TROIS BALLADES FRANÇAISES Les Baleines Du temps qu'on allait encore aux baleines, si loin qu'ça faisait, mat'lot, pleurer nos belles, y avait sur chaque route un Jésus en croix, y avait des marquis couverts de dentelles, y avait la Sainte Vierge et y avait le Roi ! Du temps qu'on allait encore aux baleines, si loin qu'ça faisait, mat'lot, pleurer nos belles, y avait des marins qui avaient la foi, et des grands seigneurs qui crachaient sur elle, y avait la Sainte Vierge et y avait le Roi ! Eh bien ! `a présent, tout le monde est content, c'est pas pour dire, mat'lot, mais on est content !... y a plus d'grands seigneurs ni d'Jésus qui tiennent, y a la république et y a l'président, et y a plus d'baleines ! (1897). Louis XI curieux homme Louis XI, gagne-petit, je t'aime, curieux homme. Cher marchand de marrons, que tu sus bien tirer les marrons de Bourgogne ! Tu faisais le gentil, tu bordais ton chaperon de médailles de cuivre et d'images de plomb — on te croyait bien occupé `a des patenôtres, soudain tu te baissais, étendant tes longs bras, et tout doucettement, sans froisser tes mitaines, tu chipais un marron, puis un, puis un, puis un, sous les mitaines du cousin. Mais si, par aventure, ses gros poings s'abattaient sur ton dos, ton dos maigre, tu pouffais de rire et lui rendais son bien que tu lui avais pris. N'y avait plus que les coques, les marrons étaient vides. Ta gentille industrie te valut de grands biens ! Ainsi, moi, bon trouvere, quoique penseur nabot, je grappille ciel et terre, provinces de mon cerveau, sous les mains du Seigneur, toute lumiere. Je dérobe `a ses doigts les rosés de l'aurore, les bagues de l'orage et le lys des nuits claires ; et j'ai de petites images fort idéales sous mon chapeau. Chiper menu mais sur, doux Louis XI, ô rare homme ! Que Dieu bon politique, ô rare entre les Louis, t'ait en sa bénie garde et que — comme, jadis, ton lévrier chéri sous tes gregues, tu jugeais de douceur, ayant bonne chaleur, — tu sois, sur ses poulaines d'or au paradis, saint petit roi couchant, son plus chaud conseilleur. Et, pour t'avoir levé contre mes professeurs, avoir suivi ta loi si toute de candeur, quand ce sera mon jour, que ce sera mon tour, tire la robe `a Dieu : qu'il me place d'amour (1898). Les beaux noms Vous le savez, Francis, aimant l'Ile-de-France, qu'une ville, un pays, décoré d'un beau nom, bien mieux que ses voisins nous fait des confidences, et que ce beau nom-l`a doit se joindre `a ses dons. La foret de Crécy que je vais traverser pour me rendre `a Mortcerf — son doux nom prononcé me flatte l'ouie ainsi qu'un vol de fées qui glisse de saule en saule et puis autour d'un chevalier dormant pres d'une source aux bleus myosotis. Tout d'abord un pays doit charmer par son nom. Sans quoi vous ne serez jamais d'intelligence avec lui. Vous, Francis, aimez l'Ile-de-France. A votre joli nom son beau nom se fiance et votre art et vous-meme ajoutez `a ses dons. Qu'il bat, mon cœur, aux noms de Nemours, de Senlis, quand je les murmure, oh ! quel noble plaisir ! Senlis, Nemours, tenez... je m'agenouille presque. O Nemours tout douleur, ô Senlis tout sourire, tourterelles et lys, adieu, beaux noms chantants ! Je me donne `a présent, j'appartiens `a Mortcerf. Mortcerf, le son du cor et tout l'automne en fresque. — Mais, ce n'est pas l'automne encor ? — Haut le bâton, j'ai pris le blanc chemin de Mortcerf au beau nom (1909). Ballades françaises (Flammarion, éditeur).