Masarykova univerzita Filozofická fakulta. Ústřední knihovna P n't, č. t¥0j-Oi Sign. Systč. .jr**9*r « Le photocopillage, c'est ľusage abusíf et collectif de la photocopie sans autori- sation des auteurs et des éditeurs. Laigement répandu dans les établíssements ďenseignement, le photocopillage menace ľavenir du livre, car il met en danger son équifibre économique. II prive les auteurs ďune juste remuneration. En dehors de ľusage přivé du copíste, toute reproduction totale ou partielle de cet ouvrage est interdite. » © Armand Colin, 2005 pour la présente impression -©-Nathan/VUEF2001 © Nathan 1992 pour la lre edition ISBN: 2-200-34234-9 SOMMAIRE preambule.............................................................................................. ' Introduction.......................................................................................... 9 La question de ľenqueté contre celie de ľenqugteur..................... 9 La demarche clinique.......................................................................... J* Les grandes enqueues sociales............................................................ 12 Des Indiens ä la ville.........................................................—™.....■ 14 Récit de vie et entretien rétrospectif................................................. 16 1. LES CONDITIONS DE VALIDITĚ...................................................... ^ 1. Une demarche participative..................................................... 2<> 2. La production de discours....................................................... 23 2.1. Quelle tradition sociologique ?...................................... 23 2.2. Les faits de parole........................................................... 25 3. Principaux domaines^d'application................,..„„,.„.,.,„..,..... 30 3.1. Enqueues sur-les-représentations.................................... 32 3.2. Enqueues sur les representations et les pratiques.....:.. 33 3.3. Enqueues sur les pratiques...........................................••■ 35 2. La preparation de ľenquéte....................:...:...;.:::;;...:":.....:.. 39 1. Ľopportunité du recours ä l'enquete par entretien............ 40 2. Les différents usages possibles de ľenquéte par entretien. 42 2.1. Ľenquéte par entretien á usage exploratoire.............. 43 2.2. L'enquete par entretien á usage principal.................... 46 _. _2.3.-L'enquete_par-entretien-á-usage-compíémentaire........ 47 3. La conception de ľenqueté.................................................... 50 3.1. Population et échantillon................................................ 50 5 3.2. Les modes ďaccěs aux interviewés................................ i 3.3. Le pian ďentretien........................................................... 61 3. La realisation des entretiens............................................... 61 1. Les paramětres de la situation ďentretien............................ 69 1.1. L'environnement................................................................ 69 1.2. Le cadre contractuel de la communication.................. 75 1.3. Les modes d'intervention................................................ 78 2. L'interaction des discours et des interventions.................... 84 2.1. Les types de discours...................................................... 85 2.2. Les effets des relances sur les types de discours......... 86 4. ĽANALVSE DES DISCOURS............................................................. 91 1. La production du sens............................................................. 92 2, Differentes analyses de contenu............................................. 94 2.1. L'analyse par entretien.................................................... 96 2.2. L'analyse thématique....................................................... 97 2.3. L'analyse propositionnelle du discours (APD)............ 102 2.4. L'analyse des relations par opposition (ARO)............ 109 Conclusion............................................................................................. 117 Bibliographie......................................................................................... 119 JL PREAMBULE Ľenquéte par entretien est largement pratiquée et pourtant mal con-nue. Sa legitimite était, jusqu'á il y a peu, incertaine. Au mieux, eile relevait de ľ art. Au pire, eile n'était qu'un adjuvant de la science. Ses résultats étaient irremplacables, mais ses fondements théoriques insuf-fisants. Importe, ä ľorigine, de la psychologie sociale, ľentretien béné-ficie désormais des avancées de la psychologie et de la pragmatique. Tant sur íe pian de ľentretien lui-měme, que des méthodes ďanalyse, ce proces paraít done aujourd'hui plus que dépassé. Ľenquéte par entretien constitue ainsi une technique de recherche á part entiere, á la fois sur le plan des résultats et des fondements théoriques. On dispose sur la question de deux types de littérature : les ouvrages de méthodologie qui décrívent ľoutil lui-meme et les travaux de recherche qui ľutilisent, mais qui en font généralement trěs peu mention. Ainsi a-t-on rarement ensemble la méthode et les résultats, mais généralement ľun sans ľautre.. Cet_ouvrage^e propose,_quantá.lui,.de.pallier ce manque, en replacant la technique-dans son environnement pratique, dans ľexpérience merne de la recherche. Concu á partir du double point de vue — celui du théoricien et celui de ľutiíisateur — il prend en consideration la mécanique de ľentretien et son usage, les ressorts de son fonc-tionnement et ses vertus pratiques. Des exemples cöncrets de travaux sont présentés chaque fois que nécessaire, en regard de ľexposé des prin-cipes. Notre propos se veut aussi, á ľimage de celui que produit ľentretien, un discours experience. II est question dans cet ouvrage d'enquétes sociologiques, psycholo-giques, „ethnologiques_et-historiques,-dans. la mesure oü ľentretien s'emploie dans la plupart des disciplines des sciences humaines. Si la reference ä ces différents champs discipiinaires permet d'entrevoir la 7 diversité des utilisations possibles de ľenqueté par entretien, eile entend aussi souligner que son usage s'inscrit chaque fois dans un cadre con-ceptuel spécifíque. Le plan adopté suit le déroulement Iogique de I'enquSté : preparation, realisation et analyse, étant entendu que ľinterrelation entre ces trois phases est, dans ce type ďenquéte, particuliěrement accusée Les trois chapjtres consacrés á chacune de ces phases sont precedes d'une introduction sur l'historique de ľentretien, et ďun premier chapitre sur les conditions de validité de ľenqueté. Nos remerciements vont á B. Bensoussan, I. Bertaux-Wiame J. Jilanchet, M. Bozon, J.M. Jakobi, J.M. Léger, J. Rousseau, F de Singly, L Urdapilleta, R. de Villanova. INTRODUCTION Genese de ľentretien dans les sciences sociales: principaux repěres Ľentretien, comme technique ďenquěte, est né de la nécessité d'etabiir un rapport suffisamment égalitaire entre ľenquéteur et ľenqueté pour que ľenqueté ne se sente pas, comme dans un interrogatoire, con-traint de donner des informations. L'entretien qui modjfieles.rapports entre interviewer et interviewés modifie aussi la nature de ľinforma-tion produite. D'une information qui constituait une réponse ponctuelle á une question directe de ľenquéteur, on est passé ä une reponse-discours obtenue par des interventions indirectes de ľenquéteur. La question de ľenqueté contre celie de ľenquéteur : historique d'un échange Ľentretien est, á ľorigine,-un type de rapport social et verbal äpparte-nant au langage diplomatique, á Iä föis antérieur et externe á la constitution des sciences sociales et de leurs outils méthodologíques, qui designe une conversation d'égal á égal, entre deux souverains par exemple. Toutefois, on a coutume d'établir ľacte de naissance de ľapproche dite « indirecte » ä une date plus récente — 1929 — á la Western Electric, oů se déroule une enquéte devaluation d'un style nouveau qui sera rap-portée, commentée et théorisée en 1943 par ceux que ľon considěre comme les fondateurs de ľentretien de recherche : Roethlisberger et Dickson (1943). Cet^enqué^cenlrée^u^épartjsur les conditions materielles de la proďuctivité dans ľentreprise, mit alors en evidence, contre toute attente, ľimportance des relations interpersonnelles dans la 9 Introduction motivation au travail. Forts de ce-résultat, désireux á la fois de tester et développer ľidée, qui á ľépoque est nouvelle, et lui donner ainsi une fonction opératoire, les enquěteurs décident de poursuivre ľinvestiga-tion sur les sentiments des ouvriers á ľégard de la maítrise, afin de réin-jecter ces informations dans des sessions de formation. L'enquSte, alors, de simple instrument, devient dispositif d'action. Elle s'enrichit de deux étapes supplémentaires: outre la passation du questionnaire (dite appro-che directe), eile comprend désormais une approche indirecte d'abord avec prise de notes, ensuite avec enregistrement integral. La mise en place de ce dispositif constitue une étape charniěre dans le mode d'inter-rogation, dans la mesure ou on passe prcgressivement de la recherche des réponses aux questions d'un savoir scientifíquement constitué, á la recherche des questions élaborées par les acteurs sociaux eux-měmes. Les_enqu8teurs ont en effet observe d'abord que les ouvriers souhai-taient parier de questions sans rapport avec les questions posées, et pris acte de la non-pertinence des questions préconstruites; ensuite qu'Ü était impossible ďinterpréter les réponses en ľabsence de tout contexte dis-cursif, ďou ľabsence de sens des réponses obtenues par voie de questionnaire. Les propres questions de ľenquété deviennent alors le veritable objet de recherche. Resituées dans les informations contextuelles indispensables ä leur interpretation, elles donnent accěs aux conceptions personnelles des interviewés (Blanchet et al.t 1985). Quant á ľorientation non directive á proprement parier, c'est une notion empruntée au vocabulaire de la psychosociologie, formulée eile aussi dans les années 1940 par Carl Rogers (1945), psychothérapeute, appliquée d'abord á des entretiens cliniques, puis, en un second temps, par extension, ä des entretiens de recherche. Si l'acte de naissance de ľentretien de recherche est recent et aisé-ment reparable, sa filiation est cependant á la fois plus ancienne et plus complexe. En effet, ce qui a preside á la transformation du protocole d'enquete, ce qui a permis ďéchanger la question de ľenquéteur avec la question de ľenquété, c'est un changement plus general survenu dans les maniěres ďinterroger les populations (á ľépoque, les indigents et 10 Introduction les indigenes), et ľémergence d'une nouvelle figure observationnelle de ľHomme. Le passage du questionnaire ä ľentretien est ainsi non seule-ment lie au fait que ľenquéte sociale s'est elle-meme dégagée de ľinter-rogatoire, mais il s'inscrit également á la fois dans la transformation du regard anthropologique sur les sociétés lointaines, et dans les mutations de ľattitude thérapeutique par rapport ä la maladie mentale. La demarche clinique : le malade mis ä contribution par le biais de sa parole Piaget (1926) montre comment la méthode clinique peut s'imposer comme seule approche possible d'un probléme donne1. II se propose ďétudier quelles sont les representations du monde que se donnent spon-tanément les enfants au cours des différents Stades de leur développe-ment intellectuel. La premiere facon ďopérer, dit-il, consiste ä spumettre les enfants á un questionnaire standardise. Mais cette technique a deux inconvénients : le premier est de ne pas pouvoir analyser les résultats obtenus faute ďavoir accěs au contexte de ľénonciation ; le second, encore plus essentiel, concerne íes caractéristiques du probléme étudié. Si ľon pose directement ä ľenfant une question, telle que « Qu'est-ce qui fait avancer le soleil ? », celui-ci répond « C'est le Bon Dieu » ou « C'est le vent », etc. On déclenche ainsi une fabulation mais, en outre, on suggěre ďemblée ľidée qu'une oeuvre extérieure conditionne les mou- vements du soíeil. « L'art.du.clinicien consiste, non á faire rěpondre,___ mais ä faire parier librement et á découvrir les tendances spontanées au lieu de les canaliser et de les endiguer. » (p. IX) C'est ľétude des questions spontanées des enfants qui révěle leur inté-rét pour différentes choses aux différents äges, et permet dedécouvrir 1. Piaget J., La Representation du monde chez ľenfant, 1926, rééd., Paris, PUF, 1976. Piaget emploielé termed« méTEoaě^lini^ě">"re^r^Tenaííťune technique utilisée en Psychopathologie qui consiste á diagnostiqüer ľéťat d'un patient á partir des différents signes révélés par son discours. 11 Introduction des representations inattendues. Loršqu'un enfant demande « Qui fait le soleil ? », il énonce une conception d'un soleil due ä une activité fabri-catrice. Ce renversement méthodologique du couple question-réponse est á la base de ľobservation clinique et fonde les principes du fonc-tionnement interlocutoire de ľentretien. Cest également á la participation du malade qu'en appelle Freud lorsqu'il refute la méthode cathartique1. Ľabandon de la méthode cathartique directive et inductrice, la mise en place d'une technique ou le patient dispose des moyens ďanalyse de sa propre parole constituent une revolution épistémologique qui a renouvelé d'une maniere radicale les dispositifs d'observation classiques de la "Psychopathologie. Énoncant la meme position fundamentale, Rogers (1945) soutient que toute thérapie est incompatible avec une quelconque autorite. Le point de vue non directif confere pour Rogers une haute valeur á ľindépen- -----dance psychologique de chaque individu et au maintien de son integrite psychique alors que le point de vue directif s'inscrit dans les valeurs du conformisme social et du droit du « plus capable » á dinger le « moins capable ». La profession de foi de la non-directivité est ainsi une Philosophie sociale et politique autant qu'une technique de thérapie et s'associe, comme telle, avec les themes de liberté et de democratic, et leurs illusions, utopies et réves de modifier les relations entre les hommes. Les grandes enquétes sociales : de ľinterrogatoire ä ľécoute des indigents Cest également dans ľenquéte sociale que s'élabore une nouvelle conception de ľinvestigation. Ä une époque oů Philanthropie et science sociale ne sont guěre encore différenciées, ľenquéte sociale est prati-quée par des médecins, des « ingénieurs sociaux », des fonctionnaires, des přetřes, tous situés á la charniěre entre les classes dominantes et 1- Méthodepsychothérapeutique oú le thérapeute cherche á obtenir la guérison du malade par la suggestion. Cf. Freud S., Etudes sur {'hystérie, 1885, trad. Paris, 12 dominées. Ľenquéte a pour sujet exclusif la condition morale et materielle des pauvres, et pour arriěre-plan une hierarchie des savoirs soli-dement établie. Le dispositif est celui de ľinterrogatoire, et le proto-cole celui de la « visitě »(Leclerc, 1979). Ľobservateur social, qui peut le cas échéant, se faire accompagner du commissaire de police, soumet alors les families visitées ä une série de questions sur les themes qui préoc-cupent les autorités dont il est en quelque sorte le representant, sinon en realite, en tout cas dans ľesprit des enquétes. H jouit d'une position ďautorité, détient seul la liste des questions et n'attend de son « terrain » que des réponses. Toutefois, dans la pratique, certains d'entre eux soulignent ľintéret qu'il peut y avoir non seulement á enregistrer scrupuleusement les faits, mais ä gagner la confiance de la famille, et ainsi ä accéder ä des renseignements que ľenquéteur trop « méthodi-que » et trop attache á son questionnaire risquerait de laisser échap-per. Ľintéret qu'il y a, en somme, á laisser parier, et ä écóutér son inter-locuteur. Tout en recommandant á ľenquéteur de suivre ľordre des questions telies qu'elles sont consignees dans le questionnaire, Le Play present ainsi une certaine souplesse : ne pas interrompre ľouvrier méme s'il paraít s'éloigner du sujet (ses dires peuvent renfermer des renseignements intéressants) ; ne pas le lasser par une surcharge de questions et lui rappeler ainsi ce qu'il est en train de subir. Pour le bon déroule-ment de ľenquéte sur les « ouvriers européens », il affirme déjá : « Mieux vaut écouter qu'interroger. » Nouš šomměs~én T862C~^ _~_ Sous-jacente á ľobservation de Le Play, la reticence des pauvres ä subir ľinterrogatoire et a Iivrer une information qui ne pouvait leur étre soustraite que parce qu'ils étaient précisément sans qualité, contribuera á faire évoluer ľenquéte sociale vers une forme moins_autoritaire de questionnement, qui integre désormais le consentement de ľenquéte et une participation plus active á la production des informations. II s'agit ďamener ľenquéte ä coopérer. 1. Le Play F. (1862), « Instruction sur la méthode d'observation dite des mono-graphies de famille », propre á ľouvrage intitule Les Ouvriers européens, Paris. 13 Introduction Des Indiens ä la ville : ľimportation des méthodes anthropologíques ä Chicago Tandis qu'en se dégageant progressivement de ľenquete sociale ľenquôte sociologique affine ses outils ďinvestigation, eile emprunte aussi ä ľ anthropologic son modele d'enquéte. Inspire par la célěbre enquéte de Charles Booth sur les pauvres de Londres1, Du Bois realise, en 1899, la premiére ětude systématique de communauté urbaine, intitulée The Philadelphia Negro1. Son but: donner une image aussi complete que possible de la vie des Noirs ä Philadelphie. Ses instruments: ľétude statistique et documentaire, ľenquete directe sur le terrain, ľobserva-tion participante (l'auteur habite en plein cceur du quartier noir). Du Bois note déjá, au passage, le caractere perturbateur des convictions personnelles de ľenquéteur, aussi cold-blooded 3 soit-il. Toutefois ľenquete de terrain sous cette forme mixte ne connaitra sa veritable consecration qu'une vingtaine d'années plus tard, á Chicago, sous la double impulsion de Park et de Thomas. Le terrain, pour ce qui deviendra ľÉcole de Chicago, a une triple fonction : il est ä la fois rite initiatique, exercice de déniaisement social et épreuve de res-sourcement périodique. Tandis que Park souligne Ie parallele entre jour-nalisme et sociologie, Thomas cherche á sortir le sociologue de son ___bureau.___ _ Děs 1916, Park note dans son article programmatique que « les mémes méthodes d'observation patiente que les anthropologues comme Boas et Lowie ont mises en oeuvre pour étudier la vie et la maniere d'etre des Indiens d'Amérique du Nord peuvent s'appliquer de facon encore 1. Booth C, Life and Labour of the People of London, 17 vol. Londres, Macmil-lan, 1902. Ľenquete est réalisée de 1889 ä 1891. 2. Du Bois, The Philadelphia Negro. A Social Study, réed. New York, Schoken Books, 1967. 3. Mot á mot: de sang-froid. R. Park, mettant á profit son experience de journa-listerinsistera sur ľattitude détachée nécessaire á la conduite de ľentretien. On verra toutefois au chapitre III que la caractérisation de ľattitude ne suffit pas ä définir le cadre interlocutoire de ľentretien. 14 Introduction \ plus fructueuse á ľétude des coutumes, des croyances, des pratiques i sociales et des conceptions générales de la vie qui rěgnent dans le quar-1 tier de Little Italy ou dans le bas quartier du North Side de Chicago, ou encore pour relater les moeurs plus sophistiquées des habitants de Greenwich Village ou du quartier de Washington Square » (Simon, 1991). De fait, la fameuse batterie méthodologique de la premiere generation de ľÉcole de Chicago combinera diverses techniques de collec-tes: le dépouillement de données statistiques, d'archives, de journaux et de documents locaux, et ľenquete directe sur le terrain avec observation participante, interviews et recueils d'histoires de vie, directement inspirée des méthodes d'approche des anthropologues. ĽÉcole de Chicago, dont les etudes principals portent sur les faits et gestes de la vie ordinaire, les maniěres d'etre et les modes de vie, prône ľobservation des phénoměnes sociaux dans leur cadre naturel. Les sujets des études qu'elle a inspirées sont, poür citer les plus célěbres : The Hobo, The Taxi-Dance Hall, The Gang, The Ghetto, The Gold Coast and the Slum1. Toutefois, dans cette perspective, ľentretien ne figure que comme technique associée á d'autres formes d'observation Vivantes et documentaires. Avec ľÉcole de Chicago, ľentretien devient done ľélément obliga- toire de l'approche ethnographique d'un terrain. II ne s'agit plus seule- ment de questionner autrement pour obtenir le consentement d'une population soumise au droit de savöir des äütörites2~mais d'appliquer . une technique concue en ethnographie pour approcher des individus"eři " contact entre eux et avec les autres, dans la diversité reelle de leurs liens effectifs, dans leur contexte social, et non pas comme individus isolés (ce qui est le cas lorsqu'ils sont approchés statistiquement, cf. Hannerz, J 1983). Les objets étudiés, qu'il s'agisse des enclaves ethniques, des ban- ! des de délinquants, des carriěres de deviants, ou de quartiers sociale- | ment heterogenes, sont définis comme des terrains, territoires ä la fois .........1. Les travaux de l'École de Chicago-restent profondémentliés-au réformismeet dependants de différentes agences locales pour la realisation des enquétes. 2. On en trouvera la bibliographic détaillée dans l'ouvrage de Hannerz, 15 * Introduction sociaux et spatiaux (Grafmeyer et Joseph, 1979). Tant au niveau global — la ville est percue comme le lieu de pratiques, de croyances, de moeurs spécifiques — qu'en ses quartiers — forraée d'enclaves et cons-tituée en mosaique, découpée en terrains singuliers —, la ville peut s'analyser comme un terrain ethnographique Iointain, au meme titre que les Indiens. Récit de vie et entretien retrospects : ľinterviewé appelé ä témoin Thomas, coauteur avec Znaniecki de la trěs célěbre enquěte surLe Pay-san polonais en Europe et en Ámérique (publiée en 1918-1920), prône lui aussi la sociologie proche, de ľintérieur du milieu étudié, et use de touš les moyens á sa disposition : contacts avec la communauté polonaise, connaissance de la langue, consultation d'archives, de documents administratifs et ď associations, documents personnels enfin : lettres échangées par les différents membres des families polonaises émigrées, puis autobiographic écrite de Wladeck, emigre polonais, dont il devien-dra en quelque sorte le porte-parole. Le récit de vie constitue pour Thomas le type parfait du matériau sociologique. Pour ce dernier, les representations subjectives de la situation deviennent un element ďétude aussi reel que les faits objectifs eux-mémes. Cette attention aux representations de ľindividu n'est pas sans rapport avec la position philosophique de Dilthey1 sur la connaissance du monde humain. Selon lui, ľaccessibilité au monde humain n'est possible que de ľintérieur, contrairement au monde naturel accessible de ľextérieur. Ainsi, pour Dilthey, l'objet des sciences humaines est ďappréhender la realite historique et sociale dans ce qu'elle a de singu-lier, par un processus interne, par ľexpérience et la comprehension. Dans cette perspective, c'est le social tout entier qui se trouve logé dans la biographie, celle-ci se confondant avec l'objet meme des sciences humaines. "lTDiltfiěyW.", Introduction á ľétude des sciences humaines : essai sur le fonde-ment qu'on pourrait donner á ľétude de la societě et de ľhistoire, 1886, trad, de l'allemand par L. Sauzin, Paris, PUF, 1942. 16 Introduction La méthode des récits de vie vient ainsi completer ľusage que fit de ľentretien ľÉcole de Chicago. Mais, tandis que celle-ci mobilisait ľentre-tien pour saisir ľindividu dans son environnemenť spatial et appréhen-der la mécanique de ľespace urbain, les récits de vie s'attachent ä saisir ľindividu dans son espace temporel, dans son histoire et dans sa tra-jectoire, pour atteindre ä travers lui la dynamique du changement social. Ľinterviewé est appelé comme témoin de ľhistoire, celle-ci ne se fai-sant ni ďen haut, ni en dehors de lui, mais par lui et avec sa contribution. Ce rappel historique indique en filigrane ce qui fonde ľentretien, ä savoir la production d'une parole sociale qui n'est pas simplement description et reproduction de ce qui est, mais communication sur le devoir-étre des choses et moyen ďéchanges entre individus (Raymond, 1984). II signále également la spécificité de ľentretien, ä savoir la production ďun discours in situ. C'est en cela qu'il est une situation sociale de rencontre et ďéchange et non pas un simple prélévement ďinfóŕmation. 1 LES CONDITIONS DE VALIDITĚ Quand on pose line question, on n'obtient qu'une réponse. La caractéristique principále de ľentretien est qu'il constitue un fait de parole. « Un entretien, d'apres Labov et Fanshel (1977), est un speech event (événement de parole) dans lequel une personne A extrait une information d'une personne B, information qui était contenue dans la biographie de B. » Le terme biographie souligne le caractěre vécu de l'information recueillie, par opposition ä une information recueillie en direct sur un événement, au moment méme de ľévénement, et qui serait restituée sans avoir été préalablement assimilée et subjectivée. Mais la J subjectivité de l'information produite par le biais de ľentretien, qui en constitue une propriété centrale, ne suffit encore pas á le différencier f -par exempíe du questionnaire d'enquéte, de ľinterrogatoire de police, | de la conversation ou de la cure psychanalytique qui, tous, font appel ä de l'information biographique. Ľentretien de recherche se définit done en second lieu par rapport ä ľactivité méme de la recherche, en ce sens qu'il est produit á ľinitia-tive de A (le chercheur) et au profit de sa commünäute, še distinguant en cela de ľentretien thérapeutique, de la confession ou de la plainte de police, tous faits de parole sollicités par B et ä son benefice. Son voisin le plus proche ä cet égard, est ľinterrogatoire de police, qui dif-fere seulement par le domaine ďactivité du bénéficiaire. ------Gongu pour-apporter^-une-information-biographique, á lademande de A et au benefice de la recherche (et de son representant B), ľentretien de recherche se caractérise enfin par opposition au questionnaire 19 Les conditions de validitě dans la mesure ou, visant la production d'un discours línéaire sur un thěme donné, il implique que ľon s'abstienne de poser des questions prérédigées. Ce en quoi il est exploration. 1. UNE DEMARCHE PARTICIPATIVE L'enquete par entretien est une technique qui s'impose lorsque ľon veut aborder certaines questions, et une demarche qui soumet le question-nement á la rencontre, au lieu de le fixer d'avance. De cette flexibilite de ľoutil vient que les auteurs qui y ont recours déclarent ne pas se con-former aux regies de ľart, tout au moins ä un ideal que Frémontier par exemple se félicite de ne pas atteindre : « J'ai essayé de poser le moins de questions possible. De laisser dériver Ientement le monologue vers --------lěsfantasmes, ou les souvenirs, ou la colěre... Mais, parce que je m'affo- lais parfois — non sans ignorance ou maladresse — craignant que la confession s'égarät si longtemps dans des histoires de chiens et de chats, ou qu'elle se butät dans le silence, je me raccrochais, dans des moments les plus angoissants, á ma sacro-sainte grille : le prototype de l'inter-view ideale que, grace au Ciel je ne réaliserai jamais » (Frémontier, 1980, p. 12). Un ideal que Boltanski considěre avec méfiance : « Ces entre- ______tiens..ont été menés selon des modalités et done une relation que la plu-— part des manuels de méthodologie auraient sans doute réprouvée, comparable tantôt á la relation que l'ethnologue un peu naif (j'avais tout á apprendre sur cet univers) entretient avec son informateur indigene ; tantôt á la relation du psychologue cognitif au sujet de ses expérien-ces ; sans méme parier des amities et des liens qui se nouent, inévitable-ment, dans ces entreprises de longue haleine. Instruit par la lecture de travaux, méthodologiquement impeccables et parfois terriblement vides, qui font ľordinaire des publications offícielles, je me méfiais par-dessus tout de ľinterview en bonne et due forme, accomplie sur le lieu detra-„_ " " váili~ävec"lä benediction de ľentrepríse et de ses dirigeants. II suffit, en effet, d'avoir un tant soit peu ľexpérience de ce genre de situations, 20 Les conditions de validitě I J. pour savoir qu'elles ne sont pas favorables á ľinstauration de relations j confiantes et fructueuses entre le sociologue et son informateur » (Boltanski, 1982, p. 8). ; Cette non-conformité á une hypothétique formule prototypique, la Uberte prise par rapport ä une forme standardisée de questionnement, confessée par les auteurs patentes, mais tue par les utilisateurs debutants, ne renvoie ni á une coquetterie d'auteur, ni á une stratégie de désamorcage des critiques, mais ä ('expression d'une contrainte : ä savoir la nécessité de prendre en compte la dimension á la fois sociale et interpersonelle de ľentretien. Le vide méthodologique auquel ľauteur fait allusion n'est autre que la non-opérativité ďun protocole mal défini socialement (inadéquation du lieu de travail comme cadre spatial d'un entretien sur la carriěre de cadre), qui échoue á établir un rapport inter- ; personnel de confiance, element moteur de ľ entretien_ et condition de sa productivité. Cela ne veut pas dire qu'aucune Campagne ďentretiens n'est comparable ä une autre mais que chacune est en effet singuliěre. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de regies, mais simplement que celles-ci doivent étre chaque fois adaptées, en fonction de ľobjectif qu'on s'est donné. En retour, le fait de chercher, comme dans les deux exemples cités, á établir un autre type de contact et á sortir des canaux conventionnels : ___ d-information pour saisirla realite d!une situation.plusintime,-infÍue _ sur ľobjet de recherche. Cela conduira (toujours dans ces deux-exem----- ples) ä questionner les categories sociales, ouvriers ou cadres, depuis la sphere privée. Variable en tant que rapport social d'une Campagne ďentretiens ä ľautre, ľactivité d'enqudte est également variable d'uň entretien ä ľautre, en tant que rapport interpersonnel. Cest en effet ľinteraction interviewer/interviewé qui va decider du déroulement de ľentretien. C'est en ce sens que ľentretien est rencontre. S'entretenir avec quelqu'un est, davantage encore que questionner, une experience, un événement ■ — singulier, que ľon peut- maitriseiy coder, standardiser,-professionnali-ser, gérer, refroidir ä souhait, mais qui comporte toujours un certain nombre d'inconnues (et done de risques) inhärentes au fait qu'il s'agit 21 I Les conditions de validitě d'un processus interlocutoire, et hon pas simplement ďun prélěvement d'information. L'entretien, comme Vhabitus1, est en quelque sorte une « improvisation réglée »(Bourdieu, 1980). Une improvisation, parce que chaque entretien est une situation singuliěre susceptible de produire des effets de connaissance particuliers; réglée car, pour produire ces effets de con-naissance, l'entretien demande un certain nombre d'ajustements qui constituent á proprement parier la technique de l'entretien. L'entretien est un parcours. Alors que le questionneur avance sur un terrain entierement balisé, ľinterviewer dresse la carte au fur et á mesure de ses déplacements. L'entretien ne pouvant done se réduire ni á une pure manipulation technique, ni á une rencontre comme une autre, faire des entretiens comme on ferait un questionnaire, sans integrer la Situation d'interaction, conduirait le chercheur á manquer son but. Symétriquement, faire des entretiens de maniere spontanée en mécon-naissant ses regies de fonetionnement ľexposerait á un risque tout aussi reel bien que moins visible : á savoir manquer de but. La presence de cette interaction et sa portée hěuristíque, ou productive, est ce qui constitue í'originalité méme de l'entretien dans les sciences sociales. De ce point de vue, l'entretien s'est toujours défíni par opposition au questionnaire. Děs ľorigine, c'est-á-dire dans les premieres enquétes sociales, ľécoute de ľautre est venue s'ajouter á ľinterroga-tion pure. Puis, au fur et á mesure de revolution de ľenquôté sociale-vers ľenquéte sociologique, ľécoute ďattitude sociale est devenue technique sociologique : il s'est agi, alors, non seulement ďécouter les enquétes sur les sujets qui leur étaient proposes, mais de les faire parier libre-ment sur Ie thěme donne. En meme temps que s'amorcait un rappro-__ chemént social avec les enquéfés, še créait une distance sociologique Iiée á la transformation du statut de ľenquéteur, devenu professionnel et indépendant. Cette distance n'a toutefois été véritablement posée et explicitée que plus tard, par Rogers, qui transposa l'entretien non directif 1. Uhabitus caractérise ľensemble des usages et des fa?ons de faire d'un groupe social donné. 22 Les conditions de validitě du domaine thérapeutique á celui de la recherche, et donna á cette curieuse posture de ľenqugteur, á la fois proche et distant, le nom de neutralitebienveillante. Cest aujourd'huiľétudedesinteractions verbales qui a pris le relais, et e'est á partir de ses développements actuels que la technique de ľeníretien a progressé. L'entretien y apparait comme un dispositif technique visant á produire un discours traduisant un certain nombre de faits psychologiques et sociaux. 2. La production de discours Plus encore que le questionnaire direct, qui part de questions formu-lées par Ie chercheur, l'entretien, qui va á la recherche des questions des acteurs eux-mgmes, fait appel au point de vue de ľacteur et donne ä son experience vécue, á sa logique, ä sa rationalité,..une place de premier plan. 2.1 Quelle tradition sociologique ? Cette conception va, á bien des égards, totalement ä ľencontre de la méthode sociologique telle que la concevait Durkheim qui, pour étu-dier le suicide par exemple.se fit une regie denefaire appel en aucune facon aux renseignements des suicidographes1. Ceux-ci, « aussi-dou-teux que faiblement instructifs », ne reflétaient que leurs propres opinions et les motifs des suicidants, et ne pouvaient par consequent attein-dre véritablement les causes du phénoměne. Ces motifs recueillis par les agents dě renseignements (revers de fortuně, chagrins dě famílie, amours contraries, souffrances physiques et mentales, etc.), ne sont, selon Durkheim, que les causes apparentes des phénoměnes, les repercussions individuelles d'un etat general qui « marquent les points 1. Terme par lequel Durkheim designe les auteurs étudiant le suicide. 23 ± I Les conditions de validitě Les conditions de validitě faibles ďun individu, ceux par oü le courant qui vient du dehors1 »incite ^ se détruire, s'insinue le plus facilement en lui » (Durkheim, 1897, p.147-148 de ľéd. 1990). Les raisons de ľacteur sont ainsi disqualifiées, sur le plan de la con-naissance, lorsqu'on se donne comme projet d'analyser la composition de ľ air du temps, et non ses qualités sensibles. Les manifestations pri-vées des faits sociaux ont quelque chose de social mais dependent alors, toujours selon Durkheim, « de la constitution organico-psychique de ľindividu, des circonstances particuliěres dans lesquelles il est place ». Elles ne sont done pas des phénoměnes proprement sociologiques. « Elles tiennent á la fois aux deux rěgnes; on pourrait les appeler socio-psychiques. »(Durkheim, 1901, p.10 de ľéd. 1990) Dans cette perspective, la quéte des repercussions individuelles des faits sociaux appar-tient au domaine de ce qui deviendra la psychosociologie, objet mixte, ä la fois psychologique et sociologique. L'enquete par entretien peut également s'inscrire dans une autre tradition sociologique, celie de la sociologie comprehensive de Weber dont ľobjet spécifique est ľactivité, défínie comme « un comportement comprehensible »(Weber, 1965, pp. 329-330) par le sens que lui attachent les acteurs, sens ä la fois subjectif et intersubjectif. Toutefois, en met-tant ľaccent sur la nécessité d'interroger le sens que donnent les indivi-dus et les groupes á leurs actions, Weber, contrairement á Durkheim, n'en appelle aucunement á ľinstance psychologique. « Expliquer une. activité de ce genre ne saurait jamais signifier qu'on la fait dériver de "conditions psychiques", mais qu'au contraire on la fait découler des expectations et exclusivement des expectations qu'on a nourries sub-jectivement á propos du comportement des objets (rationalité- subjective par finalité) et qu'on était en droit de nourrir sur la base d'expé-riences valables (rationalité objective de justesse) » (Weber, 1965, p. 334). La subjectivité dont parle Weber ne vise pas ľessence singu- 1. Courant du dehors, ou mode, qui regle, á ľinsu des acteurs les choix les plus "personnels et pourtant les plus socialises comme le choix des prénoms (de Singly, liére de ľindividu, mais ľacteur dans les contraintes de la situation et en interaction avec autmi. Ľexplication weberienne est done essentiel-íement la mise en evidence de la rationalité des coniportements et non leur tráme psychique. Ce que Durkheim, dans son schéma positiviste, appelle « repercussions individuelles »(et abandonne á la psychosociologie), ce que Weber designe par « activité » (et constitue en objet privilégié de la sociologie), sont autant de préfigurations de ce qu'aujourďhui on rassemble sous le terme de « vécu », et qui représente en effet un objet d'élection de ľenquéte par entretiens1. Ľexploration du vécu suppose le recueil de discours qui mettent en lumiěre les pensées des acteurs concernant leurs coniportements sociaux et leurs états mentaux. | 2.2 Les faits de parole En tant que processus interlocutoire, ľentretien est un instrument d'investigation spécifique, qui aide done á mettre en evidence des faits particuliers. L'enquete par entretien est ľinstrument privilégié de ľexploration des faits dont la parole est le vecteur principal. Ces faits concer-nent les systěmes de representations (pensées construites) et les pratiques sociales (faits experiences). Les pensées construites Ľun des objets sociologiques privilégiés de ľenquéte par entretien est ce que ľon peut rassembler sous le terme ďidéologies, aux sens que 1. Si Weber, déjä au debut du siěcle, stigmatise la chasse á ľexpérience vécue, objet á la mode dans la société bureaucratique, deplore son hypertrophic et s'interroge sur le sens de cette prise de conscience croissante du vécu (perte du sentiment de la distance et de la dignité, déctin de la capacité de se montrer ä la hauteur de sa täche quotidienne) (Weber, 1965, p. 445), il l'attribue á une amelioration croissante liéšliMTiBintés^'expTesšioň^í^ecommumčäfioň. Elle résultědě la rationalisation et de ľintellectualisation croissantes dans tous les domaines de la vie. Elle est done bien de son temps et de notre société. "24 25 I Les conditions de validitě luidonnent Adorno, ásavoir«uneorganisationďopinions, ďattitu-des et de valeurs, une facon ďenvisager l'homme et la société »(Adorno et ai, 1950, p. 2), ou Raymond, pour qui ľidéologie est« un ensemble organise de representations », « une certaine vision du monde », « un cadre de references » (Raymond et Haumont, 1966, p. 5). Augé, lui, dans une perspective plus anthropologique, préfěre utiliser les termes de « cosmologies » et de « mythologies » pour designer des representations de plus en plus individuelles (Augé, 1989, p. 182). Ľidéologie comme ensemble organise de representations peut en premier lieu s'inscrire dans une perspective anthropologique et designer cette activité sociale inhérente á la vie en socíété qui consiste á se fabri-quer une image, une representation de ce qu'elle est. Cest, ďaprěs Laplantine, la rencontre d'une experience individuelle et de moděles sociaux dans un mode d'apprehension particulier du reel : celui de ----- « ľimage-croyance ». Contrairement au concept et á la théorie qui en est la rationalisation seconde, cette image-croyance a toujours une tona-lité affective et une charge irrationnelle. C'est un savoir que les indivi-dus d'une société donnée ou d'un groupe social élaborent au sujet ďun segment de leur existence ou de toute leur existence. C'est une interpretation qui s'organise en relation étroite au social et qui devient, pour ceux qui y adherent, la réalité elle-meme. D'autre part, le propre d'une representation est de ne jamais se penser comme telle, et d'occulter les-_.__ - distörsions et les deformations qu'elle véhicule inéluctablement. De sorte que le savoir idéologique n'est pas seulement tenú pour vrai, mais est également censé dire le bon et le mauvais, le bien et le mal (Laplantine, 1989, p. 278). La representation peut ainsi étre considérée comme appar-tenant au reel, et non pas comme son reflet. Ľidéologie comme ensemble de valeurs peut également renvoyer á une definition plus politique selon laquelle ces representations orien-tent et dirigent ľactivité dans le sens du maintien de ľordre existant (Wirth, 1936). Mais, plutôt que ďenvisager ľactivité idéologique comme la production de groupes dominants en vue d'assurer le maintien de leur— position, et consommée telle que par les groupes dominés — auquel cas, Interrogation sur les idées des usagers ne saisit rien d'autre que le reflet 26 Les conditions de validitě páli, affadi, denature, d'une ideologie accessible dans de meilleures conditions á travers les divers textes et declarations de la classe gouvernante — on peut la considérer comme une production de l'ensemble des groupes sociaux qui permet á chacun de rétablir la coherence de son espace de vie. La propension idéologique est en effet, selon ľexpression de Veyne, un « hommage que les intéréts les plus différents rendent á ľldée du Bien » (Veyne, 1976, p. 671). Ľactivité idéologique, qui sert toujours á justifier ce qui est, et converts ce qui est en devoir-ětre, consiste ainsi non seulement ä ordonner le monde et á conforter sa structure, mais ä le rendre propre á vivre. Elle n'est pas uniquement déguisement des rapports de domination mais construction d'une raison. Elle aide á vivre. Děs lors que ľidéologie n'est pas seulement un habillage impose de ľextérieur, mais une construction d'idées appropríées faisant systéme, Ie.recours á-ľentretien prend tout son sens, dans la mesure ou il aurait permis, pour reprendre ľexemple de la Róme antique étudiée par Veyne, de rendre compte d'une chose comme ľamour du peuple pour son souverain, sans pour autant le confondre avec le ceremonial monarchique visant á magnifier la bonté du roi. L'enquete par entretien est ainsi particuliěrement pertinente lorsque ľon veut analyser le sens que les acteurs donnent ä leurs pratiques, aux événements dont ils ont pu étre les témoins actifs;-lorsque l'on veut mettre en evidence les systěmes de valeurs et les repěres normatifs á partir desquels ils s'orientent et se déterminent. Elle aura pour spécificité de rapporter les idées ä ľexpérience du sujet. Elle donne accěs á des idées incarnées, et non pas préfabriquées, á ce qui constitue les idées en croyance et qui, pour cette raison, sera doté d'une certaine stabilite. Les faits experiences La valeur heuristique de ľentretien tient done á ce qu'il saisit la representation articulée á son contexte expérienciel et ľinserit dans un réseau UeTignificätioň" It n laquelle iljoue^Ľenquété, qui accepte apparemment sans raison, ni question, ni espoir de remuneration, íe principe de ľinterview, se plie au minimum á un impératif psychologique, social, scienti-fique ou politique. Si, en revanche, il accepte pour le plaisir ďimposer son propre cadre, ľentretien sera le lieu d'une négociation du contrat de communication qui le rendra difficile á manier, voire ingouverna-ble, par ľinterviewer. Děs les premiers échanges, on observe combien le jeu de ľentretien repose principalement sur cette présence/absence du guidage thématique de ľinterviewer selon les types d'intervention utilises. 77 La realisation des entretiens 1.3 Les modes ďintervention L'interviewer poursuit son objectif qui est de favoriser la production d'un discours sur un theme donne au moyen de strategies d'écoute et ďintervention. Les strategies d'écoute L'interviewer traite en temps réel ľinformation communiquée par ľinter-viewé. Ce traitement peut concerner trois types de questions : — Qu'est-ce qu'il me dit des choses dont il parle (dimension referentielle) ? — Qu'est-ce qu'il me dit de ce qu'il en pense (dimension modale) ? — Qu'est-ce qu'il me dit de ce qu'il cherche á accomplir comme acte á mon égard (dimension illocutoire) ? Ľactivité d'écoute de l'interviewer n'est pas assimilable ä un acte d'enregistrement de données, eile est productrice de significations : eile met en ceuvre des operations de selection, d'inférence, de comparaison par rapport aux objectifs de ľentretien. Elle est done une activité de diagnostic. Cest eile qui remet en jeu tout le processus d'objectivation et de construction de ľobjet amorcé pendant la preparation de ľenquete et qui se poursuit, ici, dans la phase de realisation. — Ľécoute, ainsi dirigée vers des objectifs, se trouve guidée par les hypotheses préalables de l'interviewer, qu'elles soient explicites ou implicit tes. Cest une activité cognitive qui consiste ä acquérir des indices, ä produire des hypotheses, á interpreter ces indices, á tester les hypotheses par l'acquisition de nouveaux indices. ~Dänš ľentretien, l'interviewer construit ainsi une structure sighifi" cative á partir de laquelle il imagine ses prochaines interventions. Celles-ci traduisent de maniere approximative á ľinterviewé ľopération d'écoute effectuée par l'interviewer. Cest ce processus d'interaction et d'influence qui est au cceur de la -pFoblématique des effets de biais dans ľentretien. En effet, si ľécoute-de l'interviewer, traduite par ses interventions, constitue la elé du sens de la réponse discursive de ľinterviewé, on peut penser que ľexplicita- 78 La realisation des entretiens I tion des processus á ľceuvre dans cette activité d'écoute permettra d'interpréter correctement le discours de ľinterviewé. Supposons par exemple qu'un interviewer effectue toutes ses interventions au liasard, sans avoir fait auparavant le moindre diagnostic sur le discours de ľinterviewé. Le discours de ľinterviewé sera alors guide par une structure significative construite par lui-méme, mais ignorée par l'interviewer. Un discours dont on ignore le contexte dans Iequel il s'inscrit est ininterprétable. Imaginons, au contraire, qu'un interviewer effectue toutes ses interventions selon une stratégie conforme á son activité de diagnostic (acquisition d'informations, production d'hypotheses sur la base d'un cadre de reference explicite, tests d'hypotheses, etc.). Le discours de ľinterviewé sera děs lors guide par la structure significative élaborée par l'interviewer ; ce discours, oriente pour répondre á des hypotheses construites en relation á un systéme coherent d'interrogations, sera interprétable dans ce contexte. La cíé de la méthodologie de ľentretien repose ainsi sur la technique d'écoute, sa preparation et son explicitation aprěs coup. Mais cette écoute est d'autant plus performante qu'elle est instruite par des objectifs precis et un cadre de reference théorique explicite. Par exemple, on peut concevoir de multiples facons de conduire un entretien sur le theme des měres porteuses etdes representations q^ue^lu^a^sqdejin groupe social donné ; tout depend de cequ'on cherche, des raisons pourles-quelles on realise une telle Campagne d'enquétes, des hypotheses préalables que ľon a sur les repercussions de telies pratiques dans le systéme des representations des gens. Si l'on suppose que cette pratique suscite des representations désor-ganisant un systéme coherent de representations de la famílie, de la sexualite, etc., il est alors nécessaire de chercher les informations perti-nentes par rapport á cette hypothdse : histoire, position, conception et roman familiaux ; puis, au détour du discours, de pointer les elements ^uLconfirmenLou. infi!mmU!hypjo.tiiěse,_ďen apprécier,.par des apports d'informations complementaires, la solidite, et de construire ainsi une structure de signification soumise aux objectifs de la recherche. D'autres 79 La realisation des entretiens hypotheses peuvent étre testées,:chacune doit étre pensée et explicitée pour ľinterviewer avant qu'il ne decide ďintervenir sous la forme appro-priée á son objectif. La decision ďintervenir ne peut cependant étre prise qu'en fonction— d'une connaissance préalabíe des différents types d'interventions et de leurs effets respectifs sur le discours de ľinterviewé. Les strategies d'intervention Pour favoriser la production ďun discours linéaire et structure, ľinterviewer dispose de trois techniques: — la contradiction, qui est une intervention s'opposant au point de vue développé précédemment par ľinterviewé ; — la consigne ou question externe, qui est une intervention directrice introduisant un theme nouveau ; — la relänce, Sorte de paraphrase plus ou moins deductive et plus ou " moins fidele, qui est une intervention subordonnée, s'inscrivant dans la thématique développée par ľinterviewé. • La contradiction La contradiction apportée par ľinterviewer est un mode d'intervention qui contraint ľinterviewé á soutenir ľ argumentation de son discours. Mais ce type d'intervention implique une modification du cadre de -ľenquéte dans la mesure oú ľenquéteur donne des informations__á__ ľenquété sur ses opinions et positions. Ce type d'intervention induit— une tendance de ľinterviewé á extrémiser ses opinions. D'autre part, en apportant la contradiction, ľinterviewer quitte son statut de neutralite, á moins qu'il ne prenne un role explicite de porte-parole du parti oppose. L'usage de la contre-argumentation mis á la mode récemment dans l'entretien journalistique, en particulier avec des hommes politiques, s'ajuste assez bien aux situations dans lesquelles ľinterviewé produit un plaidoyer public argumente. Mais cette intervention n'est compa- tible qu'avec un_cadre de communication dans lequel l'intervie_wer est__ suppose relayer la parole du public ou d'un acteur, et non pas énoncer ses propres conceptions. En effet, dans le cadre d'un entretien de 80 La realisation des entretiens I recherche, la contre-argumentation directe de ľinterviewer serait inter-prétée comme ľexpression de sa propre opinion et condüirait á une transgression du cadre propre au genre, qui veut que la seule information extraite soit celie de ľinterviewé. La question externe, quant ä eile, respecte ce cadre contractus, mais s'accorde mal avec ľobjectif discursif de l'entretien. Cest un mode direct d'intervention qui définit un champ thématique nouveau. Dans l'entretien de recherche, les consignes sont pratiquement les seules questions externes utilisées. • Les consignes Une consigne est une intervention visant ä définir le theme du discours de ľinterviewé. Tout entretien de recherche debute par une consigne inaugurale ; celle-ci doit étre claire, non contradictoire avec le contrat initial et plus precise que ce dernier quant á ľobjet de-la demande. La consigne donne á ľinterviewé le contexte thématique et Iogique de l'entretien. Le champ des réponses attendues doit étre suffisament large pour que tous les interviewés d'un méme échantiUon puissent y inscrire leur-propre discours. Les consignes sont formulées comme des demandes de réponse discursive concernant soit les representations de ľinterviewé, soit ses experiences. Dans le premier cas la consigne induit un discours d'opinion : « J'aimerais que vousme parliez de ...., ce queca représente pour vous. » - ...... Dans le second cas, la consigne induit un discours de narration : « J'aimerais que vous me parliez de ...., comment ca se passe. » Le role des consignes est essentiel dans l'entretien. Ces instructions ajoutent des elements d'information au cadre coňtřačtuel dont le respect est un enjeu pour que soit assurée la pertinence du discours. Chaque consigne introduit une sequence thématique nouvelle. La multiplication des consignes traduit ä ľinterviewé la part de structuration que ľinterviewer entend donner au discours produit. Rappelons que plus .le.discours esLstnicturé-par-ľinterviewerrmoins le-discours de ľinterviewé est prolixe, associatif et articulé selon une coherence interne. Par contre, la relance constitue ľintervention type de l'entretien de SI J I La realisation des entretiens recherche parce qu'elle tend á favoriser une retroaction de ľinterviewé sur son propre discours, qui ľamene á expliciter davantage sa pensée et á développer le fragment de discours mis en question (contesté) indi-rectement par ľ intervention. — • Les relances Les relances prennent pour objet le dire antérieur de ľinterviewé. Eiles ne commandent pas le discours de ľinterviewé comme les questions directes (qui sont des actes initiaíifs), elles ne s'opposent pas aux arguments énoncés, mais elles se coulent dans ce discours qui prend une function ďacte directeur dans le dialogue. Les relances ne définissent pas les thěmes ä évoquer, elles s'inscrivent dans le déroulement des énoncés de ľinterviewé comme des fragments de contenus subordonnés á ce dernier. Ce sont des actes réactifs. __ On peut distinguer théoriquement six types de relances, chacune ayant _ des effets spécifiques sur les discours produits. On peut les regrouper selon deux critěres : ľacte de langage accompli par ľinterviewer et ľins-tance discursive visée. Ľacte de langage accompli par ľinterviewer peut étre : — une reiteration : le locuteur reprend, en le répétant, un point de vue énoncé par ľ inter locuteur ; — une declaration : le locuteur fait connaitre á ľinterlocuteur son point ____de vue. Dans ľentretien, il s'agit bien súr d'un point de vue portant sur !e discours de ľinterviewé. (En effet, ľénoncé du point de vue de— ľinterviewer sur le thěme merne de sa recherche serait contradictoire au contrat initial.) — une interrogation : ľinterviewer pose une question á ľinterviewé. --------- Ľinstance discursive visée peut étre : ■;.-'- — le registre référentiel, défini comme celui de ľ identification et la definition de ľobjet dont on parle ; — le registre modal, défini comme celui de la croyance ou du désir de ľinterviewé á ľégard de la reference. _______Ainsi dans la phrase : « Je pense que les měres porteuses sont inconscientes », « je pense » est le modal, alors que « les měres porteuses sont inconscientes » est le référentiel. 82 La realisation des entretiens 1 Ces six types de relance par ľinterviewer peuvent ětre représentés selon le schéma suivant: Les types de relance de ľinterviewer Registre Type d'acte Reiteration Declaration Interrogation Référentiel Echo Complementation Interro. Refer. Modal Reflet Interpretation Interro. mod. Soit, pour illustrer ces interventions, un exemple extrait. d'un entretien : Des étudiantes ont été interviewees sur la pratique des měres porteuses et les representations qu'elles en avaient. Lune d'elle énonce les propositions suivantes : « Les měres porteuses sont courageuses...mais je pense qu'elles sont inconscientes. » Le discours est composite ; il énonce littéraiement deux propositions „quis'inscriventjla premiere dans le registre référentiel, la seconde dans le registre modal. - - - Voici, á titre illustratif, six propositions d'interventions : — Echo : ľintervention répěte ou reformule un ou plusieurs énoncés référentiels du discours de ľinterviewé : « elles sont courageuses » ou « elles sont inconscientes », ou « elles sönt courageuses et inconscientes ». — Refíet : ľintervention répěte ou reformule avec un prefixe modal un ou plusieurs énoncés du discours de ľinterviewé : « vous pensez qu'elles sont courageuses » ou « vous pensez qu'elles sont inconscien- -tes-Äy-ou-Ä-vous-pensez-qu^elles-sont courageuses-et inconscientes ». — Complementation : ľintervention vient ajouter un element d'iden-tification de la reference ä ľénoncé precedent de ľinterviewé. Ce sont 83 í I La realisation des entretiens soit des deductions partielles : « ellés (les měres porteuses) se créent des problěmes » ; soit des anticipations incertaines (complementations inclu-ses) : « et aussi dévouées » ; soit des inferences logiques ou pragmati-ques: « elles ne sont pas conscientes ». — Interpretation : eile vise ä suggérer une attitude non explicitée par ľinterviewé : « vous craignez des consequences néfastes ». — Interrogation referentielle : c'est une demande ď identification sup-plémentaire de la reference : « dans quel cas ? ». — Interrogation modale : c'est une demande d'identification de l'atti-tude propositionnelle de ľinterviewé : «qu'est-ce que vous en pensez ? ». Les relances de l'interviewer ont cette particularité d'etre des com-mentaires : elles prennent comme support le discours de ľinterviewé. __Par ses relances, l'interviewer paraít ne rien dire qui n'ait été déjá dit :. _ il souligne, synthétise, reformule, demande une precision, et semble lais-ser á ľinterviewé la part essentielle de la construction discursive. Pourtant chaque relance est différente et, ä chacun de ses tours de parole, l'interviewer dispose ďun éventail assez large de choix pármi phisieurs solutions possibles. De ce fait, il est difficile de soutenir qu'une relance n'aurait qu'un simple role de ponctuation ou de confirmation, qu'elle serait en quelque sorte « non directive ». Chaque type de relance ----aequiert en effet pour ľinterviewé une valeur informative á Iaquelle son-^ discours répondra nécessairement. Les relances guident le discours,"" l'influencent dans son contenu et sont également susceptibles d'entrai-ner des modifications de l'opinion des interviewés dans certaines con- ___ditions expérimentales (Blanchet, Bromberg et Urdapilleta, 1991). 2, L'INTERACTION DES DISCOURS ET DES INTERVENTIONS Le discours énoncé par ľinterviewé est construit en interaction permanente avec l'interviewer qui en sollicite la production linéaire ä ľaide de ses relances. 84 La realisation des entretiens I Chaque interviewer a une tendance personnelle, liée notamment á sa formation, á utiliser plutôt un type d'intervention qu'un autre, et ceci souvent á son insu. Mais chaque type d'intervention est également sollicité par certains modes discursifs qui en retour sont catalyses par l'interaction. Toutefois, dans ce domaine comme dans tout autre domaine interactif, les exceptions sont souvent la regle, et les tendances que l'on peut observer n'ont qu'une valeur indicative. C'est cet entre-lacs des interventions et du discours que nous décrivons ci-aprěs- 2.1 Les types de discours Les discours produits par entretien sont essentiellement composes ďénoncés assertifs, c'est-á-dire dont le but vise á faire connaítre á ľaudi-teur un état de chose ou une conception tenue pour etre yraje._ Pármi ces« assertifs », on peut distinguer trois categories ďénoncés: — les narratifs, dont le but est de rendre compte d'événements passes ; — les informatifs, dont le but est de faire part d'une croyance ou d'un désir (une opinion, une suggestion, etc.) ; — les. argumentatifs, dont le but est d'organiser le discours dans une logique donnée. Chacune de ces categories discursives est repérable sémantiquement etjjrammaticalementpar_des;marqu^e^urslangagier_l-(P-ar_exemple-:-temps .verbal passe pour les narratifs, modalisateurs verbaux ellipses ou non pour les informatifs, joneteurs interphrastiques de causalité, consécu-tivité, conditionnalíté pour les argumentatifs). Ces modes de discours sont, en premier lieu, sous la dépendance du thěme de ľenquéte et du type de relation que ľinterviewé entretient avec ce thěme (ce que l'on a précédemment défini comme extensionnalité et familiarité du thěme). Si l'on distingue, par exemple, les themes con-crets (extensionnels) et les themes abstraits (non extensionnels), il appa-rait que le discours sur un thěme concret (« la voiture ») sera plus aisé-SnentjMrr^_ ßi ľ Lnlejryiewé_e„n^a_une,-expérierice-directe (thěme fami-lier) et que le discours sur un thěme abštrait (« la liberté ») sera d'emblée informatif et ceci d'autant plus que ľinterviewé aura préalablement 85 J I La realisation des entreíiens réfléchi au sujet (theme familier).-Mais il est plus frequent que le discours associe des énoncés appartenant á ces différentes categories. D'autre part, les types ďintervention définis précédemment agissent différemment sur ces types de discours. 2.2 Les effets des relances sur les types de discours On constate ainsi que les interventions réitératives, declaratives et interrogatives de ľinterviewer s'adaptent mieux á certains types de discours, en méme temps qu'elles tendent ä les constituer. Par exemple, les complementations stimulent un discours narratif, alors que les reiterations s'inscrivent plus aisément dans un discours informatif ou discours d'opi-nion ; íes interrogations étant susceptibles de provoquer ou de soutenir ponctuellement l'un ou l'autre des modes discursifs. L'effet offensif des reiterations Ces interventions, qui consistent ä répéter un contenu déjä exprimé par ľinterviewé, manifestent á la fois une confirmation ďécoute et une demande d'explicitation. L'intervention relance vigoureusement le discours informatif (discours d'opinion) alors que, s'appliquant ä une narration ou á une description (récit ď experience), eile peut constituer une ponctuation superflue, parfois měme « tombant ä plat ». _ • Reiteration echo (« elles sont courageuses ») Répéter á quelqu'un quelque chose qu'il vient ďénoncer manifeste á cet interlocuteur qu'on a bien entendu et compris, mais également que, k son.insu, on opere une selection dans l'ensemble de son discours, dont_ on souligne ainsi ['importance en soi ou pour soi. Ľécho est une technique reparable, et son usage systématique agace ľ interlocuteur ou, s'il y consent, soumet son discours á ľemprise de ľinterviewer. Contraire-ment aux apparences, cette intervention est offensive vis-á-vis de ľinterviewé, dont eile emprunte et retourne á souhait les énoncés. Son usage Ubušíf "dans ľentretien conduit á une interlocution profondément äŕtP" ficielle, comparée aux coutumes langagiěres les plus répandues dans M La realisation des entretiens notre société (á cet égard, la complementation semble « plus naturelle »). Son effet est insistant et problématisant, alors que la complementation a un effet plutôt banalisant. Ľécho provoque des resistances ou des soumissions : — on résiste á la captation par ľautre d'éléments de son propre discours. Celui-ci constitue un tout et représente ľunité d'une personne, sa complétude ; — on cede á ľautre une certaine responsabilité de son acte d'énoncia-tion, lorsque ľon suppose que cet autre détient ou peut faire advenir une part de vérité sur soi-meme. • Reiteration reflet (« Vous pensez qu'elles sont courageuses. ») Les reiterations modales ne mettent pas en cause la valeur de vérité en soi de la proposition réitérée, mais, insistant sur son origine énoncia-tive, relativisent íe contenu énoncé et substituent á la problématique de la véridiction celie de la sincérité du locuteur. Le reflet : « vous dites que... » de méme que « vous pensez que... » ou« vous avezI'impression que... » construisent des contextesiinguis-tiques qui soulignent une distance entre ce qui est dit et ce qui est pensé. « Est-ce vrai ? » ou « est-ce sincere ? » semble demander ľinterviewer. Dans ľentretien de recherche, ľusage systématique du reflet semble mettre en cause indirectement ľassurance de ľinterviewé dans la _croyance dans ce qu'iLénonce. Le refletentrame-alor-s-un-type de discours sur-modalisé ; i! tendr selon le rapport de competence que ľinterviewer et ľinterviewé entretiennent á ľégard du theme, ä faire produire un effet de nuance ou d'assurance : discours hesitant et incertain con-cernant ľobjet thématique explore de ľinterviewé novice, ou énoncia-tion assurée des convictions et des croyances de ľinterviewé expert. L'effet contrasts des declarations Les interventions en forme de declaration sont une tentative d'aider ľinterviewé á produire un discours plus complet et plus coherent. Les -eomplémentations-visent-ľexhaustiviteValors-que -les- interpretations s'appliquent á souligner ľexistence de chaínes causalés impliquant ľopi-nion ou les sentiments de ľinterviewé. 87 La realisation des entretiens • La complementation (« Les měres porteuses se créent des problě-mes. ») En faisant une complementation (synthěse partielle, anticipation incer-taine, inference sur le contenu), ľinterviewer ne donne pas son point de vue personnel (tout en le laissant supposer), n'opere aucune interpretation (tout en indiquant qu'il écoute ce qu'on lui dit). Pour ce faire, il opere, selon les cas, de trois maniěres : — il propose une sorte de reformulation conclusive et généralisante qui montre qu'il a compris et qui confirme parfaitement á ľinterviewé ľinté-r8t de ce qu'il dit; — ou bien il avance une deduction incertaine et native, — il fait« ľane pour avoir du son » — afin que ľinterviewé apporte un développement supplemental pour combler la lacune apparente (dans ľexpression et dans la comprehension), — ou bien encore il fait une inference logique ou pragmatique, qui" révěle une écoute sensible au raisonnement dans ľexposé des pensées et des f aits. • L'interpretation (« Vous craignez des consequences néfastes. ») Ľ interpretation est une intervention focalisée sur la cause du dire de ľinterviewé, c'est-á-dire sur son sens tel qu'il est constitué par ľinten-tion du sujet parlant. Une telle recherche ďintentionnalité est presque toujours percue par ľinterviewé comme une prise de pouvoir sur son^ discours ; en effet, tout locuteur se veut détenteur du sens de ce qu'il-dit et ne cede apparemment cette prerogative á ľinterlocuteur que dans des situations particuliěres (affiliation, transfert, soumission, etc.). Ľ interpretation dans l'entretien de recherche est plus proche d'une reformulation des sentiments de ľinterviewé (attitude comprehensive selon Porter, 1950) que d'une interpretation au sens« psychanalytique » du terme (Nathan, 1987). Mais, comme dans le cadre thérapeutique, Interpretation dans l'entretien de recherche entrame des effets de consentement ou de résis-tance, selon qu'elle est supposée révéler des intentions confirmatives ou infirmatives. Les interpretations confirmatives sont en general vali-dées par ľinterviewé ; elles tendent á orienter le discours vers le 88 La realisation des entretiens I registre modal et ľexpression de pensées intimes et privées1. Les interpretations infirmatives contraignent parfois ľinterviewé á rétablir une certaine coherence et orientent Ie discours vers la construction d'une version remaniée de la chaine des causes. Ce discours démonstratif s'accompagne souvent ďun processus de dégagement du sujet et de generalisation. II est frequent, par exemple, qu'á cette occasion ľinterviewé adopte un jargon de specialisté (psychologique, sociologique, etc.)2. L'effet perturbateur des interrogations Le role des questions, tel qu'il apparait dans l'entretien par questionnaire precis et standardise (superficialité et émiettage des réponses), est pratiquement totalement efface dans un contexte interlocutoire oü la mécanique discursive est dominante. Les questions, distribuées á doses « homéopathiques », ont pour fonction ďappeler directement un registre discursif donne á propos d'objets intégrés á la thématique traitée par ľinterviewé. Par contre, une dose massive ď interrogations perturbe le déroule-ment de l'entretien de recherche. Le cas se présente parfois lors d'entretiens effectués par des interviewers inexpérimentés. On constate alors qu'une proportion élevée d'inter-ventions interrogatives (traduisant un certain malaise de ľinterviewer) a pour fonction de rompre la linéarité du discours de ľinterviewé ; "ľinterviewé attend alors de ľinterviewer qVíl ľiňterŕoge"éf lüi délěgue de fait une part importante de la responsabilité de ľénonciation. II tend ä se maintenir dans une position passive. Un entretien fonde sur une conduite trop interrogative est assimilable ä un interrogator. Ce n'est ni un questionnaire, dans le sens oú aucune question préalablement pré-parée ne vient justifier et définir le contenu et la forme des interventions de ľinterviewer, ni un entretien de recherche, puisque le but atteint n'est pas conforme á ľobjectif visé en principe par ce dispositif : favo-riser la constitution d'un discours Iinéaire et structure. 1. W. Labov et D. Fanshel parlent de «family style ». 2. W. Labov et D. Fanshel (op. cit.) appellent ce type de discours « interview style ». 89 I La realisation des entretiens En résumé, pármi les trois types ď intervention dont ľinterviewer dispose (contradiction, consigne, relance), la premiere est en principe á écarter. L'usage de ía consigne en cours ďentretien entraine des ruptures de la linearitě des discours de ľinterviewé, une dépendance théma^— tique de ce discours aux sollicitations de ľinterviewer, et a pour consequence une baisse de la prolixité discursive de ľinterviewé. Les reían-ces, par contre, constituent les interventions les plus efficaces pour sou-tenir la production discursive de ľinterviewé ; toutefois ce ne sont pas des interventions neutřes, elles influencent Ie discours en traduisant une certaine intention de ľinterviewer. Ainsi, un programme ďenquéte coherent, élaboré ä partir ďobjec-tifs précis, se devrait de prévoir et définir le maximum de paramětres d'environnement, de contrat et ď intervention. Ľhypothese de la coherence suppose que plus les paramětres discur-sifs, contractueis et environnementaux de la situation sont cohérents, plus ľinterviewé peut inférer rapidement et clairement ľintention de~ ľinterviewer. Si tel est íe cas, ľinterviewer peut d'autant mieux guider indirectement le discours de ľinterviewé sur les points répondant au questionnement de sa recherche1. On peut en déduire certains princi-pes de planification. Ľinterviewer doit savoir que les interventions qui lui viennent ä ľesprit ne sont pas toutes bonnes á dire et qu'il doit sélectionner, parmi elles, les plus pertinentes par rapport au contrat; mais il doit savoir _ également qu'il peut modifier comme il le veut les paramětres du con- trat en adoptant une stratégie d'intervention particuliěre. —^ Le pilotage d'un entretien s'effectue done á la fois au coup par coup, car ľécoute est diagnostique et entraine un travail ď interpretation et.... de problématisation en temps reel, et par anticipation, car le fonction-nement interlocutoire de ľentretien s'effectue dans un systéme interior— cutoire á réponses différées. 1. L'existence de context« délivrant des signes contradictoires rend la situation ambi-guě et le plus souvent ľ interpretation des interventions de ľinterviewer indécida-ble. Cette indécidabilité entraine selon les cas deux effets principaux dans la réponse de ľinterviewé : la production d'un discours lui-m6me ambigu, forgé pour répon- . dre i plusieurs interpretations possibles de ľintervention (discours non informatrŕ)— ou la production ďun discours autoréférent qui ne s'inscrit plus dans la probléma-tique de recherche de ľinterviewer (discours non pertinent). I/ANALYSE DES DISCOURS L'entretien ne constitue pas une fin en soi. H faut, avant de parvenir aux résultats de la recherche, effectuer une operation essentielle, qui est ľanalyse des discours1. Elle consiste á sélectionner et extraire les données susceptibles de permettre la confrontation des hypotheses aux faits. Cette analyse s'effectue sur le corpus, c'est-á-dire I'ensemble des discours produits par les interviewers et les interviewés, retranscrits de maniere littérale2. Ľanalyse des discours concerne-done desTextes écrits et non pas les enregistrements eux-mémes. Non qu'il soit impossible de travailler sur simple enregistrement, ni inutile de s'y référer par-fois, mais ľanalyse k ľécoute ne permet pas ía communieabilité des procedures effectives de production des résultats. Ľobjectif de ľanalyse du contenu ainsi réalisée est en effet double : stabiliser le mode ďextraction du sens et produire des résultats répondant aux objeetifs de la recherche. ^P^ist^Š^ě" ľäňälý^e^ un sous-ensemble. Ľanalyse du discours concerne ľanalyse de tous les composants langagiers et recouvre essentiellement deux types ďappro-ches : ďune part les analyses linguistiques qui étudient et comparent les structures formelles du langage, comme celieš employees par Labov (1978); et ďautre part les analyses de contenu qui étudient et 1. On appelle discours la production d'un locuteur dans toute situation ďinterlo-jaition.___________________.---------------------------—.................:....-----.....-.....- 2. La retranseription littérale utilise les signes conventionnels de la ponctuation pour traduire la parole orale en texte écrit. 90 91 ^r I L'analyse des discours Ĺ'analyse des discours comparent les sens des discours pour mettre á jour les systěmes de repre-sentations véhiculés par ces discours. Les analyses de contenu sont pr& férentiellement utilisées en sociologie et en psychologie sociale. 1. LA PRODUCTION DU SENS Qu'est-ce que le sens d'un discours ? C'est une production et non pas une donnée. C'est une lecture orientée. Les entretiens livrent un mate-riau apparemment spontane — en fait, on ľa vu, largement préfabri-qué et coconstruit par l'interaction qui le traverse. Le traitement qui lui est applique ensuite (l'analyse) contribue á son tour ä sculpter le message et le sens qui va en étre dégagé. Apres avoir fait parier ľinterviewé, ľenquéteur fait parier le texte par l'analyse des discours. Pour illustrer ce point, on comparera les deux traitements que sont le résumé d'un texte et l'analyse de son contenu. Le résumé est neutře-;-il se veut une Photographie simplifíée du texte ; il se veut non sélectif et procdde par reduction du texte en ne conservant que les propositions principales ou causales; il procěde d'une lecture endogene avec pour principe une fidélité maximale aux énoncés; il épouse autant que faire se peut la logique du texte et sa coherence interne ; il sauvegarde la com-plexité des thěmes : il a une fonction de stockage. L'analyse de contenu implique des hypotheses; eile est hypersélec- _tive ; c'est une.lecture exogene informée par les objectifs de l'analyste^ eile ignore la coherence explicite du texte et procěde par décomposition-ďunités élémentaires reproductibles ; eile vise la simplification des con-tenus : elíe a pour fonction de produire un effet ďintelligibilité et con> porte une part d'interpretation. -----Soit le texte suivant1 : ■--- Interviewer : « Alors je sais que vous avez hérité derniěrement, pouvez-vous me dire comment ca s'est passé ? » Interviewe : « Ca s'est passé d'abord en deux temps, á savoir que mes parents possédaient un terrain et une maison. Alors done á la mort de í. II s'agit de la premiere sequence d'un entretien issu de 1'enquSte sur ľhéritage (Gotman, 1988). mon pere, ma mere a d'abord vendu le terrain, parce que ca ľintéres-sait pas de le garder. H fallait ľexploiter, il fallait payer les lots, tout ce qu'il comportait, tout ce qui était dessus, c'était ün terrain avec tous les branchements... Done eile a decide de le vendre. On l'a done mis en vente ä la mort de mon pere. On était deux, ca a pas posé de probléme majeur hein... Bon, aprěs ca, aprěs la vente du terrain, ma mere restait done dans sa maison, et puis il s'est avéré que lä aussi il aurait fallu des reparations, eile pouvait disons pas la... Ce qu'on lui a propose nous, c'est de la vendre ou de la louer et puis de racheter autre chose, de se remettre quelque part aprěs. £a j»a pas intéressée, done eile a vendu la maison... Aprěs... Done on a hérité á la fois d'un terrain et d'une maison á peu pres ä deux ans d'intervalle... Alors qu'est-ce que vous voudriez savoir... Autre chose ? » Le résumé Voici une proposition de résumé : Les parents possédaient un terrain et une maison. Aprěs la mort du pere, la měře decide de vendre Ie terrain équipé plutot que de le garder et de payer les charges. Ce qui ne pose pas de probléme majeur avec les deux enfants. Puis, la maison exigeant des reparations, eile decide de la vendre sans en racheter une autre, comme le lui ont propose ses -enfants. Ceux-ci héritent, ä deux ans d'intervalle, d-un-terrain et d'une "maison. L'analyse de contenu Si l'on applique á ce méme texte différentes analyses thématiques, on obtient différents résultats. On prendra pour exemple deux lectures thématiques contrastées. • Premiere lecture : l'analyse est orientée par une problématique con-cernant le mode de vie des veuves et le devenir du patrimoine aprěs le -décěs-du~pr.emier.-conjoinU-------------------------------........... — Au décěs de son mari, la veuve decide de vendre le terrain équipé, plutôt que de le garder et d'avoir á Ie gérer. 92 93 I Ľanalyse des discours — Devant le probléme des reparations exigées par la maison, eile pre. fěre vendre purement et simplement — plutôt que de racheter une autre maison — et devenir Iocataire. — Elle se liběre de son patrimoine au profit de ses enfants. Conclusion-hypothěse ? Le patrimoine serait une charge pour la veuve, • Deuxiěme lecture : ľanalyse est orientée par une problématique con-cernant les interactions familiales et ľhéritage comme analyseur des relations familiales. — Une fois le pere décédé, une série de decisions sont ä prendre con-cernant le terrain et la maison ; toutes deux seront prises par la mere. — La premiere (vente du terrain) est prise sans probléme majeur pour les deux enfants; la deuxiěme (vente de la maison sans rachat d'une autre maison) est prise sans tenir compte de ľavis des enfants. — La mere transmet le patrimoine aux enfants. Conclusion-hypothěse ? La mere, aprěs le décěs du marí, parait endos-ser 1'autorité ďun chef de famille. Chaque lecture, chaque analyse, extrait done du méme texte un sens different selon les hypotheses engagées. Le choix du type ď analyse de contenu, comme le choix du type de collecte, est subordonné aux objec-tifs de la recherche et ä sa formulation théorique. II s'ef fectue done dans la phase de preparation de ľenquéte, en liaison avec la formulation des hypotheses. Ľanalyse de contenu n'est pas neutře. En tant qu'opéra^-tion de production des résultats, eile représente ľultime étape de la cons=-truction de ľobjet. Les différentes analyses de contenu seront done envi-sagées sous ľangle de leurs presupposes théoriques et dans leur cadre ďutilisation spécifique. 2. DIFFÉRENTES ANALYSES DE CONTENU Selon le degré de formalísation, c'est-á-dire le principe de découpage retenu, on distingue plusieurs types ďanalyses de contenu. L'analyse Ia_p_l_us prpche du résumé présenté précédemment est ľanalyse entr-e=-tien par entretien. Ľunité de découpage est ici le fragment de discours portant une signification. II s'agit de rendre compte pour chaque entre- Ľanalyse des discours I tieň de la logique du monde référentiel décrit par rapport aux hypotheses. Le mode de découpage est variable ďun entretien á ľautre. Vient ensuite ľanalyse thématique, qui consiste á découper transver-salement tout le corpus. Ľunité de découpage est le theme qui représente un fragment de discours. Chaque theme est défini par une grille d'analyse élaborée empiriquement. Le mode de découpage est stable d'un entretien ä ľautre. On présentera ensuite deux types ďanalyses formalisées par des theories de la signification, et qui, pour cette raison, font davantage obstacle á la projection et á ľinduction non contrôlées de ľanalyste. Alors que les analyses par entretien et les analyses thématiques procědent au découpage des énoncés de facon endogdne, directement ä partir des hypotheses de ľétude, les analyses formalisées procědent au découpage á partir de regies définies par une théorie de la production_dusens et done reliée de facon indirecte aux hypotheses de ľétude. Ces techniques s'attaquent á la structure du texte. Elíes reconstruisent le sens ä partir de la logique structurelle du discours qui échappe pour partie au locuteur et á ľanalyste. Elles explorent le sens des phrases ä partir de la maniere dont celles-ci sont construites et permettent ainsi de trouver les points d'appui caches, et done plus fiables, pour établir le sens du texte. Ces unites seront soit des propositions soit des énoncés restreints, „unites plus petites et plus élémentaires que dans-les analyses par entretien et thématique. Parce qu'elles sont des procedures standardisées et systématiques, mais surtout parce qu'elles retardent la phase d'inter-prétation proprement dite, ces techniques renforcent le processus d'objectivation. De maniere generale, une analyse de contenu doit pouvoir rendre compte de la quasi-totalité du corpus (principe d'extension), etre fiddle (ce qui est verifiable par le multi-codage) et auto-suffisante (sans retour nécessaire au corpus). On exposera successivement ľanalyse par entretien, ľanalyse théma- ~tiquer!-Analyse-Propositionnelíe-du-Discours (APD) et l'Analyse des Relations par Opposition (ARO). Ces deux derniěres techniques d'analyse de contenu qui mobilisent, ľune, une théorie psychologique 94 95 Hh I L'analyse des discours de ľusage de la langue, l'autre, urre théorie sociologique structuraliste, ont été choisies parce qu'elles illustrent la dualite des approches socio-psychologiques, et explicitem avec netteté les presupposes implicites qui soutiennent fréquemment la lecture spontanée des textes. 2.1 L'analyse par entreüen L'analyse par entretien repose sur ľhypothese que chaque singularitě est porteuse du processus soit psychologique, soit sociologique que l'on veut analyser. L'analyse par entretien se justifie done lorsqu'on étudie des processus, des modes d'organisation individuels en tant qu'ils sont révélateurs : — d'une pathologie spécifique (étude de cas clinique); — d'un mode de realisation d'une täche professionnelle (ergonomie_ cognitive); — d'une théorie du mode de production de ľexistence (récit de vie). L'analyse par entretien permet de déceler le mode d'engendrement sin-gulier des processus, qu'il soit clinique, cognitif ou biographique. L'Enfant de ga (Donnet et Green, 1973). Les auteurs développent ce type d'analyse sur un seul entretien (monographic) effectué dans le cadre de la consultation psychanalytique d'un service de psychiatric Les^ "äuteüfs ôňt pratique sur le méme texte plusieurs types d'analyse don£ une analyse dite « au mot-ä-mot » dont on donnera ici un exemple. Au debut de l'entretien, le patient énonce ceci: « II y a eu un probléme familial, e'est que... je ne suis pas du měme __pěre,.euh... on était, eh ben, e'est, vous savez, c'est compliqué, voilá;-ma měře a couché avec son gendre et c'est moi l'enfant de ca. » Les auteurs analysent ainsi ce fragment de discours : « L'opposition du "il y a eu" et du "je ne suis" est bien significative ; le récit démarre á la troisiěme personne, pour mettre l'accent sur le carac-těre "objeetif" d'un probléme.; probléme d'abord familial, c'est-ärdire. qui s'est passé avant lui et en dehors de lui ; probléme done qui ne le concernait que secondairement; cela a été leur probléme et n'est devenu 96 L'analyse des discours le mien qu'ensuite. Mais ce récit achoppe et le "je" est ambigu : il signi-fie que "je" est "leur" probléme, mais ce "je" paraít bien vouloir, subjectivement, ětre ce probléme. » La grille de lecture des auteurs est psychanalytique ; eile est diffici-lement totalement explicitable ; mais la rigueur de ce type d'analyse repose sur la coherence de la these soutenue et sur les multiples versions possibles que donnent les auteurs de l'analyse de cet entretien. Lepatrimoine et sa lignée: transmissions et mobilite sociale sur cinq generations (Bertaux et Bertaux-Wiame, 1988). L'analyse par entretien se prete également aux h í sto i res de families recueillies dans une approche dynamique des phénoměnes de stratification et de mobilite sociale. Ľhypothese étant que, dans les sociétés de classes, par opposition aux sociétés de castes ou d'ordres, larepro-duction sociale n'a rien de mécanique. Dans ces sociétés, les parents ne transmettent que des elements (économiques, culturels, de localisation socio-spatiale, etc.) á partir desquels le status social des enfants se construit. La mise en evidence des processus internes de formation des trajectoires, telle qu'elle peut résulter des corpus d'histoires de families, se fait ainsi á partir du repérage d'un Operateur central. II s'agit de ľidentifícation des moments-elés et des situations de passage qui impliquent des mobilisations renforcées des acteurs (les tournants de ľhistoiresinguliěre, lesbifureations děla trajěcloiřě7ÍěVčTiangeměnts ďorientation). Ces moments-clés sont eux-mémes specifies á partir ďindicateurs conerets ; decisions et micro-décisions, acteurs impliqués directement dans la sequence biographique, interactions entre les dif-férents acteurs individuels et institutionnels, alternatiyes_éyp_quées, interpretation du champ des possibles, contextuation, etc. Ä partir de ces sequences elés, il s'agit de repérer les contextes qui ont pu contribuer á la prise de decision et au changement ďorientation. 2.2 L'analyse thématique Alors que le découpage de ľanalyse par entretien parcourt les themes de ľentretien pour en rebätir ľarchitecture singuliěre, ľanalyse théma- 97 L'analyse des discours tique défait en quelque sorte la singularita du discours et découpe trans-versalement ce qui, d'un entretien á ľautre, se réfěre au méme thěme. Elle ignore ainsi la coherence singuláre de l'entretien, et cherche une coherence thématique inter-entretiens. La manipulation thématique con-" siste ainsi á jeter ľensemble des elements signifiants dans une sorte de sac ä themes qui détruit définitivement ľarchitecture cognitive et affective des personnes singuliěres (Bardin, 1991, p. 93). L'analyse thématique est done cohérente avec la mise en ceuvre de moděles expücatifs de pratiques ou de representations, et non pas de Taction. Toutefois la difference avec ľanalyse par entretien peut n'étre qu'une difference de degré. Ä bien des égards, les« dimensions » utilisées dans ľanalyse par entretien peuvent étre considérées comme des themes, ľanalyse consistant ä passer en revue les « thěmes » abordés par cha-que sujet séparément pour en faire la synthěse. On parlera alors d'une— analyse thématique « verticale », par opposition ä ľanalyse thématique « horizontale » qui relěve les différentes formes sous lesquelíes le méme théme apparaít d'un sujet ä ľautre (Ghiglione et Matalon, 1978). Production des résultats Pour établir les thěmes et construire la grille d'analyse, il est nécessaire de procéder ä la lecture des entretiens, un á un. II s'agit bien ici d'une lecture, et non d'une analyse de contenu au sens oú on ľa défini ; ~cette~~ lecture a pout but la prise de connaissance du corpus. L'identification des thěmes et la construction de la grille d'analyse s'effectuent ä partir des hypotheses descriptives de la recherche, éven-tuellement reformulées aprěs lecture des entretiens. Elles procědent d'une.— iteration entre hypotheses et corpus. Toutefois, dans le cas de ľenquéte .r exploratoire, l'identification des thěmes se fait presque exclusivement... á partir de la lecture du corpus. Ľunité thématique n'est done pas définie a priori, comme ľunité linguistique. C'est un noyau de sens repérable en fonction de la problématique et des hypotheses de la recherche. Mais, une fois sélectionnés pour ľanalyse d'un corpus, les thěmes constituent le cadre stable de ľanalyse de touš les entretiens. 98 L'analyse des discours Comme le guide d'entretien, la grille d'analyse doit autant que possible étre hiérarchisée en thěmes principaux et thěmes secondares (specifications), de fagon á decomposer au maximum ľinformation, sépa-rer les elements factuels et les elements de signification, et ainsi mini-miser les interpretations non contrôlées. Mais, á la difference du guide d'entretien qui est un outil d'exploration (visant la production de don-nées), la grille d'analyse est un outil explicatif (visant la production de résultats). Elle n'en est done nullement le décalque, mais une version plus logifíée. Une fois les thěmes et items identifies, une fois la grille construite, il s'agit alors de découper les énoncés correspondants et les classer dans les rubriques ad hoc. Ces énoncés sont des unites de signification complexe et de longueur variable (membres de phrases, phrases, paragraphes...). Voici, á titre d'exemple, la grille d'analyse thématique utilisée pour le traitement du corpus de l'enquete sur ľhéritage. Elle comporte des rubriques thématiques (indiquées en « petites capitales »), avec leurs thěmes (en caractěres gras), et leurs specifications (entre crochets). Cette grille, destinée á servir de base á ľélaboration d'une typologie, est construite selon une logique á la fois verticale et horizontale, pour rendre compte á la fois de chaeun des cas, et aussi des dimensions transversales. -BENEFICES MATÉRIELS DESTRANSFERTS ET DEGRÉ DE CUMUL — Accumulation des ascendants : [Patrimoine des grands-parents, hérité et acquis; patrimoine des parents, hérité et acquis] — Corbeille de manage de la personne interviewee : [Biens des deux conjoints au moment du mariagel — Accumulation propre du menage : [Biens acquis par les conjoints depuis le mariage] — Transferts intergénérationnels et degré de cumul : [Biens hérités par les conjoints ; autres capitaux disponibles (culturels, scolaires, -sociaux^.-)~^-trajectoire-soeialé-du-ménage] - ■--- — Accumulation des enfants de la personne interviewee : [Scolarité et trajectoire sociale des enfantsj 99 I Ľanalyse des discours Capitalisation et partage des acquis familiaux — Sotidarités familiales et transferts patrimoniaux aux generations pré- cédentes ; — Solid ariles conjugates et alliance patrimonial : [Regime matrimo--nial du couple parental; mondes (milieux) des parents; leur degré d'alliance, solidarite conjugate] — Sotidarités intergénérationnelles et partages parenls-enfants : [Rapports parents/enfants au sein de la famille, mode de partage conjoint survivant/enfants au décěs du prémourantl — Sotidarités intragénérationnelles et partages entre co-héritiers: [Rapports entre frěres et sceurs et partage du patrimoine au sein de la fratrie] — Sotidarités conjugates et alliance patrimoniale du couple héritier : [Degré de conjugalisation de la reception du patrimoine au sein du couple de la personne interviewee] __ — Logiques familiales de transmission : [Logique lignée ; logique ménage ; égalité entre héritiers] — Logique ď appropriation du patrimoine hérité : [Vente, conservation, réinvestissement, retransmission ; significations] Succession et succession identitaire — Succéder aus parents : [Type ďhéritage (patrimonial, affectif, valeurs); signification] _- — Laisser quelque chose aux enfants : [Type ďhéritage (patrimonial^-affectif, valeurs) ; signification] — Valeur socio-psychologique du patrimoine : [Capital, souvenirs* autre] On peut aussi appliquer aux corpus discursifs une grille d'analyse fonctionnant sur le mode d'un questionnaire. Ä partir de la lecture des entretiens, on étabore une grille de themes dont on spéficie d'avance différentes modalités. Ainsi, dans le cadre d'une recherche sur la rela--tion-á.-1-argent, plusieurs themes sont isolés dont ľ« attitude, par, rap-port au découvert bancaire ». Ce thěme sera caractérisé selon les modalités suivantes : (1) rejet total, (2) rarement justifié, (3) utile quelque- 100 Uanalyse des discours I fois, (4) souvent pratique, (5) usage normal. Chaque entretien sera děs lors positionné (diagnostiqué) sur chaeun des themes en codant la moda-hté qui apparait pertinente. Ce type de codage fait une part relative-ment importante á ľ interpretation du codeur. Ce positionnement de chaeun des entretiens par rapport á une méme grille permet d'envisager des traitements statistiques descriptifs (pour-centage, voire recherche d'inter-corrélations par analyse factorielte). Mais dans tous ces cas, ces traitements exigent des corpus de plusieurs dizaines d'entretiens. Discussion des résultats Ľanalyse thématique peut donner Heu á plusieurs types de mise en ceuvre interpretative. On peut par exemple sélectionner les themes, repérer leur variation au sein du corpus et chercher les elements expliquant cette variation (les partages inégaux sont-ils, par exemple, lies á ľimportance de ľhéritage, á la mobilite intergénérationnelle, etc. ?) Ľanalyse thématique peut également donner lieu á ľélaboration de typologies, au méme litre d'ailleurs que ľanalyse par entretien, dans la mesure ou le type idéal, reconstruit et non reel, est issu d'une synthěse á la fois verticale et horizontale des themes ou dimensions. Le type résulte en effet de la mise en evidence d'un principe de coherence vertical (e'est un typede^raispnnem_ent)_mais non_p.as-singulier-(ce n'est pas Tun individu),. qui, de_ce fait, peut agréger des individus concrets. Le type regroupera un maximum de themes (dans le cas du corpus« heritage », le degré de cumul patrimonial, le mode de partage familial, la valeur identitaire du patrimoine) et les caš agrégés dans ce type présen-teront un maximum de specifications univoques relatives au patrimoine et ä sa transmission. Ľanalyse de contenu présentée dans les pages qui suivent ne pro-céde pas par découpage thématique, mais par un mode de découpage et de codage s'étayant sur la structure syntaxique et sémantique du discours. im L 'analyse des discours 2.3 L'analyse propositionnelle du discours (APD) Ä la difference de ľanalyse thématique, ľ APD repose sur un décou-_. page et un codage systématiques du discours. Elle défínit ľunité séman-tique ďanalyse et ne propose aucune categorisation a priori. Elle requiert un minimum ďinterprétation dans ľopérätion de codage. Rappelons briěvement les principes de ľ APD (Ghiglione et Blanchet, 1991) : — Tout texte est considéré comme constitué ďun ensemble de propositions, chacune d'entre elles representant ľunité sémantique ďanalyse. — Toute proposition realise sa fonction de sens en associant un argument et un prédicat. Soit les cinq propositions suivantes : 1. La mer est bleue. 2. Jean mange des spaghettis. 3. Jean mange des spaghettis á la cuisine. 4. Parce qu'il a faim. 5. II croit qu'il est vraiment en Italic La proposition 1 associe ľ argument« mer » au prédicat« est bleue ». Cette association revient á relier des termes entre eux au moyen ďun verbe, c'est-á-dire attribuer une propriété á un objet. Dans ľexempíe 2, la proposition pose une relation de factivité entre ľactant « Jean » _____et ľacté « Spaghetti ». Dans ľexempíe 3, la proposition établit en outre une relation avec un objet circonstant « la cuisine ». Dans ľexemple-4, la proposition se trouve reliée á la proposition precedente par un jonc-teur « parce que ». Dans ľexempíe 5, la proposition pose une relation de déclarativité (il croit que) et comporte un modalisateur (vraiment). Äinsi, un discours constitué une description du monde par ľenchaíne-ment des propositions qui relient les objets entre eux ou leur attribuent des propriétés. L'APD vise á décrire cette construction propositionnelle par deux procédés : —---------la-réduetion des propositions d'un texte á des unites plus abstraites— les modeles argumentatifs ; — la délinéarisation du texte, qui rend compte de la construction des 102 L 'analyse des discours objets du monde et de leurs propriétés, indépendamment de ľenchai-nement des propositions. En résumé, ľAPD postule, en accord avec les données actuelles de la sémantique et de la psychologie cognitive, que tout discours cons-truit un monde référentiel imposant une structure aux dif férents objets du monde, c'est-á-dire en reliant ces objets entre eux. L'APD vise á reconstituer ľimage de ce monde en privilégiant les relations que le discours établit entre les objets : — les objets sont représentés par des referents et les objets principaux du discours sont appelés referents noyaux ou RN ; — les relations sont representees par des verbes; les types de relations entre les objets sont définis par les classes predicatives (par exemple, verbes factifs, statifs ou déclaratifs: F, S ou D). Production des résultats1 La procedure ďanalyse consiste done successivement á : — découper le texte en propositions; — définir les referents noyaux (RN) de ce texte ; — écrire pour chaque proposition le modele argumentatif correspon-dant, soit éventuellement le type de joncteur, suivi du RN actant, ou X si ľactant de la proposition ne correspond pas á un RN reference, suivi du modalisateuréventuel, suivi-du type de-verbe (FyS-ou D), suivi "du RN acté, ou Y si ľacté de la proposition ne correspond pas á tin RN reference, et éventuellement suivi ďun circonstant ; — constituer un fichier de type « base de données »2, composée de sept colonnes définissant les champs suivants : numero de la proposition, joncteur, actant, modalisateur, prédicat, acté, circonstant ; 1. On trouvera une demonstration trěs complete de ľutilisation comparée des jnéthode ARO et APD sur un merne corpus dans Leger et Florand (1985). 2. Une base de données informatisée permet de stocker des données sous la forme de tableau á double entrée (lignes et colonnes) et d'effectuer automatiquement des operations sur ces données (tri á plat, tri croisé, comptage, etc.). 103 L'analyse des discours 2.3 L'analyse propositionnelle du discours (APD) Ä la difference de ľanalyse thématique, ľAPD repose sur un décou-^_ page et un codage systématiques du discours. Elle définit ľunité séman-tique ďanalyse et ne propose aucune categorisation a priori. Elle requiert un minimum ďinterprétation dans ľopérätion de codage. Rappelons briěvement les principes de ľAPD (Ghiglione et Blanchet, 1991): — Tout texte est considéré comme constitué d'un ensemble de propositions, chacune ďentre elles representant ľunité sémantique ďanalyse. — Toute proposition realise sa fonction de sens en associant un argument et un prédicat. Soit les cinq propositions suivantes : 1. La mer est bleue. 2. Jean mange des spaghettis. 3. Jean mange des spaghettis ä la cuisine. 4. Parce qu'il a faim. 5. II croit qu'il est vraiment en Italic La proposition 1 associe ľargument« mer » au prédicat« est bleue ». Cette association revient á relier des termes entre eux au moyen d'un verbe, c'est-á-dire attribuer une propriété á un objet. Dans ľexemple 2, la proposition pose une relation de factivité entre ľactaní « Jean » ____et ľacté « Spaghetti ». Dans ľexemple 3, la proposition établit en outre une relation avec un objet circonstant « la cuisine ». Dans ľexemple— 4, la proposition se trouve reliée á la proposition precedente par un jonc-teur « parce que ». Dans ľexemple 5, la proposition pose une relation de déclarativité (il croit que) et comporte un modalisateur (vraiment). ------Ainsi, un discours constitué une description du monde par ľenchaine-"" ment des propositions qui relient les objets entre eux ou leur attribuent des propriétés. ĽAPD vise ä décrire cette construction propositionnelle par deux procédés : ——-—ía-réduetion des propositions d'un texte ä des unites plus abstraitesr— les moděles argumentatifs ; — la délinéarisation du texte, qui rend compte de la construction des 102 L'analyse des discours objets du monde et de Ieurs propriétés, indépendamment de ľenchaí-nement des propositions. _ _ En résumé, ľAPD postule, en accord avec les données actuelles de la sémantique et de la psychologie cognitive, que tout discours cons-truit un monde référentiel imposant une structure aux différents objets du monde, c'est-á-dire en reliant ces objets entre eux. L'APD vise á reconstituer ľimage de ce monde en privilégiám les relations que le discours établit entre les objets : — íes objets sont représentés par des referents et les objets principaux du discours sont appelés referents noyaux ou RN ; — Ies relations sont representees par des verbes; les types de relations entre les objets sont définis par les classes predicatives (par exemple, verbes factifs, statifs ou déclaratifs: F, S ou D). Production des résultats1 La procedure d'analyse consiste done successivement á : — découper le texte en propositions; — définir les referents noyaux (RN) de ce texte ; — écrire pour chaque proposition le modele argumentatif correspon-dant, soit éventuellemént le type de joncteur, suivi du RN actant, ou X si ľactant de la proposition ne correspond pas á un RN reference, -suivi du modalisateur éventuel, suivi du type de verbe"(F;S-oir D), suivi "du RN acte, ou Y si ľacté de la proposition ne correspond päs äün RN reference, et éventuellemént suivi d'un circonstant; — constituer un fichier dě type « base de données »2, composée de sept colonnes définissant les champs suivants : numero de la proposition, joncteur, actant, modalisateur, prédicat, acté, circonstant ; 1. On trouvera une demonstration třes complete de ľutilisation comparée des méthode. ARO et APD_sur_un_mlme_corpus-dans Léger_eLElorand (1985). - 2. Une base de données informatisée permet de stocker des données sous la forme de tableau á double entree flignes et colonnes) et d'effectuer automatiquement des operations sur ces données (tri á plat, tri croisé, comptage, etc.). 103 ^T I L'analyse des discours — faire un tri croisé entre les colonnes, permettant de calculer les frequences ďoccurrence conjointe et les taux de liaison des différents elements pris en compte (par exemple les RN actants et actés); — analyser les relations positives mises en evidence ; — construire éventuellement un graphe de ces liaisons pour donner une « image du monde référentiel » mis en discours par le ou les locuteurs. Ces différentes étapes de la procedure d'analyse seront illustrées ä ľaide de ľexemple donne précédemment: Interviewe : « Ca s'est passé d'abord en deux temps, ä savoir que mes parents possédaient un terrain et une maison. Alors done á la mort de mon pere, ma mere a d'abord vendu le terrain, parce que ca ľintéres-sait pas de le garder. II fallait ľexploiter, il fallait payer les lots, tout ce qu'il comportait, tout ce qui était dessus, c'était un terrain avec tous --------les branchements... Done eile a décidé de le vendre. On ľa done mis-en vente ä la mort de mon pere. On était deux, ca a pas posé de probléme majeur hein... Bon aprěs ca, aprěs la vente du terrain, ma mere restait done dans sa maison, et puis il s'est avéré que lá aussi il aurait fallu des reparations, eile pouvait disons pas la... Ce qu'on lui a propose nous, e'est de la vendre ou de la louer et puis de racheter autre chose, de se remettre quelque part aprěs. Ca ľa pas intéressée, done eile a vendu la maison... Aprěs... Done on a hérité á la fois d'un ter-ŕäiňet d'une maison á peu pres ä deux ans d'intervalle... » ......... • Découpage des propositions 1 ca [ľhéritage] s'est passé en deux temps 2 á savoir que mes parents possédaient un terrain et une maison 3 alors done á la mort de mon pere ma měře a d'abord vendu le terrain^ 4 ca ľintéressait pas de le [terrain] garder 5 il fallait ľpe terrain] exploiter 6 il fallait payer les lots 7 [il fallait payer] tout ce qu'il [le terrain] comportait ———i8-fil-fallait-payer] tout ce qui était dessus [le terrain] 9 c'était un terrain avec tous les branchements 10 done eile [měře] a decide de le vendre 104 L'analyse des discours 11 on ľ Be terrain]a done mis en vente á la mort de mon pere 12 on était deux 13 ca Pa vente] a pas posé de probléme majeur 14 aprěs ca, aprěs la vente du terrain, ma měře restait done dans sa maison 15 et puis il s'est avéré que lá aussi [dans la maison] il aurait fallu des reparations 16 eile pouvait disons pas la... 17 ce qu'on lui a propose nous e'est de la [maison] vendre 18 ou [ce qu'on lui a propose nous e'est] de la [maison] louer 19 et [ce qu'on lui a propose nous e'est] de racheter autre chose 20 [ce qu'on lui a propose nous e'est] de se remettre quelque part 21 ca ľa [mere] pas intéressée 22 done eile a vendu la maison------- - 23 aprěs done on a hérité á la fois du terrain et de la maison á peu pres á deux ans d'intervalle • codage des moděles argumentatifs Nous formaliserons ces 23 propositions selon le code suivant : Referents noyaux : H = heritage -M-—mere--------- --------------- - - -■------------------------ -P = parents, pěrě T=terrain V=vente m=maison h = héritiers ^ = mort du pere X = actant non reference Y=acté non reference Z=circonstant non reference ___________ _ __ + -additif =*• = causal 4 L'analyse des dlscours : = explicatif — - temporel ! = déontique (il faut !) F=factif S = statif D = déclaratif = element vide Tout symbole surmonté d'un est affecté ďune vaieur negative. (On se réfěrera au tableau place en page suivante). • Co-occurence actants/actés ACTANTS héritiers měře ACTES terrain (T) maison (m) mere (M) 2(0) 1 ( + 0,1) 1 (-0.5) 2 (+1,2) 4 ( + 0.4) 0(-l) Ce tableau signifie que « héritiers » en actant arrive 4 fois avec « mere » en acte ----— 1 fois avec « maison» ~ 2 fois avec « terrain » que « mere » en actant arrive 1 fois avec « terrain » 2 fois avec « maison » ■ Les chiffres entre parentheses sont les taux de liaisons1 entre les dif-férents elements du tableau (leur calcul est expliqué dans ľouvrage de Rouanet, Le Roux et Bert, 1987). lis sont calculés au moyen d'un logi-ciel de statistique. 1. Le taux de liaison indique la vaieur de la liaison entre deux referents noyaux. Ce taux de liaison exprime ľécart entre ľeffectif observe et ľeffectif théonque de la case correspondante, divise par ľeffectif théorique. 106 L'analyse des discours JUEJSUODjp JBOip^jd jnaies!|epoiu luepe m -&■&:-&•■&■-&■ t-1~ n -e-ar-©--e-ŕ- -e- E E E E-a-e-N >^i-s*-t->>->>■*->>- e>-—s-s-s-s-s-ej| u. t/} "-[Q u- u- u- u- t/i Q u- wijy, (/> ts> Q Q Q Q|Q u. u_ •©• -ô- f -&■— ~ -."■«■-©■■«--©.■o.-«.— -©■■©.-©-•©--©.-«--e. XO-21-Xxxxi—. ^j=_c>2x'$-í=-c:-e:^:S2-c jnapuoí uojijsodojd 7*©.-^:—4—4~=s;-©-■-©.-s-•©. 4~"ť"-©.^©T-j.'+ g-ei-e.-e--e.-e. <í --. p-r-r-r-r--r'i-r-r-N(NM(N 107 *T I L'analyse des discours Discussion des résultats On observe dans cet exeraple que les « héritiers » sont dans une relation prévalente avec la « mere » alors que la mere est située par le locu— teur dans une relation prévalente avec la « maison » et le « terrain ». Mais le type de relation est d'ordre préférentiellement déclaratif dans le premier cas (« héritiers »/«mere ») et factif dans le second (« mere »/« maison »). La méthode de l'APD met en lumiěre que les héritiers et la mere n'ont pas d'objet acte en commun : ils constituent deux univers disjoints carac-térisés chacun par des roles spécifiques : — La mere, qui est dans la decision et le faire, s'inscrit dans un monde avéré. — Les héritiers, qui sont dans l'imaginaire et la declaration, s'inscri-______ vent dans un monde possible. En outre, on remarquera, quant á ľutilisation des joncteurs, que tou-tes les propositions dont la mere est ľactant sont marquees par des jonc-teurs de causalité ; ce qui denote que ľunivers avéré dans lequel s'inscrit la mere est également celui de la raison et de la logique des choses. Enfin, ľusage frequent des modalisateurs déontíques« il faut que »tra-duit, dans ce fragment de discours, le poids du devoir et de la morale qui se serait trouvé attache ä la conservation du bien (le terrain) au cas ----------oň íl n'aurait pas été vendu. ------ L'APD est une technique d'analyse qui révěle les relations d'objéts~ á ľintérieur des propositions. Elle tend ä révéler une structure sémanti-que des discours. Par exemple, l'analyse comparée des discours d'un thérapeute et de sa patiente lors d'une séance de psychothérapie (Blan- ----------chet ét aľ., 1992) a montré que ces discours concernant les mémes objets avaíent des structures sémantiques différentes. Le discours du thérapeute apparaissait comme une version á la fois généralisante et recen-trée du discours de la patiente. La méthode de l'APD suppose done que ľon considěre les discours comme des indices de la construction —_—du-mondedes locuteurs. ------ L'analyse de contenu dite des « relations par opposition » abordée dans les pages suivantes ne concerne pas ľattribution d'une propriété 108 L 'analyse des discours I ou d'une relation d'objets, mais porte sur un systéme d'opposition entre significations. 2.4 L'analyse des relations par opposition (ARO) Inspirée de l'analyse structurale des récits, l'ARO, mise au point par H.Raymond (1968) et appliquée pour la premiére fois au corpus de ľenquéte sur les pavillonnaires (Raymond, Haumont, 1966), repose, comme son nom ľindique, sur une double hypothěse : ľexistence d'une correspondance (relation) entre les elements d'un systéme pratique et les elements d'un systéme symbolique ; la structuration de cette correspondance en opposition, comme étant constitutive de la fonction symbolique. Cette méthode reconnalt ainsi á la parole un caractěre fondamental qui est d'etre une actualisation constante de symboles (Raymond, 1968, p. 178). L'objectif de la recherche sur les pavillonnaires, était, on ľa vu, de définir la correspondance entre le pavilion et ľidéologie. Ľidée d'une méthode mettant en relation le systéme materiel et spatial du logement d'une part, et un systéme symbolique d'autre part, de facon á obtenir deux series de termes ABCD... (representant le systéme spatial) et abed-..(representant le systéme symbolique) s'avérait d'autant plus per-tmente" quelesr textes" des- entretiens^éux-meměš" pféšéňTaiěhf děs jčhé^ mas de typ?" A'l c dáhš ľesquelš Ä et B représentaient des element spa- B d tiaux (« cuisine » et « salle-ä-manger » par exemple) et c et d des elements symboliques (comme « přivé » et « public »), les couples Ac et Bd s'opposant terme ä terme. D'oú le principe dé la relation (entre les series spatiales et les series symboliques) par opposition (entre les couples de termes de chacune des series). Cette méthode, qui consiste done ä repérer des relations de signification entre les signifiants d'une part (les objets dont on parle) et les -signifiés-ďautre-part-íee-que-ľon-ditá-propos-decesobjets), telies que les signifiants et leurs signifies s'opposent terme á terme, est directe-ment inspirée de ľapproche structuraliste, et des couples d'opposition 109 4 L'analyse des discours mis en lumiěre par CXévi-Strauss Qe cru et le cuit, le miel et les cen-dres, etc.) qui renvoient eux-memes ä des univers symboliques opposes. Depuis les pavillonnaires, ľ ARO a été utilisee dans nombre d'enquétes se rapportant á l'analyse des rapports sociaux á ľespace, comrde pär~ exemple ľenquéte sur les Derniers domiciles connus (Léger, 1990), qui est ä la fois un bilan des maniěres ďhabiter et des usages du logement collectif, et une evaluation de la politique ďinnovation architecturale mise en oeuvre dans le logement social durant cette merne perióde ; ou encore la recherche sur les Espaces et pratiques de ľespace á Tlemcen (Bekkar, 1991), qui analyse la division sexuée des territoires et des modes ďhabiter dans ľespace urbain algérien (notamment ľoppositipn entre ľespace domestique, univers des femmes, et ľespace public, univers des hommes), ainsi que son evolution liée aux processus de changement engages dans la société algérienne depuis ľindépendance. Elle a égale-_ ment été appliquée á des domaines différents, comme les pratiques patri-moniales, ou encore ľunivers des affects (Léger, Florand, 1985). Son domaine d'application est étendu dans la mesure oü la structuration du discours en opposition est une constante de la production langagiěre. Production des résultats La premiere étape consiste á découper les énoncés. Pour ce faire on peut „procéder de.deux maniěres : soit constituer un lexique thématique,-et-prendre comme point de depart une série aisément reparable : la série-des espaces du pavilion, par exemple (cuisine, salle-ä-manger, jardin,. devant, derriěre, etc.). Soit repérer directement une relation de signification entre le signifíant (espace, pratique, etc.) et le signifié (qui quali-" fie ľespace ou la pratique), en s'aidant, le cas échéant, de ľopposition." Nous analyserons le texte suivant qui explique comment ľintervie-wée (héritiěre) a utilise la somme qu'elle a recue en heritage : « — Vous en avez fait quoi de ce cadeau ? — On en a fait quoi ? On a réinvesti, enfin moi, je me sentais pas le __droit-deJ.e.-dilapider-quand méme...Alors on a racheté une víeille-mai— son de Campagne que mon mari a rénovée. Pour nous ca a été ca. Mon frěre, lui, il avait un commerce, tout ca, il ľa investi ailleurs. Nous c'était 110 L'analyse des discours I dans une maison. On aurait pu en faire autre chose, on aurait pu ache-ter une voiture, des meubles et tout ca, mais enfin, c'était pas comme ca que je le voyais, moi. Je voulais garder quelque chose qui reste bien... Enfin je voulais le faire fructifier, que ca nous fasse quelque chose... Des meubles et une voiture ca dure pas longtemps. On devait le placer pour en faire quelque chose qui dure pour nous. » Si on suit le texte, le premier signifíant rencontre est« on a réinvesti », puis un signifié « dilapider » qui ne se rapporte pas au signifíant« reinvests » mais á un signifíant non encore énoncé. On trouve ensuite ľénoncé « on a racheté une vieille maison de Campagne » qui est en quelque sorte ľexplication, l'illustration de ce qu'a été le fait de « réin-vestir ». A ce stade, on dispose d'une premiere amorce ďopposition entre un signifíant et un signifié, et d'une premiére explicitation du signifíant. Si, par convention, on place le signifíant á gauche et le signifié á droite, on peut déjä inscrire : A on a réinvesti B dilapider Ou, pour ětre plus complet, on peut déjá reporter ľexplicitation de « réinvestir » : on ľappelle le signifíant médiateur, car il se glisse entre le signifíant et le signifié, et constitue en quelque sorte ľargument, expli-catif ou illustratif, de la relation de signification. D'ou une opposition á trois et non deux termes qui se présente ainsi: signifíant signifíant médiateur signifié A on a réinvesti on a racheté une vieille maison de Campagne ? c B ? ? dilapider d La poursuite de la lecture fait apparaftre une nouvelle opposition entre le frěre et la sceur. Toutefois celle-ci ne se réfěre pas au signifíant ni 111 L 'analyse des discours aux pratiques d'appropriation de ľhéritage qui sont celieš qui nous Interessent, mais aux acteurs. Cest done, dans ce cas et relativement á ľobjet de ľ etude, une fausse opposition. Elle n'introduit qu'une variante du merne signifíant « investir ». La suite du texte apporte alors le signi-fíant oppose á réinvestir, á savoir « faire autre chose », lui-méme explicite par le signifíant médiateur « acheter une voiture, des meubles ». On peut done completer l'opposition ainsi: A on a réinvesti on a racheté une vieille maison de Campagne B faire autre chose acheter une voiture des meubles dilapider Ce n'est qu'au terme de cet énoncé que l'on trouve le premier signi-fié : « faire fructifier ». L'opposition peut 6tre alors complétée ainsi: A on a réinvesti B- f aire autre chose on a racheté une vieille maison de Campagne acheter une voiture des meubles faire fructifier dilapider II est également possible de construire une autre opposition, voisine _de la premiere, mais avec des signifies référés á ľunivers de la tempora-lité et non plus á ľunivers économique : A on a réinvesti on a racheté une vieille maison de Campagne en faire quelque chose qui dure B faire autre chose acheter une voiture des meubles ca dure pas longtemps 112 L'analyse des discours Cette premiere etape consiste done á ordonner des énoncés selon un schéma de A vers c, ou A oppose á B, ou de A vers c, A étant oppose á B, alors que dans le cours de ľénonciation A, B, c et d se présentent dans le désordre. II s'agit, en ďautres termes, de défaire les fils ďune parole qui est constituée en canevas, dont les elements apparaissent et reparaissent un peu plus loin, et jouent á « saute-mouton »les uns avec les autres (Bardin, 1991, p.97). Ce travail de découpage a pu se faire ici sur un énoncé relativement court et ramassé. II arrive cependant que la relation par opposition exige, pour Stře complétée, de prendre en compte des énoncés disperses sur plusieurs pages. Le lecteur, alerté par l'identification des premiers elements, poursuit la lecture en attendant les elements correspondants. U est á remarquer qu'un processus similaire est á ľceuvre dans la conduce de l'entretien, děs lors que ľon sait devoir appliquer_ce_type de méthode. L'interviewer pourra en effet utiliser les elements de la relation presents dans un premier énoncé pour relancer et ainsi obtenir les elements complémentaires. Matériellement, cette operation de découpage s'effectue sur des fiches bristol, ou, mieux, une banque de données informatisée, qui doivent, pour étre manipulables et dassables, comporter dans la partie supérieure les indications suivantes. — n° de l'entretien et n° de page ďoú ľénoncé estextrait,... — n° d'ordre de la fiche, — titre du signifíant, Outre ces indications et ľénoncé découpé, la fiche peut comporter aussi ľénoncé réduit. La reduction est une operation de selection des mots-elés qui aide au traitement et au classement ultérieur des fiches. La reduction de ľénoncé serait: A réinvestir B autre chose acheter maison campagne acheter voiture, meubles dure dure pas 113 ^t I L 'analyse des discours Voici un modele de fiche : Ent. n° 4 p. 8 fiche n° 52 réinvestir somme heritage faire autre chose on a réinvesti on a racheté une vieille maison de Campagne en faire quelque chose qui dure faire autre chose réinvestir acheter une voiture, des meubles acheter maison de Campagne ca ne dure pas longtempš dure autre chose acheter voiture, meubles dure pas Le mode de découpage sémantique requis pár ľ ARO n'a rien de mécanique. II implique au contraire une lecture trds analytíque du texte. II peut étre, pour cette raison, relativement long, surtout au debut, mais immédiatement« rentable ». Si la lecture des fiches peut produire, aprés coup, une certaine deception (la fiche ne dit rien de plus que le texte et le dépouille de toute sa complexité), eile permet une lecture synthéti-queextrěmement efficace du corpus tout entieř. """" Discussion des rčsitltafs Le découpage d'une interview peut exiger plusieurs dizaines de fiches, jet.celui d'un corpus plusieurs centaines de fiches. Ces fiches ont une- -propriété lexicale evidente, et peuvent subir divers classements, comme des cartes á jouer, selon les signifiants (ce qui permet d'établir une nomenclature), ou bien selon les signifies (ce qui permet de définir des axes sémantiques). Ainsi, dans ľexemple retenu, on peut déduire de ce type.d'analyse que ľinterviewé oppose deux pratiques inscrites dans deux univers de reference : l'univers de la dilapidation et de ľinstantanéité d'une part 114 L 'analyse des discours et l'univers de la fructification et de la durée d'autre part. Quelle que soit la position prise par ce sujet en particulier, l'ARO informe sur la structure idéologique á partir de laquelle ľinterviewé construit son pro-jet. Si cette opposition est récurrente dans tout le corpus, on pourra en tirer des conclusions générales sur ľorganisation de ľidéologie á ľceuvre dans ľ appropriation des biens hérités. La méthode de l'ARO s'inscrit dans la logique structural et dans son effort pour découvrir l'ordre cache derriěre le désordre apparent, le squelette, la structure des phénoměnes derriěre les innombrables variations individuelles. L'ARO ne cherche pas á identifier le déplacement de ľindiyidu dans son univers de reference, mais á saisir le cliche, ľins-tantané et le fragment d'un univers commun. Cette méthode suppose, pour étre applicable, les preconditions énon-cées plus haut, á savoir ľexistence d'une relation stable,.affirmée etver-balisable entre les elements pratiques et des elements symboliques. Elle implique des sujets de recherche pour lesquels une parole peut étre énon-cée selon un double registre : ľun emprunté á la vie naturelle et pratique, ľautre symbolique. 115