,% Cinquiéme Partie ÉTUDES DE MORPHEMES GRAMMATICAUX ET QUESTIONS OUVERTES Ghapitre XVIII « QUE » Relevez, classez et analysez les emplois de « que» dans k texte suioant: Lettre XXVIII 1 Oui, je l'avoue, si mon mari arriva hier ä propos pour lui, il vint fort mal-ä-propos pour vous ; ma vertu chancelante ne se défendoit plus que foiblement, vos empressements m'avoient surprise au point de me la faire perdre de vue. L'occasion, votre amour, le mien, tout com-5 battoit contre moi, je sentois ce que je n'ai jamais senti. Mes yeux éga-rés, merne en vous regardant, ne vous voyoient plus. J'étois dans cet etat de stupiditě oú ľon laisse tout entreprendre, et mes reflexions avoient fait place ä une ivresse, plus aisée ä ressentir qu'á exprimer : que serois-je devenue si le marquis ne füt arrive ! Je recule votre perte 10 d'un jour. Que sais-je ! Peut-étre pour jamais ! L'état oúje me suis vue, quelque désordre qu'il porte dans les sens, quelque enchanteur meine qu'il puisse ětre, est trop ä craindre pour que je ne cherche pas ä ne m'y plus retrouver. Vous n'attendiez pas, j'en suis súre, cette conclusion, et dans l'impatience que vous avez de réparer ce que le hasard a 15 gate, vous m'en supposez une semblable ; vous avez tort. Que dans ces moments cruels oú la nature nous livre ä nous-měme, oú touš les sens troubles agissent pour notre seduction, oú les transports d'un amant échauffent sans cesse les nôtres, et ne portent ä ľimagination que ľidée d'un plaisir vif et present; que dans ce délire, dis-je, on souhaite sa 20 défaite, je le crois ; on ne la voit pas. Mais que, revenue de ce funeste etat, on puisse se soumettre aux désirs d'un amant et le rendre heu-reux, parce que votre foiblesse l'a mis une fois au point de ľétre, voilá ce que je ne concois pas. Crébillon ills, Lettres de la Marquise de M*** au Comte de R*** (1732). 246 Etudes de morphemes grammaticaux et questions ouvertes PRÉALABLES Si le repérage est ici purement mécanique (tout au plus faudra-t-il reconnaitre le morpheme que dans sa forme élidée qu), les connaissances requises sont évidemment complexes et multiples, ľintérét méme de la question étant de renvoyer á différents chapitres ou paragraphes de la grammaire : relatives (G.M.F., XIII) et pro-noms relatifs (VT: 5.6.), interrogatives (XI: 2.) et pronoms interrogatifs (VI: 5.5.), voire exclamatives (XI: 3.), ou encore subordonnées conjonctives, qu'elles soient complétives (XIV : 1.) ou circonstancielles (XV), mais aussi aux paragraphes sur les marqueurs de restriction («ne... que», XI: 5.1.2.) et sur les complements du comparatif (VIII: 4.3.1.), les complements d'adjectifs marquant ľidentité {merne) et la difference [autre), ou encore ceux ďadverbes [trop, assez, plutdt, etc.). Une attention particuliěre devra étre éventuellement accordée á la sequence ce que, qui peut recouvrir des cas d'emploi varies: relative substantive (la relative introduite par le pronom que étant substantivée par le demonstrate" « neutře » ce); interrogative indirecte [ce que transpose alors le qu'est-ce que de ľinterrogation directe : je me demande ce qu'il fait); completive de construction indirecte (a ce quel'de ce que introduisent le C.O.I, propositionnel, comme que intro-duit le C.O.D. propositionnel: j'attends qu'il vienne /je m'attends ä ce qu'il vienne); ou enfin tournure exclamative (Ce que tu es bete! XI: 3.2.4.). CLASSEMENT PROPOSE Le principe retenu pour ce classement sera celui d'une elevation progressive dans la hierarchie des constituants, depuis le que introdui-sant l'expansion d'un adverbe constituant du groupe adjectival, jus-qu'aux conjonctions circonstancielles, introduisant des complements « Que» 247 de phrase, en faisant enfin une place á part aux termes qui mar-quent un type de phrase particulier, l'assertion restreinte ou ľinterrogation. 1. «Que» introduisant un constituant d'un groupe adverbial Dans une ivresse, plus aisée ä ressentir qu'á expňmer (1. 8), il est facile de montrer la dépendance de que par rapport ä plus: il suffit de supprimer plus pour rendre impossible le maintien de que et de ce qui le suit; en revanche, la suppression de que, si eile entraíne nor-malement ľeffacement du syntagme á exprimer (on y reviendra), est compatible grammaticalement avec le maintien de plus, dans ce cas on comprendra plus aisée ä ressentir (que ľétat dans lequelje me trouvais précédemment). Ainsi plus... qu'á exprimer est un constituant discontinu dont le noyau est plus, un groupe adverbial. II est plus délicat, et pourtant indispensable pour bien comprendre le role de que, ďétablir la dépendance de ce groupe adverbial par rapport á ľadjectif qualificatif aisée. Une ivresse ä ressentir n'est pas en soi agrammatical. On admettrait méme une ivresse plus ä ressentir qu'á expňmer. Dans ce cas, ce serait á ressentir qui serait directement constituant du GN dont le noyau est ivresse, et plus... que évaluerait ľune par rapport á ľautre deux qualifications du nom ivresse. Cependant, il est preferable ďenvisager plutôt une autre analyse, faisant de plus un adverbe subordonné au groupe adjectival aisé á ressentir. II est en effet courant que des adjectifs comme aisé, facile, difficile se construi-sent avec une expansion composée de ä et d'un infinitif. C'est ľensemble ainsi constitué qui serait déplacé en bloc dans la transformation attributive cette ivresse est aisée ä ressentir... Cette interpretation s'impose á la reflexion, parce que le propos de la fin de cette phrase est bien de faire remarquer « qu'exprimer cette ivresse n'est pas aisé », et, par consequent, aisée ne peut étre considéré comme un element facultatif. Mais lá encore il s'agit ďopposer une qualification ä une autre, car la phrase réalisée peut étre analysée comme le produit d'une transformation d'effacement á partir de une ivresse plus aisée ä ressentir qu'aisée ä expňmer. 248 Études de morphemes grammaticaux et questions ouvertes Dans les deux interpretations, done, méme si, dans la terminologie grammaticale courante, que introduit ici ce qu'il est convenu d'appeler le complement du comparatif de superioritě', il ne s'agit pas de la forme prototypique de cette sorte de complement, qui généralement évalue non pas, comme ici, deux qualités rapportées au méme referent, mais un referent (un GN) par rapport ä un autre, sur la base ďune qualité qu'ils possědent en commun, sans la presenter au méme degré, comme dans Ce garpn est plus grand que son fiére. 2. « Que» introduisant une expansion du groupe nominal II s'agit, dans le seul cas qu'offre le texte, ľimpatience que vous avez de réparer... (1. 14), d'une relative, introduite par le pronom relatif C.O.D. que2. En tant que relatif, que, comme tous les relatifs, a un double role : ďune part c'est un marqueur de subordination, et méme un démarcatif, puisqu'il signále le point oú commence la proposition subordonnée ; ďautre part il représente son antecedent, comme le font en principe tous les pronoms (á ľexception des déicti-ques). Ses propriétés sont triviales : c'est une forme particuliěre á la fonetion C.O.D., sans marque d'aecord, et placée en tete de la proposition relative. On peut toutefois se demander si celle-ci est explicative ou determinative, et quelles sont exaetement ses limites. La relative est en realite limitée aux seuls mots que vous avez et c'est une explicative. Le test d'effacement suffit á mettre en evidence ces deux traits. En effet, la phrase dans ľimpatience de réparer ce que le hasard a gäté, vous supposez— est parfaitement acceptable. La relative ainsi isolée est totalement facultative, syntaxiquement et 1. Sans doute ne s'agit-il pas d'une veritable gradation, la marquise veut dire que cette ivresse est aisée á ressentir, mais pas á exprimer. Cependant, cette interpretation résulte d'un simple effet rhétorique. 2. Au méme niveau hiérarchique, c'est-á-dire comme expansion du GN, nous pour-rions trěs bien trouver des complétives introduites par la conjonction que, par exemple j'ai ľespoir que vous réparerez vos torts; impossible de donner á que, censé représenter ľespoir, quelque fonction que ce soit dans la proposition vous réparerez vos torts. II s'agit d'une transformation de nomínalisation de j'espére que vous réparerez vos torts. On peut aussi considérer que la locution avoir ľespoir, formée par le verbe-support avoir et le nom espoir, est ľéquivalent du verbe espérer. «Qym 249 sémantiquement: le terme impatience pourvu d'un article défini appelle certes une determination, mais celle-ci lui est entiěrement fournie par ľexpansion de réparer... qui demeure aprěs efFacement de que vous avez. On pourrait, il est vrai, supposer que ľélément facul-tatif du GN dont le noyau est impatience est au contraire de réparer... (et la suite). Son efFacement produit également une phrase gramma-ticalement acceptable : dans I'impatience que vous avez, vous supposez—, et la relative serait determinative ; mais la fin de la phrase compor-terait une legere anomálie sémantique. Vous m'en supposez une sem-blable: «semblable» á quoi, puisque I'impatience en question n'aurait aucune caractérisation precise ? On attendrait alors plutôt vous me supposez la mane. En fait, la relative que vous avez apporte seu-lement une predication secondaire, qui n'est d'ailleurs que la confirmation du presuppose que véhicule le contexte, vous avez (effective-ment) cette impatience1. 3. « Que» introduisant une relative substantivée Nous en avons dans le texte trois exemples trěs proches les uns des autres: ce que je n'ai jamais senti (1. 5); ce que le hasard a gäté (1. 14-15) ; ce que je ne confois pas (1. 23). Ges relatives ne sont pas exactement par elles-mémes ľéquivalent distributionnel d'un GN, c'est l'ensemble forme par le pronom ce et la relative qui est ľéquivalent d'un GN. D'une facon generale, la plupart des pro-noms démonstratifs sont incomplets par eux-mémes (*celui est venu n'est pas grammatical, mais celui-ci / celui de Jeanne (son maň) / celui (cet ami) dont je ťai parle est venu, etc. le sont parfaitement): la relative constitue ici leur expansion obligatoire (?je sentais ce / * I'impatience... de réparer ce / *voilä ce). La structure interne de ces relatives est la méme, que y représente un C.O.D. non animé d'une extréme generalite : je n'ai jamais senti cela (un sentiment); le hasard a gäté cela (une occasion propice); je ne confois pas cela (cette idée, ou : qu'on puisse se soumettre...). La significa- 1. De la méme {agon que I'impatience qui est la vôtre n'est qu'une reformulation de votre impatience. 250 Etudes de morphemes grammaticaux et questions ouvertes tion se tire dans le premier cas du sens du verbe lui-méme, dont le C.O.D. est sémantiquement trěs contraint; dans le second cas du contexte large (et un peu des presupposes véhiculés par le verbe); dans le troisiěme, du contexte immédiat. Quant aux fonctions de ces relatives substantivées, elles sont ici de deux sortes seulement1. Dansj'e sentais ce que je n'ai jamais send, et dans réparer ce que le hasard a gate la relative est C.O.D. d'un verbe transitif: sentir dans le premier exemple et réparer dans le second. Aprěs voilä, dans voilä ce que je ne congois pas, la relative prend la place du GN qui constitue le complement (ou « regime ») prototypique du présentatif. Si on approfondit encore l'analyse, on constatera que dans notre texte voilä peut se voir substituer c'est ou méme est, la relative substantivée joue done en structure profonde le role d'un attribut. 4. « Que » conjonction donnant ä une proposition un statut de GN De ľemploi prototypique de la conjonction que introduisant une completive ayant la fonction d'un C.O.D., il n'y a pas d'exemple dans le texte. En revanche les deux derniěres phrases comportent un que initial introduisant une proposition qui reste longtemps « en suspens », sans avoir recu pour le lecteur l'indication de la fonction que le scripteur lui assigne d'avance. Ľétirement de la phrase est tel, dans le premier cas, que cette proposition initiale elle-méme reste incomplete, et qu'un nouveau que doit venir relayer le premier : que dans ces moments cruels, [etc.] que dans ce délire, dis je, on souhaite sa défaite... Pour la clarté de l'analyse, réduisons chacune de ces deux phrases ä ses elements essentiels du point de vue de la structure ; Que dans ces moments... on souhaite sa défaite, je le crois (1. 15-20) et que, revenue de ce funeste etat, on puisse se soumettre aux désirs..., voilä ce que je ne congois 1. On ne trouve pas d'exemple dans notre texte de relative sujet, C.O.I., ou complement circonstanciel. «Que» 251 pas (1. 20-23). Nous constatons tout d'abord, en ce qui concerne l'un et l'autre de ces que initiaux, ľimpossibilité de leur assigner une fonc-tion (toutes les valences de la subordonnée sont en effet saturées), ce qui est un des critěres de reconnaissance de la conjonction. D'autre part, ces propositions introduites par que apparaissent dans une position remarquable en téte de phrase. Dans le premier exemple, eile est reprise par le, C.O.D. de je crois: c'est un cas de dislocation, avec détachement en téte d'une proposition completive C.O.D., mise ainsi en position de theme (G.M.F., XI: 6.1.2.). Je le crois est le veritable propos de la phrase, cela apparaít mieux dans la reformulation équivalente : que dans ces moments... on souhaite sa défaite, c'est ce que je crois. Dans la seconde phrase, la proposition initiale introduite par que constitue également le theme de la phrase, c'est un quasi-sujet grammatical puisque, comme nous venons de le remarquer, voilä (employe ici comme une variante de est) est lui-méme une sorte de copule, et la proposition qui le suit et qui est formellement le complement du présentatif doit étre interprétée sémantiquement comme un quasi-attribut. On pourrait encore décrire ce phénoměne comme une dislocation : la transformation de la phrase je ne concois pas qu'on puisse... par emphase sur je ne concois pas et détachement de on puisse..., en qu'on puisse..., voilä [ou c'est] ce que je ne congois pas. En somme, dans l'un et l'autre cas, on est malgré tout trěs proche du que prototypique d'introduction d'une completive C.O.D. Toutes les conjonctives détachées en téte de phrase, qu'elles soient ou non sujet, ont pour caractéristique d'etre réguliěrement au subjonctif. En effet, leur contenu n'est pas á proprement parier asserté, leur valeur de vérité reste en suspens. C'est bien le subjonctif que nous avons ici avec souhaite (pour le verifier, car cette forme est ambigué, remplacons souhaiter par vouloir: nous aurions veuille) et avec puisse. Certes, nous aurions aussi le subjonctif dans la dépendance du verbe concevoir, qu'il soit positif ou négatif:j« (ne) congois (pas) qu'on puisse, mais non dans le cas du verbe croire á la forme positive :je crois qu'on souhaite / qu'on veut. C'est done bien la place qui est decisive pour l'emploi du mode. 252 Études de morphemes grammaticawc et questions ouvertes 5. « Que» element d'une locution circonstancielle Ľ s'agit d'abord, évidemment, au premier chef de ce qu'il est convenu d'appeler conjonction composée ou locution conjonctive introduisant une proposition subordonnée circonstancielle. Une théorie commode, mais en partie inexacte, veut que dans les locutions conjonctives circonstantielles on ait deux elements, d'abord une preposition, ensuite une proposition conjonctive introduite par que avec un statut distributionnel de GN ; ainsi [avant + GN] a pour cor-respondant [avant que + P], et {pour + GN] offre la méme structure que [pour que + P] (G.M.F., XV : 0.1.), ce qui a ľintérét d'unifier la catégorie des propositions conjonctives; qu'elles soient circonstan-cielles ou complétives, que + P est equivalent á GN. Mais la realite est un peu plus diverse, et il n'y a pas vraiment de parallélisme entre les complements circonstanciels dans la phrase simple et les propositions circonstancielles dans la phrase complexe. Ainsi, dans notre texte, un seul exemple se rapproche de ce modele ideal: parce que votre foibksse ľa mis une fois au point de Vetre (1. 22). Mais cette proposition, facultative et mobile, a beau corres-pondre approximativement á un complement circonstanciel de sens analogue dans la phrase simple (par faiblesse), il n'en reste pas morns qu'en francais moderne, il est devenu impossible de « construire » parce que á ľaide de la preposition par et de la conjonction que (c'est bien une conjonction, puisqu'elle n'a aucune fonction dans la subordonnée) en y intercalant ce; l'ensemble, d'ailleurs, est percu comme un tout indecomposable ainsi qu'en témoigne sur le plan de l'orthographe la coalescence de parce. Du moins s'agit-il de toute evidence d'une proposition circonstancielle de cause. Dans le cas de ľétat... est trop á craindre pour que je ne cherche pas ä ne m'y plus retrouver (1. 10-13), la locution pour que, qui appartient pour-tant á la liste canonique des locutions conjonctives de but, n'introduit en fait nullement une proposition circonstancielle au sens oú il s'agirait d'un complement de phrase (mobile), ni d'ailleurs une proposition finale. Elle depend de trop, comme on s'en convaincra aisément en constatant qu'elle ne pourrait se maintenir si on suppri-mait cet adverbe, modificateur du syntagme ä craindre place lui- «Qß* 253 mérae en position d'attribut. Sur le plan syntaxique, pour que a done bien pour role d'introduire I'expansion d'un groupe adverbial dont le noyau est trop; cet adverbe est lui-méme le modificateur du syn-tagme ä craindre, groupe assimilable ä un groupe adjectival, puisque nous le trouvons en position d'attribut. L'ensemble trop... pour que ne peut done pas introduire un complement de phrase : on rangera cette structure pármi les « systěmes corrélatifs », dans la mesure oú la subordonnée est appelée par un element de la principále, et on rattache ces systěmes aux propositions circonstancielles parce qu'ils en constituent des sortes de paraphrases (G.M.F., XV : 3.2.). Sur le plan sémantico-logique, il ne s'agit pas de but, mais plutôt de consequence. II y a ici, d'ailleurs, notons-le, un curieux renversement des signes dans la consequence envisagée, trop... pour inverse le sens de tellement... que: avec cette derniere expression, on aurait en effet cet etat est tellement ä craindre que je cherche ä ne m'y plus retrouver (ou que je ne cherche pas ä m'y retrouver). Ce phénoměne ne se produit pas dans l'expression consecutive analogue assez— pour que. Enfin, dans quelque désordre qu'il porte dans les sens, quelque enchanteur mime qu'il puisse étre (1. 11-12), on s'accorde á voir globale-ment des propositions circonstancielles, paraphrasables á quelque nuance pres par des propositions introduites par bien que ou méme si, et d'ailleurs également au subjonctif: bien qu'il porte quelque désordre dans les sens, bien qu'il puisse étre enchanteur. Toutefois, ä y regarder de plus pres, le que est beaucoup plus facile ä interpreter comme un relatif que comme une conjonction : il porte dans les sens ou il puisse étre sont en effet des propositions incompletes, un C.O.D. manque á la premiere, un attribut á la seconde, et pour que la complétude de la phrase soit assurée, il faut voir dans que le representant de désordre et ď enchanteur. Mais ceux-ci n'ont pas de fonetion dans la principále, et e'est done le syntagme discontinu quelque... que qui integre le tout dans la phrase en tant que groupe circonstanciel (voir G.M.F., XIII: 4.). 6. «Que» element du marqueur de restriction «ne... que» Nous le trouvons deux fois dans le texte : Ma vertu... ne se défendoit plus que foiblement (1. 2-3), les transports... ne portent ä l'imaginahon que ľidée 254 Etudes de morphemes grammaticaux et questions ouvertes d'un plaisir vif et present (1. 17-19). Ne y assume bien un role de negation, mais ľensemble constitue néanmoins une assertion positive, autrement dit une affirmation. Le principe de la restriction consiste, tout en assumant positivement le contenu de la proposition, á nier explicitement toute proposition qui au méme theme associerait un propos different'. Autrement dit, chacune de ces phrases a pour presuppose la phrase affirmative correspondante : ma vertu se défendait (encore) faiblement et les transports... portent ä ľimagination ľidée d'un plaisir vif et present2. Ce qu'il faut inférer, ce qui est posé, c'est que le con-traire serait faux, et plus précisément que l'expression qui suit que est la seule acceptable, c'est pourquoi on peut toujours paraphraser en ajoutant et pas autrement ou et rien d'autre3 [G.M.F., XI: 5.1.2.). La place du que est done cruciale, et la restriction peut porter sur diffé-rents groupes, ici un adverbe modificateur de verbe dans le premier cas faiblement), un C.O.D. dans le second [ľidée d'un plaisir), mais jamais sur un groupe sujeť. t 7. « Que » pronom interrogatif Le texte en fournit deux exemples: que serois-je devenue (1. 9), et que sais-je (1. 10). La ponctuation finale de ces phrases est un point d'exclamation et non d'interrogation, car il n'y a pas de réponse possible á ces questions, mais il s'agit la d'un efFet pragmatique. Sur le plan syntaxique, il s'agit bien de phrases interrogatives. Dans un trěs grand nombre de cas, Fexclamation ne s'exprime par aucune forme syntaxique qui lui soit propre, mais emprunte aux autres 1. Voir plus haut, dans l'exercice sur la negation, les p 193-194. 2. Le sens n'est pas ma vertu ne se défendait plus, negation de la phrase ma vertu se défendait encore. Toutefois, la transformation de encore en plus dans la phrase restrictive depend bien de la presence de ne. L'orientation argumentative s'inverse, ma vertu se défendait encore faiblement pourrait jusüfier une conclusion comme f avals bon espoir de rester vertueuse. Tandis que eile ne se défendait plus que faiblement autorise les mémes conclusions défavorables á la vertu que ne se défendait plus. 3. Diachroniquement, l'expression s'explique plutôt par ľeffacement du mot autre, autre chose ou autrement avant le que, á une époque oü ne suffisait á exprimer pleinement la negation. Ma vertu ne se défendait (plus) autrement que faiblement, les transports ne portent (pas) autre chose ä ľmagination que ľidée d'un plaisir. On serait ainsi ramene ä la structure autre... que traitée plus haut. 4. Voir l'analyse de la phrase ;/ ne manquait plus que Vera elh-méhne (Villiers de L'lsle-Adam), dans l'exercice portant sur les pronoms, p. 54-55. « Que » 255 types de phrases, et notamment aux phrases interrogatives, les formes qui lui conviennent. Nous sommes ici au niveau le plus élevé de la hierarchie phras-tique, celui du type de phrase (en ľoccurrence le type mterrogatif), qui ne concerne jamais les propositions subordonnées. Les phrases assertives correspondantes auraient été je serais devenue cela (forme «neutře» qui serait un peu étonnante ici, appliquée á un étre humain) ou plutôt je serais devenue ainsi ou telle iainsi et surtout tel étant des proformes d'adjectif), mais en tout cas pas je serais devenue celle-ci (la question aurait été qui serais-je devenue ?); et d'autre part je sais cela. Nous en tirons la conclusion que, comme terme mterrogatif, que représente soit un nom non animé en fonction de C.O.D. ou ďattribut, soit un adjectif en fonction ďattribut. Un tel terme interrogatif a un double role. D'une part, c'est un marqueur ďinterrogation, solidairement avec ľinversion du sujet; ďautre part c'est un element postiche, marquant dans la phrase une place vide, celie justement sur laquelle porte ľincertitude de celui qui s'exprime, un pronom si ľon veut (un «proadjectif» éventuellement), mais sans antecedent. Ni anaphorique, ni cataphorique, ni merne déictique, c'est, comme nous le disions, une place vide á occu-per, ou, comme ici... ä laisser vide. En résumé, plusieurs regroupements des emplois de que sont possibles. On peut mettre ďun côté les que pronoms, qu'ils soient relatifs ou interrogatifs (d'une facon plus generale, il y a plusieurs termes qui appartiennent aux deux series, qui, oú, et méme quoi, ainsi que lequel et ses variantes) et de ľautre les que conjonctions de subordination, en déíinissant ce terme comme le mot qui donne ä une proposition (éventuellement elliptique) le statut de GN sans exercer de fonction dans cette subordonnée. On peut aussi opposer les que subordonnants, les plus nom-breux (pronoms relatifs et conjonctions)1, et les marqueurs de type de phrase, plus rares, ici les pronoms interrogatifs, dans 1. II faudra y ajouter le cas échéant les pronoms interrogatifs introduisant des propositions interrogatives indirectes, mais il n'y en a pas dans notre texte. 256 Etudes de morphemes grammaticaux et questions ouvertes d'autres textes les que exclamatifs, qui introduisent les uns et les autres des propositions indépendantes ou principales. Que reste ľinstrument de subordination par excellence du francais1. II n'est pas étonnant qu'une pensée aussi subtile et en méme temps aussi maitrisée que celie des écrivains du XVIir siécle en fasse grand usage dans un texte destine á mettre en evidence la complexité de la vie psychologique. I. Les linguistes guíllaumiens défendent une these unitariste sur le systéme quel quin, en rapportant les diŕľérents emplois en discours de ces deux morphemes á un méme « mouvement de pensée ». Pour plus de details sur ce type d'analyse, voir par exemple G. Moignet, Systématique de la langue franfaise, Klincksieck, 1981, p. 246-252. C