indirect libre (XX : 5.3.), mais eck n'a aucune incidence sur notre propos. Formes passives 175 qui «le tenait enfermé » est identique, tout en étant impossible ä identifier : e'est la logique de la rumeur! c) Des marchands vendaient ä credit, pour étre payés au double (1. 25-26). Ici, en revanche, rien n'interdirait de préciser le complement d'agent: par kurs clients, par exemple. Mais e'est bien inutile. « On paiera », e'est sür (le propos, ľessentiel de ce que dit la phrase, et qui ne va pas de soi, e'est au doubk, évidemment!). L'absence de complement d'agent ne peut affecter ici le sens. Payer peut recevoir trois formes de complementation : payer quelque chose ä quelqu'un, payer quelque chose (e'est la méme structure, ä quelqu'un étant facultatif), ou enfin, et e'est tout different, payer quelqu'un (pas dans le sens, qu'on espěre marginal, oú payer quelqu'un signifie «ľacheter» !). Or, payer est perfectif quand il s'agit de payer quelque chose, ainsi cet article est payé n'a de lecture que résultative, mais il est imperfectif quand on dit payer quelqu'un, ainsi dans ce marchand n'est jamais payé (interpreta-, tion inaccomplie, favorisée par la lecture généralisante, celie d'un present intemporel). L'absence de complement d'agent ne modifie pas la reference temporelle : ils seront payés - on les paiera (et non on n les aura payés). d) Dans il était cache (L 21), la question qui se pose est d'abord celle-ci: s'agit-il d'une sequence [étre + adjectif attribut] ou d'une phrase passive inachevée ? Cache peut en effet etre employe comme un simple adjectif qualificatif, mais pour en étre sür il faudrait pou-voir le faire entrer dans des constructions caractéristiques de l'adjectif, par exemple lui adjoindre un modificateur spécifique ď adjectif; de son côté le verbe etre pourrait, dans une construction attributive, se voir substituer sembler ou rester. Or, on n'acceptera guěre *il était trés cache (ou assez, ou plus... qu'un autre), ni ? il semblait cache (mais e'est peut-étre en raison d'une simple incompatibilité sémantique). En revanche, on pourrait dire il restait cache, et la coordination avec un qualificatif n'est pas exclue : U était cache et malade. L'interprétation attributive est done douteuse, mais pas impossible, il s'agirait de la simple affirmation d'un etat de fait, de la qualité attribuée ä Charles le Téméraire d'etre ä la fbis vivant et invisible. Bien entendu, il existe une autre interpretation, plus probable, celie qui fait intervenir ľidée verbale exprimée par le verbe cacher dans le sens de « cacher intentionnellement». Mais qui k cache, ou plutôt le 176 Types et formes de phrase cachait ? Ou bien lui-méme, mais alors on attendrait plutôt le pronominal réfléchi il se cachait. Ou bien on le cachait. Cette deuxiěme interpretation est la plus naturelle. A partir de cette phrase active á sujet indéfini, on obtient en effet une phrase passive inachevée, et cacher est ä comprendre en ľoccurrence comme un verbe imperfectif (dans son interpretation perfective, on aurait eu il avait été cache). Cest dire qu'o« le tenait cache. Or la suite du texte confirme cette interpretation : dans I'esprit des gens, á ce moment, il était tenú enfermé (par des personnes qui lui étaient hostiles); ce n'est que dans un second temps qu'on imagine que c'est une ruse du due lui-méme : U s'étaitfait moine. B / A la forme pronominale Le dernier exemple de phrase passive inachevée est celui d'une phrase pronominale de sens passif: la peau s'était enlevée (1. 3-4)'. Comme il est de regle dans ce genre de phrase, aucun complement d'agent n'est possible (si ce n'est sous une forme non systématique introduite par sous I'effet de... ou quelque equivalent). L'agent en cause n'est pourtant nullement inimaginable, il est méme assez clairement designe, quoique obliquement, par la precision en dégageani sa tete de la glace) il s'agit bien de ceux qui ont trouvé le corps du Téméraire et, ľont arraché ä ľemprise du sol glacé. Mais, par ľ effet de la forme pronominale, ľorigine du proces est totalement oceultée. En partant de la phrase-source active (quelqu'un ou quelque chose) avait enlevé la peau, nous pouvons en reconstituer le mouvement sémantique. La place du sujet, laissée libre, est oceupée par le C.O.D., c'est ce qui fait la ressemblance formelle avec la phrase passive la peau avait été enlevée, mais ce C.O.D. est néanmoins maintenu sous la forme ďun pronom « réfléchi », réalisant ainsi une forme pronominale réfléchie fictive (en fait, un pronominal passiť), car, bien entendu, la peau n'est en aucune maniere ľagent du proces, et ľauxiliaire Sirs, de regle ave c touíe forme pronominale, est ici parti-culiěrement justiíié par le fait que Faction est subie. Ľévénement s'est produit, pour ainsi dire, « de lui-méme ». i. Ľinterprétation comme pronominal passif ímpersonnel de U se trouvait des mar-chands <— des marchands se trouvaient <— des marchands étaient trouvés <~- on trouvait des marchands n'est pas satisfaisante (voir G.M.F., XI: 8.3.3., p. 450 et ici méme p. 182 et surtout p. 59-60). Formes passives 177 D'une facon generale, le pronominal passif va de pair avec l'imperfectif, et, au present ou au passé compose, ľinterprétation qui en est le plus souvent donnée est celie de vérité generale. Ici, pourtant, nous avons un verbe perfectif (une fois la peau enlevée, on ne peut plus continuer ä ľenlever), et le plus-que-parfait ne peut renvoyer qu'ä un événement particulier. De plus, le verbe enlever ne sernble s'employer ä la forme pronominale passive qu'avec une specification {la peau des amandes s'enléve facilement I s'enléve a I'eau bouillante). L'exemple propose par le texte surprend. S'agit-il d'un etat de langue archaisant ? d'une particularity idiolectale de Michelet ? d'un fait de style isolé, insistant sur ľhorreur, mais exprimant aussi le refus d'en faire endosser la res-ponsabilité par ceux qui accomplissent le geste, en soi bien inten-tionné ? Ce qui ferait pencher pour la derniěre solution, c'est la quasi-anacoluthe que présente la phrase. En effet, le gérondif place en téte de phrase en dégageani sa téte de la glace fait attendre formellement, en raison de la regle de coréférence des sujets (XV : 1.2.), un agent humain, celui précisément qui est oceulté par le pronominal passif. Ľidée est bien que ce sont ceux qui ont dégagé sa tete de la glace qui ont enlevé n (euphémisme pour arraché) la peau, mais sans le faire expres. 3. Le probléme de ľinfinitifpassif de forme active II n'était pas facile ä reconnaítre (1. 2-3). La question des infinitifs de forme active, mais de sens passif, ne fait pas ľunanimité. On pourrait certes tenir le raisonnement suivant: cette phrase équivaut ä celle-ci : (pour ceux qui se trouvaient la) reconnaítre le due n'était pas facile; sur le plan communícationnel, en effet, que la phrase soit ä la forme positive ou negative ne change rien au sens de le reconnoitre, qui, sans étre formellement asserté, constitue le theme de la phrase ; c'est facile, seul ä entrer dans le champ de la negation, qui constitue le propos. Reconnaítre serait alors un infinitif actif, dont l'agent-sujet serait totalement indéfini (on). Mais on peut également raisonner ä partir de la relation entre le nom dont depend ľadjectiffacile (il, le due Charles le Téméraire) et le verbe reconnaítre. Leur rapport ne peut étre que celui que ľ on trouve dans une phrase passive : U n'était pas facilement) reconnu. Cette lecture passive depend de ľadjectif facile. Opposons-le ä lent, par 178 Types et formes de phrase exemple : il est facile á comprendre /v/ il est lent ä comprendre. Facile induit ľinterprétation objective (celie oú ie GN est G.O.D. : on le comprena), lent ľinterprétation subjective (celie oú il est sujet: il comprena). On voit par la quel intérět il peut y avoir ä distinguer deux emplois de ľinfinitif de forme active, et á parier d'infinitif de sens passif pour expliquer U n'était pas facile ä reconnoitre. II faut remarquer que rares sont les adjectifs qui peuvent se cons-truire avec la preposition ä suivie d'un infinitif de forme passive (capable děs lors d'alterner avec un infinitif actif): ils sont préts ä Ure regus / il est prét á ks receuoir. En general, seule la forme « active » est acceptable, et sa « voix », n'étant pas formellement marquee doit faire ľobjet ďun calcul, qui conduit ä ľinterpréter soit comme active, soit comme passive. Ce qui complique la question, c'est que certains cas échappent ä cette dichotomie : une histoire triste ä pleurer n'est ni « une histoire qui pleure », ni « une histoire qui est pleurée »'. On retrouve le méme phénoměne pour les infinitifs complements de nom : dans une table ä langer, une chambre ä coucher le rapport entre le sujet et le verbe n'est ni « objectif» (comme dans une auto ä vendré), ni «subjectif» (comme dans une bonne ä tout faire). Ce qui conduit ä émettre ľhypothese que ľinfinitif dit « actif» n'a peut-ětre par lui-méme pas de « voix », pas plus qu'il n'a, ä proprement parier, de « sujet »2. On pourrait se demander, en terminant, pourquoi il y a dans ce texte plus de formes passives qu'il ne s'en trouve en general dans un texte quelconque. Nous avons vu que dans la grande majorite des cas (exceptons celui des marchands, á la 1. 25), le sujet grammatical des phrases passives représente le due de Bourgogne. Or il subit ce qui se passe, á tous les points de vue : il est vaincu, il a été tue, son corps est manipulé. C'est le patient par excellence de tous les proces évoqués. Mais il reste le neros, celui dont on parle, ce qui le main-tient en position de thěme, 1. Pour une étude plus complete des constructions [Adj + ä + Vlni], voir A. Borillo, J. Tamine, F. Soublin, Exeráces de syntaxe tramformationnelle du franpais, A. Colin, Í974, p. 147-153. 2. C'est méme ľun des problěmes les plus importants posés par ľinfinitif, quel que soit son emploi, que celui de ia restitution on de ['identification de son sujet. Voir ľexcrcícc sur íes constructions infinitives, en particulier p. 237-242.