Les provinces II naquit un cartographe dans le bon vieux pays du Québec, c'est-ä-dire en aval de Trois-Riviěres, et comme il avait dans le bas des reins un signe en forme de fleur de lys, on se dit qu'il ne serait pas un cartographe comme les autres. Quand il fut ďäge ä gagner sa vie, ses parents le présentěrent au cure: «Nous sommes dans ľembarras, Monsieur le cure; ce n'est pas un enfant comme les autres; les autres n'avaient qu'ä sui-vre les pistes qui ménent ä Montreal, en Abitibi ou au Farouest; celui-ci est cartographe.» — Un cartographe, c'est magnifique, s'exclama le cure. Nous allons ľenvoyer ä notre évěque qui est aussi primát de ľéglise en ce pays. Monseigneur le Primat dit au cartographe: «Bon, divisez-moi le pays en dioceses.» Ce que fit le cartographe. Chaque diocese eut sa couleur. Par exemple, J celui de Valleyfield était d'un bleu sans pareil. Les autres variaient du noir au jaune; beaucoup étaient dans les verts; aucun cependant n'était rouge. Le cartographe présenta son oeuvre au Primat. Au-dessus du pays il avait représenté le ciel, le soleil, la lune et quelques planětes. Cétait une fort belle carte. «Vous avez peint un drôle de soleil, Monsieur le cartographe!» 84 — Je 1'ai coiffé, Monseigneur. — Ah, c'est un chapeau, 9a! — Oui, Monseigneur; et remarquez comme il est bien placé: juste au-dessus de Montreal! — Je vois, mon ami. — Par contre j'ai peint le diocese en noir, Monseigneur, pour donner une idée de l'influence sulpicienne. Le vôtre est en blane avec la lune au-dessus de Québec. Les planětes sont pour les palais archiépiscopaux. Le Primat était un homme fin, racé, ď une grande elevation d'esprit mais d'une minutie, d'une precision d'horloger. «Monsieur le cartographe, vous avez une planete de trop: Valleyfield n'est que le siege d'un évéché!» — En effet, Monseigneur, mais je voulais vous plaire: ľévéque de ce lieu a passé si pres du Chapeau! II méritait bien une petite planéte de dédommagement. — C'est bien mon ami, c'est bien. Le cartographe se frotta les mains. — M'accorderiez-vous, Monseigneur, votre imprimatur ? — Mon imprimatur, mon ami ? — Oui, Monseigneur, pour que cette carte soit affichée dans toutes les maisons oú ľ on craint Dieu et respecte ses représentants. — En voilä une idée, mon ami! Nous ne sommes pas des césars, des pachas. Nous vivons dans des palais, mais ce n'est la qu'une apparence: notre royaume n'est pas de ce monde. — Ainsi, Monseigneur, ma carte diocésaine, épis-copale et catholique n'est pas la vraie carte du pays ! — Non, mon ami. 85 — Vous me surprenez... Enfin, puisque vous le dites, je vous crois, Monseigneur. Que vais-je devenir maintenant ? — Vous allez continuer ä faire des cartes, mon ami, puisque c'est votre vocation. Le Primat, méme si son royaume n'était pas de ce monde, avait de grandes influences dans le Gouvernement ; il n'eut pas de peine ä y placer le cartographe. Le Premier Ministře dit ä celui-ci: « Divisez-moi le pays en comtés.» Ce que fit le cartographe. Chaque comté eut sa couleur. Par exemple, celui de Deux-Montagnes était d'un violet sans pareil, violet obtenu en mariant la couleur du brigadier Sauvé au rouge flamboyant du general Colborne. Les autres variaient du bleu marine au rose; beaucoup étaient dans les jaunes; aucun toutefois n'était blane. Le cartographe présenta son ceuvre au Premier Ministře. Au-dessus du pays il avait représenté le ciel, le soleil, la lune et quelques étoiles. C'était une fort belle carte. «Vous avez peint un drôle de soleil, Monsieur le cartographe!» — II porte une perruque anglaise, honorable Premier Ministře. — Bien, mon ami. Et la lune ? — Une comette de nonne, honorable Premier Ministře. — Bien, mon ami. Et les étoiles ? — Ces étoiles dans notre ciel, honorable Premier Ministře, viennent sans doute du sud. — Bien, mon ami, nous publierons votre carte. Vos petites allusions celestes ne me vexent guěre; je ne revendique pas la stratosphere; les comtés me suffisent. Le cartographe baissa la těte; il ne partageait pas le point de vue du Premier Ministře. Pourquoi en effet diviser un pays en quatre-vingt-dix morceaux plutôt 86 qu'en trente-huit ou en vingt-deux ? Est-ce ä la politique de s'inscrire dans la géographie? Ne serait-ce pas ä celle-ci de marquer celle-la? Un pays n'est pas une piece de linge ou l'on peut tailler ä sa guise. Qu'arrivera-t-il si, ä ces quatre-vingt-dix morceaux, un autre gouver-nement en superpose soixante-cinq, si tous ces morceaux-lä se mettent ä bouger, ä se rapetisser, ä s'agrandir, ä se rétrécir, ä s'allonger, ä se raccourcir ou ä s'aplatir ä chaque recensement ? II arrivera que Monsieur Pellan ou Borduas se mélera de faire des cartes. Le cartographe dit au Premier Ministře: «Honorable Premier Ministře, votre point de vue n'est pas le mien; pour moi le comté est une division fort arbitraire.» — Ah, Monsieur le cartographe, je vous vois venir! Le comté est pour vous la corruption électorale de la cartographic — Honorable Premier Ministře, je ne peux rien vous cacher. Que vais-je devenir maintenant ? — Vous allez continuer ä faire des cartes, mon ami, puisque c'est votre vocation. Le Premier Ministře, méme si son royaume était de ce monde, avait de grandes influences sur les Congregations ; il n'eut pas de mal ä placer le cartographe chez les Reverends Frěres qui sont des experts en geographic Le Frěre dit au cartographe: «Divisez-moi le pays en regions». Ce que fit le cartographe. II divisa le pays en deux parties, ľune froide, ľautre tempéréc Au-dessus il peignit les différentes regions du ciel, ayant chacune leur signe. II représenta aussi les couches de ľ atmosphere qu'on divise de méme en regions. Enfin, pour épuiser toutes les significations du terme, il mit dans sa carte un Canadien grelottant dont il donnait les regions anatomiques. Le cartographe présenta son ceuvre au Reverend commanditaire qui en fut éberlué. «Voilä, dit 87 — Vous me surprenez... Enfin, puisque vous le dites, je vous crois, Monseigneur. Que vais-je devenir maintenant ? — Vous allez continuer ä faire des cartes, mon ami, puisque c'est votre vocation. Le Primat, méme si son royaume n'était pas de ce monde, avait de grandes influences dans le Gouvernement; il n'eut pas de peine ä y placer le cartographe. Le Premier Ministře dit ä celui-ci: « Divisez-moi le pays en comtés.» Ce que fit le cartographe. Chaque comté eut sa couleur. Par exemple, celui de Deux-Montagnes était d'un violet sans pareil, violet obtenu en mariant la couleur du brigadier Sauvé au rouge flamboyant du general Colborne. Les autres variaient du bleu marine au rose; beaucoup étaient dans les jaunes; aucun toutefois n'était blane. Le cartographe présenta son oeuvre au Premier Ministře. Au-dessus du pays il avait représenté le ciel, le soleil, la lune et quelques étoiles. C'était une fort belle carte. «Vous avez peint un drôle de soleil, Monsieur le cartographe!» — II porte une perruque anglaise, honorable Premier Ministře. — Bien, mon ami. Et la lune ? — Une cornette de nonne, honorable Premier Ministře. — Bien, mon ami. Et les étoiles ? — Ces étoiles dans notre ciel, honorable Premier Ministře, viennent sans doute du sud. — Bien, mon ami, nous publierons votre carte. Vos petites allusions celestes ne me vexent guěre; je ne revendique pas la stratosphere; les comtés me suffisent. Le cartographe baissa la téte; il ne partageait pas le point de vue du Premier Ministře. Pourquoi en effet diviser un pays en quatre-vingt-dix morceaux plutôt qu'en trente-huit ou en vingt-deux ? Est-ce ä la politique de s'inscrire dans la géographie? Ne serait-ce pas ä celle-ci de marquer celle-la? Un pays n'est pas une piece de linge oů l'on peut tailler ä sa guise. Qu'arrivera-t-il si, ä ces quatre-vingt-dix morceaux, un autre gouver-nement en superpose soixante-cinq, si tous ces morceaux-lä se mettent ä bouger, ä se rapetisser, ä s'agrandir, ä se rétrécir, ä s'allonger, ä se raccourcir ou ä s'aplatir ä chaque recensement ? II arrivera que Monsieur Pellan ou Borduas se mélera de faire des cartes. Le cartographe dit au Premier Ministře: «Honorable Premier Ministře, votre point de vue n'est pas le mien; pour moi le comté est une division fort arbitraire.» — Ah, Monsieur le cartographe, je vous vois venir! Le comté est pour vous la corruption électorale de la cartographic — Honorable Premier Ministře, je ne peux rien vous cacher. Que vais-je devenir maintenant ? — Vous allez continuer ä faire des cartes, mon ami, puisque c'est votre vocation. Le Premier Ministře, méme si son royaume était de ce monde, avait de grandes influences sur les Congregations ; il n'eut pas de mal ä placer le cartographe chez les Reverends Freres qui sont des experts en geographic Le Fröre dit au cartographe: «Divisez-moi le pays en regions». Ce que fit le cartographe. II divisa le pays en deux parties, ľ une froide, ľautre tempérée. Au-dessus il peignit les différentes regions du ciel, ayant chacune leur signe. II représenta aussi les couches de ľ atmosphere qu'on divise de méme en regions. Enfin, pour épuiser toutes les significations du terme, il mit dans sa carte un Canadien grelottant dont il donnait les regions anatomiques. Le cartographe présenta son oeuvre au Reverend commanditaire qui en fut éberlué. «Voilä, dit 87