FJIA005 — Introduction á la civilisation francaise V) Population — Document Problemes ethniques PAGES REALISEES PAR FRANQOIS ARMANET ET GILLES ANQUETIL Quels sont les visages de la colonisation ? Comment affronter ce passé ? Le « Dictionnaire de la France coloniale » parait. Réponse de son maitre d'ceuvre Que faire de notre memoire coloniale ? par Jean-Pierre Rioux Le Nouvel Observateur. - A partir de quel momenty a-t-il une pensée coloniscttrice frctngctise en dehors de ľévctn-gěíisation ou de la prédation économique ? Jean-Pierre Rioux. - La France a participé depuis le XVIe siěcle, avec ďautres grandes puissances européennes, á la politique coloniale de partage de la terre, ďévangéli-sation des « indigenes » et de prédation économique dans les espaces révélés par les grandes découvertes ou explores depuis lors. Mais eile n'a pas eu de politique coloniale, de pensée colonisatrice ou imperiale, colonialiste ou imperialisté continue et cohérente. Pour des raisons démographiques : la natalité francaise n'a jamais été assez forte pour rendre imperative, méme en Algérie, une colonisation de peuplement, á la difference par exemple de la Russie ou de ľltalie. Pour des raisons économiques aussi: la vocation et ľactivité marchandes et maritimes de la France n'ont pas été á la hauteur de celieš de l'Espagne, des Pays-Bas ou surtout de l'Angleterre, et eile n'a done pas eu besoin d'autant de comptoirs et de chasses gardées. Pour des raisons politiques enfin : l'Ancien Regime comme la Revolution, puis les deux Empires et les Républiques ont toujours considéré que la vocation naturelle du Royaume puis de la « Grande Nation » était la defense du pré carré, l'affirmation de la puissance et le rayonnement en Europe. Si bien que ľidée coloniale a été tenue pour une derivation de la vocation nationale. Les Francais ont eu une vision de « leurs » colonies trěs étroitement rapportée aux enjeux franco-francais et européens, á la vocation proprement nationale et done, au bout du compte, au seul intérét hexagonal. Tel fut, finalement, le raisonnement du general de Gaulle lorsqu'il fallut mettre fin á la guerre d'Algérie. Cest dans la premiére moitié du XIXe siěcle que les conditions dune relance de ľaventure coloniale ont été 18 • LE NOUVEL OBSERVATEUR LE NOUVEL OBSERVATEUR, du 18-24 OCTOBRE 2007, pp. 18-19. FJIA005 — Introduction á la civilisation francaise V) Population — Document Problemes ethniques réunies : en 1815, la France a fait son deuil de l'ancien Empire mercantiliste ; en 1830, la prise d'Alger a lancé ľidée que sa cause pouvait étre celie de ľhumanité ; en 1848, ľabolition de ľesclavage a rompu avec un systéme criminel. Sous la IIP, la IVe et la Vs République, ľinvoca-tion plus vehemente dune France qui coloniserait pour suivre sa vocation á éclairer le monde, qui aiderait ainsi les peuples « indigenes » á s'émanciper au nom de ľuniversa-lisme des droits de ľhomme et de la démocratie, a été surajoutée, n'a guére cimenté et n'a pas été determinante. N. O. - Le débat crucial sur la colonisation a-t-il été celui de Jules Ferry et de Georges Clemenceau ? Garde-t-il son actualité ? J.-P. Rioux. - Ce débat á la Chambre en 1885 - Ferry soutient sa politique d'expansion coloniale au Tonkin et á Madagascar ; Clemenceau attaque au nom de la justice et du droit la « civilisation » que la France pretend y exporter - est en effet tenu aujourd'hui pour crucial. Ce n'est que partiellement vrai car, une fois le remuement d'opinion passé, les deux hommes ont évolué et les enjeux sont de-venus plus complexes : děs 1892, par exemple, Feny a dé-noncé ľavidité des colons en Algérie et Clemenceau, sur le tard, sera trěs fiděle á « nos » colonies. Mais ľempoignade de 1885 nous tauche encore, c'est vrai, car eile est nourrie aux grands principes philosophiques et moraux. Ferry, qui n'a jamais théorisé sa politique coloniale, rappelle, avec une erudite qui parait insoutenable aujourd'hui, les trois registres qui se sont toujours mélés en matiěre coloniale -de 1885 á 1962 : ľéconomique (« la politique coloniale est fille de la politique industrielle »), l'humanitaire civilisateur (« les races supérieures ont le droit et le devoir de civiliser les races inférieures ») et le national (« pour une grande nation, ne pas rayonner, c'est abdiquer »). Et Clemenceau de rétorquer, superbement : « N'essayons pas de revétir la violence du nom hypocrite de civilisation. » N. O. - Y a-t-il une spécificité de la colonisation francaise par rapport aux autres empires ? J.-P. Rioux. - Incontestablement, et notre « Dictionnaire » tente de l'analyser pas á pas, en explorant les grandes aires géographiques de cette domination singuliěre, en confron-tant ses colonisateurs et les colonises, en mélant grandes dates et visages significatifs, en comparant la réalité, les imaginaires et les mémoires. Je le répěte : ľambition coloniale francaise fut discontinue et toujours hasardeuse, ľanticolonialisme n'eut pas ďécho social profond, la colonisation n'a eu qu'une audience mitigée dans ľopinion publique, malgré la force du "parti colonial" et du lobbysme des grands intéréts économiques. Ľoutre-mer n'a pas marqué de facon decisive le cours de ľhistoire de la France et n'a infléchi celui de son regime républicain qu'en 1958 et en 1962. Ľeuropéo-centrisme, de fait, a bouché ľhori-zon - difference majeure avec la Grande-Bretagne - et a fait dénier toute singularita au colonise, nier la violence de sa mise sous tutelle, sous pretexte d'universalisme bien en-tendu, e'est-a-dire profitable d'abord aux puissances euro-péennes. Le franco-centrisme, constant lui aussi, a réduit les enjeux coloniaux á ceux de la seule metropole. Ľégoisme national a prime. Historien, specialisté de ľhistoire de la France contemporaine. directeur de la revue « Vingtiěme Siěcle ». Jean-Pierre Rioux vient de dinger chez Flammarion le passionnant Dictionnaire de la France colonialell. II participera le 20 octobre aux Rendezvous de l'Histoire de Blois. Cet égoisme est devenu de l'aveuglement. Ses propres don-nées démographiques, économiques, diplomatiques et pa-triotiques interdisaient déjá á la France toute reconnaissance et toute valorisation particuliěres des colonies et des peuples colonises (nouvelle difference avec les Britanniques). Elle a aggravé son cas (avant 1914, il est vrai, eile est la seule puissance européenne qui soit une République, ce qui la legitime plus que d'autres dans une mission émancipatrice) en laissant croire, et en enseignant aux elites indigenes, que la vraie spécificité de la colonisation á la francaise était ľexportation bénéfique des Lumiěres, des droits de l'homme et de l'universalisme des grands principes républicains. Elle eut méme un immense terrain d'exercice pour cette ambition : cette Algérie dont, fait unique pour un pays colonisateur, eile a fait des dépar-tements comme la Marne ou l'Aveyron. On sait la suite. L'aveuglement, en fait, fut bien d'avoir introduit aux qua-tre coins du monde une contradiction insurmontable entre nationalité et citoyenneté, entre colonisation et emancipation, entre mondialisation et nation. N. O. - Comment affronter le passé colonial en France au moment de la poussée du communautarisme et de la guerre des mémoires ? J.-P. Rioux. - Nous tentons de le dire dans les « Enjeux » qui concluent le « Dictionnaire s : en considérant ensemble, et en toute connaissance de cause historique, les trois points sur lesquels le passé colonial nous interpelle aujourd'hui. Les formes nouvelles de l'immigration et revolution économique et sociale d'abord, qui rendent plus visibles dans ľex-métropole nombre de descendants, francais ou non, avec ou sans papiers, ď« indigenes » d'antan et de jadis : le passé colonial qu'on croyait oublié, ces loin-tains toujours méconnus, si souvent méprisés et exploités, sont désormais presents á domicile, dans la vie quotidienne de nombre de villes et de banlieues de ľex-métropole. Ensuite, l'absence de politique résolue et cohérente pour les DOM et les TOM, pour ces anciennes « vieilles colonies » qui pourraient étre davantage les jeunes vitrines de l'allant francais dans le maelstrom de la mondialisation. Enfin, la guerre des mémoires, dont il faut á tout prix sor-tir car, mettant aux prises et en vedette les seules minori-tés actives, eile biaise et rend plus difficile encore le débat national sur notre avenir commun. X. O. - En quoi les anciens colonises restent-ils attaches ä la France ? J.-P. Rioux. - D'abord, le vieux proverbe « Heureux comme Dieu en France » n'est pas tout á fait obsolete, et c'est heureux. Et la guerre des mémoires, toute dominée qu'elle soit encore par le trauma majeur, celui de la guerre d'Algérie, et méme si eile exprime des pressions disparates qui souhaitent d'abord repentance et reparations, reste du domaine de l'indignation citoyenne. Elle s'affiche méme parfois comme une participation á un regain démoerati-que. II n'y aura jamais, je pense, de memoire officielle, na-tionalisable et réconciliatrice de la colonisation. Mais si l'assaut des mémoires permettait un jour de nourrir aussi le débat sur ľ avenir, alors... Propos recueillis par GILLES ANQUETIL et FRANCOIS ARMANET LENOUVEL OBSERVATEUR, du 18-24 OCTOBRE 2007, pp. 18-19.