STYLISTIQUE COMPARES 23 INTRODUCTION / — ARGUMENT § 1. On lit trop souvent, méme sous la plume de traducteurs avertis, que la traduction est un art. Cette formule, pour contenir une part de véríté, tend néanmoins ä limiter arbitrairement la nature de notre objet. En fait la traduction est une discipline exacte, possédant ses techniques et ses problěmes particuliers, et c'est ainsi que nous voulons ľenvisager dans les pages qui vont suivre. Ce serait, croyons-nous, faire un grand tort ä la traduction que de la classer sans examen pármi les arts — un huitieme art en quelque sorte. Ce faisant, on lui refuse une de ses qualités intrinsěques, son inscription normale dans le cadre de la linguistique ; on écarte d'elle les techniques d'analyse actueliement ä ľhonneur en phonologie et morphologie, et que des précurseurs tels que Bally appliquaient déjä il y a cinquante ans dans le domaine de la stylistique. Certes, si ľon a pu dire que traduire est un art, c'est parce qu'il est possible de comparer plusieurs traductions dun méme original, d'en rejeter certaines comme mauvaises, d'en louer ďautres pour leur fidélité et leur mouvement II y aurait done 'pour un texte donne non pas une traduction unique, mais un choix devant lequel le tra-ducteur a hésité avant de proposer sa solution. Et s'il y a eu choix, il y a eu par la méme demarche artistique, ľart étant essentiellement un libre choix. Mais on peut prendre le probléme par ľautre bout et dire que s'il n'y a pas de traduction unique d'un passage donné, cette non-univocité* de la traduction ne provient pas d'un caractére inherent 1). Les terraes techniques de cet ouvrage sont définis au cours de la demonstration ; Us le sont également au glossaire place en téte du volume pour la commodíté des lecteurs, qui voudront bien s'y reporter le cas échéant. 24 STYJLISTJQUĽ COM PARE E ä notre discipline, mais plutôt dune exploration incomplete de la realite. II est permis de supposer erne si nous connaissions mieux les méthodes qui gouvernent le passage dune langue ä ľautre, nous arriverions dans un nombre toujours plus grand de cas ä des solutions uniques. Si nous possedions un critěre quantitatif pour rendre compte de ľexploration du texte, nous pourrions merne exprimer par un pourcentage le nombre de cas qui échapperaíent encore ä ľunivocité. Au lieu de constater la difficulté de maniere désinvolte en par-lant de "trahison" et en rejetant ainsi la traduction du domaine des sciences humaines3, il nous a paru preferable de poser le principe de ľexploration mčthodique du texte ä traduire et de la traduction proposée. Aprés quoi, il nous sera loisible de montrer ppurquoi ľutili-sation des techniques est, de plcin droit, un art apparenté ä ľ art de la composition qui preside ä la redaction du texte original. En d'autres termes la traduction devient un art une fois qu'on en a assimilé les techniques. II suffit ďavoir eu ä corriger des copies de version lors d un concours de traducteurs pour savoir qu'en general le succěs recompense surtout ceux qui ont du metier, et que ce metier leur a été enseigné par des anciens formes par ľexpérience d une profession souvent ingrate, et qui savent qu'il ne suffit pas d'etre bilingue pour s'improviser traducteur. § 2. La méthode que nous proposons ne s'applique d'ailleurs pas uniquement aux travaux de professionals, mais aux différents domaines de la traduction. On peut en distinguer au moins trois : le domaine scolaire et le domaine professional, déjä reconnus, aux-quels nous ajouterons celui de la recherche linguistique. La traduction scolaire peut étre soit un procédé d'acquisition (aujourd'hui condamne) soit un procédé de verification. II permet alors de s'assurer si les éleves oni assimilé les mots et les tours de la langue étrangere (théme) ou s'ils sont capables de saisir et de rendre le sens et les nuances ďun texte étranger (version). En dehors de ľécole, la traduction a pour but de faire connaítre á d'autres ce qui a été dit ou écrit dans la langue étrangere. Celui qui traduit ne traduit pas alors pour comprendre mais pour faire comprendre. II a compris avant de traduire. 2). II ne f au t pas oublier que la linguistique est sans doute la plus exacte des sciences de ľhomme, celie du moins qui a le plus ďavance sur les autres, par un concours de circonstances qui ne saurait étre fortuit. Cf. Trager et Smith: It is probably true that in linguistics, because of the extremely formal and hanuable nature of the data, the greatest progress in organization on the proper levels has been made." Outline of English Structure (1951), p. 81. STYUSTÍQUL COMPAKĚií 23 On peut considérer un troisieme role de la traduction. La comparison de deux iangues, si eile est pratiquée avec reflexion, perrnet de mieux faire ressortir les caractěres et le comporternent de chacune. lei, ce qui compte, ce n'est pas le sens de ľénoncé, mais la facon dont procěde une langue pour rendre ce sens. Dans quelle mesure, par exemple, révéíe-t-elle la situation sous-jacente de ľénoncé ? Une simple phrase telle que "He went north to Berlin", recueillie dans un rornan, ne peut guěre se traduire littéralement en francais. On peut le regretter, mais il vaut mieux se rendre compte, ä la reflexion, que le francais n'éprouve pas le besoin de donner la precision qu'exprime "north", intuitif dans le concret, il laisse au lecteur plus de liberce pour reconstituer la realite. Étant donne son point de depart, par exemple Munich ou Vienne, le voyageur en question ne pouvait gagner Berlin qu'en allant vers le nord. II en est de merne de "up in your room" que nous rendons simplement par "dans votre chambre". C'est la une question de gains et de pertes (151). Ce n'est pas la seule qui se trouvera ainsi éíucidée. La comparaison du francais et de ľ anglais que nous venons de faire nous a permis de dégager du francais, et par voie de contraste, de ľ anglais, des caractěres qui resteraient invisibles au línguiste travaillant sur une seule langue. II semble done que la traduction, non pour comprendre ni pour faire comprendre, mais pour observer le fonctionnement dune langue par rapport ä une autre, soit un procédé d'investigation. Elle permet ďéclaircir certains phénoměnes qui sans eile resteraient ignores. A ce titre eile est une discipline auxiliaire de la linguistique. § 3. II est ä souhaiter que la traduction ainsi pratiquée inspire également les travaux scolaires et la formation des traducteurs professionnels. Mais dans la mesure ou eile intcrvicnt dans ľenscigncmcnfc des Iangues, il importe de bien delimiter sa place par rapport aux etudes de grammaire et de vocabulaire. Si la traduction est avant tout une disciplíne comparée, il s'ensuit qu'elle suppose connus les objets qu'elle rapproche, ä savoir les deux Iangues en presence. II ne peut étre question ä ľécole de connais-sances étendues, mais on s'est rendu compte, il y a déjä longtcmps, que le theme et la version ne sont profitables que si on les pratique ä ľintérieur d'un domaine préalablement explore par d'autres procé-dés. Quant au traducteur de profession, il doit connaítre toutes les nuances de la langue étrangere et posséder toutes les ressources de sa langue maternelle. Autant dire que la grammaire et le vocabulaire ne doivent avoir aucun secret pour lui. Le present ouvrage s'adressc 26 STYLISTIQUß COMPARHE á ceux qui possědent une bonne connaissance de la langue étrangěre courante, que ce soit le frangais ou i'anglais. Son but n'est pas ďexpo-ser des faits de grammaire ou de vocabulaire, mais ďexaminer comment fonctionnent les pieces du systéme pour rendre ľidée expri-mce dans ľ autre langue. Des faits de langue ainsi examines se dégagera une theorie de la traduction reposant ä la fois sur la structure lingnistique et sur la psychologie des sujets parlants 8. Notre etude restcra done en marge de la grammaire et du lexique, mais eile y puisera ncanmoíns sa substance. Elle permettra aussi de faire la synthése de notions qui restent souvent disparates. Elle offrira aux traducteurs de metier des points de repěre précieux dans le clas-sement des notions déjä acquises et des faits nouveaux. § 4. Pour arriver á ce résultat nous devrons : a) essayer de reconnaitre les voies que suit ľ esprit, consciemment ou inconsdemment, quand il passe d'une langue ä ľ autre, et en dresser la carte. S'il y a toujours des moments ou il est preferable de prendre ä travers champs, il n'en reste pas moins vrai qu un rcseau dc routes soigneusement tracées facilitera le transit de la pensée entre les deux langues. b) étudier sur des exemples aussi precis et aussi probants que possible les mécanismcs de la traduction, en dériver des procédés, et par dela les procédés retrouver les attitudes mentales, sociales, culturelles qui les informent. 11 n'est pas question de donner une collection de recettes dont ľ application automatique aboutirait ä une mécanisation de la traduction \ Comme il a été dit précédemment, nous ne croyons pas aux solutions uniques. Mais nous sommes persuades qu'une confrontation 3). Gf. la rcmarque de J. Bélanger, dans son compte rendu du livre de II. Godin, Les Ressource.*; stylistiqties du frangais contentporain : "lorsqu'ils traduisent [les anglicistcsj font plus ou moins consciemment de la stylistique comparée du francais et dc ľanglais. Les rcgistres d'expression des deux langues coincident exactement sur peu de points, en dépit des apparences." Les Langues modernes 44.5 (1950) p. 348. Pour ce qui est dc la preparation grammaticale et lexicologique du traduc-tcur nous renvoyons a une bibliographic sommaire p. 318. 4). Par mécanisation de la traduction, nous voulons parier d'un automa-tismc des reflexes du traducieur qui lc dispenscrait de penser ä la valeur totale de son texte ; nous ne faisons pas allusion ici aux efforts des cybeméticiens >our élaborer des machines ä traduction, point sur Icquel nous reviendrons 35, 151). Cependant, ľintéret d'une certaine mécanisation n'est pas négligeable, et ne doit pas cchapper au traducieur. II nous est parfois arrive dc nous trouver devant un texte difficile, alors que la journée avait été longue et fatigante. Une application "mécanique" des techniques de la traduction permet-tait alors d'arrivcr sans difficulté ä un premier jet correct, qu'il suffisait ensuite de relire pour corrigcr les rnidcurs inevitables du procédó. STYLIST1QUJĽ COM PA R Ľ li 27 des deux stylistiques, la frangaise et ľanglaise, permet de dégager les lignes générales et merne dans certains cas des lignes precises. Cette confrontation et la creation de categories de la traduction ä laquelle nous sommes amenés, ne sont pas de purs jeux ďesprit. II s'agit de faciliter au traducteur ľidentification de difficultés auxquelles il se heurte et de luľ permettre de les placer dans les categories ad hoc, ä côté de celieš pour lesquelles une solution a déjá été proposée. Nous pensons par exemple que celuí qui a traduit "École maternelle" par "Motherly School" aurait ávité cette faute s'il avait su que "motherly" est un mot purement affectif, alors que "maternelle" peut étre á la fois intellectuel et affectif. On verra plus loin que ľopposition des caractéres intellectuels et affectifs permet de serrer de plus pres les differences entre les faux amis. § 5. Ľcrivant en frangais pour des lecteurs en majorite francophones, nous serons naturellement portés ä partir de ľanglais pour aboutir au frangais. Mais nous estimons cependant que la comparaison des deux langues doit se faire dans les deux sens. Cest pourquoi les expressions dont nous nous servirons : LD, iangue de depart et LA, langue ďarrivée, s'applíqueront indifféremment ä ľanglais et au frangais. Cest dire que nous ferons ä la fois du theme et de la version, et les spécialistes de frangais dont I'anglais est la langue maternelle devraient pouvoir utiliser le present ouvrage. § 6. Notre etude comprend trois parties qui correspondent á trois aspects de la langue ; le lexique, ľagencemestfr et le message. Dans ľAppendice on trouvera quelques textes permettant d'appliquer la méthode que nous proposons. Avant de reconnaitre les cheminements qui permettent de passer d'une langue á ľ autre, il convient de proposer et de définir certaines notions dont nous aurons besoin au cours de notre etude. 28 STYLISTIQUH COMPAREB // — NOTIONS DE BASE S 7. Le §ígne Unguhťtque : Un čnoncé se compose de signes. Les signes relěvent du vocabu-laire, de la grammaire, de l'intonation, etc. lis donnent ä ľénoncé un sens global que nous appelons le message et qui est la raison d'etre de ľénoncé. A côté des signes il faut distinguer les indices. Le signe ' est employe á dessein par celui qui parle. L'indice est au contraire la revelation involontaire de sa condition sociale, de son caractěre et de son humeur du moment. Celui qui lit ou écoute, s'il est observateur, remarquera les indices en méme temps qu'il enregistrera les signes. De méme qu'une bonne explication de texte doit dégager les indices aussi bien que les signes, la traduction doit tenir compte des uns et des autres. Ľétude des indices fait partie de la documentation. (App. 1). Ľénoncé correspond ä une ou ä plusieurs situations. La situation est la realite que les mots évoquent. On sait qu'il est dangereux de traduire sans tenir compte du contexte. Allant plus loin, nous dirons que le contexte ne prend tout son sens que lorsqu'on reconstruit mentalement la situation qu'il clécrit. Cest la surtout une question de métafinguistique (246 sq.). La notion de signe n'est pas simple. Selon la definition de F. de Saussure le signe est ľunion indissoluble ďun concept et de sa forme linguistique, écrite ou parlée. La partie conceptuelle du signe s'appelle le signifié, et la partie linguistique, le signifiant. Quand, pour un contexte donne, un mot a un equivalent exact dans une autre langue, il n'y a, pratiquement, qu'un signifié pour deux signifiants. Ex. : "knife" et "couteau" dans le contexte "couteau de table: table knife". Mais les signifies de deux signifiants jugés interchangeables peuvent ne pas co'incider entiérement. Cest le cas de "bread" et de "pain". Le pain anglais n'a ni le méme aspect ni la méme importance alimentäre que le pain francais. Le traducteur doit s'occuper du côté purement formel des signes, savoir, par exemple, la difference entre "booksellers" et "bookseller's", "it please" et "it pleases", "j'en cloute" et "je m'en doute", et nous répetons que ces connaissances prcalables sont sous-entendues au cours de la présente discussion. II doit s'occuper aussi et surtout de leur aspect conceptual, de leur signification, qui ľoriente, comme nous STYLISTIQUH COMPARES 29 ľavons vu, vers une situation donnée. Le signe linguistique est done une entite psychique ä deux faces qui peut étre representee, comme dans le Cours de linguistique generale, par la figure suivante : j------------------^> Les deux fleches verticales en sens inverse expriment ľinteraction des deux moitiés du signe dans le continuum langue-pensée, qui cons-titue le message et que nous ne pouvons subdiviser en tranches que par une operation analytique difficile et arbitraire. Cette interaction est précisément le domaine par excellence du traducteur et eile s'opere non seulement sur le plan vertical, ä ľintérieur du signe, pourrait-on dire, mais également de signe ä signe, sur le plan horizontal, dans le déroulement du message, de telle sorte que la totalite du message est plus grande que la simple somme des signes qui le composent. Cest pour marquer ce deuxiěme plan de ľinteraction que nous nous sommes permis d'ajouter les deux fleches horizontales aux fleches verticales de F. de Saussure, car en tant que traductcurs nous nous occupons surtout de message, et ce n'est que pour des raisons pratiques et pédagogiques que nous étudierons les signes séparés de ces messages. § 8. Le signifiant ne définit qu'exceptionncllement le signifié dans sa totalite. Le plus souvent il ne note qu'un aspect du signifié. Ce fait a été mis en lumiére par Darmesteter dans son petit livre sur La Vie des mots (Delagrave, 1895) : « Le nom n'a pas pour function de définir la chose, mais seulement d'en éveiller ľimage. Et, ä cet effet, le moindre signe, le plus imparfait, le plus incomplet suffit, du moment qu'il est établi, entre les gens parlant la méme langue, qu'un rapport existe entre le signe et la chose signifiée » (p. 43). U en résulte que si les synonymes ont par definition des signifies presque identiques, leurs signifiants évoquent des aspects différents. Cest ainsi que pour reprendre un exemple de Darmesteter, "vaisseau" ^- 30 STYLJSTIQUJG COMPARED met ľaccent sur la forme, "bátiment" sur la construction, et "navire" sur la flottabiiiré. Du moins il en a été ainsi ä ľorígine. Depuis, les sujets parlants, qui n'ont pas de raison de penser historiquement, ne ramenent pas les mots á leur aspect initial. L'oubli de cet aspect est normal, inevitable, et merne nccessaire pour que le mot s'identifie avec la totalite de la chose qu'il représente. Ce qui est vraí á ľintérieur ďune merne langue ľest aussi ďun dialecte á ľ autre. Ex.: "Keyless watch" (Br.) : "stem winder" (U.S.) Ces mots désignent le méme objet, mais ľun le caractérise posi-tivement et ľ autre négativement. Dans ces conditions, il serait surprenant que dune langue á i'autre les mots évoquent invariablement les mémes facettes des cho-ses qu'ils désignent. Ex.: "armored car" (U.S.) : "fourgon bancaire". Le terme francais designe ľusage de ce véhicule et le mot amé-ricain, son aspect8. De méme : "équipe de dépannage : wrecking crew" Notre théorie de la modulation repose sur cette constatation (37). 8 9- Signification et valeur : Nous retrouvons ici une autre distinction faite par Saussure á propos des signes. La signification est le sens d'un signe dans un contexte donne. La valeur est ce qui oppose un signe á d'autres, non pas dans un énoncé mais dans la langue. Ľexemple que donne Saussure est celui de "mouton". Ce signe a le méme signifié que "sheep" dans des contextes tels que "Le berger garde ses moutons", mais il n'a pas la méme valeur puisqu'il peut designer la viande de mouton (mutton) et, ce que Saussure n'avait pas prévu, la laine comme garniture de vétement (en anglais "mouton") (CLG, p. 160). § 10. Langue et parole ; Cette opposition est également saussurienne (CLG, p. 30-31). La langue, ce sont les mots et les constructions ä la disposition du sujet parlant, mais en dehors de ľusage qu'il en fait. Děs qu'il parle ou qu'il éerit, ses mots et ses tours relcvent de la parole. La distinction est importance, car il y a toujours une légěre deformation de 6). II n'est d'aillcurs pas súr que la construction d'un fourgon bancaire francais justific ľépithele de "armored". II y aurait dans ce cas uu fait de métalinguistiquc. STYUSTIQUIÍ COMPARE 31 la langue clans la parole. La langue évolue par la parole. La parole a precede la langue et certaines des realisations de la parole conti-nuent ä passer dans la langue. La langue correspond aux notions traditionnelles de lexique et de grammaire, la parole reside dans les faits de style — écrit ou parle — qui caractérise tout énoncé. Le message releve surtout de la parole. Le rédacteur d'un message utilise les ressources de la langue pour dire quclque chose de personnel ct d'imprcvisible qui est un fait cle parole. On voít tout de suite que nombre des difficultés de traduction tiennent plus ä la parole qu'á la langue. Par ailleurs, la valeur relěve de Ia langue, et la signification, de la parole. § 11. Servitude et option. Dans la mesure ou la langue nous est donnée, eile est un ensemble de servitudes auxquelles nous sommes contraints de nous sou-mettre. Par exemple, le genre des mots, la conjugaison des verbes, ľ accord des mots entre eux. Dans ces limites il est possible de choisir entre les ressources existantes, et e'est cette Iiberté qui crée la parole. Cest un fait de langue que ľ existence de ľimparfait du subjonctif. Ce n'est plus aujourd'hui une servitude et son emploi, devenu facul-tatif, représente done une option. Cest ďailleurs ľindice d'une cer-taine recherche, d'un souci de correction qui paraitra désuet á certains. Le traducteur devra done distinguer entre ce qui est impose au rédacteur et ce que celui-ci a utilise librement. Sur les trois plans oů va s'exercer notre analyse, le lexique, ľagencement et le message, la distinction entre servitude et option reste valable. En LD ce sont surtout les options qui doivent retenir ľattention. En LA le traducteur devra compter avec les servitudes qui entravent sa Iiberté d'expression et il devra aussi savoir choisir entre les options qui s'offrent ä lui pour rendre les nuances du message. § 12. Surtraduction : Le fait de traiter une servitude comme une option aboutit souvent ä une surtraduction. Si par exemple nous traduisons "aller chercher" par "to go and look for" au lieu de "to fetch", nous agissons comme si "aller chercher" était la rencontre fortuite de deux mots autonomes, alors qu'il s'agit d'une expression consaerée par ľusage et representant une servitude. Le francais est en effet oblige d'employer deux mots pour rendre ce que ľanglais exprime aussi bien par un seul. Cest ce que n'a pas vu l'auteur d'un livre sur la Resistance dans le passage 32 STYLISTIQUE COMPARÉJB suivant qui utilise, aprěs traduction, des informations de source franchise. "The striking miners were given food by the occupation authorities, but they were not won over. It went so far that the families of the strikers were compelled to go to the City Hall to look for the soup which their men had refused." (H.L. Brooks, Prisoners of Hope, New York, 1942). "Look for" est ici une surtraduction. II aurait fallu dire : "to get the soup" ou "for the soup", ou mieux encore "for the food". On voit que la surtraduction consiste essentiellement ä voir deux unites la ou il n'y en a qu'une (17-26). ^ 13. Langue et sťyfistique. Le traducteur, avons-nous dit, doit se préoccuper davantage des faits d'option que des faits de servitude. On peut dire que la gram-maire est le domaine des servitudes, tandis que les options constituent en grande partie celui de la stylistique, ou tout au moins ďune cer-taine stylistique, celle que Bally a étudiée dans son Tratte de stylistique francaise. En fait, du point de vue ou nous nous placons et comme le fait Bally Iui-méme", on peut consiclérer deux sortes de stylistiques. Lune cherche ä dégager les moyens d'expression d'une langue donnée en opposant Ies elements affectifs aux elements intellectuels. Cest la sťylisťique ínřerne. Ľautre s'attache á reconnaítre les demarches des deux langues en les opposant ľune á ľ autre. Nous ľappellerons la stylistique comparative externe, ou stylistique comparée. Par exemple, la predominance du verbe pronominal en francais n'est apparence que pour celui qui compare le frangais ä ľanglais. Elle pennet de dégager, par voie de contraste, la preference de ľanglais pour la voix passive. Par contre, ľétude des mots péjoratifs peut se faire á ľintérieur d'une langue donnée et sans comparaison avec une autre langue. Si le traducteur travaille surtout dans le domaíne de la stylistique externe, il ne saurait ignorer les constatations de la stylistique interne. Bally, qui s'cst surtout consacré á celle-ci, n'en a pas moins compris ľimpor-tance du point de vue comparatiŕ. II s*en est inspire dans sa Unguis-ťtque generale et linguistique francaise, et A. Malblanc en a poursuivi ľapplication dans son etude sur la stylistique comparée du frangais et de ľallemand \ ß) Cf. Le Langage et la vie, 2« éd„ p. 80. Voir aussi Bally, TSF, p. 1-30 ; et Malblanc, á ľouvrage ci-dessous, § 5-7. 7) Pour une stylistique comparée du francais et de ľallemand, Paris, Didier, 1944. M. Malblanc a depuis publié sa Sfylistique comparée du frangais et de ľallemand (Paris, Didier, 2e éd., 1963) qui s'inspire des normes du present ouvrage. STYLISTIQUE COMPARÉE 33 Reprenant maintenant notre distinction entre servitude et option, nous dirons que, si les options dominent dans la stylistique interne, qui étudie surtout les faits d'expression, la stylistique externe traite ä la fois de servitude et d'option. Beaucoup de demarches caractéris-tiques ďune langue sont des servitudes. Par exemple, ľétoffement des prepositions franchises-(91) tient ä une servitude du frangais qui limite ľ autonomie des prepositions. § 14. Les niveaux de langue. Dans toute la mesure du possible, le traducteur doit garder la tonalité du texte qu'il traduit. Pour ce faire, il doit dégager les elements qui constituent cette tonalité par rapport ä tout un ensemble de caractěres stylistiques que nous appelons les niveaux de langue. II est facile de dístinguer des tonalités différentes suivant que le texte appartient ä la langue parlée, ä la langue écrite, ä une langue technique, etc. II est plus difficile, par contre, d'établir une structure de la tonalité8. Nous adopterons ici en grande partie la terminologie saussurienne telle que Bally ľa précisée dans son Tratte de stylistique francaise, mais en faisant deux distinctions nouvelles : ľune entre le bon usage et la iangue Yulgaire, ľautre entre les preoccupations esthétiques et les preoccupations tonctionnelSes, done utilitaires. Le systéme des tonalités est un systéme ďoppositions. Tel terme est administratif parce qu'une association mémorielle permet de ľopposer ä un terme usuel désignant la merne chose: ex. "décěs/mort"; il suppose done une option et par consequent ľ existence de variantes stylistiques. Outre ľopposition des mots entre eux sur le plan de ľefíet pro-duit, on peut en établir une autre par rapport aux mots usuels qui, de ce fait, sont dépourvus de tonalité et constituent ce que nous appelons la langue commune, qui comme son nom ľindique, participe ä tOLites les categories horizontales et verticales indiquées dans le schéma ci-aprés. La distinction entre bon usage et langue vulgaire peut varier suivant les époques ou les circonstances, mais on ne saurait nier cependant que merne ä une époque de relächement linguistique 8). La tonalité íťest pas tout entierc fonetion du niveau, mais eile y puise une bonne part de ses effets stylistiques. Le niveau peut étre apprécié Indépen-ďamment du message, bien qu'il s'cxprime en fait par des signes concrets : mots spéciaux, syntaxe particuliére, ordre des mots, etc. II pourra, lors des operations de découpage, étre porte en marge du texte, un peu comme ou inscrit la tessiture d'un morceau de musique ä la clef. 34 STYLISTIQUE COMPARES comme la nôtrc, une personne instruite hésitera á dire : "Je vous cause". Cette expression donne ä un texte une certaine tonalité que le traducteur devra s'efforcer de rendre, ne serait-ce que par compensation, par cxemple, en employant "me" pour "I", ou "It don't matter". Le fait que ľexemple : "Je m'en rappelle" est devenu moins concluant á cet égard témoigne des fluctuations de ces lignes de demarcation, mats n'infirme en rien leur existence. Noire deuxicme distinction reconnaít des preoccupations esthéti-ques par rapport ä celieš qui ne sont qu'utilitaires. A partir de la langue řamiiiěre, qui est ä la limite infcrieure du bon usage, on peut affiner ľ expression en s'élevant successivement au niveau des Songues écritc, liMéraire, poéfique. En sens inverse, on descend au niveau de la Sangue populaire et de ľargot. Parallělement ä cet axe vertical, il y a un axe horizontal qui, ä cet étage de la langue écrite, englobe les différentes specialisations foncHonnelles, c'est-á-dire celieš oú la langue fonctionne au profit dune specialisation technique, Ces specialisations obéissent ä des nécessités pratiques et non ä une intention esthétique : c'est lá ce qui distingue essentiellement les deux axes. Remarque : En regard de la langue familiére et de ľargot, nous placons les Jargons, langues ä la fois familiěres et techniques, comme par exemple ceux des Grandes Ecoles ou de certains metiers. Nous retcnons la distinction que fait Bally (TSF § 24o), á savoir que les jargons different cle ľ argot en ce qu'ils ne sont compréhensibles qu'aux seuls initios. Evidemment ils communiquent largement avec ľargor, mais res ten t lies á des activités particuliěres. Les niveaux de Sangue a o tonalité esthétique specialisations fonctionnelles. a í S 0 S> c cd h4 langue poétique langue littéraire langue écrite adminis-1. .,. trative | juridique scienti-íique etc. langue familiére Langue vulgaire langue populaire argot les jargons STYLISTIQUH COMPAKEH 35 § 15. Si, par exemple, nous devons traduíre le message : "Hello, John! How are you today?" il nous faut savoir ä quel niveau il se sirue. Nous saurons alors comment traduire ľ exclamation ("Bonjour!" "Tiens!" "Bonjour, Jean!" "Salut!" etc.), decider s'il faut conserver le prcnom ou l'omettre, opter pour une formule de politesse qui ca-drera avec le niveau choisi, etc. C'est prccisément faute ďapprécier corrcctcment les niveaux que les étrangers commettcnt souvent des erreurs, tutoyant un inconnu par exemple, ou employant devant un supérieur des formules qui ne conviennent qu'á un inférieur. § 16. Par ailleurs, nous nous placons sur un plan synchrunique, citant dans la mesure clu possible des formes et des textes rapprochés provenant dun merne etat de langue, sans émettre á leur sujet depreciations normatives. Le traducteur a du reste rarement ľoccasion d'en faire et doit se montrer trěs prudent lorsque son texte lui révěle des faiblesses de style. Peut-il et doit-il les omettre dans sa traduction ? Notons simplement au passage que le choix adoptc par nous d'une langue volontairement classique risque de confronter des elements légérement en retard sur ľ evolution. Nous préférons considcrcr lcs cas extremes de "francais avancé" ou de "progressive English" comme du ressort des specialises, et surtout des écrivains eux-mémes, et constater une norme que nous ne discuterons pas. ">6 STYUSTIQUH COMPARHE /// -■- UNITES - PLANS - TECHNIQUES 117. II convient maintenant, une fois rappelées les notions de linguistique applicables ä notre propos, de serrer de plus pres le travail du traducteur en examinant les unites sur lesquelles il opere, les plans sur lesquels se sicuent ces unites, et enfin les techniques qui permet-tent le possage d'unc langue ä ľ autre. Á. Unites de traduction. La recherche des unitos sur lesquelles on doit opérer est ľ une des demarches essentielles de route science, et souvent la plus contro-vcrsée. II en va de merne en traduction, oů jusqu'ici on ne parlait que de mots, comnie si ces segments de ľénoncé étaient si évidents qu'il ne fallait pas les définir. Or i! stiff it de parcourir les pages des principales revues de linguistique des víngt dernieres années pour constater que rien n'est moins defini que la notion de mot ; certains linguistes sont alles jusqu'ä traiter le mot de "nébuleuse intellecruelle" (Delacroix) ou meine lui refusent toute existence concrete. Aussi bien nous verrons que inalgré son apparente commodité le mot n'est pas une unite satisfaisante. Sans doute nous ne pouvons nous en passer tout ä fait, nc serait-ce que parce qu'un énoncé se divise en mots separés par des espaces blancs et que nous retrouvons dans les dictionnaires les elements ainsi délimités. Mais merne dans la langue čerite les lim i tes ne sont pas toujours tres nettes. Nous pensons en particulier a ľusage capricíeux du trait ďunion. Ainsi on dit "face á face", mais "vis-ä-vis", "bon sens", mais "non-sens" et "contresens", "porte-monnaie", mais "portefeuille", "tout ä fait", mais "sur-le-champ". Les irrégularités ne sont pas moindres en anglais, le trait ďunion étant plus frequent en britannique qu'en américain. Son omission dans la phrase suivante parait saugrenue á tin lecteur britannique, mais représente ľusage courant aux Etats-Unis. "His face turned an ugly brick red: Son visage prit une vilaine couleur rouge brique." Si maintenant nous passons a la langue parlée, nous constatons qu'en francais tout au moins les frontiěres entre les mots disparais-sent, les unites que pcrcoit ľoreille étant les syllabes et les groupes STYLISTlQUĽ COMPARÉE 37 de force (ou mots phonétiques). Le francais possěde en effet ties peu de marques phonologiques permettant de delimiter les mots entre eux. Le probléme des unites existe done et il avait déjä préoccupé Saussure : "La langue présente ce caractěre étrange et frappant de ne pas offrir ďentités perceptibles de prime abord, sans quon puisse douter cependant qu'elles existent et que c est leur jeu qui la consti-tue" (CLG, p. 149). Au fond ce qui nous géne pour adopter le mot comme unite, e'est qu'avec lui on ne voit plus clairement la structure double du signe, et que le signifiant prend une place exagérce par rapport au sígnifié. Le traducteur, répétons-le, part du sens et effectue toutes ses operations de transfert a ľintérieur du domaine scmantique. II lui faut done une unite qui ne soit pas exclusivement formelle, puisqu'il ne tra-vaille sur la forme qu'aux deux extrémités cle son raisonnement. Dans ces conditions, ľunité ä degager est ľunité de pensée, conformément au princípe que le traducteur doit traduire des idées et des sentiments et non des mots. Nous considérons comme equivalents les termes : unite de pensée, unite lexicologique et unite de traduction. Pour nous ces termes expriment la merne realite considérée ďun point de vue different. Nos unites de traduction sont des unites lexicologiques dans lesquelles les elements du lexique concourent á ľexpression ďun seul element de pensée'. On pourrait encore dire que ľunité de traduction est le plus petit segment de ľénoncé dont la cohesion des signes est telle qu'ils ne doivent pas étre traduíts séparémentI0. § 18. On petit distinguer plusieurs sortes d'unités de traduction selon le role particulier qu'elles jouent dans le message. a) les unites fonctionnelles sont Celles dont les elements parti- cipent ä la méme fonction grammatical : "II habite/Saint-Sauveur/ä deux pas/en meublé/chez ses parents/". 9). II serait plus exact de dire : ľélément de pensée predominant dans tel segment de ľénoncé. II peut, en effet, y avoir superposition ďidécs á ľintérieur d'unc méme unite. Ex. : "to loom" comporte ä la fois ľidée ďapparition agrandie et celie ďimimnencc ou de menace» mais ces dcux idées ne peuvent pas se séparcr sur le pian de ľagencement. Elles sont superposées. C'est ce que Bally appelle le cumul des signifies. II faul s'attendre en parcil cas ä ce que la traduction ne garde qu'un des signifies, celui que le contexte met en avant. C'est pourquoi il est ä peu prés impossible de traduire complctcment un poéme. 10). On touebe ici trés nettement á ce qui separe notre analyse stylistique de ľanalyse strueturale. Etant donne que le traducteur doit se préoccuper davantage de sémantique que de structure, il nous a semblé preferable d'avoir une unité définie a partir du sens plutôt qu'ä partir de la fonction. 58 SľVLlSTÍQUH COMPARHĽ b) les unites sémantiques, comme le nom ľindique, présentent uiie unité de sens : "sur-le-champ : immediately" (cf. "on the spot") "le grand film : the feature" "avoir lieu : to happen" (cf. "to take place") "prendre place : to sit" (ou "to stand") c) les unites dialectiques articulent un raisonnement : "en eilet", "or", "puisque aussi bien" d) les unites prosodiques sont Celles dont les elements parti-cipent ä une meme intonation : "You don't say! : £a, alors !" "You're telling me! Vous ne m'apprenez rien 'ľ "You bet! Je vous crois!" Ľn fait les trois derniěres categories constituent nos unites de traduction. Les unites fonctionnelles, ä moins d'etre brěves, ne sont pas nécessairement limitées ä une seule unite de pensée. § 19. Si nous considcrons maintenant la correspondance entre les unites de traduction et les mots du texte, trois cas peuvent se presenter : 1) unites simples : chacune d'clles correspond ä un senl mot. Cest évidemment le cas le plus simple, et nous le mention-nons d'abord parce qu'il est frequent et ensuite parce qu'il pennet de mieux définir les deux autrcs. Dans la phrase : "II gagne cinq mille dollars." il y a autant d'unités que de mots et on peut remplacer chaque mot séparément sans changer la contexture de la phrase. Ex. : "Elle regoit trois cents francs." 2) unites diluées : elles s'étendent sur plusieurs mots qui formen t une unite lexicologique du fait qu'ils se partagent ľex-pression d'une seule idee. Nous empruntons nos exemples aux deux langues: simple soldát: private. tout de suite : immediately. au fur et ä mesure que : as. poser sa candidature á : to apply for. in so far as : dans la mesure ou. to report progress : tenir (quelqu'un) au courant. nooks and crannies : des recoins. 3) unites fractionnaires : ľuníté n'est alors qu'une partie dun mot, ce qui veut dire que la composition du mot est encore sentic par le sujet parlant. STYUSTIQUF, COMPARE!*. 39 Ex. : "relever quelque chose qui est tombé", mais non "relever une erreur" ; "recreation", mais non "recreation" ; "brunette", en frangais "petite brune", mais non en anglais, ou Ton peut dire "a tall brunette" ; "re-cover" (recouvrir), mais non "recover" (recouvrer). On sait qu'en anglais ľaccentuation indique si le mot a deux unites (black' bird') ou une seule (black'-bird). § 20. Mais l'identification des unites de traduction repose aussi sur une autre classification ou intervient le degré de cohesion des elements en presence. Malheureusement il s'agit la d'un critere variable, et les categories que nous allons tenter ďétablir sont surtout des points de repěre entre lesquels il faut s'attendre ä trouver des cas intermédiaires difficiles ä classer. l) Aux unites réduites ä un seul mot (19) nous opposerons les groupes unifies formes de deux ou de plusieurs mots of f ran t le maximum de cohesion. Dans cette catcgorie entrent les expressions qu'on a coutume d'appeler idiotismes. Ľunité de sens est trés nette et eile s'appuie souvent sur une particularité syntaxique telle que ľomission de ľarticle devant le nom. En general les traducteurs les moins expérimentés décělent sans peine ce genre d'unité. Ex. : á bout portant: point-blank mettre ä pied : to dismiss á mon corps defendant : in self-defence avoir le pas sur: take precedence over avoir lieu : take place s'en prendre ä : blame faire fausse route : to go astray ľéchapper belle : to have a narrow escape avoir maille ä partir avec : to have a bone to pick with. § 21. Moins evidentes sont les alliances de mots oú le degré de cohesion est moindre, mais dont les termes sont unis par une cer-taine affinité. On pourrait les appeler groupements par afíinité. a) les locutions d'intensité Elles sont centrées sur un nom : un hiver rigoureux : a severe winter un bombardement intense : severe shelling un refus carégorique : a flat denial 40 STYLISTIQUĽ COMPAREE une connaissance approfondie : a thorough knowledge d'une importance capitale : of paramount importance une majorite écrasante : an overwhelming majority une souverainetc pleine et entiere : a full and undiminished sovereignty une pluie diluvienne : a downpour ou sur un adjectif, un participe passe ou un verbe : griěvement blessé : seriously injured sourd comme un pot : stone deaf diametralement opposes : poles apart formellement interdit : strictly prohibited entiěrement revu et corrigé : completely revised battre ä plate couture : to beat hollow s'ennuyer á mourir : to be bored to death savoir pertinemment : to know for a fact rcflechir mürement : to give careful consideration s'amuser royalement : to enjoy oneself immensely On voit que ces groupements existent dans les deux langues, mais il est rare qu'ils se laisscnt traduirc littéralement. L'anglais a une f aeon ä lui de renforcer un adjectif : — Drink your coffee while it is nice and hot: Buvez votre café pendant qu'il est chaud. — He was good and mad : II était furieux. •— A great big truck : Un énorme camion. Le renforcement de "big" par "great" évoque le langage enfantin. Certains adjectifs ont merne un autre adjectif comme intensifi-cateur : stone deaf : sourd comme un pot stark mad : completement fou stark naked : nu comme un ver dead tired : éreinté dripping wet: ruisselant § 22. b) les locutions verbales dans lesquelles un verbe suivi dun nom (ex. faire une promenade) est en principe ľéquivalent dun verbe simple (ex. se promener) de la méme famille que le nom : faire une promenade : to take a walk prendre note : to take note remettre sa demission : to tender one's resignation induire en tentation : to lead into temptation apporter un changement: to make a change STYLISTIQUH COMPARER 41 mettre un terme ä : to put an end to pousser un soupir : to heave a sigh pousser un cri: to utter a cry porter un jugement sur : to pass judgment on Le verbe simple n'existe pas toujours. II faut considérer aussi comme unite de pensée les groupes formés ďun nom appelant un certain verbe pour sa mise en oeuvre dans la phrase, et ce verbe n'est pas forcément le méme dans les deux langues. subir un échec : to suffer a setback remporter un succěs : to score a success franchir une distance : to cover a distance faire un somme : to take a nap faire des vers : to write poetry dresser une liste : to draw up a list percevoir un droit : to charge a fee établir un certificat: to make out a certificate suivre un cours : to take a course passer un examen : to take an exam On verra d'autre part (87) que beaucoup de verbes simples anglais ne peuvent se traduire en francais que par des locutions verbales. Ex. : passer au crible : to sift mettre en danger : to endanger fermer ä clef : to lock faire bon accueil ä ; to welcome interjeter appel: to appeal faire echo ä : to echo donner de la bande : to list mettre en italique : to italicize faire une genuflexion : to genuflect § 23. c) De méme beaucoup de nos locutions adjecHvales et adverbiales (87, 112) constituent des unites, comme le montre le fait qu'elles se rendent en anglais par un mot simple. capitulation sans condition : unconditional surrender d'un air de reproche : reproachfully dun ceil (air) critique : critically ä plusieurs reprises : repeatedly ä juste titre : deservedly 42 STYLISTIQUE COMPARÉE § 24. d) Beaucoup ďunités sont formées dun nom et ďun adjectif, sans qu'il y ait cette fois intensification de la qualité exprimée par le nom. L'adjectif est fréquemment un mot usuel ä sens technique. les grands magasins : department stores sa bonne volonte : his willingness un haut fourneau : a blast furnace du fer blanc : tin un petit pain : a roll une petite voiture : a wheel-chair un simple soldát: a private la vitesse acquise : the momentum une longue-vue : a telescope § 25. e) Au dela de ces domaines assez faciles ä delimiter on entre dans un maquis d'expressions oü le traducteur doit dépister ľunité lexicologique. Les dictionnaires en donnent de nombreux exem-ples, mais il n'existe pas, et pour cause, de repertoires complets. Nous donnons ci-dessous des exemples pris au hasard pour montrer la varieté de ces unites. le regime des pluies : the rainfall un immeuble de rapport: an apartment (ou "office") building mettre en chantier : to lay down mettre au point: to overhaul, to perfect, to clarify gagner du temps : to save time chercher ä gagner du temps : to stall, to play for time § 26. En principe, la traduction d'un^ mot depend de son contexte. Ľunité de traduction est un contexte restreint; c est un syntagme dont ľun des elements determine la traduction de ľautre: "regime" se traduit par "fall" dans "regime des pluies". D'autre part, le contexte reléve de la parole : les mots qui s'y rencontrent ont peu de chance de se retrouver de nouveau dans le méme ordre. Ľunité de traduction relěve en méme temps de la langue, car eile est aussi une association mémorielle (74). La distinction que nous avons faite entre groupes unifies et grou-pements par affinité n'exclut pas leur combinaison en unites complexes. Par exemple, "bonne" et "volonte" donnent par affinité ľunité "bonne volonte". Mais la bonne volonte ne vaut que si eile se manifeste. II y a done affinité de sens entre "bonne volonte", groupement par affinité, et "faire preuve de", groupe unifié. Cela nous donne STYLISTIQUIÍ COMPARÍIĽ 43 "faire preuve de bonne volonte" que nous traduisons tout simplement ä ľoccasion par "to be co-operative". De méme "á huis clos", groupe fige, forme avec "délibérer" ou "siéger" un groupement par affinité : "délibérer" ou "siéger ä huis clos : to hear a case in camera". B. Les f-rois plans de la stylistique externe : Nous avons ä plusieurs reprises fait allusion ä une division tripartite de notre matiěre. II convient maintenant de s'y attarder davantage § 27. a) Le premier plan englobe ľensemble des signes considers en eux-mémes, c est-ä-dire abstraction faite des messages dans les-qucls iis s'insérent d'ordinaire. Le repertoire des signes, ou lexique, s'explore par substitution ďunités de traduction ä ľintérieur de cadres syntaxiques de structure comparable. II ne s'agit pas pour nous d'expo-ser séparément le contenu des deux lexiques, celui de LD et celui de LA, chaque lexique pouvant en effet s ordonner par rapport ä lui-méme u. Notre but est de dégager de leur rapprochement certai-nes categories lexicales permettant de rendre mieux compte de nos unites de traduction. Parfois le parailélisme entre LD et LA est frappant, et il suffit d'en profiter. Parfois les deux langues divergent nettement et il faut analyser ces divergences pour les comprendre et les surmonter. Les differences nous intéressent naturellement plus que les similitudes. Plus deux langues sont proches par la structure et la civilisation, et plus grand est le danger de confusion entre les valeurs de leurs lexiques respectifs, comme le montre, par exemple, la question des faux-amis (54 sq.). Mais méme les mots qui ne souffrent pas de ressemblances fortuites et trompeuses présentent cependant des differences d'aire sémantique auxquelles le traducteur doit prendre garde. Ainsi "street" recouvre, en américain, le sens du frangais, "chaus-sée" aussi bien que celui de "rue". "Do not walk in u the street : Ne marchez pas sur la chaussée. " 11). J. Perrot note trěs justcment ä ce propos que ľappHcation des prln-cipes fonctionnels, qui ont donne tant de fails nouveaux sur le plan phono-logique, n'a jamais été tentée sur le plan du lexique (La Linguistique, p. 62) 12). Lorsque "street" s'emploie au sens de "chaussée" il s'emploie avec "in" et non pas "on". En britannique "chaussée" peut se rendre par "roadway". 44 STYLISTIQUE COMPAREE Étant donne que les unites de traduction se substituent entre elles ä ľintérieur de certains cadres syntaxiques tels que there was a noise a bang a thud a hiss, etc. on peut dire que le lexique s'ördonnc scion un axe vertical' § 28. b) Les unites de traduction s'ordonnent ä leur tour sur un autre plan, horizontal cette fois, et qui est la tráme de ľénoncé, auquel nous donnerons le nom d'agencemenfr pour insister sur les faits de structure. La fonction, la valeur des UT est conditionnee ä chaque instant du déroulement des énoncés par des marques particuliěres, par des variations de forme (morphologie) et par un certain ordre (syntaxe). Ici, soulignons que nous ne nous arreterons pas ä des comparisons morphologiques, qui seraient pourtant interessantes, parce que le comportement formel des signifiants (par exemple, ľínvaríabilité de ľadjectif anglais), ne nous apprendrait rien sur le plan de la traduction. Lá encore, nous partirons clu sens, retrouvant la dichotomie qui est, pour J. Perrot, le domaine essentiel du linguiste : lexique et synfraxe : ..."car ľusage de la langue comme moyen de communication implique la connexion de deux functions : il y a communication ďénoncés... relatifs ä des notions" (La Unguistique, p. 21). § 29. c) Nous sommes enfin amenés á considérer un troisiěme plan, celui du message, qui est en quelque sorte le cadre global dans lequel ľénoncé s'insere et se déroule jusqu'ä sa conclusion. Le message est individuel : il reieve de la parole et ne depend des faits de structure que dans la mesure oú le choix ďun systéme linguistique impose ä ľusage certaines limites et certaines servitudes. Du message relěvent les éclairages particuliers (řonaíifrés), le choix des niveaux, ľordonnance des paragraphs et des charniěres qui en ponctuent le dcroulcment. Le message baígne tout enticr dans la métalínguistique, puisqu'il est le reflet individuel des situations, qui sont des phéno-měnes extra-linguistiques. II y a done pour nous, dans ľexploration 13). Cest également suivant un axe vertical que s'ordonnent Ies compo tes sémant-'------ j»«- — *■ '•■--■-------'- n-» "-- - •*---------»*-» - --jí- -j- ■-"---- -...2 de classe chasse, etc.). id). L-est egaiement suivant un axe vertical que sorüt sanies sémantíques d'un mot (voir note 9). Ex. : "casquettc" : idée de coiffure, idée de classe sociale (ä unc époque donnéc), idée ďoccupation (travail manuel, STYLISTJQUH COMPARES 45 du texte, des faits qui ne s'expliquent pas par des considerations d'ordre lexical ou syntaxique, et qui relěvent d'une réalité plus haute, plus difficilement accessible, mais essentielle, que certains linguistes ont appelée "contexte", sans d'ailleurs jamais la définir complětement. Cest ce qu'a voulu exprimer G. Galichet dans un ouvrage trěs dense et qui nous a fourni de nombreuses suggestions, la Physiologie de la langue frangaise, P.U.F., 1958, ou nous relevons le passage caracté-ristique suivant: « Dans la phrase, les mots se déterminent les uns les autres ; une selection s'opere ainsi entre leurs diverses significations possibles. Et ľacception ainsi sélectionnée se module de certaines nuances que les mots se communiquent, déteignant ainsi... les uns sur les autres, nuances qu'imprime souvent aussi ľ ensemble de la phrase. Ces nuances peuvent modifier considérablement la signification lexicale du mot. Cest dire qu en fin de compte un mot n'a pas de sens en soi: il n'a de sens que dans et par un contexte. » (p. 40 ). Voilä done ies axes selon lesquels s'ordonneront les trois parties principals du present ouvrage. Le schéma ci-dessous resume grapru-quement les cadres de notre recherche. métalínguistique frontiEre r - - DE LA--------- STYLISTIQUE MICRO-LINGUISTIQUE w Z O c/5 Q t—i < H O H I II III unites de syntagmes tonalité pensée et charniěres (moněmes) molecules mise en relief "contexte" - LEXIQUE - AGENCEMENT - MESSAGE - unites de morphologie et phrases traductions syntaxe paragraphes textes (vocadulaire) (grammaire) (composition) 1 2 3 46 STYLISTIQUE COMPARE!* C. Les procédés techniques de Ba traduction. § 30. Une fois posés les principes théoriques sur lesquels repose la stylistique comparée, il convient d'indiquer quels sont les procédés techniques auxquels se ramene la demarche du traducteur. Rappeions qu'au moment de traduire, le traducteur rapproche deux systěmes linguístíques, dont ľun est exprimé et fige, ľautre est encore potentiel et adaptable. Le traducteur a devant ses yeux un point de depart et élabore dans son esprit un point ďarrivée ; nous avons dit qu'il va prooablement explorer tout d'abord son texte : évaluer le contenu descriptif, affectif, intellectuel des UT qu'il a découpécs ; reconstituer la situation qui informe le message ; peser et évaluer les effets stylistiques, etc. Mais il ne peut en rester la: bientôt son esprit s'arréte á une solution ■— dans certains cas, il y arrive si rapidement qu'il a ľimpression d'un jaillissement simultane, la lecture de LD appelant presque automatiquement le message en LA; il ne lui reste qu'á contrôler encore une fois son texte pour s'assurer qu'aucun des elements LD n'a été oublié, et le processus est termine. Cest précisément ce processus qu'il nous reste ä préciser. Ses voies, ses procédés apparaissent multiples au premier abord, mais se laissent ramener ä sept, correspondant ä des difficultés d ordre croissant, et qui peuvent s'employer isolément ou ä ľétat combine. § 31. Traduction disocře ou traduction oblique. Notons tout d'abord qu'il y a, grosso modo, deux directions dans lesquelles le traducteur peut s'engager : la traduction direcfe ou läfrfréraSe, et la traduction oblique. En effet, il peut arriver que le message LD se laisse par-faitement transposer dans le message LA, parce qu'il repose soit sur des categories paralleles (parallélisme structural), soit sur des conceptions paralleles (parallélisme niétalinguistique). Mais il se peut aussi que le traducteur constate dans la langue LA des trous ou "lacunes" (52), qu'il faudra combler par des moyens equivalents (171 sq.), ľimpression globale devant étrc la merne pour les deux messages. II se peut aussi que par suite de divergences ďordre structural ou métalinguistique certains effets stylistiques ne se laissent pas transposer en LA sans un bouleversement plus ou moins grand de ľagencement ou merne du lexique. On comprend done qu'il faille, dans le deuxiěme cas, avoir recours ä des procédés STYLISTIQUE COMPARÍiK 47 beaucoup plus détournés, qui ä premiére vue peuvent surprendre. mais dont il est possible de suivre le déroulement pour en contrôler rigoureusement ľ equivalence : ce sont la des procédés de traduction oblique. Les procédés 1, 2 et 3 sont directs. Les autres sont obliques. § 32. Procédé N° 1 : ľemprunt. Trahissant une lacune, généra-lement une lacune métalinguistique (technique nouvelle, concept inconnu), ľemprunt est le plus simple de touš les procédés de traduction. Ce ne serait méme pas un procédé de nature ä nous inté-resser, si le traducteur n'avait besoin, parfois, d'y recourir volontai-rement pour crcer un effet stylistique. Par exemple pour introduire une couleur locale, on se servira de termes étrangers, on parlera de "verstes" et de "puds" en Russie, de "dollars" et de "party" en Amé-rique, de "tequila" et de "tortillas" au Mexique, etc. Une phrase telle que : "the coroner spoke" se traduit mieux par un emprunt: "Le coroner prit la parole", que par la recherche plus ou moins heureuse d'un titre equivalent pármi les magistrats francais. II y a des emprunts anciens, qui n'en sont plus pour nous, puis-qu'ils sont rentrcs dans le lexique et deviennent des servitudes : "alcool", "redingote", "paquebot", "acajou", etc. Ce qui Interesse le traducteur, ce sont les emprunts nouveaux et méme les emprunts personnels. II est ä remarquer que souvent les emprunts entrent dans une langue par le canal d une traduction, ainsi que les emprunts sémanti-ques ou faux-amis, contre lesquels il faut se prémunir soigneusement. (54 sq.). La question de la couleur locale évoquée ä ľ aide d'emprunts Interesse les effets de style et par consequent le message. § 33. Procédé N° 2 : Se caique. Le caique est un emprunt d'un genre particulier : on emprunte ä la langue étrangére le syntagme, mais on traduit littéralement les elements qui le composent On aboutit, soit ä un caique d'expression, qui respecte les structures syntaxiques de la LA, en introduisant un mode expressif nouveau (cf. "Compliments de la Saison"), soit á un caique de structure, qui introduit dans la langue une construction nouvelle (cf. "Science-fiction"). De méme que pour Ies emprunts, il existe des caiques anciens, figés, que nous citons au passage pour rappeler qu'ils peuvent, comme les emprunts, avoir subi une evolution sémantique qui en font des faux amis. Plus intéressants pour le traducteur seront les caiques nou- 48 STYLISTIQUE COMPARES veaux, qui veulent éviter un emprunt tout en comblant une lacune (cf. "economiquement faible", caique sur ľallemand) ; il y a avan-tage, semble-t-il, ä rccourir alors ä la creation lexicologique ä partir du fonds grcco-latin ou ä pratiquer ľhypostase (c£. Bally, LGLF § 257 sq.). On cviterait ainsi des caiques penibles, tels que: "Therapie occupationnelle" (Occupational Therapy) ; "Banque pour le Commerce et le Dcvcloppement" ; "les quatre Grands" ; "le Premier fran-gais", et autres caiques qui sont, dans ľesprit de certains traducteurs, ľ expression la plus concrete de ľ abomination de la desolation". § 34. Procédé N° 3 : la traduction littéraSe. La traduction littérale ou mot ä mot designe le passage de LD ä LA aboutissant ä un texte ä la fois correct et idiomatique sans que le traducteur ait eu ä se soucier d'autre chose que des servitudes lin-guistiques : ex. : "I left my spectacles on the table downstairs: J'ai laissé mes lunettes sur la table en bas" ; "Where are you?: Oú étes-vous?" "This train arrives at Union Station at ten. Ce train arrive ä la gare Centrale á 10 heures." En principe, la traduction littérale est une solution unique, reversible et complete en elle-méme. On en trouve les exemples les plus nombrcux dans les traductions effectuées entre langues de merne famílie (francais-italien) et surtout de merne culture. Si ľon peut cons-tatcr un certain nombre de cas de traduction littérale entre le frangais et ľanglais, c'est que les conceptions métalinguistiques peuvent égale-inent souligner des coexistences physiques, des périodes de bilinguis-me, avec limitation consciente ou inconsciente qui s'attache ä un certain prestige intellectuel ou politique, etc. On peut aussi les expli-quer par une certaine convergence des pensées et parfois des structures, que ľon observe bien dans les langues de ľEurope (cf. la creation de ľarticle défini, le concept de culture et de civilisation, etc.) et qui a inspire plusieurs articles intcressants aux tenants de la "General Semantics". 14). Autres exemples de caiques : "Le mariage est une association ä cln-quante-cinquante..." (Les Nouvelles Littéraires, 6 octobre 1955) ; "I'horarae dans la rue" (G. Gignoux, Revue des Deux Mondes, 15 mai 1955) — il faudrait dire 'Thomme de la rue" ou mieux encore "le Francais moyen" ; "compagnon de route" (pour "fellow-traveller") (Le Monde, Selection hebdomadaire, 1-7 mars 1956) ; "...la plupart des grandes decisions sur le Proche-Orient oní óté prises a un moment ou Sir Winston Churchill affectait de considérer comnie "vide" la "chaise" de la France sur la scene internationale." (Le Monde, Selection hebdomadaire, 1-7 mars 1956) — dire : "la place" ou, ä la rigueur, "le fauteuil". STYLISTIQUE COMPARÉH 49 § 35. Jusqu'au procédé N° 3, on a pu traduire sans l'intervention de procédés stylistiques spéciaux. Si tel était toujours le cas, le present ouvrage n'aurait pas de raison d'etre et la traduction, ramenée au passage univoque de LD ä LA, n'offrirait aucun intérét. La solution, proposce par le groupe du Massachusetts Institute of Technology, de courier á des machines ä memoire électronique la traduction de textes scientifiques repose en grande partie sur ľ existence, dans ces textes, de segments paralleles, correspondant a des raisonncments paralleles qui, comme on pouvait s'y attendre, se révelent particulie-rement nombreux dans le cas de la langue scientifique ". Mais si, une fois ce procédé N° 3 atteint, la traduction littérale est reconnue inacceptable par le traducteur, il faut recourir ä une traduction oblique. Par inacceptable, nous entendons que le message, tel qu'il se laisse rédiger littéralement, (a) donne un autre sens (b) n'a pas de sens (c) est impossible pour des raisons structurales (d) ne correspond ä rien dans la métalinguistique de LA (e) correspond bien ä quelque chose, mais non pas au méme niveau de langue. Si, pour fixer les idées, nous considérons les deux phrases sui-vantes : (l) "He looked at the map" (2) "He looked the picture of health", nous pourrons traduire la premiere en appliquant les regies de la traduction littérale : "il regarda la carte" ", mais nous ne pouvons traduire ainsi la seconde: "il paraissait ľ image de la santé", ä moins de le faire pour des raisons expressives (cas du personnage anglais qui parle mal fran$ais dans un dialogue). Si le traducteur aboutit ä un texte tel que celui-ci: "II se portait comme un charme", c'est qu'il reconnaít lä une equivalence de messages, que sa position particu-liére, extérieure ä la fois ä LD et ä LA, lui fait apparaítre clairement. Ľ equivalence de messages s'appuie elle-méme, en dernier ressort, sur une identite de situation, qui seule permet de dire que LA retient de la realite certaines caractéristíques que LD ne connaít pas. Normalement, si nous avions des dictionnaires de signifies, il suffirait de chercher notre traduction á ľarticle correspondant ä la situation identifiée par le message LD. Comme il n'en existe pratique- 15). Consulter a ce sujet les articles de la revue Mechanical Translation, Cambridge, Mass., M.I.T. (1944) ainsi que le livre de Locke, W.N. et A.D. Booth, Machine Translation of Languages, New York, John Wiley, 1955, dont Martin Joos a donne le corapte rendu dans Language, avril-juin 1956. lfi). On remarquera que le message n° 1 perd en clarté, puisque "carte" explicite moins que "map". Mais ceci n'infirme en rien la demonstration- Voir compensation (15). 50 STYLISTIOUE COMPARÉE ment pas, nous partons des mots ou unites de traduction, et nous devons les soumettre ä des procédés particuliers pour aboutir au message désiré. Le sens d'un mot étant fonction de la place qu'il occupe dans ľénoncé, il arrive que la solution aboutisse ä un groupe-ment de mots tcllement éloigné de notre point de depart qu'aucun dictionnaire n'en fait mention. Étant donne les combinaisons infinies des signifiants entre cux, on comprend pourquoi le traducteur ne saurait trouver dans les dictionnaires des solutions toutes faites ä ses problěmes. Car lui seul possede la totalite du message pour ľéclairer dans son choix, et cest le message seul, reflet de la situation, qui permet en dernicre analyse de se prononcer sur le parallélisme des deux textes. § 36. Procédé N° 4 : Ig transposition. Nous appelons ainsi le procčdé qui consisre ä remplacer une partie du discours par une autre, sans changer le sens du message. Ce procčdé peut aussi bien s'appliquer á ľintérieur d'une langue qu'au cas particulier de la traduction. "íl a annoncé qu'il reviendrait" devient par transposition du verbe subordonné en substantif : "II a annoncé son retour". Nous appelons cette seconde tournure : tournure transposes, par opposition ä la premiere, qui est tournure de base. Dans le domaine de la traduction, nous serons appelés ä distinguer deux espě-ces de transposition : (1) la transposition obligatoire (2) la transposition facultative. Par exemple : "dés son lever" doit étre non seule-ment traduit (Proccdc N° 3) mais obligatoirement transpose (Procédé N° 4) en "As soon as he gets up" (ou "got up"), ľanglais n'ayant dans ce cas que la tournure de base. Mais en sens inverse, nous avons le choix entre le caique et la transposition, puisque le francos possěde les deux tournures. Au contraire, les deux phrases equivalences "aprěs qu'il sera revenu : "after he comes back" peuvent étre toutes les deux rendues par une transposition : "apres son retour : after his return". La tournure de base et la tournure transposée ne sont pas néces-sairement equivalences au point de vue de la stylistique. Le traducteur doit done étre prét á opcrcr la transposition si la tournure ainsi obte-nue s'insere mieux dans la phrase ou permet de rétablir une nuance de style. On voit en effet que la tournure transposée a généralement un caractěre plus littéraire. Le chossé-croisé (88) est un cas particuliěrement frequent de transposition. STYLISTIQUE COM PAR ť-1- 51 § 37. Procédé N° 5 : la modulation. La modulation est une variation dans le message, obtenue en changeant de point de vue, ďéclairage. Elle se justifie quand on s'apercoit que la traduction littérale ou méme transposée aboutit ä un énoncé grammaticalement correct, mais qui se heurte au génie de LA. De méme que pour la transposition, nous distinguerons des modulations libres ou facultatives et des modulations figées ou obligatoires. Un exemple classique de la modulation obligatoire est la phrase : "The time when..." qui doit se rendre obligatoirement par : "le moment ou"; au contraire, la modulation qui consiste ä presenter positivement ce que la LD présentait négativement est le plus souvent facultative, bien qu'il y ait lá des rapports étroics avec la demarche de chaque langue : "it is not difficult to show... : II est facile de démontrer...". La difference entre une modulation figée et une modulation libre est une question de degré. Dans le cas de la modulation figée, le degré de frequence dans ľemploi, ľacceptation totale par ľusage, la fixation conferee par 1'inscription au dictionnaire (ou la grammaire) font que toute personne possédant parfaitement les deux langues ne peut hésiter un instant sur le recours ä ce procédé. Dans le cas de la modulation libre, il n'y a pas eu de fixation, et le processus est ä refaire chaque fois. Notons cependant que cette modulation n'est pas pour cela facultative ; eile doit, si eile est bien conduite, aboutir ä la solution ideale correspondant, pour la langue LA, á la situation proposée par LD. Si ľon veut une comparaison, la modulation libre aboutit á une solution qui fait s'exclamer le lec-teur : Oui, e'est bien comme cela que i'on s'exprimerait en frangais ; la modulation libre tend done vers une solution unique. Et cette solution unique repose sur un mode habituel de pensée, impose et non facultatif. On voit done qu'entre la modulation figée et la modulation libre, il n'y a qu'une difference de degré, et qu'une modulation libre peut, á chaque instant, devenir une modulation figée děs quelle devient fréquente, ou des qu'elle est sentie comme la solution unique (ceci ressort généralement de ľexamen de textes bilingues ou de discussions au cours d'une conference bilingue ou d'une traduction fa-meuse qui s'impose par sa valeur littéraire). Ľévolurion dune modulation libre vers une modulation figée arrive ä son terme lorsque le fait en question s'inscrit dans les dictionnaires et les grammaires et devient matiére enseignée. A partir de cet instant, la non-modulation est une faute d'usage, condamnée comme telle". 17). G. Panncton, ä qui nous empruntons le terme modulation, avait bien pressenti ce que I'on peut tirer d'une application méthoclique de la transposition et de la modulation : "La transposition correspondrait en traduction ä une í>2 STYUSTIQUli COMPARER § 38. Procédé N° 6 : Inequivalence. Nous avons soulignc á plusieurs reprises qu'il est possible que deux textes rendent compte d'une meine situation en mettant en ceuvre des moyens stylistiques et structuraux entiérement différents. II s'agit alors ďune equivalence. L'exemple classique de ľéquivalence est fourni par la reaction dc ['amateur qui plante un clou et se tape sur les doígts : s'il est frangais, il dira : "Aie", s'il est anglais, il dira : "Ouch". Cet exemple, quoique grossier, fait ressortir un caractěre parti-culier des equivalences : elles sont le plus souvent de nature syn-tagmatique, et intéressent la totalite du message. II en résulte que la plupart des equivalences, pour empörter notre adhesion, sont figées et font partie dun repertoire phraséologique d'idiotismes, de cliches, de proverbes, de locutions substantivales ou adjectivales, etc. Les proverbes offrent en general de parfaites illustrations de Inequivalence : "like a bull in a china shop : comme un chien dans un jeu de quilles" ; "Too many cooks spoil the broth : Deux patrons font chavirer la barque" ; il en va de merne pour les idiotismes: "to talk through one's hat", "as like as two peas" ne doivent se calquer ä aucun prix ; et pourtant, e'est ce qu'on observe chez les populations dites bilingues, qui souffrent du contact permanent de deux langues et finissent par n'en savoir aucune, II se peut d'ail-ieurs que certains de ces caiques finissent par étre acceptés par ľ autre langue, surtout si la situation qu'ils évoquent est neuve et susceptible de s'acclímater á ľétranger. Mais la responsabilité ďin-troduire ces caiques dans une langue parfaitement organisée ne devrait pas échoir au traducteur : seul ľauteur peut se permettre semblables fantaisies, dont le succés ou ľéchec rejaillira alors sur lui. Dans une traduction, il faut s'en tenir ä des formes plus classiques, car le soupcon d'anglicisme, de germanisme, ďhispanisme s'attachera tou jours ä tout essai ď innovation dans le sens du caique. § 39. Procédé N° 7 : L'adapfraHon. Avcc ce septiěme procédé, nous arrivons ä la limite extréme de la traduction ; il s'applique á des cas oü la situation ä laquelle le message se rcfere n'existe pas dans LA, et doit étre créée par rapport equation du premier degrč, In modulation á une equation du second degré, chacunc transformant Téquation en identite, toutcs deux effectuant la resolution appropriée". La Transposition en traduction, these de M.A., Universlté de Montreal, 1946. STYUSTIQUli COMPARE!] 53 á une autre situation, que ľon juge équivalente. Cest done ici un cas particulier de ľéquivalence, une equivalence de situations. Pour prendre un exemple, on peut citer le fait pour un pere anglais ďembrasser sa fille sur la bouche comme une donnée culturelle qui ne passerait pas telle quelle dans le texte frangais. Traduire : "he kissed his daughter on the mouth" par "il embrassa sa fille sur la bouche", alors qu'il s'agit simplemcnt d'un bon pere de famille rentrant chez lui apres un long voyage, serait introduire dans le message LA un element qui n'existe pas dans LD ; c est une sorte particuliěre de surtraduction. Disons : "il serra tendrement sa fille dans ses bras", ä moins que le traducteur ne veuille faire de la couleur locale ä bon marché. Ce procédé d'adaptation est bien connu des interpretes qui travaillent en siinultanée ; on raconte qu'ayant adapté "cricket" en "Tour de France" dans un contexte oú ľon évoquait un sport parti-culierement populaire, un interprete fut mis dans une situation difficile par la réponse du délégué frangais, qui remerciait ľorateur d'avoir évoqué un sport aussi typiquement frangais. II fallut alors inverser ľadaptation pour retomber en anglais sur le "cricket"... Le refus de procéder ä des adaptations qui portent non seule-ment sur les structures, mais aussi sur le déroulement des idées et leur presentation materielle dans le paragraphe, se trahit dans un texte parfaitement correct par une tonalité indéfinissable, quelque chose de faux qui décéle invariablement une traduction. Cest malheureusemcnt ľimpression que donnent trop souvent les textes publiés par les organisations internationales actuelles, dont les mem-bres exigent par ignorance ou un souci mal place de littéralité des traductions aussi calquées que possible. Le résultat est un galimatias qui n'a de nom dans aucune langue, mais que René Etiemble a fort justement traité de "sabir atlantique". Un texte ne doit étre un caique, rit sur le plan structural, rit sur le plan métalinguhtique. Toutcs les grandes traductions littcraires ont reconnu implicitement ľ existence des procédés dont nous venons de faire le recensement, comme ľa ties bien montré Gide dans sa Preface de Hamlet. Et ľon peut se demander si les Américains ne refusaient pas de prendre la SDN au sérieux parce que beaucoup de ses textes étaient des traductions non modulées et non adaptées d un original frangais, de méme que le "sabir atlantique" ne s'explique que par des textes mal digérés ä partir d un original anglo-américain. Nous touchons la un probléme extrémement grave, que le manque de place nous empeche de traiter : celui des changements intellecruels, culturels et linguistiques que peut entrainer ä la longue ľ existence de docu- 54 STYLISTIQUH COMPARES ments importants, manuels scolaires, articles de journaux, dialogues de films, etc. rédigés par des traducteurs qui ne peuvent pas ou n osent pas s'aventurer dans les traductions obliques. A une cpoque ou la centralisation excessive ct le manque de respect pour la culture d'autrui poussent ics organisations internationales ä adopter une lan-gue de travail unique pour rcdiger des textes qui sont ensuite traduits hátivement par des traducteurs mal considerés et trop peu nombreux, on peut craindre de voir les quatre-cinquiémes du globe se nourrir exclusivement de traductions et périr inteliectuellement de ce regime de bouillie pour les chats. § 40. Application des 7 procédés cí-dessus : Au cours des chapitres suivants, nous aurons ľoccasion de montier que nos sept procédés s'appliquent egalement, quoique á des degrcs divers, aux trois parties de cet ouvrage : lexique, agencement et message. II est par exemple possible de proccder ä des emprunts sur le plan du lexique : "bulldozer", "réaliser", "stopover" et sur le plan du message : "O.K.", "Five o'clock tea". C'est ce que nous avons voulu montier par le tableau récapitulatif ci-aprcs, qui donne un exemple typique pour chaeun des procédés envisages sur ies trois plans dc la stylistique. Enfin, il est bien entendu que ľon peut, dans une meme phrase, recourir á plusieurs de ces procédés, et que certaincs traductions res-sortissent parfois ä tout un complexe technique qu'il est difficile de definir ; par exemple la traduction de "paper-weight" par "presse-papiers" offre ä la fois une transposition et une modulation, figées bien entendu. De meme, la traduction (sur une porte) de PRIVATE par DEFENSE D'ENTRER est ä la fois une transposition, une modulation et une equivalence. C'est une transposition parce que ľadjectif "private" se rend oar une locution nominale ; une modulation, parce qu'on passe ďune constatation ä un avertissement (cf. "wet paint. : Prenez garde ä la peínture") ; enfin, c'est une equivalence puisque la traduction est obtenue en remontant ä la situation sans passer par la structure. STYUSTIQUE COMPARES 55 Z O t—c H U P O Q cO W O u o PSÍ P-4 cO PJ o o s < OJ H o Ö "o pH >-. O > c o C3 ^0 .y mh tí "CJ co ^ •*•* k § co c s g o tx; <; J*í H tí CJ 4tí" tí Ph" < •X3 Ph S o o z < t/% ja TJ O B CJ "ôs P-t tí h4 tí CJ o O c > o o u: < ni < m rt OJ J* c -ž -i > .-H tí cr tí o •—» -M ci Tí < H.LNVSSIOÜ gXTflDHáia HQ H^ICHIO