Analysez la façon dont les deux personnages se donnent à lire (les «effets» qu'ils suscitent et la signification qu'il convient d'en tirer. L'effet-personnage Le passage retenu est extrait de la première partie du roman. Le héros, qui, après une longue errance, se retrouve dans la chambre de sa mère, entame un récit rétrospectif. Il en vient � l'évocation suivante : Ma mère me voyait volontiers, c'est-à-dire qu'elle me recevait volontiers, car il y avait belle lurette qu'elle ne voyait plus rien. Je m'efforcerai d'en parler avec calme. Nous étions si vieux, elle et moi, elle m'avait eu si jeune, que cela faisait comme un couple de vieux compères, sans sexe, sans parenté, avec les mêmes souvenirs, les mêmes rancunes, la même expectative. Elle ne m'appelait jamais fils, d'ailleurs je ne l'aurais pas supporté, mais Dan, je ne sais pourquoi, je ne m'appelle pas Dan. Dan était peut-être le nom de mon père, oui, elle me prenait peut-être pour mon père. Moi je la prenais pour ma mère et elle elle me prenait pour mon père. Dan, tu te rappelles le jour où j'ai sauvé l'hirondelle. Dan, tu te rappelles le jour où tu as enterré la bague. Voilà de quelle façon elle me parlait. Je me rappelais, je me rappelais, je veux dire que je savais à peu près de quoi elle parlait, et si je n'avais pas toujours participé personnellement aux incidents qu'elle évoquait, c'était tout comme. Moi je l'appelais Mag, quand je devais lui donner un nom. Et si je l'appelais Mag c'était qu'à mon idée, sans que j'eusse su dire pourquoi, la lettre G abolissait la syllabe ma, et pour ainsi dire crachait dessus, mieux que toute autre lettre ne l'aurait fait. Et en même temps je satisfaisais un besoin profond et sans doute inavoué, celui d'avoir une ma, c'est-à-dire une maman, et de l'annoncer, à haute voix. Beckett, Molloy, Paris, Éd. de Minuit, 1.951, p. 20-21.