Chapitre VII COMPLEMENTS GIRCONSTANCIELS Étudiez et classez, ďaprés kur forme, kur wie et leur sens, ks complements circonstancwls du texte suivant: « La tourte ä la viande » 1 Sylvain, le fils ainé, avait un culte pour Gabrielle, sa sceur la plus jeune, mariée ä la ville oú eile était boulangěre. Quand il avait travaillé toute la semaine dans les champs, sa grande joie, c'était de venir diner chez eile le dimanche. 5 Leur pere, fache du mauvais exemple que ces perpétuels voyages donnaient ä ses sept autres enfants, une nuit ferma la porte de la mai-son et Sylvain, fatigue d'avoir longtemps et hätivement marché, sa chemise trempée, dormit dans le foin. Le lendemain, la fievre le prit et quatre jours plus tard il allait 10 rendre ľäme, ä vingt-neuf ans : — Avant de mourir, dit-il, je veux manger encore une fois de la tourte á la viande, comme ma petite sceur Gabrielle seule sait la faire. Gabrielle (c'était ma grand-měre maternelle qui avait alors dix-huit ans), tout en larmes, se mit ä la päte, coupa menue la chair, ľarrosa de 15 cognac et aprěs la cuisson enveloppa le tout bien précieusement de quatre linges pour empecher que son chef-ďceuvre ne se refroidit, pendant le trajet, dans la voiture ä äne qu'elle menait elle-meme et qui la conduisit bride abattue auprés de son frěre bien-aimé. Comme eile arrivaŕl, il agonisait, mais interrompant ľExtréme-20 Onction, il se souleva sur sa couche, fit signe ä Gabrielle d'approcher, de dénouer le linge. La tourte allégrement fumait et c'est en humant ce parfum de vie qu'il mourut. Marcel Jouhandeau, Chaminadour (1934), © Gallimard. Complements circonstanciels 89 PRÉALABLES Connaissances requises Lecture : G.M.F., chap. V : « Les structures de la phrase », § 4.5., « Les complements circonstanciels », p. 140-145, et chap. XV : « Les circonstancielles», p. 503-518 (voir aussi V, 3., ainsi que 4.1. et 4.2., p. 123 sq. ; X, 2. et 3., p. 376 sq. ; et XXI, 2.1., p. 604 sq.). La notion de complement circonstanciel n'est pas toujours concue de facon identique. Pour la G.M.F. explicitement, comme implicitement pour la Terminologie grammatical^ officielle, le complement circonstanciel [GP] est le troisieme constituant majeur de la phrase de base [GN + GV+ (GP)]2, c'est un « complement de phrase ». Selon une telle definition : 1 / II est facultatif, ce qui ne le distingue pas de certains consti-tuants du GV, C.O.D. ou C.O.I., qui sont effacables dans certaines conditions. 2/11 est mobile, on peut le trouver non seulement aprěs le groupe verbal, mais par exemple entre le sujet et le verbe, ou encore en téte de phrase ; toutefois cette mobilite du C.C. peut se trouver 1. Centre national de documentation pédagogique, juin 1997, p. 17-18 et p. 20. Ce document ne prend pas nettement position sur les fonctions circonstancielles de ľadverbe (voir p. 26-27). Au sujet des fonctions de ľadverbe, voir G.M.F., X: 2. et 3. 2. Pármi les autres options possibles, il y a celie de la grammaire scolaire tradition-nelle qui les identifie ďaprés leur signification (lieu, temps, maniere, etc.) ou ďaprěs leur capacité de répondre aux questions qmnd, oú, pourquoi, comment (et le cas échéant combim), et qui manque visiblement de rigueur. U y a aussi la conception, maximaliste, mais cohé-rente, qui fait dépendre du verbe touš les complements, depuis les plus étroitement asso-ciés ä ce verbe, les complements nucléaires (parmi lesquels les modificateurs du verbe, puis les C.O.D., les CO.I., et enfin des circonstanciels « obligatoires»), les circonstanciels intraprédicatifs (rhématiques dans notre terminologie), extraprédicatifs (scéni-ques), transprédicatifs (adverbes de commentaire phrastique, modalisateurs dans la nou-velle terminologie officielle). Dans cette théorie, défendue en particulier par des linguistes se situant dans la mouvance guillaumienne, on admet qu'il existe un continuum au sein duquel on passe par paliers des complements du verbe aux complements circonstanciels (voir par ex. Marc Wilmet, Grammaire critique du franfais, Hachette-Duculot, 1997, p. 486 et s., p. 524 et s.). La question essentielle et difficile, on en convient et on y reviendra, est la distinction entre C.O.I, (effacable dans certains cas) et C.C. (qui prend lui aussi la plu-part du temps la forme d'un GP). 90 Fonctions plus ou moins réduite dans un contexte donné, et en tout cas eile ne peut étre appréciée correctement que dans des propositions qui ne dependent pas d'une autre proposition, en raison des contraintes dans l'ordre des mots qui affectent certaines subordonnées. 3 / Sa forme canonique est le groupe prépositionnel; cepen-dant tout groupe prépositionnel n'est pas circonstanciel, loin de lá; d'autre part il existe des groupes circonstants dépourvus de preposition, notamment des GN locatifs ou temporeis (ces groupes ayant les mémes latitudes combinatoires et occupant les mémes positions que les GP de méme sens); certaines propositions subordonnées, substituables ä des GP circonstanciels, doivent aussi étre considérées comme des circonstants; enfin la fonction circonstan-cielle peut étre remplie par des adverbes1. 4/11 n'appartient pas á la valence du verbe2; et par suite, lorsqu'il est introduit par une preposition, le choix de cette derniere n'est pas contraint par le verbe. 5 / L'emploi en discours du complement circonstanciel n'est pas uniforme. Du point de vue de la communication, le C.C. (ou circonstant) peut étre soit un element du theme, et on le trouve alors généralement en téte de phrase, soit un element du propos, et dans ce cas on le trouve généralement aprěs le groupe verbal, sans pause ni ponctuation. Par exemple, le circonstant en été dans En été, je bois du rose est un circonstant á fonction scénique (réponse á la question « Que buvez-vous en été ? »), mais il prend une valeur rhéma-tique dans Je bois du rose en été ( « Quand buvez-vous du rose ? ») (G.M.F., V : 4.5.3.). S'il est détaché aprěs le groupe verbal, ou inséré entre le sujet et le GV en maniere de parenthěse, il peut consumer ou bien un element retardé du thěme, ou bien un propos secondaire3. 1. Beaucoup d'adverbes qui peuvent difficilement se placer en dehors du GV et qui, en revanche, peuvent s'insérer ä ľintérieur des formes verbales composées (entre 1 auxiliaire et le participe passe), sont plutôt á considérer comme des modificateurs du verbe, méme si ľinformation qu'ils véhiculent est du méme ordre que celie des circonstanciels (la maniere ou le temps, par ex.). 2. Cest ä ce niveau qu'une discussion peut s'instaurer: entre les constituants nomi-naux du GV (et en particulier les C.O.I., dont certains sont effacables) et les GP circonstanciels (dont la mobilite est parfois réduite par des facteurs sémantiques ou énonciatifs), la limite n'est pas nécessairement trés nette. t. p, our un rappel des tests de reconnaissance des thémes et des propos, voir , A„„om ' P°ur une grammatre textuelk. La progression thématwue, A. De Boeck-Duculot, 1983, et G.M.F., XXI. 2.1. complements circonstanciels 91 Le déplacement du C.C. n'est done pas neutře du point de vue du sens. Ainsi, dans tu pourras lire ce livre en venant demain, le gérondif a plutôt une simple valeur de concomitance, tandis qu'il a plutôt une valeur de cause ou de condition dans en venant demain tu pourras lire ce livre1. Dansj'ai execute ce travail selon vos instructions et selon vos instructions, j'ai execute ce travail2, la difference de sens est encore bien plus considerable : dans le premier cas il s'agit d'instructions précisant la maniere de réaliser le travail en question, dans le second de ľordre de passer (ou non) ä la realisation, comme le montre le test de la negation :je n'aipas execute ce travail selon vos instructions ( « mais je ľai execute autrement » ) et selon vos instructions, je n'ai pas execute ce travail ( « vous me ľaviez interdit » ). II faut distin-guer entre ľanalyse syntaxique du C.C, qui est purement formelle, et son analyse discursive : le C.C. scénique ne fait pas partie du propos et reste done en dehors de la portée de la negation. La distinction entre circonstanciel scénique et circonstanciel rhé-matique n'est pas toujours possible dans les phrases interrogatives, dans ies phrases injunctives, et surtout dans les propositions subor-données, d'une part á cause des contraintes qui peuvent y affecter l'ordre des mots, d'autre part en raison du fait que leur fonction assertive peut étre suspendue : les interrogatives sont intrinsequement thématiques, et le propos correspondant est dans la réponse ; les injonctives n'articulent pas un propos par rapport á un theme, méme si elles impliquent un contenu informatif; les subordonnées se situent fréquemment á un niveau informationnel inférieur, oú elles participent á la visée communicationnelle sans connaitre par elles-mémes ľopposition ďun théme et ďun propos. Repérage des occurrences Cette operation préalable revét pour la realisation de notre exer-cice une importance fondamentale. 1. Exemple emprunté á Nicole Le Querler, « Les circonstants et la position initiale», in Guimier (dir.), 1 001 circonstants, PU Caen, 1993, p. 174. 2. Exemple emprunté á J. Dubois et J. Lagane, La nouvelk grammaire du franfais, Larousse, 1973, p. 154. 92 Functions 1 / C.C. /v/ groupes nominaux et adjectivaux en position détachée (y compris les participes, á moins qu'ils ne constituent une proposition participiale). Ces elements « apposes » ne peuvent étre consi-dérés comme des complements circonstanciels, méme s'ils sont sus-ceptibles ďinterprétations circonstancielles (causales ou condition-nelles par exemple) que ľon peut mettre en evidence par des paraphrases. Syntaxiquement en effet, ils restent lies au GN par rapport auquel ils sont « mis en apposition » et leur mobilite par rapport ä ce GN est faible ou nulle. Ce ne sont pas des « complements de phrase ». 2 / CC. M C.O.D. Gette distinction est banale : les G.C. realises sous forme de GN (il viendra la semaine prochaine - il vend des joumaux place de ľOpéra) se distinguent des G.O.D. (méme de ceux qui sont facultatifs) á la fois par un trait négatif (impossibilité de devenir sujet de la phrase passive) et par un trait positif (le déplace-ment pur et simple, alors que le déplacement du C.O.D. dans la dislocation impose son remplacement par un pronom). 3 / C.C. /v/ C.O.I. La distinction n'est pas toujours aisée á efľectuer. Evidemment, un GP obligatoire ne saurait étre un C.C. (je vais ä Paris, il a succédé ä son pere). Mais un C.O.I, peut étre facul-tatif, et un C.O.D. méme peut ľétre (je lis un livre í je lis - il travailk á son roman / il travaille - U a regu un cadeau de sa sceur / il a refu un cadeau). C'est par consequent la mobilite' et la contrainte exercée ou non par le verbe sur le choix de la preposition qui sont avant tout á prendre en consideration. Ainsi, il est tombé dans la cour admet deux interpretations. Si on peut placer dans la cour en téte de phrase, c'est certainement un C.C, «il était dans la cour et il est tombé » (le détachement en fin de phrase, aprěs virgule ä ľécrit, aprěs une pause ä ľoral, est également possible). Mais si la phrase signifie «il était lá-haut (ä sa fenétre par exemple) et il est tombé dans la cour », le merne GF est un C.O.I., et la reformulation avec déplacement en 1. Mais il faudra tenir compte du fait que certains complements redirects consti-tuants au u v appartenant manifestement ä la valence verbale peuvent exceptionnelle-Imméunhvt^ ^ "^ ^ phraSe' notamment en emploi constrastif: A sonfrěre, il a řtr,. saticfim» a sa,san?r>. un blJ0U- Et la valence locative de destination, par exemple, peut A^leCe de dÍVerSes PréPositions : il va ä Pans I dans la Mayenne I en Complements circonstanciels 93 téte apparait extrémement douteuse : ? dans la cour, il est tombé. Cest que le verbe tomber généralement employe intransitivement est en fait un verbe transitif indirect, avec une valence locative de destination qui n'est que rarement réalisée ; tomber, c'est en principe «tomber sur le sol » : de ce fait il est tombé par term est légěrement pléonastique. 4 / Adverbes circonstanciels /v/ adverbes modificateurs du verbe. Cette distinction n'est pas non plus toujours aisée. La possibilité pour un adverbe d'etre inséré dans la forme verbale elle-méme lorsque celle-ci est composée n'est pas un critěre determinant ; en revanche la resistance ä occuper cette position peut étre l'indice qu'on a affaire á un C.C. (? fai hier lu un livre - *il a id rencontre Jean). C'est la faible mobilite de l'adverbe modificateur du verbe qui le signále ä ľattention : il a mal travaillé / *mal il a tra-vaillL On constatera par exemple qu'en dépit de leur parenté séman-tique, encore et souvent n'ont pas le meme comportement syntaxique : il a encore fait des bétises I *encore, il a fait des bétises. Le déplacement de parfaitement dans il a parfaitement realise ce travail / il a realise ce travail parfaitement I parfaitement, il a realise ce travail ne doit pas faire illusion ; de toute evidence parfaitement est un modificateur du verbe dans les deux premieres phrases, mais dans la derniěre, selon ľinterprétation la plus vraisemblable («je vous assure»), c'est un adverbe de commentaire phrastique. 5 / Adverbes circonstanciels et adverbes de commentaire phrastique (« modalisateurs » dans la terminologie de 1997). Ces adverbes de commentaire satisfont aux critěres formeis de reconnaissance des C.C. : ils peuvent ä la rigueur étre insérés dans la proposition, ä titre de parenthěse, et sont prédicatifs quelle que soit leur position dans la phrase, mais cette predication s'exerce en dehors de la proposition : ou bien ils sont prédicats ďénoncé {heureusement, il est bien rentré = « le fait qu'il soit bien rentré est heureux ») ou bien prédicats d'énonciation (franchement, ce n'est pas une réussite — «je vous dis franche-ment que ce n'est pas une réussite »). On peut les considérer comme des circonstanciels (c'est ce que fait la G.M.F. V : 4.5.3. et X : 2., mais non la terminologie officielle, qui passe leur fonction sous silence), ä condition toutefois de mentionner leur špecifické'. 1. Disons tout de suite qu'il n'y en a pas dans le texte á étudier. 94 Functions 6 / Propositions circonstancielles. On ne peut admettre au sens strict comme propositions circonstancielles que les subordonnées qui sont « complements de phrase », c'est-ä-dire qui sont des consti-tuants immédiats de la phrase (mobiles et facultatifs) et done ne dependent pas d'un groupe de mot (GN, GAdj, GAdv). Les systěmes corrélatifs, qu'ils soient notamment comparatifs ou consécutifs, mal-gré une certaine parenté sémantico-logique avec les propositions circonstancielles, sont ä classer á part. Nous renvoyons sur ce point ä la G.M.F., XV : 3., qui ne les rattache au chapitre sur les circonstancielles que pour se conformer á ľusage de la grammaire scolaire. Depuis la reconnaissance des systěmes corrélatifs en tant que tels par la Terminologie grammaticale de 19971, il n'y a plus aucune raison de procéder ä ce genre de compromis. Recommandation finále : il est toujours possible de mettre en échec tel ou tel de ces eritěres dans des situations ďénonciation par-ticuliěres, par exemple en raison de la liberté de ľordre des mots ou des effacements dans la langue parlée familiěre, ou ä cause de con-traintes sémantiques spécifiques ä un contexte donne. II n'en faut pas moins faire ľeffort de classement demandé, quitte á faire remar-quer au cours de ľanalyse les latitudes ou restrictions d'emploi que ľon constate, et par voie de consequence la difficulté ďattribuer une etiquette analytique indiscutable á certains syntagmes. CLASSEMENT PROPOSE 1. La nature morpho-syntaxique des circonstanciels A ce niveau de ľanalyse, et pour éviter des longueurs inutiles, ne seront diseutés que les cas présentant des difficultés particuliěres, c'est-ä-dire oú le double caractěre mobile et facultatif du C.C. demande á étre confirmé ou réfuté. 1. Brochure CNDP, juin 1997, p. 20-21, au chapitre sur «Ľanalyse de la phrase complexe ». Cette nouvelle terminologie officielle introduit la notion de systěmes corrélatifs, mais sans préciser la fonetion de chacune des deux propositions en cause. Complements circonstanculs 95 A / Adverbes L'adverbe alors (1. 13) est-il un modificateur du verbe, ou un veritable G.C. de temps ? Sa mobilite fait pencher plutôt pour la derniěre solution; mais eile serait évidemment plus facile á mettre en evidence dans la phrase Constituante : alors, elk avait dix-huit ans; et si le sujet était un GN strict: ma grand-mere, alors, avait dix-huit ans. Le groupe forme par les deux adverbes coordonnés longtemps et hätivement (1. 7) présente un cas remarquable. Isolément, en effet, seul longtemps est un veritable C.C. : longtemps, U a marené / long-temps, U a hätivement marché. L'adverbe hätivement est plutôt á considé-rer comme un modificateur du verbe (ďun statut comparable á celui de ľadjectif dans une marche hätive): ? hätivement, il a marché / hätivement, il a longtemps marché. L'ordre des mots dans le texte n'est pas neutře : ? fatigue ďavoir hätivement et longtemps marché n'est guěre satisfaisant. II faut que le modificateur reste au plus pres de la forme verbale ä laquelle il est étroitement subordonné. Sa dépendance sémantique par rapport au verbe peut aussi étre mise en evidence par le fait qu'il ne peut étre mis en rapport qu'avec un verbe de mouve-ment ou en tout cas un verbe dynamique : *il a hätivement plu / *elle a hätivement réve (alors que longtemps ne connait guěre de restrictions ďemploi de ce genre). La surprise vient done de ľattelage constitué par ces deux adverbes. On admet généralement en effet que deux ter-mes coordonnés par et ont méme statut syntaxique. Ici, c'est la seule parenté morphologique qui les réunit. Mais une fois coordonnés (par un « coup de pouce » stylistique, peut-étre bien), ils acquierent une certaine mobilite de groupe : longtemps et hätivement, il a marché / Sylvain, longtemps et hätivement, a marché. Nous émettrons done ľhypothése que, une fois lié ä longtemps, hätivement cesse d'etre un veritable « adverbe de maniere » et constitué solidairement avec lui un circonstanciel temporel. B / Groupes prépositionnels Dans les champs (1. 3), dans lefoin (1. 8), ä vingt-neuf ans (1. 10), aprěs la cuisson (1. 15),pendant le trajet (1. 16-17), dans la voiture ä äne... (1. 17-18) sont tous des circonstants mobiles et facultatifs. 96 Foncüons On peut certes discuter du caractěre facultatif de dans lefoin: sa suppression apparait difficile dans le texte. Mais ce GP n'est pas pour autant un complement obligatoire (un C.O.I.) de dormir. C'est le caractěre rhématique du C.C, et plus spécialement le fait qu'il cons-titue ľélément essentiel du propos dormir dans lefoin, qui est en cause ; ä telle enseigne que la forme negative de la phrase, il ne dormitpas dans lefoin, serait interprétée comme «il dormit, mais pas dans le foin ». C / Groupes nominaux circonstants non prépositionnels Toule la semaine (1. 3), le dimanche (1. 4), une nuit (1. 6), le lendemain (1. 9), quatre jours plus tard (1. 9) sont des exemples classiques de circonstants temporeis sans preposition. On vérifiera aisément, outre leur mobilite et leur caractěre facultatif, leur incapa-cité á remplir une fonction de GN dans la phrase oú ils se trouvenť. Ainsi, toute la semaine ne saurait étre, pour des raisons ďincom-patibilité sémantique, le G.O.D. de avail travaillé, en dépit du fait que travailler puisse étre employe comme verbe transitif direct, car cette possibilité est restreinte aux C.O.D. representant une chose ou plus précisément une matiěre (travailler le cuir). D/Gérondif En humant ce parfum de vie (1. 21-22) est ce qu'il est convenu ďappeler un gérondif, c'est-ä-dire, en somme, un GP forme obligatoirement par la preposition en et un groupe infmitif dont le noyau verbal prend obligatoirement la forme du participe present. Pour apprécier sa mobilite et son caractěre facultatif, il faut évidemment remonter en decá de la transformation ďextraction par c'est... que. En humant ce parfum de vie, il mourut III mourut en humant ce parfum de vie III mourut. E / Proposition participiale Le syntagme sa chemise trempée (1. 7-8) doit-il étre considéré comme une construction absolue [G.M.F., VI: 4.7.2.), en position 1. Comme suffit á le montrer ľimpossibilité de les pronominaliser en le, la, les, ou ďen faire des sujets si on met la phrase au passif. Complements circonstanciels 97 détachée par rapport au sujet de la phrase, Sylvain, ou comme une proposition participiale (G.M.F., XV : 1.2.), c'est-á-dire une proposition assumant une fonction circonstancielle ? En fait la forme attendue de la construction absolue détachée serait la chemise trempée, correspondant ä la phrase il avait la chemise trempée ; un tel groupe res-terait syntaxiquement et sémantiquement attache au sujet. Au con-traire, nous constatons que sa chemise trempée est relativement mobile : déjá sa place dans notre texte n'est pas contigué au sujet comme dans Sylvain, sa chemise trempée, fatigue... Nous pourrions méme avoir Sylvain, fatigue..., dormit dans lefoin, sa chemise trempée (tout au plus préférerait-on sa chemise étant trempée). On peut trancher en faveur de la proposition participiale circonstancielle, décrivant une situation (temps ? cause ? concession ? on y reviendra). F / Groupes infinitifs prépositionnels Avant de mourir (1. 11) est, sans le moindre doute, un circons-tant. Je veux, avant de mourir, manger encore unefois... I Je veux manger encore unefois avant de mourir... /Je veux manger... de la tourte comme ma... saw Gabrielle seule sait la faire, avant de mourir. Mais si sa mobilite est indiscutable, eile ne regle pas le probléme de sa dépen-dance ; on peut se demander si c'est un complement de la proposition je veux... ou de la proposition Constituante, réalisée dans le texte ä ľinfinitif, dont le noyau verbal est manger1. Aucun element formel ne permet de trancher. On verra plus loin les consequences que cela peut avoir sur le plan de ľanalyse thématique. G / Propositions circonstancielles Quand il avait travaillé toute la semaine dans les champs, sa grande joie, c'était de venir diner chez elk le dimanche (1. 2-4). La proposition temporelle introduite par quand peut étre eíľacée, déplacée aprés sa grande joie, ou méme á la fin de la phrase. 1. La question s'évanouit si on considěre vouloir comme un auxiliaire modal, mais cette analyse parait assez contestable : tout ďabord sur le pian formel, car manger... peut étre extrait et pronominalisé (manger de la tourte, je le veux), ce qui est ľindice ďune certaine autonomie de chacun des deux verbes par rapport á ľautre; ensuite sur le pian séman-tico-logique, carj« veux n'est pas (en tout cas ici) ľexpression ďune « modalite » (un juge-ment de valeur ou de fait) attachée au procesie mange de la tourte, mais un acte en soi. 98 Fonctwns H / Pronom relatif Marne a la ville oú elk était boulangére (1. 2). Pour analyser la structure interne de la relative, nous devons commencer par remonter á la phrase Constituante : elk était mariée ä la vilk + elk était boulangére dans cette vilk. Nous pouvons constater alors que le GP dans cette vilk, pro-nominalisé en oú par la transformation relative, est dans la Constituante mobile et facultatif: dans cette vilk, elk était boulangére / elk était boulangére dans cette vilk / elk était boulangére. Cas méritant discussion A la ville (1. 2) n'est certainement pas le C.O.I, du participe passé mariée. Bien sür, se marier / Stře marié comporte nécessairement la valence ä quelqu'un, réalisée ou non. Mais ici, visiblement, la vilk ne remplit pas les conditions pour saturer cette valence. Dira-t-on que c'est le C.C. de lieu de se marier ? Rien n'est moins sür : le mariage n'a-t-il pas généralement lieu dans le pays de la fiancee et non du fiancé ? Le participe mariée exprime non un proces, mais un etat, ou mieux encore une qualité, qui s'oppose ä célibataire; ce n'est en fait méme plus un participe, mais un simple adjectif qualificatif. Est-il possible néanmoins de faire de ä la vilk un CC. ? Seulement dans la mesure oú on admettra ľellipse ďune relative, sa sceur la plus jeune, (qui était) mariée ä la ville, dans laquelle on considérera que eile était mariée est une phrase attributive dont ä la ville est le CC, mobile en principe (á la ville, elk était mariée / elk était mariée ä la ville), mais ici manifestement rhématique, done difficilement déplacable et effacable. Chez eile (1. 4) présente un cas remarquable de double structure. La phrase Constituante est il venait diner chez eile k dimanche, qui a elle-méme pour Constituante, semble-t-il, il dinait chez eile k dimanche; á moins que la Constituante du rang le plus élevé soit il venait chez eile k dimanche, et la sous-constituante il dinait. Or diner est un verbe intransitif et, par rapport á ce verbe, chez elk est un simple circonstant: chez eile, il dinait I il dinait chez elk I il dinait. Mais venir ne paraít étre intransitif que quand il n'est pas nécessaire de préciser, en raison de la situation ou du contexte, le lieu d'ou l'on vient (venir de...) et surtout, pour notre propos, le lieu oú l'on vient qui est généralement de maniere implicite ici. Mais venir ici est hors de propos Complements circonstanciels 99 dans notre texte, qui doit done préciser le lieu de destination venir chez dle. Cest si vrai que la mobilite de chez eile serait cette fois réduite : ? chez eile, il venait est peu acceptable. Notre sentiment est qu'en fait chez eile est simultanément ici le C.O.I, de venir et le C.C. de diner. Le syntagme forme par le verbe de mouvement et l'infinitif possěde ďailleurs ďune facon generale une trěs forte cohesion1. Encore une fois (1. 11) comprend apparemment un adverbe, encore, et un GN qui fonctionne fréquemment comme circonstant non prépositionnel (une fois, il m'est arrive une curieuse aventure), mais qu'en est-il ici, pour commencer, de leur rapport ? L'effacement de une fois produit une phrase acceptable : je veux manger encore de la tourte... ; alors que celle de encore donne un résultat un peu moins satisfaisant :je veux manger une fois de la tourte (on attendrait plutôt une demure fois). On peut done admettre qu'il s'agit plutôt d'un syntagme unique, dont les composantes sont permutables (une fois encore), dépla-cable uniquement en bloc, et oú encore a une position dominante. Reste á savoir si e'est un C.C. Dans la phrase du texte, le déplace-ment en téte produit un effet de sens curieux : encore une fois, je veux manger de la tourte... Le groupe adverbial y prend le sens d'un commentaire phrastique (un prédicat ďénonciation: «je le dis encore une fois», «je le repete», «j'y insiste »), qu'il peut avoir dans d'autres positions, mais á condition toutefois d'etre détaché du reste de la phrase par une ponctuation ou une intonation conve-nable. Cela n'a rien á voir avec le groupe que nous sommes en train d'analyser. Mais par ailleurs, rien ne dit qu'il s'agisse d'un element de la phrase je veux manger... On peut supposer qu'il appartient plutôt ä la phrase Constituante je mangerai encore une fois de la tourte, oú, cette fois, le déplacement est possible sans changement notable de sens : encore une fois, je mangerai de la tourte /je mangerai de la tourte encore une fois. Seulement, si, comme nous le pensons, e'est bien un C.C. de la proposition dont le verbe est manger, il faut ajouter tout de suite que seul le groupe encore une fois est véritablement un C.C. En effet, réduit ä encore, il perdrait la possibilité de se placer en téte de cette proposition, sauf ä changer de sens (c'est-á-dire ä prendre 1. Illustrée également par ľimpossibilité de negativer l'infinitif: je cours acheter du pain I je ne cours pas acheter du pain mais non *je cours ne pas acheter du pain ou *je ne cours pas ne pas acheter du pain. Pour la negation, les deux verbes forment un tout indissociable. 100 Functions cette fois un sens logique, concessit) : encore, je mange de la tourte (« malgré tout », « alors, que diriez-vous si je n'en mangeais pas ? », « et pourtant, j'en mange »); et si on le placait en fin de phrase, encore deviendrait agrammatical: *je mange de la tourte á la viande encore, on devrait en conclure dans ce cas que ce serait un modifi-cateur du verbe : je mange encore de la tourte =je remange de la tourte. Bien précieusement (1. 15) et allégrement (1. 21) sont-ils des modificateurs du verbe ou des CG. de maniere ? La réponse á cette question depend du jugement de grammaticalité que l'on portera sur des phrases oú ils seraient sensiblement éloignés du verbe, soit places en téte de phrase, soit rejetés ä la fin (de tels déplacements peuvent paraitre trěs artificiels, surtout pour allégrement). On notera aussi qu'ils peuvent se trouver, dans les formes composées du verbe, entre ľauxiliaire et le participe, ce qui incite plutôt á les classer pármi les modificateurs du verbe. Cas non retenus comme complements circonstanciels Tout en larmes (1. 14) est bien un GP, mais celui-ci est du type de ceux qui entrent dans des constructions attributives: Gabrielle était (tout) en larmes. II s'agit done d'une forme particuliěre de qualification, á laquelle est associé un modificateur typique de groupe adjectival (comparer avec elk était toute triste / tout affligéé). En consequence, on peut considérer qu'il s'agit d'un groupe mis en apposition au sujet de la phrase, Gabrielle. Dans Gabrielle... l'arrosa de cognac (1. 15), le complement de cognac est un complement indirect second, facultatif certes (presque toujours efface lorsqu'il s'agit ďarroser quelque chose d'eau), mais qui fait obliga-toirement partie du programme sémantique de ce verbe (une triva-lence), et dont la place est étroitement contrainte : la permutation entre objet premier et objet second est seule possible. Bride abattue (1. 18) est une locution adverbiale, de forme archai-sante en raison de ľabsence de determinant (on s'attend d'ailleurs plutôt ä trouver ä bride abattue), et qui est étroitement liée, en tant que modificateur, au verbe, pour la forme comme pour le sens. La voiture ä one... qui la conduisit... auprěs de son fr ere bien-aimi (1. 18): le GP auprés de sonfiére bien-aimé représente le locatif de destination ineffacable ici, et á considérer comme l'objet second du verbe Complements circonstanciels 101 conduire: qu'on s'en persuade par ľimpossibilité de *la voiture ä one la conduisit bride abattue. II se souleva sur sa couche (1. 20) pose la question des valences du verbe soulever quelque chose (ou quelqu'un) au-dessus de quelque chose. La valence G.O.D., obligatoirement exprimée, est ici saturée par le pro-nom réfléchi, la seconde, qui correspond au lieu au-dessus duquel se produit Taction, n'est pas obligatoirement exprimée. En outre la preposition sur est d'un emploi ambigu. Ainsi, dans il se souleva sur les mains, le GP sur les mains est instrumental, et joue le role d'un C.G., ce qui explique ľacceptabilité de sur les mains, il se souleva. Mais sur sa couche représente le lieu par rapport auquel se produit le « soulěve-ment », et, sauf dans certains contextes particuliers, sur sa couche, il se souleva parait moins acceptable. Nous avons ici un complement de verbe et non un complement de phrase. 2. Role des complements circonstanciels dans Vorganisation thématique de la phrase Rappelons tout d'abord que la distinction entre theme et propos concerne principalement le niveau propositionnel le plus élevé des phrases declaratives. La plupart des C.C. sont integres dans la partie rhématique de la phrase (par ex., pour le premier paragraphe, ä la ville ou chez eile), quelques-uns dans la partie thématique (par exemple toute la semaine et dans les champs). Nous ne nous intéresserons qu'á ceux qui jouent un role dominant dans ľune ou dans l'autre. A / Girconstants scéniques Certains C.C., en téte de phrase, font un lien avec le contexte antérieur, et constituent done, avec le sujet grammatical, une partie essentielle du theme de la phrase ; ainsi, ils n'entrent pas dans le champ de la negation si la phrase est mise ä la forme negative. Cest le cas de Quand il avail travaillé toute la semaine dans les champs (1. 2-3), qui, de méme que sa grande joie, reste « vrai », méme si on réécrit la phrase ainsi: Quand il avait travaillé toute la semaine dans 102 Functions les champs, sa grande joie, ce n'était pas de venir diner chez eile le dimanche (dans cette reformulation «il a travaillé effectivement toute la semaine dans les champs» et sans aucun doute «il éprouve une grande joie », méme si on ne sait pas ce qui la motive). Au reste, c'est a, dans touš ses emplois, pour fonction communicationnelle speciale ďintroduire le propos de la phrase. Voici d'autres exemples de C.C. «scéniques», c'est-ä-dire formant une partie essentielle du thěme : une nuit (1. 6), le lendemain (1. 9), apres la cuisson (1. 15), comme eile arrivait (1. 19). On constate que touš sont en těte de phrase, ou juste aprěs une conjunction de coordination réunissant deux propositions du niveau le plus élevé, et en tout cas precedent tous le GV. Dans une nuit, le determinant, un article indéíini, contribue á donner au circonstant une valeur scénique. Le nom nuit est en effet par lui-méme particuliěrement pauvre pour servir ďappui ä une datation, il n'y a guěre que jour qui le soit davantage. On ne voit par consequent pas á quoi on pourrait l'opposer pour construire un propos, á moins de lui attribuer une determination precise. Seul un GN défini, du type la nuit du 4 aoät, permettrait une alternance circonstant scénique / circonstant rhématique (La nuit du 4 aoút, kur pere ferma la porte de la maison, ou Leur pere, la nuit du 4 aoút, ferma la porte de la maison : circonstant scénique ; leur pere ferma la porte de la maison la nuit du 4 aoüt: circonstant rhématique, qui admet, comme tel, une extraction en c'est... que et qui constitue une réponse possible ä la question Quand leur pere ferma-t-il la porte de la maison F). En revanche, une nuit se prěte difficilement ä ľextraction par c'est... que (? c'est une nuit que leur pere... ferma la porte de la maison); la phrase dans laquelle s'inscrit ce circonstant ne répond pas ä la question Quand kur pere... ferma-t-il la porte de la maison ? Le cas de comme eile arrivait présente aussi un intérét parti-culier. Arriver est en effet un verbe perfectif, et qui s'accorde done logiquement avec ľaspect non secant1. Dans une suite narrative « normale », on attendrait elk arriva, alors que il agonisait réunit sans probléme ľaspect imperfectif du verbe et ľaspect secant de ľimparfait. Mais quand elk arrwa, il agonisait produirait, par le jeu seul 1. G.M.F., VII: 2.3.3.2, p. 292-295. Complements circonstanciels 103 des temps, l'effet dit de subordination inverse, ľarrivée de Gabrielle apparaitrait comme une fausse circonstance, et en realite ľévénement principal. Jouhandeau corrige cet effet doublement, grace á comme et grace á l'imparfait; comme a d'ailleurs une aííinité particuliěre avec l'imparfait, et ce temps lui-méme a pu étre caracté-risé comme une forme verbale « anaphorique », c'est-ä-dire qui a besoin d'un ancrage temporel qui lui est fourni par le contexte. Cela le predispose, en particulier dans des emplois oú on ľoppose au passé simple, ä s'allier au theme. De merne, sa valeur sémantique de second plan lui donne facilement une valeur circonstancielle, ou plus spécialement scénique: elk arrivait... ti se souleva. Nous avons déjá évoqué la difficulté ďanalyse présentée par avant de mourir (1. 11). Complement circonstanciel de la phrase je veux..., ce sera, comme y invite la place de ce CC, un element thé-matique : avant de mourir, je veux... équivaudra ä « voici mes derniěres volontés ». En revanche, si on pense y voir plutôt ľanticipation de encore unefois, ce sera un CC de manger, le propos de la proposition exprimant la volition étant manger encore unefois avant de mourir. B / Circonstants rhématiques Dans la plupart des cas, nous ľavons déjá mentionné, le circons-tant est intégré au propos de la phrase. Parfois cependant, il peut aller jusqu'ä devenir ľessentiel du propos, comme nous ľavons mis en evidence plus haut pour dans le Join. Un circonstant détaché en fin de proposition peut constituer une predication nouvelle par rapport ä cette proposition, et done devenir également ľessentiel d'un propos: a vingt-neuf ans (1. 10) n'est pas, comme quatre jours plus tard (ligne precedente), une simple facon de situer le proces dans le temps. Cest un surenchérissement: « non seulement il allait mourir, mais il allait mourir á un äge oú on a nor-malement la vie devant soi». La reformulation c'est ä vingt-neuf ans qu'il allait rendre ľäme apparait toute naturelle. En humant ce par/um de vie (1. 21-22) est focalisé par ľextraction (c'est en humant ce parfum de vie qu'il mourut), il posséde done incontes-tablement une fonetion rhématique. Certes, on pourrait voir ici une sorte de subordination inverse : il mourut est en effet, semble-t-il, 104 Fonctwns ľévénement principal, le plus dramatique (souligné par le contraste vie / mourut), et sa place tout á la fin du texte lui confere le caractěre d'un denouement. D'autre part, sa position syntaxique de theme retardé le fait surgir de maniere tout á fait inattendue. Au contraire, en humant ce parfum est dans la suite logique de ce qui precede (la tourte... fiimaii). Mais toute ľhabileté du conteur est de mettre en scene le paradoxal « bonheur » de ce dernier instant, et par lá de magnifier ľamour fraternel. De ce point de vue, la « circonstance » devient plus essentielle que ľ « événement». 3. Classement sémantique A / Les circonstanciels de temps Le texte comporte de nombreuses occurrences de complements circonstanciels ä valeur temporelle, qui se prétent ä un classement sémantique détaille. Nous distinguerons tout d'abord le repérage direct ou immédiat, qui permet de situer temporellement le proces verbal par rapport á un proces évoqué par le G.C. sous forme d'une proposition ou d'un nom issu d'une nominalisation; le repérage indirect ou anaphorique, qui prend appui sur un element du contexte antérieur ä la phrase ou á la proposition ou prend place le C.G. ; et le repérage objectifáré géné-ralement d'une chronologie socialement objectivée - calendrier, äges de la vie, moments de la journée, etc. a) Le repérage direct ou immédiat Quand le circonstant est l'expression d'un proces, celui-ci entre dans un rapport temporel avec le proces exprimé par le verbe qui est le noyau de la proposition, et ce rapport est soit une relation ďantériorité, soit une relation de contemporanéité, soit enfin une relation de postériorité1. 1. Bien entendu, d'autres positions sont envisageables: par ex., avec un circonstant comme des qu'il phut, on postulera une saisie inchoative du proces pleusoir, privilégiám le debut de la phase de realisation. 'Complements circonstanciels 105 — Relation ďantériorité Avant de tnourir (1. 11). Le proces je veux manger encore unefois de la tourte ä la viande ou simplement manger de la tourte s'inscrit bien dans Vavant du proces mourir. C'est ici la preposition introductrice du cir-constant qui assure la relation ďantériorité. — Relation de contemporanéité Pendant le trajet (1. 16-17). Le proces de refroidissement éven-tuel évoqué dans que son chef-ďauvre ne se refroidit dans la voiture ä dne... (1. 16-17) s'inscrit dans le cours du déroulement du proces impliqué par le substantif trajet. Comme eile arrivait (1. 19). Le proces il agonisait est concomitant á ľarrivée de Gabrielle signifiée par le circonstant. La phrase contient d'autres relations predicatives (il se souleva sur sa couche; fit signe á Gabrielle ďapprocher) par rapport auxquelles le complement cir-constanciel comme eile arrivait prend une valeur causale (c'est aussi parce qu'elle arrive qu'il se souléve sur sa couche, etc.). Le fait qu'un circonstant puisse exprimer plus d'un rapport avec le reste de la phrase est ľun des obstacles au classement sémantique des complements circonstanciels (voir G.M.F., V: 4.5.3.). En humant ce par/um de vie (1. 21-22) présente la méme caractéristique. Ľidée de simultanéité des proces humer... et mourir est ici indissociable d'une relation de maniere qu'introduit le circonstant par rapport á la principále. Le gérondif est souvent porteur d'une telle ambigui'té. — Relation de postériorité Apres la cuisson (1. 15). Ce circonstant situe la predication Gabrielle envebppa le tout... dans la postériorité du proces « cuisson ». C'est la preposition apres qui entraine une telle interpretation. Quand il avait travaillé toute la semaine dans les champs (1. 2-3). La proposition sa grande joie, c'était de venir diner chez eile le dimanche est située dans « ľapres» du proces exprimé dans la subor-donnée travailler toute la semaine dans les champs. Contrairement au cas precedent, le sens de ľélément introducteur du circonstant ne sufíit pas á ľexpression de la postériorité. Le subordonnant quand peut en effet fort bien signifier la simultanéité (Quand il travaillait, il ne pensait pas ä venir diner chez eile). Dans le texte, c'est la forme composée avait 106 Foncúons travaillé qui permet ľinterprétation du circonstant: en effet, une forme verbale composée signifie fondamentalement l'aspect accompli, mais cet accompli est ici reinterprete au sens ďune antériorité du proces signifie par le verbe de la subordonnée par rapport á celui que signifie le verbe de la principále. b) Le repérage indirect ou anaphorique Le lendemain (1. 9) et quatre jours plus tard (1. 9). Ces GN circonstanciels datent respectivement les predications lafúvre le prit et il allait rendre ľäme dans la postériorité ďun repěre, représenté par le GN une nuit dans le premier cas, et par le GN k lendemain dans le second. Le repérage chronologique se fait done ici par une reference de type anaphorique. II convient de procéder avec rigueur pour éta-blir ce lien : il ne faut pas prendre une nuit comme repěre de quatre jours plus tard (auquel cas ľagonie de Sylvain aurait eu lieu quatre jours seulement aprěs la nuit fatale). L'expression quatre jours plus tard ne peut s'interpréter autrement que par rapport á la derniěre indication temporelle qui la precede. Et e'est bien le lendemain qui occupe cette position. C'est done le cinquiěme jour par rapport ä la nuit ou son pere ferma la porte que Sylvain rendit ľäme. L'adverbe alors (1. 13) a dans le texte une valeur strictement temporelle. Equivalent de ä cette époque-lä, il permet un ancrage tem-porel du propos de la relative (avait dix-huit ans) dans ľépoque du récit, pris globalement, c'est-á-dire par rapport á l'ensemble du contexte antérieur. c) Le repérage objectif Ces circonstants peuvent étre classes selon le type de chronologie auquel ils appartiennent. La premiere chronologie est celle des jours de la semaine. Le dimanche (1. 4). Ge GN permet de situer temporellement le proces venir diner chez eile á partir d'un repěre appartenant ä la série chronologique des jours de la semaine. On relěvera en outre la valeur iterative de ľ article déíini (cas particulier de valeur générique). Toute la semaine (1. 3). Ce circonstant possěde en principe une valeur englobante á ľégard de la chronologie ä laquelle il appartient (c'est ľensemble de la série chronogique qui est envisage : le lundi + le Complements circonstanciels 107 mardi + le mercredi + ... = toute la semaine). Toutefois, il oppose souvent, comme ici, au dimanche l'ensemble des autres jours. Dans les deux cas, il exprime une idée de durée, qui est explicitée par le prédétermi-nant toute, sans lequel une preposition serait ici nécessaire (il avait tra-vaillé pendant la semaine dans les champs I ? il avait travaillé la semaine dans les champs). On notera également que, comme dans le cas precedent, ce circonstant n' « embraye »' pas sur la chronologie du calendrier (il faudrait un circonstant du type la semaine du 7 au 13 juillet 1997 pour que ce soit le cas), c'est en effet une expression génénque. La seconde chronológie est celle des moments de la journée. Une nuit (1. 6). Ce GN pose un repěre temporel appartenant ä la série des moments de la journée2; ce n'est pas une expression génénque, mais spécifique ; la nuit en question implique aussi le jour (au sens ďune perióde de vingt-quatre heures) dont eile constitue une partie, datation imprecise certes, en raison de ľarticle indéfini, mais par rapport á laquelle plusieurs autres circonstants temporeis seront interprétés (le lendemain, quatre jours plus tard). La derniěre chronologie évoquée est celie des äges de la vie. A vingt-neuf ans (1. 10). Le proces il allait rendre ľáme est repéré au sein ďune chronologie interne á la vie de la personne, mais ce n'est pas pour autant un repérage subjectif ou approximatif. La chronologie annuelle des äges de la vie est complětement objectivée, tout au moins dans nos civilisations occidentales. B / Les circonstanciels de lieu A la ville (1. 2), dans les champs (1. 3) donnent un repěre locatif génénque, dans lefoin (1. 8) et surtout dans la voiture á äne (1. 17) un repěre locatif spécifique. A la ville (1. 2) ne se réfěre pas ä une localité qu'il n'y aurait pas besoin de designer plus précisément en raison de sa notoriété, c'est 1. Au sens des embrayeurs de Jakobson. 2. Cette série chronologique ne se réduit pas á ľalternance jour/nuit. Elle comprend par exemple les moments suivants : aube, matin, midi, aprés-midi, crépuscule, soirée, nuit. Tantôt jour oppose globalement les quatre ou cinq premiers termes au dernier, tantôt il englobe le tout. 108 Functions simplement ľun des termes de la dichotomie ä la ville / ä la Campagne. Ce n'est pas un lieu donne qui importe, mais le choix ďun mode de vie. En revanche, oú dans oú eile était boulangére presuppose, pour fonder la transformation de relativisation elle-méme, cette ville, c'est-á-dire une identite urbaine assignable. II y a lá une distorsion stylis-tique, voire une discrete anacoluthe. Dans les champs (1. 3) ne precise nullement qu'il s'agisse des champs du pere de famille, merne si c'est vraisemblable. Lá encore, il s'agit ďune expression générique, indiquant un mode de vie, un type de travail qui n'est guěre caractérisé que par le plein air. Dans le Join (1. 8) est un lieu spécifique, determine de facon indirecte par le contexte (kur pere... ferma la porte de la maison). II s'agit trěs probablement, par métonymie, du lieu (entite nombrable, quoique unique) oú on garde en reserve le foin (entite massive) de la ferme familiale. II pourrait s'agir de ľinconfort ressenti en dormant sur ce type de substance, mais alors on aurait plus probablement il dormit sur du foin. Plus spécifique encore est dans la voiture ä cine qu'elle menait elle-méme (1. 17, description définie1, c'est «la voiture de Gabrielle »), d'abord vu comme le «lieu » oú eile place son chefd'ceuvre, mais qui est plus un véhicule qu'un lieu, et plus un étre animé qu'un véhicule, car si (d'habitude) elk menait la voiture, celle-ci, ce jour-lä (pas d'erreur, il ne peut s'agir de ľane), la conduisit bride abattue... On fera lá-dessus toutes les interpretations stylistiques ou psychologiques qu'on voudra. C / Les autres circonstances Pármi les autres circonstants du texte (d'ailleurs fort peu nom-breux)2 ľun décrit une situation {sa chemise trempée, 1. 8) susceptible d'etre interprétée plutôt comme une simple concomitance que 1. De méme que sur sa couche (1. 20), oú nous voyons plutôt un C.O.I. La description définie consiste dans un GN oú la justification du determinant défini est fournie par un complement du nom ou une expression équivalente (G.M.F., XIX: 3.5., p. 574). 2. D'autres « circonstances » sont exprimées dans le texte par des groupes partici-piaux en position détachée, et non par des complements circonstanciels : kur pere, fache du mauvais exemple... (1. 5, temps et cause), interrompant l'Exlreme-Onction (1. 19-20, temps et maniere). Complements circonstanciels 109 comme une cause (cela deviendra la cause de la fievre, et finalement de la mort, mais seulement dans la suite du texte, aprěs coup), mais dans le contexte immédiat, on peut aller plus loin que la simple indication temporelle, et anticiper un peu sur la notion de causalité : on admettra alors ľinterprétation « alors que sa chemise était trempée » (circonstance aggravante), ou encore « bien que sa chemise ait été trempée » (un motif qui aurait du empěcher le fait subsequent). On constate á nouveau le caractěre plus ou moins arbitraire des sous-catégories sémantiques de la notion de circonstance. Un autre circonstant, pour empěcher que son chef-d'auvre ne se refroidit (1. 16), est l'expression d'une perspective, en ľoccurrence celle d'un but. Au total, il n'y a pas á s'étonner qu'un texte narratif privilégie les circonstants de lieu et de temps, les temporeis surtout, de méme qu'un texte descriptif aurait privilégié les circonstants spatiaux. Mais dans cette nouvelle d'une extreme concision, qui se développe et s'achéve en une vingtaine de lignes, ľaccumulation des complements circonstanciels est quand méme frappante. Cest que les circonstan-ces sont décisives pour quelqu'un comme Jouhandeau qui cherche á prendre les étres « en flagrant délit ďhumanité ou ďinhumanité ».